Par Le Batonnier le vendredi 22 janvier 2021
Catégorie: Actualités juridiques

Ce qui est contradictoire ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation : exemple d’un appel restauré

Défaut faute de comparaître et défaut faute d’accomplir les actes

Maîtresses dans la conduite de l’instance, les parties n’en sont pas moins tenues par les charges qui leur incombent. En effet, il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis (C. pr. civ., art. 2). En pratique, l’une des parties peut manquer à ce devoir de diligence. Parmi les manquements possibles, il en est un que le code de procédure nomme « défaut de comparution » (C. pr. civ., art. 467-469). En réalité, ce manquement recouvre deux réalités bien distinctes. La première consiste en un défaut de comparution stricto sensu : sans motif légitime, une partie ne comparaît pas (C. pr. civ., art. 468, 472). La seconde consiste en un simple défaut d’accomplissement : une partie comparaît, mais omet de réaliser un acte de la procédure dans le délai requis (C. pr. civ., art. 469). Distinctes, ces violations de la légalité procédurale n’en sont pas moins susceptibles d’être sanctionnées de la même façon par la caducité de la citation (sur cette sanction et les alternatives possibles, J.-Cl. pr. civ., fasc. 800-30, par N. Fricero, nos 28 s. ; Rép. pr. civ., v° Caducité, par P. Callé, nos 11 s). Dans l’hypothèse où cette sanction est prononcée à l’égard d’un demandeur n’ayant pas comparu pour un motif légitime, l’alinéa 2 de l’article 468 du code de procédure civile lui permet de demander que soit rapportée la déclaration de caducité. Mais cette précaution prévue par le Code à propos du défaut faute de comparaître, peut-elle être étendue au défaut faute d’accomplir ? C’est à cette question que répond l’arrêt commenté, offrant par la même occasion un rare exemple d’un « recours restauré ».

Ce qui est contradictoire ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation

En l’espèce, un salarié licencié par sa société saisit un conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement. La citation est déclarée caduque par la juridiction sur le fondement de l’article 469 du code de procédure civile. Le salarié ayant sollicité que ce jugement soit rapporté, le conseil de prud’hommes a, par un second jugement, dit que la notification du jugement visait l’article 468 du code de procédure civile et renvoyé l’affaire à une audience ultérieure afin qu’elle soit jugée. Dénonçant une forme de resaisine d’une action dont la juridiction s’était pourtant dessaisie, son employeur forme un « appel-nullité » contre le second jugement.

Ici, un bref rappel s’impose. Pour obtenir la nullité d’un jugement, le demandeur doit veiller à emprunter les voies de recours prévues par la loi (« voies de nullité n’ont lieu contre les jugements » ; C. pr. civ., art. 460). Or il est des dispositions qui limitent le droit de former un recours, en le différant ou même en le supprimant. En ces cas, les voies à emprunter se trouvent donc fermées privant le justiciable de la possibilité de dénoncer l’irrégularité du jugement. Soucieuse de préserver le droit fondamental à un recours de nature juridictionnelle, la Cour de cassation n’hésite pas à rétablir, sous réserve de la réunion de strictes conditions, une voie de recours dénommé recours-nullité (plus justement qualifié de « recours restauré » par la doctrine, en ce sens P. Cagnoli, Essai d’analyse processuel du droit des entreprises en difficulté, préf. T. Le Bars, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 368, 2002, nos 476 s. ; adde, Rép. pr. civ., v° Appel, par F. Ferrand, n° 376). Parmi ces conditions, il en est une difficile à démontrer : l’existence d’un excès de pouvoir affectant la décision non susceptible de recours.

