Par Le Batonnier le vendredi 5 mars 2021
Catégorie: Actualités juridiques

FIVA : recevabilité du recours contre un refus implicite d’indemnisation antérieur à un refus explicite

Poursuivant son œuvre expansionniste à propos de la recevabilité des recours contre les décisions du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), la Cour de cassation se montre une nouvelle fois compréhensive à l’égard des victimes de l’amiante et de leurs ayants droit.

Après un récent revirement de jurisprudence quant à la recevabilité des pièces produites par la victime à l’expiration des délais prévus (Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 18-22.069, Dalloz actualité, 14 déc. 2020, obs. A. Hacene-Kebir ; D. 2020. 2403

), la deuxième chambre civile se prononce aujourd’hui, pour la première fois, sur la recevabilité d’un recours contre une décision de refus implicite d’indemnisation du FIVA alors qu’est survenu, postérieurement à la saisine de la cour d’appel, un refus explicite.

En l’espèce, un homme a été affecté d’un adénocarcinome bronchique de stade IV diagnostiqué en 2015 qui n’a pas été considéré comme une maladie professionnelle par une caisse primaire d’assurance maladie. Il a saisi le FIVA d’une demande d’indemnisation de ses préjudices avant de décéder quelque temps après. Ayant repris la procédure, ses ayants droit ont notifié au FIVA le 27 mars 2017 une demande d’indemnisation de leurs préjudices et de ceux de la victime directe. Sans réponse du Fonds à l’expiration du délai dont celui-ci disposait pour proposer une offre d’indemnisation, les ayants droit ont saisi une cour d’appel le 15 novembre 2017 d’un recours à l’encontre de la décision implicite de rejet du Fonds. En cours de procédure, le FIVA leur a toutefois notifié, par lettre recommandée du 23 mars 2018, son refus explicite d’indemnisation.

La cour d’appel saisie en novembre 2017 a déclaré le recours initial engagé par les ayants droit de la victime contre la décision de refus implicite du Fonds sans objet et les demandes d’indemnisation irrecevables. Elle a justifié sa position par le fait que le refus explicite du 23 mars 2017 s’était substitué au refus implicite qui avait justifié sa saisine. Par conséquent, ce refus explicite avait privé de tout objet le recours engagé le 15 novembre 2017. Elle a précisé, en outre, que cette décision explicite aurait dû être contestée dans le délai de deux mois, expressément mentionné dans la notification du 23 mars 2018. Elle décide que le refus du FIVA était déjà devenu définitif au moment où les ayants droit en ont pris acte et qu’ils l’ont contesté par conclusions reçues par le FIVA le 16 septembre 2019.

Les ayants droit de la victime se sont pourvus en cassation.

La deuxième chambre civile était amenée à s’interroger sur le point de savoir si le refus explicite d’indemnisation du FIVA devait se substituer au refus implicite initial et s’il rendait la saisine de la cour d’appel sans objet et les demandes en indemnisation irrecevables imposant aux victimes de faire un nouveau recours contre le nouveau refus. Autrement dit, la victime ou ses ayants droit doivent-ils saisir à nouveau la cour d’appel du second refus parce qu’il fait perdre au premier recours son objet ?

Elle répond par la négative, casse la décision des juges du fond au visa des articles 53, IV et V, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, 25 du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour de cassation rappelle que, selon le premier de ces textes, le FIVA doit présenter une offre d’indemnisation dans les six mois à compter de la réception de la demande qui lui est faite et le requérant ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds que si aucune offre ne lui a été présentée dans ce dernier délai, si sa demande d’indemnisation a été rejetée ou bien encore s’il n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite. Le recours du requérant est donc conditionné.

En l’espèce, une fois le délai de six mois expiré, le FIVA n’avait manifesté ni offre ni refus, ce qui équivaut à un refus implicite d’indemnisation ouvrant droit à la saisine d’une cour d’appel pour le contester.

