Chacun sait que celui qui souhaite interjeter appel d’un jugement d’orientation doit y procéder selon la procédure à jour fixe dans les quinze jours qui suivent la notification du jugement (CPCE, art. R. 322-19). L’appelant doit alors respecter une procédure en deux temps. Dans un premier, il lui appartient de saisir le premier président de la cour d’appel d’une requête tendant à être autorisé à assigner son adversaire à jour fixe (C. pr. civ., art. 919). Dans un second, il doit assigner son adversaire pour le jour fixé, cette assignation devant comprendre les copies de la requête et de l’ordonnance rendue par le premier président ainsi qu’un exemplaire ou une copie (selon les cas) de la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 920).
En ayant ces quelques notions à l’esprit, il est permis de se plonger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté. Au cours d’une procédure de saisie immobilière, deux tiers avaient tenté d’intervenir volontairement au jour de l’audience d’orientation, puis au jour de l’audience d’adjudication. À chaque fois, le juge de l’exécution avait déclaré leur demande irrecevable.
Ils n’en restèrent pas là et décidèrent d’interjeter appel du jugement d’orientation. Après que le premier président eut rendu une ordonnance les autorisant à assigner leur adversaire à jour fixe, ils entreprirent de faire signifier l’assignation. Mais la copie de l’ordonnance qui y était jointe présentait quelques discordances avec celle conservée au dossier de la procédure : elle ne comportait aucune signature, la police de caractère de la date de l’ordonnance signée par la présidente était différente de celle apparaissant sur la copie et la date figurant sur l’ordonnance signée par la présidente était manuscrite de la façon suivante « le 04 SEP.2018 » alors que la date figurant sur la copie de l’ordonnance annexée à l’assignation à jour fixe est dactylographiée comme suit « le 4 septembre 2018 ». La cour d’appel a en conséquence jugé que l’acte annexé à l’assignation ne constituait pas une copie de l’ordonnance rendue par le premier président de la cour d’appel et a déclaré l’appel irrecevable.
Loin de se décourager, les deux tiers ont formé deux pourvois en cassation : l’un pour critiquer l’arrêt qui avait déclaré leur appel du jugement d’orientation irrecevable et l’autre dirigé à l’encontre du jugement d’adjudication et du jugement qui, rendu le même jour, avait déclaré leur demande d’intervention irrecevable.
Logiquement, le pourvoi dirigé contre l’arrêt ayant déclaré l’appel du jugement d’orientation irrecevable a été le seul à être reçu. À son soutien, les demandeurs au pourvoi ont bien fait valoir que la cour d’appel n’avait pas suffisamment caractérisé les différences entre la copie signifiée et l’ordonnance conservée au dossier du tribunal et que déclarer leur appel irrecevable pour des différences aussi minimes porterait une atteinte excessive à leur droit au juge. En vain ! Après avoir souligné qu’il résulte des articles R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution et 920 du code de procédure civile qu’il appartient à l’appelant de joindre à son assignation une « copie intègre » de l’ordonnance du premier président l’autorisant à assigner son adversaire à jour fixe, la haute juridiction juge que cette formalité ne procède d’aucun formalisme excessif dès lors qu’elle poursuit un but légitime qui est « d’assurer la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel contre un jugement d’orientation rendu en matière de saisie immobilière et le respect du principe de la contradiction, en permettant aux autres parties de prendre connaissance en temps utile des prétentions de l’appelant ainsi que de l’ensemble des pièces de cette procédure accélérée et de vérifier sa régularité ».
Cette décision prend appui sur le fait établi que l’acte annexé aux conclusions des appelants ne constituait pas la copie de l’ordonnance délivrée par le premier président du tribunal. Il n’était pourtant pas si évident de considérer que les appelants avaient commis une erreur et annexé ce qui semblait être un projet de requête. Car l’ordonnance autorisant à assigner à jour fixe est rendue en double exemplaire, ce qu’indique l’article 498 du code de procédure civile lorsqu’il prévoit que « le double de l’ordonnance est conservé au greffe ». Or il n’est pas inconcevable que le contenu de la minute remise à l’appelant diffère sur quelques points – comme l’indication de la date – de l’original conservé au dossier de la procédure. Ce point n’a cependant pas été soulevé devant les juridictions.
En considérant que la copie annexée à l’assignation n’était pas celle de l’ordonnance du premier président, il restait encore à en déterminer les conséquences.
La Cour de cassation, comme la cour d’appel, considère que, faute pour les appelants d’avoir joint une copie de l’ordonnance, l’appel est irrecevable. Le pourvoi ne le contestait pas. Car, décide la Cour de cassation, lorsque le recours à la procédure à jour fixe est imposé par la loi, tout appel qui serait formé selon une forme différente doit être déclaré irrecevable (Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 14-21.908 NP ; 1er sept. 2016, n° 15-11.018 NP ; 16 oct. 2014, n° 13-24.634, Bull. civ. II, n° 217 ; Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 287, obs. N. Fricero
La question centrale était dès lors de savoir si déclarer ainsi l’appel irrecevable était conforme au droit à un procès équitable. Le pourvoi soutenait que tel n’était pas le cas en prenant le soin de stigmatiser les divergences minimes entre l’original conservé au dossier de la procédure et la copie annexée à l’assignation. Logiquement, la Cour de cassation a refusé de procéder à un contrôle in concreto et n’a donc pas pris en considération ces données factuelles (A. Martinel, Le contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de procédure civile, RJA, n° 24, déc. 2020, ENM, p. 60, spéc. p. 64). Cela ne l’a toutefois pas empêché de mener un contrôle in abstracto. À cet égard, chacun sait que le droit à un procès équitable est méconnu lorsque « l’interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé » (CEDH 5 nov. 2015, req. n° 21444/11, Henrioud c. France, Dalloz actualité, 18 nov. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1245