Par Le Batonnier le mardi 2 juin 2020
Catégorie: Actualités juridiques

Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la CPVE en matière civile devant les cours d’appel : entre espoir et déception…

Si 2019 a été une année riche, pour ne pas dire foisonnante, en matière de communication par voie électronique, 2020 est déjà marquée par des textes concernant la matière : outre le droit d’exception régi par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, permettant les audiences virtuelles et allégeant les normes de sécurité dans certaines transmissions d’actes, des arrêtés, en février, ont été des étapes de la communication par voie électronique version 2 (CPVE v. 2), alors que l’arrêté commenté du 20 mai 2020 constitue un énième petit pas dans le long et tortueux cheminement de la dématérialisation des procédures en version 1 (CPVE v. 1 ; Sur ces notions, v. C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, JCP 2017; 665 ; Numérique et échanges procéduraux, in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s.).

En effet,

deux arrêtés du 18 février 2020 ont modifié deux précédents arrêtés des 6 et 28 mai 2019 relatifs au Portail du justiciable : depuis le 21 février 2020, ce Portail permet au justiciable, outre la consultation du dossier d’une affaire, d’adresser des requêtes par voie électronique à certaines juridictions civiles. Le portail, créé par le décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 (v. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 24 mai 2019), qui a réécrit l’article 748-8 du code de procédure civile, ne se limite donc plus à des flux sortants de la juridiction à destination du justiciable, il accueille le flux entrant des actes de saisine, que sont les requêtes, soit le flux allant du justiciable vers la juridiction (C. Bléry et J.-P. Teboul, Dématérialisation des procédures : saisine d’une juridiction par le Portail du justiciable, Dalloz actualité, 5 mars 2020). Le Portail est bel et bien une première mise en œuvre concrète de la CPVE v. 2 ;
  l’arrêté du 20 mai 2020, au contraire, est une contribution à la CPVE v. 1. Il concerne en effet les « antiques » RPVA et RPVJ. Son apport n’est pas négligeable. Il laisse cependant le « cépévéiste » sur sa faim.

I - Situation antérieure à l’arrêté du 20 mai 2020

Antérieurement à l’arrêté du 20 mai 2020, faute d’un cadre juridique autorisant le recours systématique à cette voie et même en présence de « tuyaux » (RPVA/RPVJ), la CPVE était, selon le cas, facultative, obligatoire ou interdite devant la cour d’appel : c’était la conséquence de la combinaison des dispositions du code de procédure civile, des arrêtés techniques et de la jurisprudence. Cette situation était contraire à un « adage » qu’il serait souhaitable d’instituer, selon lequel « dès lors qu’il y a les “tuyaux”, il y a le droit »…

Pourtant, juridiquement, l’article 748-1 envisageait et envisage toujours la transmission (envoi, remise, notifications) par voie électronique de tous les actes du procès, qu’il énumère ; le principe étant qu’elles sont permises, dans les conditions posées par les articles suivants, et parfois imposées. Pour la cour d’appel, l’article 930-1 rend obligatoire la remise des actes au greffe, et par ce greffe, par voie électronique – ceci à peine d’irrecevabilité et sauf cause étrangère, lorsque la représentation est obligatoire : plus précisément il s’agit de représentation obligatoire par avocat (ROA), à l’exclusion de représentation par le défenseur syndical en matière prud’homale, puisque celui-ci n’a pas accès au RPVA (C. pr. civ., art. 930-2 et 3).

Pour compléter ces articles 748-1 et 930-1, des arrêtés techniques sont nécessaires. Ils sont régis par l’article 748-6, alinéa 1er, du code de procédure civile : ils déterminent les garanties techniques, mais aussi le domaine de la CPVE, lorsqu’elle est facultative. L’exigence d’arrêté est la « clé de voute » du système de 2005. Parmi ces arrêtés, deux concernaient les cours d’appel : l’arrêté du 5 mai 2010 applicable devant les cours d’appel en procédure sans représentation obligatoire et l’arrêté du 30 mars 2011 relatif aux procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel.

A - Procédure sans ROA

L’arrêté du 5 mai 2010, abrogé, permettait la communication par voie électronique de certains actes seulement. Du fait de cet arrêté, lorsque la procédure était sans représentation obligatoire, la CPVE était facultative, mais limitée.

