Par Le Batonnier le mercredi 27 janvier 2021
Catégorie: Actualités juridiques

Exception de nullité : l’impérieuse antériorité

Un jugement de divorce est prononcé le 21 juin 2017, signifié le 13 juillet 2017.

Le 18 août 2017 (et non « 2018 » comme indiqué dans l’arrêt de cassation), l’époux fait appel pour contester la prestation compensatoire mise à sa charge au profit de son épouse.

L’époux appelant conclut sur son appel le 18 novembre 2017, soit dans le délai de trois mois de l’article 908. Dans ses conclusions au fond, il soulève « in limine litis » la nullité de la signification du jugement.

Le 17 janvier 2018, l’intimé saisit le conseiller de la mise en état d’un incident d’irrecevabilité de l’appel pour tardiveté au regard de la date de signification du jugement.

Par ordonnance de mise en état du 6 septembre 2018, confirmée par arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 12 février 2019, l’appel est déclaré irrecevable.

Sur pourvoi, la Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir prononcé cette irrecevabilité.

Les « conclusions spécialement adressées au conseiller de la mise en état »

Cette précision peut paraître évidente, l’article 791, et avant lui l’article 772-1, précisant que « le juge de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions » au fond.

Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi, et nous devons cette disposition au décret du 6 mai 2017 dit décret Magendie 2 (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017).

Même si cet article 791, tout comme l’ancien article 772-1, s’applique à la procédure d’appel, par renvoi de l’article 907, l’article 914 précise lui aussi, surabondamment, que le conseiller de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées.

Avant qu’il n’en soit ainsi, et en l’absence d’un texte précisant les conditions de saisine du magistrat de la mise en état, la Cour de cassation avait considéré que celui-ci, tant qu’il n’était pas dessaisi, était saisi des moyens contenus dans des conclusions au fond et qui relevaient de son pouvoir juridictionnel (Civ. 2e, 9 avr. 2015, n° 13-28.707 P, Dalloz actualité, 19 mai 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle

; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero

).

Cette jurisprudence était favorable à l’avocat qui n’avait pas à s’interroger si son moyen devait ou non être soumis au conseiller de la mise en état, à charge pour ce dernier de prendre connaissance des conclusions au fond pour y relever les moyens relevant de sa compétence.

Cette jurisprudence fera long feu, puisqu’il n’aura fallu qu’une année pour que la Cour de cassation opère un revirement et retienne que le conseiller de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par des « conclusions qui lui sont spécialement adressées » (Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 14-25.054 et 14-28.086 P, Dalloz actualité, 30 mai 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 1290

, note C. Bléry

; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati

; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero

; JCP 2016. 1154, note Mas ; ibid. 1296, n° 7, obs. L. Mayer ; Gaz. Pal. 30 août 2016, p. 56, obs, Amrani Mekki).

Si, en l’espèce, l’appelant avait pris soin de soulever la nullité de la signification du jugement, il l’avait fait dans ses conclusions au fond, non dans des conclusions spécialement adressées au conseiller de la mise en état, comme le relève la Cour de cassation.

L’antériorité de l’exception de procédure, en tout état de cause

Ce choix procédural de l’appelant peut étonner. En effet, nous savons que le magistrat de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par les conclusions qui lui sont spécialement adressées, et qu’en conséquence, est irrecevable l’incident soulevé dans des conclusions qui comportent en outre des moyens et demandes au fond (Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 14-25.054, préc. ; 12 mai 2016, n° 14-28.086, préc. ; 23 juin 2016, n° 15-13.483 P, Dalloz actualité, 19 juill. 2016, obs. M. Kebir).

Par conséquent, en circuit ordinaire avec désignation d’un conseiller de la mise en état, cela ne présentait aucun intérêt de développer cette exception dans des conclusions au fond puisque le magistrat de la mise en état ne pouvait en être saisi, et la cour n’ayant pas à connaître des exceptions de procédure qui sont de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état (C. pr. civ., art. 789, anc. 771). Il en aurait été différemment si l’affaire avait relevé du circuit court, sans désignation d’un conseiller de la mise en état.

Dans le cadre de son pourvoi, l’appelant expliquait être recevable à opposer l’irrégularité de la signification une fois que l’irrecevabilité de son appel a été soulevée par son adversaire.

La Cour de cassation n’entend pas l’argument. La nullité de la signification du jugement, qui est une exception de procédure, ayant été soulevée dans les conclusions au fond de l’appelant, et non dans des conclusions adressées au conseiller de la mise en état, la demande en nullité était irrecevable.

Peu importe que cette exception ait été soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, cette précaution s’avérant inutile dès l’instant où l’exception n’est pas contenue dans les conclusions adressées au magistrat ayant compétence (exclusive) pour en connaître.

Surtout, la Cour de cassation n’est pas sensible à l’argument de l’appelant selon lequel c’est un moyen de procédure en défense à une irrecevabilité.

Et c’est là que l’arrêt devient dangereux, même si la Cour de cassation avait déjà mis en garde par un précédent arrêt publié.

