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Signature électronique des jugements des tribunaux de commerce : l’arrêté technique

Les tribunaux de commerce et leurs greffiers sont décidément à l’honneur.

C’est ainsi que le tribunal de commerce « digital » (selon un anglicisme à la mode) a été officiellement présenté le 10 avril au tribunal de commerce de Paris : ce tribunal dématérialisé sera accessible au moyen d’une identification électronique, « monidenum », directement liée au registre du commerce et des sociétés. Cette identité numérique permettra, dans un premier temps, aux justiciables de saisir le juge en ligne et de suivre l’avancement de leur dossier. Ce tribunal digital est adossé au système Securigreffe : le 9 février 2016 avait en effet été adopté un arrêté technique « 748-6 » portant application des dispositions du titre XXI du livre Ier du code de procédure civile aux greffiers des tribunaux de commerce, mettant juridiquement en œuvre un système de communication par voie électronique (CPVE) entre les greffes de tribunaux de commerce et l’ensemble des partenaires procéduraux justiciables de ces juridictions, qui vient s’ajouter au réseau privé virtuel des avocats du tribunal de commerce (RPVATC) (v. C. Bléry, Securigreffe : l’identité numérique judiciaire opposable est née, JCP 2016. 256 ; Communication par voie électronique 2.0 et identité numérique judiciaire…, publication du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce janv. 2018, p. 81).

Par ailleurs, les arrêtés portant création des offices de greffiers des tribunaux mixtes de commerce ultra-marins ont été publiés au Journal officiel du même jour (v. les arrêtés du 9 avr. 2019 portant création de plusieurs offices de greffier de tribunal de commerce : Basse-Terre et Pointe-à-Pitre [Guadeloupe], Fort-de-France [Martinique], Cayenne [Guyane], Saint-Denis [La Réunion] et Mamoudzou [Mayotte], Saint-Pierre [La Réunion] ; v. aussi les arrêtés fixant le montant de l’indemnité due à l’État par le titulaire des offices créés. Les candidatures sont adressées par téléprocédure sur le site internet du ministère de la justice, la date limite de dépôt de celles-ci étant fixée au 12 mai 2019).

Surtout, un arrêté du 9 avril et publié au Journal officiel du 11 attire particulièrement l’attention : les décisions des tribunaux de commerce vont en effet pouvoir être signées électroniquement (arr. 9 avr. 2019, art. 1). Après la Cour de cassation (arr. 18 oct. 2013, relatif à la signature électronique des décisions de justice rendues en matière civile par la Cour de cassation, le premier arrêt a été signé électroniquement le 20 déc. 2013), les juridictions consulaires sont les premières juridictions du fond à être juridiquement autorisées à la faire, ce qui conduit à s’intéresser au contexte dans lequel elle intervient (1) puis au texte de l’arrêté lui-même (2).

Le contexte

Rappelons (v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne, sous la dir. de S. Guinchard, 9e éd., Dalloz Action, 2016/2017, nos 161.08, 161.72 et 161.251 ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, n° 24 ; C. Bléry et J.-P. Teboul, « Numérique et échanges procéduraux », in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s., n° 6 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, n° 510), que le décret n° 2012-1515 a prévu l’établissement du jugement sur support électronique (décr. n° 2012-1515, 28 déc. 2012, portant diverses dispositions relatives à la procédure civile et à l’organisation judiciaire). L’article 456 du code de procédure civile, tel qu’issu du décret, dispose que le jugement peut être établi sur support électronique ; il est alors signé électroniquement. Grâce à cette disposition spéciale, tous les jugements (au sens large) peuvent être électroniques dès l’origine. Dès lors, d’une part, conserver la minute électroniquement est valable ; d’autre part, la notification de la décision, éventuellement par voie de signification, peut prendre place dans une chaîne « zéro papier ».

