Par Le Batonnier le lundi 2 mars 2020
Catégorie: Actualités juridiques

La prestation de compensation du handicap prise en charge par le FGAO

Le 16 juin 1995, une jeune fille, alors âgée de onze ans, a été percutée par un véhicule au volant duquel était assise une conductrice non couverte par une assurance. Par ordonnance du 6 mai 2004, le juge des référés a confié une mission d’expertise aux fins d’évaluation de ses préjudices, dont le rapport a été déposé le 16 octobre 2006. Les 17 avril, 21 avril et 6 mai 2009, la victime, assistée de son curateur, et ses parents ont assigné la conductrice et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) aux fins de liquidation de leurs préjudices.

Par un arrêt rendu le 24 mai 2018, la première chambre civile de la cour d’appel d’Amiens a décidé, en premier lieu, que le versement de la rente trimestrielle viagère d’un montant de 4 680 € allouée au titre de l’assistance par une tierce personne à compter du 31 juillet 2015 ne pourrait intervenir que sur présentation dans le premier mois de chaque année civile d’un justificatif d’absence de demande de prestation de compensation du handicap (PCH) ou du montant des sommes perçues au titre de cette prestation. En deuxième lieu, la cour d’appel a fixé les sommes dues en réparation des préjudices subis par la victime à hauteur notamment de 5 499,90 € au titre des frais divers et à hauteur de 94 302 € au titre de l’assistance par tierce personne temporaire. Elle a aussi établi les sommes dues en réparation des préjudices subis par les victimes par ricochet, en limitant la somme due au titre du préjudice professionnel de la mère de la victime à hauteur de 30 000 €. En dernier lieu, la juridiction du fond a débouté la victime, son curateur et ses proches de leur demande de condamnation du FGAO à leur verser des intérêts au double du taux d’intérêt légal, à titre principal, du 16 février 1996 (soit à l’expiration du délai de huit mois suivant l’accident) au jour du jugement définitif, et à titre subsidiaire, du 16 mars 2007 (soit à l’expiration du délai de cinq mois suivant la diffusion du rapport judiciaire de l’expert du 16 octobre 2006) au jour du jugement définitif, sur le fondement des articles L. 211-13 et L. 211-14 du code des assurances.

Le curateur et les proches de la victime ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens, dans le litige les opposant à la conductrice non assurée et au FGAO, défendeurs à la cassation. Le FGAO a formé un pourvoi incident contre le même arrêt. La Cour de cassation, par un arrêt du 6 février 2020, a partiellement censuré l’arrêt d’appel.

S’agissant du quatrième moyen du pourvoi principal, soutenu sur le fondement des articles L. 211-13 et L. 211-14 du code des assurances et relatif aux pénalités de retard en cas de non-respect du délai pour présenter l’offre, la haute juridiction a précisé qu’« aux termes de l’article R. 421-15 du code des assurances, en aucun cas, l’intervention du FGAO dans les instances engagées entre les victimes d’accidents corporels ou leurs ayants droit, d’une part, et les responsables ou leurs assureurs, d’autre part, ne peut motiver une condamnation conjointe ou solidaire du fonds de garantie et du responsable ; que selon l’article L. 211-22, alinéa 2, du même code, l’application au FGAO de l’article L. 211-13 prévoyant la pénalité du doublement du taux de l’intérêt légal lorsque l’offre n’a pas été faite dans les délais impartis à l’article L. 211-9 ne fait pas obstacle aux dispositions particulières qui régissent les actions en justice contre le Fonds ; qu’il en résulte que le FGAO ne peut être condamné à cette pénalité au cours des instances susmentionnées mais seulement au cours de celles introduites par la victime ou ses ayants droit à l’encontre du Fonds dans les conditions prévues par l’article R. 421-14 du code des assurances ; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée ».

La haute juridiction a ainsi rappelé aux juridictions du fond qu’il ne leur appartient pas de condamner le FGAO conjointement ou solidairement avec le responsable. Par le passé avait ainsi été censuré, pour violation de l’article R. 421-15 du code des assurances, l’arrêt d’appel ayant jugé qu’il revient au FGAO d’indemniser les ayants droit de la victime, après avoir énoncé que la réparation incombe in solidum au FGAO et aux ayants droit du conducteur responsable de l’accident (Civ. 2e, 6 mars 2008, n° 07-11.887, Dalloz jurisprudence).

