Des difficultés persistantes
Par sûretés grevant le fonds de commerce, il faut entendre le privilège du vendeur de ce fonds et le nantissement dudit fonds. Malgré une volonté de clarification du droit positif, ces sûretés ont été les oubliées de la grande réforme intervenue à l’occasion de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés. En effet, ni l’une ni l’autre ont été directement touchées par le nouveau texte. Cependant, leurs régimes et leur efficacité subissent tout de même quelques incidences des règles nouvelles. En effet, le régime spécial du nantissement sur fonds de commerce est source de difficultés pratiques en raison de l’absence d’harmonisation (R. Dammann, La réforme des sûretés mobilières : une occasion manquée, D. 2006. 1298 ), notamment s’agissant de la possibilité ou non de conclure un pacte commissoire et celle de nantir un fonds futur (A. Reygrobellet, Fonds de commerce, Dalloz Action, 2012, nos 73.22 et 73.39). Par ailleurs, l’efficacité de ces sûretés est critiquée par la doctrine alors qu’elles sont fréquemment utilisées – du moins le nantissement – par les entreprises pour garantir leurs financements (M.-P. Dumont-Lefrand et H. Kenfack [dir.] et alii, Droit et pratique des baux commerciaux 2021/2022, 6e éd., Dalloz Action, 2020, n° 783.08). Concernant le droit de préférence reconnu au vendeur du fonds, sa portée réduite lui est reprochée : dans la mesure où le législateur protège les intérêts des créanciers chirographaires de l’acquéreur, le code de commerce dérogeant au principe d’indivisibilité du droit commun des sûretés en vertu duquel toute sûreté garantit la totalité de la dette, il y a un fractionnement du privilège en trois parties (marchandises, matériel, éléments incorporels) et surtout, le paiement des acomptes s’impute chronologiquement sur les marchandises, puis le matériel et, enfin, les éléments incorporels, ce qui implique que la garantie effective dont dispose le vendeur ne s’exerce quasiment jamais sur la totalité de la créance impayée du prix de vente (ibid., n° 783.06 ; A. Reygrobellet, Fonds de commerce, op. cit., n° 71.21 ; S. Rezek, Réflexion sur l’unité du privilège de vendeur de fonds de commerce, JCP N juill. 2011, n° 29, étude 1224 ; S. Rezek, Vingt raisons de réformer la vente des fonds de commerce, JCP N sept. 2006, n° 39, étude 1311). Quant au nantissement, de nombreux griefs sont formulés à son encontre. Au-delà de la complexité de son mode de constitution et son rang relativement médiocre (P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, RD banc. fin. juill. 2008, n° 4, étude 13), il ne permet généralement pas au créancier d’être désintéressé de façon satisfaisante dans la mesure où celui-ci ne peut ni se prévaloir d’un droit de rétention même fictif ni demander l’attribution judiciaire ni en conséquence insérer dans le contrat de nantissement un pacte commissoire et la vente forcée du fonds n’est pas d’un grand secours dans le sens où ledit fonds a généralement perdu une grande partie de sa valeur (A. Reygrobellet, Fonds de commerce, op. cit., n° 71.22 ; M.-P. Dumont-Lefrand et H. Kenfack [dir.] et alii, Droit et pratique des baux commerciaux 2021/2022, op. cit., n° 783.07 ; P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, art. préc.). Qui plus est, l’étroitesse de son assiette est également décriée par certains auteurs, ceux-ci estimant incongrues les restrictions opérées par l’article L. 142-2 du code de commerce qui énumère certains éléments du fonds de commerce alors que « l’universalité de la notion de fonds de commerce ouvrait des perspectives intéressantes » (P. Deniau et P. Rouast-Bertier, Les sûretés réelles dans les financements de projet après l’ordonnance du 23 mars 2006, préc. ; S. Rezek, Vingt raisons de réformer la vente des fonds de commerce, préc.). Voilà bien des doléances que le législateur de 2006 aurait dû entendre, mais il n’en fût rien. Par l’ordonnance de réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021, le législateur est venu impacter les deux garanties en modifiant les dispositions relatives au fonds de commerce dans le code de commerce, mais cela est-il bien suffisant ? Alors que les objectifs poursuivis par la réforme réunissaient la sécurité juridique, le renforcement de l’efficacité du droit des sûretés avec un maintien d’un niveau de protection satisfaisant des constituants et des garants ainsi que le renforcement de l’attractivité du droit français, notamment sur le plan économique, on constate que les changements apportés sont essentiellement superficiels, ce qui, certes, offre une simplification et une meilleure lisibilité des certaines règles en cause, mais ne s’attaque pas aux problèmes d’efficacité et d’attractivité économique en profondeur.
