Panorama rapide de l’actualité « Civil » de la semaine du 16 janvier 2023

Article


par Nicolas Hoffschir, Maître de conférences à l’Université d’Orléans et Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université d’Aix-Marseillele 23 janvier 2023

Contrats

Convention d’assistance bénévole et responsabilité contractuelle

Il résulte de l’article 1101 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 que, dans une convention d’assistance bénévole, l’assistance peut être spontanément apportée par l’assistant ou sollicitée par l’assisté. Encourt la cassation l’arrêt qui retient que l’assistant n’a pas offert spontanément son aide mais a été convaincu par celui-ci de lui prêter son concours. (Civ. 1re, 18 janv. 2023, n° 20-18.114, F-B)

Résolution

La partie qui subit l’inexécution peut provoquer la résolution du contrat sur le fondement des articles 1217, 1227 et 1229 du code civil tels qu’issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Lorsque les prestations échangées ne peuvent trouver leur utilité que par l’exécution du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Encourt la cassation l’arrêt ayant rejeté la demande de résolution du contrat et qui, pour ce faire, rappelle que si l’annulation d’un salon événementiel avait empêché la société de traiteur d’exécuter sa prestation de service, elle n’avait pas empêché son partenaire économique de verser les sommes prévues au contrat et que, bien que l’inexécution du contrat ait été totale et d’une gravité suffisante, elle ne peut être considérée fautive puisque causée par l’annulation du salon où devait être exécutée la prestation de service. La partie qui a versé un acompte à valoir sur une prestation dont l’inexécution a entraîné la résolution du contrat est, en effet, fondée à en obtenir restitution par le débiteur de la prestation non exécutée auquel elle l’a payée. (Com. 18 janv. 2023, n° 21-16.812, F-B)

Vente et vices cachés

Dans le contentieux des vices cachés consécutifs à une vente, l’acquéreur a le choix entre une action rédhibitoire et une action estimatoire : il peut, après en avoir exercé une, exercer l’autre tant que sa demande n’a pas été tranchée par une décision passée en force de chose jugée. Justifie sa décision la cour d’appel qui décide que n’est pas nouvelle la demande en action estimatoire en substitution de la demande de l’acquéreur en garantie de la condamnation ayant accueilli une action rédhibitoire. (Civ. 1re, 18 janv. 2023, n° 19-10.111, F-B) Une cour d’appel qui constate qu’une infestation parasitaire avait détruit les pièces principales de charpente et du solivage entraînant un risque d’effondrement et qui retient que cette infestation ne pouvait que constituer un vice caché de la chose vendue justifie légalement sa décision quand elle rejette l’action sur le fondement du manquement à l’obligation de délivrance de la chose vendue et celle consécutive au manquement au devoir d’information de l’acquéreur. (Civ. 3e, 18 janv. 2023, n° 21-22.543, FS-B)

Hospitalisation sans consentement

Appel, faute de l’expert

Il résulte de la combinaison des articles 550, 551 et 68, alinéa 1er qu’une partie peut faire appel incident en intimant l’appelant principal d’un jugement lequel a statué exclusivement sur la compétence par conclusions notifiées aux parties à l’instance contre lesquelles il est dirigé, sans être tenu au délai et aux formes prévus aux articles 84 et 85 du code de procédure civile lesquels textes ne concernent que l’appelant principal. Par conséquent, l’intimée qui forme appel incident par conclusions à l’encontre d’un centre hospitalier en matière de soins psychiatriques sans consentement n’est pas tenue de former son appel dans le délai de quinze jours de l’article 84 du code de procédure civile.
Il résulte de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III qu’un agent public n’engage sa responsabilité personnelle devant la juridiction judiciaire que dans le cas d’une faute personnelle détachable du service, caractérisée par un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique. Encourt la cassation l’arrêt qui, pour écarter l’exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative retient, en se fondant sur le rapport d’expertise ordonné, que l’agent public n’a pas pris en charge l’intéressée conformément aux bonnes pratiques et n’a proposé ni hospitalisation ni de faire procéder à un scanner en urgence, le traitement prescrit étant insuffisant au vu du tableau clinique ; signant ainsi une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service public. Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, ces motifs sont impropres à caractériser un manquement volontaire et inexcusable de l’agent à ses obligations...

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Immeuble acquis avec une clause de tontine : modalités de saisie et de confiscation

Une nouvelle fois – et après l’indivision et la communauté qui sont bien plus courantes –, la Cour de cassation s’est prononcée sur la manière d’articuler la saisie pénale (et, par anticipation, la confiscation), avec une notion bien particulière du droit des biens, le pacte tontinier, dans l’optique de préservation des droits du tiers de bonne foi. Cet arrêt du 7 décembre 2022, qui illustre à merveille l’interdisciplinarité du droit des saisies pénales par rapport au droit des biens, a été rendu après un dialogue interne des juges de la Cour de cassation.

