Par Le Batonnier le lundi 13 janvier 2020
Catégorie: Actualités juridiques

L’annexe à la déclaration d’appel n’est pas la déclaration d’appel

C’est un court arrêt que nous livre la Cour de cassation, le 5 décembre 2019, dans une affaire dans laquelle il était fait reproche à l’appelant de ne pas avoir fait signifier, en même temps que la déclaration d’appel, l’annexe contenant les chefs critiqués.

La Cour de cassation, en quelques mots, casse et annule l’arrêt d’appel qui avait accueilli le moyen de caducité soulevé par l’intimé. Outre qu’il rappelle ce qu’est une déclaration d’appel, et ce qu’elle n’est pas, l’arrêt interroge quant à sa portée réelle ou possible.

« L’annexe contenant les chefs de la décision critiqués »

Il est précisé dans l’arrêt que la déclaration d’appel contenait une annexe. Cela mérite des explications. Quiconque ne pratique pas de manière habituelle la procédure d’appel sera bien en mal de comprendre ce dont il s’agit.

Le code de procédure civile ne contient aucune disposition prévoyant que l’acte d’appel devrait être assorti d’un document annexe qui contiendrait les chefs critiqués. Notamment, il n’est rien dit à ce sujet à l’article 901, au rebours de l’article 85, concernant l’appel en matière d’exception d’incompétence, qui permet de joindre des conclusions à l’acte d’appel si celui-là ne contient pas la motivation de l’appel.

L’annexe dont il est question, et qui contiendrait les chefs expressément critiqués, apparaît dans une circulaire de la chancellerie (circ. du 4 août 2017 : « Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. L’attention du greffe et de la partie adverse sur l’existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d’appel. »). Cette possibilité laissée à l’appelant répond aux limites techniques d’un système qui ne permet pas, actuellement, de contenir plus de 4 080 caractères.

Alors que cette possibilité avait vocation à être très isolée, la limite des 4 080 caractères s’avérant amplement suffisante en pratique, force est de constater qu’elle s’est généralisée. Ainsi, de nombreux avocats ont pris l’habitude d’annexer de manière systématique un document joint contenant les chefs du jugement expressément critiqués.

Il faut néanmoins rappeler que cette tolérance provient d’une simple circulaire, qui n’a donc aucune valeur d’obligation (Civ. 2e, 30 mars 2017, n° 15-25.453 P, Dalloz actualité, 27 avr. 2017, obs. M. Kebir ; JA 2017, n° 561, p. 11, obs. J. Marfisi

; RDSS 2017. 572, obs. T. Tauran

).

La question se pose de la possibilité de procéder de cette manière lorsque l’appelant ne démontre pas être dans l’impossibilité de faire figurer les mentions dans la déclaration elle-même, sachant que l’arrêt de cassation ne consacre pas cette pratique.

Les juges, nonobstant la circulaire du 4 août 2017, pourraient retenir que la possibilité de mentionner les chefs critiqués dans un acte séparé n’est ouverte que lorsqu’il est démontré une impossibilité technique de les faire figurer dans la déclaration d’appel elle-même. Cela correspond à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de cause étrangère, lorsqu’il est démontré que le fichier joint excède la taille de 4 Mo et qu’il ne peut en conséquence être envoyé par voie électronique (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864 P, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52

, note C. Bléry

; ibid. 692, obs. N. Fricero

; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle

; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean

; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte

; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa

; JCP 2017. 1248, obs. Croze ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 54, obs. Herman).

« L’annexe de la déclaration d’appel dans laquelle il avait fait figurer les chefs de dispositif de l’ordonnance critiqués par l’appel »

Il ressort du moyen de cassation que, dans l’annexe, l’appelant avait « fait figurer les chefs de dispositif de l’ordonnance critiqués ». Or l’article 901 impose de mentionner les chefs du jugement, lesquels, selon nous, sont à distinguer des chefs de dispositif.