Les juges du fond sont tenus de limiter à déclarer au FGAO sa décision opposable, sans que l’intervention du fonds puisse justifier sa condamnation (Crim. 13 janv. 2009, n° 08-82.103, RCA 2009. Comm. 90, note H. Groutel). La chambre criminelle avait retenu que l’article L. 211-22 du code des assurances ne fait aucune distinction entre le FGAO et les assureurs quant à l’assiette de la pénalité (Crim. 3 mai 2016, n° 14-84.246 P, Dalloz actualité, 17 mai 2016, obs. N. Kilgus). Ces pénalités sont source de difficultés régulières. Dernièrement, la Cour de cassation a dû répondre à la problématique de « l’office du juge pour le bornage dans le temps de la sanction de doublement des intérêts légaux prévu en matière d’absence d’offre en matière d’accident de la circulation. Quant au doublement des intérêts légaux, il est prévu par l’article 16 de la loi du 5 juillet 1985 « à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif ». En l’espèce, l’assureur par convention en charge du dossier estimait dans ses écritures que le doublement des intérêts ne devait pas lui être imposé, dans la mesure où le délai de huit mois pour faire une offre n’avait pu courir à son encontre, puisqu’il contestait sa responsabilité ; les victimes indirectes demandaient la confirmation du jugement entrepris qui avait prononcé cette sanction. L’arrêt d’appel a confirmé le principe de la sanction, mais l’a limitée dans le temps, à la date où ont été signifiées par l’assureur des propositions indemnitaires subsidiaires. La Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir relevé d’office ce moyen, sans le soumettre préalablement à la discussion des parties, ce qui constitue une violation de l’article 16 du code de procédure civile » (C. Quézel-Ambrunaz, La Cour de cassation intègre les prestations sociales dans le calcul de la perte de revenus des proches, ss Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-14.211, RLDC/177, janv. 2020, p. 14 s.).

À ce titre, la doctrine relève que « la sanction du doublement des intérêts légaux est un mécanisme de peine privée, qui, en tant que telle, est aux mains des parties. Les hauts magistrats l’avaient déjà laissé entendre, dans un arrêt apparaissant comme le reflet inversé de celui sous commentaire (Civ. 2e, 24 oct. 2019, préc.), en rejetant un moyen critiquant un arrêt d’appel de ne pas avoir prononcé cette sanction, alors que la victime ne l’avait pas demandée dans ses conclusions (Civ. 2e, 24 mai 2018, n° 17-12.470, Dalloz actualité, 7 juin 2018, obs. J.-D. Pellier) » (ibid.).

En ce qui concerne l’arrêt du 6 février 2020, ensuite, sur le premier moyen du pourvoi principal, et au visa des articles 29 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dite Badinter, et des articles L. 421-1 et R. 421-13 du code des assurances, la deuxième chambre civile a tout d’abord énoncé « qu’il résulte des deux premiers textes que seules doivent être imputées sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que, n’étant pas mentionnée par le premier de ces textes, la prestation de compensation du handicap ne donne pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et ne peut donc être imputée sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ; que, selon les deux derniers textes, lorsque le FGAO intervient, il paie les indemnités allouées aux victimes ou à leurs ayants droit qui ne peuvent être prises en charge à aucun autre titre lorsque l’accident ouvre droit à réparation ; que les versements effectués au profit des victimes ou de leurs ayants droit et qui ne peuvent pas donner lieu à une action récursoire contre le responsable des dommages ne sont pas considérés comme une indemnisation à un autre titre » (Civ. 2e, 6 févr. 2020, préc.).

La haute juridiction a alors décidé « que, pour dire que le versement de la rente trimestrielle viagère due au titre de la tierce personne ne pourra intervenir que sur justification par [la victime] auprès du FGAO, dans le premier mois de chaque année civile, de l’absence de demande de prestation de compensation du handicap ou du montant des sommes perçues à ce titre, l’arrêt retient que nonobstant le caractère subsidiaire de l’indemnisation opérée par le FGAO, la personne handicapée n’a aucune obligation de solliciter la prestation de compensation du handicap mais peut le faire à tout moment et qu’en raison du caractère indemnitaire de cette prestation, il convient, afin d’éviter une double indemnisation, de prévoir que les sommes dont [la victime] pourrait être amenée à bénéficier devront être déduites des sommes allouées au titre de l’assistance par une tierce personne » (ibid.).

Elle a conclu qu’en statuant ainsi, « alors que la prestation de compensation du handicap définie aux articles L. 245-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles n’étant pas mentionnée par l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985, elle n’ouvre droit à aucune action contre la personne tenue à réparation du dommage et ne peut donc être imputée sur l’indemnité allouée, que celle-ci soit payée par la personne tenue à réparation ou prise en charge à titre subsidiaire par le FGAO, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (ibid.).

En 2017, le Conseil constitutionnel avait jugé conforme à la Constitution le terme « seules » inscrit au premier alinéa de l’article 29 de la loi Badinter est (Cons. const. 24 févr. 2017, n° 2016-613 QPC, Dalloz actualité, 6 mars 2017, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2017. 442

; D. 2017. 504

; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon

; AJ fam. 2017. 162 et les obs.

; Constitutions 2017. 189, chron.

