Par Le Batonnier le mercredi 13 janvier 2021
Catégorie: Actualités juridiques

Spécialisation de la justice pénale environnementale : retour sur la loi du 24 décembre 2020

Si le projet de loi initial du ministère de la Justice avait pour objectif premier d’intégrer au droit français le parquet européen qui doit entrer en fonction en mars 2021, les dispositions relatives à la justice environnementale n’ont cessé de prendre de l’importance au fil des discussions. Partant du constat que le traitement actuel des infractions environnementales n’est pas satisfaisant, la loi nouvelle vise à adapter la procédure pénale aux spécificités d’un droit technique qui présente de forts enjeux en termes de réparation du préjudice et à laquelle la société civile prête de plus en plus attention. La loi du 24 décembre 2020 contient également deux innovations majeures en matière de justice pénale environnementale : la création de juridictions spécialisées et la possibilité de conclure une Convention judiciaire d’intérêt public pour les délits issus du code de l’environnement.

Améliorer la répression des infractions environnementales

L’objectif annoncé de la loi du 24 décembre 2020 (tel qu’il ressort de son étude d’impact et du rapport de l’Inspection générale de la justice d’octobre 2019 sur la justice pour l’environnement dont il s’inspire) est de renforcer la réponse pénale apportée aux délits environnementaux. Le contentieux de l’environnement ne constitue qu’une très faible part de l’activité des juridictions pénales, oscillant entre 0,5 % et 1 % des affaires traitées (étude d’impact, p. 142 ; rapport p. 20), un chiffre en baisse continue ces dernières années (rapport, p. 20). En outre, la réponse pénale aux infractions environnementales est constituée à 75 % de mesures alternatives aux poursuites, principalement des rappels à la loi ou des classements sans suite (Une justice pour l’environnement. Mission d’évaluation des relations entre justice et environnement, Inspection générale de la justice, oct. 2019, p. 55). Ainsi, en 2018, 1 993 condamnations ont été prononcées à l’encontre de personnes physiques pour des délits d’atteinte à l’environnement et 193 à l’encontre de personnes morales l’année précédente, pour des quantums d’amende jugés relativement bas par les autorités (étude d’impact, p. 158).

Cette situation résulterait pour partie d’un droit et d’une procédure ne parvenant pas à se saisir de la spécificité de la matière environnementale :

• en premier lieu, la grande technicité du droit pénal de l’environnement, nécessitant souvent la maîtrise de nombreuses données scientifiques, rend le traitement de ces dossiers délicats et conduit souvent les parquets à recourir à des qualifications pénales génériques plus faciles à manier, plutôt qu’aux qualifications prévues par le code de l’environnement (rapport, p. 26-27) ;

• en second lieu, la répression ne serait pas adaptée aux actes de pollution diffuse (utilisation de véhicules polluants, nuisances sonores, dépôts sauvages d’ordure, etc.). Ces actes, nombreux mais souvent isolés et individuels, ont très souvent pour sanction une contravention peu dissuasive alors que les moyens de preuve nécessaires à leur caractérisation sont difficiles à récolter (rapport, p. 28) ;

• enfin, la fragmentation du contentieux environnemental, que se partagent l’ordre administratif et l’ordre judiciaire, porte atteinte à la lisibilité et à l’efficacité de la lutte contre les infractions environnementales (rapport, p. 30).

La création de juridictions spécialisées

Afin d’y remédier, la loi du 24 décembre 2020 prévoit la création, dans le ressort de chaque cour d’appel, d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement attaché à un tribunal judiciaire (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 15 ; la liste des tribunaux judiciaires concernés sera établie ultérieurement par décret).

Ce pôle spécialisé sera chargé de traiter les contentieux complexes – c’est-à-dire les affaires techniques, celles dans le cadre desquelles le préjudice subi est important ou celles qui s’étendent sur un vaste ressort géographique – qu’ils relèvent du code de l’environnement (étude d’impact, p. 158) du code forestier, de certaines infractions au code minier, du code rural et de la pêche maritime ou encore de certaines infractions non codifiées comme la mise illégale sur le marché de bois ou de produits dérivés de bois (L. n° 2014‑1170, 13 oct. 2014, art. 76).

