Par Le Batonnier le mercredi 15 juillet 2020
Catégorie: Actualités juridiques

Immunité de juridiction des États étrangers et relation de travail

La Cour de cassation est régulièrement saisie d’affaires dans lesquelles un État étranger ou un organisme qui en constitue l’émanation oppose, devant un juge français, son immunité de juridiction dans le cadre d’une action initiée par l’un de ses anciens salariés. Il est alors fait application du principe général selon lequel les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction lorsque l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États et n’est donc pas un acte de gestion (v. par ex. Civ. 2e, 12 juill. 2017, n° 15-29.334, Dalloz actualité, 14 sept. 2017, obs. F. Mélin ; AJDA 2017. 2109

; D. 2017. 1531

; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke

). Dans ce cadre, il a été jugé, par exemple, que le principe de l’immunité de juridiction ne s’applique pas en présence d’un salarié ayant signé un contrat de travail en qualité d’assistant administratif au service consulaire et qui ne participe pas au service public de l’État étranger (D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke

) ou encore en présence d’une salariée chargée, notamment, de l’organisation des activités sociales d’un ambassadeur, de la mise à jour hebdomadaire de son agenda, de ses appels entrants et sortants, de servir des rafraîchissements aux visiteurs de l’ambassadeur, de l’affranchissement et de l’expédition du courrier et de préparer et de saisir toutes les correspondances non confidentielles en langue française (Soc. 27 nov. 2019, n° 18-13.790, Dalloz actualité, 17 déc. 2019, obs. L. de Montvalon ; D. 2020. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke

).

L’arrêt de la chambre sociale du 1er juillet 2020 se situe dans la ligne de cette jurisprudence. Il casse en effet une décision d’appel qui avait considéré que l’Institut italien pour le commerce extérieur pouvait se prévaloir de l’immunité de juridiction à l’encontre de son ancien salarié qui avait, notamment, comme fonctions la rédaction de correspondances requérant un approfondissement et des recherches spécifiques ainsi que l’élaboration de statistiques complexes, la fourniture d’une assistance directe à des sociétés italiennes et françaises, ou encore la réalisation d’études de marché sectorielles. Si la cour d’appel avait retenu que ce salarié exerçait des fonctions qui lui conféraient une responsabilité particulière dans l’exercice et la mise en œuvre d’un service public étranger car il influençait par ses études, ses rapports et ses enquêtes la mise en œuvre de la politique commerciale de l’État italien, la chambre sociale retient à l’opposé que ce salarié n’avait pas une responsabilité particulière dans l’exercice de prérogatives de puissance publique, de sorte que les actes litigieux relatifs aux conditions de travail et à l’exécution du contrat constituaient des actes de gestion excluant l’application du principe d’immunité de juridiction.

La solution pratique qu’elle énonce ne surprend pas, même s’il est vrai que seul l’examen du dossier peut permettre, dans ce type d’affaires, de déterminer si l’invocation de l’immunité de juridiction par l’État concerné est ou non justifiée.

L’arrêt mérite surtout de retenir l’attention à propos de la formulation des principes juridiques qu’il énonce au soutien de cette solution.

Au visa du principe de l’immunité de juridiction des États étrangers et l’article 6, § 1, de la Convention des droits de l’homme, il énonce que :

• « le droit d’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et dont l’exécution d’une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s’oppose pas à une limitation de ce droit d’accès, découlant de l’immunité des États étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en la matière » ;

• « selon le droit international coutumier, tel que reflété par l’article 11, § 2, a), de la Convention des Nations unies, du 2 décembre 2004, sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, un État et les organismes qui en constituent l’émanation peuvent invoquer, devant la juridiction d’un autre État, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre le premier État et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État, l’immunité de juridiction si l’employé a été engagé pour s’acquitter de fonctions particulières dans l’exercice de la puissance publique ».

La référence à l’article 6 de la Convention européenne et au droit international coutumier est habituelle en ce domaine.

Le premier de ces deux principes a déjà été formulé dans des termes identiques (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-10.450, Dalloz actualité, 16 avr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1728

, note D. Martel

; ibid. 1574, obs. A. Leborgne

; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée

; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot

; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier

).

Le second semble être, en revanche, énoncé pour la première fois. Il s’explique aisément.

L’article 11 de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 dispose qu’à moins que les États concernés n’en conviennent autrement, un État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État, compétent en l’espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l’État et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État, sous réserve de différents cas et notamment si l’employé a été engagé pour s’acquitter de fonctions particulières dans l’exercice de la puissance publique.

Or, si cette Convention n’est pas entrée en vigueur, la Cour européenne des droits de l’homme retient, en substance, que son article 11 s’applique au titre du droit international coutumier, et ce même lorsque l’État n’a pas ratifié cette convention, dès lors qu’il ne s’y est pas non plus opposé (CEDH 29 juin 2011, n° 34869/05, Sabeh El Leil c. France, pt 57, D. 2011. 1831, et les obs.

; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée

; sur lequel v. B. Theeuwes (dir.), Le droit diplomatique appliqué en Belgique, Maklu, 2014, p. 122).

L’arrêt s’inscrit donc dans la perspective de cette jurisprudence de la Cour européenne.