Par Le Batonnier le jeudi 9 janvier 2020
Catégorie: Actualités juridiques

Amiante : répétition de l’indu au profit de la victime

L’arrêt du 12 décembre 2019 marquera-t-il la fin du contentieux qui oppose le FIVA aux victimes de l’amiante à propos de l’imputation des sommes versées par la sécurité sociale sur celles accordées par le fonds, après les décisions rendues par des cours d’appel sur renvoi depuis 2010 ? On ne peut que l’espérer.

En l’espèce, un salarié a été reconnu victime, par l’organisme de sécurité sociale, d’une pathologie qualifiée de maladie professionnelle. À ce titre, il a obtenu de ce dernier le versement d’un certain nombre de prestations. Parce que cette pathologie résulte d’une exposition aux poussières d’amiante, le salarié a également pu solliciter, auprès du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), une indemnisation de ses préjudices. Insatisfaite de l’offre faite par le Fonds, la victime l’a contestée devant la cour d’appel de Douai. La décision des juges du fond fut partiellement censurée par la Cour de cassation (Civ. 2e, 18 févr. 2010, n° 09-65.866, Dalloz jurisprudence) au motif que les sommes reçues de la part de la caisse de sécurité sociale n’avaient pas été déduites de l’indemnisation versée par le Fonds. Cette décision fit de la victime le débiteur du Fonds pour les sommes versées en trop.

À la suite d’une aggravation de ses préjudices, cette dernière a sollicité une nouvelle indemnisation auprès du FIVA, lequel a déduit du versement de l’indemnité pour ces nouveaux préjudices, les sommes perçues en trop pour la réparation des premiers préjudices dont il était créancier.

Tenant compte de l’entrée en vigueur de l’article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015, la victime a une nouvelle fois saisi le juge. Elle a demandé le remboursement des sommes dont le FIVA avait obtenu paiement par compensation entre sa créance constatée par la Cour de cassation en 2010 et les indemnités qu’il lui devait du chef de l’aggravation de son état.

Précisons que l’article 171 prévoit que les victimes reconnues débitrices du FIVA par décision juridictionnelle rendue de manière irrévocable entre le 1er mars 2009 et le 1er mars 2014, à raison de la non-déduction des prestations versées par les organismes de sécurité sociale sont réputées avoir définitivement acquis les sommes dont ils étaient redevables.

La cour d’appel de Douai a débouté la victime de sa demande. Selon elle, il n’était pas discutable que son obligation de payer sa dette au FIVA s’était éteinte à due concurrence de cette somme avant même que n’entre en vigueur l’article 171 de la loi du 29 décembre 2015. Ce texte devait donc s’appliquer à sa situation telle qu’existante à la date de son entrée en vigueur, sans produire un quelconque effet sur une partie de son obligation juridiquement éteinte.

Sur pourvoi de la victime, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 171 de cette loi et de l’article 1302-1 du code civil. Dans un attendu de principe, la deuxième chambre civile rappelle la lettre du premier texte pour en déduire que tout paiement par les victimes ou leurs ayants droit intervenu à ce titre est devenu indu par l’effet de cette disposition et qu’il est sujet à répétition en application du second texte.

On connaît la politique jurisprudentielle favorable aux victimes de l’amiante menée par la Cour de cassation depuis des années maintenant. En ce sens, la décision ne surprend guère. Mais ce qui étonne, c’est la décision rendue par les juges du fond quand on sait combien la situation des victimes de l’amiante concernées par le revirement de jurisprudence de 2009 et les suites que lui ont données certaines cours d’appel avaient interpellé la doctrine mais surtout le législateur.

Pour comprendre l’origine de l’article 171 de la loi du 29 décembre 2015, il faut revenir sur le contentieux de l’imputation des prestations de sécurité sociale sur l’indemnisation due par le FIVA qui a été source d’incertitudes et d’hésitations jurisprudentielles en raison de l’imprécision de la loi.

Lorsqu’un salarié est victime d’une pathologie causée par l’amiante, en tant que salarié, il peut obtenir des prestations de la part de la caisse primaire d’assurance maladie à laquelle il est affilié, en tant que victime de l’amiante. Il peut également bénéficier d’une indemnisation versée par le FIVA. Il en résulte parfois un chevauchement entre les sommes perçues qui indemnisent la même chose. Chacun de ces organismes étant autonome dans l’évaluation des prestations et des indemnités accordées à la victime, l’articulation de ces deux prises en charge peut-être complexe (v. T. Tauran, note ss Civ. 2e, 10 févr. 2011, JCP S 2011. 1203 ; A. Guégan-Lécuyer, À propos de la confrontation des offres d’indemnisation du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante au pouvoir judiciaire, D. 2005. 531

 ; P. Sargos, Indemnisation des victimes de l’amiante, SSL n° 1396, p. 7).

