« Là où il y a les tuyaux, il y a le droit ! ». L’arrêt rendu le 19 mars 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en matière de communication par voie électronique met en œuvre cet « adage » qui nous est cher. Si nous nous en réjouissons, il faut cependant reconnaître que la décision illustre une fois de plus les difficultés que la détermination du champ d’application de la CPVE, notamment en appel, a pu susciter (Sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, S. Guinchard (dir.), 9e éd., Dalloz Action, 2016/2017, nos 161.221 s. ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, sept. 2012 [actu. janv. 2016] ; C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique, in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s. et Numérique et échanges procéduraux, in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 485 s.).
Rappelons à cet égard que, jusqu’au 20 mai 2020, deux arrêtés techniques concernaient les cours d’appel : l’arrêté du 5 mai 2010 applicable devant les cours d’appel en procédure sans représentation obligatoire et l’arrêté du 30 mars 2011 relatif aux procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel ; et que les arrêtés techniques, régis par l’article 748-6, alinéa 1er, du code de procédure civile, déterminent non seulement les garanties techniques, mais aussi le domaine de la CPVE, lorsqu’elle est facultative. Faute d’un cadre juridique autorisant le recours systématique à cette voie et même en présence de « tuyaux » (RPVA/RPVJ), la CPVE était, selon le cas, facultative, obligatoire ou interdite devant la cour d’appel.
Précisons aussi qu’un arrêté « CA » vient d’être publié, de sorte que le contentieux de la détermination du domaine de la CPVE va se tarir, même si de nouvelles questions vont se poser (C. Bléry, Arrêté du 20 mai 2020 relatif à la CPVE en matière civile devant les cours d’appel : entre espoir et déception…, Dalloz actualité, 2 juin 2020)…
L’arrêt du 19 mars 2020 concerne un recours contre une décision prise par un bâtonnier à propos d’un litige né à l’occasion d’un contrat de travail d’un avocat ; la solution serait la même dans l’hypothèse d’un contrat de collaboration. Ce recours, relevant de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991 (par renvoi des art. 142 et 152 du même décret de 1991), a été jugé éligible à la CPVE, parce que porté devant la cour d’appel elle-même. A l’inverse, le recours formé, en application de l’article 176 du même décret, contre la décision du bâtonnier statuant en matière de contestations d’honoraires et débours, s’était vu refuser cette éligibilité à la CPVE, parce qu’il relevait du premier président (PP) de la cour d’appel (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-20.047, F-P+B, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP 2018. 1174, obs. N. Gerbay) : ce recours – procédure « autonome » devant le PP – n’entrait pas dans le champ d’application de l’arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010, relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d’appel, tel que fixé par son article 1er…
Un avocat salarié saisit un bâtonnier du différend l’opposant à la société qui l’employait après son licenciement par cette dernière. Débouté de l’intégralité de ses demandes par une ordonnance du 22 mai 2018, il interjette appel de cette décision, d’abord par une première déclaration « papier » faite au greffe de la cour d’appel le 11 juin 2018, puis par la voie du réseau privé virtuel des avocats (le RPVA) le 12 juin 2018.
La cour d’appel déclare les deux déclarations d’appel irrecevables, considérant notamment que « les règles prévues par l’article 16 du décret du 27 novembre 1991 avaient seules vocation à s’appliquer en l’espèce, à l’exclusion des dispositions de l’article 748-1 du code de procédure civile ». L’avocat se pourvoit en cassation pour contester l’irrecevabilité des deux DA : à propos de la DA dématérialisée, il estime au contraire que l’envoi ou la remise au greffe de la cour d’appel, en application des articles 152 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, de la déclaration d’appel formée contre la décision du bâtonnier rendue dans le cadre d’un litige né à l’occasion du contrat de travail d’un avocat salarié, peut être effectué par voie électronique (première branche du moyen).
Seule cette branche est examinée par la deuxième chambre civile, qui casse l’arrêt d’appel au visa des articles et avec un attendu rappelés ci-dessus, en chapô.
