La création par la loi de 2007 des mandataires judiciaires à la protection des majeurs avait pour principale fonction de contribuer à offrir un « nouveau visage » à ce que l’on appelait jadis les incapacités et que l’on dénomme désormais le droit des majeurs vulnérables (P. Malaurie, Droit des personnes. La protection des mineurs et des majeurs, Lextenso, coll. « Droit civil », 2017, p. 355, n° 758). Mais le statut de ces mandataires – certes réglementé par de nombreux textes du code civil et du code de l’action sociale et des familles – pose de nouvelles questions inédites depuis lors. Le point névralgique repose, dans cet arrêt rendu par la première chambre civile, sur l’indemnité reçue par le mandataire s’occupant du majeur. L’article 419 du code civil prévoit que leur mission est à titre onéreux (v. Rép. civ., v° Majeur vulnérable, par F. Marchadier, n° 25) ; ce qui tranche singulièrement avec les missions d’un tuteur classique. Extérieur à la famille, le mandataire exerce ces fonctions à titre professionnel. Les faits de l’arrêt permettent de comprendre la difficulté. En l’espèce, une personne est placée en tutelle en 2014. Un mandataire judiciaire à la protection des majeurs est désigné pour assurer les fonctions de tuteur. En avril 2017, la mesure est substituée par le juge des tutelles par une habilitation familiale. Le fils de la majeure protégée vient alors demander la condamnation du mandataire judiciaire au titre d’un trop-perçu de financement. Il demande également des dommages-intérêts. Pour le débouter de sa demande, le juge précise que le mandataire a « été contraint d’effectuer un travail particulièrement important pour retrouver les pièces fiscales et autres justificatifs qui avaient disparu ou avaient été jetés ». Le fils se pourvoit alors en cassation en arguant que le juge n’avait pas à prendre en compte ces opérations, aussi longues soient-elles. C’est effectivement ce que la Cour de cassation vient confirmer en cassant le jugement entrepris. En confondant rémunération de droit commun du mandataire judiciaire à la protection des majeurs et indemnité exceptionnelle dudit mandataire, le tribunal a privé de base légale sa décision. Voici une façon intéressante quoiqu’indirecte de rappeler l’importance d’appliquer le droit commun avant la disposition spéciale au sein de plusieurs corps de textes épars et – il faut bien l’avouer – complexes à lire.
Cette distinction est le principal enseignement de l’arrêt présenté. Comme nous l’avons dit plus haut, la mission du mandataire judiciaire à la protection des majeurs est onéreuse par principe. L’article 419, alinéa 2, précisant que, « si la mesure judiciaire de protection est exercée par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, son financement est à la charge totale ou partielle de la personne protégée en fonction de ses ressources et selon les modalités prévues par le code de l’action sociale et des familles ». Pour calculer son financement, l’article R. 471-5-1 du code de l’action sociale et des familles pose plusieurs principes selon le type de mesure. Il faut noter avec M. Marchadier que le système apparaît « globalement, d’une rare complexité » (Rép. civ., v° Majeur protégé, par F. Marchadier). On pouvait donc raisonnablement se demander si les diligences particulièrement longues et complexes que le mandataire a dû réaliser pouvaient entrer dans le champ du financement de la mesure. La réponse reste assurément positive mais il convenait alors de déclencher une indemnité exceptionnelle sur le fondement de l’article 419, alinéa 4, du code civil. C’est précisément ici que la subtilité de la cassation pour défaut de base légale intervient. Le juge était saisi d’une action en remboursement d’un trop-perçu non sur cette indemnité exceptionnelle du mandataire – laquelle n’avait pas été demandée – mais sur sa rémunération de droit commun. Or ce n’est qu’à l’alinéa 4 traitant de l’indemnité exceptionnelle que le texte parle des diligences particulièrement longues. Ainsi, le financement de la mesure ne doit pas être influencé par ces différentes difficultés. Le caractère exceptionnel de l’article 419, alinéa 4, est appuyé par le législateur (nous soulignons) : « À titre exceptionnel, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué peut, après avoir recueilli l’avis du procureur de la République, allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l’accomplissement d’un acte ou d’une série d’actes requis par la mesure de protection et impliquant des diligences particulièrement longues ou complexes, une indemnité en complément des sommes perçues au titre des deux alinéas précédents lorsqu’elles s’avèrent manifestement insuffisantes. Cette indemnité est à la charge de la personne protégée ». Si l’avis du parquet est sollicité, c’est précisément pour éviter les abus de cette indemnité exceptionnelle, laquelle doit dépasser les fonctions normales du mandataire judiciaire à la protection des majeurs. La frontière reste parfois poreuse entre les recherches normales et les actes d’une particulière longueur ou complexité. On comprend donc aisément que la Cour de cassation s’arcboute sur ce point. Là où la loi ne distingue pas entre diligences complexes et diligences normales dans le financement de la mesure, il convient ainsi de ne pas distinguer.
Pour éviter le défaut de base légale, encore fallait-il donc vérifier que les montants fixés n’avaient pas été dépassés. En réalité, c’est ici qu’une adéquation doit être recherchée entre le principe selon lequel « la participation de la personne protégée est versée au mandataire judiciaire à la protection des majeurs par douzième tous les mois échus sur la base du montant annuel des ressources dont a bénéficié la personne protégée l’avant-dernière année civile » et la détection d’un éventuel supplément qui serait alors un trop-perçu. Si tel est bien le cas, diligences complexes ou non, un trop-perçu doit être constaté et le remboursement ordonné. On comprend facilement que des difficultés peuvent venir heurter le travail du mandataire judiciaire mais l’indemnité exceptionnelle est précisément là pour ceci (sur ce point, v. F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil. Les personnes, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, p. 652, n° 618). Là encore, si une telle indemnité avait été demandée, un trop-perçu aurait été d’ailleurs encore bien évidemment possible. Mais dans notre situation, le travail de la cour d’appel de renvoi (en l’occurrence, celle de Paris) consistera à vérifier l’adéquation de ce douzième mensuel sur la base du montant annuel des ressources à la réalité ponctionnée. Si tel n’est pas le cas et qu’un dépassement est constaté, la justification par des diligences complexes est purement et simplement inopérante.
On pourrait trouver la solution sévère mais la mission du mandataire judiciaire s’apprécie particulièrement. Certes onéreuse, elle n’en reste pas moins l’avatar d’une mission censée être gratuite et souvent endossée par un membre de la famille du majeur vulnérable. La conception du financement d’un tel acteur demeure donc en tout état de cause assez restrictive. Voici de quoi rassurer un tant soit peu ceux qui doutaient d’un appauvrissement de la fonction sociale du droit des majeurs vulnérables.