Ces nouveaux pôles régionaux comprendront une section du parquet et des formations d’instruction et de jugement dédiées. Les magistrats attachés à ces pôles spécialisés recevront une formation spécifique sur les problématiques environnementales, s’agissant notamment de l’évaluation du préjudice et de la détermination du lien de causalité. Ils exerceront leur compétence sur l’étendue du ressort de la cour d’appel pour les infractions complexes et les infractions connexes.

Les affaires ne présentant pas de gravité particulière ou de complexité continueront d’être traitées par les juridictions locales. À l’inverse, certaines affaires techniques d’ampleur telles que les pollutions de grande échelle liées à un produit réglementé (par exemple, l’accident de l’usine Lubrizol à Rouen) ou le contentieux des catastrophes environnementales et industrielles (telle la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse en 2001) relèveront toujours de la compétence des deux pôles interrégionaux spécialisés de Paris et Marseille dédiés aux questions de santé publique et aux accidents collectifs (C. pr. pén., art. 706-2 et 706-176). De la même façon, les juridictions du littoral spécialisées continueront de traiter les affaires de pollution maritime tandis que les juridictions interrégionales spécialisées feront de même pour les dossiers de criminalité organisée ayant à la fois une grande complexité et une dimension environnementale (C. pr. pén., art. 706-75).

L’objectif du législateur est également que ces nouvelles juridictions, identifiées en tant que pôles de référence en la matière, facilitent la présence au moment de l’audience des agents et fonctionnaires spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale. L’objectif est d’enrichir les débats lorsque des questions techniques se poseront, comme celle de la remise en état des milieux (étude d’impact, p. 153).

Plusieurs amendements déposés par le gouvernement et adoptés lors des discussions parlementaires ont complété ce dispositif en matière civile. La loi prévoit ainsi la création de juridictions miroirs en matière civile chargées des actions relatives à l’indemnisation du préjudice écologique ou des actions en matière de responsabilité civile prévues par le code de l’environnement ou certains régimes spéciaux de responsabilité civile (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 17).

La création d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale

Si, à ce jour, les mesures alternatives aux poursuites constituent la réponse pénale principale aux infractions environnementales, les parquets n’ont cependant d’autre choix que d’engager des poursuites judiciaires en présence d’atteintes graves à l’environnement commises par des personnes morales (étude d’impact, p. 151). Si le code de l’environnement prévoit déjà un mécanisme de règlement transactionnel à l’article L. 172-13, celui-ci n’a toutefois pas été pensé pour le traitement des infractions d’une certaine gravité (le code de l’environnement prévoit en effet un mécanisme de transaction pénale à l’article L. 173-12. Celui-ci permet à l’autorité administrative, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, de transiger auprès du procureur de la République avec les personnes morales ou physiques sur la poursuite des contraventions et délits prévus par le code de l’environnement. En échange, celles-ci doivent s’acquitter d’une amende transactionnelle et d’une ou plusieurs autres obligations comme la remise en conformité des lieux. Ce dispositif ne s’applique cependant qu’aux délits punis de moins de deux ans d’emprisonnement et le montant de l’amende se limite au tiers de celle encourue).

Or la complexité et la technicité du droit de l’environnement ont souvent pour conséquence d’allonger les procédures judiciaires liées aux atteintes à l’environnement et de retarder la réparation des dommages subis. L’étude d’impact du gouvernement considère ainsi que ce décalage temporel a pour conséquence le prononcé de sanctions jugées trop faibles par rapport au dommage environnemental causé et à l’éventuel profit qui a pu en être tiré (étude d’impact, p. 151).

C’est donc avec le triple objectif d’apporter une réponse pénale rapide et adaptée aux infractions environnementales les plus graves commises par les personnes morales et de mieux réparer les dommages causés du fait de l’infraction que la loi insère un article 41-1-3 au sein du code de procédure pénale créant une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 15).