La mise en œuvre de cette disposition nécessite la publication d’un arrêté par le garde des Sceaux afin que soit défini un procédé de signature électronique sécurisé, au sens de l’article 1367 du code civil et du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017. Jusqu’à présent, un tel arrêté n’avait encore été adopté que pour la Cour de cassation, à savoir l’arrêté du 18 octobre 2013, relatif à la signature électronique des décisions de justice rendues en matière civile par la Cour de cassation : ce qui a fait de la Cour de cassation la première cour suprême d’Europe à se doter d’un tel dispositif. C’était une première étape dans le déploiement progressif de l’abandon du papier pour les jugements.

L’arrêté du 9 avril 2019 constitue une deuxième étape en venant permettre l’établissement des jugements des tribunaux de commerce sur support électronique et leur signature dématérialisée. Combien seront nécessaires avant une généralisation aux autres juridictions ?

Rappelons aussi qu’il résulte de l’article 748-5 du code de procédure civile que les parties peuvent solliciter la délivrance sur support papier de l’expédition de la décision juridictionnelle revêtue de la formule exécutoire (v. Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, nos 64 s.). Si rien ne semble empêcher aujourd’hui qu’un greffier délivre et notifie une copie dématérialisée d’un jugement papier, désormais la boucle sera bouclée, puisque « à original dématérialisé, expédition tout aussi dématérialisée »…

Rappelons encore que les actes de procédure, actes réceptices, peuvent être dématérialisés mais qu’ils sont revêtus d’une signature électronique spécifique, aujourd’hui prévue par l’article 748-6, alinéa 2, issu du décret n° 2018-1219 du 24 décembre 2018 (sur la genèse de ce texte, v. Dalloz actualité, 8 janv. 2019, obs. C. Bléry ). Cette disposition reconduit la règle d’équivalence auparavant posée par un décret non codifié – qui n’avait pourtant pas vocation à être pérennisée – « selon laquelle “l’identification vaut signature” des actes adressés par la voie électronique, applicable aux auxiliaires de justice ainsi que dans certaines procédures au ministère public, et l’élargit à toute procédure pour ce dernier » (v. notice du décret). Il dispose ainsi que « vaut signature, pour l’application des dispositions du présent code aux actes que le ministère public ou les auxiliaires de justice assistant ou représentant les parties notifient ou remettent à l’occasion des procédures suivies devant les juridictions des premier et second degrés, l’identification réalisée, lors de la transmission par voie électronique, selon les modalités prévues au premier alinéa ». Cette assimilation de l’identification à une signature électronique est justifiée par de simples raisons techniques…

À la différence des actes de procédure, donc, la signature visée par l’arrêté du 9 avril 2019 est une « vraie » signature électronique et la technique est au rendez-vous…

Le texte

L’arrêté commenté, qui s’inspire fortement de l’arrêté du 18 octobre 2013 relatif à la signature électronique des décisions de justice rendues en matière civile par la Cour de cassation, a pour objet la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce. À ce titre, il précise les modalités d’application de l’article 456 du code de procédure civile. Comme il a été dit précédemment, cette disposition autorise la dématérialisation des jugements : ils peuvent être établis sur support électronique et signés électroniquement. Conformément au principe d’équivalence fonctionnelle, le support électronique doit présenter les mêmes fonctions que le support papier (C. pr. civ., art. 456, intégrité et conservation des informations ; rappr. C. civ., art. 1366).