L’arrêt commenté n’est pas surprenant. En effet, il y a équivalence entre les actes de procédure effectués par voie électronique et ceux sur support papier (v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, nos 161.08 et 161.221 ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, n° 6). Il en a d’ailleurs été jugé ainsi le 18 janvier 2017 (Soc. 18 janv. 2017 FS-P+B, n° 14-29.013, Dalloz actualité, 6 févr. 2017, nos obs.). Dans cette affaire de 2017, le pourvoi prétendait que l’article R. 1461-1 du code du travail (dans sa version antérieure au décret du 12 mai 2016) imposait une déclaration d’appel « papier », qu’une déclaration d’appel par voie électronique devait donc être jugée irrecevable ; cependant, le législateur ayant mis en œuvre la dématérialisation des procédures selon une démarche d’équivalence, la voie électronique pouvait être utilisée pour la déclaration d’appel. La Cour de cassation avait donc affirmé que « l’article 748-1 du code de procédure civile et l’arrêté du 5 mai 2010 y relatif, qui n’ouvrent en matière prud’homale qu’une faculté, ne dérogent pas au principe d’égalité de traitement de l’article 16 de la DDH dès lors que les prescriptions des articles 58 et 933 du même code demeurent applicables ». Ici, il devait être fait application de l’article 16 du décret de 1991 ; or celui-ci dispose que « le recours devant la cour d’appel est formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au greffier en chef […] » (al. 1er). Dans l’affaire donnant lieu à l’arrêt du 19 mars 2020, la DA ou plus rigoureusement la déclaration de recours « papier » par LRAR, prévue à l’article 16, pouvait tout à fait être effectuée par voie électronique en raison de l’équivalence de l’écrit papier et de l’écrit dématérialisé.
Cette équivalence joue cependant dans les limites du domaine de la CPVE, ce que l’arrêt du septembre 2018, précité (parmi d’autres) affirme. Dans l’affaire de 2018, le demandeur au pourvoi avait tenu le raisonnement d’équivalence, ce qui paraissait logique… sauf que, on l’a dit, la Cour de cassation a élaboré une jurisprudence sur des procédures « autonomes » qu’elle exclut de la communication par voie électronique : rappelons que le 6 juillet 2017 (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695 P, Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, obs. C. Bléry), la deuxième chambre civile a considéré que la procédure de récusation et/ou de renvoi pour cause de suspicion légitime est autonome ; dès lors, elle n’entre pas dans le champ d’application des arrêtés existants, qui visent la cour d’appel et non le premier président – juridiction au sein de la juridiction –, de sorte que la requête en récusation, adressée au premier président par RPVA, est irrecevable. Comme un arrêté technique est nécessaire pour fixer les modalités techniques, tant en CPVE facultative qu’obligatoire et qu’il n’en existe pas pour la juridiction du premier président de la cour d’appel, celui-ci ne peut être saisi d’actes dématérialisés (É. de Leiris, D. 2018. 692, n° 3 ; Adde J.-L. Gallet et É. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, préc., n° 491)… Or, dans l’arrêt de 2018, le recours en cause était régi par l’article 176, alinéa 1er, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, qui dispose : « la décision du bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d’appel, qui est saisi par l’avocat ou la partie, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception »… PP et non CA, donc recours autonome.
Dans notre arrêt de 2020, le recours en cause est porté devant la cour d’appel et non le premier président. Ce n’est pas une procédure autonome, mais une procédure visée par l’arrêté du 5 mai 2010 alors encore en vigueur, puisque ce recours « est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire » (Décr. 1991, art. 16, al. 1erin fine). Comme il s’agit de saisir la cour d’appel, l’acte entre dans les prévisions de l’article 1er de l’arrêté technique de 2010, qui vise « la déclaration d’appel, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associées ». Tout au plus, pourrait-on dire que ce n’était pas exactement une DA, mais une déclaration de recours. Mais, et c’est plutôt heureux, la Cour de cassation a déjà fait preuve de souplesse dans un cas similaire : elle a ainsi pu juger, à propos du recours contre une décision du directeur général de l’INPI, que « les tuyaux sont ouverts »… (Com. 13 mars 2019, n° 17-10.861, F-P+B et Civ. 2e, 18 oct. 2018, n° 17-10.861, FS-D, Dalloz actualité, 28 mars 2019, obs. C. Bléry).
Une nouvelle fois, avec l’arrêté du 20 mai 2020 précité, de tels arrêts appartiennent à l’histoire du droit, ce dont on ne peut que se réjouir, même si d’autres difficultés risquent de se présenter.