Par Le Batonnier le mardi 12 janvier 2021
Catégorie: Actualités juridiques

Résolution du contrat et responsabilité du fait des produits défectueux

Un vigneron fait l’acquisition d’un matériel agricole. Le lendemain de sa livraison, il est victime d’un accident corporel. Lui et sa société assignent le vendeur en responsabilité et en indemnisation sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil et demandent la résolution judiciaire du contrat de vente en faisant valoir un défaut de conformité du matériel.

La cour d’appel déboute le vigneron et sa société de leur demande formée sur le fondement du défaut de conformité. Elle indemnise toutefois, en partie, le vigneron sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

La société du vigneron forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Dans le troisième moyen de ce pourvoi, elle reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande d’indemnisation au titre de la perte d’exploitation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux. La société reproche ensuite à la cour d’appel, dans son quatrième moyen, d’avoir rejeté sa demande de fourniture d’une machine de remplacement. Dans les deux moyens, la cour d’appel avait jugé qu’il s’agissait de préjudices économiques consécutifs à l’atteinte à la machine qui n’étaient pas indemnisables sur le fondement des articles 1245 et suivants.

Dans le premier moyen, la société reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande de résolution judiciaire de la vente au motif que « le défaut de conformité allégué, tenant à la sécurité du produit ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont la société poursuit la réparation, en lien avec les avaries ».

L’arrêt met en avant deux difficultés liées au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. La première est relative à la prise en compte du préjudice économique portant sur un bien concerné par la défectuosité. La seconde est relative à la possibilité d’invoquer la résolution du contrat pour non-conformité en sus de la responsabilité du fait des produits défectueux alors que la non-conformité consiste dans le défaut de sécurité.

La Cour de cassation approuvera d’abord la cour d’appel d’avoir considéré que les articles 1245 et suivants du code civil ne s’appliquent pas à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques en découlant. La perte d’exploitation et l’absence de fourniture de machines de remplacement étant imputables à la défectuosité du produit, elles ne pouvaient être considérées comme des préjudices réparables sur le fondement de cette responsabilité spéciale. Elle jugera ensuite que l’application de la responsabilité du fait des produits défectueux ne pouvant s’appliquer, la question du cumul des deux actions ne se posait pas. Sur ce point, il sera possible de proposer une autre interprétation. La Cour de cassation aurait jugé que l’application de la responsabilité du fait des produits défectueux n’empêche pas le demandeur de demander la résolution du contrat, induisant ainsi que la demande de résolution reposait sur un fondement différent de celui prévu aux articles 1245 et suivants du code civil.

Le champ d’application de la loi

La réparation du préjudice économique. Pour engager la responsabilité du fait des produits défectueux, le demandeur doit rapporter la preuve que trois conditions sont réunies. Il faut un produit défectueux, un dommage et un lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage. L’article 1245-1 du code civil prévoit, en effet, que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne. / Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ». Il faut ainsi comprendre que tous les dommages peuvent être réparés s’ils rentrent bien dans les conditions prévues par la directive 85/374/CEE. La France a fait le choix de rendre applicable la directive aux biens à usage professionnel quand la directive laissait aux États la possibilité de ne pas étendre à ces derniers le bénéfice du régime.

Il faut aussi, et surtout, comprendre à la lecture de l’article 1245-1 du code civil que le préjudice doit affecter un autre bien que le produit lui-même (une franchise de 500 € s’applique alors, comme édictée par le décret n° 2005-113 ; v. CJUE 5 mars 2015, aff. C-503/13 et C-504/13, D. 2015. 1247

, note J.-S. Borghetti

; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon

; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout

; RTD civ. 2015. 406, obs. P. Jourdain

; JCP 2015. 543, note L. Grynbaum). Pourtant, la victime demandait, outre des dommages et intérêts pour réparer son préjudice corporel, une somme au titre des « préjudices économiques consécutifs à l’atteinte de la machine litigieuse », ainsi qu’au titre de l’absence de fourniture d’une machine de remplacement. Il s’agissait, dans ces derniers cas, de préjudices liés au produit défectueux lui-même et non à un autre bien. Le demandeur aurait sans doute obtenu satisfaction si le produit défectueux dont il avait fait l’acquisition avait explosé et avait brûlé la ferme dans laquelle il était entreposé. Ce n’était pas le cas et le fondement invoqué ne pouvait aboutir. La Cour de cassation a rendu une décision semblable à propos d’un skipper qui demandait réparation des dommages constitués par le coût des travaux de remise en état de son bateau ainsi que ses pertes de loyers et son préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité de l’utiliser. Ce dernier ne démontrait pas que la défectuosité du produit consistait en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à un bien autre que le produit défectueux lui-même (Civ. 1re, 14 oct. 2015, n° 14-13.847, Dalloz actualité, 16 nov. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 2127

; RTD civ. 2016. 137, obs. P. Jourdain

).

Le cumul des deux fondements ?

