Le projet Datajust avait été annoncé fin 2018 par la ministre Nicole Belloubet. Un décret paru ce dimanche au Journal officiel permettra de développer l’algorithme, avec l’objectif d’élaborer un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels, basé sur la jurisprudence. Le but de Datajust sera d’informer tant les juges que les parties sur les indemnisations de référence.
Sur le site d’Etalab, l’équipe chargée du projet indique qu’avec Datajust, les victimes « pourraient comparer en pleine connaissance de cause les offres d’indemnisation des assureurs et les montants qu’elles pourraient obtenir devant les tribunaux ; les avocats disposeraient d’informations fiables leur permettant de conseiller leurs clients ; les magistrats auraient un outil d’aide au chiffrage des préjudices grâce à un accès facilité à des jurisprudences finement ciblées ».
Datajust se concentrera sur les décisions rendues en appel depuis 2017 par les instances judiciaires et administratives. L’algorithme recensera les montants demandés et offerts par les parties ainsi que les montants alloués aux victimes, pour chaque type de préjudice. Parmi les données extraites des décisions : celles relatives aux préjudices subis, à la situation professionnelle et financière de la victime, aux avis médicaux, aux infractions pénales et éventuelles fautes civiles.
Un tel référentiel pourrait intégrer l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Par ailleurs, l’équipe de développement indique que le ministère de la justice fera appel à des spécialistes des sciences comportementales aux politiques publiques, afin de préparer et accompagner l’introduction de cet outil.
Les craintes d’une justice prédictive
Une recherche avait établi le grand bricolage des magistrats sur ces barèmes d’indemnisation des préjudices corporels, différentes versions d’un document étant parfois utilisées au sein d’un même tribunal (v. Dalloz actualité, 17 sept. 2019, art. P. Januel). Un référentiel sur ce contentieux technique permettrait d’harmoniser les décisions. Toutefois, la construction de référentiel suscite les craintes de nombreux acteurs, en raison du caractère conservateur des barèmes (v. Dalloz actualité, 31 mai 2019, art. P. Januel) et de la restriction des marges de manœuvre des magistrats. Les avocats font part de leur crainte de voir émerger une justice prédictive. Hélène Fontaine, présidente de la conférence des bâtonniers, et Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, ont aussi exprimé leur mécontentement de ne pas avoir été consultées sur ce décret, publié en plein état d’urgence sanitaire.
La CNIL a donné un avis favorable au décret, qui ne couvre que la phase de développement de l’algorithme. Toutefois, elle rappelle que le ministère devra être attentif à d’éventuels biais discriminatoires. Enfin, pour l’instant, le niveau de publicité du référentiel futur est inconnu : sera-t-il ouvert à tous, en open data, ou réservé à certains acteurs ?