Des apports superficiels
Parmi les améliorations issues de l’ordonnance, on relate d’abord la simplification de certaines règles relatives à la publicité du nantissement du fonds de commerce. Alors que certaines dispositions relatives à la publicité de ce nantissement complexifiaient inutilement les formalités d’inscription et fragilisaient la sécurité de cette garantie (Rapport au président de la République, sept. 2021, texte n° 18 ; Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés), le nécessaire a été fait avec la modification du second alinéa de l’article L. 142-3 du code de commerce, et la suppression du premier alinéa de l’article L. 142-4 du même code. Ainsi, le défaut d’inscription du nantissement dans le délai préfix n’est plus sanctionné par la nullité, mais par l’inopposabilité de l’acte. Il en va de même pour le défaut d’inscription à l’Institut national de la propriété industrielle qui se voit frappé d’inopposabilité selon la nouvelle formule de l’article L. 143-17, alinéa premier. La même substitution de sanctions (de la nullité par l’inopposabilité) est adoptée pour les défauts d’inscription du privilège du vendeur du fonds de commerce avec la reformulation des articles L. 141-6, alinéa premier et L. 143-17, alinéa premier. On recense également des remaniements terminologiques puisqu’il n’est plus question de « créancier gagiste » mais de « créancier nanti » ou de « créancier inscrit ». De la même manière, les deux sûretés ne sont plus qualifiées de « gages », mais par leur propre appellation. Cela est plutôt bienvenu pour dissiper les éventuelles confusions. Enfin, en vue de clarifier les règles de classement entre créanciers inscrits sur l’entier fonds et ceux inscrits sur un seul élément du fonds, en cas de vente de ce dernier, un nouvel article L. 143-15-1 fait son entrée dans le code de commerce, prévoyant que l’ordre sera fonction de l’antériorité de la date de l’inscription, sans autre distinction. De même, une réorganisation de l’articulation de l’article L. 143-3 est opérée qui précise la procédure par laquelle le juge est saisi d’une demande de vente du fonds en cas de poursuite de saisie-vente à l’encontre de son propriétaire.
Pour le reste, il échet d’admettre que les codificateurs n’ont pas dissout les problématiques de fond intéressant par exemple l’unification de l’assiette du privilège du vendeur de fonds de commerce. Le travail de juriste n’est donc toujours pas facilité sur ce point puisqu’il continuera à effectuer le choix de l’imputation des paiements (S. Rezek, Réflexion sur l’unité du privilège de vendeur de fonds de commerce, préc.). Le droit de préférence de ce privilège n’est pas non plus renforcé dans la mesure où il ne subsiste pas sur le prix de revente de l’ensemble du fonds jusqu’à extinction totale de la dette garantie par le privilège (ibid.). Rien n’est prévu aussi pour corriger l’incohérence du droit de suite en cas de revente du fonds grevé. Le droit de suite est accordé au créancier inscrit uniquement lors de la revente du fonds de commerce dans son universalité alors que le droit de préférence ne lui est réservé que sur les seuls éléments sur lesquels subsiste le privilège de vendeur de fonds de commerce par suite de l’imputation d’ordre public des paiements à terme ou des mensualités bancaires, ce qui est paradoxal (ibid.). Pourtant, l’ordonnance de réforme aurait pu être l’opportunité de cette unification pour simplifier la constitution et l’exercice de ce privilège et améliorer la protection du créancier inscrit sans pour autant léser le débiteur propriétaire du fonds grevé. En outre, le silence est gardé à l’égard des incertitudes inhérentes au nantissement du fonds de commerce en formation, tout comme à propos de la possibilité ou non de conclure un pacte commissoire. S’agissant encore de l’assiette du nantissement du fonds de commerce, aucune innovation n’est envisagée. Cet état des lieux sommaire ne laisse donc pas présager de grands chamboulements.
Des perspectives circonscrites
Ces deux sûretés ne ressortent pas vraiment grandies de cette nouvelle réforme. Et on songe presque à une seconde occasion manquée du législateur (après celle de 2006) de s’attaquer au régime des garanties affectant le fonds de commerce. Si on reconnaît bien volontiers que ces deux garanties demeurent utilisées par la pratique, souvent couplées, et qu’elles présentent une certaine attractivité notamment pour les bailleurs de fonds engagés dans les financements de projet , il reste qu’eu égard aux objectifs défendus par la réforme et à l’utilité des sûretés, qui n’est autre que de gérer le risque d’insolvabilité de son partenaire, ou tout au moins de renforcer ses chances de paiement en aménageant des mécanismes propices à développer la confiance en son débiteur, quelques améliorations auraient probablement mérité de voir le jour. Les perspectives d’avenir du privilège du vendeur et du nantissement de fonds de commerce semblent ainsi circonscrites.
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
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• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
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