Par Le Batonnier le vendredi 1 octobre 2021
Catégorie: Actualités juridiques

C’est un peu court, jeune homme, mais c’est pour la bonne cause !

Le 25 mars 2019, une partie fait appel devant la cour d’appel de Lyon.

S’agissant de l’appel d’une ordonnance de référé, l’appel suit de droit le régime du circuit court, et un avis de fixation intervient le 1er avril 2019, soit quelques jours après l’inscription de l’appel.

L’appelant omet de signifier la déclaration d’appel aux intimés défaillants dans le délai de dix jours de l’avis de fixation, ce qu’il ne fait que tardivement, le 30 avril 2019.

Les intimés, qui ont constitué avocat et conclu dans leur délai, saisissent le président de la chambre qui constate la caducité par ordonnance en application de l’article 905-1 du code de procédure civile. Sa décision est confirmée, sur déféré, par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 7 novembre 2019.

L’appelant se pourvoit en cassation, arguant que la sanction de la caducité le prive de son droit de former appel, ce qui constitue une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge.

Le pourvoi est rejeté.

Dix jours, un délai prévisible et suffisant

Pour l’appelant, un des arguments consistait à soutenir que le délai de dix jours pour signifier l’acte d’appel à l’intimé défaillant était imprévisible et trop court.

Et il est exact que si le délai est connu, à savoir dix jours, son point de départ reste la grande inconnue dans ce type de procédure lorsqu’une partie forme appel. En effet, ce point de départ dépend d’un avis de fixation qui peut intervenir quelques jours après la déclaration d’appel comme il peut intervenir plusieurs mois après. Et ce délai de dix jours – qui au demeurant comprend au moins deux jours chômés – est particulièrement court, et ce d’autant qu’il n’existe aucune règle pour cet avis de fixation, qui peut être remis à l’avocat alors que ce dernier est absent pour quelques jours du cabinet, voire en congés. Et on pense alors aux fixations du mois d’août, même s’il peut exister des usages permettant d’éviter des fixations en période estivale.

Et il faut, dans ce délai, que l’huissier puisse signifier l’acte, mais pas trop rapidement non plus pour qui veut éviter les émoluments dits d’urgence de l’article A. 444-12 du code de commerce.

Cet argument, qui pourtant s’entend, est néanmoins balayé par la Cour de cassation.

Pour la Haute juridiction, dans les matières relevant du circuit court, il faut aller vite, et c’est cette « exigence de célérité » qui justifie cette réglementation dont la cour de cassation rappelle qu’elle relève de la marge d’appréciation des États.

En l’espèce, soulignons que l’avis de fixation était intervenu quelques jours seulement après l’inscription de l’appel, ce qui mérite d’être salué.

Mais il n’en va pas toujours ainsi, et il faut parfois attendre plusieurs semaines avant d’obtenir cet avis, pour une audience qui se tiendra de longs mois après.

Et alors, l’argument tenant à la célérité devient un peu plus difficile à entendre.

Car la réalité est celle-là, à savoir des cours d’appel qui sont dans l’impossibilité de traiter dans un vrai bref délai les appels relevant pourtant du circuit court.

En outre, l’argument de la célérité est-il présent lorsque l’affaire revient après cassation, alors que, aux termes de l’article 1037-1 du code de procédure civile, c’est le même délai de dix jours que l’auteur de la déclaration de saisine doit respecter pour signifier la déclaration de saisine aux parties non représentées. Dans ces procédures de renvoi de cassation, qui ne sont pas des procédures à bref délai, et ne concernent pas des affaires urgentes par nature, le délai de dix jours n’est pas imposé pour des raisons de célérité. Un délai d’un mois, comme en circuit ordinaire avec désignation d’un conseiller de la mise en état, aurait tout aussi bien pu être envisagé.

Il résulte de cela que le rejet au motif de l’exigence de célérité ne convaincra pas nécessairement.

L’avocat, professionnel du droit

Nous aurions pu attendre la Cour de cassation sur un autre terrain, sur lequel elle se déplace de manière assez régulière depuis peu, lorsque lui est opposé l’article 6, § 1, de la Convention.

D’ailleurs, cet argument n’est-il pas invoqué à demi-mot, ou à tout le moins de manière moins abrupte ?

La Cour de cassation, pour appuyer son rejet, rappelle que le droit d’accès au juge est garanti, à charge pour la partie, qui n’est pas seule, puisqu’elle agit par l’intermédiaire de son avocat, de faire preuve de vigilance.

Et ce n’est pas la partie elle-même, qui doit faire montre de vigilance, mais son représentant,
car la procédure est avec représentation obligatoire.

La Cour de cassation n’a pas usé des termes que l’on retrouve désormais dans ses arrêts pour justifier les sanctions, lourdes de conséquences, propres à la procédure d’appel.

