Par Le Batonnier le vendredi 4 décembre 2020
Catégorie: Actualités juridiques

Intérêt à agir et intérêt à intervenir accessoirement : nuance subtile, mais nuance malgré tout

Une autorisation de visite susceptible d’appel

L’Autorité des marchés financiers (AMF) se voit confier une grande diversité de missions (C. mon. fin., art. L. 621-1). Pour les accomplir, elle dispose de nombreux pouvoirs (v., parmi d’autres, T. Bonneau, P. Pailler, A.-C. Rouaud, A. Tehrani et R. Vabres, Droit financier, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 115, p. 97). Dans le cadre de sa mission de veille et de surveillance des marchés, l’AMF peut notamment mener des contrôles et des enquêtes (C. mon. fin., art. L. 621-9 s.). L’article L. 621-12, alinéa 1er, du code monétaire et financier permet ainsi à son secrétaire général de demander au juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire, dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter, d’autoriser les enquêteurs de l’autorité à effectuer des visites en tous lieux. Longtemps, cette ordonnance du JLD n’a été susceptible que d’un pourvoi en cassation. Sous la menace d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur a finalement permis, au préalable, l’exercice d’un recours devant le premier président de la cour d’appel de Paris (sur cette évolution, v. F. Molinié, Visites domiciliaires de l’AMF et droits fondamentaux : panorama et perspectives au regard de quelques évolutions récentes, Rev. banc. fin. 2018. Étude 5, spéc. nos 8 s.). Or, dans ces contentieux économiques complexes, il n’est pas rare qu’un tiers à la visite intervienne volontairement devant le premier président. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation vient préciser qu’elle doit être la nature de l’intérêt de l’auteur d’une telle demande incidente.

En l’espèce, un JLD a autorisé des enquêteurs de l’AMF, en charge d’une enquête ouverte par son secrétaire général portant sur l’information financière et le marché du titre d’une société, à procéder à une visite au siège social de celle-ci à l’occasion de la tenue de son prochain conseil d’administration. Une fois les opérations effectuées, l’une des représentantes de la société dont les ordinateurs portables et téléphones mobiles ont été saisis a relevé appel de l’ordonnance d’autorisation de visite et exercé un recours contre leur déroulement. Une autre société est intervenue volontairement à l’instance, à titre accessoire.

La visite domiciliaire accordée par l’ordonnance du JLD se limitant au siège social de la première société, le premier président a déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire à titre accessoire de l’autre société. Par ailleurs, il a rejeté la demande tendant à la restitution de l’intégralité des pièces et documents saisis auprès de la représentante de la société. Logiquement, la représentante de la première société et l’autre société intervenue volontairement à l’instance devant le premier président ont formé un pourvoi en cassation. Premièrement, ils font grief au premier président d’avoir déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire accessoire de la société qui n’a pas été visitée. Pour eux, il n’aurait pas dû conditionner cette demande incidente à l’existence d’un intérêt à agir. Deuxièmement, ils dénoncent une atteinte au droit au respect de la vie privée et de la correspondance de la représentante de la société qui n’aurait pas dû être concernée par la saisie de documents dès lors qu’elle n’était que de passage à l’occasion du conseil d’administration.

La chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’ordonnance du premier président. Au visa de l’article 330 du code de procédure civile, elle reproche d’abord au premier président d’avoir privé sa décision de base légale en écartant l’intérêt de la société à intervenir volontairement à titre accessoire. Au visa des articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle lui reproche ensuite de ne pas avoir retenu l’illégalité de la saisie de documents de la représentante de la société. Délaissant volontairement les aspects substantiels, ce commentaire se concentrera sur les aspects procéduraux, et plus précisément la consistance que doit revêtir l’intérêt de l’intervenant volontaire à titre accessoire.

Les deux formes d’intervention volontaire

Les définitions légales permettent « de traiter des ensembles, ou au moins de régler les rapports de mots et des distinctions de concepts » (G. Cornu, Linguistique juridique, 3e éd., LGDJ, 2005, n° 22, p. 106). Le code de procédure civile offre de nombreux exemples de cet exercice de linguistique juridique. Ainsi, après avoir révélé l’existence de deux formes d’intervention volontaire – principale et accessoire (C. pr. civ., art. 328), les rédacteurs du code se sont attachés à en donner une définition. « L’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme » (C. pr. civ., art. 329, al. 1er). Au contraire, l’intervention est « accessoire lorsqu’elle appuie des prétentions d’une partie » (C. pr. civ., art. 330, al. 1er). Tout est dit.

De cette différence de nature doit normalement naître une différence de régime juridique (J.-L. Bergel, Différence de nature (égale) différence de régime, RTD civ. 1984. 255). À l’étude, des différences très nettes apparaissent (v. not. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, 2020, nos 357 s., p. 288 s.). L’arrêt commenté permet de rappeler l’une d’entre elles concernant les conditions de recevabilité.

L’intérêt à agir n’est pas l’intérêt à intervenir accessoirement

Reprenons les dispositions du code de procédure civile consacrées à l’intervention volontaire. Après avoir défini la forme principale, l’article 329, alinéa 2, précise qu’elle « n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention » (nous soulignons). Rien d’étonnant à exiger de l’auteur d’une prétention personnelle qu’il ait intérêt et qualité pour le faire ! Quant à la forme accessoire, l’article 330, alinéa 2, précise qu’elle « est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie » (nous soulignons). Que faut-il déduire de ces rédactions quelque peu divergentes ? A priori, pas grand-chose. L’intérêt n’est-il pas une des conditions du droit d’agir en justice ? Le premier président de la cour d’appel en a jugé ainsi. Mais comment expliquer alors que sa décision ait été cassée par la chambre commerciale de la Cour de cassation ? C’est tout simplement parce que l’intérêt de l’article 330, alinéa 2, n’est pas celui de l’article 329, alinéa 2 ! En effet, l’intérêt à « intervenir accessoirement n’est pas identique à celui exigé pour agir » (J.-J. Taisne, J.-Cl. pr. civ., fasc. 600-20, spéc. n° 61). S’il s’agit bien d’un intérêt propre, celui-ci est « atténué » en ce qu’il se réduit à voir la prétention de la partie principale reçue par le juge (v. Rép. pr. civ., v° Intervention, par D. d’Ambra et A.-M. Boucon, spéc. n° 10). L’intervenant à titre accessoire « ne prétend donc à rien pour lui-même ; il prend seulement fait et cause pour l’une des parties originaires » (N. Cayrol, Procédure civile, 3e éd., Dalloz, 2020, n° 856, p. 418). On comprend mieux les raisons de cette cassation de l’ordonnance pour défaut de base légale. En recherchant l’existence d’un intérêt à agir, et non d’un intérêt à intervenir accessoirement, le premier président a manqué de constater une condition d’application de l’article 330 du code de procédure civile. Voilà certainement une nuance subtile, mais une nuance malgré tout !