Par Le Batonnier le jeudi 8 septembre 2022
Catégorie: Actualités juridiques

Chronique CEDH : droits de la femme contre les traditions, les violences et les erreurs médicales

Le recours en manquement exercé par le comité des ministres en cas de refus d’un État de se conformer à un arrêt définitif de la Cour

L’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme, dont le paragraphe 2 rappelle que l’arrêt définitif de la Cour est transmis au comité des ministres qui en surveille l’exécution, a été enrichi depuis l’entrée en vigueur le 1er juin 2010 du Protocole additionnel n° 14 d’un paragraphe 4 aux termes duquel : « Lorsque le comité des ministres estime qu’une haute partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au comité, saisir la Cour de la question du respect par cette partie de son obligation [de se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels il est partie énoncée par le paragraphe 1] ». Jusqu’alors, ce recours en manquement du comité des ministres n’avait donné lieu qu’à un seul arrêt : Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan du 29 mai 2019 (n° 15172/13, AJDA 2019. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen

; RTD civ. 2019. 810, obs. J.-P. Marguénaud

). Il en existe désormais un second, également rendu en grande chambre : Kavala c. Turquie du 11 juillet 2022 (n° 28749/18, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen

). En l’espèce, la Turquie, contre laquelle un arrêt de chambre du 10 décembre 2019 avait dressé des constats de violations de l’article 5 de la Convention européenne consacrant le droit à la liberté et à la sûreté et surtout de l’article 18 qui interdit les détournements de pouvoir, avait entravé la libération du requérant en le chargeant, le jour où il devait sortir, de nouvelles accusations de tentative de coup d’État et d’espionnage. Avant d’estimer que cette attitude avait constitué une violation de l’article 46, la grande chambre a fermement rappelé que la non-exécution d’une décision judiciaire définitive et obligatoire risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les États contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention. Elle a surtout précisé, d’une part, que toute la structure de la Convention repose sur le postulat général que les autorités publiques des États membres agissent de bonne foi si bien que l’exécution d’un arrêt doit se faire de bonne foi et de manière compatible avec les « conclusions et l’esprit » de l’arrêt ; d’autre part, que l’obligation relative à la bonne foi revêt une importance cruciale lorsque la Cour a conclu, comme en l’espèce, à la violation de l’article 18. Puisqu’il ne s’agit pas de livrer ici un commentaire approfondi de l’arrêt Kavala du 11 juillet, on s’en tiendra à relever aussi qu’il a donné l’occasion à la Cour de s’interdire d’apprécier l’opportunité du choix du comité des ministres d’exercer un recours en manquement.

Avis consultatif formulé en réponse à une demande du Conseil d’État français

On sait que la Cour de cassation française est la première des plus hautes juridictions européennes à avoir adressé à la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif au titre du Protocole additionnel n° 16 qui se rapportait à l’établissement de la filiation des enfants nés à l’étranger par GPA. Peut-être soucieux de ne pas la laisser se réserver le monopole de l’utilisation de ce nouvel instrument destiné à faciliter le dialogue du juge européen et des juges nationaux, le Conseil d’État français a pris à son tour sa plus belle plume pour formuler une demande. Elle concernait le point de savoir si la règle, adoptée en fonction de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, qui réserve aux seules associations de propriétaires ayant une existence reconnue au moment de la création d’une association communale de chasse agréée la faculté de s’en retirer, répondait aux exigences conventionnelles interdisant la discrimination. La réponse que la Cour de Strasbourg a apportée le 13 juillet à cette demande (portant le n° P 16-2022-2) peut passer pour une sorte de guide pratique de mise en œuvre du principe européen de non-discrimination qui suppose de vérifier d’abord si les personnes concernées étaient dans des situations analogues ou comparables puis de rechercher si les différences observées avaient une justification objective ou raisonnable en fonction de la légitimité du but poursuivi et du rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Elle témoigne aussi d’une certaine vitalité de la récente innovation procédurale.

Le droit à la vie d’une personne soumise à des essais cliniques

L’article 2 de la Convention européenne qui garantit le droit à la vie continue à valoir aux États membres du Conseil de l’Europe des constats de violations qui reflètent l’aggravation du malheur du monde. Ainsi, la Cour a jugé que ses deux volets, substantiel et procédural, avaient été bafoués dans une énième affaire de brutalités policières Parvu c. Roumanie du 30 août (n° 13326/18) contrebalancée sur le terrain de l’article 3 par un arrêt Torosian c. Grèce du 7 juillet (n° 48195/17) et dans l’affaire Safi et autres c. Grèce du 7 juillet (n° 5418/15), ayant également justifié un constat de violation de l’article 3 prohibant les traitements inhumains ou dégradants, qui se rapportait à une nouvelle tragédie provoquée par le naufrage d’un navire qui transportait des migrants. En revanche, l’arrêt Tagiyeva c. Azerbaïdjan du 7 juillet (n° 72611/14) n’a mobilisé que le volet procédural de l’article 2 dans l’affaire de l’assassinat d’un écrivain éditorialiste frappé, lui aussi, d’une fatwa. L’écho que ces affaires ont pu trouver dans l’actualité estivale pourrait leur valoir une étude plus détaillée. On la réservera cependant à un arrêt au...

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