1. Covid-19 : le confinement général n’était pas une privation de liberté au sens de l’aricle 5, § 1er, de la Convention européenne
La jurisprudence covid de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est enrichie, avec la décision Terhes c. Roumanie du 20 mai 2021 (req. n° 49933/10), d’une pièce importante qui n’a peut-être pas l’éclat auquel on aurait pu s’attendre. Il s’agit, en effet, d’une simple décision d’irrecevabilité de la requête d’un député roumain alléguant que la mesure de confinement général qu’il avait dû lui aussi subir du 14 avril au 14 mai 2020 avait constitué une privation de liberté contraire aux exigences de l’article 5, § 1er, de la Convention européenne. La CEDH, constatant qu’en Roumanie, comme en France à la même époque, le confiné pouvait se rendre à différents endroits au moment de la journée où cela était nécessaire et n’était l’objet d’aucune surveillance individuelle de la part des autorités, a refusé d’assimiler le confinement à une assignation à résidence. Dès lors, il ne s’agissait pas d’une privation de liberté qui est la seule à entrer dans le champ d’application de l’article 5, § 1er. Ainsi, on voit se confirmer l’hypothèse, que laissait clairement entrevoir les arrêts de grande chambre Z.A. c. Russie (req. n° 61411/15, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen
2. L’encadrement de l’interception en masse des communications
Face à la sophistication et au développement des capacités technologiques qui accroissent fortement le volume des communications transitant par internet dans le monde entier et qui accentuent chaque jour un peu plus les menaces de terrorisme international et de criminalité transfrontalière, la surveillance stratégique de masse des communications revêt pour les États une importance déterminante pour la protection de la société démocratique.Cette interception en masse des communications qui se distingue des interceptions ciblées en ce qu’elles sont utilisées non pas dans le cadre d’une enquête pénale interne mais au titre du renseignement extérieur, autrement dit des services secrets, pour détecter de nouvelles menaces provenant d’acteurs connus ou inconnus, recèle à l’évidence un potentiel considérable d’abus susceptibles de porter atteinte au droit des individus au respect de leur vie privée. Dans un premier temps, les États ont obtenu de la Cour de Strasbourg, qui tente de conjurer ces abus spécifiques, de leur laisser en la matière une marge d’appréciation que commanderait la gravité des enjeux. La décision Weber et Saravia c. Allemagne du 29 juin 2006 (req. n° 54934/00) et l’arrêt Liberty c. Royaume-Uni du 1er juillet 2008 (req. n° 58243/00) sont particulièrement représentatifs de cette approche favorable aux États qui subordonne les interceptions en masse des communications à six garanties minimales. Or, constatant qu’à l’évidence, il n’est pas aisé d’appliquer à un régime d’interception en masse les deux premières des six « garanties minimales », à savoir la nature des infractions susceptibles de donner lieu à un mandat d’interception et la définition des catégories de personnes dont les communications sont susceptibles d’être interceptées, la Cour a ressenti la nécessité de préciser l’approche à adopter dans les affaires relatives à l’interception en masse. Elle l’a fait par deux arrêts de grande chambre du 25 mai Big Brother Watch c. Royaume-Uni (req. n° 58170/13, Dalloz actualité, 28 mai 2021, obs. M.-C. de Montecler ; D. 2018. 1916, obs. S. Lavric
3. Clarification des principes généraux applicables aux violences domestiques
2021 sera peut-être l’année du renforcement de la protection des personnes vulnérables et plus particulièrement de celle des enfants. On se souvient sans doute de l’importance de l’arrêt de grande chambre X et autres c. Belgique du 2 février qui mobilise la Convention de Lazarotte sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels. Cette fois, un autre arrêt de grande chambre, Kurt c. Autriche du 15 juin (req. n° 62903/15), a accordé un intérêt soutenu aux violences domestiques, qui ne sont pas seulement d’ordre sexuel, dont ils sont les premières victimes. Dans la mesure où elles font peser les plus graves menaces sur leur droit à la vie, elles relèvent des principes généraux dégagés depuis longtemps par l’arrêt Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998 (req. n° 23452/94, RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin
