La confrontation des règles de la procédure civile et de celles du droit des entreprises en difficulté est rarement inintéressante et engendre un contentieux important. À première vue, l’arrêt sous commentaire fait partie de ces décisions en ce qu’il trancherait entre le respect du droit commun de la procédure civile et la prise en compte des spécificités du droit des entreprises en difficulté. Cette vision intuitive de l’arrêt – si elle n’est pas totalement fausse – ne nous semble pas la plus à même de guider la réflexion sur cette décision. En effet, si les enjeux du droit des entreprises en difficulté ont nécessairement exercé une influence sur la solution posée, elle relève avant tout d’une interrogation propre à la procédure civile et concerne la délicate articulation des sanctions en cette matière (C. Chainais, « Les sanctions en procédure civile : à la recherche d’un clavier bien tempéré », in C. Chainais et D. Fenouillet, Les sanctions en droit contemporain. Vol. 1. La sanction, entre technique et politique, Dalloz, 2012, p. 357 s.).
En l’espèce, par un jugement du 2 octobre 2019, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a ouvert le redressement judiciaire d’une société. Le ministère public a fait appel de ce jugement en arguant notamment que la procédure relèverait de la compétence du tribunal de commerce spécialisé (TCS) de Lyon. Plus précisément, l’appelant demandait à ce que soit relevée d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Étienne et à ce que ce tribunal soit déclaré incompétent pour connaître de la situation de la société débitrice.
La cour d’appel estime cette demande recevable, mais juge tout de même que le tribunal de commerce stéphanois était pourvu du pouvoir juridictionnel de statuer. En s’éloignant quelque peu de la substance de l’arrêt ici rapporté, relevons que l’arrêt d’appel avait fait l’objet de certaines critiques en ce qu’il avait retenu que les seuils permettant de déterminer la compétence des TCS devaient s’apprécier au jour de la demande d’ouverture de la procédure et non à la date de clôture du dernier exercice comptable. Pour cette raison, les juges d’appel avaient finalement décidé d’écarter la compétence du TCS de Lyon (Lyon, 3e ch., sect. A., 14 nov. 2019, n° 19/07075 ; Act. Proc. Coll. 2019/20, comm. 280, note P. Cagnoli).
Les mandataires et administrateurs judiciaires désignés dans ce dossier forment un pourvoi en cassation. Ils reprochent à la cour d’appel d’avoir déclaré recevable la demande du ministère public en l’analysant comme une fin de non-recevoir susceptible d’être soulevée en tout état de cause. Au contraire, les demandeurs soutiennent que cette demande devait s’étudier sous le prisme d’une exception d’incompétence. À ce titre, ils rappellent qu’une exception d’incompétence doit, à peine d’irrecevabilité, être soulevée en même temps que les autres exceptions de procédure et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Par conséquent, l’exception de compétence selon laquelle seul le TCS de Lyon pouvait connaître de l’ouverture de la procédure, plutôt que le tribunal de commerce de Saint-Étienne, était irrecevable puisqu’elle n’avait pas été soulevée dès la première instance et in limine litis par le ministère public.
La Cour de cassation souscrit à l’argumentaire et casse l’arrêt d’appel.
La haute juridiction commence par rappeler que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a entendu, pour quelques affaires dont la technicité et l’enjeu national le justifient, spécialiser certaines juridictions. Partant, il résulte de l’article L. 721-8 du code de commerce que les tribunaux de commerce spécialisés connaissent des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire lorsque le débiteur répond à certains critères relatifs au nombre de salariés ou au montant net du chiffre d’affaires.
Pour la Cour de cassation, le texte précité ne prive pas les autres tribunaux de connaître de ces procédures lorsque les seuils qu’il prévoit ne sont pas atteints, mais détermine une règle de répartition de compétence entre les juridictions dont l’inobservation est sanctionnée par une décision d’incompétence et non par l’irrecevabilité de la demande. Par conséquent, la...