Cela s’explique par l’« histoire » : en procédure orale classique, la formulation à l’audience des prétentions des parties, de « vive voix », interdisait a priori toute notion de dématérialisation procédurale. De fait, lorsqu’il s’est agi de permettre le recours à la communication par voie électronique dans les procédures sans représentation obligatoire, donc orales, devant les cours d’appel, les rédacteurs de l’arrêté technique se sont heurtés à cette antinomie entre oralité et dématérialisation : faute de régime réglementaire de l’écrit à l’époque, ils n’ont pu ouvrir largement ce mode de communication (J.-P. Teboul, Les métamorphoses des procédures orales. Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 : une métamorphose de la procédure devant le tribunal de commerce impliquant une stratégie de conduite du changement, Gaz. Pal. 30-31 juill. 2014, p. 28). Pour cette raison, le recours facultatif à la communication par voie électronique a été limité aux « envois et remises des déclarations d’appel, des actes de constitution et des pièces qui leur sont associées » : ces actes étaient prévus par le code et conçus par lui comme devant être réalisés ou constatés par écrits sur support papier ; ils avaient une valeur autonome, l’antinomie n’existait pas pour eux. Les autres écrits, qui jouaient pourtant de fait un rôle en procédure orale, tout particulièrement les échanges entre parties, échappaient à la communication par voie électronique au sens du titre XXI ; en effet, ils n’étaient pas soumis à un régime particulier du code de procédure civile, de sorte qu’aucune démarche par équivalence ne pouvait leur être appliquée. Le décret du 1er octobre 2010, en créant les articles 446-1 à 4 a permis le passage de l’oralité classique à l’oralité moderne : l’écrit a acquis une valeur autonome, indépendamment de la parole prononcée à l’audience et a pu être dématérialisé. La communication par voie électronique est ainsi devenue praticable, à condition qu’une dispense de présentation soit possible et effective (C. pr. civ., art. 446-1, al. 2 : c’est l’oralité moderne). Par la suite, la Cour de cassation est allée plus loin. Elle a ajouté à l’article 446-2 en donnant une certaine autonomie aux écrits indépendemment d’une dispense de présentation, dès lors que des échanges écrits avaient été organisés par le juge (C. pr. civ., art. 446-2, al. 1er, et jurisprudence, Civ. 2e, 22 juin 2017, n° 16-17.118 P, D. 2017. 1588

, note C. Bléry et J.-P. Teboul

; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle

; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero

; Procédures 2017. comm. 228, obs. Y. Strickler ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 60, obs. L. Mayer : c’est l’oralité « post-moderne »).

Malgré l’avènement de l’oralité moderne, l’arrêté du 5 mai 2010 n’a pas été actualisé et la faculté de transmission des actes par voie électronique est restée limitée à ses prévisions. Or, ce caractère limitatif a posé des difficultés. Ainsi, le 10 novembre 2016, la deuxième chambre civile a jugé que la cour d’appel n’était pas saisie d’un mémoire remis par RPVA dans une procédure d’expropriation, procédure sans représentation obligatoire. Dans un arrêt du même jour elle a estimé en revanche qu’un avocat pouvait remettre à la cour d’appel une déclaration d’appel en matière de procédure d’expropriation par RPVA (V. Civ. 2e, 10 nov. 2016, nos 15-25.431 et 14-25.631 P, D. 2016. 2502

, note C. Bléry

; ibid. 2017. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe

; D. avocats 2017. 72, obs. C. Lhermitte

; et, sur le premier, Dalloz actualité, 1er déc. 2016, obs. R. Laffly). La deuxième chambre civile a confirmé la recevabilité d’une déclaration d’appel par voie électronique dans une procédure sans représentation obligatoire, toujours en matière d’expropriation, dans un arrêt rendu le 19 octobre 2017 (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234, D. 2017. 2353