Le piège du timing de l’exception de procédure

Une partie qui bénéficie d’une exception de procédure peut estimer opportun de rester discret et de ne pas invoquer une exception de procédure qui ne sert que dans l’hypothèse où ça se gâte.

C’était la thèse de l’appelant, largement répandue, selon laquelle l’exception de nullité est un moyen de défense à opposer à l’irrecevabilité de l’appel.

Ce timing ne convient pas à la Cour de cassation, qui fait une (trop ?) stricte application de l’article 74 selon lequel « les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant tout défense au fond ou fin de non-recevoir ».

Il importe peu que cette exception de procédure ne profite pas directement à l’appelant, comme pourrait l’être une nullité de l’acte introductif d’instance ou des conclusions.

Même si l’irrecevabilité de l’appel n’avait pas été soulevée par l’intimé, l’appelant devait néanmoins anticiper cette irrecevabilité en saisissant préventivement le conseiller de la mise en état d’un incident aux seules fins de voir déclarer nulle la signification du jugement.

On comprend aisément qu’un appelant puisse être réticent à procéder de la sorte.

L’appelant peut considérer que si l’intimé ne dit rien, il n’a pas à appeler son attention sur une irrecevabilité qui passera peut-être inaperçue ou que l’intimé n’entend pas soulever.

Avec cette jurisprudence, l’appelant perd l’exception-joker que l’on sort en cas de difficulté.

Si l’appelant sait qu’il est hors délai pour faire appel, il doit immédiatement aller sur le terrain de la nullité de l’acte de signification, avant même de conclure au fond, et alors que l’intimé n’avait pas soulevé une irrecevabilité que la cour d’appel n’aurait pas relevé d’office.

L’avocat devra donc redoubler de vigilance et s’assurer que son client a reçu signification du jugement avant de conclure au fond. Lorsque l’irrecevabilité sera opposée, il sera bien souvent trop tard.

C’est déjà en ce sens que la Cour de cassation avait statué, considérant que l’intimé irrecevable à conclure ne pouvait espérer échapper à la sanction en arguant de la nullité de l’acte de signification des conclusions par l’appelant, alors qu’il avait déjà conclu au fond (Civ. 2e, 1er févr. 2018, n° 16-27.322 P, Dalloz actualité, 22 févr. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero

; Procédures 2018, n° 137, obs. Croze ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, p. 69, obs. Amrani-Mekki).

L’arrêt du 10 décembre 2020 et celui du 1er février 2018 s’inscrivent donc dans cette jurisprudence qui fait une stricte application de l’article 74 et écarte la possibilité de faire de l’exception de procédure un moyen de défense.

Si une partie dispose d’une exception de procédure qui doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, elle doit saisir le magistrat de la mise en état par des conclusions spécialement adressées, avant de conclure au fond, en tout état de cause.

Il peut paraître curieux de saisir le magistrat de la mise en état d’un incident de nullité de l’acte de signification, alors que l’intimé ne soulève pas l’irrecevabilité de l’appel, et l’incident n’ayant finalement pour objectif que de voir reconnaître une recevabilité qui n’était pas discutée.

Cet arrêt est dangereux, en ce que la partie devra immédiatement dévoiler ses cartes, sauf à faire le choix irréversible de parier sur ce que sera la position de son adversaire.

Pour la Cour de cassation, si l’acte de signification du jugement, des conclusions ou de la déclaration d’appel est nul, et même si la partie n’en obtient pas un bénéfice immédiat, elle doit saisir le magistrat de la mise en état avant d’avoir conclu au fond, ou se taire à jamais et accepter la sanction.

Le « jeu de la dame »…

Toutefois, cela suppose que la partie a connaissance de l’acte prétendu nul.

En l’espèce, cette connaissance était manifeste puisque l’appelant concluait à la nullité dans ses conclusions au fond.

En revanche, il ne saurait être reproché à une partie de ne pas soulever la nullité d’un acte dont elle n’a pas connaissance. Il en irait ainsi des actes d’huissier signifiés selon procès-verbal de recherches infructueuses (C. pr. civ., art. 659).

En revanche, il sera plus difficile pour la partie de s’affranchir de l’antériorité posée à l’article 74, lorsque l’acte a été signifié à la personne ou à personne habilitée.

Pour cette raison, il pourra être opportun, pour celui qui craint que son acte soit attaqué sur le terrain de la nullité, de le porter à la connaissance de son adversaire, en le communiquant, ou en l’adressant par courrier officiel par exemple. Mais sans pour autant s’en prévaloir, de manière à laisser l’adversaire conclure au fond sans invoquer cette nullité.

Si la partie ne soulève pas l’exception de nullité en temps, l’acte potentiellement irrégulier sera ainsi consolidé et la partie aura le champ libre pour soulever l’irrecevabilité (de l’appel, des conclusions) sans craindre le retour du bâton.

La procédure consiste aussi à avancer des pions, au bon endroit, au bon moment, comme aux échecs…