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Urbanisme et vie privée : condamnation de la France par la CEDH

Des agents habilités d’une commune peuvent-ils procéder à la visite des lieux accueillant des constructions pour lesquelles un permis de construire a été délivré sans le consentement du propriétaire ou tout au moins de l’occupant des lieux ? Telle est la question à l’origine de la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire Halabi contre France.

En l’espèce, une société civile immobilière (SCI) propriétaire d’un ensemble immobilier sollicite un permis de construire délivré par la commune de Grasse en 2006 et fait, la même année, une déclaration de travaux à laquelle la commune ne s’oppose pas. Le 19 mars 2009, deux agents habilités du service de l’urbanisme de la ville procèdent à la visite de l’ensemble immobilier afin de vérifier la conformité des travaux aux autorisations accordées sur le fondement de l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme. Ils dressent un procès-verbal constatant que les constructions ne respectaient pas ni le permis de construire ni la déclaration de travaux. Plusieurs photos sont annexées au procès-verbal. L’occupant des lieux, M. Halabi, n’a pas donné son accord préalable au déroulement de ces opérations et les agents communaux sont entrés dans les lieux par un portail ouvert et sans opposition du personnel de l’entreprise de travaux présent sur place. En décembre 2010, un autre procès-verbal est dressé par un agent assermenté de la direction départementale des territoires lors d’une nouvelle visite. Par l’intermédiaire de son avocat, l’occupant des lieux a autorisé cette visite mais en limitant son autorisation aux seules parties de la propriété concernées par le précédent procès-verbal. Pour les autres constructions, le procès-verbal constate un obstacle au droit de visite et fait état du non-respect des autorisations délivrées. Des photos furent également annexées à ce procès-verbal.

L’occupant a été mis en examen notamment du chef de construction sans permis de construire en janvier 2013. Lors de l’instruction, il se déclara prêt à régulariser la situation. En juillet 2013, l’occupant dépose une requête en annulation devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour faire annuler le procès-verbal du 9 mars 2009 et l’entière procédure en se fondant sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La chambre de l’instruction rejette la requête en considérant que les agents n’étaient pas censés pénétrer dans des logements au regard du permis de construire et de la déclaration de travaux (concernant un local technique, une serre et un escalier) et qu’ils avaient agi sur le fondement de l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme sans porter atteinte au respect de la vie privée et familiale du requérant. Le requérant forme alors un pourvoi en cassation et présente une question prioritaire de constitutionnalité afin de contester la conformité de l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme à la Constitution. Dans un arrêt du 18 mars 2014, la Cour de cassation considère qu’il n’y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel en considérant que le texte litigieux n’autorisait aucune mesure coercitive de nature à porter atteinte au principe d’inviolabilité du domicile et que des sanctions pénales n’étaient encourues que si l’occupant faisait obstacle au contrôle, sanctions nécessairement prononcées par un juge judiciaire également compétent pour juger de la légalité de la visite. Le 1er avril 2014, le pourvoi du requérant est rejeté. Il saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, en janvier 2017, le requérant est condamné par le tribunal correctionnel de Grasse pour délit d’entrave au droit de visite en raison de l’obstacle dont il s’est rendu coupable lors de la seconde visite de décembre 2010. Finalement, après une demande de régularisation, la commune de Grasse délivra à la SCI propriétaire des lieux un permis de construire de régularisation pour les travaux réalisés.

L’article L. 461-1 du code de l’urbanisme dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits dispose que « le préfet et l’autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ou ses délégués, ainsi que les fonctionnaires et les agents commissionnés à cet effet par le ministre chargé de l’urbanisme et assermentés, peuvent visiter les constructions en cours, procéder aux vérifications qu’ils jugent utiles et se faire communiquer tous documents techniques se rapportant à la réalisation des bâtiments, en particulier ceux relatifs à l’accessibilité aux personnes handicapées quel que soit le type de handicap. Ce droit de visite et de communication peut aussi être exercé après l’achèvement des travaux pendant trois ans » (la loi ELAN du 23 novembre 2018 a modifié le texte et porté le délai à six ans). Même si le texte ne le précise pas expressément, plusieurs réponses ministérielles (réponses aux questions écrites n° 8680, Ass. nat. JO 30 janv. 1989, p. 442 ; n° 19439, Sénat, JO 2 févr. 2006, p. 309 ; n° 74381, Ass. nat. JO 31 janv. 2006, p. 1094) recommandent aux agents de solliciter l’accord préalable de l’occupant afin de pénétrer à l’intérieur de la propriété. À défaut d’accord, les agents doivent dresser un procès-verbal de refus et le transmettre au ministère public.

La Cour européenne des droits de l’homme est donc amenée à apprécier la conformité de ce droit de visite aux droits fondamentaux protégés par la Convention européenne. Quant à la recevabilité, la CEDH rappelle que la notion de domicile doit être entendue au sens large au regard de l’article 8 de la Convention. En l’espèce, même si les constructions litigieuses ne constituent pas, au sens strict, le domicile du requérant, il s’agit pour lui d’une résidence secondaire avec laquelle il entretient des liens émotionnels forts, ce qui rend sa requête sur le fondement de l’article 8 recevable.

Quant au fond, le requérant soutient que le recours à des visites inopinées sans autorisation préalable ne peut être considéré comme une mesure nécessaire dans une société démocratique. Il conclut que, si la recherche d’infraction en matière d’urbanisme constitue une ingérence légale et poursuivant un but légitime, l’absence d’encadrement juridique des visites prévues par l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme traduit « une nette disproportion entre les moyens mis en œuvre » pour constater l’infraction et le nécessaire respect des droits fondamentaux de l’individu. À l’inverse, le gouvernement français considère qu’il n’y a aucune ingérence dans la mesure où le requérant n’a pas été troublé dans sa jouissance des lieux litigieux puisque les agents étaient rentrés par leurs propres moyens et avaient, pour l’essentiel, pris des photos depuis l’extérieur. De plus, aucune mesure coercitive n’accompagne le droit de visite et un contrôle judiciaire a posteriori est possible, ce qui peut légitimer une visite domiciliaire sans accord préalable.

