En ce qu’il a trait à la ventilation en quotes-parts du prix de cession d’entreprise et au rang dévolu au titulaire d’un droit de suite lors de la répartition qui s’ensuit, l’arrêt ci-dessus référencé est aussi intéressant d’un point de vue théorique qu’important sur le plan pratique.
En l’espèce, un plan de cession, incluant uniquement un fonds de commerce grevé d’un nantissement inscrit du chef de son précédent propriétaire, est arrêté dans le cadre d’un redressement judiciaire, ouvert à l’endroit du tiers acquéreur et peu après converti en liquidation judiciaire. Par la suite, le bénéficiaire de cette sûreté assigne le liquidateur afin d’être colloqué en premier rang sur le prix de vente, approuvé en cela par la cour d’appel qui précise que cette collocation doit porter, non sur le prix de vente du fonds, mais sur la quote-part du prix de cession que le tribunal aurait dû, et devra, affecter à cet actif.
Sur pourvoi principal du liquidateur, et pourvoi incident du titulaire du nantissement, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. Elle estime, d’une part, que le tribunal n’est pas tenu de définir une telle quote-part dans la mesure où seul le fonds de commerce est compris dans la cession, et, d’autre part, que le créancier inscrit du chef du précédent propriétaire ne prime pas les créanciers personnels du sujet de la procédure collective. À cet égard, même si à s’en tenir aux titrages et résumés officiels de la décision, l’absence de priorité du créancier d’un propriétaire antérieur en constitue l’élément essentiel, son autre aspect, relatif à l’absence d’obligation d’affecter une quote-part du prix de cession, mérite également une attention particulière.
L’absence d’obligation d’affecter une quote-part du prix de cession d’entreprise
De prime abord, il paraît curieux de désavouer au visa du premier alinéa de l’article L. 642-12 du code de commerce une décision enjoignant au tribunal d’affecter une quote-part du prix de cession à un fonds de commerce nanti, puisqu’il s’agit précisément de ce que prescrit cette disposition. Pour rappel, en effet, celle-ci prévoit que si des actifs grevés de sûretés spéciales figurent dans le périmètre d’un plan de cession, le tribunal affecte à chacun d’eux une quote-part du prix pour permettre l’exercice des droits de préférence lors de sa répartition. L’emploi du présent de l’indicatif et l’absence de terme rattaché au champ lexical de la faculté révélant l’existence d’une obligation à la charge du tribunal (P.-M. Le Corre, Le créancier titulaire d’une sûreté spéciale victime de l’absence d’affectation d’une quote-part du prix de cession, Gaz. Pal. 8 janv. 2011, p. 13), la cour d’appel se serait ainsi contentée de rappeler la règle et, surtout, de s’y conformer.
Certes, dans le sens de la Haute juridiction, pourrait-on relever que le texte n’envisage littéralement que l’hypothèse où la cession porte sur plusieurs actifs grevés de sûretés. Si bien que par une sorte de raisonnement a contrario, il serait inapplicable dès lors qu’elle en englobe seulement un. Mais outre que l’arrêt sous examen ne repose pas dessus, une telle interprétation ne saurait être retenue. L’explication réside dans ce qui permet de comprendre la présente solution, qui en appelle en réalité moins à la lettre de l’alinéa en cause qu’à son esprit.
Comme le souligne plus loin la Cour régulatrice, ce texte a pour fonction de faire apparaître l’assiette des droits de préférence dont sont investis les bénéficiaires de sûretés assises sur les actifs compris dans le plan de cession. Il faut effectivement bien voir qu’en raison de son caractère global et forfaitaire (ibid.), le prix de cession représente la valeur propre de l’entreprise, et non celle des divers biens transmis (v. not., C. Saint-Alary-Houin, M.-H. Monsèrié-Bon et C. Houin-Bressand, Droit des entreprises en difficulté, 13e éd., LGDJ, 2022, n° 1291). De sorte que sans correctif, les créanciers munis de sûretés spéciales ne pourraient exercer leurs droits de préférence lors de la répartition du prix de cession, faute d’apparition de leur assiette, c’est-à-dire la valeur des actifs grevés. Ce qui reviendrait in fine à les priver totalement du bénéfice de leurs garanties dans la mesure où le paiement complet du prix de cession emporte purge des inscriptions (C. com., art. L. 642-12, al. 2 et 3). Pour cette raison, a été institué un...