, note C. Bléry

; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero

). Cette jurisprudence s’expliquait parce que l’article 1er de l’arrêté technique cantonnait l’utilisation du réseau privé virtuel des avocats à certains actes. Le texte était limitatif, mais clairement rédigé : il n’y avait aucune ambiguïté sur ce qu’il permettait ou pas. La Cour de cassation l’avait, dès lors, appliqué strictement, validant la remise de la déclaration d’appel par voie électronique, mais pas celle d’un mémoire en matière de procédure d’expropriation. Remarquons que, si le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a transformé la procédure d’expropriation en procédure avec représentation obligatoire tant en première instance (C. expr., art. R. 311-9) qu’en appel (C. expr., art. R. 311-17), le raisonnement de la Cour n’a pas été modifié dès lors que la procédure d’appel est (de moins en moins souvent) sans représentation obligatoire. Un arrêt du 19 mars 2020 en atteste : il a été rendu à propos d’un recours contre une décision prise par un bâtonnier à propos d’un litige né à l’occasion d’un contrat de collaboration ou d’un contrat de travail d’un avocat. Ce recours, relevant de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991, a été considéré comme éligible à la CPVE, parce que porté devant la cour d’appel elle-même ; dès lors la déclaration d’appel formée par RPVA a été jugée recevable (Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-11.450, F-P+B+I, Dalloz actualité, 2 juin 2020, obs. C. Bléry).

La Cour de cassation a par ailleurs fait preuve d’une étonnante souplesse en faisant jouer l’arrêté là où on ne l’aurait pas forcément pensé, ainsi à propos du recours formé contre une décision du directeur général de l’INPI en application de l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle (Com. 13 mars 2019, n° 17-10.861 F-P+B et Civ. 2e, 18 oct. 2018, n° 17-10.861 FS-D, Dalloz actualité, 28 mars 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 583

; ibid. 2020. 451, obs. J.-P. Clavier

; RTD com. 2019. 370, obs. J. Passa

).

Quoi qu’il en soit, selon l’acte à accomplir, la CPVE était facultative ou interdite… malgré l’existence de « tuyaux ».

B - Procédure avec ROA

L’arrêté du 30 mars 2011, abrogé, énumérait des actes, mais pas tous les actes, susceptibles d’être transmis par voie électronique, ce qui – là aussi – a entraîné des hésitations.

Cet arrêté était lié à l’article 930-1 du code de procédure civile, qui s’appliquait, et s’applique toujours, aux procédures ordinaires et à jour fixe. L’alinéa 1er dispose qu’« à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ». Les alinéas 2 et 3 prévoient le retour au papier en cas de cause étrangère : l’acte est remis ou adressé par LRAR – depuis le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 – au greffe. De même, selon l’alinéa 4, « les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l’expéditeur ». Enfin, l’alinéa 5 précise qu’« un arrêté du garde des Sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique ». C’était donc l’arrêté du 30 mars 2011, d’ailleurs modifié à plusieurs reprises.

Souvent appelée à se prononcer, la Cour de cassation a estimé que certaines transmissions « avocat-greffe », non visées par l’arrêté technique du 30 mars 2011, devaient être accomplies par voie électronique : ainsi de la saisine de la cour par voie électronique en cas de renvoi après cassation (Civ. 2e, 1er déc. 2016, n° 15-25.972 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2016, obs. C. Bléry ; D. 2016. 2523

; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero

; D. avocats 2017. 28, obs. C. Lhermitte

; 17 mai 2018, n° 17-15.319 NP), du déféré (Civ. 2e, 26 janv. 2017, n° 15-28.325 NP, Procédures 2017. Comm. 57, obs. H. Croze ; 1er juin 2017, n° 16-18.361 P ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 70, obs. C. Bléry). Elle a statué de la même manière à propos des transmissions « greffe-avocat » : par exemple pour un avis d’audience en rectification d’erreur matérielle, alors que la décision rectifiée était issue d’une procédure avec ROA (Civ. 2e, 7 déc. 2017, n° 16-18.216 P, Dalloz actualité, 8 janv. 2018, obs. F. Mélin ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 56, obs. C. Bléry) ; elle a encore jugé que si la requête aux fins d’assignation à jour fixe devait être faite sur support papier (v. infra), l’assignation à jour fixe, elle, devait emprunter la voie électronique… sauf cause étrangère (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-20.930 P, Dalloz actualité, 3 oct. 2018, obs. C. Bléry ; D. 2018. 1919

; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero

; 9 janv. 2020, n° 18-24.513 P, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. F. Kieffer ; D. 2020. 88

; Rev. prat. rec. 2020. 8, chron. O. Salati

).

