Quel est le droit dont le délai de prescription est suspendu lorsqu’un juge ordonne une mesure d’instruction avant tout procès ?
Telle était la question soulevée dans l’affaire ayant donné lieu à un arrêt rendu le 2 mars 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
Les faits ayant conduit au prononcé de cet arrêt n’étaient guère originaux. Parce qu’elle rencontrait des difficultés à propos de moteurs acquis entre octobre 2005 et octobre 2006, une société a décidé d’assigner la société venderesse à comparaître devant le président du tribunal de commerce afin que, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ce dernier ordonne une mesure d’instruction préventive en vue, notamment, de rechercher l’existence de vices rédhibitoires. Par ordonnance du 20 novembre 2009, le président du tribunal de commerce a fait droit à cette demande et a prescrit une expertise. L’expert a établi son rapport le 26 février 2015 et ce n’est que, selon un acte signifié le 4 mars 2016, que l’acquéreur a assigné le vendeur en paiement au titre de manquements à son obligation de délivrance conforme et à son obligation de conseil. La cour d’appel de Lyon a cependant déclaré ces prétentions irrecevables comme se heurtant à la prescription. Les juges du fond n’ont pas nié qu’un délai de prescription puisse être interrompu par l’assignation devant le juge des référés, puis suspendu par le prononcé de la mesure d’instruction préventive ; en revanche, ils ont estimé que les mesures d’instruction préventives, qui visaient à rechercher l’existence de vices rédhibitoires, n’avaient pas le même objet que celui des prétentions dont ils étaient saisis.
La Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses. Après avoir rappelé les termes de l’article 2239 du code civil, elle a jugé que « si, en principe, la suspension comme l’interruption de la prescription ne peuvent s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ». Appliquant cette règle, elle a constaté que la demande d’expertise en référé, qui tendait à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s’ils étaient atteints d’un vice rédhibitoire, tendait au même but que l’action en inexécution de l’obligation de délivrance conforme, si bien que la cour d’appel aurait dû constater que la mesure d’instruction ordonnée avait suspendu la prescription de l’action au fond.
L’étendue de l’effet suspensif attaché au prononcé d’une mesure d’instruction avant tout procès est ainsi calquée sur celle de l’effet interruptif attaché à la demande en justice.
L’étendue de l’effet interruptif de prescription
Apprécier la portée de l’effet suspensif découlant du prononcé de la mesure d’instruction préventive revient finalement à fixer celle de l’effet interruptif attaché à la demande en référé.
L’article 2241 du code civil prévoit que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ». Mais il faut alors identifier le droit dont le délai de prescription est ainsi interrompu par la demande en justice.
Il pourrait être prétendu que l’effet interruptif ne peut s’étendre au-delà du délai de prescription de l’action qui est mise en œuvre par la demande portée en justice. Cette analyse, qui ne semble jamais avoir été réellement soutenue, conduirait alors à limiter considérablement l’effet interruptif de prescription attaché à la demande tendant au prononcé d’une mesure d’instruction préventive. Car l’action exercée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui tend à la sanction du droit à la preuve (I. Després, Les mesures d’instruction in futurum, préf. G. Wiederkehr, Dalloz, 2004, nos 177 s.), est, selon toute vraisemblance, distincte de l’action qui pourrait ultérieurement être exercée devant un juge du fond. Dans tous les cas, une telle analyse, qui conduirait à un cantonnement de l’effet interruptif de prescription, ne reflète plus le droit positif.
Au moment de la réforme de l’article 2244 du code civil par la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, il avait déjà...