Nous pouvons douter qu’un simple copié-collé du dispositif du jugement dont il est fait appel réponde à l’objectif du décret du 6 mai 2017 (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile), et ce d’autant que le jugement est joint à la déclaration d’appel. La lecture de la déclaration d’appel doit permettre à toute partie, et à la cour, de savoir précisément ce qui sera discuté́ en appel. Mieux, cette lecture devrait déjà dresser un canevas de ce que seront les conclusions en appel.

Nous pensons que la détermination des chefs du jugement critiqués impose un travail intellectuel consistant à examiner ce qui était discuté en première instance, ce qui a été jugé par le jugement dont appel, et ce que sera la discussion en appel (v. Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas Express », n° 317).

« La déclaration d’appel […] avait été signifiée dans le délai requis »

La Cour de cassation rappelle par ailleurs ce qu’est la déclaration d’appel, et ce qu’elle n’est pas. Il ressort que le document annexe n’a aucune valeur procédurale et ne fait pas partie intégrante de la déclaration d’appel.

Sur le plan procédural, cela est inattaquable. En effet, dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire, qui imposent, aux termes de l’article 930-1, de remettre les actes de procédure par voie électronique, c’est l’article 10 de l’arrêté technique du 30 mars 2011 (arr. du 30 mars 2011, art. 10, relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel : « Le message de données relatif à une déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif tient lieu de déclaration d’appel, de même que son édition par l’auxiliaire de justice tient lieu d’exemplaire de cette déclaration lorsqu’elle doit être produite sous un format papier. ») qui nous dit ce qu’est une déclaration d’appel. Pour former appel, l’avocat envoie un fichier structuré au greffe, lequel envoi génère, après son traitement par les services du greffe, un fichier au format PDF, qui est la déclaration d’appel au sens procédural strict, comme l’a précisé la Cour de cassation (Civ. 2e, 6 déc. 2018, n° 17-27.206 P, Dalloz actualité, 16 janv. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero

).

Or l’arrêté technique qui définit la déclaration d’appel ne connaît pas le document annexe à la déclaration d’appel. Lui donner une valeur procédurale ajouterait à l’arrêté de 2011, mais également au code. Nous comprenons que l’incident de caducité soulevé par l’intimé reposait essentiellement sur la jurisprudence de la Cour de cassation ayant retenu que n’a pas fait diligence l’appelant qui a fait signifier un acte autre que la déclaration d’appel (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-18.212 P, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2192

, note G. Bolard

; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero

). Pour l’intimé, il s’agissait de soutenir que la déclaration d’appel était constituée du fichier PDF en plus document annexe, de sorte que c’est cet ensemble, indissociable, qu’il fallait signifier pour satisfaire à l’obligation procédurale de l’article 905-1 (ou de l’article 902 en circuit ordinaire).

Mais dès lors que ce document joint n’est pas une partie de la déclaration d’appel, la caducité ne pouvait aboutir pour ce motif.

La cassation s’imposait.

L’arrêt semble donc prendre de la distance avec la circulaire, laquelle n’est au demeurant pas citée alors qu’elle est au centre de la problématique. En effet, la circulaire précisait quant à elle que « cette pièce jointe […] fera ainsi corps avec la déclaration d’appel », ce que l’arrêt semble rejeter en ne lui accordant aucune valeur procédurale.

Mais la question pourrait se poser lorsque la déclaration d’appel n’est pas le document PDF généré par le système RPVA, mais un document papier. Il en est ainsi lorsque l’appel est formé par un défenseur syndical en matière prud’homale, qui n’a pas accès au réseau électronique des cours d’appel (C. pr. civ., art. 930-2), ou par un avocat qui ne peut remettre son acte par voie électronique en raison d’une cause étrangère (C. pr. civ., art. 930-1).

