La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi formé par les sociétés Merck Santé et Merck Serono – respectivement fabricant et exploitant de la spécialité Levothyrox – contre une série d’arrêts de la cour d’appel de Lyon les ayant déclarées civilement responsables du défaut d’information relatif au changement de formule de leur médicament (Lyon, 25 juin 2020, n° 19/02416). L’arrêt avait infirmé un jugement rendu par le tribunal d’instance de Lyon, rejetant les demandes indemnitaires introduites, dans le cadre d’une action collective conjointe, par plus de 4 000 patients en réparation du préjudice moral résultant d’un manquement des laboratoires à leur obligation d’information (TI Lyon, 5 mars 2019, n° 11-17-005357).
Par un arrêt du 16 mars 2022, la Cour de cassation vient de rejeter le pourvoi et confirmer la responsabilité civile des sociétés Merck sur le fondement du droit commun de la faute (C. civ., art. 1240).
Rappel des faits et du contexte contentieux
En mars 2017, Merck a modifié la composition du Levothyrox, remplaçant l’un de ses excipients, le lactose, par du mannitol et de l’acide citrique. Ce changement est intervenu à la suite d’une demande de l’ex-AFSSAPS (devenue l’ANSM), dans la perspective d’éviter des différences trop importantes de bioéquivalence, compte tenu de l’arrivée de médicaments génériques de la lévothyroxine, le principe actif du Levothyrox destiné au traitement de l’hypothyroïdie. À partir de l’été 2017, de nombreuses personnes se sont plaintes d’effets indésirables, plusieurs milliers de déclarations ayant ensuite été enregistrées par le système de pharmacovigilance.
Au regard de ces désagréments, certaines victimes ont obtenu du juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse (TGI Toulouse, réf., 14 nov. 2017, n° 17/01840), dont l’ordonnance a été confirmée (Toulouse, 7 juin 2018, n° 19/00023), que les laboratoires Merck délivrent par voie d’importation, sans délai et sous astreinte, la spécialité Euthyrox, correspondant à l’ancienne formule du Levothyrox. Saisie d’un pourvoi formé par les laboratoires, la Cour de cassation a toutefois décidé de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de trancher une question préalable de compétence juridictionnelle (Civ. 1re, 5 juin 2019, n° 18-19.011, D. 2020. 87
Le Tribunal des conflits a indiqué que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître d’une action engagée par des personnes privées aux fins d’obtenir qu’une société commercialise une spécialité pharmaceutique dont elle est le fabricant et qui bénéficie d’une AMM nationale. En revanche, il a estimé qu’en demandant qu’il soit enjoint à l’exploitant de commercialiser l’ancienne formule de la spécialité Levothyrox, les requérants doivent être regardés comme mettant en cause la décision d’autorisation de la nouvelle formule, prise par l’ANSM dans l’exercice de ses prérogatives de police sanitaire, la juridiction administrative étant dès lors seule compétente pour connaître d’une telle action (T. confl., 4 nov. 2019, n° 4165, RDSS 2019. 1143, obs. J. Peigné
Des recours avaient par ailleurs été introduits devant la juridiction administrative, mais sans succès. Le juge des référés du Conseil d’État a ainsi rejeté une requête en référé liberté considérant qu’il n’existait aucune carence caractérisée de la ministre de la Santé portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de recevoir les traitements et les soins jugés médicalement les plus appropriés (CE, réf., 13 déc. 2017, n° 415207, AJDA 2018. 1046
Si l’on excepte le volet pénal de l’affaire – une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Marseille en mars 2018 pour tromperie aggravée, mise en danger d’autrui et blessures...