4. Lutte contre les peines et les traitements inhumains ou dégradants
La Cour de Strasbourg étoffe ou consolide régulièrement sa jurisprudence qui mobilise l’article 3 pour lutter contre les formes les plus brutales et les plus insidieuses de traitements inhumains ou dégradants. Ainsi, au cours des cinquième et sixième mois de l’année 2021, elle l’a utilisé pour stigmatiser des États qui n’avaient pas protégé une fille contre les violences sexuelles exercées par son père (22 juin 2021, R.B. c. Estonie, n° 22597/16) ; qui s’étaient révélés incapables de fournir à un condamné des soins adaptés à sa déficience mentale légère (11 mai 2021, req. n° 7373/17, Epure c. Roumanie) ; qui se préparaient à procéder à une extradition sans examen préalable de la santé d’un condamné victime d’un accident vasculaire cérébral (n° 59687/17, Khachaturov c. Arménie) ; qui avaient prononcé des condamnations à des peines perpétuelles sans possibilité de libération conditionnelle (17 juin 2021, req. n° 39734/15, Sandor Varga c. Hongrie). On remarquera aussi, sans grande surprise, une nouvelle application de l’article 3 dans un cas de brutalités policières (Ilevi et Ganvhevi c. Bulgarie du 8 juin, n° 69154/11 et 69163/11). Une place particulière doit être accordée à l’arrêt Adzhigitova c. Russie du 22 juin (req. n° 40165/07) relatif à une opération militaire qui a aussi donné lieu à un constat de violation rarissime de l’article 38 de la Convention parce que les autorités russes n’avaient pas fourni à la Cour toutes les facilités nécessaires pour mener une enquête efficace sur les circonstances de l’affaire.
5. La mise en balance du droit à l’oubli et du droit à la liberté d’expression
Avec les fulgurants développements de la numérisation est venue s’ajouter au rôle principal de la presse une fonction accessoire qui consiste à constituer des archives à partir d’informations déjà publiées et à les mettre à la disposition du public sur internet. Ces archives numériques constituent une source d’autant plus précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques qu’elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites. C’est ce que la Cour de Strasbourg reconnaît depuis son arrêt Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni du 11 mars 2009 (req. n° 3002/03). La mise à disposition du public des archives numériques de la presse expose évidemment de nombreux condamnés à un risque perpétuel de confrontation avec un passé qu’ils ont le plus grand intérêt à oublier et à faire oublier pour pouvoir se réinsérer après avoir payé leur dette envers la société ou un créancier particulier. Aussi en appelle-t-on à la reconnaissance et à la protection d’un droit à l’oubli numérique, également appelé droit à l’effacement, nouvel aspect du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour, qui a pris l’habitude de fournir des critères pour guider vers la meilleure manière de résoudre de tels conflits de droits (v. 7 février 2012, Von Hannover n° 2 c. Allemagne, req. n° 40660/08, Dalloz actualité, 23 févr. 2012, obs. S. Lavric ; AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen
6. Le printemps du principe de non-discrimination
Depuis le début de l’année 2021, d’importantes applications du principe de non-discrimination procédant à de courageuses combinaisons de l’article 14 avec d’autres articles de la Convention ont été remarquées. Au cours de la période mai-juin, d’autres sont venues s’ajouter pour aider à balayer encore quelques archaïsmes et à repousser quelques phobies. Il s’agit de l’arrêt Yocheva et Ganeva c. Bulgarie du 11 mai (req. n° 18592/15) qui vient au soutien d’un certain type de famille monoparentale en stigmatisant les autorités nationales pour avoir opéré une discrimination à l’égard des familles dans lesquelles l’un des parents est inconnu en décidant qu’une formule prévoyant le versement d’allocations aux familles dans lesquelles il y a un seul parent vivant visait exclusivement celles dans lesquelles un parent est décédé.
