Les réformes de procédure ne vont pas sans leur lot d’incertitudes. Il en est ainsi de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a, notamment, étendu les règles de la représentation obligatoire par avocat (Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. A. Bolze). Dans le prolongement de cette loi, l’article 11 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a modifié les articles R. 311-9, R. 311-12, R. 311-20 et R. 411-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique pour permettre l’extension de la représentation obligatoire dans les procédures qui sont expressément soumises à la procédure d’indemnisation décrite aux articles R. 311-9 et suivants du code de l’expropriation. L’article R. 311-9 de ce code dispose que « […] les parties sont tenues de constituer avocat. L’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ».

Dès lors, comment appliquer cette réforme au regard des règles régissant la territorialité de la postulation ? La réponse n’est pas évidente, que l’avis du 6 mai 2021 apporte en plusieurs temps.

La formation pour avis de la deuxième chambre civile a été saisie d’une demande d’avis, émanant de la juridiction de l’expropriation des Hauts-de-Seine, ainsi formulée : « Les règles relatives à la territorialité de la postulation prévue aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 s’appliquent-elles à l’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics ou aux propriétaires expropriés ou préemptés, ou à l’ensemble de ces parties, dans les instances introduites devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel en matière judiciaire d’expropriation consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire ? »

Pour trancher cette question, la haute juridiction a dû répondre à deux autres interrogations, celles de savoir :

si la juridiction de l’expropriation est autonome du tribunal judiciaire

La réponse de la haute juridiction a été sans ambiguïté : « 6. Le code de l’organisation judiciaire distingue du tribunal judiciaire les juridictions d’attribution énumérées à l’article L. 261-1 de ce code. Les dispositions de ce texte renvoient au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique lequel, dans son article L. 211-1, institue le juge de l’expropriation. 7. Il en résulte que le juge de l’expropriation est une juridiction d‘attribution distincte du tribunal judiciaire […] ».

ce qu’il en est devant la cour d’appel

« 8. Les appels contre les décisions du juge de l’expropriation sont formés devant la cour d’appel en application de l’article L. 211-3 du code de l’expropriation pour cause d‘utilité publique […]. »

Préalable : notion de postulation et de territorialité de celle-ci

La demande d’avis évoque la notion de postulation. Il n’est pas inutile de revenir sur celle-ci qui est loin d’être évidente, même si elle n’est pas nouvelle. Curieusement, la loi n’en donne pas de définition. Il faut donc se référer à la doctrine. Selon le doyen Cornu, la postulation est « la mission consistant à accomplir au nom d’un plaideur les actes de la procédure qui incombent, du seul fait qu’elle est constituée, à la personne investie d’un mandat de représentation en justice » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, v° Postulation). On peut également faire appel aux bâtonniers H. Ader et A. Damien pour qui « La postulation pour autrui est la représentation appliquée à des hypothèses limitées où la partie ne peut légalement être admise elle-même à faire valoir ses droits et où la loi prévoit que cette représentation obligatoire sera confiée à une personne qualifiée (avocat, [ancien avoué] à la Cour). Le législateur […] n’a pas voulu laisser les plaideurs choisir entre la possibilité de se présenter eux-mêmes en justice ou celle de confier leur représentation à un auxiliaire de justice. C’est ce mode particulier de représentation qu’on désigne sous le vocable de postulation » (H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocat 2016/2017, 15e éd., Dalloz action, 2016, n° 622.91).

Or la règle qui joue lorsque la représentation est obligatoire est celle de la territorialité de la postulation : seul un avocat du barreau de la cour d’appel peut représenter un plaideur au sein de cette cour, seul il peut postuler.

Cette règle est énoncée dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 relative à l’exercice de la profession d’avocat, plus précisément, par son article 5 qui dispose que « les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4. / Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel. / Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie ».

Aujourd’hui, ces règles s’appliquent donc devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel (v. avis, n° 5), à la suite d’une évolution. La loi « Macron » n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait en effet élargi le champ de la postulation à la cour d’appel (auparavant celui-ci était circonscrit au tribunal de grande instance) : depuis le 1er août 2016, sauf exception, les avocats ont pu postuler devant tous les tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel (H. Ader et A. Damien, op. cit., n° 622.111) ; les Sages ont considéré que ces nouvelles règles n’affectent pas les conditions d’accès au service public de la justice (Cons. const. 5 août 2015, n° 2015-715 DC).