M. de Leiris (E. de Leiris, D. 2017. 607

) justifie cette jurisprudence de la manière suivante : l’auteur écrit qu’en matière de communication par voie électronique obligatoire, et en l’état de l’article 930-1, « il n’y a pas lieu de se pencher sur l’arrêté le mettant en œuvre pour déterminer le domaine d’application de cette obligation ».

Notons encore que l’article 959 prévoit que « la requête [de l’art. 958] est présentée par un avocat dans le cas où l’instance devant la cour implique constitution d’avocat dans les conditions prévues à l’article 930-1 ».

La Cour de cassation a en revanche précisé que certaines procédures « autonomes », qui relèvent du premier président de la cour d’appel – juridiction au sein de la juridiction – et qui n’étaient donc soumises ni à l’arrêté de 2010, ni à celui de 2011, étaient exclues de la communication par voie électronique : dès lors, une requête en récusation (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695 P, Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, obs. C. Bléry ; Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir), une requête aux fins d’assigner à jour fixe (Civ. 2e, 7 déc. 2017, n° 16-19.336 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2542

; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero

; ibid. 1223, obs. A. Leborgne

; Gaz. Pal. 15 mai 2018, p. 77, obs. N. Hoffschir), adressée au premier président par le réseau RPVA, ont été déclarées irrecevables … De même du recours porté devant le premier président de la cour d’appel, en matière de contestation des honoraires de l’avocat (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-20.047 P, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP 2018. 1174, obs. N. Gerbay)… à la différence du recours contre une décision du même bâtonnier, mais porté devant la cour elle-même (v. Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-11.450, F-P+B+I, préc.). Le moins que l’on puisse dire c’est que les arrêts ont interrogé quant à l’autonomie de certaines procédures « condamnées » par cette jurisprudence à être « papier ».

Dès lors qu’il s’agissait de la remise d’actes à la cour d’appel ou par la cour d’appel, la communication par voie électronique était obligatoire. Elle était interdite devant le premier président, exclu de la communication par voie électronique.

C’est en cet état complexe, pour ne pas dire byzantin, du droit que l’arrêté du 20 mai 2020 a été publié.

II - Apports de l’arrêté du 20 mai 2020

L’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel concerne, on l’a dit, le RPVA et le RPVJ. Il est des plus classiques dans son découpage (conditions de forme des actes de procédure remis par la voie électronique, système de communication électronique mis à disposition des juridictions et du ministère public, sécurité des moyens d’accès des avocats au système de communication électronique mis à leur disposition, identification des parties à la communication électronique et de sa fiabilité), ses solutions techniques inchangées…

Son apport original tient donc dans ses deux premiers articles, qui disposent respectivement : « l’arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures sans représentation obligatoire devant les cours d’appel et l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel sont abrogés » (art. 1er) ; et, « lorsqu’ils sont effectués par voie électronique entre avocats, ou entre un avocat et la juridiction, ou entre le ministère public et un avocat, ou entre le ministère public et la juridiction, dans le cadre d’une procédure avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d’appel ou son premier président, les envois, remises et notifications mentionnés à l’article 748-1 du code de procédure civile doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté » (art. 2).

Un autre article, aussi important que peu heureux, doit être mentionné, à savoir l’article 24 qui prévoit l’entrée en vigueur de l’arrêté en deux temps : immédiatement (« à la date de sa publication », soit le 21 mai 2020), pour la plupart de ses dispositions et au 1er septembre 2020, pour les « dispositions de l’article 2, en ce qu’elles portent sur la transmission des actes de procédure au premier président près la cour d’appel ».

Si le texte suscitait l’espoir, il faut bien admettre que toutes les difficultés ne sont pas pour autant derrière nous, car l’arrêté est imprécis.

A - CA : procédures avec et sans ROA

Il résulte des articles 1er et 2 qu’il n’y a plus qu’un seul arrêté, là où il y en avait deux – sans distinction selon la nature de la procédure devant la cour d’appel, c’est-à-dire qu’elle soit avec ou sans représentation obligatoire.

