Par Le Batonnier le lundi 10 juillet 2023
Catégorie: Actualités juridiques

Pas de subrogation pour la banque qui verse les fonds au vendeur sous clause de réserve de propriété

Une société souscrit un prêt auprès de la société Compagnie générale de location d’équipements aux fins d’acquérir un véhicule. Les fonds sont versés par le prêteur entre les mains du vendeur directement, et l’acquéreur prend livraison du véhicule. Ce dernier est ensuite mis en liquidation judiciaire par un jugement du 21 février 2019. Le prêteur demande, en vain, au liquidateur d’acquiescer à une demande de restitution du véhicule financé. Il dépose ensuite une requête à cette fin auprès du juge-commissaire, en produisant une quittance subrogative du vendeur du véhicule. Le juge-commissaire rejette cette requête par une ordonnance du 31 octobre 2019, confirmée par un jugement du 23 avril 2020.

La Cour d’appel de Versailles ordonne au liquidateur de restituer le véhicule financé au prêteur, et le liquidateur forme un pourvoi. La Cour de cassation doit déterminer si le versement au vendeur par le prêteur des fonds empruntés par son client emporte subrogation du prêteur dans les droits du vendeur, opérant ainsi transfert de la clause de réserve de propriété. Elle répond par la négative au visa des articles 1346-1 et 2367 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, et retient que « lorsque le prêteur se borne à verser au vendeur du bien financé les fonds empruntés par son client, il n’est pas l’auteur du paiement et le client devient, dès ce versement, propriétaire du matériel vendu, de sorte que le prêteur ne peut prétendre être subrogé dans les droits du vendeur et ne peut, dès lors, se prévaloir d’une clause de réserve de propriété stipulée au contrat de vente ». La Cour de cassation statue au fond, casse et annule l’arrêt d’appel en toutes ses dispositions, et confirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Versailles du 23 avril 2020.

La solution n’est pas nouvelle, mais l’arrêt permet de confirmer la jurisprudence.

La qualification du versement des fonds au vendeur

On sait que la subrogation a lieu « dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette » (C. civ., art. 1346). Lorsqu’elle opère, le tiers payeur bénéficie du transfert de la créance et de tous ses accessoires (C. civ., art. 1346-4), et la clause de réserve de propriété fait partie de ces accessoires (Com. 15 mars 1988, n° 85-18.623 P et 86-13.687 P), malgré l’apparente contrariété de genres que cette affirmation fait naître au regard de l’article 544 du code civil. Cependant, il n’est pas moins admis que la subrogation repose sur le paiement (en ce sens, v. par ex., G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., 2018, Dalloz, spéc. n° 1001, p. 901). Ainsi, l’article 1346-1, al. 3 du code civil reprend la règle posée autrefois par l’article 1250, 1° du code civil, et prévoit que la subrogation par le créancier doit être consentie « en même temps que le paiement ». Plus que cela, la subrogation a lieu à hauteur du paiement, ce qui expliquait en jurisprudence que le subrogé ne puisse prétendre qu’au cours des intérêts au taux légal (v. par ex., Civ. 1re, 15 févr. 2005, n° 03-11.141 P, D. 2005. 771, et les obs.

), jusqu’à ce que l’ordonnance de 2016 codifie la règle à l’article 1346-4 du code civil. Ainsi, « le paiement de la dette par le solvens constitue la condition fondamentale du mécanisme de subrogation dans les droits du créancier » (G. Chantepie et M. Latina, op. cit., spéc. n° 991, p. 892). Finalement, on peut résumer ainsi : pas de paiement, pas de subrogation ; pas de subrogation, pas de transfert ; pas de transfert, pas de clause de réserve de propriété…

Remarquons toutefois que l’inverse n’est pas vrai, puisqu’en l’absence de subrogation, il peut néanmoins se trouver un paiement, et même une action en répétition du tiers solvens. La jurisprudence l’admet même lorsque les conditions légales ou conventionnelles de la subrogation ne sont pas réunies (absence de quittance subrogative), à la condition, pour le tiers, de rapporter la preuve d’une erreur dans le « paiement » (Civ. 1re, 15 mai 1990, n° 88-17.572 P, D. 1991. 538

, note G. Virassamy

; 17 nov. 1993, n° 91-19.443 P, RTD civ. 1994. 609, obs. J. Mestre

; 4 avr. 2001, n° 98-13.285 P, D. 2001. 1824, et les obs.

, note M. Billiau

; AJDI 2001. 509

; RTD civ. 2001. 699, obs. N. Molfessis

; LPA 2 avr. 2002, n° 66, p. 9, obs. A. Gosselin-Gorand). Ces règles, établies sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, n’ont pas été contredites par la réforme. Elles permettront au tiers d’établir que la remise des fonds a été faite au titre d’un mandat, et doit être remboursée en application de l’article 1999 du code civil, ou qu’il réalisait la mise à disposition des fonds prêtés au débiteur et devant être remboursés sur le fondement de l’article 1902 du même code (en ce sens, v. M. Julienne, Régime de l’obligation, 2e éd., 2018, LGDJ, spéc. n° 531, p. 339). On relèvera que la qualification de « paiement » n’est pas écartée : ce n’est donc pas la libération du débiteur qui détermine cette qualification.

L’explication est intervenue par la voie d’un avis rendu par la Cour de cassation elle-même : « N’est pas l’auteur du paiement le prêteur qui se borne à verser au vendeur les fonds empruntés par son client afin de financer l’acquisition d’un véhicule, ce client étant devenu, dès la conclusion du contrat de crédit, propriétaire des fonds ainsi libérés...

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