Par Le Batonnier le vendredi 19 juin 2020
Catégorie: Actualités juridiques

Action en réparation d’une personne dont l’image a été confondue avec celle d’un terroriste

Après la publication dans différents journaux et sur certains sites de sa photographie, au lieu de celle de sa sœur, présentée comme une terroriste ayant trouvé la mort au cours d’une opération de police menée à la suite des attentats du 13 novembre 2015, la demanderesse, invoquant l’atteinte portée à son droit à l’image, assigna plusieurs organes de presse aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice, ainsi que la suppression de la photographie litigieuse sur les sites en cause. Cependant, par arrêt infirmatif en date du 31 janvier 2018, la cour d’appel de Paris décida de requalifier cette action en action fondée sur une diffamation, estimant que la diffusion de l’image de la demanderesse dans de telles conditions était constitutive d’une diffamation à son égard. Elle déclara en outre l’action prescrite en vertu de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dès lors que plus de trois mois s’étaient écoulés entre la publication et l’action intentée.

Dans son pourvoi, la demanderesse invoquait une violation de l’article 9 du code civil par refus d’application et de l’article 29 de la loi sur la presse par fausse application. Celui-ci est accueilli favorablement par la première chambre civile qui casse et annule, au visa de ces deux textes, l’arrêt d’appel. Pour ce faire, la haute juridiction commence par rappeler que « la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation ». Elle estime alors que la cour d’appel, qui a retenu que les circonstances – l’erreur grossière commise – n’ôtaient rien au fait que la photographie litigieuse et sa légende imputaient à la personne représentée un comportement criminel attentatoire à son honneur et à sa considération, a violé les dispositions susvisées dès lors que le texte accompagnant la photographie imputait des agissements criminels non pas à la demanderesse mais exclusivement à sa sœur. C’est donc à bon droit que la demanderesse s’est fondée sur l’article 9 du code civil pour demander réparation de l’atteinte portée au droit dont elle dispose sur son image du fait de la publication, par erreur, de sa photographie au lieu de celle de sa sœur.

L’article 29, alinéa 1er, de la loi sur la presse définit la diffamation comme « toute allégation ou toute imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». La diffamation suppose ainsi la réunion de quatre éléments (une allégation ou une imputation ; un fait déterminé ; une atteinte à l’honneur ou à la considération ; une personne ou un corps identifié) auxquels s’ajoute la publicité (dont les moyens sont définis à l’art. 23 de la même loi). Par rapport aux faits de l’espèce, il ne fait aucun doute que présenter quelqu’un comme un terroriste kamikaze revient à imputer à cette personne un fait précis portant atteinte à son honneur ou à sa considération. Cependant, l’atteinte diffamatoire n’était ici pas personnelle à la demanderesse (sur l’office du juge en matière d’identification de la personne diffamée, v. Rép. pén., v° Diffamation, par S. Détraz, n° 112) : elle visait exclusivement sa sœur sans qu’aucune extension à sa propre personne ne soit même insinuée, et ce en dépit de l’utilisation faite par erreur de sa photographie en guise d’illustration.

La Cour de cassation peut parfois estimer que certains propos diffamatoires rejaillissent d’une personne sur une autre, soit dans l’hypothèse où l’imputation ne vise une personne que pour en atteindre une autre par ricochet (Crim. 24 oct. 1967, n° 66-93.296, Bull. crim. n° 264 ; Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-15.165, Bull. civ. II, n° 57 ; D. 2001. 1517, et les obs.

), soit lorsque les deux personnes sont effectivement visées, l’une directement, l’autre indirectement (Crim. 29 nov. 2016, n° 15-87.641, Dalloz jurisprudence). Dans la seconde hypothèse, la haute juridiction formule la règle de manière négative (S. Détraz, art. préc. n° 109 ; v. déjà Civ. 2e, 11 févr. 1999, n° 97-10.465, Bull. civ. II, n° 25 ; D. 1999. 62

; Crim. 23 nov. 2010, n° 09-87.527, Dalloz jurisprudence), en énonçant, comme elle le fait dans le présent arrêt, que « la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation ». Faute d’une telle extension, les dispositions de la loi sur la presse ne pouvaient donc fonder l’action en réparation, et c’est bien le « droit commun » de l’article 9 du code civil qui trouvait à s’appliquer s’agissant d’une atteinte au droit à l’image, composante du droit au respect de la vie privée.