S’agissant plus particulièrement de la signature électronique, l’article 456 du code de procédure civile exige l’usage d’une signature électronique « sécurisée » répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique. Cette référence est datée. Elle correspond au vocabulaire employé sous l’empire de l’ancien régime de la signature électronique (décr. n° 2001-272, 30 mars 2001, pris pour l’application de l’article 1316-4 du code civil et relatif à la signature électronique, abrogé par le décr. n° 2017-1416, 28 sept. 2017, relatif à la signature électronique). Le règlement eIDAS (règl. n° 910/2014/UE sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur), qui a abrogé la directive de 2001 sur la signature électronique (dir. 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil, 13 déc. 1999, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques), distingue les signatures électroniques qualifiées et les signatures électroniques avancées. Les signatures électroniques qui n’entrent pas sous ces qualifications sont parfois dénommées « signatures électroniques simples ». Par ce règlement, entré en application le 1er juillet 2016, le législateur européen a renforcé l’harmonisation européenne en matière de services de confiance, et notamment de signature électronique, afin de favoriser leur utilisation transfrontalière. Une harmonisation maximale est intervenue s’agissant des signatures électroniques qualifiées, dont l’équivalence aux signatures manuscrites est consacrée (eIDAS, art. 25, § 2). Le droit interne a tenu compte de cette évolution. Si la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 a posé les conditions de l’admission des signatures électroniques par équivalence aux signatures manuscrites (C. civ., art. 1367, al. 2), celles qui sont conformes aux exigences du décret du 28 septembre 2017 sont présumées fiables (et sont soumises à un régime spécifique en cas de contestation, v. C. pr. civ., art. 289-1). Or ce décret désigne les signatures électroniques qualifiées au sens du règlement eIDAS comme les signatures électroniques présumées fiables au sens de l’article 1367 du code civil. L’arrêté commenté s’appuie sur cette évolution puisqu’il indique que les décisions des tribunaux de commerce doivent être signées au moyen d’une signature électronique qualifiée (arr. 9 avril 2019, art. 2). La Chancellerie aurait tout de même pu faire évoluer la rédaction de l’article 456 du code de procédure civile en même temps qu’elle y a remplacé la référence au décret du 30 mars 2001 par celui du 28 septembre 2017…

Quel est l’intérêt d’une signature électronique qualifiée ?

De manière générale, une signature électronique repose sur une fonction de hachage permettant de dégager une empreinte unique d’un document (la fonction la plus utilisée est la fonction sha256), sur des clés cryptographiques (la clé privée détenue par le signataire sert à signer, tandis que la clé publique sert à vérifier la signature), sur un certificat électronique qui contient notamment les données d’identification du signataire et sur un procédé de signature. Plusieurs formats de signature électronique existent (XAdES, CadES : décision d’exécution (UE) n° 2015/1506 de la Commission du 8 sept. 2015). Toutefois, l’arrêté prend parti puisque seul le format « PADES » peut être utilisé (art. 3).

La signature électronique qualifiée présente différentes caractéristiques visant à garantir un niveau de confiance élevé. Comme les signatures électroniques avancées, les signatures électroniques qualifiées doivent être liées au signataire de manière univoque, permettre de l’identifier (fonctions permises par le certificat électronique qualifié), avoir été créées à l’aide de données de création de signature que le signataire peut utiliser sous son contrôle exclusif avec un degré de confiance élevé (les clés de signature) et être liées aux données associées à cette signature (la décision du tribunal de commerce en ce qui nous concerne ; cette liaison est assurée par le procédé même de signature) de telle sorte que toute modification ultérieure soit détectable (eIDAS, art. 26). Le certificat de signature utilisé doit être qualifié (eIDAS, art. 28). Pour cela, il doit être délivré par un prestataire de service de confiance qualifié qui aura vérifié l’identité de la personne en face à face (ou par un procédé équivalent, v. eIDAS, art. 24, § 1). À cet égard, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce semble chargé de la délivrance des certificats électroniques, de leur gestion (suspension, révocation) et de leur renouvellement. Il est en effet prévu que la procédure d’inscription et d’enregistrement des données d’identification d’habilitation des juges consulaires et des greffiers des tribunaux de commerce intervient à son initiative et sous sa responsabilité (arr. 9 avr. 2019, art. 6). Il devra mettre en place une politique de délivrance et de gestion des certificats de signature. Enfin, la signature électronique doit être apposée au moyen d’un dispositif de création de signatures électroniques qualifié (eIDAS, art. 29).

