Le dépôt d’un projet de loi est toujours le résultat d’un long processus de négociations entre le ministre, ses directions, ses syndicats, ses partenaires et les autres ministères. Dès lors, l’enjeu pour tout ministre est que le débat parlementaire ne vienne pas chambouler ce bel équilibre. Sur le projet de loi simple, Éric Dupond-Moretti a réussi l’exercice. Sa feuille de route était facilitée par une trajectoire budgétaire favorable et les créations de postes annoncées. Les rapporteures Agnès Canayer et Dominique Vérien ont également adopté une attitude constructive.
Un consensus sur le budget et le civil
Dans son discours introductif, le ministre Éric Dupond-Moretti insistait : avec ces deux projets de loi, il s’agissait de « tourner la page des mauvaises habitudes qui gangrènent notre justice depuis plus de 30 ans ». Avec un objectif : « diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici 2027 ». Le Sénat a toutefois voulu augmenter les postes de greffiers et préciser les effectifs de SPIP, contre l’avis du gouvernement. L’autre opposition portait sur le tribunal des activités économiques : le Sénat a élargi sa compétence aux procédures amiables et collectives et aux baux commerciaux.
Par ailleurs, les sénateurs ont adopté un amendement prévoyant la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, sous condition de diplôme et de formation, en excluant les matières pénales et fiscales. Le gouvernement a soutenu la disposition tout en indiquant qu’elle serait à retravailler. La socialiste Marie-Pierre de la Gontrie a été la seule voix discordante.
Deux amendements des rapporteurs, travaillés avec le CNB, portent sur la discipline des avocats, pour créer une procédure disciplinaire simplifiée, et élargir le recrutement des membres des juridictions disciplinaires.
Des changements sur la procédure pénale
Sur le texte simple, les débats ont surtout porté sur la procédure pénale. Le gouvernement a fait accepter aux sénateurs son habilitation à légiférer par ordonnances pour réécrire le code de procédure pénale. Toutefois, contre l’avis du ministre, les sénateurs ont restreint la possibilité de recourir à la captation à distance aux seules infractions punies de dix ans d’emprisonnement (et non cinq). La possibilité de faire une perquisition de nuit en matière criminelle a été élargie aux instructions.
Comme annoncé par Dalloz actualité, le gouvernement est revenu sur le délai de trois ans pour les enquêtes préliminaires : le point de départ du délai sera la perquisition ou l’audition et une prolongation supplémentaire de deux ans sera possible, à condition d’ouvrir plus largement le contradictoire. Le Sénat a également adopté la possibilité pour le Procureur de proposer une nouvelle peine, en cas de refus d’homologation d’une première CRPC. L’amendement sur l’élargissement des permis de communiqué des avocats a été intégré. Le JLD sera compétent pour les demandes de modification du contrôle judiciaire après une ordonnance de renvoi.
À l’initiative de Jean-Pierre Sueur, le Sénat a codifié la récente jurisprudence de la Cour de cassation en matière de double incrimination pour les crimes contre l’humanité (Dalloz actualité, 26 mai 2023, obs. N. Coutrot-Cieslinski). Le pôle des cold casesÂÂÂ (Dalloz actualité, 28 janv. 2022, obs. A. Coste) de Nanterre sera compétent pour les crimes commis à l’étranger sur des ressortissants français à l’étranger, mais également sur toute infraction connexe à un crime relavant de sa compétence. Contre l’avis du gouvernement, le Sénat a souhaité limiter la destruction des scellés.
En droit pénitentiaire, une procédure d’alternative aux poursuites disciplinaires sera mise en place.
Une opposition sur le statut des magistrats
Les rapports entre le ministre et les sénateurs ont été plus conflictuels sur le second projet de loi : le statut des magistrats relève des lois organiques. Or, pour ce type de texte, le rôle du Sénat est renforcé : en cas de rejet d’un projet organique par le Sénat, une majorité absolue des députés est nécessaire à son adoption. Or, les sénateurs ont multiplié les points de clivage avec le gouvernement.
À l’initiative des deux rapporteures, la commission des Lois a introduit des durées minimales d’affectation de trois ans et limité la place des magistrats dans les nouveaux jurys professionnels. Les sénateurs ont également revu l’échelle des sanctions, en l’alignant partiellement sur celle applicable aux magistrats administratifs. Autant de points sur lesquels le gouvernement a voulu revenir en séance, en vain.
La question de la syndicalisation des magistrats était un autre point de clivage : le président du groupe LR Bruno Retailleau avait annoncé vouloir limiter les possibilités de syndicalisation. Le Sénat n’est finalement pas allé aussi loin (Dalloz actualité, 7 juin 2023, obs. P. Januel). Toutefois, les sénateurs ont souhaité remplacer le recueil des obligations déontologie par une charte de déontologie des magistrats. Par un amendement du centriste Philippe Bonnecarrère, ils ont également rappelé que la liberté syndicale s’exerce « dans le respect du principe d’impartialité qui s’impose aux membres du corps judiciaire ». S’il était favorable à la charte, le ministre était opposé à ce second ajout : il souhaite attendre l’avis du CSM, qu’il a récemment saisi sur la question de la liberté d’expression des magistrats. Avis qu’il est « gourmand d’avoir » et qui est indispensable avant de légiférer.
Sur la discipline, l’amendement sur la faute par négligence a finalement été retiré. Par ailleurs, le Sénat a adopté un amendement pour favoriser l’accès à la magistrature pour les docteurs en droit.
Les deux projets de loi seront définitivement adoptés mardi par le Sénat. Les débats à l’Assemblée débutent dès le 21 juin par l’étude en commission.