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Donation de bien commun et rapport : d’utiles précisions, d’inutiles imprécisions

Deux semaines jour pour jour après son arrêt du 3 avril 2019 (Civ. 1re, 3 avr. 2019, n° 18-13.890, Dalloz actualité, 7 mai 2019, obs. J. Boisson ), la première chambre civile vient préciser, peut-être malgré elle, les zones d’ombre découlant de son premier arrêt, tout en en créant de nouvelles.

Dans l’arrêt de la Cour de cassation du 17 avril 2019, deux époux, mariés sous le régime légal, avaient consenti à leur fille une donation de la nue-propriété d’un immeuble commun. Ils s’étaient réservé l’usufruit de cet immeuble. Les époux ont ensuite changé leur régime matrimonial et ont adopté la communauté universelle avec attribution intégrale au dernier vivant. En l’espèce, l’épouse est décédée d’abord, suivie quelques années après par son époux. Ce dernier laisse pour lui succéder ses deux enfants, au rang desquels la donataire de l’immeuble. Des difficultés se sont élevées entre les héritiers lors des opérations de liquidation sur la valeur de la donation à rapporter à la succession de leur père. L’hésitation était permise en l’absence de stipulation particulière dans l’acte de donation entre la totalité de la valeur du bien ou une partie seulement de celle-ci.

La cour d’appel de Pau tranche en faveur de la première option. Dans un arrêt du 12 mars 2018, elle estime que le rapport devait se faire à la succession du père pour la totalité de la valeur dans la mesure où il était « attributaire de l’intégralité de la communauté ». Pour justifier leur décision, les juges du fond retiennent qu’en l’absence de stipulation contraire, il résulte des articles 1438 et 1439 du code civil qu’en présence d’une donation conjointe de biens communs comme d’une donation réalisée par un seul époux avec le consentement de l’autre à un enfant issu du mariage, la charge de celle-ci incombe définitivement à la communauté.

La Cour de cassation retient une lecture radicalement différente des articles 1438 et 1439 du code civil. L’arrêt d’appel est donc cassé au visa de ces deux textes et de l’article 850 du même code, que la Cour de cassation vise, par excès de zèle, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006. Pourtant, cette loi (précisément son article 3) n’a pas touché à la rédaction de cet article, mais a simplement modifié le plan et l’intitulé des sections dans lequel celui-ci se trouve. La rédaction de l’article 850 d’hier est celle d’aujourd’hui. La solution retenue a donc vocation à s’appliquer en droit positif. La haute juridiction aurait pu faire l’économie de cette précision qui trouble, sans véritable raison, la portée de la décision.

Dans un chapeau liminaire, la Cour de cassation précise qu’en vertu de l’article 850 du code civil, le rapport des dons et legs ne se fait qu’à la succession du donateur.

Quant aux deux autres articles, il en résulte, pour la haute juridiction, que « la donation d’un bien commun est rapportable par moitié à la succession de chacun des époux codonateurs ».

Appliquant la règle énoncée à l’espèce, la Cour de cassation, constatant l’absence de clause particulière, considère que « seule la moitié de la valeur du bien objet de la donation était rapportable à la succession » du père. L’arrêt est donc cassé sur ce point pour violation de la loi. Par voie de conséquence, la cassation s’étend à la question du rapport des frais afférents à la donation. Ce n’est que l’application de l’article 624 du code civil invoqué par la Cour. Selon ce texte, la censure n’est pas limitée à la portée du moyen en cas d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

La motivation retenue par la Cour de cassation n’est pas nouvelle. Son visa comme son attendu introductif font strictement écho à une précédente solution (Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 11-12.863, D. 2012. 283 image ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2012. 235, obs. E. Buat-Ménard image ; RTD civ. 2012. 307, obs. J. Hauser image ; ibid. 353, obs. M. Grimaldi image), surtout restée célèbre pour imposer aux juges du fond de caractériser l’intention libérale pour qualifier de libéralité un avantage indirect.