La définition de la tontine

La clause de tontine consiste à prévoir, lors de l’acquisition du bien, que le survivant des acquéreurs sera réputé avoir été dès l’origine le seul propriétaire de celui-ci. Il s’agit donc d’un contrat dit « aléatoire », la qualité de propriétaire dépendant de la réalisation d’une condition, celle de la survie (Civ. 1re, 14 déc. 2004, n° 02-11.088 P, D. 2005. 2263 image, note C. Le Gallou image ; ibid. 2114, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2005. 109, obs. F. Chénedé image ; JCP 2005. I. 187, n° 8, obs. Le Guidec ; Defrénois 2005. 617, obs. Libchaber ; Dr. fam. 2005, n° 61, note Beignier ; RDC 2005. 693, obs. Bénabent). Il en résulte que, sauf en ce qui concerne le droit de jouissance, une telle clause rend jusqu’au décès du prémourant incompatibles entre eux les droits des parties à la propriété de l’immeuble, puisque seul le survivant en est titulaire depuis la date d’acquisition. Il s’ensuit donc une absence d’indivision excluant le droit au partage (Civ. 27 mai 1986, n° 85-10.031 P, D. 1987. 139, note G. Morin ; Paris, 12 mars 2014, n° 12/11958). En revanche, et bien que la clause d’accroissement soit exclusive de l’indivision, tant que la condition du prédécès de l’une des parties n’est pas réalisée, celles-ci ont des droits concurrents tel le droit de jouir indivisément du bien (Civ. 1re, 9 nov. 2011, n° 10-21.710, D. 2011. 2868 image ; ibid. 2012. 971, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; RTD civ. 2012. 95, obs. J. Hauser image ; Defrénois 2012. 343, note Leblond ; Dr. fam. 2012, n° 10, obs. Beignier ; ibid. n° 49, obs. Brun-Wauthier ; JCP N 2012, n° 1123, note Leveneur ; CCC 2012, n° 57, obs. Leveneur ; RDC 2012. 445, obs. Libchaber).

Le cadre juridique de l’avis entre chambres de la Cour de cassation

L’alinéa 1er de l’article 1015-1 du code de procédure civile, issu du décret n° 99-131 du 26 février 1999, dispose que « la chambre saisie d’un pourvoi peut solliciter l’avis d’une autre chambre saisie sur un point de droit qui relève de la compétence de celle-ci ». Aucune disposition équivalente n’existe en matière pénale, mais la chambre criminelle a également adopté cette pratique. Selon un récent groupe de travail, « la réponse à la question de droit posée, parce qu’elle ne va pas de soi, en raison, selon le cas, de sa complexité, de sa nouveauté, ou encore des incertitudes pouvant grever l’état de la jurisprudence pertinente de la chambre consultée, réclame que cette dernière en délibère. Aussi est-il de bonne pratique que la décision de recourir à...

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Promesse de vente et condition suspensive d’obtention du prêt : montant maximal [I]versus[/I] montant inférieur

Le contentieux relatif à la réalisation ou non des conditions suspensives assortissant les promesses de vente est un marronnier, en particulier lorsqu’il est question de l’obtention du prêt destiné à financer l’acquisition convoitée.

Imposée par la loi en cas d’acquisition d’un bien immobilier assortie d’un prêt (C. consom., art. L. 313-41), la jurisprudence a déjà eu l’occasion de préciser les contours de cette condition suspensive, qu’il s’agisse de renonciation ou de délai de réalisation de la condition, de demande de prêt non conforme aux stipulations contractuelles (sanction : condition réputée réalisée, Civ. 3e, 27 févr. 2013, n° 12-13.796 P, Dalloz actualité, 2 avr. 2013, obs. F. Garcia ; D. 2013. 705 image ; AJDI 2013. 856 image, obs. F. Cohet image ; RDI 2013. 314, obs. H. Heugas-Darraspen image ; 20 nov. 2013, n° 12-29.021 P, D. 2014. 196 image, note S. Tisseyre image ; ibid. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki image ; ibid. 1000, chron. A.-L. Collomp, A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier image ; AJDI 2014. 307 image, obs. F. Cohet image ; RDI 2014. 99, obs. H. Heugas-Darraspen image ; RTD civ. 2014. 111, obs. H. Barbier image ; 13 févr. 2020, n° 19-12.240 NP, AJDI 2020. 706 image ; 20 oct. 2021, n° 20-20.264 NP, AJDI 2022. 67 image), ou autres fautes de l’acquéreur dans la non-réalisation de la condition (passivité et négligence de l’acquéreur notamment, Civ. 3e, 16 févr. 2022, n° 20-23.237 NP, AJDI 2022. 386 image ; ibid. 387 image).

