La nullité des actes de procédure est une question de procédure au carrefour d’intérêts divergents qu’il convient de concilier pour garantir la bonne marche du procès.

D’un côté, tout le monde peut convenir qu’une bonne justice ne peut se satisfaire d’un formalisme excessif et rigoriste qui aurait pour effet de nuire à la progression de l’instance. La forme doit servir le fond, non l’entraver. C’est ce qui explique que le code de procédure civile impose certaines conditions à la nullité pour vice de forme. Parmi celles-ci, deux sont essentielles : pas de nullité sans texte et sans grief (C. pr. civ., art. 114).

De l’autre, le formalisme est une impérieuse nécessité. D’abord parce qu’il concourt à l’efficacité de la procédure. Il leur indique précisément la marche à suivre pour faire « vite et bien » (N. Cayrol, Procédure civile, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 685, p. 334) : tel acte doit être rédigé de telle façon et être transmis dans tel délai pour son effet. Ensuite parce qu’il est un gage d’égalité et de liberté  en ce qu’il les soumet à la même discipline procédurale. Ce faisant, il les met à l’abri « des caprices et des manœuvres déloyales de l’adversaire ou de l’arbitraire du juge » (N. Cayrol, op. cit., n° 688, p. 336).

En l’occurrence, c’est l’attitude du demandeur qui posait difficulté.

La mère d’un enfant né en Suède avait quitté ce pays pour la France. Le père avait saisi les autorités suédoises à l’effet d’obtenir le retour de l’enfant en Suède en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

Par requête, la mère a demandé au juge aux affaires familiales de fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant commun. Le procureur de la République l’a assignée aux fins de voir ordonner le retour immédiat de l’enfant au domicile du père en Suède.

Infirmant une première décision, une cour d’appel a accueilli cette demande. Statuant sur la requête déposée par la mère devant le juge aux affaires familiales, elle avait estimé que le juge français était incompétent.

La mère avait formé un pourvoi en cassation dont le père contestait la recevabilité au motif que, dans sa déclaration de pourvoi, la mère de l’enfant avait déclaré être domiciliée en France à une adresse à laquelle l’huissier de justice ne l’a pas trouvée. Il arguait que cette irrégularité lui avait causé un grief en faisant obstacle à l’exécution de l’arrêt qui a ordonné le retour immédiat de l’enfant en Suède.

La Cour de cassation lui donne raison. Au visa de l’article 975 du code de procédure civile, elle commence par observer que l’absence ou l’inexactitude de la mention relative au domicile du demandeur en cassation exigée par le texte précité constitue une irrégularité de forme susceptible d’entraîner la nullité de la déclaration de pourvoi s’il est justifié que cette irrégularité cause un grief au défendeur. Or, il résultait d’un procès-verbal de recherches infructueuses que la mère avait déclaré être domiciliée à une adresse qui n’était pas la sienne, de sorte que le père justifiait bien du grief que lui causait cette irrégularité, laquelle avait nuit à l’exécution de la décision de retour. Il s’en suivait que la déclaration de pourvoi était nulle et que celui-ci n’était pas recevable.

Comme tout acte de procédure, la déclaration de pourvoi obéit à un formalisme strict. Aux termes de l’article 975 du code de procédure civile, elle doit contenir un certain nombre de mentions obligatoires permettant, notamment, l’identification des plaideurs ou de leurs représentants. Sur ce point, la doctrine a déjà pu mettre en exergue une forme de « libéralisme » de la Cour de cassation qui transparaît de la souplesse avec laquelle elle conçoit ces exigences. En particulier, en ce qui concerne l’indication de l’adresse du demandeur, la jurisprudence l’a déjà montré. Une erreur ou une lacune dans les mentions obligatoires reste parfois sans influence sur la validité de la déclaration et, donc, sur la recevabilité du pourvoi. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle admis la recevabilité du pourvoi formé au nom d’une société, alors que toute la procédure devant les juridictions de fond s’était déroulée au nom d’une personne physique qui exploitait cette firme, parce que cette erreur matérielle se trouvait réparée par les mémoires qui ne laissaient aucun doute sur l’identité du demandeur (Civ. 1re, 21 janv. 1981, Bull. civ. I, no 24 ; V. aussi, Civ. 2e, 6 mai 2004, no 02-17.797, Bull. civ. II, no 207 ; RTD civ. 2004. 766, obs. P. Théry image). Dans le même ordre d’idée, elle a admis qu’une erreur formelle du demandeur pouvait être corrigée hors du délai de pourvoi par une déclaration rectificative (Com. 12 févr. 1985, n° 83-14.282, Bull. civ. IV, no 53).

En ce qui concerne plus spécifiquement l’adresse du demandeur, l’article 975 exige que la déclaration de pourvoi indique précisément son domicile. Le libéralisme de la Cour de cassation s’est traduit par une volonté de sauver l’acte introductif dés lors que les circonstances du litige démontrait qu’aucun grief véritable ne résultait d’une inexactitude de cette mention. Ainsi, par exemple, il a été jugé qu’un pourvoi demeure valide lorsqu’il a été formé par le demandeur sous une adresse qui n’était plus la sienne mais que l’élection de domicile chez son avocat à la Cour de cassation empêchait de contester la recevabilité du recours (Civ. 1re, 17 mai 1982, n° 81-11.744, Bull. civ. I, no 182).