Dans l’arrêt commenté, les juges du fond ont précisément déclaré irrecevable un appel-nullité en ce que la preuve d’un tel vice grave n’était pas rapportée. Faisant grief à l’arrêt, la société a formé un pourvoi en cassation. Elle reproche aux juges du fond d’avoir, sur le fondement de l’article 17 du code de procédure civile, accepté de rapporter la déclaration de caducité de la citation pour défaut faute d’accomplissement. Or le jugement sanctionnant le demandeur pour son manque de diligence était pourtant contradictoire. Ainsi, en se ressaisissant après s’être déclaré définitivement dessaisi, sans nouvelle assignation et sans autorisation expresse de la loi, le conseil de prud’hommes a excédé ses pouvoirs. Partant, la cour d’appel a commis un excès de pouvoir négatif en ne sanctionnant pas un tel excès.

L’argument convainc la Cour de cassation. Au visa des articles 17, 407 et 469 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant l’excès de pouvoir, elle affirme que le pouvoir accordé au juge, en cas d’erreur, de rétracter sa décision prononçant la caducité d’une citation lui est seulement reconnu lorsque cette décision a été prise à l’insu du demandeur. Dit autrement, ce qui est contradictoire ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation ! Tel est le cas du jugement de caducité qui sanctionne le demandeur s’étant abstenu, après avoir comparu, d’accomplir les actes de la procédure dans les délais requis. En rapportant sa première décision de caducité sur le fondement de l’article 469, le conseil de prud’hommes a donc commis un excès de pouvoir qui justifie de restaurer un recours pour y mettre fin. Cette solution apparaît justifiée, tant au regard de la qualification d’excès de pouvoir que de son refus d’offrir au demandeur non diligent un recours en rétractation en cas de défaut faute d’accomplir.

L’existence d’un vice grave affectant la décision

Avec d’autres, il faut bien reconnaître que la détermination des contours précis de la notion d’excès de pouvoir « soulève des difficultés insurmontables » (J.-Cl. pr. civ., fasc. 1000-25, par N. Fricero, spéc. n° 23). Il existe toutefois quelques certitudes. La violation des règles de procédure ne constitue pas en principe des hypothèses d’excès de pouvoir (Cass., ch. mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153, D. 2005. 386, obs. V. Avena-Robardet

; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero

; AJDI 2005. 414

; Procédures 2005. Comm. 87, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2006. 103, obs. S. Amrani-Mekki). À l’inverse, en est un le juge qui s’arroge un pouvoir dont il est privé par la loi (Rép. pr. civ., v° Appel, par F. Ferrand, nos 384 s.). Or n’est-ce pas ce que fait le conseil de prud’hommes en rapportant une déclaration de caducité pour défaut faute d’accomplissement, alors que le code de procédure réserve ce recours en rétractation au seul défaut faute de comparaître ? La Cour de cassation répond positivement à cette question. Finalement, ce n’est pas tant la qualification d’excès de pouvoir qui interroge ici, mais plutôt le choix de la Cour de cassation de réserver ce recours au seul défaut faute de comparaître. À y regarder de plus près, ce choix se justifie pleinement.

Deux types de défauts, deux principes en jeu

Ces deux manquements mettent en jeu des principes différents (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et F. Ferrand, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, 2020, n° 459, p. 375-376). Tandis que le défaut faute de comparaître menace le principe de la contradiction, le défaut faute d’accomplir un acte concerne le seul principe d’initiative et la crainte de voir l’instance paralysée par une partie malintentionnée. En toute logique, ces deux manquements n’appellent pas les mêmes précautions. Il est proprement inconcevable qu’un demandeur qui n’a pu comparaître en raison d’un motif légitime ne dispose pas d’un moyen de s’élever contre la caducité de la citation qui peut en résulter. C’est pour cela que l’article 468, alinéa 2, prévoit un remède à la sanction injustement prononcée, remède qui permet précisément de rétablir le contradictoire jusque là menacé. À l’inverse, après avoir comparu, le demandeur ayant omis d’accomplir un acte de procédure dans le délai requis n’a aucune raison de disposer d’un recours en rétractation contre la déclaration de caducité qu’il vient de subir. En effet, en ce qu’elle n’a pas été prise à son insu, elle constitue une décision pleinement contradictoire. Elle pourra toujours être rapportée par le juge qui l’a rendue, mais il faudra démontrer une erreur au sens de l’article 407 du code de procédure civile.