L’arrêté du 20 mai 2020 généralise la CPVE facultative dans l’hypothèse d’une procédure sans ROA : il abandonne heureusement la liste limitative de l’article 1er de l’arrêté de 2010. Il est cependant permis de se demander dans quelles conditions ? Plus précisément le texte joue-t-il seulement en oralité moderne, dans laquelle les écrits sont autonomes en raison de la dispense de présentation ou aussi en oralité classique, dans laquelle les écrits ne sont pas autonomes sauf ceux qui étaient énumérés à l’arrêté du 5 mai 2010… ce qui nous ferait « basculer » en oralité post-moderne ?

La question se pose si l’on compare avec l’arrêté « TC » du 21 juin 2013, portant communication par voie électronique entre les avocats et entre les avocats et la juridiction dans les procédures devant les tribunaux de commerce. Dans l’arrêté « CA », il n’est fait nulle référence à l’oralité moderne. L’article 12 de l’arrêté « TC » du 21 juin 2013, lui, prévoit que « pour permettre aux avocats, en application de l’article 861-1 du code de procédure civile, d’accomplir les notifications directes prévues à l’article 673 dudit code, la remise de l’acte à l’avocat destinataire s’opère par sa transmission au moyen du RPVA » (rappelons que, selon l’article 861-1, « la formation de jugement qui organise les échanges entre les parties comparantes peut, conformément au second alinéa de l’article 446-1, dispenser une partie qui en fait la demande de se présenter à une audience ultérieure. Dans ce cas, la communication entre les parties est faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par notification entre avocats et il en est justifié auprès du tribunal dans les délais qu’il impartit » – l’article 861-3 donnant les mêmes pouvoirs au juge chargé d’instruire l’affaire). Autrement dit, c’est parce qu’une partie est dispensée de se présenter que les échanges organisés par le TC peuvent être effectués par voie électronique. Il existe aussi une dispense de présentation judiciaire devant la cour d’appel en procédure sans représentation obligatoire, donc orale : c’est l’article 946-1 qui permet donc la mise en œuvre d’une oralité moderne devant cette juridiction. Comme l’arrêté du 20 mai 2020 n’y fait pas référence, faut-il admettre que la CPVE sera valide pour tous les actes – y compris sans dispense de présentation ? Même si ce n’est pas totalement rigoureux, sans doute faut-il considérer que, dès lors qu’un écrit est formalisé par un avocat qui assiste une partie en cas de procédure sans représentation obligatoire l’usage du RPVA est possible. La jurisprudence, qui octroie une autonomie aux écrits indépendamment d’une dispense – et qui consacre ainsi l’oralité « post-moderne » – , va plutôt dans ce sens (Civ. 2e, 22 juin 2017, n° 16-17.118, P, préc.)…

Au passage, notons qu’un précédent arrêté technique « CA » a été pris qui a peut-être inspiré les rédacteurs de l’arrêté de 2020 : c’est l’arrêté du 20 décembre 2017 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures devant la cour d’appel de Papeete, applicable depuis le 1er janvier 2018. Selon l’article 1er, « le présent arrêté s’applique à la communication par voie électronique dans toutes procédures devant la cour d’appel de Papeete » : c’est ainsi que « peuvent être effectués par voie électronique, entre avocats représentant une partie ou entre un avocat et la juridiction, ou entre le ministère public et un avocat, ou entre le ministère public et la juridiction les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles » (art. 2). Ceci alors qu’un article 440-6 du code de procédure civile de Polynésie française, applicable devant la cour d’appel de Papeete, lorsque la procédure est avec représentation obligatoire impose la voie électronique. La communication par voie électronique facultative semble donc générale lorsque la représentation n’est pas obligatoire (à la différence de ce que prévoyait l’arrêté du 5 mai 2010) sans précision sur les conditions ; de son côté, la communication par voie électronique obligatoire concerne toutes les transmissions avocats/juridiction… le premier président, non visé, paraissant exclu.

Il semble bien que les arrêtés techniques de 2017 et 2020 soient conçus plutôt pour les procédures écrites que pour les procédures orales. La notion d’écrit dématérialisé autonome a été perdue de vue par le pouvoir réglementaire, alors qu’elle était incluse dans l’arrêté « TC » du 21 juin 2013. L’arrêté du 20 mai 2020 est, en procédure sans ROA, source d’incertitude… Elle sera cependant sans doute dissipée par la Cour de cassation qui admettra l’usage du RPVA pour tout acte écrit même en l’absence de dispense de présentation, donc, une nouvelle fois, en oralité « post-moderne ».