On se souvient que, le 5 mai 2017 (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005 P, Dalloz actualité, 10 mai 2017, obs. C. Bléry), la Cour de cassation avait rendu un avis sur cette question de la postulation devant les cours d’appel en matière prud’homale. En effet, la loi Macron avait supprimé le monopole des avocats pour la représentation devant la cour d’appel en matière sociale, « un défenseur syndical exer[çant] des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale » (C. trav., art. L. 1453-4, al. 1er) et le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail avait mis en œuvre la procédure avec représentation obligatoire devant les cours d’appel en matière prud’homale, pour les appels formés à compter du 1er août 2016.

La question s’était alors posée de savoir si la territorialité de la postulation devait désormais jouer devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale, puisque la représentation y était devenue obligatoire. La haute juridiction avait estimé que « l’application des dispositions du code de procédure civile relatives à la représentation obligatoire devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale n’implique pas la mise en œuvre des règles de la postulation devant les cours d’appel, les parties pouvant être représentées par tout avocat, si elles ne font pas le choix d’un défenseur syndical ». Depuis lors, il a été précisé que la territorialité joue pour les défenseurs syndicaux (périmètre d’une région administrative, C. trav., art. L. 1453-4, al. 3, issu de l’ord. n° 2017-1718, 20 déc. 2017).

Principal : application de la ROA dans la réforme Belloubet

La réforme Belloubet a étendu la représentation obligatoire par avocat (ROA). La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et surtout le décret du 11 décembre 2019 ont changé les règles (v. Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. A. Bolze, préc.), notamment en matière d’expropriation, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus.

Sans exhaustivité, rappelons qu’une telle représentation est en principe imposée devant le tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 760) – donc y compris en référé – et en particulier dans les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal sauf pour les matières qui en sont expressément dispensées (avec le décr. n° 2020-1452, 27 nov. 2020), la ROA n’est donc plus systématique pour les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 761, al. 2 ; Dalloz actualité, 1er déc. 2020, obs. F.-X. Berger). Ceci sauf dispenses prévues à l’article 761.

Il en est de même devant certaines juridictions autonomes au sein du tribunal judiciaire. Par exemple, devant le juge de l’exécution, la représentation obligatoire est devenue le principe. C’est le cas aussi, on l’a dit, devant le juge de l’expropriation.

Devant la cour d’appel, le domaine des procédures avec représentation obligatoire a été étendu : en particulier, il comprend, désormais, l’expropriation (C. expr., art. R. 311-9, al. 2, in limine).

Or « l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration » (C. pr. civ., art. 761, al. 3, devant le TJ ; CPCE, art. R. 121-7, et aussi L. n° 2019-222, art. 5, modifiant L. n° 2007-1787, 20 déc. 2007, art. 2, I, devant le JEX ; C. expr., art. R. 311-9, al. 2, in fine, devant le juge de l’expropriation et art. R. 311-27, devant la cour d’appel en cette matière).

Ces nouvelles dispositions ont conduit à s’interroger sur les conséquences à tirer sur l’application des règles de la territorialité de la postulation.

Un avis de la deuxième chambre civile est venu récemment préciser la règle relative aux personnes de droit public à propos du juge de l’exécution même lorsque la représentation par avocat est obligatoire – ce que les textes n’envisageaient pas (Civ. 2e, 18 févr. 2021, n° 20-70.006 P, Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. F. Kieffer ; AJDA 2021. 426 image ; Gaz. Pal. 27 avr. 2021, p. 58, obs. S. Amrani-Mekki) : dans les instances introduites postérieurement au 1er janvier 2020 devant le juge de l’exécution, l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration, même lorsque la demande n’est pas relative à l’expulsion ou a pour origine une créance ou tend au paiement d’une somme excédant 10 000 €.

C’est à nouveau à une question de ce type qu’a dû répondre la formation pour avis de la deuxième chambre civile (COJ, art. L. 441-2, al. 1er) le 6 mai 2021. D’une part, pour ladite formation, la dispense édictée par ce texte au profit de l’État, des régions, des départements et de leurs établissements publics ne s’étend pas aux autres parties, dès lors qu’elle tient à la seule qualité de la partie concernée. D’autre part, la réponse apportée est différente pour le juge de l’expropriation et pour la cour d’appel, en raison de l’autonomie du premier au sein du tribunal judiciaire.