Elle se contente de rappeler l’existence d’un avocat, mais sans le qualifier de « professionnel du droit », ou de « professionnel averti » ou « professionnel avisé », comme elle le qualifie désormais de manière habituelle (« professionnel avisé », Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.150, D. 2019. 555, obs. N. Fricero

; ibid. 555, obs. N. Fricero

; 21 févr. 2019, n° 17-28.285 P, D. 2020. 576, obs. N. Fricero

; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol

; 4 juin 2020, n° 18-23.248 P, D. 2021. 543, obs. N. Fricero

; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol

; 2 juill. 2020, n° 19-11.624 P, D. 2020. 1471

; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol

; 25 mars 2021, n° 18-23.299 P, RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol

; 20 mai 2021, n° 19-19.258 P ; « professionnel averti », Civ. 2e, 7 juin 2018, n° 17-14.694, D. 2019. 555, obs. N. Fricero

; 9 janv. 2020, n° 18-24.513 P, D. 2020. 88

; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero

; Rev. prat. rec. 2020. 8, chron. O. Salati

; « professionnel du droit », Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-24.598 P, D. 2020. 1235

; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle

).

La procédure d’appel est certes lourde et complexe, mais la partie a l’obligation d’être représentée d’un professionnel pour qui la procédure d’appel est dénuée d’ambiguïté. C’est tout au moins ce qu’affirme la Cour de cassation, la réalité étant à nuancer, les avocats ayant davantage l’impression d’être en terrain miné dès l’instant où ils entrent dans l’arène.

Cette formule de la Cour de cassation n’est pas gratuite, mais répond à un objectif bien précis, à savoir rappeler que le principe de proportionnalité est respecté, et que nonobstant des règles compliquées en appel, et des sanctions lourdes, la partie a tout de même accès au juge et a droit à un procès équitable.

C’est de cette manière que la Cour de cassation a considéré que l’avocat ne pouvait se méprendre sur son délai pour signifier l’acte d’appel à réception de l’avis du greffe (Civ. 2e, 7 juin 2018, n° 17-14.694, préc.), sur son obligation d’avoir à conclure en qualité d’intimé, à peine d’irrecevabilité, dans le délai de l’article 909 (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.150, préc.), sur le délai pour déférer à la cour d’appel une ordonnance de mise en état (Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 17-28.285 P, préc.), sur l’obligation de remettre au greffe l’assignation à jour fixe par voie électronique à peine de caducité (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-24.513 P, préc.), sur l’absence d’augmentation des délais en raison de la distance pour déférer une ordonnance de mise en état (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 18-23.248 P, préc.), sur l’obligation de signifier la déclaration d’appel en circuit court lorsque la partie bénéficie de l’aide juridictionnelle (Civ. 2e, 4 juin 2020, n° 19-24.598 P, préc.), sur l’obligation de procéder selon la procédure à jour fixe pour faire appel d’un jugement statuant en matière d’exception d’incompétence (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.624, préc.), sur l’obligation de procéder selon la procédure à jour fixe lorsque le jugement d’incompétence a été rendu par un juge de la mise en état (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.624 P, préc.), sur l’obligation de remettre l’assignation au greffe de la cour d’appel, à peine de caducité, dans les procédures à jour fixe (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-19.258 P, préc.).

Mais cela suppose une représentation de la partie par cet avocat, professionnel.

D’ailleurs, le même jour, la Cour de cassation écartait purement et simplement une application trop stricte de l’alinéa 1er de l’article 562, concernant la dévolution opérée par l’acte d’appel, dans une procédure d’appel sans représentation obligatoire. La Cour de cassation estimait alors qu’en application de l’article 6, § 1, de la Convention, et du droit d’accès au juge, il ne pouvait être exigé de la partie la même charge procédurale, quant aux chefs critiqués mentionnés dans l’acte d’appel, dans les procédures avec et sans représentation obligatoire (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-13.662 FS-B+R, D. 2021. 1680

- voire aussi pour une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge au motif que les parties n’étaient pas tenues de constituer un avocat, Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 18-23.299 P, préc.).

Au regard de cette jurisprudence, et d’un article 6, § 1, qu’elle écarte davantage qu’elle ne l’accueille, cet arrêt ne crée pas la surprise. Même s’il est bien de nourrir quelques espoirs, il était tout de même peu probable que la Cour de cassation aménage le circuit court pour, par exemple, prolonger le délai de signification à un mois de l’avis de fixation.

La procédure d’appel avec représentation obligatoire est complexe et manifestement, elle le restera, à charge pour la partie de faire preuve de vigilance dans son affaire… et de croiser les doigts, on ne sait jamais…