Calquée sur le modèle de la CJIP de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale applicable aux infractions en matière d’atteinte à la probité et en matière fiscale issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin II », la CJIP environnementale est une mesure alternative aux poursuites qui permet au procureur de la République de proposer à une personne morale mise en cause pour certains délits environnementaux de bénéficier d’une convention qui éteint l’action publique à son égard en échange de l’acquittement de certaines obligations.

La loi du 24 décembre 2020 adapte toutefois ce mode de règlement transactionnel à la matière environnementale. Ainsi, le texte prévoit que cette nouvelle CJIP, qui ne peut aussi bénéficier qu’aux personnes morales, concernera seulement les délits prévus par le code de l’environnement et les infractions connexes, à l’exception notable des délits du titre II du code pénal. Sont ainsi exclus du champ de la CJIP environnementale les délits d’atteintes aux personnes (notamment les homicides et blessures involontaires).

En échange de l’arrêt des poursuites contre la personne morale, la CJIP pourra imposer à celle-ci les obligations suivantes :

• le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public dont le montant pourra atteindre 30 % du chiffre d’affaires moyen calculé sur la base des trois derniers chiffres d’affaires connus à la date du manquement ;

• la régularisation de sa situation via l’adoption d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans sous le contrôle des services compétents du ministère de l’Environnement ;

• la réparation du préjudice écologique dans un délai maximal de trois ans, toujours sous la supervision des services du ministère de l’Environnement ;

• et, lorsqu’il existe une victime identifiée, la CJIP prévoit également le montant et les modalités de réparation du dommage dans un délai d’un an.

Le nouvel article 41-1-3 du code de procédure pénale met à la charge de la personne morale bénéficiant d’une CJIP l’obligation de mettre en œuvre un programme de conformité. En toute logique, la mise en œuvre de celui-ci ne sera pas supervisée par l’Agence française anticorruption (AFA), comme ce qui est prévu à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, mais par les services du ministère de l’Environnement chargés de la police administrative de l’environnement (étude d’impact, p. 155). Cet élément n’est pas sans soulever quelques interrogations pour les entreprises quant à la nature du programme de conformité et aux modalités de l’évaluation de sa bonne application par les services du ministère. En effet, la loi et les rapports l’accompagnant donnent relativement peu de détails sur ce programme de conformité là où la loi Sapin II et la CJIP en matière d’atteintes à la probité conféraient le contrôle de la mise en œuvre du programme de conformité anticorruption à une entité dédiée, l’AFA, qui a par ailleurs produit des recommandations afin de guider les entreprises sur le sujet (P. Goossens et G. Robert, Justice environnementale : ce qui attend les entreprises, Le Moniteur, 5 mars 2020). Le texte de loi ne renvoie pas non plus à la prise d’un décret ultérieur par le gouvernement sur le contenu d’un tel programme de mise en conformité. Il est cependant probable que cette mission de contrôle échoie aux directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), sous contrôle des préfets de département (M. Pennaforte et J.-N. Citti, Convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale : contrat de confiance ou marché de dupes ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 19 juin 2020).

La spécificité la plus notable de la CJIP environnementale réside sans doute dans la place laissée à la réparation du préjudice. En effet, l’article 41-1-3 du code de procédure pénale prévoit que la CJIP environnementale doit régler la question de l’indemnisation du préjudice de la victime identifiée, mais aussi que la personne morale devra dans un délai maximal de trois ans réparer le préjudice écologique résultant des infractions commises.