En conséquence :

• les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne s’appliquent pas aux parties devant la juridiction du juge de l’expropriation ;

• en revanche, devant les cours d’appel, ces règles s’appliquent aux parties, y compris « lorsqu’ils choisissent d’être représentés par un avocat, à l’État, aux régions, aux départements, aux communes et à leurs établissements publics ». En conséquence, l’avis rappelé ci-dessus du 5 mai 2017 rendu en matière prud’homale n’est pas transposable en matière d’expropriation.

Mme le professeur Soraya Amrani-Mekki (note préc. sur l’avis du 18 févr.) écrivait que « la référence au tribunal judiciaire dans l’avis conduit dès lors à s’interroger sur l’autonomie de la juridiction en charge de l’exécution ». L’avis du 6 mai, lui, prend soin d’évoquer l’autonomie du juge de l’expropriation « juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire ». Dès lors, tous les avocats, quel que soit leur lieu d’exercice, peuvent représenter une partie devant le juge de l’expropriation. En revanche, devant la cour d’appel, quand l’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics font choix d’être assistés par un avocat, celui-ci ne peut être qu’un avocat qui exerce dans le ressort de la cour d’appel saisie.

L’avis du 6 mai 2021, comme déjà celui du 5 mai 2017, aboutit toutefois à déconnecter la ROA et la territorialité de la postulation.

Suite : quid de la CPVE ?

Même si la question n’était pas posée, on peut s’interroger sur la communication par voie électronique (CPVE) en matière d’expropriation (sur la CPVE, v. C. Bléry, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et européen, 10e éd., Dalloz Action, 2021/2022, ch. 273).

En première instance, l’article 850 du code de procédure civile, qui impose la remise des actes par RPVA à et par le tribunal judiciaire en procédure écrite ordinaire et à jour fixe (hors requête), ne s’applique pas ; en revanche, la CPVE est facultative (C. pr. civ., art. 748-1, 748-6 et arr. 7 avr. 2009).

En appel, en l’absence de spécificité de la procédure, c’est l’article 930-1 du code de procédure civile qui impose la CPVE. En matière prud’homale, le pouvoir réglementaire a adapté les règles aux faits en créant les articles 930-2 et 3 (le second d’ailleurs oublié dans un premier temps), puisque le défenseur syndical n’a pas accès au RPVA.

Mais quid de l’État et des personnes publiques qui ne se font pas représenter par un avocat ? En matière d’expropriation, l’article R. 311-24, alinéa 2, issu du décret n° 2017-1255 du 8 août 2017, prévoit que « l’appel est interjeté par les parties ou par le commissaire du gouvernement dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement, par déclaration faite ou adressée par lettre recommandée au greffe de la cour. La déclaration d’appel est accompagnée d’une copie de la décision ». Ce texte n’a pas été modifié depuis. Comment faut-il le comprendre ? Est-ce à dire que l’avocat devrait faire appel par RPVA (art. 930-1), mais pas l’État qui ne serait pas représenté par un tel professionnel (art. R. 311-24) ? En revanche, quid si l’État choisit d’être représenté : l’avocat aurait-il la faculté d’utiliser le RPVA ou l’obligation (comme l’avis pourrait le laisser penser) ?…

Autre question, alors que la « voie électronique » n’est plus seulement synonyme de RPVA mais que la plateforme PLEX peut, dans certains cas, être utilisée, est-ce le cas ici ? Autrement dit, l’administration a-t-elle accès à PLEX pour transmettre des actes aux juridictions en matière d’expropriation ?

Pour revenir à l’avis, en l’état actuel des textes, il semble qu’il doive être approuvé. Pour autant, une règle, quelle qu’elle soit, identique dans tous les cas, serait souhaitable. Par ailleurs, les règles dérogatoires que s’offre l’État, quel que soit le domaine, ne nous semblent pas justifiées. Cela conduit à des difficultés qui n’ont sans doute pas été perçues lors de l’adoption des dispenses de ROA.

Au moins l’avis traite-t-il les personnes morales de droit public représentées par un avocat – cas fréquent eu égard à la technicité de la matière de l’expropriation – comme un plaideur « ordinaire »…