La société ayant fait l’acquisition de la machine demandait réparation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux mais invoquait aussi la résolution du contrat de vente en arguant une non-conformité du produit. La cour d’appel rappelait que les régimes peuvent bien se cumuler mais à condition qu’ils reposent sur des fondements différents de celui tiré d’un défaut de sécurité du produit mis en cause (v. CJUE 25 avr. 2002, Gonzales Sanchez, aff. C-183/00, à propos de la faute et du vice caché constituant deux fondements distincts du défaut de sécurité, D. 2002. 2462

, note C. Larroumet

; ibid. 2458, chron. J. Calais-Auloy

; ibid. 2937, obs. J.-P. Pizzio

; ibid. 2003. 463, obs. D. Mazeaud

; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain

; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby

 ; JCP 2002. I. 177, note G. Viney ; RDC 2003. 107, obs. P. Brun ; Com. 26 mai 2010, n° 08-18.545, D. 2010. 1483

; RTD civ. 2010. 790, obs. P. Jourdain

; RTD com. 2011. 166, obs. B. Bouloc

 ; Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-14.314, Dalloz actualité, 6 janv. 2015, obs. A. Cayol ; D. 2015. 9

; RTD eur. 2015. 348-35, obs. N. Rias

 ; 11 juill. 2018, n° 17-20.154, à propos du cumul avec la responsabilité du fait des choses, Dalloz actualité, 26 sept. 2016, obs. A. Hacene ; D. 2018. 1840

, note J.-S. Borghetti

; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz

; AJ contrat 2018. 442, obs. C.-E. Bucher

; RTD civ. 2019. 121, obs. P. Jourdain

). Cependant, pour la cour d’appel, les demandeurs prétextent un défaut de conformité alors qu’ils font plutôt état d’une défectuosité du produit. Pour elle, les fondements étaient donc les mêmes. Les juges du fond ajoutent que le défaut de conformité allégué tient à la sécurité du produit et ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont les victimes demandent réparation.

Il est possible de proposer deux interprétations de cet arrêt. Dans la première, il ne serait pas question de cumul. La Cour de cassation ne ferait qu’expliquer que la question du cumul n’a pas de sens dans la mesure où la responsabilité du fait des produits défectueux ne trouve pas à s’appliquer. Dit autrement, après avoir jugé que la cour d’appel avait eu raison de refuser de réparer le préjudice résultant d’un dommage causé au produit défectueux lui-même, la Cour de cassation aurait cassé l’arrêt des juges du fond pour obliger la cour d’appel de renvoi à statuer sur la question de la résolution du contrat. À l’appui de cette interprétation, le point n° 13 de l’arrêt : « Cette action en résolution ne tendant pas à la réparation d’un dommage qui résulte d’une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou à un bien autre que ce produit, elle se trouve hors du champ de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et de la loi du 19 mai 1998 qui l’a transposée, et n’est donc soumise à aucune de leurs dispositions ». Ainsi, le préjudice invoqué ne pouvant être réparé, et la directive et la loi ne pouvant s’appliquer, rien ne devait empêcher la cour d’appel d’examiner la question de la résolution du contrat.

Selon la seconde interprétation, la Cour de cassation se serait prononcée sur la possibilité de cumuler les deux fondements. Dans son arrêt, la Cour de cassation explique (pt 13) que l’action en résolution d’un bien non conforme n’a pas vocation à réparer des dommages qui résultent d’une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou un bien autre que ce produit. Par nature, les deux fondements invoqués sont différents. Ce serait donc à tort que la cour d’appel a jugé que les demandeurs demandaient la même chose en invoquant ces deux régimes. La violation de la loi par la cour d’appel serait caractérisée pour cette raison. En demandant la résolution du contrat pour non-conformité, le demandeur souhaitait compenser ses espoirs déçus nés de son contrat. Sans doute demandait-il la restitution du prix de vente en échange de la restitution du bien non conforme. Il ne demandait pas, sur ce fondement, réparation de ses préjudices résultant de la défectuosité du produit ou de son préjudice corporel (une action fondée sur l’article 1147 aurait alors échoué car il s’agit de responsabilité, v. l’arrêt d’appel, Reims, 18 juin 2019, n° 18/00808 et le n° 2 de l’arrêt de la Cour de cassation qui fait référence au préjudice corporel). La Cour de cassation raisonnerait donc ici principalement sur la finalité des deux actions pour admettre leur cumul.

Il est vrai que les deux actions ne visent pas le même problème. Un produit non conforme est un produit qui ne correspond pas à ce qui avait été prévu dans le contrat. Un bien en parfait état de fonctionnement peut s’avérer non conforme par exemple. Au contraire, un bien défectueux est un bien qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre (C. civ., art. 1245-3, al. 1er). Un produit qui fonctionne mécaniquement peut être défectueux mais il ne fonctionnera pas au sens de la loi car il lui manque une chose (une notice, une information, un problème technique) qui le rend dangereux ou inutile (pour l’inutilité, il faut ici renvoyer le lecteur à la décision de la Cour de cassation rendue le même jour, v. Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 19-17.724).

Si cette interprétation était la bonne, cette solution serait importante car ce serait, à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la possibilité de demander la résolution du contrat consécutivement à l’engagement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Cette solution serait raisonnable, car si la Cour de cassation n’avait pas admis que les deux actions puissent se cumuler, cela aurait eu pour effet d’empêcher l’acquéreur d’un bien d’agir sur le fondement de l’inexécution contractuelle toutes les fois que le défaut de conformité aurait reposé sur un défaut de sécurité du produit. Ainsi, la mise en action du régime de responsabilité du fait des produits défectueux visant la réparation d’un dommage corporel causé par le produit ou d’un bien autre que le produit lui-même aurait empêché le demandeur d’agir en résolution du contrat. Cette solution aurait privé le demandeur d’une voie de droit ce qui n’est pas souhaitable justement parce que les deux actions servent des intérêts différents. Il importe peu, à cet égard, que la non-conformité réside dans le défaut de sécurité du produit.

En défaveur de cette interprétation, il faut bien admettre que c’est la société qui forme le pourvoi et non le vigneron. Si la responsabilité du fait des produits défectueux a été engagée en faveur de ce dernier, tel n’est pas le cas pour la société. La question de la résolution du contrat pour défaut de conformité pouvait donc bien se poser consécutivement à l’exclusion d’un débat sur le cumul des deux actions…