La Cour européenne procède ensuite à un contrôle de proportionnalité. Elle relève tout d’abord une ingérence dans le domicile en estimant que « l’entrée d’agents publics au sein du domicile du requérant, sans son autorisation, ainsi que la prise de photos à l’intérieur de cet espace utilisé par le requérant pour des activités relevant de sa vie privée constituent une ingérence » qui est contraire à l’article 8 de la Convention européenne, sauf si elle est prévue par la loi ou qu’elle poursuit un but légitime et nécessaire pour atteindre cet objectif.

Quant à la base légale de l’ingérence, la CEDH considère que la disposition légale (C. urb., art. L. 461-1) est accessible et prévisible dans le sens où tout individu sollicitant un permis de construire est en mesure de prévoir que les constructions réalisées peuvent faire l’objet d’un contrôle. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme semble émettre un doute quant à la compatibilité des termes très généraux du texte litigieux et le principe de prééminence du droit, mais elle ne juge pas nécessaire de trancher la question, puisque le requérant ne remet pas en cause la base légale de l’ingérence. Quant au but de cette ingérence, la Cour considère qu’elle poursuit un but légitime de prévention des infractions pénales, de protection de la santé et des droits et libertés.

Enfin, quant à la nécessité d’une telle ingérence dans une société démocratique, la Cour européenne rappelle que le caractère de nécessité suppose que l’ingérence corresponde à un besoin social impérieux et surtout proportionné au but poursuivi. Elle constate que la visite litigieuse était justifiée puisqu’un certain nombre d’infractions ont pu être constatées, ce qui a conduit à la condamnation du requérant pour l’exécution de travaux non autorisés. Elle relève également que la sanction est d’une ampleur limitée puisque, finalement, un permis de construire de régularisation a été délivré. Mais une difficulté demeure quant aux visites domiciliaires. La CEDH se montre particulièrement vigilante et exigeante quant à la protection des individus contre les atteintes arbitraires d’un État quand celui-ci autorise des visites et perquisitions sans mandat judiciaire. En l’espèce, elle rappelle que les visites visées par l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme concernent tant les constructions en cours que celles déjà achevées pendant un délai de trois ans (porté à six ans depuis la loi du 23 novembre 2018). Elle admet cependant que ces visites constituent une ingérence moins grande que celle résultant de l’intervention d’autres agents de l’administration habilités à fouiller et à procéder à des saisies et que les critères stricts établis dans ce contexte particulier ne sont pas applicables. Pour autant, les visites fondées sur l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme peuvent être réalisées à tout moment sans l’accord préalable de l’occupant ni aucune autorisation judiciaire. La CEDH constate que les réponses ministérielles recommandant de rechercher l’accord préalable de l’occupant ne sont pas respectées et que la possibilité de s’opposer à la visite est « purement théorique dans la mesure où un tel refus est en lui-même constitutif d’une infraction pénale prévue par l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme ». Enfin, la Cour européenne estime, comme le requérant, qu’en matière immobilière, le risque de dépérissement des preuves d’infraction est quasiment nul et ne peut donc pas fonder l’ingérence dans un domicile sans l’accord de son occupant ou à défaut d’une autorisation judiciaire. S’il est admis que certaines visites domiciliaires puissent être faites sans autorisation préalable, ce n’est qu’à la condition qu’un contrôle judiciaire efficace soit possible et, en l’espèce, une telle condition n’est pas remplie puisque la chambre de l’instruction a refusé d’annuler le procès-verbal sur le fondement de l’inviolabilité du domicile.

La Cour européenne des droits de l’homme conclut que la visite effectuée le 9 mars 2009 sans l’accord de l’occupant et sans autorisation judiciaire « et a fortiori en l’absence d’une voie de recours effective » n’est pas proportionnée au but légitime recherché et décide, à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 8 de la Convention européenne.

Si cet arrêt devient définitif (pour rappel, aux termes de l’article 44,   2, de la Convention, la France dispose d’un délai de trois mois pour demander le renvoi devant la grand-chambre de la CEDH), le gouvernement français aura, sans doute, intérêt à modifier les termes de l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme, en particulier pour encadrer plus strictement le droit de visite des agents habilités. Il faudrait inscrire dans le texte la nécessité de l’accord du propriétaire ou de l’occupant pour que les agents puissent pénétrer à l’intérieur du domicile. Il faut remarquer cependant que la dernière modification de ce texte par la loi ELAN du 23 novembre 2018 ne semble pas aller dans le sens d’une meilleure protection des libertés individuelles puisque le délai de visite après l’achèvement des travaux a été porté à six ans. Exiger l’accord express du propriétaire ou de l’occupant ou, à défaut, une autorisation judiciaire préalable permettrait de mettre le droit positif en conformité avec les textes européens. L’atteinte portée au respect dû au domicile serait alors proportionnée au but légitime de prévenir les infractions pénales. En tout état de cause, au regard de ce constat ferme de violation de l’article 8, le juge français pourra, dès à présent, écarter l’application de l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme dans le cadre du contrôle de conventionnalité. Gageons que, dans l’attente d’une modification des termes de la loi, les personnes poursuivies sur le fondement de procès-verbaux établis sans leur consentement préalable invoqueront la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

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