Hasard de calendrier, la première chambre civile publie un nouvel arrêt sur les prêts libellés en devise étrangère la veille d’une importante décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne dont le commentaire paraîtra prochainement au Dalloz actualité (CJUE 8 sept. 2022, aff. C-80/21 à C-82/21). Ce nouvel arrêt est destiné au Bulletin et il s’(inscrit dans la continuité de plusieurs décisions que nous avons commentées ces derniers mois (V. par ex., Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 19-11.599 FS-B, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 789      
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation aboutit à une double cassation pour défaut de base légale. Nous allons examiner pourquoi à travers la question des clauses abusives et celle de l’information du prêteur de deniers.
De l’art de contrôler l’application du contrôle des clauses abusives
La jurisprudence de la Cour de cassation sur les prêts libellés en devise étrangère s’appuie assez régulièrement sur les règles protégeant les consommateurs des clauses abusives. À ce titre, il faut noter que le réputé non écrit qui sanctionne ces clauses est imprescriptible, ce que la première chambre civile a eu l’occasion de rappeler dernièrement (Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974            
Le demandeur au pourvoi estimait que ladite protection devait également s’appliquer quant à la portée concrète desdites clauses. La première chambre civile rappelle donc la dernière jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J-D. Pellier, arrêt cité au paragraphe n° 8 de l’arrêt commenté ; D. 2021. 2288       
Il n’y a donc aucune erreur de raisonnement sur le fond, ce qui explique la cassation pour défaut de base légale. En somme, il faut vérifier in concretoÂÂ cette double information (fonctionnement du mécanisme financier et risques encourus) pour pouvoir rejeter la demande sur le terrain d’une clause portant sur l’objet du contrat. La juridiction de renvoi pourrait, par ailleurs, rendre une décision dans la même orientation mais motivée autrement, en fonction des éléments fournis au dossier. Toutefois, si l’une de ces deux informations fait défaut, le contrôle des clauses abusives devra déployer ses effets. Son résultat est incertain car les clauses ne sont pas toutes rédigées de la même manière (v. par ex., Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 19-11.599ÂÂ FS-B et 20 avr. 2022, n° 20-16.316 FS-B, préc.).
Sur l’information délivrée par le prêteur de deniers
Le second moyen reprochait à l’arrêt d’avoir rejeté la demande fondée sur le manquement à l’obligation d’information de l’établissement bancaire. L’argumentation se fondait sur l’insuffisance du courrier envoyé qui avait été utilisé par les juges du fond pour dénier tout manquement à ladite obligation. La cour d’appel avait, par ailleurs, aussi relevé qu’un investisseur normalement avisé connaissait les conséquences d’un tel prêt, notamment en raison du taux de variation possible du taux de change. Le demandeur au pourvoi reprochait l’absence de recherche par les juges du fond d’une information effective sur les risques encourus par ce type de prêt.
Là-encore, nous retrouvons une cassation pour défaut de base légale reposant sur le fondement de la responsabilité contractuelle, soit l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 puisque les contrats ont été conclus en 2007. La première chambre civile rappelle sa jurisprudence habituelle : « lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger » (nous soulignons). On retrouve, sans grande surprise, une correspondance entre le contrôle des clauses abusives et l’obligation d’information sur cette thématique puisque les motivations déployées dans ces deux parties différentes de l’arrêt se recoupent. Ce contrôle très poussé exigé des juges du fond implique, bien souvent, pour la banque de se voir reprochée une information insuffisante sur les risques des contrats conclus au détriment des emprunteurs.
En creux, la première chambre civile refuse de considérer que le courrier envoyé avant la signature du serait un élément déterminant pour vérifier l’information suffisante et exacte pour la compréhension du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère. Pour rejeter tout défaut dans l’obligation d’information de la banque, il aurait fallu motiver la décision en trouvant des éléments factuels permettant de justifier la délivrance de ces informations « suffisantes et exactes ». Dans le cas contraire, le manquement serait alors consommé et la responsabilité du prêteur de deniers sera alors recherchée.
Voici une jurisprudence toute en nuance qui impose la vigilance à tous les praticiens concernés. Aux établissements bancaires d’abord, de se préserver des preuves écrites de la délivrance de cette information « suffisante et exacte » sur le fonctionnement du mécanisme financier du prêt libellé en devise étrangère. Aux avocats ensuite, d’axer leur raisonnement devant les juges du fond sur ces points précis justifiant des indemnisations importantes. Aux magistrats enfin, dans la motivation de leurs décisions puisque la Cour de cassation, en raison de celle de la Cour de justice de l’Union européenne, veille au grain. Ces échelles de complexité ne facilitent donc pas la tâche aux professionnels du droit. Mais la jurisprudence se forge de manière de plus en plus précise en tout état de cause. Affaire à suivre.