Il a donc fallu établir un système de déduction des sommes versées par la caisse de sécurité sociale pour les indemnités de même nature. Dans le but d’éviter une double indemnisation, les sommes perçues par la victime de la part de la sécurité sociale lui sont acquises mais doivent être déduites par le FIVA de l’indemnisation qu’il lui doit (L. n° 2000-1257, 23 déc. 2000, art. 53, IV, al. 1er). L’indemnité allouée par le Fonds doit tenir compte des prestations visées par l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ainsi que les indemnités, quelle que soit leur nature, obtenues ou à percevoir, à la charge d’autres débiteurs au titre du même dommage (L. n° 2000-1257, 23 déc. 2000, art. 53, I, et 53, IV).

La loi ne précisant rien de plus sur le mode opératoire de cette déduction, ce sont les juges du fond, puis la Cour de cassation qui ont élaboré les règles.

Contrairement à ce que souhaiterait le FIVA, lequel ne cesse de faire application d’une déduction globale (v. Civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-24.700 P, Dalloz actualité, 11 déc. 2017, obs. A. Hacene ; RCA 2017. Comm. 40, note H. Groutel), la réduction doit s’opérer « période par période » dans le but, tout à fait justifié, de ne pas léser la victime. « L’imputation doit être décomposée et donner lieu à deux comparaisons successives, de part et d’autre de la décision judiciaire : d’un côté, les arrérages échus de la rente due par le Fonds et de celle versée par la caisse ; de l’autre, les capitaux représentatifs des deux rentes » (Civ. 2e, 26 oct. 2006, n° 05-20.777, RCA 2007. Comm. 53, note H. Groutel ; RCA 2007. Comm. 89, note H. Groutel ; 18 déc. 2008, n° 08-11.525, RCA 2009. Comm. 52, note H. Groutel ; 13 sept. 2018, n° 17-18.885, Dalloz actualité, 10 oct. 2018, obs. A. Hacene ; RDSS 2018. 1109, obs. T. Tauran

).

Mais l’imputation doit également s’opérer « poste par poste ». Dans un avis du 6 octobre 2008, la Cour de cassation a précisé que le régime de la loi du 21 décembre 2006 (L. n° 2006-1640, 21 déc. 2006, art. 25, JO 22 déc. 2006, texte n° 1), laquelle prévoit notamment une imputation poste par poste, était applicable à l’indemnisation par le FIVA (Cass., avis, 6 oct. 2008, n° 08-00.009, concl. J.-C. Lautru ; D. 2009. 203

, note P. Sargos

; RCA 2008. Comm. 364, note H. Groutel). Le FIVA est donc tenu de déduire la prestation versée par la caisse de sécurité sociale pour le même poste et non globalement.

Prenant le contrepied des solutions préconisées par trois avis rendus en 2007 (Cass., avis, 29 oct. 2007, nos 0070015P, 0070016P et 0070017P, RDSS 2007. 1123, obs. P.-Y. Verkindt

; JCP 2007. II. 10194, note P. Jourdain ; RCA 2008. Comm. 57), la Cour de cassation a finalement décidé que la rente versée par le FIVA au titre du déficit fonctionnel permanent constituait l’assiette sur laquelle devait s’imputer la rente d’accident du travail versée par la caisse de sécurité sociale : « la rente versée indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent » (Civ. 2e, 11 juin 2009, n° 07-21.768, Bull. civ. II, n° 153 ; D. 2009. 1789

, note P. Jourdain

; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout

; ibid. 532, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin

; RTD civ. 2009. 545, obs. P. Jourdain

; JCP S 2009, 1469, note D. Asquinazi-Bailleux ; JCP G 2009. 195, note S. Porchy-Simon ; ibid. 2009. I. 248, n° 9 ; H. Groutel, Recours des tiers payeurs : enfin des règles sur l’imputation des rentes d’accident du travail (et prestations analogues), RCA 2009. Chron. 10 ; 8 oct. 2009, n° 08-17.884, Bull. civ. II, n° 244 ; Dalloz actualité, 26 oct. 2009, obs. S. Lavric ; RDSS 2010. 177, obs. T. Tauran

; 10 févr. 2011, n° 10-10.305, Bull. civ. II, n° 40 ; Dalloz actualité, 9 mars 2011, obs. P. Perony : JCP E 2011. 1710, obs. J. Colonna et V. Renaux-Personnic ; 17 mars 2011, n° 10-17.497, Dalloz jurisprudence).