En effet, un enjeu important de l’adaptation de la justice pénale environnementale identifié par les autorités réside dans l’obligation de réparation intégrale du dommage et de réparation des milieux affectés par les agissements faisant l’objet de la CJIP. Celles-ci entendent ainsi faire de la CJIP un outil permettant d’accélérer la réparation du préjudice écologique là où il est, à l’heure actuelle, théoriquement nécessaire d’attendre la condamnation judiciaire définitive d’une entreprise mise en cause pour que celle-ci intervienne, soit souvent plusieurs années après la survenance du dommage (étude d’impact, p. 151). Les récentes dispositions du code civil issues de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 ayant consacré le préjudice écologique devront également être prises en compte. Se définissant comme une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (C. civ., art. 1247), la notion de préjudice écologique vise à la réparation des atteintes d’une certaine gravité subies par l’environnement en tant que tel. Le régime de responsabilité mis en place accorde la primauté à la réparation en nature (C. civ., art. 1249) en imposant, par exemple, à l’auteur du fait dommageable la dépollution des sols contaminés ou la remise en état des milieux dégradés. Une telle action en réparation est cependant ouverte à un nombre limité de personnes (C. civ., art. 1248) : l’État, l’Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné ainsi que certains établissements publics et associations agréées qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.

S’agissant des modalités procédurales de mise en œuvre de la CJIP environnementale, rien ne la distingue vraiment de son modèle créé par la loi Sapin II – l’article 41-1-3 renvoyant directement à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale sur ce point. La CJIP peut donc intervenir tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, que ce soit dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire (la loi prévoit à cette fin l’insertion d’un article 180-3 du code de procédure pénale renvoyant directement aux dispositions de l’article 180-2 du code de procédure pénale). Celle-ci doit également faire l’objet d’une validation par le président du tribunal judiciaire ainsi que d’une publication sur les sites internet des ministères de la Justice et de l’Environnement et de la commune sur le territoire duquel a été commise l’infraction ou, à défaut, sur celui de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient. Comme le relèvent certains commentateurs (M. Pennaforte et J.-N. Citti, art. préc.), la dimension territoriale de la publication de la CJIP environnementale, sur les sites des collectivités locales, mérite d’être soulignée. Non prévue en matière d’atteintes à la probité, cette publicité locale vise à prendre en compte les intérêts des acteurs locaux, riverains ou groupes d’intérêts, qui ont potentiellement subi les conséquences d’une atteinte à l’environnement, en portant à leur connaissance l’existence de la convention conclue et les informant par là de la possibilité de recours judiciaires en rapport avec les faits objet de la CJIP. Enfin, la prescription de l’action publique sera également suspendue pendant l’exécution des obligations mises à la charge de la personne morale sujet de la CJIP. Seule l’exécution entière de ces obligations éteint l’action publique, celle-ci pourra toutefois être mise en mouvement par le procureur dans l’hypothèse d’une mauvaise exécution de la convention.

La loi du 24 décembre 2020 vise ainsi à améliorer la prise en charge du contentieux pénal environnemental, qui semblait jusqu’ici délaissé par les juridictions faute d’outils adaptés. Elle s’inscrit dans un mouvement de fond impulsé par les pouvoirs publics, en lien avec la Convention citoyenne pour le climat, à la suite de laquelle les ministères de la Transition écologique et de la Justice ont annoncé la création d’un délit d’écocide en novembre dernier (Pas de crime d’écocide, mais un délit pour punir les atteintes à l’environnement, Le Monde, 22 nov. 2020), visant à prévenir et sanctionner les atteintes graves à l’environnement, et d’un délit de mise en danger de l’environnement. Le gouvernement n’a toutefois pas précisé si ces derniers seront inscrits dans le code de l’environnement afin de pouvoir être éligibles à la CJIP environnementale nouvellement créée. L’ouverture de la CJIP aux délits environnementaux présente en outre certains avantages pour les opérateurs économiques, notamment dans les secteurs exposés au risque environnemental (industrie, énergie, BTP, etc.). Comparée à l’aléa et à la longueur de certaines procédures judiciaires, la CJIP offre aux entreprises mises en cause une certaine prévisibilité grâce à une procédure rapide ainsi que la possibilité de réduire l’amende finalement prononcée et un éventuel risque réputationnel en adoptant une démarche de coopération avec les autorités judiciaires.