Il est vrai que la solution rendue par la Cour de cassation dans cette espèce paraît constante, ce qui explique sans doute sa faible publicité. La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer à plusieurs reprises qu’il convenait de retenir un rapport par moitié d’une donation conjointe de biens communs dans le régime légal, que ce soit en présence de donations ostensibles (Civ. 1re, 12 juill. 1989, n° 88-13.446), de donations déguisées (Civ. 1re, 22 juin 2004, n° 01-18.030, RTD civ. 2005. 171, obs. B. Vareille image ; 4 déc. 2004, n° 01-01.946, AJ fam. 2005. 151, obs. F. Chénedé image) ou encore de donations indirectes (Civ. 1re, 18 janv. 2012, préc.).

Cependant, l’originalité de l’espèce tenait à ce que les époux avaient opté, certes après la date de la donation, pour un régime de communauté avec clause d’attribution intégrale au dernier vivant. La cour d’appel avait ainsi estimé que le rapport n’était dû qu’à la succession du survivant, attributaire de l’intégralité de la communauté. La solution de la cour d’appel est loin d’être fantaisiste. Outre qu’il a déjà été proposé en doctrine de « ne tenir compte dans la succession de chacun [des époux que] d’une proportion de [la valeur du bien] correspondant à leurs droits respectifs dans la communauté » (v. J.-Cl. civ. code, art. 912 à 930-5, par C. Brenner, n° 28), un arrêt du 22 juin 2004 établit expressément un lien entre la charge définitive de la donation et le rapport (Civ. 1re, 22 juin 2004, préc.). Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation considère, en effet, qu’il résulte des articles 1438 et 1439 du code civil que la charge définitive de la donation de biens communs pèse sur la communauté sauf clause contraire de sorte « qu’il s’ensuit qu’à défaut d’une telle stipulation », le rapport se fait par moitié. Il y aurait donc un lien intrinsèque entre le passif définitif et le rapport. Or, en présence d’une clause d’attribution intégrale de la communauté, il ne saurait y avoir de partage du passif définitif.

Ce n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation, sans que celle-ci fournisse d’explications. Cette solution éclaire néanmoins l’arrêt du 3 avril 2019 précité rendu également présence d’une communauté universelle assortie d’une clause d’attribution intégrale. Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation avait insisté sur la date de la donation, comme antérieure au changement de régime matrimonial, et sur le fait que le bien donné n’était pas entré dans la communauté. Elle en déduisait que le rapport de la donation était dû à la succession du conjoint prédécédé, auteur de libéralité. Nous nous étions interrogés sur les raisons de cette insertion et nous nous étions demandé si le rapport aurait été dû également si la donation avait porté sur des biens communs. La Cour de cassation met un terme à l’ambiguïté.

Sa solution est lourde de conséquences. Si la donation de biens communs est rapportable pour moitié à la succession du père de la donataire, c’est qu’elle aurait dû l’être pour l’autre moitié à la succession de la mère prédécédée. Plusieurs conséquences pratiques en découlent. D’abord, les cohéritiers auxquels le rapport est dû ne doivent pas attendre l’ouverture de la succession de l’attributaire de la communauté intégrale mais doivent être vigilants et réclamer le règlement de la succession du prémourant, fût-elle une coquille vide. Ensuite, faute de recevoir des biens dans la succession du prémourant, du fait de la clause d’attribution intégrale (sauf l’existence de biens propres), le donataire ne pourra exercer son rapport en moins-prenant et devra nécessairement une indemnité en nature à ses cohéritiers si l’égalité est atteinte. La solution, concrètement favorable à la donataire dans cette espèce (elle ne rapportera que la moitié de la donation reçue), s’avère abstraitement défavorable au donataire en général.

En précisant que la donation de biens communs est rapportable pour moitié à la succession de chacun des époux, l’arrêt du 17 avril 2019 apporte donc une précision utile malgré un libellé qui porte en lui-même d’inutiles imprécisions. La portée de la décision peine à se révéler, compte tenu des fondements invoqués à son soutien.