Il s’agit aussi de l’arrêt Association ACCEPT c. Roumanie du 1er juin 2021 (n° 19237/16) où la Cour européenne dresse un double constat de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 et avec l’article 11 parce que les autorités n’avaient pas empêché l’invasion par l’extrême droite d’une salle de cinéma où était projeté un film gay.
L’avancée la plus marquante du principe de non-discrimination aura cependant été réalisée par un arrêt où, dans un souci d’économiser son temps et des moyens, la CEDH ne s’est pas donné la peine d’examiner la question d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 tellement les raisons de dresser un constat de violation du seul article 8 étaient flagrantes. Dans l’arrêt J.L. c. Italie du 27 mai (n° 5671/16), elle a en effet dû déplorer que, pour acquitter sept hommes poursuivis pour violences sexuelles commises en réunion, des juges se soient permis des commentaires sur la vie privée de la plaignante qui véhiculent des préjugés sur le rôle de la femme dans la société italienne et qui sont susceptibles de faire obstacle à une protection effective des droits des victimes de violence de genre. Elle saisit opportunément cette étonnante occasion pour affirmer qu’il est essentiel que les autorités judiciaires évitent de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes, par l’utilisation de propos culpabilisants et moralisateurs, à une victimisation secondaire. Ce n’est pas la première fois, en 2021, que la CEDH s’appuie sur ce concept dont il faudra suivre attentivement les développements de la carrière jurisprudentielle naissante.
7. Confirmation de l’importance du contentieux relatif au droit à la liberté d’expression
Dans chaque chronique bimestrielle, il faut réserver un paragraphe au contentieux de la liberté d’expression qui n’est probablement pas le plus abondant mais qui, porté par les développements technologiques et les habitudes qui se prennent sur les réseaux sociaux est, actuellement, le plus significatif. Pour la période mai-juin 2021 on relève à nouveau des arrêts qui rappellent le caractère relatif du droit garanti par l’article 10. C’est ainsi que les arrêts Kilin c. Russie du 11 mai (req. n° 10271/12) et Milosavljevic c. Serbie du 25 mai (n° 57574/14) ont respectivement refusé d’en assurer le bénéfice à un requérant condamné en raison d’appels au racisme et au nazisme sur un réseau social en ligne très populaire et à un journaliste coupable d’avoir publié un article insinuant qu’un policier finalement acquitté avait violé une jeune fille rom.
Les arrêts qui constatent des violations du droit à la liberté d’expression des journalistes (11 mai 2021, req. n° 44561/11, Rid et Zao c. Russie ; 18 mai 2021, req. n° 42201/17, Ögreten et Kannat c. Turquie ; 8 juin 2021, n° 48329/19, Bulac c. Turquie) ; de parlementaires (4 mai 2021, req. n° 68136, Kerestecioglu Demir c. Turquie) ; de militants politiques (22 juin 2021, req. n° 5869/17, Erkizia Almandoz c. Espagne) ou de simples employés se laissant aller à « liker » certains contenus de Facebook (15 juin 2021, req. n° 35786/19, Melike c. Turquie), sont cependant les plus nombreux. En raison de leur portée plus générale, on attirera surtout l’attention sur l’arrêt Akdeniz et autres c. Turquie du 4 mai (req. n° 41139/15), rendu à la requête d’une journaliste et de deux universitaires et utilisateurs populaires des plateformes des médias sociaux, qui stigmatise une injonction provisoire ordonnée par les juridictions nationales interdisant la diffusion et la publication par tous moyens de communication d’ informations relatives à une enquête parlementaire ; l’arrêt OOO Informatsionoye Agentstvo c. Russie du 18 mai (req. n° 43351/12) qui prend des allures d’arrêt quasi pilote pour encourager la réforme de la législation des médias de façon à leur assurer la liberté et l’indépendance pendant les campagnes électorales et l’arrêt Ömur Cagdas Ersoy c. Turquie du 15 juin (req. n° 19165/15) soulignant avec une particulière insistance que l’esprit de la Convention est d’élargir la liberté d’expression pour faciliter la critique des responsables politiques.
