1. Pétrone et Jean de La Fontaine l’avaient bien vu : la rareté donne du prix à la chose. L’arrêt rendu par la première chambre civile en date du 5 juin 2020 est ainsi tout aussi rare que précieux pour la compréhension du régime procédural de l’hospitalisation complète. Il s’agit, à notre connaissance, de l’un des seuls arrêts de la Haute juridiction portant sur « les circonstances exceptionnelles » évoquées par l’article L. 3211-12-1, IV°, du code de la santé publique. Rappelons le contexte : cette disposition évoque les modalités de poursuite d’une hospitalisation complète sans consentement ou à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale. Pour ce faire, le juge des libertés et de la détention (JLD) doit être saisi par le directeur d’établissement ou par le représentant de l’État (en pratique, le Préfet). La mesure ne peut pas être renouvelée si le JLD ne statue pas sur la mesure dans un jeu de différents délais selon les circonstances factuelles (1°, 2° et 3° dudit article). Quelle réaction adopter en l’absence de saisine dans ce jeu de délais assez brefs mais variés (entre 12 jours et 6 mois) ? Le IV° du texte prévoit alors un couperet procédural : la mainlevée de la mesure est alors acquise pour l’intéressé ; mainlevée constatée même « sans débat » (sur ce point précis, Civ. 1re, 24 mai 2018, n° 17-21.056, Dalloz actualité, 6 juin 2018, note N. Peterka). Mais, et c’est là le point essentiel qui nous préoccupe aujourd’hui, il peut être fait échec à cette mesure par le jeu d’une « circonstance exceptionnelle ». Une telle qualification appelle à une certaine prudence, l’exception ne devant pas devenir le principe. Cet arrêt rendu récemment vient ainsi apporter un exemple de ce qu’il faut entendre par cette expression ; exemple qui pourrait ne pas être si exceptionnel compte tenu de la situation actuelle.
2. Les faits de cette décision sont assez classiques dans le cadre de l’hospitalisation complète d’un patient nécessitant des soins psychiatriques. En l’espèce, une personne est déclarée pénalement irresponsable car un trouble psychique ou neuropsychique a aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits. Son hospitalisation complète est ainsi ordonnée sur le fondement de l’article 706-135 du code de procédure pénale. Il est hospitalisé le 27 mars 2019. Le 19 septembre de la même année, le Préfet saisit le JLD aux fins de renouvellement de la mesure. Mais l’intéressé argue que le délai pour saisir le juge n’est pas respecté. En la matière, l’article L. 3211-12-1, I, 3°, impose une saisine au moins quinze jours avant l’expiration du délai de six mois. Le début de l’hospitalisation étant fixée au 27 mars 2019, les six mois sont alors portés au 27 septembre 2019 et la saisine ne doit donc pas intervenir après le 12 septembre (quinze jours avant l’expiration). Or, le logiciel utilisé pour le calcul du délai indiquait le 19 septembre et non le 12, capture d’écran à l’appui. En appel, le premier président de la Cour d’appel de Besançon y voit une circonstance exceptionnelle nécessitant de ne pas ordonner la mainlevée de la mesure. L’intéressé se pourvoit en cassation défendant l’idée selon laquelle le délai pouvait être compté sans logiciel, ce qui aurait évité cette circonstance en somme peut-être moins exceptionnelle qu’il n’y paraît. La Haute juridiction rejette le pourvoi en précisant que le premier président de la cour d’appel de Besançon a pu déduire qu’il s’agissait bien d’une telle circonstance de l’article L. 3211-12-1, IV°, du code de la santé publique. L’arrêt intéresse évidemment les soins psychiatriques et plus particulièrement leurs contours procéduraux mais également le rapport entre droit et intelligence artificielle dans un contexte troublé.