En pratique, l’apposition des signatures pourra intervenir de manière unitaire ou groupée au moyen d’un parapheur électronique. L’arrêté prend soin de le définir comme « un outil mis à disposition de chaque signataire et disposant de fonctions autorisant, au moins, le regroupement de documents à signer, la signature d’un même document par plusieurs signataires, sans en altérer l’intégrité » (art. 4, al. 2 : outil de confiance défini sensiblement de la même manière par d’autres textes, v. arr. 22 mars 2019, relatif à la signature électronique des contrats de la commande publique, art. 7 ; C. pr. pén., art. A. 53-2 ; arr. 18 oct. 2013, relatif à la signature électronique des décisions de justice rendues en matière civile par la Cour de cassation, art. 3). En toute hypothèse, la vérification des signatures doit pouvoir être opérée indépendamment les unes des autres (art. 4, al. 3). Elle le sera au moyen d’un logiciel lecteur de documents « pdf » par les destinataires des décisions.

La sécurité du système d’information doit faire l’objet d’une homologation par une autorité d’homologation (arr., art. 5) au titre de l’article 5 du décret n° 2010-112 du 2 février 2010 (ce décret évoque une « attestation formelle »). Cette homologation suppose que l’autorité administrative ait identifié les risques pesant sur la sécurité du système et des informations, fixe les objectifs de sécurité notamment de disponibilité et d’intégrité du système et en ait déduit les fonctions de sécurité nécessaires et leur niveau conformément au référentiel général de sécurité (RGS) (ord. n° 2005-1516, 8 déc. 2005, relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, art. 9 ; arr. 13 juin 2014 portant approbation du référentiel général de sécurité et précisant les modalités de mise en œuvre de la procédure de validation des certificats électroniques ; le référentiel général de sécurité est disponible sur le site de l’ANSSI). À cet égard, l’homologation doit porter sur l’ensemble du système d’information puisqu’elle doit couvrir le processus lié à la mise en œuvre de la signature électronique et des éléments permettant la création, la vérification, la conservation des actes signés par ce procédé (arr., art. 5).

L’ensemble de ces dispositions appellent plusieurs remarques. La première tient à l’insuffisance de l’arrêté commenté. Ainsi, les clés de signature ont une durée de pérennité technologique limitée dans le temps, il aurait été utile de prévoir que celle-ci devront être mises à niveau au cours du temps. C’est par exemple prévu s’agissant des actes authentiques (décr. n° 71-941, 26 nov. 1971, relatif aux actes établis par les notaires, art. 28, al. 5). Pour cela, il aurait été possible de s’appuyer sur le service de conservation de signature électronique qualifiée créé par le règlement eIDAS et dont c’est précisément l’objet (eIDAS, art. 34). S’agissant de la conservation des décisions, question qui n’est pas envisagée dans l’arrêté commenté mais qui est évoquée par l’article 456 du code de procédure civile, il aurait été utile d’en prévoir le régime. Naturellement, au-delà de l’arrêté, la mise en œuvre d’un service de confiance comme un procédé de signature électronique doit respecter le régime applicable à la protection des données à caractère personnel. En cas d’atteinte de sécurité du système d’information, des notifications devront intervenir à la fois au titre du droit des données à caractère personnel (règl. 2016/679, 27 avr. 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, art. 33) et du règlement eIDAS (eIDAS, art. 19)

Au-delà de ces considérations techniques, la dématérialisation des décisions rendues par les tribunaux de commerce doit être saluée. Elle constitue probablement l’étape finale de la dématérialisation des tribunaux de commerce. En pratique, elle permettra de gagner en efficacité, de réduire les coûts, de fluidifier le fonctionnement des tribunaux de commerce et de leurs greffes. Il s’agit plus généralement de l’une des clés de la transformation numérique des juridictions et de la mise en place du « tribunal de commerce “digital” ». Elle constitue aussi l’un des facteurs facilitant la mise en place effective de l’open data des décisions de justice dont le régime a été revu par la récente loi de programmation de la justice et elle facilitera la communication des décisions par le greffe.

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