Par Le Batonnier le vendredi 22 janvier 2021
Catégorie: Actualités juridiques

Charge de l’indemnisation des préjudices consécutifs à une infection nosocomiale contractée à l’occasion d’un acte de chirurgie esthétique et étendue de la saisine des juges d’appel

Au mois de mai 2013, une personne a subi une intervention chirurgicale à visée exclusivement esthétique, à savoir un lifting cervico-facial. Malheureusement, à cette occasion, elle a développé une infection nosocomiale très virulente dont elle est décédée le 26 mai 2013.

Le 13 juin 2013, les proches de la victime ont assigné en référé la clinique, les médecins, ainsi que la caisse primaire d’assurance maladie aux fins de voir organiser une expertise et d’obtenir le paiement d’une indemnité provisionnelle. Par ordonnance du 17 juin 2013, le juge des référés a fait droit à la demande d’expertise médicale, mais a rejeté la demande de provision. Les proches de la victime ont ensuite assigné au fond, le 20 juillet 2015, la clinique, les médecins, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et la CPAM en indemnisation de leurs préjudices.

Suivant jugement du 9 juin 2016, le tribunal de grande instance de Nîmes a notamment rejeté les demandes indemnitaires formulées à l’encontre de la clinique et condamné l’ONIAM au paiement de diverses sommes en réparation des préjudices subis.

La cour d’appel de Nîmes, par arrêt du 25 octobre 2018, a infirmé la décision de première instance et a jugé que l’indemnisation des préjudices subis était à la charge de la clinique.

Cette dernière a formé un pourvoi principal en cassation fondé sur deux moyens. Elle faisait valoir, d’une part, que la cour d’appel aurait violé l’article 70, II, de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014. Selon elle, l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique, excluant le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale pour les demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité thérapeutique, n’était pas applicable dès lors que la première demande d’indemnisation des proches de la victime avait été formulée antérieurement à la date d’entrée en vigueur du texte. D’autre part, la clinique soutenait que l’ONIAM n’avait formé aucune demande à son encontre de sorte que la cour d’appel avait statué extra petita, violant ainsi notamment l’article 954 du code de procédure civile.

Deux questions sont ainsi posées à la Cour de cassation.

Les proches de la victime avaient-il formulé, par la saisine du juge des référés, une demande d’indemnisation antérieure au 31 décembre 2014, permettant ainsi d’exclure l’application de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique ?

En l’absence de demande formée par l’ONIAM à l’encontre de la clinique, les juges du fond pouvaient-ils condamner cette dernière au paiement des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la victime et ses proches ?

Finalement, la question de la charge de l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale a soulevé des interrogations de nature procédurale relatives, d’une part, à l’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique et, d’autre part, à l’étendue de la saisine de la cour d’appel.

L’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique. L’article 70 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 a introduit au sein de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique une limitation au dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale. Sont ainsi exclues du champ d’application de ce dispositif, les « demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi ». Cette restriction vise principalement à évincer du champ de l’indemnisation par la solidarité nationale les « dommages, même graves, consécutifs à des actes relevant de pure convenance personnelle » (M. Olivier Véran, député, Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, t. II, « Assurance maladie », 16 oct. 2014, spéc. art. 50 du projet de loi). Ainsi, l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale contractée à l’occasion d’un acte de chirurgie à visée exclusivement esthétique ne peut plus relever de la solidarité nationale.

Toutefois, l’article 70, II, de la loi du 22 décembre 2014 prévoit que les dispositions de l’article L. 1142-3-1 ne sont applicables qu’aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014. Il s’agissait donc, en l’espèce, de fixer la date de la demande d’indemnisation afin de déterminer le régime correspondant. En effet, pour les demandes antérieures au 31 décembre 2014, seul était applicable l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, lequel prévoit une indemnisation par la solidarité nationale lorsque les dommages consécutifs à une infection nosocomiale sont d’une certaine gravité. En l’espèce, la patiente étant décédée, l’ONIAM aurait été tenu à réparation.

Les proches de la victime avaient formulé une demande d’indemnisation au fond en juillet 2015, mais ils avaient également saisi, au mois de juin 2013, le juge des référés aux fins notamment d’obtenir une indemnité provisionnelle. Cette saisine du juge des référés permettait-elle de considérer que la demande d’indemnisation était antérieure au 31 décembre 2014 ?

La Cour de cassation, après avoir rappelé l’évolution du régime d’indemnisation des dommages consécutifs à des actes de chirurgie esthétique (citant, en ce sens, une décision antérieure à la loi du 22 décembre 2014 qui avait ouvert droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale), répond de la manière suivante : « La cour d’appel en a déduit, à bon droit, qu’étaient applicables les dispositions de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique, de sorte que l’indemnisation des dommages subis […] n’incombait pas à l’ONIAM. » Reprenant les motifs des juges d’appel, elle énonce que le juge des référés, en rejetant par ordonnance du 17 juillet 2013 la demande de provision, a été vidé de sa saisine et que la demande d’indemnisation au fond a été formée postérieurement au 31 décembre 2014. La solution n’est pas complètement nouvelle puisque le Tribunal des conflits avait déjà eu l’occasion de statuer en ce sens, retenant que le juge judiciaire, qui s’était prononcé par ordonnance de référé sur une demande de provision, n’avait été saisi d’aucune demande d’indemnisation (T. confl. 28 févr. 2011, n° 3750, M.-C. de Montecler, Juge compétent pour les dommages causés par les transfusions sanguines, Dalloz actualité, 16 mars 2011 ; Lebon

; AJDA 2011. 482

). La solution est logique dans la mesure où l’allocation de dommages et intérêts impose de statuer au fond, l’attribution d’une provision par le juge des référés pouvant d’ailleurs toujours être remise en cause par la décision du juge statuant au principal (v. not., en ce sens, Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse, Université Robert-Schuman de Strasbourg, 1993, spéc. p. 531 s.).