3. L’arrêt n’intriguera que peu les commentateurs réguliers des soins psychiatriques sans consentement. Malgré la rareté de la solution, la position doit être accueillie avec bienveillance. Certes, le caractère exceptionnel des circonstances impose une interprétation stricte et c’est sur ce point – bien que non explicité – que le demandeur au pourvoi s’appuyait. L’argumentation reposait notamment sur la possibilité de ne pas recourir au logiciel pour compter le délai. Certes, le logiciel ne fait qu’aider ou de suppléer du moins cette tâche mais une telle délégation se comprend aisément quand on connaît le nombre de dossiers concernés et les attributions plurielles de l’auteur de la saisine. D’un point de vue procédural, la solution ne surprend donc pas : elle rappelle le constant balancement entre droits de l’intéressé et protection de l’ordre public. La personne hospitalisée l’était à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale sur le fondement de l’article 706-135 du code de procédure pénale et la poursuite de la mesure pouvait donc parfaitement s’imposer si les conditions le permettaient. On aurait mal compris qu’une erreur informatique puisse faire échec à la nécessité d’un renouvellement. Autrement dit, la mainlevée automatique prévue par le texte aurait déséquilibré ce jeu délicat entre ordre public et droits de la personne hospitalisée. Notons que la prorogation de la mesure n’est alors pas automatique mais « soumise aux droits de la défense » comme le souligne l’arrêt. Plusieurs questions restent en suspens. Citons-en une : la défaillance de l’outil informatique est-elle isolée ? Si ce n’est pas le cas, plusieurs autres dossiers ont peut-être été concernés par une telle erreur dans le compte du délai. Cet arrêt trouve d’ailleurs un certain écho dans l’ordonnance n° 2020-595 commentée dernièrement (Ord. n° 2020-595 du 20 mai 2020, Dalloz actualité, 2 juin 2020, obs. C. Hélaine). L’intéressé peut toujours demander à ce que le juge puisse examiner ses prétentions, malgré la crise sanitaire que nous traversons. Certes, il faudra recourir probablement à la visioconférence mais le but du texte reste de permettre un accès au juge préservé. Ces dispositions devraient rapidement disparaître compte tenu de la décision récente de ne pas maintenir l’état d’urgence sanitaire au-delà du 10 juillet 2020.
4. Que nous apprend cet arrêt en termes d’erreur de l’intelligence artificielle ? Peu de choses explicitement, plus implicitement. On sait le sujet d’actualité (V. not., S. Mérabet, Vers un droit de l’intelligence artificielle, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèse », Vol. 197, 2020, préf. H. Barbier). Ici, l’erreur du logiciel constaté par une capture d’écran aurait pu conduire à ne pas examiner la nécessité de la prolongation de la mesure. L’argumentation du demandeur au pourvoi se retourne alors contre lui. Le cadre procédural des mesures d’hospitalisation complète ne peut pas se satisfaire d’une simple erreur d’un algorithme. En faisant intégrer les « défaillances de l’outil informatique » à la catégorie des « circonstances exceptionnelles », le couperet procédural de la mainlevée de la mesure est certes régulé mais ne l’est-il pas dangereusement ? On sait qu’un logiciel n’est pas forcément exempt de bugs réguliers et même si des mises à jour peuvent régler un pan de l’algorithme défectueux, d’autres erreurs peuvent naître notamment par conflits de mises à jour entre l’explorateur et le logiciel. Or, ces erreurs peuvent se répercuter sur la fonction du logiciel, ici compter le délai pour saisir le JLD. Il faudra donc veiller à ce que cette circonstance reste « exceptionnelle » comme le prévoit l’article L. 3211-12-1, IV°, du code de la santé publique. En somme, toutes les erreurs informatiques ne peuvent pas rejoindre cette catégorie. Par exemple, une erreur commise par le logiciel en raison d’une défaillance humaine (par exemple une date mal renseignée dans les champs à remplir) ne devrait pas s’analyser en une circonstance exceptionnelle. Sans cette appréhension assez stricte du jeu de ces exceptions, les droits de l’intéressé seraient alors mis à mal. L’équilibre passe alors par un jeu subtil mais néanmoins essentiel de nuances factuelles.