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L’implication d’un tracteur en l’absence de contact avec le siège du dommage

C’est une espèce connue que l’on retrouve ici. Le lecteur se souviendra qu’elle avait donné lieu, en 2017, à un arrêt de cassation qui revenait utilement sur la subtile notion « d’implication » d’un véhicule terrestre à moteur (VTAM) en l’absence de contact (Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 16-15.562, Dalloz actualité, 2116-15.562mars 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 902 image, note D. Mazeaud image ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; RTD civ. 2017. 671, obs. P. Jourdain image ; RCA 2017, comm. 162, H. Groutel). Il semble que l’arrêt rendu sur renvoi (Limoges, 15 févr. 2018) n’ait cependant pas satisfait toutes les parties, obligeant la Cour de cassation à avoir une nouvelle fois à connaître de cette affaire.

Rappelons-nous les faits qui témoignaient, s’il était besoin, des dangers de la route. Alors qu’il circulait, de jour, dans de bonnes conditions de visibilité, sur une route départementale qu’il connaissait bien pour l’emprunter quatre fois par jour pour se rendre et revenir de son travail, un motocycliste aperçut un tracteur du conseil général ; ce dernier était positionné en partie sur sa voie de circulation et en partie sur l’accotement droit, il circulait à allure très réduite et il procédait au fauchage du bas-côté de la route. Tentant de dépasser le tracteur, le motocycliste perdit le contrôle de son engin et chuta lourdement sur la chaussée. L’accident ayant entraîné sa paraplégie, la victime assigna le département et son assureur pour obtenir réparation de ses préjudices.

Les dispositions favorables de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 s’appliquent, selon son article 1er, « aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur » (nous soulignons). Si elle n’est pas légalement définie et si elle fit l’objet d’évolutions dans son interprétation jurisprudentielle (v. la fine étude de F. Leduc, L’évolution de l’implication, RCA 2019. Doss. 8), la notion « d’implication » se distingue à bien des égards de celle de « causalité » : la première est unanimement tenue comme plus large que la seconde (S. Carval, L’implication et la causalité, RCA 2015. Doss. 15 ; P. Jourdain, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, JCP 1994. 3794 ; R. Raffi, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, D. 1994. 158 image). Cependant, à l’instar de la causalité en matière de responsabilité générale du fait des choses (C. civ., art. 1242, al. 1er), l’implication fait l’objet d’un traitement différent selon que le véhicule est entré en contact avec le siège du dommage (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2019, coll. « Précis », p. 1247, 1178 et 1179) ; et l’arrêt du 18 avril 2019 en offre une nouvelle illustration.

La cour d’appel de renvoi avait déclaré le département intégralement responsable des préjudices subis par la victime, puis ordonné une expertise médicale aux fins d’évaluer ces préjudices et enfin condamné solidairement le département et son assureur à payer à la victime la somme de 50 000 € à titre de provision à valoir sur son indemnisation définitive. Le pourvoi formé par le département et son assureur était, en vérité, assez mal formulé et avait, dans ces conditions, bien peu de chances de prospérer. Il tentait de faire valoir que la cour d’appel avait violé l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 en déduisant l’implication du tracteur de sa seule présence sur la voie de circulation ; tout en reconnaissant – et c’est là ce qui le trahissait – que cette présence avait contraint la victime à une manœuvre de dépassement.

La Cour de cassation ne pouvait que rejeter ce pourvoi. En effet, les juges d’appel avaient déduit l’implication du tracteur non pas uniquement de sa présence sur le lieu de l’accident ; mais du fait que cette présence contraignait nécessairement le motocycliste à opérer un dépassement. C’est ce que confirme très nettement l’arrêt commenté : « ayant retenu par des constatations souveraines qu’il était établi que [le motocycliste] avait perdu le contrôle de sa motocyclette au moment où il se rabattait sur sa voie de circulation et que c’est la présence du tracteur qui, alors qu’il était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétant sur la voie de circulation, l’avait contraint à cette manœuvre de dépassement, la cour d’appel a exactement décidé que ce tracteur était impliqué dans l’accident ». Ce faisant, cette décision revient sur l’appréciation de l’implication d’un VTAM dans le cas particulier de l’accident survenu à l’occasion d’un dépassement.

