Le droit français prévoit la possibilité d’établir un mandat de protection future. L’article 477 du code civil dispose ainsi que toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts, pour l’une des causes prévues à l’article 425, à savoir en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté.
D’autres pays se sont engagés dans la même voie.
L’article 2166 du code civil du Québec énonce que le mandat de protection est donné par une personne majeure en prévision de son inaptitude à prendre soin d’elle-même ou à administrer ses biens.
L’article 408 du code civil italien permet la désignation d’un administrateur de soutien dans la perspective de la survenance éventuelle d’une incapacité.
Le code civil suisse prévoit la possibilité d’un mandat pour cause d’inaptitude. Son article 360 énonce que toute personne ayant l’exercice des droits civils peut charger une personne physique ou morale de lui fournir une assistance personnelle, de gérer son patrimoine ou de la représenter dans les rapports juridiques avec les tiers au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Il ajoute que le mandant définit les tâches qu’il entend confier au mandataire et peut prévoir des instructions sur la façon de les exécuter.
La juxtaposition des différents régimes juridiques nationaux peut être à l’origine de difficultés, par exemple, lorsqu’une personne établit un mandat de protection selon la loi d’un État avant d’établir son domicile dans un autre État où une cause d’inaptitude apparaît. Ces difficultés sont envisagées en droit international privé (par ex., v. M. Revillard, Le mandat de protection future en droit international privé, Défrénois, 30 août 2008, p. 1533 ; Droit international privé et européen : pratique notariale, 9e éd., Defrénois, 2018, nos 873 s.). Par ailleurs, compte tenu de l’importance que revêt ce type de mandat dans les pays dont la population vieillit, la conférence de droit international de La Haye a élaboré la Convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, qui envisage certains de ses aspects (sur cette convention, v., par ex., M. Revillard, « La Convention de La Haye sur la protection des adultes et la pratique du mandat d’inaptitude », in Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005, p. 725 ; Rép. internat., v° Majeur protégé, Convention de La Haye du 13 janvier 2000, par E. Gallant, nos 58 s.).
L’arrêt de la première chambre civile du 27 janvier 2021 porte précisément sur cette problématique.
Une personne, qui résidait habituellement en Suisse, avait stipulé un mandat d’inaptitude soumis aux articles 360 et suivants du code civil suisse et désigné notamment l’un de ses fils en qualité de mandataire. Cette personne avait par la suite fixé sa résidence habituelle en France et son fils a décidé de mettre en œuvre le mandat en le faisant viser par le greffier d’un tribunal d’instance en application des dispositions du code de procédure civile français qui distinguent différents cas et prévoient, par l’article 1258-3, que, si l’ensemble des conditions requises est rempli, le greffier du tribunal d’instance, après avoir paraphé chaque page du mandat, mentionne, en fin d’acte, que celui-ci prend effet à compter de la date de sa présentation au greffe, y appose son visa et le restitue au mandataire, accompagné des pièces produites.
Un frère du mandataire a toutefois contesté cette démarche. La cour d’appel a alors jugé que le mandat n’aurait pas dû recevoir le visa du greffier et a annulé ce visa au motif que le mandat ne prévoyait pas de modalités de contrôle du mandataire, alors pourtant que l’article 1258-2 du code de procédure civile impose au greffier de vérifier, au vu des pièces produites, que les modalités du contrôle de l’activité du mandataire sont formellement prévues.
L’arrêt d’appel est cassé, au motif que la mise en œuvre en France d’un mandat d’inaptitude suisse ne pouvait pas être subordonnée à une condition de validité que la loi suisse n’imposait pas.
Cette solution est énoncée pour la première fois. Elle se justifie au regard des termes de l’article 15 de la Convention du 13 janvier 2000 : « 1. L’existence, l’étendue, la modification et l’extinction des pouvoirs de représentation conférés par un adulte, soit par un accord soit par un acte unilatéral, pour être exercés lorsque cet adulte sera hors d’état de pourvoir à ses intérêts, sont régies par la loi de l’État de la résidence habituelle de l’adulte au moment de l’accord ou de l’acte unilatéral, à moins qu’une des lois mentionnées au paragraphe 2 ait été désignée expressément par écrit. 2. Les États dont la loi peut être désignée sont les suivants : a) un État dont l’adulte possède la nationalité ; b) l’État d’une résidence habituelle précédente de l’adulte ; c) un État dans lequel sont situés des biens de l’adulte, pour ce qui concerne ces biens. 3. Les modalités d’exercice de ces pouvoirs de représentation sont régies par la loi de l’État où ils sont exercés ».
Le mandat avait en effet été soumis aux dispositions du code civil suisse en application de l’article 15, § 2, b, compte tenu de la présence de la résidence habituelle du mandant en Suisse. Ces dispositions s’imposaient donc, sans que l’exigence posée par l’article 1258-2 du code de procédure civile français, tenant à la stipulation des modalités de contrôle de l’activité du mandataire, ait vocation s’appliquer. Cette exigence est en effet prévue dans le cadre du régime français du mandat de protection future, régime qui a été délimité dans la perspective de situations de droit interne. Et si l’article 20 de la Convention réserve l’application des lois de police en prévoyant qu’il ne saurait être porté atteinte aux dispositions de la loi de l’État dans lequel la protection de l’adulte doit être assurée, dont l’application s’impose quelle que soit la loi qui serait autrement applicable, cette exigence prévue par l’article 1258-2 n’a à l’évidence pas le caractère d’une loi de police.