L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2023 ne peut que retenir l’attention du processualiste. À la suite d’un avis interne, sollicité de la chambre spécialisée en procédure civile, la première chambre civile a en effet contribué à la construction du régime de l’appel particulier d’un jugement qui tranche la seule compétence à l’exclusion du fond. L’arrêt peut encore être remarqué en ce qu’il tranche une partie du fond et casse sans renvoi pour le reste. En un seul arrêt la Cour de cassation met donc en œuvre deux pouvoirs qui lui ont été conférés par des textes plus ou moins récents (sur la demande d’avis à une autre chambre, v. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 36e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, n° 1827) et qui changent en partie sa physionomie traditionnelle, puisque, avec le second, elle se comporte en troisième degré de juridiction (op. cit., n° 1848)…
Une patiente souffrant d’un abcès dentaire consulte un chirurgien-dentiste exerçant son activité à titre libéral, puis un stomatologue, exerçant son activité en secteur public du centre hospitalier. Des complications se produisent.
La patiente obtient en référé la désignation d’un expert médical. Elle assigne en responsabilité et indemnisation les deux praticiens ainsi que le centre hospitalier devant la juridiction judiciaire. Le stomatologue et le centre hospitalier présentent une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.
Le juge de la mise en état rend une ordonnance statuant sur sa seule compétence : d’une part, il s’y déclare incompétent pour statuer sur les demandes dirigées contre le centre hospitalier, d’autre part, il y rejette l’exception d’incompétence s’agissant des demandes dirigées contre le stomatologue (le JME admet donc la compétence de la juridiction judiciaire).
Le stomatologue et le centre hospitalier font appel pour contester la compétence judiciaire retenue par le JME à l’égard du praticien. La patiente sollicite l’infirmation partielle de l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la compétence judiciaire relativement à l’hôpital. Elle forme cet appel incident par voie de conclusions, qu’elle remet plus de quinze jours après la notification de l’ordonnance du JME.
Les appelants principaux opposent l’irrecevabilité de l’appel incident, mais la cour d’appel ne les suit pas, faisant application de l’article 550 du code de procédure civile dispose que, sous réserve des articles 905-2, 909 et 910, l’appel incident peut être formé en tout état de cause alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Il ne peut être reproché à la patiente d’avoir formé son appel incident au-delà du délai de quinze jours, prévu par l’article 84 du code de procédure civile. En outre, la cour d’appel retient la compétence du juge judiciaire, considérant que les fautes relevées à l’encontre du stomatologue, dans le rapport d’expertise, étaient suffisamment graves pour caractériser une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service public.
Le praticien et l’hôpital se pourvoient alors en cassation, invoquant deux moyens, l’un de procédure civile, l’autre relatif au principe de séparation des autorités judiciaire et administrative. D’une part, la cour d’appel aurait violé les articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile : selon le pourvoi, « le recours contre un jugement qui s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, peut seulement s’exercer par un appel formé par voie de déclaration dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement ». D’autre part, la juridiction du second degré aurait violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, car la responsabilité personnelle d’un agent du service public n’est susceptible...