Selon le second de ces textes, le délai pour agir devant la cour d’appel, qui est de deux mois, court à partir de deux événements :

soit à partir de la notification, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de l’offre d’indemnisation ou du constat établi par le fonds que les conditions d’indemnisation ne sont pas réunies ;
  soit à partir du jour où intervient la décision implicite de rejet du fonds lorsque, à l’expiration du délai de six mois prévu par le premier de ces textes, le demandeur n’a pas reçu notification de la décision.

En l’espèce, à partir du 27 septembre 2017, date à laquelle le refus implicite d’indemnisation est intervenu, le requérant disposait de deux mois, soit jusqu’au 27 novembre 2017, pour saisir une cour d’appel, ce qu’il fit le 15 novembre 2017.

Selon le dernier des textes susvisés, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial.

La Cour de cassation reconnaît qu’il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque le recours exercé à l’encontre d’une décision implicite de rejet prise par le FIVA est recevable, la cour d’appel est régulièrement saisie de la demande d’indemnisation et le requérant n’est pas tenu de former un nouveau recours à l’encontre d’une décision expresse de refus d’indemnisation notifiée par le fonds en cours de procédure.

En l’espèce, le recours contre le premier refus implicite était recevable sans que le refus explicite postérieur ait une incidence sur la procédure en cours.

Selon la Cour de cassation, les ayants droit de la victime de l’amiante ont contesté en temps utile la décision implicite de rejet prise par le FIVA. Ils ont maintenu leur contestation après le refus d’indemnisation notifié par le FIVA en cours de procédure. Dès lors, parce que leur recours a conservé son objet, il ne peut être jugé irrecevable. En décidant du contraire, les juges du fond ont violé les textes susvisés.

C’est, à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation se prononçait sur la recevabilité d’un recours contre une décision de rejet implicite lorsque, postérieurement et en cours de procédure, le FIVA manifeste un rejet explicite de la demande en indemnisation.

Cette position est en adéquation avec celle du juge administratif qui se prononce dans le même sens lorsqu’il est saisi de recours contre des décisions implicites de rejet de la part de l’administration suivies d’un refus explicite. Il décide que le recours, dirigé initialement contre une décision implicite de rejet, doit être considéré comme dirigé également contre la décision explicite de rejet, même si elle est postérieure : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède, d’une part, que la requête de Mme B… tendant à l’annulation de la décision implicite […] doit être regardée comme dirigée contre la décision explicite du 28 janvier 2010 par laquelle la commission a confirmé ce refus et, d’autre part, que, cette décision dûment motivée s’étant substituée à la décision implicite initialement intervenue, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision, en méconnaissance des dispositions de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979, ne peut qu’être écarté » (CE 8 juin 2011, req. n° 329537, Lebon

; AJDA 2011. 1174

; D. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot

).

Bien qu’inédite, la décision du 11 février 2021 n’est guère surprenante tant au regard de la politique que mène la Cour de cassation à l’égard des victimes de l’amiante que de ses solutions en matière de recevabilité du recours contre les décisions du FIVA.

La deuxième chambre civile adopte une conception extensive de l’objet du recours contre les décisions du Fonds.

Ainsi reconnaît-elle que, « lorsqu’une offre formulée par le Fonds […] n’a pas été acceptée, la victime ou ses ayants droit sont recevables à saisir la cour d’appel de toute demande d’indemnisation d’un chef de préjudice trouvant sa source dans la contamination de l’amiante » (Civ. 2e, 13 juill. 2005, n° 04-06.032, Bull. civ. II, n° 201 ; D. 2005. 2550

 ; RCA 2005, n° 322, obs. H. Groutel ; 18 janv. 2006, nos 05-06.007 et 05-06.008, inédit).