Faudrait-il alors considérer que l’annexe papier ferait partie intégrante de la déclaration d’appel papier ? Rien n’est moins sûr. Dès lors que ce document annexe n’existe pas davantage dans le code, notamment à l’article 901, il ne saurait lui être conféré une quelconque valeur. Mais c’est justement cela qui interroge sur la portée de l’arrêt.

« La déclaration d’appel, dont la nullité n’avait pas été prononcée »

Pour la Cour de cassation, « la déclaration d’appel, dont la nullité n’avait pas été prononcée, avait été signifiée dans le délai requis ». L’arrêt de la Cour aurait certainement été aussi clair, et la solution identique, s’il s’était contenté de dire que « la déclaration d’appel avait été signifiée dans le délai requis ».

Nous doutons que cette précision, selon laquelle « la nullité n’avait pas été prononcée », soit anodine. Mais s’agit-il de souligner que l’intimé n’a pas abordé la problématique sous le bon angle ?

La nullité d’un acte d’appel, en rapport avec la mention des chefs expressément critiqués, renvoie notamment aux trois avis rendus en 2017 par la Cour de cassation (Cass., avis, 20 déc. 2017, nos 17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036, D. 2018. 18

; ibid. 692, obs. N. Fricero

; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle

; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean

), desquels il ressort que la déclaration d’appel ne mentionnant pas les chefs expressément critiqués serait nulle pour vice de forme.

Cette précision de la Cour de cassation pourrait laisser entendre que cette annexe ne satisferait pas à l’exigence de l’article 901 imposant à la partie de mentionner les chefs expressément critiqués dans la déclaration d’appel elle-même. En d’autres termes, cette déclaration d’appel avec document joint ne contiendrait pas les chefs expressément critiqués et encourrait donc la nullité pour vice de forme.

Allant un peu plus loin dans le raisonnement, et oubliant la nullité de l’acte d’appel qui n’est stratégiquement jamais très intéressante à soulever (Procédures d’appel, op. cit., n° 328), cela reviendrait à dire que la cour d’appel, dans un tel cas, ne serait saisie de rien, l’effet dévolutif de l’article 562 du code de procédure civile n’ayant pu jouer (ibid.).

Cet arrêt, avec cette interprétation, ouvre des portes intéressantes et conforte la thèse qui a pu être la nôtre quant au caractère dangereux de mentionner les chefs critiqués dans un document séparé (ibid., n° 326).

Nullité de l’acte ou irrecevabilité des demandes ?

En l’état de cette jurisprudence, il apparaît que l’intimé, en présence d’une déclaration d’appel pour laquelle les chefs critiqués sont mentionnés dans un document séparé, pourrait envisager de soulever la nullité de l’acte d’appel pour vice de forme.

La difficulté, avec le vice de forme, est le grief, quasiment impossible à démontrer. Mais, en l’espèce, l’intimé se voit signifier une déclaration d’appel qui ne lui permet pas de connaître la dévolution. Le grief devient alors évident, tout comme il existe lorsque l’acte d’assignation n’est pas motivé au regard de l’article 56 (v. Civ. 2e, 6 avr. 2006, n° 04-11.737 P, AJDI 2007. 208

, obs. P. Capoulade

).

Mais il apparaît plus efficace, compte tenu de l’effet interruptif de l’article 2241 du code civil en cas de nullité de l’acte d’appel (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 2118

; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero

; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati

; JCP 2014. 1271, note Auché ; 1er juin 2017, n° 16-14.300 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1196

; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle

; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero

), d’aller sur le terrain de l’irrecevabilité des demandes.

En l’état actuel, cette irrecevabilité des demandes est encore de la compétence de la cour d’appel, mais c’est le conseiller de la mise en état qui pourrait prochainement en être investi s’il récupère, fort logiquement, les nouvelles compétences du juge de la mise en état en matière de fin de non-recevoir (décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, art. 4, I, créant un art. 789, 6°, qui donne compétence au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir).