L’onde de choc sur toutes les places d’arbitrage européennes devrait rapidement se faire sentir (CJUE 2 sept. 2021, aff. C-741/19, Komstroy). Quel est le problème ? Tout simplement que la Cour de justice préempte le droit d’interpréter un traité multilatéral prévoyant le recours à l’arbitrage dans un litige opposant des tiers à l’Union européenne. Le litige opposant un investisseur ukrainien à la Moldavie a été instrumentalisé sur l’autel de la vendetta menée par la Cour contre l’arbitrage d’investissements. Or, il existe pour les parties un moyen très simple d’éviter de tomber sous l’emprise de la Cour de justice : fixer le siège de l’arbitrage en dehors de l’Union européenne. À ce titre, il ne faudra donc pas s’étonner de voir les places de Londres et Genève pointer du doigt cette solution pour mettre en avant leur propre attractivité. Doit-on pour autant se résoudre à voir l’arbitrage d’investissements échapper à la place de Paris ? Il nous semble que non, mais ce sera au prix d’une évolution du contrôle sur la sentence arbitrale.

Au-delà de cette décision marquante, le lecteur sera attentif aux arrêts Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) et Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413), portant tous les deux sur la question de l’obligation de révélation (mais pas seulement). Cette question, régulièrement à l’honneur dans cette chronique, devient d’une grande technicité et on peut difficilement considérer la jurisprudence comme étant fixée. On signalera enfin l’arrêt d’appel dans l’affaire Saad Buzwair (Paris, 22 juin 2021, n° 21/07623), qui infirme le jugement rendu quelques semaines plus tôt sur la compétence internationale pour connaître d’une action en responsabilité contre l’arbitre.

I - CJUE c/ Arbitrage

L’affaire Komstroy est l’histoire de la place de Paris qui se tire une balle de pied. Depuis plusieurs années, Paris est choisi comme siège de l’arbitrage pour la résolution de litiges d’investissements, à défaut de compétence des tribunaux CIRDI. Ce choix est justifié par un droit français favorable à l’arbitrage et un contrôle de qualité sur les sentences arbitrales. Pourtant, en 2019, à la même époque, la cour d’appel (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 22, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2020. 816, note C. Fouchard ; JDI 2020. 983, note M. Audit) avait « jeté un pavé dans la marre » en saisissant la Cour de justice d’une question préjudicielle, alors que rien ne l’y obligeait (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : arbitrage et question préjudicielle – la cour d’appel de Paris jette un pavé dans la mare, Dalloz actualité, 29 oct. 2019).

Autrement dit, la cour d’appel de Paris entendait déléguer le travail de contrôle des sentences arbitrales qui lui avait été confié par les parties à la Cour de justice. Or il ne fallait pas être devin pour savoir que la Cour allait sauter sur l’occasion pour appliquer son idéologie hostile à l’arbitre. C’est désormais chose faite. S’il a mis deux ans à achever sa chute, l’impact du pavé (qui était en fait un bâton de dynamite) a vidé la marre : la Cour de justice n’a pas hésité à se saisir de l’occasion pour anéantir, dans les relations entre un investisseur européen et un État membre, l’article 26 du Traité sur la charte de l’énergie (TCE) qui prévoit la faculté de recourir à l’arbitrage. Finalement, le cœur de la question posée, à savoir l’interprétation de la notion d’« investissement », était presque secondaire. La Cour, dans son immense mansuétude, accepte d’en livrer son interprétation – évidemment restrictive – en égratignant au passage tous ceux ayant eu une interprétation divergente de la sienne.

Notre analyse de cette décision restera superficielle. Il faudra du temps pour l’examiner sous toutes ses coutures, percevoir ses tenants et ses aboutissants, bref, pour passer de la sidération à la réflexion. C’est donc à chaud, et avec le recul que cela nécessite, que nous en livrons une première analyse. Le point le plus important de la décision concerne la compétence de la Cour (A). En effet, cela n’avait rien d’évident que la Cour accepte d’examiner une question préjudicielle portant sur un litige extra-européen. Une fois cet obstacle franchi, on pourra revenir sur les deux apports de l’arrêt sur le fond de la question préjudicielle (B) : d’une part, l’applicabilité de l’article 26 du Traité sur la charge de l’énergie (TCE) dans les litiges intra-européens et, d’autre part, sur l’interprétation de la notion d’investissement. Enfin, on envisagera une première piste (un antidote ?) pour permettre à la jurisprudence française de neutraliser le poison que vient d’injecter la Cour de justice à la réputation de « Paris, Place d’arbitrage » (C).

A - La compétence de la Cour

La Cour de justice peut-elle examiner une question préjudicielle alors que le litige à l’occasion duquel elle est soumise oppose un État tiers à un investisseur ressortissant d’un autre État tiers ? La solution fera sans doute l’objet de commentaires érudits de la part des spécialistes du droit européen, bien plus à même de se prononcer sur la pertinence de la motivation de la Cour de justice. En tout cas, la réponse n’est pas évidente, et la négative est soutenue par le Conseil de l’Union européenne, les gouvernements hongrois, finlandais et suédois. Sans surprise néanmoins, la Cour se reconnaît compétente (§§ 21 s. de la décision).

Pour éviter de paraphraser l’arrêt, on retiendra que la Cour de justice envisage deux obstacles à sa compétence. Premièrement, elle reconnaît qu’elle n’est en principe pas compétente pour interpréter un accord international pour ce qui concerne son application dans le cadre d’un différend ne relevant pas du droit de l’Union (§ 28). L’argument ne manque pas de pertinence, puisque c’est précisément le cas en l’espèce. Deuxièmement, elle admet avoir déjà jugé qu’elle n’est pas compétente pour interpréter l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) lorsqu’il doit être appliqué à des situations ne relevant pas de l’ordre juridique de l’Union, du fait que les litiges portent sur une période antérieure à l’adhésion des États à l’Union (§ 37). Là encore, l’objection est de taille puisque les parties au litige appartiennent à des États dont l’adhésion n’est pas à l’ordre du jour.

Pour autant, la Cour ne s’en laisse pas compter. La messe est dite dès le début de l’arrêt (§ 23), où la Cour énonce que dès lors que l’Union européenne (UE) est partie au TCE, cet accord fait « partie intégrante […] de l’ordre juridique de l’Union et que, dans le cadre de cet ordre juridique, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation de cet accord ». Tout repose sur cet axiome de base, dont on discutera les limites : puisque l’Union est partie au traité, il intègre l’ordre juridique européen et la Cour est compétente pour l’interpréter. Pour tenter de renforcer sa motivation, la Cour ajoute que l’Union dispose d’une compétence exclusive en matière d’investissements, ce qui justifie sa compétence pour répondre à une question d’interprétation sur cette notion (§§ 25 s.). Enfin, elle souligne que les parties ayant choisi de fixer le siège à Paris, cela a pour conséquence de rendre le droit français applicable en tant que lex fori et, par conséquent, le droit de l’Union qui fait partie du droit français (§ 33).

Le raisonnement présente, à nos yeux, deux limites très sérieuses. L’une tient à la théorie du droit (1), l’autre au droit de l’arbitrage (2).

1 - Les limites du raisonnement en théorie du droit

En théorie du droit, il nous semble que le problème réside dans l’assimilation un peu rapide, pour ne pas dire abusive, du TCE à une « partie intégrante de l’ordre juridique européen ». Pour la Cour, la conclusion du traité par l’Union entraîne un effet d’attraction du TCE dans l’ordre juridique européen. Ce faisant, elle nie une partie de la complexité des questions autour de la pluralité des ordres juridiques. La Cour refuse d’envisager l’existence d’un ordre juridique international dans lequel ce type de traité s’inscrit. C’est finalement une vision binaire, presque trumpienne, du droit qui est proposée : soit les institutions européennes ont contribué à l’élaboration de la règle et elle fait partie de l’ordre juridique européen, soit ce n’est pas le cas et elle est extérieure à cet ordre juridique.

Le problème de ce raisonnement est qu’il ignore que plusieurs ordres juridiques peuvent collaborer à l’élaboration d’une règle qui appartiendra à un ordre juridique tiers. C’est typiquement le cas en droit international public, où les États, qui sont tous des ordres juridiques, contribuent à l’adoption de règles qui seront applicables dans l’ordre juridique international. C’est encore le cas lorsque les États européens ont décidé de s’unir pour la création d’un nouvel ordre juridique, l’Union européenne. En somme, chaque ordre juridique est capable de créer ses propres règles ou de contribuer à l’élaboration de règles avec d’autres. De même, au sein d’un ordre juridique sont applicables les règles de cet ordre, mais aussi des règles d’ordres juridiques tiers. C’est le cas lorsque, à l’occasion d’un litige international, le droit international privé français conduit à l’application du droit étranger. Personne n’ira dire, à cette occasion, que la règle étrangère fait partie intégrante de l’ordre juridique français. C’est donc, il nous semble, l’erreur de la Cour : croire que la conclusion du TCE par l’Union européenne intègre ce traité au sein de l’ordre juridique de l’Union. Celui-ci reste bien dans son propre ordre juridique qui est, en l’occurrence, l’ordre juridique international.

Cela dit, il est vrai qu’il n’est pas rare que les juridictions d’un ordre juridique soient conduites à interpréter des règles émanant d’un autre ordre juridique. Le juge français le fait quotidiennement avec le droit européen et ponctuellement avec des règles de droit étranger. Il n’y a rien de choquant à cela. Quelle est alors la difficulté à ce que la Cour de justice en face de même avec le TCE ? Le problème, en réalité, n’est pas tant que la Cour de justice interprète le TCE ; il est que la Cour de justice se pose en interprète officiel du TCE. Lorsque le juge français interprète le droit américain, il n’aspire pas à supplanter la Cour suprême des États-Unis. Il en donne simplement une interprétation pour un litige en particulier. Pourtant, et c’est là que le problème réside, le TCE donne déjà compétence à un juge pour réaliser son interprétation. Il s’agit, selon l’article 26, et en fonction de ce qui a été prévu par les parties, d’une juridiction arbitrale. Ainsi, et quand bien même le traité ne crée pas une juridiction unique pour son interprétation, la Cour de justice préempte l’interprétation du traité confiée aux arbitres.

Pour se rendre compte du problème causé par une telle analyse, on peut faire un parallèle avec la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). On le sait, et on le comprend mieux, la Cour de justice a fait obstacle à l’adhésion de l’Union à la CEDH (CJUE 18 déc. 2014, avis 2/13, AJDA 2015. 329, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2015. 75, obs. O. Tambou image ; RTD civ. 2015. 335, obs. L. Usunier image ; RTD eur. 2014. 823, édito. J. P. Jacqué image ; Cah. dr. eur. 2015, n° 1, p. 19, obs. J.-P. Jacqué ; ibid. p. 47, obs. I. Pernice ; ibid. p. 73, obs. E. Dubout ; Europe 2015, n° 2, p 4, obs. D. Simon ; JDI 2015. 708, note D. Dero-Bugny).

Admettons, pour le besoin du raisonnement, que l’Union ait ratifié la Conv. EDH. En transposant le raisonnement suivi dans Komstroy, l’adhésion de l’Union à la Conv. EDH conduirait à l’intégration de cette dernière au sein de l’ordre juridique européen. Par conséquent, la Cour de justice se sentirait légitime pour réaliser une interprétation officielle de la Conv. EDH et l’imposer à l’ensemble des États membres et même, puisque c’est le cas dans la présente affaire, à des États tiers dans des litiges n’ayant aucun lien avec l’Union. En définitive, la CEDH ne serait plus, aux yeux de la CJUE, l’interprète officiel de la Conv. EDH. Le parallèle entre les deux est d’ailleurs frappant, puisque l’aversion à l’arbitrage est fondée sur des raisons identiques à celles qui ont justifié un avis défavorable concernant la Conv. EDH. Il y a toutefois, entre le cas de la Conv. EDH et celui du TCE, une différence majeure : dans le premier cas, le projet d’adhésion a pu être abandonné, alors que, dans le second, l’adhésion est déjà réalisée. A posteriori, c’est donc une violation pure et simple des engagements internationaux à laquelle on assiste. Aux yeux de la Cour de justice, la hiérarchie des normes n’inclut pas une supériorité des engagements internationaux sur le droit européen primaire.

2 - Les limites du raisonnement en droit de l’arbitrage

En droit de l’arbitrage, le raisonnement n’est pas non plus convaincant. La Cour retient qu’« un tel choix [de fixer le siège de l’arbitrage à Paris], librement effectué par ces parties, a pour conséquence de rendre applicable au litige au principal le droit français en tant que lex fori dans les conditions et limites prévues par ce droit ». La formule n’est pas totalement fausse, mais elle est trompeuse par sa généralité. En effet, en arbitrage il faut distinguer quatre lois différentes : la loi applicable au contrat, la loi applicable à la procédure arbitrale, la loi applicable à la convention d’arbitrage et la lex arbitri. La décision de la Cour de justice conduit à nier la distinction entre loi applicable à la convention d’arbitrage et lex arbitri.

Il faut dire que, dans la configuration de l’affaire, la distinction n’est pas aisée à réaliser. Le choix d’un siège de l’arbitrage par les parties permet de déterminer la lex arbitri. Ainsi, en fixant le siège à Paris, les parties choisissent la loi française comme lex arbitri. Sa portée est différente selon la conception que l’on se fait de l’arbitrage, les législations modernes tendant à la réduire sensiblement. Il n’en demeure pas moins, et cette solution est universelle, que c’est la lex arbitri qui permet de déterminer les voies de recours contre la sentence arbitrale. Ainsi, comme c’est le cas en l’espèce, la désignation de Paris ouvre la voie à un recours en annulation en France. Or si le recours en annulation est soumis à des règles propres à l’arbitrage, il n’en demeure pas moins que d’un point de vue procédural, il est soumis au droit commun. C’est ainsi, et même si cela est prévu par le texte, que le recours est soumis à la procédure ordinaire applicable devant la cour d’appel (C. pr. civ., art. 1527, al. 1er). De même, et cette fois les textes ne le prévoient pas, l’arrêt d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation au titre du droit commun. La jurisprudence récente nous offre d’ailleurs un exemple supplémentaire de cette imbrication des voies de recours arbitrales dans le droit commun, avec la reconnaissance de la tierce opposition contre la décision se prononçant sur le recours contre la sentence (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Central Bank of Libya, D. 2021. 1034 image ; Rev. arb. 2021. 474, note S. Akhouad-Barriga ; Procédures 2021. Comm. 225, obs. L. Weiller). De même, il n’aura échappé à personne que l’arbitrage ne fait pas obstacle à l’élévation du litige devant le Tribunal des conflits. En somme, le recours contre la sentence ne figure pas dans un cadre procédural imperméable au droit commun. À ce titre, il n’y a pas d’objection fondamentale à ce qu’une question préjudicielle soit formulée. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté (Civ. 1re, 18 nov. 2015, n° 14-26.482, Dalloz actualité, 2 déc. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 2450 image ; ibid. 2588, obs. T. Clay image).

Néanmoins, ce mécanisme procédural peut-il conduire, en matière d’arbitrage, à soumettre à la Cour n’importe quelle question ? C’est là, il nous semble, que doivent résider les limites, lesquelles ont été franchies dans la présente affaire. La Cour de justice n’est d’ailleurs pas ignorante de ces limites, et les rappelle à très juste titre à deux reprises (§§ 33 et 57). D’une part, elle souligne que le droit du siège s’applique « dans les conditions et limites prévues par ce droit ». D’autre part, toujours dans la même idée, la Cour précise qu’« un tel contrôle juridictionnel ne peut être exercé par la juridiction de renvoi que dans la mesure où le droit interne de l’État membre de cette dernière le permet. Or, l’article 1520 du code de procédure civile ne prévoit qu’un contrôle limité portant, notamment, sur la compétence du tribunal arbitral ». Ainsi, pour en donner une illustration, la question préjudicielle ne peut pas porter sur une question de fond, sauf à porter atteinte au principe de non-révision au fond des sentences arbitrales. Il en va seulement différemment si la violation d’une telle règle entraîne une atteinte à l’ordre public international. Dans ce cas, la question préjudicielle est possible, l’article 1520, 5°, du code de procédure civile permettant au juge de l’annulation de réaliser ce contrôle. Naturellement, la Cour de justice peut être tentée – et elle le fait d’ailleurs déjà – de modeler à sa guise la notion d’ordre public international et en promouvoir une appréciation élargie lorsque sont en cause des règles européennes. Il n’en demeure pas moins que toute question préjudicielle ne peut porter que sur la qualification d’ordre public international d’une règle européenne ou, le cas échéant, sur son interprétation lorsqu’une telle qualification est acquise. À défaut, la question ne doit pas pouvoir être posée, sauf à violer le droit français de l’arbitrage international.

C’est à ce stade qu’il convient de rappeler les règles applicables à la convention d’arbitrage. Tous les lecteurs de cette chronique savent qu’elle est indépendante matériellement de son instrumentum et juridiquement de toute loi étatique (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer image ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin image ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard). Il en résulte, d’une part, que la convention d’arbitrage n’est pas affectée par le sort du contrat principal et, d’autre part, que ni les lois étrangères ni le droit français ne lui sont applicables (on épargnera au lecteur le débat sur la source de cette règle matérielle). Ainsi, selon le droit français de l’arbitrage, la convention d’arbitrage n’est soumise à aucune loi. Il n’y a pas lieu de raisonner différemment à propos des conventions d’arbitrage figurant dans les traités d’investissements (même s’il est vrai que la configuration n’est pas tout à fait équivalente s’agissant d’un traité international). D’ailleurs, la jurisprudence française ne dit pas autre chose, puisque dans l’arrêt Sorelec, elle a appliqué pour la première fois la jurisprudence Dalico dans l’hypothèse d’un examen de la compétence fondée sur traité bilatéral d’investissements (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; JDI 2021. Comm. 20, note I. Fadlallah). Dès lors, c’est à l’aune de la seule intention des parties que le consentement figurant dans un traité d’investissement doit être scruté, indépendamment de toute loi étatique. C’est cette solution que la Cour de justice ne respecte pas en donnant son appréciation sur une question relative à la compétence du tribunal arbitral. Ce faisant, la convention d’arbitrage n’est plus soumise à la seule volonté des parties, indépendamment de toute loi étatique ; elle fait corps avec le traité dans lequel elle figure et est soumise au droit européen, interprété souverainement par la Cour de justice. C’est la raison pour laquelle une question préjudicielle ne doit pas pouvoir porter sur la convention d’arbitrage, alors qu’elle peut porter sur une question d’ordre public international. Dans un cas, l’indépendance matérielle et juridique de la clause y fait obstacle, alors que dans l’autre, le droit français et européen est bien susceptible de revêtir une telle qualification. En définitive, la Cour de justice n’est pas allée au bout de sa promesse, en ne respectant pas les limites du contrôle fixé par le droit français de l’arbitrage international.

B - Les apports sur le fond

Sur le fond, la Cour de justice répond à deux questions : d’une part, l’applicabilité de l’article 26 du TCE dans les relations intra-européennes (1) et, d’autre part, l’interprétation de la notion d’investissement (2).

1 - L’applicabilité de l’article 26 du TCE dans les relations intra-européennes

Personne ne sera étonné de constater que la Cour de justice a saisi l’occasion de cette question préjudicielle pour s’intéresser à l’applicabilité de l’article 26 du TCE – à savoir la disposition relative à la résolution des litiges – dans le cadre d’une relation intra-européenne. Pourtant, la question ne lui était pas posée, la présente affaire concernant tout à l’inverse une relation extra-européenne et la question portant exclusivement sur l’interprétation de la notion d’investissement. Il n’en demeure pas moins que l’occasion était trop belle pour assoir la jurisprudence Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2018. 2005 image, note Veronika Korom image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard image ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala image ; ibid. 649, obs. Alan Hervé image ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron image ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy ; GAJUE, à paraître, note M. Barba).

À la vérité, la solution rendue est presque décevante, tant elle ne présente que très peu d’originalité par rapport à Achmea. Le raisonnement est rigoureusement identique (§§ 40 s.) : le droit de l’Union est un droit autonome qui crée un système juridictionnel propre ; les tribunaux arbitraux sont en dehors de ce système, notamment parce qu’ils ne peuvent pas soumettre de question préjudicielle ; le TCE fait partie de l’ordre juridique de l’Union. Il résulte de la combinaison de ces trois éléments que les tribunaux arbitraux ne peuvent pas connaître d’une action fondée sur le TCE dans un litige intra-européen, car ce faisant, il y aurait une atteinte à l’autonomie du droit de l’Union. La logique d’Achmea est reprise de bout en bout. L’apport de l’arrêt est donc maigre sur ce point. Il est d’autant plus faible que, quelques jours avant, entrait en vigueur en France l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement intra-européens (JOUE, 29 mai 2020). Si ce traité exclut expressément le cas du TCE (les considérants ne sont pas numérotés, mais il s’agit du troisième), on peut lire, depuis le 28 août 2021, sur le site de la Direction générale du Trésor qu’« il est rappelé qu’aucune nouvelle procédure de règlement des différends investisseur-État ne devrait être engagée par des investisseurs d’un État membre contre un autre État membre de l’Union en application du Traité sur la charte de l’énergie ». Autant dire que la solution paraissait déjà acquise pour beaucoup de monde.

Néanmoins, la Cour de justice ne va pas aussi loin que l’on aurait pu l’anticiper. En effet, si elle juge que l’article 26, paragraphe 2, sous c), du TCE est inapplicable dans les différends intra-européens, elle réserve la question d’un différend opposant un investisseur d’un État tiers et un État membre : « Il s’ensuit que, […] le TCE peut imposer aux États membres de respecter les mécanismes arbitraux qu’il prévoit dans leurs relations avec les investisseurs d’États tiers qui sont également parties contractantes de ce traité au sujet d’investissements réalisés par ces derniers dans ces États membres ». Ainsi, est explicitement préservée la situation des investisseurs originaires d’États tiers. Cette solution va rendre extrêmement importante la question de la nationalité de l’investisseur, dont on sait qu’elle est très souvent débattue.

Cependant, il ne faut pas dissimuler la principale innovation de l’arrêt Komstroy. À la différence de l’affaire Achmea ayant conduit à l’abolition des traités bilatéraux, l’Union européenne est partie au TCE. Il ne s’agit donc plus simplement de vilipender des États membres persistant dans l’application de traités contraires au droit européen, mais de constater que l’Union en est elle-même à l’origine. Ce phénomène n’est pas exceptionnel, et tous les ordres juridiques connaissent des mécanismes d’anéantissement a posteriori des violations de la hiérarchie des normes par des textes internes. Pour autant, au regard de la nature du texte, il faut bien voir que la solution conduit peu ou prou l’Union européenne à se retrouver en violation de ses engagements internationaux. Or c’est peut-être un aspect que la Cour de justice n’a pas tout à fait mesuré : l’Union pourra être attraite devant des tribunaux arbitraux par des investisseurs européens auxquels l’inapplicabilité de l’article 26 du TCE est opposée. C’est là la nouveauté par rapport à Achmea, où la Cour donne la consigne aux États membres de quitter des traités auxquels l’Union demeure étrangère. Cette fois, elle sera comptable de ses décisions. Alors, l’Union va-t-elle devoir se défendre devant les tribunaux arbitraux honnis ? Rien que d’y penser, on salive déjà.

