Par Le Batonnier le lundi 1 février 2021
Catégorie: Actualités juridiques

Le périmètre des mesures d’instruction in futurum interruptives du délai d’action

L’interruption du délai de prescription et du délai de forclusion par la procédure visant à voir ordonner une mesure d’instruction in futurum n’est pas systématique. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt sous commentaire.

Par requête du 22 octobre 2010, une société saisit le président d’un tribunal de commerce, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, afin de voir ordonner la désignation d’un huissier de justice et la réalisation d’investigations dans les locaux appartenant à d’autres sociétés, demande admise par ordonnance du même jour. Le 8 février 2011, elle assigna les mêmes sociétés en référé à fin de mainlevée du séquestre des documents recueillis et conservés par l’huissier de justice conformément à l’ordonnance d’octobre 2010, la mainlevée étant ordonnée en appel le 16 novembre 2011.

La demanderesse décida alors d’assigner au fond les sociétés défenderesses, suivant exploit d’huissier du 25 juin 2014, aux fins de les voir condamner solidairement à l’indemniser. Ces dernières, opposant la prescription de son action au fond, devaient obtenir cependant gain de cause par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 avril 2019.

Afin d’échapper à la prescription de son action au fond, la demanderesse arguait devant la Cour de cassation que l’interruption du délai de prescription était intervenue par l’effet de la requête du 22 octobre 2010 ainsi que par le jeu de l’assignation en référé du 8 février 2011.

Notion de demande en justice et exigence du contradictoire

Sur le premier moyen, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel par un attendu doté d’une portée générale : « Une requête fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, qui introduit une procédure non contradictoire, ne constitue pas une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil. » En conséquence, la requête du 22 octobre 2010 n’avait pas interrompu le délai de prescription de l’action au fond.

Sur ce point, la Cour de cassation interprète strictement les dispositions de l’alinéa premier de l’article 2241 du code civil lequel énonce que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ».

La haute juridiction semble cependant ajouter une condition non prévue par le texte, celle de l’exigence d’une procédure contradictoire. À suivre le raisonnement de la Cour de cassation, les requêtes remises ou adressées au greffe de la juridiction, si elles ont pour effet d’introduire l’instance conformément à l’article 54 du code de procédure civile, ne constitueraient pas des demandes en justice interruptives du délai d’action.

L’arrêt demeure sur ce point contestable. En effet, la prescription civile a été historiquement instituée afin de sanctionner le créancier négligent qui, bien qu’informé des faits permettant l’exercice de son droit, s’abstient d’agir pendant un certain laps de temps. Dès lors, malgré son caractère non contradictoire, il n’en demeure pas moins que la requête traduit une action positive de la part du créancier et qu’elle introduit en sus une action en justice.

La solution dégagée par la Cour de cassation interroge d’autant plus qu’il est constant que la demande d’aide juridictionnelle interrompt le délai d’action, alors même qu’il ne s’agit pas d’une procédure contradictoire (v. décr. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 38, devenu depuis le 1er janv. 2021, décr. n° 2020-1717, 28 déc. 2020, art. 43).

En tout état de cause, le praticien doit se montrer particulièrement vigilant quant aux suites à venir de cette jurisprudence. Dans le doute, ce dernier a tout intérêt à systématiquement requérir une mesure d’instruction fondée sur l’article 145 du code de procédure civile par la voie de l’assignation.

Extension prétorienne de l’effet interruptif du délai aux actions liées

Sur le second moyen, la Cour de cassation retient une analyse tout autre. Les juges rappellent tout d’abord la règle prétorienne selon laquelle, « si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ».

En effet, il résulte d’une jurisprudence bien établie que l’effet interruptif du délai d’action par l’introduction d’une première action s’étend à une seconde action liée à cette dernière (Civ. 1re, 9 mai 2019, n° 18-14.736, Dalloz actualité, 29 mai 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1046

; RTD civ. 2019. 590, obs. H. Barbier

; RTD com. 2019. 749, obs. B. Bouloc

 ; Procédures 2019. Comm. 186, obs. Y. Strickler ; v. égal. Civ. 3e, 22 sept. 2004, n° 03-10.923, D. 2004. 2549, et les obs.

; RDI 2004. 569, obs. P. Malinvaud

 ; RCA 2004. Comm. 340, obs. H. Groutel ; Constr.-Urb. 2004. Comm. 205, obs. M.-L. Pagès-de Varenne). Deux conditions sont alors exigées :

les actions, bien qu’ayant des causes distinctes, doivent tendre à un seul et même but ;
  la seconde action doit être « virtuellement comprise » dans la première, en d’autres termes, elle doit être son pendant.

En l’espèce, la cour d’appel avait considéré que l’assignation en référé du 8 février 2011 n’avait interrompu la prescription qu’au regard de la seule procédure sur requête et à la mainlevée des séquestres, à l’exclusion de la procédure au fond fondée sur l’exécution déloyale du contrat.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel au motif qu’ en statuant ainsi, alors que la demande en référé, à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice en vertu d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui tend, comme la demande au fond, à obtenir l’indemnisation du préjudice, interrompt le délai de prescription de l’action au fond, celle-ci étant virtuellement comprise dans l’action visant à l’obtention de la mesure in futurum, la cour d’appel a violé l’article 2241 du code civil. En d’autres termes, l’assignation en référé du 8 février 2011, laquelle constituait cette fois-ci une demande en justice, avait valablement interrompu le délai de prescription régissant l’action au fond.

La position de la haute juridiction doit ici être approuvée en ce que la mainlevée du séquestre des documents recueillis par l’huissier de justice, à l’issue des investigations réalisées dans les locaux des sociétés défenderesses, avait justement permis à la demanderesse de récolter des informations suffisantes et de poursuivre conséquemment une action en indemnisation devant les juges du fond.

En conséquence, le délai de prescription avait été interrompu le 8 février 2011 jusqu’au jour de l’arrêt d’appel du 16 novembre 2011 ayant ordonné la mainlevée. En effet, l’interruption du délai d’action par la demande en justice se prolonge jusqu’à l’extinction de l’instance, c’est-à-dire jusqu’au jour où le litige trouve définitivement sa solution (Civ. 2e, 8 avr. 2004, n° 02-15.096 P). Un nouveau délai avait commencé à courir à compter de cette date. Dès lors, l’assignation au fond introduite le 25 juin 2014 n’était pas prescrite.

Illustration schématique :