C’est peu dire qu’il est délicat d’établir l’implication d’un VTAM en l’absence de contact avec la victime (ou son véhicule). Autant, s’il est acquis qu’en cas de contact, le véhicule – qu’il soit en mouvement, à l’arrêt ou en stationnement (Civ. 2e, 25 janv. 1995, n° 92-17.164, RTD civ. 1995. 382, obs. P. Jourdain image ; RCA 1995. Comm. 162 ; 12 juin 1996, n° 94-14.600, D. 1996. 175 image ; 6 nov. 1996, n° 93-20.318, Dalloz jurisprudence ; 29 avr. 1998, n° 96-18.421, Dalloz jurisprudence ; 30 avr. 2014, n° 13-16.291, Dalloz jurisprudence) – est forcément impliqué, chacun sait qu’il en va différemment en l’absence de contact : dans ce dernier cas, les juges retiennent que la victime doit démontrer que le véhicule « a joué un rôle quelconque dans l’accident » (Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-24.112, D. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; 29 mars 2018, nos 17-10.976 et 17-11.198, n° 17-10.976, D. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; 2 mars 2017, n° 16-15.562, préc. ; 19 mai 2016, n° 15-16.714, Dalloz jurisprudence ; 1er juin 2011, n° 10-17.927, Dalloz actualité, 6 juill. 2011, obs. G. Rabu ; D. 2011. 1618 image ; ibid. 2150, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et O.-L. Bouvier image ; AJCT 2011. 578, obs. É. Péchillon image) ou encore – mais la formule tend à se faire plus rare – qu’il « est intervenu à quelque titre que ce soit dans la réalisation de l’accident » (Civ. 2e, 24 avr. 2003, n° 01-13.017, D. 2003. 1267 image ; RTD civ. 2003. 515, obs. P. Jourdain image ; 14 nov. 2002, n° 00-20.594, Dalloz jurisprudence ; 11 juill. 2002, n° 01-01.666, Dalloz jurisprudence ; 21 juin 2001, n° 99-15.732, D. 2001. 2243 image ; RTD civ. 2001. 901, obs. P. Jourdain image ; 25 janv. 2001, n° 99-12.506, D. 2001. 678 image ; 18 mai 2000, n° 98-10.190, RTD civ. 2000. 853, obs. P. Jourdain image ; 24 févr. 2000, n° 98-12.731, D. 2000. 86 image ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain image ; 24 juin 1998, n° 96-20.284, Dalloz jurisprudence ; 18 mars 1998, n° 96-13.726, Dalloz jurisprudence ; 24 janv. 1996, n° 94-11.977, Dalloz jurisprudence). On avait pourtant pu être troublé lorsqu’en 2015, la Cour de cassation rendit deux décisions dissonantes : écartant l’implication en l’absence de « manœuvre perturbatrice » (Civ. 2e, 5 févr. 2015, n° 13-27.376, D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout image ; Gaz. Pal. 28 avr. 2015, n° 118, p. 11, M. Ehrenfeld) après avoir, quelques jours auparavant, formulé une solution radicalement opposée en refusant de subordonner l’implication à un « fait perturbateur de la circulation » (Civ. 2e, 15 janv. 2015, n° 13-27.448, D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout image ; RCA 2015. Comm. 118, H. Groutel). Malgré ces errements, il semble dorénavant acquis que « l’implication d’un véhicule n’est pas subordonnée à la condition qu’il ait joué un rôle perturbateur » (Civ. 2e, 29 mars 2018, nos 17-10.976 et 17-11.198, D. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; RCA 2018. Comm. 165, H. Groutel ; LEDA 2018, n° 6, p. 4, F. Gréau). La Cour de cassation considère désormais que toute autre solution revient à « ajout[er] une condition à la loi » (Civ. 2e, 2 mars 2017, préc. ; cassation de l’arrêt d’appel qui retenait que la victime devait démontrer que le véhicule avec lequel il n’y avait eu aucun contact avait eu un « comportement perturbateur »).

Le cas particulier du dépassement de véhicule n’en est pas moins délicat car on sait que « la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication » (Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-16.714, Dalloz jurisprudence ; 13 déc. 2012, n° 11-19.696, Dalloz actualité, 11 janv. 2013, obs. I. Gallmeister ; D. 2013. 12, obs. I. Gallmeister image ; RTD civ. 2013. 390, obs. P. Jourdain image ; 17 févr. 2011, n° 10-14.658, Dalloz jurisprudence ; 8 juill. 2004, n° 03-12.323, Dalloz jurisprudence ; 18 mars 1999, n° 97-14.306, Dalloz jurisprudence ; 25 mai 1994, n° 92-19.200, Dalloz jurisprudence). Pour retenir l’implication du véhicule au sens de la loi Badinter, il faut démontrer que celui-ci a joué un rôle quelconque – entendons même non fautif (Civ. 2e, 18 nov. 1987, n° 86-14.701, Dalloz jurisprudence ; retenant l’implication malgré l’absence d’irrégularité du stationnement) – dans la réalisation de l’accident. Ainsi que cela fut relevé, « en cas de dépassement, ce n’est pas seulement la présence du véhicule dépassé qui implique celui-ci, c’est le fait qu’il oblige un autre véhicule à une manœuvre de dépassement » (P. Jourdain, L’implication du véhicule dépassé, RTD civ. 2017. 671 image). Tel est précisément ce que souligne ici la Cour de cassation : ce ne fut pas la présence du tracteur sur les lieux de l’accident qui révélait son implication dans la survenance de l’accident mais son positionnement (empiétant sur la voie de circulation) et sa vitesse (circulant à faible allure), qui obligeaient les autres véhicules à entreprendre un dépassement.

En conclusion, la décision commentée rassure car elle s’inscrit dans une compréhension large de la notion d’implication qui semble – et c’est sans doute heureux – dorénavant prévaloir en jurisprudence. Tout porte finalement à raisonner de manière négative (et non positive) en se demandant, pour établir l’implication d’un véhicule, si, sans lui, l’accident aurait eu lieu : lorsque, comme ici, la réponse est négative, son implication pourra être retenue.

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