Par ailleurs, la décision de la Cour de justice de biffer l’article 26 du TCE peut emporter des conséquences au regard de la Conv. EDH. Pour les investisseurs auxquels l’accès aux tribunaux arbitraux sera désormais interdit, la question pourra se poser d’une privation du droit d’accès à un juge arbitral. La question n’est pas nécessairement fantaisiste, au regard de la jurisprudence qui se développe à la CEDH sur cette question (v. infra, CEDH 13 juill. 2021, n° 74989/11, Ali Riza). Pour les investisseurs ayant déjà obtenu une sentence favorable, le débat pourra porter sur le droit à l’exécution des décisions de justice, dont on sait déjà qu’il concerne les sentences arbitrales (CEDH 3 avr. 2008, Regent c/ Ukraine, Rev. arb. 2009. 797, note J.-B. Racine). Ainsi, quand bien même ce n’est pas l’Union européenne qui se trouvera directement devant la CEDH, on pourrait tout à fait assister à une sorte de contrôle de conventionnalité indirect de cette réécriture du TCE. Les États membres pourraient alors se retrouver entre le marteau de la Cour de justice et l’enclume de la CEDH. Là encore, on trépigne d’impatience !

2 - L’interprétation de la notion d’investissement

Ce n’est qu’en bout de course que la Cour de justice se concentre sur la question préjudicielle qui lui est posée, à savoir la définition de la notion d’investissement (§§ 67 s.). En synthèse, la Cour de justice estime qu’« il convient de considérer qu’un simple contrat de fourniture est une opération commerciale qui ne saurait, en tant que telle, constituer un “investissement”, au sens de l’article 1er, point 6, du TCE, et cela indépendamment même de la question de savoir si un apport est nécessaire afin qu’une opération donnée constitue un investissement ». Elle écarte la qualification d’investissement et, allant plus loin que l’objet de la question préjudicielle, considère que l’article 26 du TCE ne peut s’appliquer à un différend portant sur une telle créance.

Nous ne détaillerons pas cette question de la qualification d’investissement, qui fera l’objet de commentaires avisés. La réponse n’est pas évidente et, on le sait, il s’agit toujours de questions débattues en droit des investissements. Toutefois, la Cour laisse échapper quelques balles perdues : « Toute autre interprétation de cette disposition reviendrait à priver de son effet utile la distinction claire que le TCE opère entre le commerce, régi par la partie II de ce Traité, et les investissements, régis par la partie III de celui-ci ». Voilà donc le tribunal arbitral et la Cour de cassation (qui avait opté, au moins de façon implicite, pour une qualification d’investissement, Civ. 1re, 28 mars 2018, n° 16-16.568, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 561, note C. Fouchard ; JDI 2019. 160, note E. Gaillard), rhabillés pour l’hiver. Ainsi, la question n’est évidente pour personne depuis cinquante ans, sauf pour la Cour de justice qui, du haut de sa longue expérience en la matière, éclaire enfin les ténèbres (effet Dunning-Kruger ?).

Reste, finalement, à se poser la question la plus importante avec cette solution : doit-on considérer que la messe est dite ?

C - Les suites de Komstroy

La solution de la Cour de justice va-t-elle mécaniquement entraîner l’annulation de la sentence arbitrale dans cette affaire ? Il est vrai que la situation paraît mal engagée pour l’investisseur, à qui il vient d’être dit que la créance ne peut revêtir la qualification d’investissement et qu’il n’y a donc pas lieu de bénéficier de l’article 26 du TCE. Toutefois, la Cour de justice laisse, sans doute involontairement, une porte de sortie. On l’a dit, elle précise à deux reprises que le contrôle de la sentence doit se faire dans le cadre et les limites de ce qui est prévu par le droit du siège. En l’état actuel du droit positif, la voie est étroite. On le sait, le contrôle de la sentence sur la compétence est un contrôle plein et toute divergence d’appréciation entre le juge et l’arbitre emporte annulation. Certes, la cour peut rappeler, comme nous l’avons exposé, que la convention d’arbitrage est détachée de toute loi étatique et que, par conséquent, l’interprétation qui en est faite par la Cour de justice ne s’impose pas plus qu’une autre. Toutefois, l’acrobatie est périlleuse.

En revanche, rien n’interdit à la jurisprudence française de faire bouger les lignes quant au contrôle de la compétence. Pour le dire simplement, si la jurisprudence s’émancipe du contrôle actuel de la compétence, elle s’offre une marge de manœuvre par rapport à cette décision et, par ricochet, libère les arbitres de l’emprise de la Cour de justice. Comment faire ? Certaines propositions doctrinales existent déjà en ce sens. Les unes proposent de réduire l’intensité du contrôle (T. Clay, obs. ss Civ. 1re, 6 oct. 2010, Abela, D. 2010. 2933, spéc. 2943, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke image) ; les autres recommandent d’annuler les sentences uniquement en fonction de la gravité du vice (F.-X. Train, note ss Civ. 1re, 6 oct. 2010, Abela, Rev. arb. 2010. 813, n° 13 ; M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013, n° 740). Dans un cas comme dans l’autre, l’arbitre retrouve une marge de manœuvre sur ces questions, ce qui peut permettre de sauver la sentence. Naturellement, on peut réserver l’application de telles propositions aux seules sentences rendues en arbitrage d’investissements, voire, pour ne pas trop froisser la Cour de justice, aux seules sentences extra-européennes.

Toutefois, il nous semble que cette décision peut être l’occasion pour la jurisprudence de réaliser une véritable révolution copernicienne du contrôle de la compétence. En effet, le contrôle réalisé par le juge français (comme par la Cour de justice dans la présente affaire) sur la compétence se désintéresse totalement du raisonnement mené par les arbitres. La cour réalise son propre examen à partir de la convention d’arbitrage. Autrement dit, il y a deux raisonnements menés parallèlement et dans l’ignorance l’un de l’autre : l’un par l’arbitre, l’autre par le juge. Si, par miracle, ces deux raisonnements aboutissent à un résultat identique, la sentence est validée ; à l’inverse, toute divergence dans la solution conduit à l’annulation de la sentence. En matière d’arbitrage d’investissements, cela revient, lorsque le siège est fixé à Paris, à faire prévaloir les solutions françaises sur des décennies de jurisprudence arbitrale. Pourtant, la matière est complexe et la richesse ainsi que la variété des traités interdisent de se limiter à une lecture littérale des textes. Emmanuel Gaillard a parfaitement mis en lumière la difficulté dans son commentaire de l’arrêt rendu par la Cour de cassation dans la même affaire (JDI 2019. Comm. 6). L’auteur explique qu’il est vain de rechercher une signification universelle de la notion d’investissement. À l’inverse, il précise que c’est dans « le droit spécial des traités qu’il y a lieu de rechercher le sens de la notion utilisée par chaque instrument pour définir son champ d’application ratione materiae ». Il y a donc une nécessité à ne pas imposer une interprétation franco-française et civiliste à ces textes. N’importe quel juriste sait et ne doit jamais oublier qu’une notion peut avoir un contenu variable selon la matière (la notion d’ordre public est éloquente). C’est l’erreur qui est systématiquement commise par la cour d’appel de Paris et, dans cette affaire, par la Cour de justice : tenter de plaquer sa propre définition d’une notion sans se plonger dans le foisonnement du droit international des investissements.

Une façon de surmonter cette difficulté serait, pour la jurisprudence française, d’utiliser comme point de départ de son contrôle la motivation de la sentence arbitrale. À partir de là, le juge peut vérifier si la solution retenue par l’arbitre est fondée. Ce faisant, la jurisprudence française serait contrainte de prendre en compte la variété des sources utilisées par les arbitres et, par conséquent, de se défaire des seules sources françaises. Il n’y aurait plus nécessairement une seule réponse possible à une question de compétence identique. Le contrôle sur la compétence en sortirait enrichi et inscrirait le juge français dans une véritable dimension internationale (pour plus de détails, J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, à paraître). Surtout, dans la présente affaire, cela permettrait aux juridictions françaises de ne pas être liées par la solution de la Cour de justice, dès lors que c’est sur l’examen de la motivation des arbitres qu’elles se concentreraient. Ce faisant, la place de Paris sortirait renforcée de cet épisode.

II - Les mesures provisoires pré-arbitrales

A - La compétence territoriale

L’article 1449 du code de procédure civile énonce que « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’Etat aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire ». Il est donc possible de solliciter, malgré une clause compromissoire, le juge étatique pour obtenir une telle mesure. Reste à déterminer le juge compétent pour en connaître. L’alinéa 2 du même article prévoit que « la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce ». Il ne dit en revanche rien sur la compétence territoriale. C’est à cette question que répond la Cour de cassation (Civ. 1re, 23 juin 2021, n° 19-13.350, Système U, D. 2021. 1244 image). Elle énonce qu’« il résulte des articles 42, 46, 145 et 493 du code de procédure civile que le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées, sans que la partie requérante puisse se prévaloir d’une clause compromissoire ». Afin de préciser la solution, la cour ajoute qu’« en présence d’une telle clause, le tribunal étatique susceptible de connaître de l’instance au fond est celui auquel le différend serait soumis si les parties, comme elles en ont la faculté, ne se prévalaient pas de la convention d’arbitrage ».

La solution est simple et intelligible : lorsqu’une demande est formée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la partie dispose d’une option de compétence. Elle peut saisir le juge du lieu d’exécution des mesures ou celui qui aurait été, à défaut de clause compromissoire, compétent pour connaître du fond. Cela ne veut pas dire que la compétence se réduit à une alternative entre deux juges. En visant les articles 42 et 46 du code, la cour rappelle bien que le juge compétent au fond peut être celui du domicile du défendeur, mais aussi, en matière contractuelle, celui du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service. En revanche, l’arrêt a surtout pour conséquence de ne pas donner aux juridictions parisiennes une compétence générale pour connaître de ces demandes, quand bien même le siège de l’arbitrage y est fixé.

B - L’octroi d’une provision

Un référé provision pré-arbitral est-il le moyen rêvé de contourner tous les désagréments liés à l’évolution récente dans la lutte contre la corruption, en particulier en matière d’arbitrage ? Apparemment oui, en tout cas pour la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui ne voit aucun problème à se dispenser de tous les nouveaux standards en la matière (Aix-en-Provence, 17 juin 2021, n° 19/17249, Airbus Helicopters). Les faits sont banals, puisqu’ils donnent lieu à un contentieux sériel dont les juridictions parisiennes ont déjà eu à connaître (Paris, 15 sept. 2020, n° 19/09058, Samwell, Dalloz actualité, 19 oct. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Des soupçons ont émergé à l’encontre de la société Airbus Helictopers, dont l’obtention de marchés aurait été facilitée par le recours à des agents commerciaux qui auraient été les auteurs de pratiques corruptives. À la suite de l’ouverture par le Parquet financier français (PNF) ainsi que par le Serious Fraud Office anglais (SFO) et le Department of Justice américain (DOJ), de procédures pénales visant des faits de fraude et de corruption au sein du groupe Airbus, les paiements aux agents ont été interrompus. Face au défaut de paiement de ses créances, l’un d’eux a saisi les juridictions françaises d’un référé provision, en dépit d’une clause compromissoire figurant dans les contrats. Après avoir établi l’urgence en raison des difficultés financières du créancier, la cour accueille favorablement la demande. Elle estime que le débiteur ne présente aucune contestation sérieuse, en dépit des moyens évoquant des suspicions de corruption. La motivation est intéressante. Elle s’établit en trois temps. Premièrement, il est signalé que les enquêtes en cours ne visent pas expressément les relations entre le créancier et le débiteur. Deuxièmement, le débiteur est considéré comme malvenu à émettre a posteriori une contestation sur les modalités d’exécution d’un contrat dont elle est l’instigatrice, dont elle ne conteste pas les bénéfices et qu’elle n’a jamais remis en cause. Troisièmement, elle constate l’absence de résiliation du contrat.

