Par Le Batonnier le jeudi 21 janvier 2021
Catégorie: Actualités juridiques

De la notion d’incident de paiement non régularisé

En matière de crédit à la consommation, les actions en paiement du prêteur sont soumises à une forclusion biennale en vertu de l’alinéa 1er de l’article R. 312-35 du code de la consommation (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 192). L’alinéa 2 du même texte prévoit que « Lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l’objet d’un réaménagement ou d’un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement prévu à l’article L. 732-1 ou après décision de la commission imposant les mesures prévues à l’article L. 733-1 ou la décision du juge de l’exécution homologuant les mesures prévues à l’article L. 733-7 » (la solution est également valable en présence d’un délai de grâce accordé au débiteur sur le fondement de l’art. L. 314-20 c. consom., renvoyant à l’art. 1343-5 c. civ., v. Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-13.790, D. 2015. 1484

; RTD com. 2015. 735, obs. B. Bouloc

). Encore faut-il s’entendre sur la notion d’incident de paiement non régularisé. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021 apporte à cet égard d’utiles précisions. En l’espèce, suivant offres acceptées le 29 janvier 2008, une banque a consenti à un emprunteur deux prêts de 21 000 € et 14 000 € garantis par une assurance. Par la suite, l’emprunteur a fait l’objet d’une procédure de traitement de sa situation de surendettement, qui donné lieu à une décision du 28 février 2013, par laquelle la commission de surendettement a imposé des mesures de redressement à compter du 31 mars de la même année. L’emprunteur n’a alors effectué aucun remboursement et l’assureur a, au titre de la garantie invalidité, réglé à la banque la somme totale de 2 529,75 €. Puis, par acte du 3 août 2015, la banque a assigné l’emprunteur en remboursement du solde des prêts, mais ce dernier lui a opposé la forclusion de l’action.

La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 27 septembre 2018, a déclaré recevable la demande en paiement de la banque et a condamné l’emprunteur au paiement d’une certaine somme. Un pourvoi en cassation fut donc formé par celui-ci, au motif notamment que la régularisation d’un incident de paiement ne peut résulter du paiement fait par l’assureur-emprunteur. Cependant, l’argument ne trouve pas grâce aux yeux de la Cour régulatrice, qui considère qu’« un paiement effectué par l’assureur, substitué à l’assuré, valant paiement de la dette de ce dernier, permet d’écarter l’existence d’un incident de paiement non régularisé, de sorte qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que la somme de 2 529,75 € avait permis le paiement intégral des échéances des mois d’avril, mai, juin et juillet 2013 et le paiement partiel de l’échéance du mois d’août et que l’échéance du 30 août 2013 constituait le premier incident de paiement non régularisé, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que l’action de la banque était recevable ».
La solution est irréprochable : le code de la consommation n’exige nullement que l’incident de paiement soit régularisé par l’emprunteur lui-même (comp. G. Cattalano, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 324.103 : « Par cette expression, il faut entendre le premier défaut de paiement, total ou partiel, qui n’a pas été ultérieurement couvert par l’emprunteur, ou par un accord conclu entre le prêteur et l’emprunteur pour reporter les échéances »), si bien que le paiement de la dette par son assureur permet naturellement une telle régularisation. Il en irait de même si la dette était payée par un codébiteur solidaire, une caution ou même, nous semble-t-il, par un tiers à la dette, l’article 1342-1 du code civil (ayant succédé à l’anc. art. 1236 à la faveur de la réforme opérée par l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016) prévoyant que « Le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier » (pour une application de ce principe dans le domaine des procédure civiles d’exécution, v. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-16.312 : « Il résulte de la combinaison des articles L. 131-1 et L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, que, dès l’instant où l’obligation assortie d’une astreinte a été exécutée, fût-ce par un tiers, l’astreinte ne peut plus donner lieu à liquidation pour la période de temps postérieure à cette exécution, sauf si le créancier justifie d’un intérêt légitime à ce qu’elle soit exécutée par le débiteur lui-même »).

L’emprunteur soutenait également qu’en toute hypothèse, les paiements partiels d’une dette unique s’imputaient d’abord sur les intérêts et que lorsque l’assurance-emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur devaient s’imputer sur chacune des échéances dont il s’agit de garantir le paiement de sorte qu’aucune des échéances dues à partir d’avril 2013 ne pouvait être considérée comme régularisée. Mais la première chambre civile écarte ces arguments, considérant que « l’emprunteur n’a pas soutenu, en cause d’appel, que les paiements partiels devaient être imputés en priorité sur l’intégralité des intérêts impayés avant de pouvoir être imputés sur le capital ni que, lorsque l’assurance emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur doivent s’imputer sur chacune des échéances dont le paiement était partiellement garanti ». Cela est dommage (pour l’emprunteur), car l’argument aurait pu prospérer. On sait en effet qu’en vertu de l’ancien article 1254 du code civil, « Le débiteur d’une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts » (la règle est reprise de manière plus concise par l’art. 1343-1, al. 1er, issu de l’ord. du 10 février 2016 : « Lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts »). Il est vrai, cependant, que cette règle n’est pas d’ordre public (V. en ce sens, sous l’empire des anciens textes, Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 00-11.958 : « les dispositions des articles 1253 à 1256 du code civil relatives à l’imputation des paiements sont supplétives de la volonté des parties »). Mais, pour l’écarter, une stipulation expresse est nécessaire (V. en ce sens, au sujet de l’anc. art. 1256 c. civ., Civ. 3e, 10 mars 2004, n° 03-10.807, D. 2004. 1283

; RTD civ. 2004. 512, obs. J. Mestre et B. Fages

: « Mais attendu qu’ayant exactement retenu que l’acceptation de prélèvements bancaires n’impliquait pas en elle-même, à défaut de stipulation contractuelle expresse, que les locataires aient entendu renoncer aux dispositions de l’article 1256 du code civil, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à des recherches relatives à la volonté implicite des parties que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que le premier juge avait justement imputé aux loyers les plus anciens les paiements faits sous forme de prélèvements automatiques après le commandement et constaté que les causes de cet acte avaient été réglées dans les deux mois suivant sa délivrance »).