). La chambre criminelle avait également estimé que la prestation de compensation du handicap versée par le conseil départemental n’entre pas dans la catégorie des prestations ouvrant droit à action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur mentionnées aux articles 29 et 32 de la loi Badinter (Crim. 1er sept. 2015, n° 14-82.251 P, Dalloz actualité, 21 sept. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2015. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon

; RDSS 2015. 1123, obs. Y. Dagorne-Labbe

; RTD civ. 2015. 889, obs. P. Jourdain

). La deuxième chambre civile avait encore précisé, en 2015, que cette même prestation perçue par la victime, ne figurant pas à l’article 29 de la loi de 1985, ne donnait pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation (Civ. 2e, 2 juill. 2015, n° 14-19.797 P, Dalloz actualité, 1er sept. 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1539

; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle

; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon

; RTD civ. 2015. 889, obs. P. Jourdain

). L’affaire commentée renouvelle la solution en précisant que la prestation de compensation du handicap n’ouvre droit à aucune action contre le débiteur de la compensation du dommage et ne peut donc être imputée sur l’indemnité allouée, que celle-ci soit payée par la personne tenue à réparation ou prise en charge à titre subsidiaire par le FGAO.

S’agissant du deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, la Cour de cassation a visé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

À ce titre, les hauts magistrats ont préalablement constaté que, « pour limiter à 5 499,90 € la somme due en réparation du préjudice subi par [la victime] au titre des frais divers, l’arrêt retient que l’examen neuropsychologique et le bilan psychiatrique réalisés respectivement par [deux experts] ne peuvent être assimilés à l’assistance d’un médecin conseil mais s’analysent comme des rapports d’expertise privés qui ne sauraient être indemnisés au titre des frais divers ; qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces examens n’avaient pas été indispensables à l’évaluation des préjudices de la victime et n’étaient pas, par conséquent, imputables à l’accident, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (Civ. 2e, 6 févr. 2020, préc.).

Enfin, sur le troisième moyen du pourvoi principal, au visa de l’article 4 du code de procédure civile, la cour d’appel est censurée pour violation de ce texte en limitant à une certaine somme l’évaluation du préjudice professionnel de la mère de la victime, après avoir retenu qu’il est démontré que cette dernière était déjà en disponibilité professionnelle avant l’accident pour élever l’ensemble de ses jeunes enfants et que, s’il est constant qu’elle s’est effectivement occupée de sa fille durant cette période, elle s’est également occupée de ses autres enfants, de sorte que la perte de revenus qu’elle a subie à hauteur de 126 129 € durant cette période de mise en disponibilité n’est pas en lien direct avec l’accident dont a été victime sa fille mais avec le fait qu’elle a décidé durant une certaine période de se consacrer à l’entretien et l’éducation de ses jeunes enfants. Dès lors, puisque la victime indirecte sollicitait l’allocation d’une somme de 126 129 € correspondant à la perte de revenus subie non pas entre l’accident et sa reprise d’activité mais entre la date à laquelle sa période de disponibilité aurait dû s’achever si l’accident n’était pas survenu, à savoir lorsque son dernier enfant a atteint l’âge de huit ans, et sa reprise effective d’activité, la cour d’appel a modifié les termes du litige (ibid.).

Pour la projection futuriste, il convient de noter que le projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017, par Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, par suite de la consultation publique menée d’avril à juillet 2016, est susceptible de redistribuer les cartes du jeu indemnitaire au stade des recours.

Non seulement l’article 1273 du projet envisage que « les sommes versées à la victime à des fins indemnitaires par les tiers payeurs ne donnent lieu à recours subrogatoire contre le responsable ou son assureur que dans les cas prévus par la loi », mais encore l’article 1274 du projet prévoit que « seules les prestations énumérées ci-après versées à la victime d’un dommage corporel ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur :

1. Les prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale ;


2. Les prestations énumérées au II de l’article 1er de l’ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l’État et de certaines autres personnes publiques ;

3. Les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation ;

4. Les salaires et les accessoires du salaire maintenus par l’employeur pendant la période d’inactivité consécutive à l’événement qui a occasionné le dommage ;


5. Les indemnités journalières de maladie et les prestations d’invalidité versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et de la pêche maritime et les sociétés d’assurance régies par le code des assurances ;

6. Les prestations prévues à l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles ».

Rappelons que cet article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles, visé par le sixième point de l’article 1274 du projet de réforme de la responsabilité civile, a trait à la prestation de compensation du handicap. En d’autres termes, le projet de réforme de la responsabilité civile intégrerait la prestation de compensation du handicap dans les prestations ouvrant droit au recours, et donc changerait complètement la solution qui émane de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 6 février 2020 (Civ. 2e, 6 févr. 2020, préc.). En l’état, d’aucuns pourraient s’inquiéter du risque de surindemnisation. Ce risque peut néanmoins paraître modéré, en ce que la prestation de compensation du handicap n’est versée qu’à titre subsidiaire. En définitive, on retombe sur un conflit de deux subsidiarités, celle du FGAO, d’un côté, celle de la prestation de compensation du handicap, de l’autre.

Relevons enfin que l’intention de l’actuel législateur est de faciliter l’accès à la prestation de compensation du handicap (proposition de loi visant à améliorer l’accès à la prestation de compensation du handicap, 26 févr. 2020). Notamment, « les réclamations des bénéficiaires de la PCH dirigées contre une décision de récupération de l’indu auront un caractère suspensif. Un « droit à vie » à la PCH est prévu pour les personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement » (Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J.-M. Pastor).