Cette argumentation semble frappée du coin du bon sens. Elle l’est d’ailleurs à bien des égards. Pour autant, elle est intenable en ce qu’elle offre un boulevard pour le contournement de l’arbitrage et de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris sur la corruption. On le sait, les arbitres sont invités à faire preuve d’une vigilance de plus en plus grande sur ces questions. Or il ne fait aucun doute qu’une telle motivation de la part d’un tribunal arbitral entraînerait une annulation brutale de la sentence, au regard de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris (par ex., Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, préc. ; 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2019. 850, note E. Gaillard ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 2018. 465, note A. Pinna). Il y a donc une contradiction frontale à vouloir, d’un côté, une ligne dure dans la lutte contre la corruption et, d’un autre côté, accueillir des référés provisions indépendamment de telles allégations. Sauf à déstabiliser la cohérence de l’ordre juridique français dans sa lutte contre ce fléau, cette décision ne peut pas survivre à un pourvoi.

III - Le principe de compétence-compétence

Un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris mérite d’être souligné en ce qu’il rappelle deux solutions qui ne doivent pas être oubliées (Paris, 30 juin 2021, n° 21/02568, Carrefour Proximité France). D’une part, il souligne que l’existence d’un ensemble contractuel prétendument indivisible n’est pas de nature à faire échec à une clause compromissoire contenue dans l’un d’eux. Ainsi, que l’on soit en présence de clauses distinctes, voire de certaines conventions sans clauses, il appartient en tout état de cause au tribunal arbitral de trancher les contestations sur sa compétence. Ensuite, et de manière plus fondamentale, l’arrêt réaffirme que l’impécuniosité d’une partie n’est pas de nature à faire échec au principe de compétence-compétence : « L’impécuniosité ne constitue, en effet, pas un critère de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste d’une clause compromissoire et il revient aux acteurs de l’arbitrage d’écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités ». La solution est importante, à l’heure où le principe de compétence-compétence est assailli de toute part (Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 18-19.241, PWC, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2501 image, note D. Mouralis image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; ibid. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; AJ contrat 2020. 485 image, obs. D. Mainguy image ; Rev. prat. rec. 2021. 39, chron. R. Bouniol image ; Rev. crit. DIP 2021. 202, note E. Loquin image ; RTD civ. 2020. 845, obs. L. Usunier imageProcédures 2021, n° 1, p. 19, obs. L. Weiller ; RLDC 2021, n° 190, p. 29, note C. Marilly ; RLDA 2020, n° 164, p. 4, note S. Koulocheri ; ibid. 2020, n° 165, p. 14, note J. Clavel-Thoraval ; Gaz. Pal. 2020, n° 41, p. 27, note S. Bollée ; JCP 2020. 2100, note M. de Fontmichel ; LPA 2020, n° 254, p. 7, note S. Akhouad-Barriga ; CCC 2020, n° 12, p. 69, note S. Bernheim-Desvaux ; ibid. 2021, n° 1, p. 3, obs. E. Fohrer-Dedeurwaerder ; LPA 2021, n° 12, p. 5, note J. Lefebvre ; JCP E 2021, n° 10, p. 33, obs. C. Nourissat). Elle n’est pas sans rappeler celle retenue dans l’affaire Lola Fleurs (Paris, 26 févr. 2013, n° 12/12953, D. 2013. 2936, obs. T. Clay image ; Cah. arb. 2013. 479, note A. Pinna ; Rev. arb. 2013. 756, note F.-X. Train). Néanmoins, elle recèle une différence avec ce dernier. En effet, dans ce dernier, c’est au tribunal arbitral de permettre l’accès au juge ; cette fois, ce sont les acteurs de l’arbitrage à qui il appartient d’éviter tout risque de déni de justice. Autrement dit, la liste des débiteurs de cette obligation de garantir l’accès au juge de l’impécunieux s’élargit. Potentiellement, on peut y faire figurer un centre d’arbitrage, la partie adverse et, en tirant à peine sur la ficelle, les conseils. Affaire à suivre.

Dans une autre affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 1er juill. 2021, n° 21/01799, Mclaren Automotive), la situation est intéressante. Il s’agit d’une action en résolution pour vices cachés d’un contrat de vente de véhicule automobile. Le vendeur a assigné en intervention forcée son propre vendeur, le constructeur du véhicule. Ce dernier s’est prévalu d’une clause figurant dans le contrat pour faire échec à la compétence des juridictions françaises. La clause mérite d’être reproduite : « Si le différend n’a pas été résolu par la négociation dans les vingt-cinq (25) jours ouvrables suivant la livraison de l’Avis de contestation, chaque partie peut soumettre le Différend à l’arbitrage LCIA ou à la juridiction exclusive des tribunaux d’Angleterre ». Il s’agit donc d’une clause optionnelle, prévoyant soit le recours à l’arbitrage, soit le recours aux juridictions anglaises. Pour la cour, cette clause n’est pas une clause compromissoire, en ce qu’elle n’impose pas une obligation d’aller à l’arbitrage. En conséquence, elle écarte le principe de compétence-compétence. Une telle solution n’est pas sans rappeler celle retenue en présence d’une clause prévoyant que les parties doivent se consulter pour examiner l’opportunité de recourir à l’arbitrage (Lyon, 4 juin 2019, n° 19/00698, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Bordeaux, 23 janv. 2020, n° 16/02240, Hôtel Merle, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). À notre connaissance, la Cour de cassation n’a jamais eu à se prononcer sur ces questions. La solution n’est pas totalement illégitime. Elle soulève néanmoins la question de la distinction entre une clause dont il ne fait aucun doute qu’elle n’est pas une clause compromissoire, permettant ainsi la mise à l’écart du principe de compétence-compétence, et une clause qui est pathologique et dont l’interprétation doit être renvoyée aux arbitres.

Dans un troisième arrêt (Paris, 6 juill. 2021, n° 21/03597, Novacid), une action délictuelle a été engagée devant les juridictions françaises, à laquelle une clause compromissoire est opposée. Pour tenter d’y échapper, les demandeurs prétendent être tiers au contrat et se prévalent de la nature extracontractuelle de l’action. La cour décide malgré tout de renvoyer à l’arbitrage, à travers une motivation qu’on ne peut qu’approuver (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685). D’une part, elle retient que la nature contractuelle ou délictuelle de l’action importe peu ; d’autre part, elle estime qu’à défaut d’absence évidente de tout lien entre le litige et la clause, les parties doivent être renvoyées à l’arbitrage. Voilà qui assure un respect rigoureux de l’effet négatif tout en préservant la priorité des arbitres pour se prononcer sur la qualification de l’action et l’applicabilité de la clause !

IV - Les recours contre les sentences

A - Aspects procéduraux des voies de recours

1 - L’internationalité de l’arbitrage

L’article 1504 du code de procédure civile énonce qu’« est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ». Cet article retient un critère économique de l’internationalité, contrairement au critère juridique qui est le plus souvent utilisé en droit international privé. Classiquement, on considère que le critère économique de l’internationalité est aisé à concrétiser. Toutefois, l’affaire Tapie est à l’origine d’une approche plus restrictive de cette internationalité (Paris, 17 févr. 2015, n° 13/13278, Sté CDR créances c/ Sté CDR-Consortium de réalisation, Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech ; ibid. 18 déc. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1253 image, note D. Mouralis image ; ibid. 425, édito. T. Clay image ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. arb. 2015. 832, note P. Mayer ; JCP 2015. 289, note S. Bollée ; Procédures avr. 2015. Étude 4, obs. L. Weiller ; Cah. arb. 2015. 281, note A. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2015, n° 94, p. 17, note M. Boissavy ; ibid., n° 167, p. 22, obs. M. Nioche ; Bull. ASA 2016. 207, note M. Henry ; Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904, 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1505 image ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2589, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine image ; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry). Cette tendance a été confirmée depuis dans une affaire EPPOF (Paris, ord., 1er déc. 2020, n° 20/08033, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques).

L’arrêt Aurier met en lumière ces deux aspects de l’internationalité (Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245). D’une part, la distinction entre les critères est parfaitement révélée. En effet, l’une des parties au litige est de nationalité ivoirienne, alors que l’autre a son siège social en suisse, pour un contrat dont l’exécution est réalisée en France. À ce titre, il ne fait aucun doute que l’internationalité juridique du litige est caractérisée. Pourtant, la cour rappelle que « la qualité ou la nationalité des parties, la loi applicable au fond du litige ou à la procédure, ainsi que le siège du tribunal arbitral » importent peu, tout comme la « volonté des parties ». Ce qui compte, c’est que le différend « porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État ». En l’espèce, la cour constate que le litige, qui porte sur la rupture d’un contrat d’agent, est localisé en France. La cour écarte les éléments relatifs à la nationalité et au siège social des parties, à la localisation d’un compte bancaire, au transfert postérieur du joueur à l’étranger. À l’inverse, elle retient que le contrat couvre exclusivement le territoire français et que le litige porte sur sa rupture alors que le joueur joue en France. La cour conclut donc au caractère interne du contrat.

On peut se demander si, affaire après affaire, il ne faut pas acter un glissement de l’appréciation de l’internationalité en matière d’arbitrage. Autant, pendant plusieurs décennies, la question ne se posait pas et les praticiens optaient assez spontanément pour le régime de l’arbitrage international. Désormais, il est nécessaire de s’interroger systématiquement sur cette qualification et d’envisager sérieusement une potentielle qualification d’arbitrage interne.

2 - Le recours contre l’ordonnance d’exequatur

Lorsque l’exequatur est accordé à une sentence arbitrale étrangère, l’article 1525, alinéa 4, du code de procédure civile prévoit que « la cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520 ». Il en résulte que, si c’est l’ordonnance d’exequatur est attaquée, c’est bien la sentence qui fait l’objet d’un examen. Dans un arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413), la cour d’appel de Paris en déduit que « l’ordonnance qui accorde l’exequatur […] n’est donc susceptible, en tant que telle, d’aucun recours ». En conséquence, la cour refuse d’examiner le moyen tiré de la prescription de la sentence et celui tiré de l’existence d’une transaction.

Cette solution présente l’avantage de la simplicité. Elle évite de polluer le débat et permet de focaliser le recours sur les cas d’ouverture prévus par l’article 1520 du code de procédure civile. Elle se heurte néanmoins de sérieuses limites.

D’une part, la cour envisage la possibilité d’un appel-nullité contre l’ordonnance d’exequatur. L’admission d’un tel recours nécessite qu’aucun recours contre la décision ne soit recevable. On peut y voir une forme de logique, dès lors que la cour d’appel a affirmé que le recours vise la sentence et que l’ordonnance n’est, en tant que telle, susceptible d’aucun recours. Il n’en demeure pas moins que cette solution est en contradiction frontale avec la lettre de l’article 1525, alinéa 1er, du code de procédure civile, qui prévoit bien que l’ordonnance d’exequatur « est susceptible d’appel ». Pour autant, la solution n’est pas totalement nouvelle, la jurisprudence ayant déjà admis un tel recours, en particulier lorsque l’exequatur est accordé par un juge dénué du pouvoir de le prononcer (Par ex., Civ. 1re, 9 déc. 2003, n° 01-13.341, D. 2004. 1055, et les obs. image, note G. Weiszberg image ; ibid. 3186, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2004. 547, obs. P. Théry image ; RTD com. 2004. 256, obs. E. Loquin image : JCP 2004. 348, note J.-G. Mahinga ; Rev. arb. 2004. 337, note S. Bollée).

D’autre part, dire que le recours est limité aux cas visés par l’article 1520 du code de procédure civile est réducteur. Premièrement, même si l’arrêt reste isolé et discutable, la jurisprudence a eu l’occasion d’admettre que soit examinée une question de retrait litigieux dans le recours contre la sentence, en cassant un raisonnement analogue à celui réalisé ici par la cour d’appel (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 516 image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques image ; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt image ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier image ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier image ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle). Deuxièmement, il n’est pas certain qu’il faille traiter de façon analogue les griefs portant sur la recevabilité d’une demande d’exequatur et ceux portant sur le bien-fondé de l’octroi de l’exequatur. Pour les seconds, la limitation des griefs aux seuls cas prévus par l’article 1520 du code de procédure civile résulte de la logique du droit de l’arbitrage. En revanche, cette logique doit-elle conduire à refuser tout examen du juge sur la recevabilité de la demande ? On peut en douter, d’autant que la procédure n’est pas contradictoire devant le tribunal judiciaire. En conséquence, l’exequatur peut être accordé avec de graves erreurs, liées par exemple à un défaut d’intérêt ou de qualité à agir. Il ne paraît dès lors pas opportun de priver la cour d’annuler l’ordonnance d’exequatur pour un tel motif.

