Par Le Batonnier le mercredi 5 février 2020
Catégorie: Actualités juridiques

Examen de proportionnalité de l’empiétement d’une servitude de passage

Six indivisaires obtiennent l’attribution, sur leur parcelle, d’une servitude de passage. Cette servitude grevait deux parcelles appartenant à l’un des indivisaires et sa fille. Cette dernière, après avoir entrepris la construction d’une maison d’habitation sur sa parcelle, se voit assignée par l’un des cinq autres indivisaires en suppression de sa construction qui empiéterait sur l’assiette de la servitude.

La cour d’appel ordonne la démolition de la construction, laquelle, par l’empiétement, réduirait le passage de moitié. Or, le déplacement de l’assiette de la servitude était impossible pour les juges du fond, un tel déplacement ne pouvant être imposé au propriétaire du fonds dominant – en l’occurrence, les six indivisaires – que dans les conditions prévues à l’article 701, dernier alinéa, du code civil.

L’affaire aurait pu s’arrêter là, si les demandeurs au pourvoi n’avaient pas invoqué la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). Au visa de l’article 8 de la Conv. EDH, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, car cette dernière aurait dû rechercher, « comme il le lui était demandé, si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile ».

Cet arrêt s’inscrit dans un contexte de contrôle de proportionnalité du droit de propriété, qui alimente ces dernières années la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Il est fréquent désormais qu’une personne concernée par une mesure prise au nom du respect du droit de propriété – démolition en cas d’empiétement, expulsion en cas d’occupation sans droit ni titre – invoque une atteinte à un droit subjectif protégé par la Conv. EDH. Les juges doivent effectuer un tel contrôle dès lors qu’ils en sont saisis par une partie.

On peut se demander, ici, pourquoi les juges ne l’avaient pas effectué.

Dans un arrêt du 21 décembre 2017, la troisième chambre civile (Civ. 3e, 21 déc. 2017, n° 16-25.406, Dalloz actualité, 26 juil. 2019, obs. D. Pelet ; D. 2018. 7

; ibid. 1328, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp

; ibid. 1772, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin

; AJDI 2018. 375

, obs. F. Cohet

; ibid. 582, étude H. Leyrat

; RDI 2018. 215, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck

) avait de façon assez laconique dispensé la cour d’appel d’effectuer un tel contrôle dans un cas d’atteinte au droit de propriété par empiétement car elle considérait que la question même de ce contrôle ne pouvait pas se poser, l’auteur de l’empiétement n’étant pas « fondé à invoquer les dispositions de l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que l’ouvrage qu’il a conduit méconnaît le droit au respect des biens de la victime de l’empiétement ». Dans un autre arrêt, elle avait fait un obstacle radical à toute démarche similaire, considérant qu’une ingérence dans le droit au respect du domicile résultant d’une mesure d’expulsion « ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété », c’est-à-dire dans le cas d’espèce, une occupation sans droit ni titre (Civ. 3e, 4 juill. 2019, n° 18-17.119, Dalloz actualité, 26 juill. 2019, obs. C. Dreveau ; D. 2019. 2163

, note R. Boffa

; ibid. 2199, chron. L. Jariel, A.-L. Collomp et V. Georget

).

Si les faits concernaient également un empiétement dans cet arrêt, deux différences se constatent par rapport à l’arrêt du 21 décembre 2017.

Premièrement, l’objet de l’atteinte n’est pas à proprement parler le droit de propriété mais une servitude de passage. Or, l’ampleur de l’atteinte n’est pas absolue, dans la mesure où l’empiétement avait pour effet de réduire le passage de moitié. Un tel argument est en principe inopérant en cas d’empiétement sur le droit de propriété. L’empiétement, considéré comme l’atteinte la plus grave, fait l’objet, depuis la fin du XIXe siècle, d’une jurisprudence sévère envers son auteur, n’admettant aucun aménagement possible outre la démolition...

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