Le libéralisme a cependant des limites qui se trouvent au demeurant posées par l’exigence d’un grief. Si celle-ci nuance et relativise les exigences de forme, elle est aussi ce qui justifie que la sanction soit effectivement prononcée. La haute juridiction a déjà précisé que ce grief peut résulter d’une difficulté dans l’exécution d’une décision de justice. Elle considère que l’absence ou l’inexactitude de la mention du domicile fait grief au défendeur si elle nuit à l’exécution de la décision attaquée (Com. 15 juin 2011, no 09-14.953, Bull. civ. IV, no 97 ; D. 2011. 1771, obs. V. Avena-Robardet image ; Civ. 2e, 7 juin 2012, no 11-30.272). Certains auteurs n’ont pas manqué de souligner que cette solution s’inscrit dans le sillage d’un arrêt rendu en 2001 s’agissant de la déclaration d’appel (Dalloz actualité, 30 juin 2011, obs. V. Avena-Robardet) selon lequel l’absence ou l’inexactitude de la mention du domicile dans l’acte d’appel est aussi de nature à faire grief s’il est justifié qu’elle nuit à l’exécution du jugement déféré à la cour d’appel (Civ. 2e, 14 juin 2001, n° 99-16.582, Bull. civ. II, n° 117 ; D. 2001. 3075 image, note D. Cholet image ; ibid. 2714, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2001. 664, obs. R. Perrot image ; V. égal. Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-00.935, Bull. civ. II, n° 262 ; Soc. 30 juin 2004, n° 02-42.032, Dalloz jurisprudence). La position retenue marquait une évolution importante en ce que la Cour de cassation avait par cet arrêt « (bouleversé) les idées reçues en ne fermant plus les yeux sur ce genre de défectuosité » (R. Perrot, RTD civ. 2001. 664, obs. ss. Civ. 2e, 14 juin 2001, 3 arrêts, arrêt n° 1188, Perrin c/ Les Assurances du crédit Namur image). « À dire vrai, ce n’est pas un tremblement de terre » (R. Perrot, ibid.). La solution est parfaitement conforme au régime général de la nullité des actes de procédure et, en particulier, aux dispositions de l’article 114 du code de procédure civile. 

Il ne faudrait pourtant pas minimiser l’intérêt de l’arrêt rapporté qui se prononce de façon très claire sur une application de cette solution à la déclaration de pourvoi, ce que certains auteurs avaient appelé de leurs vœux (D. Cholet, note ss. Civ. 2e, 14 juin 2001, préc.) et que la Cour de cassation avait déjà retenue (Civ. 2e, 7 juin 2012, n° 11-30.212, Procédures 2012. Comm. 240). Il permet ainsi de rappeler que les mentions relatives au demandeur dans l’acte introductif ne vise pas simplement à en permettre l’identification. « L’éventualité d’une exécution est aussi en ligne de mire » (R. Perrot, RTD civ. 2001. 664, préc.). La Cour de cassation suggère ainsi aux juges du fond d’avoir une vision ouverte du grief qu’est susceptible de causer l’irrégularité, lequel grief relève de leur appréciation souveraine (V. par ex., Civ. 2e, 21 oct. 1982, n° 81-13.543, Bull. civ. II, no 129 ; D. 1983. IR 139, obs. Julien). Surtout, ce grief peut résulter d’une difficulté dans l’exécution de la décision. La solution est particulièrement bienvenue dans la mesure où, en plus de préserver le droit (fondamental) à l’exécution du créancier, elle combat les velléités frauduleuses ou déloyales des parties qui chercherait à dissimuler certaines informations pour paralyser, de fait, l’exécution de la décision rendue (en ce sens, v. D. Cholet, note ss. Civ. 2e, 14 juin 2001, préc. ; v. aussi, Rép. pr. civ., v° Pourvoi en cassation, par J. et L. Boré, 2019, n° 677). On retrouve ici la vertu protectrice du formalisme.

En l’occurrence, la justification du grief ne posait guère de difficulté compte tenu de la particularité des faits litigieux, l’enjeu de l’exécution étant le retour d’un enfant auprès de son père. Or, l’inexactitude des mentions relatives à l’adresse de la mère rendait impossible l’exécution de la décision ordonnant le retour de l’enfant. On notera cependant, comme le souligne très justement un auteur (v. D. Cholet, JCP 2019, n° 40, p. 970, obs. ss. Civ. 1re, 20 sept. 2019, n° 18-20.222, D. 2019. 1845 image), qu’en l’espèce, les difficultés d’exécution ne concernait pas la décision introduite par l’acte vicié – ici le pourvoi- mais une décision précédente ayant ordonné le retour de l’enfant . La difficulté ne semblait cependant pas dirimante dès lors que le grief est apprécié librement par les juges du fond et que rien n’impose qu’il soit lié à la décision rendue à l’issue de la procédure introduite par l’acte vicié. Le grief est une notion de fait, qui renvoie, non à une acte, mais à la situation du plaideur.