Pour autant, dire que le juge du recours ne doit pas s’interdire de contrôler la recevabilité de la demande d’exequatur ne signifie pas nécessairement que le grief est fondé. Ainsi, la prescription de la créance dont la sentence constitue le support ne doit pas, quoi qu’il arrive, s’opposer à l’exequatur de la sentence, qui peut être demandé indépendamment de toute exécution future. Si l’exécution d’une sentence prescrite est demandée, la question devrait, en conséquence, relever du juge de l’exécution et non du juge de l’exequatur.

B - Aspects substantiels des voies de recours

1 - La compétence

a - La recevabilité du moyen sur la compétence

L’arrêt Schooner n’est pas passé inaperçu, en ce qu’il permet désormais à une partie de renouveler totalement le débat sur la compétence devant le juge du recours, que ce soit en se prévalant de nouveaux moyens, nouveaux arguments ou de nouvelles preuves (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 image ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc). Pour cela, il suffit d’avoir soulevé devant le tribunal arbitral un argument sur la compétence. On pouvait néanmoins se demander si la jurisprudence en aurait une approche restrictive : par exemple, interdirait-elle à soulever une discussion sur la validité de la clause si la seule applicabilité avait été discutée ? À la lecture de l’arrêt Pharaon, on est tenté de répondre négativement. En effet, la cour constate que « la compétence du tribunal arbitral […] a été soulevée ». Elle en déduit alors que « ces seules constatations suffisent à considérer que la société IBC est bien recevable à se prévaloir de ce moyen devant le juge de l’annulation » (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999). Autrement dit, à aucun moment la cour ne s’intéresse à la nature du moyen. Elle s’autorise ainsi à examiner n’importe quel moyen sur la compétence dès lors qu’il y a une la moindre discussion devant le tribunal arbitral. Voilà qui devrait inciter – et c’est tout à fait regrettable – les parties à soulever, au moins à titre conservatoire, l’incompétence du tribunal arbitral.

b - La loi applicable à la clause compromissoire

Il est acté depuis près de trente ans que les clauses compromissoires en matière internationale ne sont pas soumises à une règle de conflit, mais à une règle matérielle française issue de l’arrêt Dalico (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, préc.). Toutefois, depuis un arrêt Uni-Kod (Civ. 1re, 30 mars 2004, n° 01-14.311, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2005. 959, note C. Seraglini ; JCP 2004. II. 10132, note G. Chabot ; S. Bollée, Quelques remarques sur la pérennité [relative] de la jurisprudence Dalico et la portée de l’article IX de la Convention européenne de Genève. À propos de l’arrêt Sté Uni-kod c/ Sté Ouralkali, JDI 2006. 126), confirmé en cela par l’arrêt Kout Food (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2020. 61, note P. Rosher ; Rev. arb. 2020. 701, note E. Gaillard ; JDI 2021. 153, note J.-B. Racine), il n’est pas exclu que, par la volonté des parties, une loi nationale soit applicable. C’est sur ce point que revient l’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999). Après avoir rappelé la règle issue de l’arrêt Dalico, la cour reprend une formule déjà utilisée dans Kout Food : « le principe de l’autonomie de la clause compromissoire est d’application générale en matière d’arbitrage international, en tant que règle matérielle internationale consacrant la licéité de la convention d’arbitrage, hors de toute référence à un système de conflit de lois, la validité de la convention devant être contrôlée au regard des seules exigences de l’ordre public international, abstraction faite de toute loi étatique fût-elle celle régissant la forme ou le fond du contrat qui la contient ».

En l’espèce, l’article du contrat contenant la clause compromissoire prévoit, d’une part, l’application de la loi algérienne au contrat et, d’autre part, l’application de la loi algérienne à l’arbitrage, en ajoutant que le siège de l’arbitrage se situe en France. Suffisant pour entraîner l’application de la loi algérienne à la clause ? Comme on pouvait s’y attendre, la réponse est négative. En effet, dans l’esprit de la jurisprudence, il faut toujours distinguer fermement la loi applicable au contrat, la loi applicable à la procédure arbitrale, la lex arbitri et enfin la loi applicable à la clause compromissoire. Or la clause prévue par les parties régit les trois premières questions, mais ne prévoit rien pour la dernière. C’est ce qui conduit la cour, conformément au principe d’autonomie de la clause, à juger que « les parties n’ont pas soumis la validité et les effets de la clause compromissoire à la loi algérienne », aucune circonstance ne permettant d’établir « de manière non équivoque la volonté des parties de désigner le droit algérien ».

La solution, si elle ne manquera pas de heurter une partie des observateurs, était prévisible au regard de la jurisprudence française. En revanche, l’arrêt apporte une précision importante. La cour souligne que, s’il avait été choisi, le droit algérien aurait été susceptible de régir « l’efficacité, le transfert et l’extension de la clause compromissoire ». Autrement dit, un choix de loi non équivoque des parties est de nature à écarter non seulement l’application de la règle matérielle issue de Dalico, mais également celles relatives à la transmission et à l’extension de la clause compromissoire, dont on sait que le régime n’est pas parfaitement identique (v. not. l’arrêt ABS qui fait la synthèse de ces deux règles, Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, Alcatel Business System (ABS), D. 2007. 2077, obs. X. Delpech image, note S. Bollée image ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke image ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry image ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007.II.10118, note C. Golhen ; ibid. 2007.I.168, § 11, obs. Ch. Seraglini ; ibid. 2007.I.200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007, p. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur). Ainsi, toutes les règles matérielles du droit français de l’arbitrage peuvent être écartées par une désignation expresse par les parties d’un droit étranger applicable à la clause compromissoire. Reste que, lorsque ce n’est pas le cas, comme en l’espèce, il est inutile d’invoquer la loi étrangère, l’examen se réalisant à l’aune des règles matérielles françaises (sur ces questions, v. J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, à paraître).

c - L’extension de la clause compromissoire

Après avoir écarté l’application de la loi algérienne, l’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) revient sur l’extension de la clause compromissoire à un non-signataire. Pour commencer, elle énonce la règle applicable : « une clause compromissoire insérée dans un contrat international peut être étendue aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, cette situation contractuelle et leurs activités présumant qu’elles l’ont acceptée et qu’elles ne pouvaient en ignorer l’existence et la portée, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait ». La formule parlera aux praticiens du droit de l’arbitrage, puisqu’elle se retrouve de façon presque identique dans Kout Food (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, préc.) et surtout, hasard du calendrier, dans un arrêt de la 5-5 rendu cinq jours plus tôt (Paris, 10 juin 2021, n° 20/07754, MEPI. L’arrêt ne sera pas commenté plus en avant, sauf à dire qu’il illustre encore la difficulté des juridictions à appliquer rigoureusement le principe compétence-compétence). Il faut toutefois être attentif pour y déceler une différence. Reproduisons, pour simplifier la lecture, la formule figurant dans l’arrêt Kout Food : « la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation contractuelle et leurs activités font présumer qu’elles ont accepté la clause d’arbitrage dont elles connaissaient l’existence et la portée, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait ».

Il y a une différence très nette dans la construction des deux attendus. L’arrêt Kout Food pose une présomption d’acceptation de la clause, sous réserve d’une connaissance de son existence de sa portée. À l’inverse, l’arrêt Pharaon pose une double présomption, d’acceptation de la clause et de connaissance de son existence et de sa portée. Il est possible que cette évolution dans la formulation de la règle n’ait qu’une portée limitée. Si l’on prend la peine de relire l’arrêt Kout Food, on constate que, en dépit de la formulation de l’attendu, la cour se focalise sur le comportement du tiers sans s’intéresser à sa connaissance de la clause. Ainsi, déjà dans cette décision, c’est l’implication dans l’exécution du contrat et dans le litige qui permet de fonder l’extension de la clause. C’est une démarche identique qui est retenue dans l’affaire Pharaon, où la cour se focalise sur l’implication du tiers pour trancher en faveur de l’extension de la clause.

Il n’en demeure pas moins que l’on peine à identifier la règle pertinente en matière d’extension de la clause compromissoire. La jurisprudence ne cesse de se fonder sur des règles formulées de façon différente, sans que l’on bénéficie d’une quelconque boussole pour comprendre ces choix. Par exemple, dans l’arrêt Rotana, la cour a retenu que « selon les usages du commerce international, la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans la négociation, la conclusion, l’exécution et/ou la résiliation du contrat » (Paris, 2 mars 2021, n° 18/16891, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques. L’arrêt a été rendu par la formation compétente en arbitrage interne). Dans cette formule, il n’y a aucune référence à une quelconque connaissance ou acceptation présumée de la clause. Or, comme chacun sait, une présomption peut être combattue et renversée. Il ne serait donc pas vain que la jurisprudence opte pour une règle matérielle et cesse de mentionner les autres.

d - La compétence pour prononcer une compensation

L’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) est décidément très riche, puisqu’il soulève la question de la compétence du tribunal arbitral pour prononcer une compensation. La réponse de la cour d’appel est claire et il suffit de la reproduire : « il convient de considérer que le tribunal arbitral est compétent pour prononcer une compensation entre deux créances s’il est compétent pour statuer sur l’une et l’autre des créances alléguées qui ont fait l’objet de la compensation ».

2 - L’indépendance et l’impartialité des arbitres

L’actualité est toujours aussi brûlante sur les questions d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. L’affaire Aurier (Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245) est d’ailleurs l’occasion de rappeler les définitions de l’une et l’autre de ces notions, lesquelles ont déjà été récemment posées (Paris, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich et Paris ; 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana, préc.). Pour l’indépendance, elle procède « d’une approche objective consistant à caractériser des facteurs précis et vérifiables externes à l’arbitre susceptibles d’affecter sa liberté de jugement, tels que des liens personnels, professionnels et/ou économiques avec l’une des parties ». Pour l’impartialité, elle suppose « l’absence de préjugés ou de partis pris susceptibles d’affecter le jugement de l’arbitre, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l’arbitre, son environnement social, culturel ou juridique ».

Dans la majorité des affaires, les discussions se cristallisent autour d’un fait qui n’a pas été révélé. Toutefois, cette hypothèse est loin d’être la seule à se présenter, comme le rappellent les affaires Aurier et Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999). Rien n’exclut que le fait litigieux ait été révélé (ou n’ai pas eu besoin de l’être). Dans cette hypothèse, le régime est globalement identique, à l’exception, naturellement, des discussions sur l’obligation de divulguer le fait. Ainsi, le débat s’articule autour de la recevabilité du grief (a), le cas échéant l’obligation de révéler la circonstance (b) et la caractérisation d’un doute raisonnable (c). Toutefois, le débat pourrait bien rebondir dans les mois à venir, dès lors que la cour d’appel ouvre la voie à un contrôle de ces griefs sur le fondement de l’ordre public international (d).

a - La recevabilité du grief

La recevabilité du grief relatif à un lien mettant en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre est conditionnée au comportement des parties pendant l’instance arbitrale (T. Clay parle de devoir de réaction, note ss Paris, 23 févr. 2016, D. 2016. 2589). La règle est issue de l’article 1466 du code de procédure civile, lequel énonce que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Elle conduit la jurisprudence à considérer qu’une partie n’est plus recevable à invoquer devant la cour, à l’appui du recours en annulation de la sentence, des faits n’ayant pas fait l’objet d’une requête en récusation dans les délais (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA (Sté) c/ J&P Avax [Sté], D. 2014. 1985 image ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 1981, avis P. Chevalier image ; ibid. 1986, note B. Le Bars image ; ibid. 2541, obs. T. Clay image ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. Doctr. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 2014. Doctr. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani ; Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier image ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin ; ibid. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay ; Paris, 19 mai 2015, n° 14/05854, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 951 ; Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-17.108, D. 2017. 1306 image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin image ; JDI 2018. 149, note B. Castellane). L’affaire Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) apporte deux précisions intéressantes, qui ne devront pas échapper au praticien.

