Par Le Batonnier le mardi 31 mai 2022
Catégorie: Actualités juridiques

Diffamation : de l’importance du contexte dans l’appréciation de la bonne foi

Par deux arrêts, la première chambre civile s’est prononcée sur la bonne foi de femmes assignées en diffamation pour avoir, pour l’une, dénoncé dans la presse une agression sexuelle dont elle aurait été victime sept ans auparavant de la part d’un ancien ministre de la République (pourvoi n° 21-16.158) et, pour l’autre, publié sur twitter des propos que lui aurait tenu l’ex-patron d’Equidia (« Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit »), assortis du hashtag « balancetonporc » (pourvoi n° 21-16.497).

Révélation de faits d’agressions sexuelles : la base factuelle était-elle suffisante ?

Dans la première affaire, la fille d’un ancien ministre avait révélé dans la presse, en octobre 2017, avoir été victime d’agressions sexuelles de la part d’un homme âgé, ancien ministre de la République lui aussi, alors qu’elle avait une vingtaine d’années et qu’elle assistait, seule, à une représentation lyrique. Le 10 janvier 2018, le mis en cause l’avait assigné en diffamation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Dans son pourvoi, le mis en cause contestait la pertinence des différents éléments retenus par les juges du fond (Paris, 14 avr. 2021) pour conclure à l’existence d’une base factuelle suffisante et à la bonne foi de la défenderesse. Le premier moyen, reprochant à la cour d’appel d’avoir pris en compte des témoignages portant sur d’autres faits, est écarté au motif qu’il critique un motif surabondant relatif au comportement déplacé du demandeur vis-à-vis d’autres femmes. Le second, en revanche, est dûment examiné, la Cour de cassation contrôlant les motifs par lesquels les juges du fond ont considéré que la diffamation était justifiée.

La première chambre civile commence par rappeler les contours de l’examen de proportionnalité en matière d’atteintes à la liberté d’expression. Ainsi, seules les ingérences nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention sont permises. En outre, « en matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges […] de rechercher […] si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ».

En l’espèce, elle relève que les juges du fond ont bien établi l’existence d’un débat d’intérêt général dans lequel s’inscrivaient les propos litigieux, à savoir la libération de la parole des femmes au lendemain de l’affaire Weinstein. Sur la base factuelle suffisante, il résultait des éléments soumis au débat que le demandeur et la défenderesse avaient assisté, côte à côte, à une représentation de l’Or du Rhin le 25 mars 2010, qu’après la soirée, la défenderesse avait confié à son entourage avoir subi une agression, certains de ses proches l’ayant dissuadé de porter plainte, et qu’une expertise psychiatrique amiable effectuée huit ans après n’avait révélé aucune pathologie mentale qui aurait pu affecter la crédibilité de ses propos. Sur les quelques erreurs commises par la défenderesse (s’agissant du nom de l’opéra et de l’existence d’un entracte), les juges du fond ont estimé qu’elles « n’étaient pas de nature à discréditer l’ensemble de ses propos dès lors qu’elle les exprimait plus de sept ans et demi après les faits et que cette durée faisait également obstacle à la recherche de témoins directs ». Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a, sans méconnaître son office, déduit à bon droit que les propos en cause reposaient sur une base factuelle suffisante et que, « compte tenu du contexte dans lequel ils avaient été tenus, le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à Mme L », la défenderesse.

La bonne foi, fait justificatif d’origine prétorienne propre à la diffamation, exige la réunion de quatre éléments : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression,...

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