L’étendue de la saisine de la cour d’appel. La Cour de cassation, au visa de l’article 954 du code de procédure civile, casse partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes aux motifs que cette dernière « n’était saisie d’aucune demande tendant à mettre à la charge de la clinique l’indemnisation des préjudices subis par les consorts […] ». Les conclusions d’appel des proches de la victime avaient été déclarées irrecevables par le conseiller de la mise en état, de sorte que l’ONIAM et la clinique étaient les seules parties concluantes. Or l’ONIAM, appelante, avait demandé, à titre principal, qu’il soit jugé que l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique n’était pas applicable et qu’il soit décidé, en conséquence, sa mise hors de cause. La clinique, quant à elle, avait demandé que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu’il avait mis à la charge de l’ONIAM l’indemnisation des dommages subis par la victime et ses proches. Les parties s’opposaient donc sur le régime d’indemnisation applicable. La cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, conclut, comme cela vient d’être exposé, à l’exclusion de l’ONIAM de la prise en charge de l’indemnisation au regard de l’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique. Pour autant, la mise hors de cause de l’ONIAM permettait-elle aux juges du fond de statuer consécutivement sur la condamnation de la clinique à la prise en charge de l’indemnisation des victimes ? La Cour de cassation répond par la négative : en l’absence de demande formulée en ce sens par l’ONIAM, les juges du fond ont excédé le champ de leur saisine. La règle selon laquelle « la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance » est appliquée strictement par les juges de cassation. Il était pourtant possible de s’interroger sur l’étendue de la saisine de la cour d’appel. D’une part, l’appel formulé par l’ONIAM était un appel général auquel s’appliquait l’article 562 du code de procédure civile dans sa version antérieure au décret du 6 mai 2017. L’effet dévolutif s’opérait donc pleinement. D’autre part, il était aussi possible de considérer que, quand bien même la déclaration d’appel n’aurait pas critiqué l’ensemble des chefs du jugement, il existait un lien de dépendance suffisant entre la question de la charge de l’indemnisation et celle de la condamnation à réparation du préjudice pour considérer que les juges du fond n’avaient donc pas outrepassé le champ de leur saisine. Ce n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation qui, il est vrai, ne se fonde pas sur l’article 562 du code de procédure civile, mais sur l’article 954 de ce même code. L’étendue de la saisine de la cour d’appel doit donc bien se déterminer au regard de ces deux dispositions. Lorsque l’effet dévolutif est total, les juges d’appel vont juger, à nouveau, en droit et en fait l’entier litige, en considération toutefois des prétentions et moyens que les parties ont formulés au sein des leurs conclusions. Ils ne peuvent se prononcer en l’absence de demande explicitement formulée. En l’espèce, l’ONIAM sollicitait, à titre principal, la réformation totale du jugement sans pour autant demander une quelconque condamnation de la clinique au paiement de dommages et intérêts, se contentant de demander sa mise hors de cause. L’application stricte de l’article 954 du code de procédure civile peut sembler sévère, mais n’est pas dépourvue de cohérence, notamment dans l’hypothèse où il y aurait plus de deux responsables potentiels. En effet, la mise hors de cause de l’un ne suffirait pas à permettre la condamnation d’un autre au bénéfice d’un troisième en l’absence de demande formulée en ce sens. De plus, cette solution s’inscrit également pleinement dans l’application rigoureuse des dispositions relatives à la structuration des conclusions (v. déjà, à ce sujet, antérieurement au décret du 6 mai 2017, C. Bléry, Article 954 du code de procédure civile : questions et réponses, Gaz. Pal. 2014. 29) et notamment de l’alinéa de l’article 954 du code de procédure civile qui prévoit, depuis le décret du 9 décembre 2009, que « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » (v. par ex. Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-11.957, Dalloz actualité, 13 mars 2014, obs. V. Avena-Robardet ; Procédures 2014. 139. comm. R. Perrot). En l’espèce, aucune demande de condamnation de la clinique à réparer les préjudices subis n’était formulée par les conclusions d’appel de l’ONIAM, que ce soit au sein des moyens ou du dispositif. La cour d’appel ne pouvait donc, sans excéder ses pouvoirs, statuer au fond dès lors qu’elle n’était saisie d’aucune demande de condamnation à réparation de la clinique. L’étendue de la saisine des juges d’appel questionne ainsi encore et toujours, même pour les litiges auxquels s’appliquent les textes antérieurs à la réforme de 2017 (depuis la réforme de 2017, l’étendue de la saisine des juges d’appel et de l’effet dévolutif interroge également, v., pour un exemple récent, Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288

; ibid. 576, obs. N. Fricero

; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle

; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon

; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry

; ibid. 458, obs. N. Cayrol

 ; JCP 2020. 336, obs. P. Gerbay ; Procédures 2010, n° 55, obs. H. Croze).