La première n’est pas la plus étonnante, mais doit tout de même être intégrée. Lorsque l’arbitrage est multipartite, il ne suffit pas que l’une des parties forme une demande en récusation pour en faire bénéficier toutes les autres. La procédure de récusation permet seulement à la partie qui l’a exercé de préserver ses droits, à l’exclusion des autres parties (on peut toutefois le discuter, car il existe des mécanismes de représentation, en particulier la représentation mutuelle des coobligés). Il est donc indispensable, pour pallier ce risque, d’exercer la demande de récusation au nom de toutes les parties ou de former des demandes distinctes, quand bien même elles ont le même objet.

La deuxième était moins prévisible et, à dire vrai, soulève un certain nombre d’interrogations (l’arrêt dans l’affaire Aurier semble retenir une exigence assez proche sur cette question, Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245). La partie a engagé deux procédures de récusation, rejetées l’une et l’autre par la Cour internationale d’arbitrage de la CCI. De ce fait, elle semble devoir être recevable à se prévaloir de ces griefs devant le juge de l’annulation (v. notre vademecum, Dalloz actualité, 4 mai 2020), la décision de la cour de la CCI n’ayant pas autorité de la chose jugée (Paris, 23 juin 2015, n° 13/09748, Rev. arb. 2015. 957). Las, la cour d’appel ajoute une nouvelle exigence : il ne suffit pas d’avoir réagi en formant une demande de récusation. Il faut ensuite « formuler expressément une objection ou à tout le moins des réserves devant le tribunal arbitral ».

On peut difficilement se satisfaire de cette solution. La cour l’assoit sur l’article 1466 du code de procédure civile. Elle en fait même une lecture exégétique, puisqu’elle explique qu’« il ressort de cet article que l’irrégularité doit être invoquée “devant le tribunal arbitral”, lequel ne se confond pas avec l’institution en charge de l’organisation de l’arbitrage, en l’espèce la Cour de la CCI ». On ne peut pas disconvenir avec la cour sur la présence de cette exigence au sein de l’article 1466. Néanmoins, c’est oublier deux choses que de limiter son interprétation à cette précision.

D’une part, il est difficile de prôner ici une lecture stricte du texte quand, depuis dix ans, la jurisprudence impose aux parties de saisir des organes autres que le tribunal arbitral (juge d’appui ou institution) sous peine de renonciation. Sauf à dire qu’il existe parallèlement une règle textuelle et une règle jurisprudentielle de renonciation, cette appréciation restrictive dénote avec l’appréciation extensive habituellement retenue.

D’autre part, l’article 1466 du code de procédure civile pose un second critère, celui de l’absence de « motif légitime ». Cette condition ne peut être ignorée. Or on peut se demander en quoi il est plus légitime de renouveler ses contestations devant le tribunal arbitral après le rejet de la demande de récusation, plutôt que de ne pas le faire, dès lors que la contestation est vouée à l’échec. D’ailleurs, en pratique, la partie demande, dans un premier temps, à l’arbitre de démissionner avant d’exercer, dans un second temps, la demande de récusation. Il n’y a donc rien à espérer d’une nouvelle contestation.

En définitive, la jurisprudence impose, par cette décision, une nouvelle condition à la recevabilité du grief relatif à la constitution du tribunal arbitral. Comme souvent, elle ne posera pas de grandes difficultés pour les praticiens chevronnés de l’arbitrage, qui seront en mesure de la prendre immédiatement en compte. En revanche, elle constituera un piège pour les autres conseils, moins familiers avec le droit français de l’arbitrage. Surtout, elle peut faire des dégâts dans les procédures déjà entamées, avec une application rétroactive de cette exigence supplémentaire.

b - Les éléments à révéler

Quels éléments les arbitres doivent-ils révéler aux parties en début d’instance arbitrale ? La question est ancienne et les choses bougent. À ce titre, l’arrêt Vidatel a amorcé un glissement (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud), en prenant appui sur la note de la CCI pour déterminer les éléments devant figurer dans la déclaration d’indépendance des arbitres. L’arrêt Fiorilla confirme ce mouvement, et doit à ce titre être particulièrement signalé (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413).

Dans cette affaire, l’arbitrage est administré par la FINRA. Ce règlement est particulièrement intéressant. D’une part, il prévoit de façon assez détaillée les obligations de divulgation ; d’autre part, il met en place un questionnaire auquel les arbitres sont tenus de répondre, lequel est censé compléter la déclaration d’indépendance.

Dans cet arrêt, comme dans Vidatel, la cour reprend à son compte les prescriptions du règlement et énonce que « l’arbitrage ayant été rendu sous l’égide de la FINRA, il convient notamment de se référer aux recommandations émises sur cette question par ce centre d’arbitrage pour préciser le contenu de l’obligation de révélation imposée aux arbitres ». Il ajoute encore qu’« il ressort de ces recommandations que l’obligation de divulgation de l’arbitre dans le cadre d’un arbitrage FINRA est très large puisqu’elle porte, s’agissant de ses rapports avec l’une des parties, leurs représentants, les témoins ou les co-arbitres, sur tout intérêt ou toute relation directe ou indirecte existante ou passée, avec ces derniers, mais vise aussi, hors les rapports avec ces personnes, à connaître les situations et/ou comportement de chaque arbitre dans le passé et notamment les éventuels litiges et procédures dans lesquels ils ont été impliqués (autres que celles pour lesquelles ils étaient arbitres) », pour finalement conclure que « c’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier [si les arbitres] ont satisfait à leur obligation de divulgation ».

Ainsi, le règlement d’arbitrage est utilisé comme source à part entière de l’obligation de révélation des arbitres, permettant au juge de réaliser son contrôle. C’est le règlement qui permet de dire ce qui doit ou ce qui ne doit pas être révélé.

C’est une véritable révolution, dont nous avions déjà tenté d’analyser la portée à l’occasion du commentaire de l’arrêt Vidatel (Chronique d’arbitrage : la révélation encore révolutionnée ?, Dalloz actualité, 22 févr. 2021). On peut y voir au moins un argument extrêmement favorable et un argument extrêmement défavorable. En faveur de cette évolution, il est certain qu’elle apporte aux arbitres une sécurité juridique très importante, en leur permettant de se fier, pour la rédaction de leur déclaration d’indépendance, au règlement d’arbitrage, indépendamment du droit du siège. C’est le reflet d’un droit français qui place toujours plus haut le principe d’autonomie du droit de l’arbitrage. En défaveur de cette évolution, on doit néanmoins constater qu’elle conduit à une obligation de révélation à plusieurs vitesses. Ainsi, l’obligation n’aura pas le même contenu en matière d’arbitrage ad hoc ou institutionnel, et, dans ce dernier cas, en fonction de l’institution. Pour notre part, nous n’avons pas encore été en mesure de trancher en faveur de l’une ou de l’autre, les deux présentant un certain nombre d’avantages.

Toutefois, si l’on accepte de suivre le raisonnement de la cour d’appel, il convient de le pousser à son terme : c’est au règlement et à lui seul – sauf contrariété à l’ordre public international (ou aux règles impératives du droit français, pour reprendre des formules utilisées dans le cadre de la compétence) – de régir les questions de révélation. Autrement dit, il faut que les exigences du règlement se substituent au droit français, pas qu’elles se surajoutent. Juger l’inverse conduit à empiler les couches et impose aux arbitres et aux parties de démêler, entre le droit français et le règlement d’arbitrage, des exigences qui peuvent s’additionner, se neutraliser, voire se contredire. Pour l’instant, cela ne semble pas être la voie suivie par la cour. On l’a déjà constaté dans l’arrêt Vidatel, où elle a expressément considéré que l’obligation de divulgation ne se limite pas à ce qui est prévu par la note de la CCI. De plus, la cour ne semble pas prête à renoncer à l’exception de notoriété, quand bien même le règlement ne prévoit pas une telle solution. En somme, il est fort probable que la cour s’oriente vers une combinaison entre les exigences spécifiques du règlement et le cadre général du droit français.

On ne détaillera pas le raisonnement de la cour concernant les faits reprochés aux arbitres dans cette affaire. On signalera simplement que l’existence d’un questionnaire touffu modifie le traitement de ces questions. En effet, les arbitres peuvent apporter trois réponses : une réponse positive (révélation d’un fait) ; une réponse négative (rien à révéler) ; un silence. Dans le premier cas, le fait ayant été révélé, il n’y a pas de problème dès lors que les parties ont renoncé à s’en prévaloir. Dans le troisième cas, ce silence n’est pas dirimant si d’autres éléments permettent d’établir que le fait a en réalité été révélé (à défaut, il faudra l’analyser comme une réponse négative). Enfin, le deuxième cas est celui qui potentiellement posera problème.

En cas de réponse négative, il faudra ensuite deux éléments pour obtenir l’annulation de la sentence. D’une part, il faut prouver que la réponse aurait dû être positive. Il y a donc un enjeu probatoire. Or la lecture de l’arrêt montre que la cour d’appel prend très au sérieux cette question, n’hésitant pas à écarter les allégations insuffisamment étayées. D’autre part, quand bien même il est établi que la réponse négative n’est pas appropriée, l’annulation n’est pas immédiate, avec la nécessité de caractériser un doute raisonnable.

c - La caractérisation d’un doute raisonnable

L’autre apport essentiel de l’arrêt Fiorilla tient à la nécessité de caractériser un doute raisonnable. L’arrêt Vidatel laissait planer un doute sur cette question malgré une jurisprudence constante depuis une dizaine d’années. Sans dire que l’arrêt Fiorilla clôt le débat, il faut convenir qu’il met du plomb dans l’aile à l’idée selon laquelle l’absence de divulgation d’un fait exigé par le règlement entraîne l’annulation immédiate de la sentence. L’arrêt énonce qu’il convient d’apprécier « si en cas de non-respect de cette obligation [de divulgation], ce manquement était susceptible de créer dans l’esprit des recourants un doute raisonnable sur leur impartialité ».

Sans doute peut-on s’en satisfaire, tant l’annulation automatique de la sentence à chaque défaut de révélation a pu être critiquée au lendemain de l’arrêt Tecnimont. Reste que le problème aujourd’hui n’est pas tant l’exigence d’un critère lié au doute raisonnable que sa caractérisation factuelle. En effet, on a pu critiquer à plusieurs reprises ces derniers mois des refus d’annulation pour des faits d’une certaine gravité (par ex., Paris, 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud). Or on ne peut ignorer que le développement des règlements d’arbitrage sur les questions de révélation change la donne. En effet, avant, les arbitres pouvaient se prévaloir d’une relative incertitude sur les faits à révéler. Désormais, lorsque le règlement pose des questions frontales (comme le règl. FINRA) et qu’un arbitre répond faussement à l’une des questions, on peut éventuellement plaider l’erreur, beaucoup moins l’ignorance. Il faudra donc observer comment la jurisprudence se saisira de ces problématiques.