8. L’intensification de l’influence des droits de l’homme sur le droit du sport
Comme on le sait, le mouvement sportif est très attaché à la construction d’un ordre juridique à part, reposant sur la lex sportiva jalousement appliquée par des instances qui n’entendent rendre de comptes à personne, pas même aux juges des droits de l’homme. Jusqu’ici, il avait à peu près réussi à échapper à l’emprise des droits de l’homme substantiels. En revanche, depuis les arrêts Mutu et Pechstein c. Suisse du 2 octobre 2018 (req. nos 40575/10 et 67474/10, Dalloz actualité, 16 oct. 2018, obs. N. Nalepa ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay
9. Contentieux électoral
L’article 3 du Protocole n° 1 qui consacre le droit à des élections libres n’est pas celui qui réclame le plus souvent l’attention de la Cour. Il ne faut donc pas négliger la décision et les deux arrêts qu’elle vient de lui consacrer. La décision Galan c. Italie (req. n° 63772/16) et l’arrêt Miniscalo c. Italie (req. n° 55093/13) du 17 juin 2021, qui refusent d’en dresser des constats de violation dans des affaires de déchéance de mandats et d’interdiction de se présenter à des élections, sont surtout remarquables parce qu’elles ont permis à la Cour d’affirmer que de telles sanctions ne sont pas des peines au sens de l’article 7 lequel n’ est par conséquent d’aucun secours quand elles sont rétroactives. Quant à l’arrêt Caamano Valle c. Espagne du 11 mai (req. n° 43564/12), il se livre à un inhabituel rappel des principes d’interprétation de la Convention pour mieux pouvoir décider que la privation du droit de vote imposée à une femme handicapée mentale était proportionnée et conforme à l’article 3 du Protocole n° 1. Il y aurait donc des tendances régressives dans le travail interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme…
10. Les arrêts régressifs
L’arrêt de grande chambre Denis et Irvine c. Belgique du 1er juin (req. n° 62819/17, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. H. Diaz) a admis qu’il n’y avait pas de violations de l’article 5, § 1er, et 5, § 4, dans des cas de refus de mettre en liberté des aliénés internés dans un hôpital psychiatrique parce que leurs troubles mentaux persistaient. Or la légalité du maintien de la mesure privative de liberté pouvait faire question dans la mesure où il avait été décidé sans tenir compte de deux conditions supplémentaires ajoutée par la loi depuis la décision initiale d’internement. Autrement dit, selon une interprétation large qui sert le mieux les objectifs de la Convention et qui est généralement adoptée par la Cour, le constat de la persistance des troubles mentaux aurait pu ne pas suffire pour justifier le maintien de l’internement au regard de l’article 5. En retenant une interprétation stricte dénoncée par plusieurs juges dissidents, la Cour semble donc s’être engagée sur une voie régressive parce que la plus hostile au droit à la liberté.
La même tendance régressive se retrouve, au regard de l’article 10, dans l’arrêt Halet c. Luxembourg du 11 mai 2021 (n° 21884/18, Dalloz actualité, 21 mai 2021, obs. S. Lavric ; D. 2021. 960, et les obs.
11. Prolongements de sillons jurisprudentiels
Dans ce paragraphe qui sert un peu de camion-balai, on fera entrer les arrêts M.K. c. Luxembourg (req. n° 51746/18) et Valdis Fjölnisdotir c. Islande (req. n° 71552/17, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. A. Panet ; AJ fam. 2021. 320, obs. A. Dionisi-Peyrusse
Pour mieux en faire ressortir leur originalité, on évoquera en conclusion l’arrêt Norwegian Confederation of Trade Unions c. Norvège du 10 juin (req. n° 45487) considérant qu’il n’y avait pas de violation de l’article 11 dans une affaire où le boycott d’une compagnie maritime qui employait des dockers en dehors de la convention collective avait été déclaré illégal et l’arrêt Stetsov c. Ukraine du 11 mai (req. n° 5170/15) constatant une violation de l’article 2 du Protocole n° 4 qui consacre la liberté de circulation en raison d’une interdiction de quitter le territoire jusqu’au paiement intégral d’une dette contractuelle.