Par ailleurs, quid de la nature de la CPVE devant le premier président (PP) ?

B - PP : faculté ou obligation ?

Il résulte de l’article 2 que les tuyaux seront ouverts devant le premier président le 1er septembre 2020 ! L’ouverture est une bonne nouvelle. Notre adage est décliné dans ce cas de figure : puisqu’il y a les tuyaux devant le PP, il y a le droit…

Mais pourquoi l’article 24 reporte-t-il l’entrée en vigueur ? La règle devrait déjà être en vigueur tant la jurisprudence sur les procédures autonomes a causé de difficultés inutiles et rien ne justifie un retard plus grand à l’appliquer : la technique est bien opérationnelle (au moins devant certains greffes), la meilleure preuve étant les erreurs d’aiguillage commises et ayant donné lieu à la jurisprudence évoquée…

Par ailleurs, ce n’est pas parce que les tuyaux vers le PP pourront être utilisés que l’on sait selon quelles modalités. La remise des actes au PP sera-t-elle obligatoire ou seulement facultative ? Il nous semble que la CPVE sera seulement facultative ; ceci, compte tenu de la rédaction de l’article 930-1 visant la juridiction, de la place de l’article dans le code de procédure civile et de la jurisprudence qui a toujours vu dans le PP une juridiction autonome. Cela n’est cependant pas absolument certain et la prudence sera de mise : mieux vaudra systématiquement utiliser le RPVA en procédure avec ROA, ce qui aura d’ailleurs le mérite d’unifier la procédure, surtout la procédure à jour fixe : la demande d’autorisation d’assigner à jour fixe, l’assignation en cas d’autorisation, les conclusions,… les actes adressés par le greffe, seront dématérialisées. Cette CPVE avec le PP sera nécessairement facultative en procédure sans ROA : par exemple pour une demande en référé en matière de sécurité sociale…

III - Difficultés subsistantes

La publication de l’arrêté « cour d’appel » conduit à revenir sur la CPVE devant le tribunal judiciaire et son président (C. Bléry, 1er septembre 2019 : communication par voie électronique obligatoire devant le tribunal de grande instance, Dalloz actualité, 2 sept. 2019 ; Nouveaux modes d’introduction de la procédure et communication par voie électronique, D. avocats 2020. 57 ; E. Vergès, Réforme de la procédure civile 2020 – Procédures écrite, orale et sans audience, la transformation du modèle procédural, Lexbase hebdo, éd. privée, 23 janv. 2020, p. 14 s., spéc. p. 16 ; E. Raskin, Synthèse des nouvelles règles régissant les modes de saisine en procédure civile, Gaz. Pal. 28 janv. 2020, p. 74) : il faut en effet se (re)poser des questions car l’arrêté technique « tribunal judiciaire » n’est pas rédigé de la même façon que le texte nouveau…

A - Tribunal judidiaire (TJ)

Jusqu’au 31 août 2019, aucun article spécifique du code de procédure civile ne concernait le tribunal de grande instance (TGI). Cette juridiction était régie par le régime général de la matière : par application combinée des articles 748-1, 748-6 et de l’arrêté technique « TGI ». Le 1er septembre 2019, a été mis en application un article 796-1, venu rendre obligatoire l’usage du RPVA/RPVJ pour les avocats et les greffes des TGI en procédure ordinaire et à jour fixe (hors requête au président ?) en matière contentieuse (ceci compte tenu de la place de l’art. 796-1 c. pr. civ.). Cet article 796-1 était calqué sur l’article 930-1 applicable devant les cours d’appel en procédure avec représentation obligatoire. L’arrêté technique du 7 avril 2009 s’était « glissé » dans les prévisions de l’alinéa 4 de l’article 796-1 créé en 2017 et appelant un tel arrêté. Il semblait qu’une CPVE facultative pouvait jouer dans certaines procédures orales, hors du domaine de l’article 796-1, grâce aux articles 748-1 et 6 et grâce à la généralité de l’arrêté : ainsi en matière de sécurité sociale. Mais, ne fallait-pas être en oralité moderne ? Rien n’est précisé par l’arrêté de 2009 (d’ailleurs pas conçu dans cette optique).