Par ailleurs, on le sait, les questions relatives à l’obligation de révélation n’achèvent pas les discussions relatives à l’indépendance et à l’impartialité. Dans l’affaire Aurier (Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245), la situation est un peu particulière. Le litige est porté devant la Chambre arbitrale du sport, qui utilise une liste fermée d’arbitres. Le requérant reproche à son adversaire d’être défendu par un conseil figurant lui-même sur cette liste, ce qui entraîne, à ses yeux, un doute sur l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral. Pendant la procédure arbitrale, la partie a sollicité le retrait dudit conseil. En somme, si l’annulation de la sentence est demandée pour défaut d’indépendance et d’impartialité des arbitres, le grief ne les vise qu’indirectement, puisque c’est l’argumentation est focalisée sur la présence du conseil. Il est intéressant de constater que, sur cette question, la cour retient également le critère du « doute raisonnable ». La solution est logique : ce n’est pas parce que la discussion ne prend pas pour point de départ l’absence de révélation que le régime doit être distinct. Dans un cas comme dans l’autre, le fait litigieux n’est susceptible d’entraîner l’annulation que s’il crée un doute raisonnable. Tel n’est pas le cas, dans cette affaire, de la présence d’un avocat présent dans la liste d’arbitres comme conseil d’une partie. Cela dit, il est intéressant de noter que, depuis 2020, l’article 7 du règlement de la chambre arbitrale du sport prévoit que « les arbitres de la Chambre arbitrale du sport ne peuvent pas agir comme conseil d’une partie devant la Chambre arbitrale du sport ». Cette évolution devrait éviter que la situation litigieuse se reproduise. Néanmoins, on peut se demander si elle n’aurait pas pu être prise en compte par la cour dans la caractérisation du doute raisonnable.

d - Vers un contrôle de l’indépendance et de l’impartialité par l’ordre public international ?

L’idée selon laquelle l’indépendance du tribunal arbitral relève de l’ordre public (international) n’est pas nouvelle et a déjà été soutenue en doctrine (M. Henry, Le devoir d’indépendance de l’arbitre, avant-propos J.-D. Bredin, préf. P. Mayer, LGDJ, coll. « Bibli. de droit privé », 2001, spéc. n° 431 ; M. Henry, note ss Reims, 2 nov. 2011, Avax c/ Tecnimont, Rev. arb. 2012. 112, n° 26 ; P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n° 1622). Pour autant, elle n’a jamais emporté – à notre connaissance – de réelles conséquences en jurisprudence.

C’est désormais chose faite, et d’une manière imprévisible. Dans l’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999), la cour énonce qu’« en ce qu’il serait ainsi porté atteinte au principe d’égalité entre les parties et aux droits de la défense, une sentence rendue par un arbitre dont le défaut d’indépendance serait établi, heurterait l’ordre public international ». D’emblée, on remarque la mention de la seule indépendance, contrairement à l’impartialité. Peut-on envisager une distinction, seule l’indépendance relevant de l’ordre public international, à l’exclusion de l’impartialité ? En réalité, la réponse – négative – est déjà donnée par la jurisprudence, dans l’arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413)

Reste que, pour que cette qualification d’ordre public international ait un intérêt, il faut qu’elle emporte des conséquences juridiques. C’est justement sur ce point que l’apport de l’arrêt est majeur. Il faut reprendre les faits pour le comprendre. Pour discuter la constitution du tribunal arbitral, le requérant s’est prévalu des deux arguments : la proximité géographique entre le domicile de l’arbitre et un immeuble appartenant à une des parties (sur le même palier) ; les liens entre l’arbitre et un cabinet d’avocats. Or on se rappelle que ces deux griefs ont été rejetés, d’une part car une des parties n’a pas participé à la demande de récusation, d’autre part parce que l’autre n’a pas réitéré ses réserves devant le tribunal arbitral. Ce sont pourtant les mêmes griefs qui sont invoqués au soutien de l’ordre public international.

Dès lors qu’il y a identité parfaite entre les fondements factuels invoqués au soutien des deux griefs, on peut s’attendre à ce que les moyens subissent le même sort. Pourtant, ce n’est pas le cas. Là où le grief est déclaré irrecevable sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile, son bien-fondé est examiné sur le fondement de l’article 1520, 5°, les deux parties étant manifestement recevables ! On peut imaginer deux explications. La première est que la cour a considéré que l’irrecevabilité n’a pas été invoquée au titre de ce cas d’ouverture par le défendeur. C’est néanmoins très improbable, puisque l’on peut lire dans l’arrêt que le défendeur s’est référé à ses développements sur la régularité de la constitution du tribunal. La seconde explication est donc la plus plausible : le moyen tiré du manquement aux exigences d’indépendance et d’impartialité est examiné indépendamment d’une quelconque renonciation.

Naturellement, on pourra se réjouir que la jurisprudence restrictive sur la recevabilité du grief en matière de constitution du tribunal arbitral puisse être contournée par la voie de l’ordre public international. On peut d’autant plus le faire que nous venons de critiquer plus haut la nouvelle exigence pesant sur les parties de renouveler leurs contestations devant le tribunal arbitral après le rejet de la demande de récusation.

Néanmoins, ce n’est pas l’appréciation que nous en faisons. D’abord, parce qu’il est artificiel d’appliquer un régime distinct à une question identique en fonction du cas d’ouverture utilisé. Il y a un cas d’ouverture dédié aux questions d’indépendance et d’impartialité, et l’utilisation de l’ordre public international ne doit pas permettre d’en contourner le régime. Ensuite, parce que ce n’est pas parce qu’un moyen relève de l’ordre public international qu’il n’est pas susceptible de renonciation. La cour justifie cette inclusion dans le 5° par la référence à l’égalité des parties et aux droits de la défense. Dans un cas comme dans l’autre, il a déjà été jugé que ces griefs sont susceptibles de renonciation. La cour d’appel de Paris a retenu que « le principe d’égalité des armes relève de l’ordre public international de protection, de sorte qu’il est loisible à une partie de renoncer à son bénéfice » (Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 mai 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP E 2020, n° 4, p. 37, obs. J. Ortscheidt). Il en va de même concernant l’ordre public procédural (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, préc.). En conséquence, il ne doit pas suffire de basculer sur l’ordre public international pour échapper à la renonciation.

Ainsi, les insatisfactions que nous avons exprimées quant à une exigence trop importante de la jurisprudence sur la recevabilité du grief ne doivent pas être palliées par le recours à l’ordre public international. C’est en revenant à une appréciation raisonnable de la recevabilité que la jurisprudence pourra trouver un équilibre.

Reste à savoir, si cette différence quant à la recevabilité s’accompagne d’une différence sur le fond. Il est difficile d’apporter une réponse tranchée. Dans l’arrêt Fiorilla, la cour énonce qu’« il appartient au juge d’apprécier l’impartialité de l’arbitre en relevant toute circonstance de nature à affecter le jugement de celui-ci et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur cette qualité qui est de l’essence de la fonction arbitrale ». La formule est proche de celle utilisée dans un arrêt Creighton c/ Qatar (Civ. 1re, 16 mars 1999, n° 96-12.748, D. 1999. 497 image, note P. Courbe image ; RTD com. 1999. 850, obs. E. Loquin image ; Gaz. Pal. 2001, n° 52, p. 10, obs. E. du Rusquec). La référence au doute raisonnable laisse entendre que le régime n’est pas différent que lorsque le grief est examiné sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile. L’arrêt Pharaon est plus ambigu. La cour exige la caractérisation « d’un défaut d’indépendance de l’arbitre » (§ 145) ou d’un « lien de dépendance de l’arbitre » (§ 148). Néanmoins, la référence à un « courant d’affaires », notion régulièrement utilisée en matière de constitution du tribunal arbitral, laisse entendre que les éléments à caractériser ne sont pas si différents.

En définitive, ces arrêts Pharaon et Fiorilla ouvrent une nouvelle voie pour se prévaloir de circonstances mettant en doute l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral. D’une part, ils permettent un sauvetage du grief et d’éviter ainsi une irrecevabilité ; d’autre part, le régime du contrôle, s’il n’est pas encore certain, ne semble pas devoir différer de celui appliqué à l’occasion d’un examen réalisé sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile.

3 - Le respect du contradictoire

L’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) est riche de contestations concernant le respect du contradictoire par le tribunal arbitral. Un passage mérite d’être mentionné. Il est reproché au tribunal arbitral d’avoir accepté d’entendre certains témoins, en violation de la loi algérienne, applicable à la procédure. Le moyen est écarté, la cour faisant prévaloir le Règlement d’arbitrage de la CCI sur la loi algérienne. Dès lors que ce règlement autorise le tribunal arbitral à entendre des témoins et que la question de cette audition a été débattue, il n’y a aucune violation du contradictoire, nonobstant le contenu de la loi algérienne.

4 - L’ordre public international

L’arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413) retient deux solutions déjà connues en droit de l’arbitrage international. La première, que personne n’ignore, est que l’annulation de la sentence par les juridictions du siège ne fait pas obstacle à ce que la sentence soit revêtue de l’exequatur en France. Pour ce faire, l’arrêt rappelle les principes posés par les arrêts Hilmarton et Putrabali (Civ. 1re, 23 mars 1994, n° 92-15.137, Hilmarton, D. 1994. 91 image ; Rev. crit. DIP 1995. 356, note B. Oppetit image ; RTD com. 1994. 702, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin image; Rev. arb. 1994. 327, note C. Jarrosson ; JDI 1994. 701, note E. Gaillard ; 10 juin 1997, nos 95-18.402 et 95-18.403, Hilmarton, Bull. civ. I, n° 195 ; D. 1997. 163 image ; RTD com. 1998. 329, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin image ; Rev. arb. 1997. 376, note P. Fouchard ; ibid. 329, spéc. n° 17 ; JDI 1997. 1033, note E. Gaillard ; 29 juin 2007, n° 05-18.053, Putrabali, Bull. civ. I, nos 250 et 251 ; D. 2007. 1969, obs. X. Delpech image ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay image ; ibid. 1429, chron. L. Degos image ; Rev. crit. DIP 2008. 109, note S. Bollée image ; RTD com. 2007. 682, obs. E. Loquin image ; JDI 2007. 1236, note T. Clay ; LPA 2007, n° 192, p. 20, note M. de Boisséson ; Rev. arb. 2007. 507, note E. Gaillard ; RJDA 2007. 883, obs. J.-P. Ancel ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 3, obs. S. Lazareff ; ibid. 14, note P. Pinsolle ; JCP 2006. I. 216, § 7, obs. C. Seraglini ; Bull. ASA 2007. 217, note P.-Y. Gunter). La seconde est que la reconnaissance d’une sentence peut être refusée si deux décisions sont inconciliables. Or, tel n’est pas le cas lorsqu’une partie se prévaut d’une transaction antérieure à la sentence, laquelle n’a pas été reconnue en France et a été écartée par les arbitres.

Par ailleurs, un arrêt CMRT (Paris, 29 juin 2021, n° 20/01304) laisse entendre que le principe d’exécution de bonne foi des conventions est d’ordre public international. L’arrêt n’est pas tout à fait probant, mais en évoquant « sous couvert d’une violation de l’ordre public international et du principe d’exécution des contrats de bonne foi » et en rejetant le moyen en ce qu’il tend en réalité à demander la révision au fond, il laisse ouvert la porte à une discussion sur ce point. En revanche, il est beaucoup plus clair sur la question du non-respect d’une clause de conciliation préalable, qui n’est pas examinée sur le fondement de l’ordre public international.

C - Les autres voies de recours

Pour l’essentiel, les recours exercés contre les sentences arbitrales sont des recours en annulation ou, le cas échéant, des recours contre l’ordonnance d’exequatur. Pourtant, d’autres recours existent, en fonction des caractéristiques de l’arbitrage. On évoquera dans cette chronique l’appel (1), le recours en annulation devant le Conseil d’État (2) et le recours devant la CEDH (3).

1 - L’appel contre une sentence arbitrale

Le décret du 13 janvier 2011 a changé les règles applicables en matière d’appel contre les sentences internes. Dans le droit antérieur, à défaut de volonté contraire, l’appel était le principe ; désormais, à défaut de volonté contraire, l’appel est l’exception (C. pr. civ., art. 1489). Si la solution est simple, les questions de droit transitoire restent à régler. C’est à l’une d’elles qu’est confrontée la cour d’appel de Paris, puisque la clause figure dans des statuts datant de 1995 (Paris, 29 juin 2021, n° 21/05848, CO.FE.DE). Pour la résoudre, la cour rappelle l’article 3, 1°, du décret qui énonce : « 1° Les dispositions des articles 1442 à 1445, 1489 et des 2° et 3° de l’article 1505 du code de procédure civile s’appliquent lorsque la convention d’arbitrage a été conclue après la date mentionnée au premier alinéa ». Ainsi, la solution est d’ores et déjà prévue par le texte. Néanmoins, elle est discutée dans l’affaire, notamment parce que les statuts ont été modifiés après l’entrée en vigueur de la loi. Pour la cour, ces modifications n’y changent rien, dès lors que la clause est « autonome par rapport aux statuts ». C’est donc l’autonomie de la clause compromissoire qui fonde ce « gel » du droit applicable. Autrement dit, la clause résiste aux modifications de la convention par les parties. À suivre cette logique, on peut penser qu’il en va de même en cas de prorogation du contrat.