Elle n’hésite pas non plus à censurer les juridictions du fond qui conditionnent la recevabilité de la saisine de la cour d’appel, dans le but d’indemniser un chef de préjudice trouvant sa source dans la contamination par l’amiante, à une nouvelle saisine du FIVA quand une première demande d’indemnisation, suivie d’une offre n’ayant pas été acceptée, avait déjà donné lieu à un recours devant la cour d’appel. La cour d’appel saisie était donc tenue de statuer sur les préjudices pour lesquels le FIVA n’avait pas été préalablement saisi et mis en mesure de faire une offre (Civ. 2e, 18 avr. 2013, n° 12-14.000, inédit).

Plus caractéristique encore est un arrêt de la deuxième chambre civile du 16 novembre 2006 (n° 06-10.864, RCA 2007, n° 54, note H. Groutel) qui se prononce sur la recevabilité d’un premier recours contre une décision de refus implicite suivie, en cours de procédure, d’une offre d’indemnisation de la part du FIVA.

En l’espèce, la veuve d’une victime de l’amiante, en sa qualité d’ayant droit, avait contesté devant une cour d’appel la décision de rejet d’indemnisation implicite du FIVA qui ne s’était pas manifesté dans le délai de six mois. Or, en cours d’instance, ce dernier lui avait adressé une offre d’indemnisation, qu’elle n’avait ni acceptée ni contestée.

L’arrêt d’appel avait jugé le recours de l’ayant droit recevable, de même que sa demande d’indemnisation, et ce malgré l’absence de recours contre la décision faisant une offre d’indemnisation.

Le FIVA avait alors formé un pourvoi en soutenant que la contestation dont avait été saisie la cour d’appel, qui portait sur sa décision implicite de rejet, abandonnée et remplacée par une offre d’indemnisation, avait perdu son objet en ce que les deux décisions successives avaient une nature différente. Le Fonds en tirait la conséquence qu’en l’absence de recours contre sa dernière décision en date, la demande d’indemnisation était irrecevable.

La Cour de cassation a finalement répondu que, « lorsque l’offre formulée par le fonds n’a pas été acceptée, la victime ou ses ayants droit sont recevables à saisir la cour d’appel de toute demande d’indemnisation d’un chef de préjudice trouvant sa source dans la contamination par l’amiante. Le défaut de réponse du FIVA dans les six mois de la demande, telle qu’exprimée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception […], ouvrait à [l’ayant droit] le recours prévu par l’article 24 du décret du 23 octobre 2001 ; […] le recours restant ouvert en cas de contestation de l’offre adressée par le FIVA la cour d’appel en a exactement déduit que le maintien de la contestation, postérieurement à l’offre faite par le fonds en cours d’instance, devait s’analyser en une contestation de cette offre, de telle sorte que le recours restait recevable ».

Malgré le changement de nature de la décision du FIVA en cours de procédure – un rejet puis une offre d’indemnisation –, la Cour de cassation a considéré que le maintien de la contestation par le recours formé contre la décision implicite de rejet, même après l’émission de l’offre du FIVA, était une contestation de cette offre à l’origine du maintien de la recevabilité du recours.

Au départ fondé sur le rejet de l’indemnisation, l’objet du recours intègre, en raison du maintien de la contestation malgré l’émission d’une offre d’indemnisation, la contestation de cette offre. La haute juridiction retient une conception extensive de l’objet du recours qu’on retrouve dans l’arrêt du 11 février 2021.

L’objectif de ces solutions réside très probablement dans la volonté du juge de ne pas obstruer la procédure pour la victime et d’éviter une multiplication des recours constitutifs d’une perte de temps et d’argent pour les parties. En ce sens, la solution doit être approuvée. Une position contraire pourrait laisser penser que le FIVA peut rendre une décision après le délai de six mois imposé par l’article 53, IV et V, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000. Cela aurait pour conséquence de lui octroyer un délai plus long pour se prononcer en faveur ou non d’une indemnisation, ce qui se révélerait contraire à l’objectif de la création d’un tel Fonds de faciliter la procédure d’indemnisation des victimes de l’amiante.