Devant le TJ, l’article 850 a reconduit les dispositions de l’article 796-1 en précisant expressément son domaine, à savoir « en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe […] à l’exception de la requête mentionnée à l’article 840 » (al. 1er) : la remise des actes à et par la juridiction est donc obligatoire sauf cause étrangère autorisant le retour au papier. L’arrêté technique du 7 avril 2009 continue son office devant le TJ, par la grâce de la consolidation effectuée par le décret n° 2019-966 du 18 septembre 2019 (art. 8) qui a changé son intitulé : c’est désormais l’arrêté du 7 avril 2009 relatif à la communication par voie électronique devant les tribunaux judiciaires. C’est l’arrêté appelé par l’article 850, alinéa 4, et il semble qu’une CPVE facultative peut encore jouer hors du domaine de l’article 850, toujours grâce à la généralité de l’arrêté… Là encore, sans doute que tout écrit formalisé par un avocat peut emprunter le RPVA, sans qu’il soit besoin d’avoir été dispensé de se présenter.

B - Président

En l’état initial du droit devant les TGI, deux décisions notables avaient été rendues, dont il résulte que des juges ayant un pouvoir juridictionnel sont cependant « englobés » dans le TGI : ils étaient donc éligibles à la communication par voie électronique générale et facultative évoquée. Ainsi devant le juge aux affaires familiales (impl., Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355 NP) et devant le juge de l’exécution, spécialement pour les procédures de saisies immobilières (Civ. 2e, 1er mars 2018, n° 16-25.462 P, Dalloz actualité, 13 mars 2018, obs. C. Bléry ; D. 2018. 517

; ibid. 1223, obs. A. Leborgne

; JCP 2018. 514, obs. L. Raschel). Avec l’entrée en vigueur de l’article 796-1, la question a donc été de savoir si la jurisprudence « englobant » le JAF ou le JEX n’a pas été remise en cause ? Et quid du président statuant en référé ou sur requêtes – autres qu’aux fins d’autorisation d’assigner à jour fixe ? Si la CPVE ne s’imposait pas devant ces juges (président, JAF, JEX), l’utilisation du RPVA nous semblait devoir rester facultative et non interdite, toujours en vertu de l’ « adage » : « Là où il y a les tuyaux, il y a le droit » ! Devant le TJ, l’article 850 exclut expressément les requêtes aux fins d’assigner à jour fixe devant le président du TJ : l’article 840 vise en effet la requête adressée au président du TJ pour… assigner à jour fixe, tout en disant que les procédures à jour fixe sont concernées par la CPVE obligatoire. Est-ce alors une CPVE facultative ou interdite ? Quid des référés ? De la procédure accélérée au fond (PAF) ? Une nouvelle fois, dès lors que nous sommes hors CPVE obligatoire, les textes nous semblent permettre une CPVE facultative… sous réserve (qui devrait n’être que provisoire) de tuyaux.

L’incertitude est donc encore plus grande devant le président du TJ que devant le PP où la future permission d’utiliser le RPVA est un point acquis… à moins que ce ne soit une obligation (v. supra).

L’arrêté du 20 mai 2020 apporte des améliorations que nous n’allons pas bouder. Il est quand même permis de regretter qu’il arrive bien tard et qu’il ne mette pas fin à toutes les incertitudes qui sont le lot du « cépévéiste ».

On peut essayer de résumer ainsi l’état actuel de la CPVE v. 1 devant les cours d’appel :

en procédure écrite/ROA : remise obligatoire de tous les actes du procès à et par le greffe (sauf anomalie) ; en procédure orale/sans ROA : remise facultative de tous les actes du procès à et par le greffe ; devant le PP : remise facultative des actes.

À quand une remise à plat globale, une réglementation intelligible et simple, de la CPVE ? C’était pourtant le cas en 2005 lorsque le Titre XXI a été inséré dans le code de procédure civile. Il est vrai que la question se pose tout autant pour toute la procédure civile, qui sort toute meurtrie de la récente réforme d’ampleur qui vient de lui être infligée…