Ces solutions n’ont pas été sans conséquence sur le traitement des victimes de l’amiante. Il y eut un avant et un après.

Le début du contentieux opposant les victimes au FIVA était marqué par la liberté des juges du fond qui ne se considéraient pas tenus du barème proposé par le Fonds et avaient l’habitude, par faveur pour les victimes, de calculer l’indemnisation en doublant le montant de la rente annuelle du barème ainsi que les arriérés de rente (v. sur ce point, F. Arhab, obs ss Civ. 2e, 13 sept. 2007, n° 06-20.530, Dalloz actualité, 9 oct. 2007, obs. S. G. Bruguière-Fontenille ; RDSS 2008. 189, obs. F. Arhab

, qui relève « la tendance de certaines juridictions du fond à remettre en cause les offres du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante pour les majorer et la liberté laissée aux juges du fond dans l’appréciation du montant de l’indemnisation du dommage »).

Toutefois, tenant compte des arrêts de la Cour de cassation rendus en 2009 à propos de l’imputation des rentes d’accident du travail poste par poste, la cour d’appel de Douai, après avoir été censurée, fit tout à coup preuve d’une grande sévérité dans l’application du barème pour les affaires desquelles elle était saisie pour la première fois.

Dans une série de décisions, elle procéda à l’imputation des rentes en appliquant le barème proposé par le FIVA « purement et simplement » (H. Groutel, Les lendemains qui déchantent, RCA 2011. Repère 11), ce qui eut pour conséquence d’obliger les victimes indemnisées à la fois par la caisse de sécurité sociale et le FIVA pour le déficit fonctionnel permanent, à rembourser au Fonds le trop-perçu (v. par ex. Douai, 27 oct. 2011, n° 11/01532, H. Groutel, art. préc.).

Il y avait entre les victimes jugées avant 2011 et celles jugées après une importante différence de traitement puisque, pour les dernières, le capital, réduit de moitié par l’application du barème fixé par le FIVA – alors qu’auparavant la cour d’appel le doublait –, subissait une seconde réduction par l’imputation de la rente versée par la caisse sur cette somme versée par le Fonds.

Qualifiée de « juridiquement imparable » mais « humainement, lamentable » (H. Groutel, Les surlendemains qui chantent, RCA 2012. Repère 7), cette solution et ses conséquences étaient attribuées au législateur, « fautif » (H. Groutel, Les lendemains qui déchantent, RCA 2011. Repère 11) de ne pas avoir précisé dans la loi du 21 décembre 2006 sur le recours des tiers payeurs, la façon dont devait s’opérer l’imputation de la rente versée par la caisse et de l’avoir ainsi « bâclée » (H. Groutel, préc.). C’est à la suite de ces solutions humainement difficiles pour les victimes de l’amiante que celui-ci est intervenu par le biais de la loi de finances pour 2016 (L. n° 2015-1785, 29 déc. 2015, JO 29 déc., texte n° 1) entrée en vigueur le 1er janvier 2016 dont l’objectif était de rectifier la situation.

Dans l’arrêt du 12 décembre 2019, la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur l’article 171. Elle en fait une application stricte et littérale. Le texte pose des conditions, qui, en l’espèce, sont toutes réunies. Par le premier arrêt de cassation partielle du 18 février 2010, à raison de la non-réduction des prestations versées par les organismes de sécurité sociale au titre de l’indemnisation d’un même préjudice, la victime a bien été reconnue débiteur du FIVA par décision juridictionnelle irrévocable. L’arrêt ayant été rendu entre le 1er mars 2009 et le 1er mars 2014, la victime a bien acquis, de façon définitive, la somme dont elle était redevable au Fonds. Puisque ce dernier s’est lui-même payé en réduisant le montant de l’indemnisation qu’il lui devait au titre de l’aggravation de ses préjudices, celle-ci est autorisée à récupérer la somme déduite au titre de la répétition de l’indu.

Par la reconnaissance de l’effet rétroactif de l’article 171, la Cour de cassation tente de réparer les conséquences, jugées désastreuses pour les victimes de l’amiante, du silence initial du législateur et de la rigueur avec laquelle la cour d’appel de Douai a interprété les arrêts rendus par la deuxième chambre civile en 2009. Pour cela, la solution mérite d’être approuvée.