La solution est, en effet, rendue sur le fondement des articles 1438 et 1439 du code civil, qui, pour reprendre certains auteurs, « ne sont pas d’une grande clarté » (M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la famille, Dalloz, 2018, n° 312.171). Ces textes sont relatifs à la dot de l’enfant commun et au régime des récompenses qui en découlent. Pour la Cour de cassation, « une donation ne peut être qualifiée de dot qu’à la condition de pourvoir à l’établissement autonome du donataire » (Com. 24 avr. 1990, n° 88-14.365). La Cour de cassation n’impose donc pas que cette donation soit réalisée à l’occasion du mariage d’un enfant commun comme l’entend pourtant la conception traditionnelle de la « constitution de dot » (v. Rep. civ., v° Dot, par A. Colomer et E. Berry, nos 3 et 4).

En l’espèce, la qualification de dot n’était pas dans la cause. Pis, à la lecture des moyens annexés, on apprend que la cour d’appel aurait jugé qu’en l’espèce, la « situation était régie par les articles 1438 et 1439 du code civil, applicables aux donations autres que les dots » (sic). Sans doute la Cour de cassation décide-t-elle que ces textes sont applicables non seulement à la constitution de dot, mais plus largement par analogie dès que la donation adressée à un enfant commun porte sur des biens communs comme une partie de la doctrine le défend (J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 2001, Armand Colin, n° 565, note n° 3). Cela pourrait expliquer l’erreur commise par la cour d’appel de Pau. Une telle interprétation se commande des termes mêmes de l’attendu introductif qui visent, sans distinction, la « donation d’un bien commun » (dans le même sens, v. Civ. 1re, 22 juin 2004, préc. ; comp. Civ. 1re, 18 janv. 2012, préc., où la donation profitait également au gendre des donateurs). L’article 850 du code civil ne suffisait-il pas pour aboutir à une telle solution sans que l’on cherche à dévoyer les articles 1438 et 1439 du code civil (rendu sur le fondement de ce seul texte, v. Civ. 1re, 12 juill. 1989, préc. ; 4 déc. 2004, préc.) ? L’économie des règles relatives aux récompenses contenues dans ces textes révèle pourtant le particularisme de la dot de sorte que ces textes ne devraient pas être étendus au-delà de cette hypothèse (v. C. Brenner, « La donation de biens communs », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 91 s, n° 18)

De surcroît, l’article 850 du code civil est invoqué au soutien de la solution. La Cour de cassation, dans son chapeau, précise que le rapport n’est dû que dans la succession du donateur. Ce faisant, elle se borne à reprendre expressis verbis le contenu de cet article. La précision peut paraître inutile tant elle est évidente. Et pourtant, elle est source d’incertitudes au regard de la qualité de donateur de biens communs.

La cour d’appel de Pau assimile, en effet, la donation de biens communs conjointe et la donation de l’un des époux avec le consentement de l’autre (consentement requis par application de l’article 1422 du code civil) pour les dire rapportables à la succession des deux époux selon les mêmes modalités. Ce faisant, les juges palois s’inscrivent dans la lignée d’une précédente décision de la Cour de cassation (Civ. 1re, 22 juin 2004, préc.) qui retient les mêmes modalités au regard du rapport, sur le fondement des articles 1438 et 1439 du code civil, « lorsque deux époux conjointement, ou l’un d’eux avec le consentement de l’autre ».

Or, en principe, la donation de biens communs à un tiers non conjointe, mais consentie par l’autre, n’est rapportable qu’à la succession du seul époux auteur nonobstant le consentement du second (M. Grimaldi [dir.], op. cit., n° 312.171). Cela s’explique par le fait que le consentement donné par un époux à un acte soumis à cogestion ne le rend pas partie à l’acte – ici codonateur.

La solution est-elle différente sur le fondement des articles 1438 et 1439 du code civil ? Dans l’affirmative, l’exception est-elle limitée à la dot (ce que l’économie des textes imposerait) ou est-elle applicable par analogie à toutes les donations de biens communs à un enfant commun ? La décision de la Cour de cassation, au visa de l’article 850 du code civil répond-elle à la cour d’appel sur ce point ? Faut-il voir dans cette décision un revirement ou un encadrement de la jurisprudence issue de l’arrêt de 2004 ?

À toutes ces questions, il est difficile d’apporter des réponses. On guettera avec intérêt les prochains arrêts de la Cour de cassation en espérant y trouver de nouvelles précisions.

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