Par Le Batonnier le jeudi 5 octobre 2023
Catégorie: Actualités juridiques

Revirement : absence d’imputabilité de la rente invalidité sur le déficit fonctionnel permanent

La solution était attendue. Annoncé par une doctrine autorisée, le revirement opéré par la deuxième chambre civile le 6 juillet 2023 aligne le traitement de la pension d’invalidité dans le cadre du recours des tiers payeurs sur celui de la rente accident du travail et maladie professionnelle (ATMP).

En l’espèce, la victime d’un accident de la circulation signe une transaction avec l’assureur du responsable, aux termes de laquelle son droit à indemnisation est fixé à hauteur de 75 % de son préjudice en raison de sa faute contributive (absence de ceinture de sécurité et imprégnation alcoolique). Elle assigne ensuite l’assureur en indemnisation de ses préjudices. Quatre problèmes, d’inégale importance, se sont alors posés.

Rappel des modalités d’exercice du droit de préférence de la victime en cas de partage de responsabilité

En premier lieu, la cour d’appel limite à 45 € l’indemnisation au titre des dépenses de santé actuelles. Après avoir énoncé qu’une somme de 60 € était restée à la charge de la victime concernant l’achat d’un fauteuil roulant, les juges du fond appliquent le pourcentage d’indemnisation de 75 % sur cette somme, pour en conclure que seuls 45 € devaient être versés à la victime. Dans son pourvoi, cette dernière soutient que son préjudice subsistant, égal à son reste à charge (60 €), aurait dû être intégralement réparé puisqu’il était inférieur à l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable (107 841,13 €), le tiers payeurs ne pouvant exercer son recours, dans un second temps, que sur le reliquat (107 781,13 €).

La cour d’appel aurait ainsi violé l’article 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2006. Visant ledit article, la deuxième chambre civile casse la décision des juges du fond sur ce point. Après avoir rappelé que, d’après ce texte, la victime peut exercer ses droits contre le responsable par préférence au tiers payeur subrogé, elle affirme que la cour d’appel l’a violé « en appliquant la limitation du droit à indemnisation de la victime sur le solde resté à sa charge après déduction des prestations versées par la caisse » (pt 9).

Le droit de préférence de la victime est l’une des deux avancées majeures de la réforme du recours des tiers payeurs par la loi du 21 décembre 2006 (avec le recours poste par poste). Renversant la solution antérieurement retenue par loi Badinter (Civ. 2e, 7 oct. 1992, n° 91-19.705 ; 23 juin 1993, n° 91-19.703), elle permet de conformer le recours des tiers payeurs aux principes généraux applicables en matière de subrogation. L’article 1346-3 du code civil (reprenant l’ancien art. 1252) dispose en effet que « la subrogation ne peut nuire au créancier ». La victime, n’ayant été indemnisée qu’en partie par les tiers payeurs, doit pouvoir agir prioritairement contre le responsable afin d’obtenir le complément de son indemnisation.

Comme le rappelle encore la deuxième chambre civile en l’espèce, « dans le cas d’une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l’indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ». La solution est constante depuis 2009 (Civ. 2e, 24 sept. 2009, n° 08-14.515, D. 2009. 2431

; ibid. 2010. 532, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin

; RTD civ. 2010. 122, obs. P. Jourdain

).

Précisons qu’il n’y a atteinte à la réparation intégrale que si la victime reçoit une somme supérieure à l’intégralité de la créance de réparation. Autrement dit, le principe de réparation intégrale n’empêche pas la victime de recevoir une somme supérieure à la part que lui laisse le partage de responsabilité. Une telle solution est justifiée par le fait que « l’indemnisation de la victime a ici, en quelque sorte une double source : les règles de la responsabilité civile, mais aussi la législation sociale. Or, au regard de cette dernière, la faute de la victime n’a pas de rôle à jouer puisque son droit à prestation est le même » (Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, 9e éd., Dalloz, 2022, n° 364, p. 369).

Les derniers projets de réforme de la responsabilité civile envisagent de modifier une telle règle : la faute de la victime pourrait réduire son droit à indemnisation, mais seulement « sur la part de son préjudice qui n’a pas été réparée par les prestations du tiers payeur » (Projet de réforme de la responsabilité civile, mars 2017, art. 1276 ; Proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, enregistrée à la Présidence du Sénat le 29 juillet 2020, art. 1278).

L’indemnisation du préjudice au titre de l’assistance de l’époux pour son activité professionnelle

En deuxième lieu, la cour d’appel limite à 6 528,25 € l’indemnisation au titre des pertes de gains professionnels actuels (PGPA) en déboutant la victime de sa demande en paiement de 7 789,50 € au titre des besoins d’assistance complémentaire nécessaires pour maintenir le...

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