2 - Le recours en annulation devant le Conseil d’État

C’est un petit événement : le Conseil d’État vient de valider sa première sentence arbitrale internationale et de lui conférer l’exequatur. La décision est d’autant plus remarquable qu’elle est rendue dans l’affaire Fosmax (CE 20 juill. 2021, n° 443342, Fosmax, Lebon image ; AJDA 2021. 1540 image), là où justement a été annulée une première sentence (CE 9 nov. 2016, n° 388806, Fosmax, Lebon avec les concl. image ; AJDA 2016. 2133 image ; ibid. 2368 image, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet image ; D. 2016. 2343, obs. J.-M. Pastor image ; ibid. 2589, obs. T. Clay image ; ibid. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; RFDA 2016. 1154, concl. G. Pellissier image ; ibid. 2017. 111, note B. Delaunay image ; RTD com. 2017. 54, obs. F. Lombard image ; Rev. arb. 2017. 179, note J. Billemont ; ibid. 2017. 254, note M. Audit et C. Broyelle ; Cah. arb. 2017. 977, note M. Laazouzi et S. Lemaire ; JCP A 2017, n° 19, p. 25, note O. le Bot ; JCP 2016. 2148, note S. Bollée ; JCP E 2017, n° 2, p. 43, note C. Serain ; Procédures 2017. Comm. 10, obs. L. Weiller). Plus encore, le contrôle réalisé par le Conseil d’État donne le sentiment de se stabiliser et ne révèle, au moins dans cet arrêt, aucune velléité de s’aventurer très loin dans l’examen du raisonnement des arbitres.

Sur la nature du contrôle, le Conseil d’État reprend mot pour mot les règles qu’elle a déjà retenues dans son précédent arrêt. Pour mémoire, nous les reproduisons : « Lorsqu’il est saisi d’un recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, il appartient au Conseil d’État de s’assurer, le cas échéant d’office, de la licéité de la convention d’arbitrage, qu’il s’agisse d’une clause compromissoire ou d’un compromis. Ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d’une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d’autre part, de ce qu’elle est contraire à l’ordre public. S’agissant de la régularité de la procédure, en l’absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent, s’il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d’indépendance et d’impartialité, s’il n’a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s’il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s’il n’a pas motivé sa sentence. S’agissant du contrôle sur le fond, une sentence arbitrale est contraire à l’ordre public lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne ».

En synthèse, le Conseil d’État rappelle que le contrôle de la sentence arbitrale n’a pas vocation à conduire à une révision au fond de la sentence. Si les cas d’ouverture ne sont pas transposés du code de procédure civile, il reste que l’on identifie de très forts liens de parenté avec ce texte et avec la Convention de New York.

Dans la réalisation du contrôle, le Conseil d’État ne va pas au-delà de ce qu’il a annoncé. Ainsi, pour un grief tiré du défaut de motivation de la sentence, il se limite à constater que la sentence est motivée ; pour un grief relatif à la violation de l’autorité de la chose jugée, le Conseil d’État constate qu’il ne remet pas en cause la compétence du tribunal arbitral ; enfin, pour un grief tiré de la violation des « règles relatives à la mise en régie », il constate qu’il n’est pas susceptible de caractériser une contrariété à l’ordre public international.

En définitive, on peut se réjouir que le Conseil d’État prenne progressivement la mesure de ses nouvelles fonctions de juge des sentences arbitrales. Le travail réalisé dans cette décision révèle une recherche d’équilibre entre, d’un côté un contrôle limité des sentences pour respecter la volonté des parties de soumettre le litige à l’arbitrage et, de l’autre, réserve la possibilité d’un contrôle plus approfondi sur des problématiques qui heurtent de front les principes du droit public.

3 - Arbitrage et Cour européenne des droits de l’homme

Existe-t-il un droit d’accès au Tribunal arbitral du sport ? Telle est en substance la question posée dans un arrêt Ali Riza (CEDH 13 juill. 2021, n° 74989/11). Un litige oppose un joueur Turc à son ancien club de football, Turc également. Après deux décisions devant la Fédération de Football Turque (par le Comité de résolution des litiges, puis par le Comité d’arbitrage de la FFT), le joueur tente de saisir le Tribunal arbitral du sport. Celui-ci décline sa compétence, au motif que ni les statuts de la FIFA ni le règlement de 2008 du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA ne fondent sa compétence, pas plus que le règlement du Comité d’arbitrage de la FFT qui exige, pour une saisine du TAS, une internationalité du litige.

Après un rejet du recours par le Tribunal fédéral Suisse, le joueur saisit la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Convention. En substance, il considère que le refus du Tribunal arbitral du sport de se reconnaître compétent pour trancher le litige constitue une atteinte à son droit d’accès au juge. La Cour ne rejette pas d’emblée l’argument et valide implicitement l’hypothèse : il peut y avoir une atteinte au droit d’accès au juge à la suite d’une sentence d’incompétence. Ce n’est pas rien de le dire ! Toutefois, le contrôle réalisé par la Cour est réduit. Elle énonce qu’il s’agit d’un « contrôle européen limité ». Surtout, elle se limite à reprendre le cheminement du tribunal arbitral pour constater, en définitive, que « le TAS a, dans le cadre d’une décision motivée et détaillée, expliqué de manière convaincante pourquoi il ne pouvait pas connaître du litige et, en particulier, pourquoi le litige ne revêtait pas un élément international ». Ainsi, la Cour est loin de réaliser un contrôle équivalent à celui qui se fait habituellement devant un juge de l’annulation. Il n’en demeure pas moins que le contrôle existe et que l’arrêt révèle que, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, une décision d’incompétence peut priver une partie de son droit d’accès à un tribunal. Voilà qui est une piste intéressante à creuser pour les praticiens !

V - La responsabilité de l’arbitre

Il y a quelques mois, le tribunal judiciaire de Paris rendait un jugement remarqué sur la compétence internationale pour connaître d’une action en responsabilité de l’arbitre (TJ Paris, 31 mars 2021, n° 19/00795, Dalloz actualité, 17 mai 2021, obs. P. Capelle ; ibid. 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. 915, note I. Fadlallah ; ibid. 1214, note L. Jandard). Dans une décision solidement motivée, mais discutable dans les choix réalisés, le tribunal a conclu à l’application du règlement Bruxelles 1 bis et a écarté comme critère de rattachement le siège de l’arbitrage. En appel, la décision est sèchement infirmée par la cour (Paris, 22 juin 2021, n° 21/07623, Saad Buzwair), qui contredit le tribunal judiciaire sur les deux points qu’il a eu à juger.

Sur l’applicabilité du règlement Bruxelles 1 bis, la cour considère que celui-ci n’est applicable au motif que l’article 1.2 (d) exclut l’arbitrage de son champ d’application. Pour le justifier, elle retient que « l’action visant à mettre en cause la responsabilité d’un arbitre après l’annulation d’une sentence arbitrale fondée sur le manquement de ce dernier [à] son obligation de révélation est étroitement liée à la constitution du tribunal arbitral et à la conduite de l’arbitrage puisqu’elle vise à apprécier si l’arbitre a exercé, conformément à ses obligations découlant de son contrat d’arbitre, sa mission, laquelle participe de la mise en œuvre de l’arbitrage ». La formule est intéressante, en ce qu’elle fait le lien entre l’arbitrage et l’action en responsabilité pour justifier l’exclusion. Reste à savoir si elle est suffisamment robuste pour écarter toute action en responsabilité du champ d’application du règlement. On imagine aisément un plaideur souligner que son action en responsabilité n’est pas « fondée sur le manquement de ce dernier à son obligation de révélation ». Faut-il exclure les autres actions, notamment celles fondées sur le non-respect du délai de l’arbitrage ? Sans doute pas, car ce dernier est aussi lié à la « conduite de l’arbitrage ». On voit bien qu’il peut y avoir des discussions, même si, ainsi rédigée, la règle semble avoir une portée générale.

Sur le facteur de rattachement, là encore, la cour s’oppose à l’analyse du tribunal judiciaire. Elle retient qu’« en matière d’arbitrage international, sauf volonté contraire des parties, le juge étatique du lieu de la prestation de service pour statuer sur une action en responsabilité dirigée contre l’arbitre dans l’exécution du contrat d’arbitre est celui dans le ressort duquel se situe le siège de l’arbitrage ». En plus du domicile du défendeur, critère classique de compétence, le siège de l’arbitrage est considéré comme lieu d’exécution du contrat et donne compétence à ce juge pour connaître de l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. La cour s’en explique, en ajoutant que « le contrat d’arbitre participe de la nature mixte de l’arbitrage, contractuelle par sa source et juridictionnelle par son objet, et dérive de la convention d’arbitrage à laquelle il est étroitement lié. Ainsi, la prestation de service d’un arbitre consiste en l’accomplissement de sa mission de trancher le litige qui lui est soumis par les parties et comprend celle de rendre une sentence au siège de l’arbitrage choisi par les parties ou en accord avec elles. Il y a lieu en conséquence, eu égard à la nature particulière du contrat d’arbitre, étroitement lié à la convention d’arbitrage, de considérer que le lieu de l’exécution de la prestation de l’arbitre se situe audit siège, quand bien même la procédure d’arbitrage et les travaux de réflexion des arbitres ont pu, en accord entre les parties, se dérouler en d’autres lieux ».

Naturellement, on pourra discuter de cette formule, en soulignant que les arbitres bénéficient, pour l’essentiel au moins, d’une immunité dans l’exercice de leur mission juridictionnelle et qu’il est dès lors paradoxal de faire de cet élément un critère central dans la détermination du lieu où les seuls aspects contractuels de la responsabilité seront examinés. Reste qu’elle rappelle à juste titre la complexité de la mission de l’arbitre, dont les aspects contractuels et juridictionnels ne peuvent facilement être démêlés. Or, quand bien même c’est une fiction juridique (sur les fictions juridiques en arbitrage, même si celle-ci n’est pas évoquée, E. Silva Romero, Les « fictions juridiques » dans le langage du droit français de l’arbitrage international, Rev. arb. 2021. 343), c’est bien le siège de l’arbitrage qui est le lieu de déroulement de l’arbitrage. En conséquence, il est logique que, au sens de l’article 46 du code de procédure civile, il s’agisse aussi du lieu d’exécution du contrat d’arbitre (si tant est que l’on accepte son existence, L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, thèse ss la dir. de F.-X. Train, 2018). En tout cas, le principal intérêt de cette solution réside dans l’unité du facteur de rattachement en présence d’une pluralité d’arbitres. En effet, le siège pourra systématiquement être retenu, là où la solution du tribunal judiciaire qui s’intéresse au lieu effectif de travail des arbitres risque d’entraîner un éclatement.

On signalera encore l’incise « sauf volonté contraire des parties ». La cour réserve ainsi la possibilité d’un juge désigné par les parties. Si cette possibilité est plutôt théorique, il arrive qu’un contrat soit rédigé, notamment parce que l’on trouve certains modèles en ligne (on en trouve un sur le site du CNB). Dès lors, rien n’interdit d’y faire figurer une clause attributive de juridiction.

Cela dit, il faut bien avoir conscience que l’affaire est potentiellement loin d’être finie. D’une part, on ne sera pas étonné en cas d’intervention de la Cour de cassation. D’autre part, et plus fondamentalement, il n’est pas à exclure une intervention de la Cour de justice. Autant dire que, dans cette hypothèse, on en tremble d’avance.