Par Le Batonnier le vendredi 26 janvier 2024
Catégorie: Actualités juridiques

Ouverture d’une procédure d’insolvabilité et instance en cours

Le risque d’insolvabilité des établissements bancaires et des entreprises d’assurance revêt un caractère systémique. Cela explique que ces catégories de débiteurs soient soumises en droit comparé à des règles spécifiques. Au sein de l’Union européenne ces débiteurs sont exclus du champ d’application du droit commun de l’insolvabilité européenne, c’est-à-dire du règlement (UE) 2015/848 (Règl. solvabilité) et bénéficient d’instruments spécifiques (en matière d’entreprises d’assurance, v. Dir. 2009/138/CE, 25 nov. 2009, sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice [Solvabilité II], JOUE L 335/1, 17 déc. 2009 ; Dir. 2012/23/UE, 12 sept. 2012 modifiant la dir. 2009/138/CE [Solvabilité II], en ce qui concerne ses dates de transposition et d’entrée en application et la date d’abrogation de certaines directives, JOUE L 249, 14 sept. 2012 ; Dir. 2013/58/UE, 11 déc. 2013, modifiant la dir. 2009/138/CE [Solvabilité II] en ce qui concerne ses dates de transposition et d’entrée en application et la date d’abrogation de certaines directives [Solvabilité I], JOUE L 341, 18 déc. 2013).

La liquidation judiciaire ouverte au Danemark au bénéfice de l’entreprise d’assurance de droit danois Alpha Insurance A/S a déjà donné lieu en France à plusieurs décisions, commentées notamment en ces colonnes (v. déjà, Com. 4 oct. 2023, n° 22-12.128, Dalloz actualité, 26 oct. 2023, note G. C. Giorgini ; Civ. 2e, 25 mai 2022, nos 19-12.048 et 19-15.052, Dalloz actualité, 16 juin 2022, obs. F. Mélin ; APC 2022. Alerte 166, note L. Fin-Langer ; Gaz. Pal. 26 juill. 2022, n° GPL439a1, note F. Guerre ; Gaz. Pal. 27 sept. 2022, n° GPL440k1, note G.C. Giorgini ; LEDEN sept. 2022, n° DED200z0, note F. Marchadier ; RGDA oct. 2022, n° RGA201a0, note G. Parleani).

La décision rapportée, nouvel épisode de cette saga judiciaire, confirme des solutions acquises tout en dispensant d’utiles enseignements.

Dans cette affaire, une SCI de droit français propriétaire de locaux industriels loués auprès de deux preneurs distincts confie à une entreprise de construction la réalisation de travaux d’étanchéité de la toiture des locaux loués, ces travaux devant être exécutés par un sous-traitant assuré auprès de la société de droit danois Alpha Insurance.

Or un incendie se déclare dans les locaux au cours de l’intervention du sous-traitant, incendie qui impose la démolition, la dépollution et la reconstruction des locaux loués, ces opérations étant préfinancées par l’assureur de la SCI. Un rapport d’expertise conclut à la responsabilité du sous-traitant. La SCI et son assureur assignent alors l’entrepreneur principal, son sous-traitant et leurs assureurs respectifs en réparation des préjudices subis.

Par un jugement du 10 novembre 2015, le Tribunal de grande instance de Marseille retient la responsabilité de l’entrepreneur principal et du sous-traitant et les condamne in solidum à réparer intégralement le préjudice subi. Cette même décision fait droit à l’appel en garantie des deux entreprises et condamne les assureurs respectifs à garantir leurs assurés.

À la suite de l’appel interjeté contre cette décision, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence constate (Aix-en-Provence, 20 mai 2021, n° 15/20708) que la société Alpha Insurance a été placée en liquidation judiciaire le 8 mai 2018, le liquidateur ayant été appelé en cause dans l’instance d’appel. Or l’assureur de la SCI n’a pas déclaré au passif de la procédure collective ouverte au Danemark. Par conséquent, en l’état de l’arrêt des poursuites individuelles découlant du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire de la société Alpha Insurance, la cour déboute la SCI et son assureur de leur demande de condamnation sans pouvoir fixer le montant de leur créance. Seule la créance de l’assureur de l’un des preneurs, régulièrement déclarée au passif de la procédure étrangère, est fixée.

Cette décision ne satisfait toutefois aucune des parties. L’entrepreneur condamné forme un pourvoi principal, les autres parties formant un pourvoi incident. Parmi les divers arguments invoqués, seuls certains vont retenir notre attention.

En premier lieu, la société Alpha Insurance et son liquidateur critiquent la décision des juges du fond en ce qu’elle a constaté que leur appel n’était plus soutenu car l’assureur danois n’avait pas qualité à agir à la suite de son placement en liquidation judiciaire et que son liquidateur n’avait pas constitué avocat et avait conclu tardivement. Or selon les auteurs du pourvoi, la cour d’appel a violé deux fois la loi. Tout d’abord, la cour d’appel aurait dû consulter la loi danoise, lex fori concursus désignée par la directive Solvabilité II, cette loi déterminant les effets de l’ouverture de la procédure collective, notamment en matière de dessaisissement. Ensuite, dès lors qu’en matière de procédures d’insolvabilité les instances en cours sont interrompues jusqu’à l’accomplissement de certaines formalités, il incombait à la cour d’appel de constater que l’instance était interrompue jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait produit sa créance au passif de la procédure danoise.

Pour sa part, la Haute juridiction rappelle qu’en vertu des dispositions de l’article L. 326-20 du code des assurances, les décisions d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité prononcées par une juridiction d’un autre État membre au bénéfice d’une entreprise d’assurance produisent leurs effets en France sans aucune autre formalité, y compris à l’égard des tiers, dès lors qu’elles produisent leurs effets dans l’État membre d’origine.

De même, en vertu des dispositions de l’article L. 326-28 du même code, les effets de l’ouverture d’une procédure de liquidation sur le territoire d’un autre État membre sur une instance en cours en France concernant un bien ou un droit dont l’entreprise d’assurance est dessaisie sont régis exclusivement par la loi française, c’est-à-dire en l’espèce les dispositions des articles 369 et 371 du code de procédure civile et de l’article L. 622-22 du code de commerce. Or les juges du fond ont à raison appliqué le droit français pour déterminer les effets de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité sur l’instance en cours en France. À l’inverse, dès lors que ni la société Alpha Insurance ni son liquidateur n’avaient soutenu que la société débitrice pouvait agir...