La question de la prescription extinctive continue d’intéresser la première chambre civile de la Cour de cassation en ce début d’été. Lors de ces six derniers mois, c’est un véritable flot continu d’arrêts qui a été rendu sur cette question (pour un florilège non exhaustif, Civ. 1re, 5 janv. 2022, nos 20-16.031, 19-24.436, 20-18.893 et 20-18.893, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 4
Il obtient gain de cause puisque la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt dans sa décision rendue le 29 juin 2022. Elle précise que : « En statuant ainsi, alors que le dommage de M. [E] ne s’était réalisé que le 7 janvier 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté son recours et constituant le point de départ du délai de prescription quinquennal, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
L’arrêt explore un nouveau cas de nuance du point de départ de la prescription tout en assurant la même ligne directrice désormais connue et ce sous l’égide de l’article 2224 du code civil.
Un point de départ fixé au jour de l’arrêt condamnant le contribuable
L’article 2224 du code civil, utilisé comme visa dans cette solution, est interprété d’une manière adaptative par la première chambre civile de la Cour de cassation. On connaît la solution classique en droit de la responsabilité qui veut que le point de départ se situe au jour où le dommage s’est réalisé ou, du moins, à la date où la victime est en mesure d’agir. Pour les préjudices corporels, ceci implique de prendre en compte la date de consolidation du dommage par exemple (Civ. 2e, 10 févr. 2022, n° 20-20.143, Dalloz actualité, 4 mars 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 279
La question est résolue d’une manière lapidaire mais efficace par la première chambre civile. Le point de départ se situe au jour de l’arrêt confirmatif qui vient définitivement fermer les portes à cet espoir du contribuable de voir son montage juridique fonctionner. C’est donc au 7 janvier 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux, que se matérialise la connaissance des faits lui permettant d’exercer son action en responsabilité contre le notaire. La solution invite à une certaine prudence les praticiens car elle montre à quel point la lecture de l’article 2224 du code civil implique de veiller à bien positionner le point de départ du délai.
L’ensemble eut créer une impression de pluralité dans les décisions de la Cour de cassation mais la solution n’en est pas moins respectueuse d’une certaine unité.
Diversité des points de départs mais unité de la justification
La lecture des derniers arrêts rendus par la Cour de cassation au sujet du point de départ de la prescription extinctive peut laisser quelques lecteurs perplexes. Les décisions peuvent conduire à, matériellement, retenir des éléments factuels différents : premier incident de paiement pour le devoir de mise en garde de la caution (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325 FS-B, préc.), jour où l’emprunteur a eu connaissance du défaut de garantie du risque qui s’est réalisé (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati
Ces décisions, certes de première apparence différentes, sont les garantes d’une lecture respectueuse de l’article 2224 du code civil lequel est rédigé de telle sorte à entraîner ces questions d’interprétation dynamique en fonction de chaque action prise dans son individualité par le juge. Une telle lecture implique une certaine adresse des praticiens à pouvoir déduire de l’action qu’ils engagent le bon point de départ considéré. Reste à savoir si la construction prétorienne est garante de sécurité juridique. Il faut probablement répondre par la positive car une lecture unitaire fixant au même jour tous les points de départ de la prescription violerait la lettre de l’article 2224 du code civil qui n’évoque pas une telle solution unique.
L’arrêt du 29 juin 2022 est, par conséquent, intéressant à bien des titres. Il vient d’abord confirmer l’attrait des praticiens pour les questions de prescription. Arme redoutable puisqu’entraînant une irrecevabilité de la demande, cette dernière reste parmi l’arsenal de choix du conseil de la partie qui doit subir une action, ici en responsabilité. Mais attention à bien positionner le point de départ, sinon que de temps perdu ! La décision vient également construire une fresque aux motifs divers mais dont l’histoire qu’elle raconte trouve sa cohérence au sein de l’article 2224 du code civil. Reste à attendre la suite de cette belle tapisserie brodée avec soin par la Cour de cassation.