Le 1er octobre dernier, le garde des Sceaux a présenté sa circulaire de politique pénale générale. Celle-ci a vocation à repenser l’action pénale pour qu’elle « soit plus effective, plus rapide, mieux comprise et puisse asseoir la pleine crédibilité de l’autorité judiciaire ».
Parmi les annonces, l’augmentation de 8 % du budget consacré à la justice en 2021 a été particulièrement remarquée. La France, qui se trouve actuellement au 23e rang sur les 47 pays du Conseil de l’Europe, va désormais disposer de son budget le plus élevé depuis un quart de siècle, favorisant par la même de nombreux recrutements.
Il en va de même des choix d’orientation prioritaire dont une attention particulière est portée aux violences intrafamiliales, aux infractions portant sur la confiance dans les institutions et tout particulièrement aux atteintes à la probité ainsi que la lutte contre le terrorisme.
La présente circulaire traite également de l’épineuse question de la remontée d’information, laquelle fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats comme en témoigne la récente enquête parlementaire relative à l’indépendance de la justice ou encore de l’avis du conseil supérieur de la magistrature du 15 septembre dernier.
Il faut remonter à la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique – complétée par la circulaire du 31 janvier 2014 – pour que soit consacrée une base légale à la communication d’information au garde des Sceaux dans les affaires individuelles.
Pour rappel, l’article 1er de cette loi – lequel modifie l’article 30 du code de procédure pénale – dispose que « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles. Chaque année, il publie un rapport sur l’application de la politique pénale déterminée par le gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat ».
L’article 35 précise, en ce qui concerne les remontées d’information entre le parquet général et la Chancellerie, que le procureur général établit, soit d’initiative, soit sur demande du ministère de la justice, des rapports particuliers. Il adresse également à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort.
La circulaire du 31 janvier 2014 relève à ce titre que : « les parquets généraux doivent informer la Chancellerie régulièrement, de manière complète et en temps utile, des procédures les plus significatives et exercer pleinement leur rôle d’analyse et de synthèse » (circ. du 31 janv. 2014 de présentation et d’application de la loi n° 2013-669 du 25 juill. 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique).
La remontée d’information distille un sentiment de défiance quant à l’utilité et l’utilisation susceptible d’être faite des informations remontées. Parallèlement, le Groupe d’États contre la corruption (Greco) a récemment recommandé dans un rapport du 9 janvier 2019 que « des moyens supplémentaires, plus particulièrement en personnel, soient alloués au parquet national financier et que son indépendance par rapport à l’exécutif soit assurée, notamment ajoutant des garanties supplémentaires quant à la remontée d’information vers l’exécutif sur les procédures en cours qui concernent des personnes exerçant de hautes fonctions de l’exécutif afin de préserver l’intégrité des poursuites » (Greco, Rapport d’évaluation de la France, 9 janv. 2020, p. 37).
Pour autant, la remontée d’information apparaît comme une véritable nécessité en permettant au garde des Sceaux d’exercer pleinement ses attributions constitutionnelles et institutionnelles et, ce faisant, en définissant les contours de la politique pénale qu’il souhaite appliquer. Ces informations remontées lui permettent également d’évaluer les choix d’orientation mis en œuvre ainsi que l’affectation des moyens mis en œuvre pour l’application de la politique pénale. De même, le garde des Sceaux peut être interrogé sur la conduite de la politique pénale par les parlementaires, dans ce contexte, il doit pouvoir être renseigné « sur les procédures présentant une problématique d’ordre sociétal, un enjeu d’ordre public, ayant un retentissement médiatique national ou qui sont susceptibles de révéler une difficulté juridique ou d’application de la loi pénale ». Le garde des Sceaux doit également être tenu informé des procédures susceptibles de mettre en cause l’institution judiciaire et mis en mesure de veiller au bon fonctionnement de l’institution judiciaire et de l’ensemble des services placés sous son autorité. Enfin, l’intervention du garde des Sceaux peut être de nature à faciliter l’entraide judiciaire internationale.
Si bien qu’il apparaissait nécessaire de définir des critères suffisamment souples pour permettre une remontée d’information complète et pertinente au garde des Sceaux afin qu’il puisse mener l’ensemble de ses attributions tout en y consacrant des garde-fous afin d’empêcher tout soupçon d’interventionnisme.
La circulaire de 2014 indique à cet égard que les procédures devant être signalées répondront aux critères suivants lesquels pourront être cumulatifs : « gravité des faits (préjudice humain, financier, atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou au pacte républicain), de nature à nécessiter une action coordonnée des pouvoirs publics ou à leur donner un retentissement médiatique au niveau national, insertion dans un champ de politique pénale prioritaire, qualité des mis en cause ou des victimes et dimension internationale de la procédure ».
En parallèle, l’étude du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire du 2 septembre 2020 est particulièrement instructive sur les pratiques des parquets généraux. M. Jean-Jacques Bosc, membre de la Conférence des procureurs généraux, a ainsi indiqué lors de son audition : « il existe une règle, que tout le monde applique : on ne fait remonter à la chancellerie que les décisions juridictionnelles, arrêts, jugements, et non les pièces de procédure, notamment les procès-verbaux, non plus que les mesures envisagées, comme une garde à vue ». M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, indiquait quant à lui que, « dans la pratique parquetière, les informations remontant à la chancellerie ne concernent que les actes d’enquête accomplis et non pas les actes à venir. C’était ma pratique personnelle, notamment au tribunal de Paris, et je n’y ai jamais dérogé. Je n’ai jamais, je dis bien jamais, avisé ma hiérarchie, parquet général ou chancellerie, d’actes à venir dans les dossiers, notamment s’agissant de perquisitions. Ma pratique était de ne les aviser des perquisitions que lorsque celles-ci avaient commencé » (Rapport Ass. nat. n° 3296 sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, 2 sept. 2020, p. 108).
À l’aune de ces remarques, le rapport de la commission d’enquête préconise trois propositions intéressantes :
Inscrire dans la loi les critères de signalement des procédures lesquels sont actuellement fixés par la circulaire du 31 janvier 2014.Prévoir la motivation des demandes d’information émanant du garde des Sceaux ou de son cabinet.
Créer un groupe de travail afin de prévenir les risques de conflit d’intérêts.
Dans une note du 29 septembre dernier, Mme Véronique Malbec, directrice du cabinet du garde des Sceaux, précisait au directeur des affaires criminelles et des grâces (DAGC) plusieurs préconisations quant au dispositif de communication d’information au cabinet du garde des Sceaux concernant des procédures dans lesquelles ce dernier est intervenu en qualité d’avocat ou dans lesquelles intervient son associé.
Afin d’éviter tout soupçon d’interventionnisme et de conflit d’intérêts, la directrice de cabinet invite la DAGC à ne transmettre au cabinet du garde des Sceaux aucun élément sur les procédures à l’exception de ceux qui s’avèrent nécessaires à l’exercice des prérogatives susceptibles d’être portées personnellement par le ministre s’agissant :
des affaires soulevant une question de droit nouveau ;des affaires mettant en cause le fonctionnement du service public de la justice ;
des affaires présentant une dimension internationale avec une sensibilité diplomatique particulière.
Dans une telle hypothèse, la communication se fera sous une note établie par la DAGC ne contenant que des éléments strictement indispensables à une appréciation utile de la situation et des suites à lui donner.
De telles préconisations de nature à prévenir les éventuels risques de conflits d’intérêts sont salutaires et s’inscrivent dans la droite ligne des propositions de la commission d’enquête. Il convient désormais de suivre le sort de ces propositions avec attention.