Qu’on le nomme enrichissement injustifié ou enrichissement sans cause, le quasi-contrat d’origine prétorienne désormais codifié occupe une place acquise dans les liquidations de relations pécuniaires entre concubins. Si ces derniers ont choisi une conjugalité sans aucune formalité, contrairement au mariage ou au PACS, ils prennent naturellement le risque de voir des difficultés éclore au moment de leur séparation. Voici donc une brillante illustration de l’appréhension du fait par le droit (F. Terré et P. Simler, Droit civil. Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 2019, 8e éd., p. 788, n° 899). Parmi les manières de régler les différends pécuniaires en la matière, tout dépend de la situation factuelle précise des concubins. En présence d’une indivision, le juge devra rechercher les parts de chacun et procéder le cas échéant à l’ouverture des opérations liées au partage. Sur ce point, les difficultés sont celles inhérentes à toute indivision : indemnité d’occupation, gestion de la masse indivise, licitation, etc. Les problèmes commencent lorsqu’un des concubins a pu engager des frais sans pour autant créer une indivision. C’est le cas toutes les fois où une personne aide, par exemple, à construire un bien sur le terrain d’autrui. En dépit de la possibilité de qualifier le concubin de constructeur et d’utiliser l’article 555 du code civil (F. Terré et P. Simler, op. cit., p. 815, n° 918), il reste également utile à titre subsidiaire de se fonder sur l’action de in rem verso ou – en français dans le texte depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 – l’enrichissement injustifié anciennement qualifié d’enrichissement sans cause. L’arrêt d’aujourd’hui vient apporter d’utiles précisions sur l’application de la loi dans le temps et sur les modalités de calcul de l’indemnité qui en résulte.
Deux personnes vivent en concubinage entre novembre 2014 et décembre 2015. À la séparation, le concubin argue avoir participé à la construction de la piscine posée sur le terrain de sa concubine. Il l’assigne pour obtenir une indemnité sur le fondement de l’enrichissement sans cause. La cour d’appel de Bourges applique l’article 1303 nouveau issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 pour calculer une indemnité s’élevant à 24 227,16 € au profit du concubin ayant dépensé des frais pour la construction de la piscine. Voici que la concubine se pourvoit en cassation en arguant de deux principaux moyens : d’une part, la loi nouvelle n’était pas applicable faute de rétroactivité de la loi civile et, d’autre part, les modalités de calcul des juges du fond étaient erronées puisque ces dernières ne prenaient pas en compte la plus-value générée par la piscine ainsi construite. C’est sur ce deuxième point que la cassation pour défaut de base légale est prononcée.
L’application de la réforme dans le temps
Le concubinage ayant eu lieu entre novembre 2014 et décembre 2015, le demandeur au pourvoi indiquait donc que l’article 1303 nouveau du code civil ne lui était pas applicable. Pour ce faire, il utilisait l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 sur l’application de la réforme dans le temps mais également l’article 2 du titre préliminaire du code civil, selon lequel la loi nouvelle n’est pas rétroactive. On sait que les dispositions issues de la réforme, sauf exception (notamment pour les démarches interpellatives), sont applicables à partir du 1er octobre 2016 pour l’ordonnance ou du 1er octobre 2018 pour la loi de ratification. La question pouvait donc utilement se poser concernant un concubinage antérieur à 2016.
Pour balayer l’argumentation du demandeur, la Cour de cassation estime que « la cour d’appel a déterminé l’indemnisation de celui-ci en se référant à bon droit aux dispositions de l’article 1303 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lequel n’a fait que reprendre la règle de droit antérieure ». Ainsi, la haute juridiction vient bien préciser que la codification s’est faite à droit constant concernant l’évaluation de l’indemnité. Aussi n’existerait-il donc aucune différence à distinguer le droit antérieur du droit nouveau ici. La méthode donnée par la Cour de cassation est très intéressante d’ailleurs sur l’application de la loi dans le temps : « si la loi applicable aux conditions d’existence de l’enrichissement injustifié est celle du fait juridique qui en est la source, la loi nouvelle s’applique immédiatement à la détermination et au calcul de l’indemnité » (nous soulignons). On note donc ici l’application immédiate concernant les modalités de calcul dans l’instance postérieure à la rupture du concubinage. Que ce soit avant ou après l’ordonnance n° 2016-131, l’enrichissement injustifié est calculé sur la base de la règle dite du double plafond ; le juge prenant en compte la plus faible des deux sommes entre l’enrichissement et l’appauvrissement (v. Rép. civ., v° Enrichissement injustifié, par A.-M. Romani, n° 222). Cette règle, bien connue du droit patrimonial de la famille, évite une indemnité trop importante et respecte ainsi une certaine idée de l’équité.
En résumé, comment déterminer la loi applicable à l’enrichissement injustifié ? Pour la qualification ou « les conditions d’existence », la Cour de cassation se fonde non sur l’acte introductif d’instance mais sur le fait générateur ayant donné lieu à l’enrichissement injustifié. En ce qui concerne les modalités de calcul, le texte nouveau est immédiatement applicable. Le texte est, de toute manière, venu seulement moderniser des acquis connus concernant le calcul de l’indemnité (F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats, Dalloz, coll. « Référence », 2018, 2e éd., p. 180, n° 134.20).
Le rappel de la recherche de la plus-value
Sur le moyen ayant entraîné la cassation, la haute juridiction se livre à un rappel utile et nécessaire autour de l’importance de la plus-value. Sa prise en compte en matière d’enrichissement sans cause occupe une place déterminante. C’est une solution ancienne et désormais acquise en jurisprudence dans ce contentieux (Civ. 1re, 19 janv. 1953 ; Rép. civ., art. préc., n° 224).
Les juges du fond n’ont toutefois pas procédé à une recherche de la plus-value dans cette affaire. La cour d’appel de Bourges avait seulement utilisé les dépenses liées aux factures de l’entreprise ayant posé la piscine pour la somme de 24 227,16 €. En somme, ce n’est pas seulement le coût de la construction de la piscine qui importe mais la plus-value générée par cette édification supplémentaire. La prise en compte de cette dernière influencera l’indemnité finale égale à la plus faible des deux sommes entre l’appauvrissement de celui qui a payé et l’enrichissement corrélatif du concubin propriétaire. La détermination exacte de ces deux éléments reste donc cruciale pour éviter de fausser le calcul de l’indemnité.
Sur ce point, nihil novi sub sole. Mais la précision demeure importante. Le plaideur doit donc vérifier avec une certaine acuité la plus-value générée par l’enrichissement pour calculer l’indemnité de l’action de in rem verso.
On notera toutefois que les principales difficultés ne se situent guère sur le terrain du calcul. La véritable complexité de l’enrichissement injustifié reste sur le sol probatoire de l’appauvrissement d’un patrimoine corrélatif à l’enrichissement d’une autre masse de biens. Autre difficulté : l’absence de justification de ce transfert pécuniaire. Le concubin qui a dépensé des sommes pour construire sur le terrain d’autrui n’a-t-il pas profité de ses dépenses pendant l’union de fait ? Bien souvent, il s’agit du logement de la famille et la question peut donc utilement se poser de savoir si l’enrichissement était bien injustifié…
L’arrêt du 3 mars 2021 non promis à une publication au Bulletin reste toutefois très intéressant sur le calcul final de l’indemnité, une fois ces obstacles passés. La recherche de la plus-value est donc toujours à l’ordre du jour en matière d’enrichissement du concubin. Prudence sur sa prise en compte !