L’apport de l’arrêt présenté semble de prime abord considérable au regard d’une solution récemment établie selon laquelle « un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu est conforme aux stipulations contractuelles » (Civ. 3e, 14 janv. 2021, n° 20-11.224 P, Dalloz actualité, 8 févr. 2021, obs. A. Cayol ; D. 2021. 134 image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; AJDI 2021. 624 image, obs. F. Cohet image ; RTD civ. 2021. 408, obs. H. Barbier image). La condition suspensive devait alors être considérée comme étant réalisée.

En l’espèce, les faits sont simples. Une promesse de vente instrumentée par notaire entre un vendeur et un acquéreur particuliers contenait une condition suspensive d’obtention d’un prêt immobilier. Les stipulations mentionnaient classiquement le montant maximal du prêt (414 000 €), la durée de l’emprunt (25 ans) et le taux maximal d’intérêt hors assurance (2 %).

La problématique soumise à la Cour de cassation touchait au fait de savoir si la stipulation d’un montant maximal permettait de considérer la condition réalisée en cas d’offre de l’établissement bancaire d’un montant inférieur. La décision précitée de 2021 visait le fondement de la force obligatoire des contrats (C. civ., art. 1103) afin de juger que le montant inférieur obtenu reste conforme aux stipulations contractuelles, laissant à considérer que seule une limite maximale dépassée eut été dirimante. Dans l’affaire présentée, la banque avait refusé le prêt aux conditions fixées par la promesse de vente. Relevons qu’à la différence de l’arrêt de 2021, la marge demeurait toutefois relativement faible puisque la banque accordait 407 000 € au lieu des 414 000 demandés. Pour autant, ce delta pouvant sembler détail (1,7 % de moins que la somme sollicitée contre moins 25 % dans la décision de 2021) n’altère pas la protection de l’acquéreur : « L’indication, dans la promesse, d’un montant maximal du prêt n’était pas de nature à contraindre les acquéreurs à accepter toute offre d’un montant inférieur ». En découle alors la reconnaissance de la défaillance de la condition suspensive.

Les solutions du présent arrêt (condition réputée défaillie pour l’obtention de 407 000 € contre 414 000 € contractuellement fixés) et de celui de 2021 précité (condition réputée réalisée pour obtention d’un prêt de 539 000 € contre 725 000 contractuellement prévus), peuvent a priori sembler contraires. Il est toutefois impérieux d’y regarder de plus près. En effet, rejoignant la solution rendue en 2021, celle du 14 décembre 2022 laisse bien entendre que l’acquéreur pourrait accepter un montant inférieur (le « montant maximal du prêt n’était pas de nature à contraindre les acquéreurs à accepter toute...

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Règlement Bruxelles I [I]bis[/I] : action du ministre de l’Économie

L’arrêt de la Cour de justice du 22 décembre 2022 a un intérêt direct pour le droit français.
Il concerne la détermination du champ d’application du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

On sait que ce règlement « s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction », cette notion de matière civile et commerciale étant une notion du droit de l’Union qui ne doit pas être interprétée en considération du droit interne (S. Menetrey, in G. Payan [dir.], Espace judiciaire civil européen. Arrêts de la CJUE et commentaires, Bruylant, 2020, spéc. n° 237). En revanche, « il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii) » (art. 1, § 1), étant précisé que cette référence à la responsabilité de l’État est en réalité trompeuse et qu’il s’agit plutôt d’écarter l’application du règlement en cas d’exercice de prérogatives de puissance publique (H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 41).

En...

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Règlement Bruxelles I [I]bis[/I] : compétence pour les mentions figurant au RCS

Le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit des cas de compétence exclusive dans différents domaines.

L’article 24 dispose ainsi, notamment, que sont seules compétentes, sans considération de domicile des parties, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé en matière de droits réels immobiliers ; ou les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel les personnes morales ont leur siège en matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés ou personnes morales, ou de validité des décisions de leurs organes ; ou encore, en matière de validité des inscriptions sur les registres publics, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus.

Ces dispositions sont évidemment essentielles du point de vue de la compétence directe.

Elles le sont également dans l’hypothèse où un jugement a été rendu dans un État membre dans ces matières et où ce jugement est invoqué dans un autre État membre. Si ces dispositions ont été respectées dans la détermination de la juridiction compétente, le jugement sera reconnu, en application du principe général posé par l’article 36, dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de ne recourir à aucune procédure (sauf si un motif de non-reconnaissance apparaît). En revanche, si le jugement a méconnu ces règles de compétence exclusive,...

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De la conformité du bon de commande : de la rigueur, encore et toujours

Décidément, la première chambre civile de la Cour de cassation n’a pas terminé de rappeler sa jurisprudence autour des bons de commande issus d’opérations de démarchage à domicile. On se rappelle qu’elle a pu rendre ces derniers mois plusieurs arrêts en la matière précisant inlassablement la même solution (Civ. 1re, 22 sept. 2021, n° 19-24.817 F-B, Dalloz actualité, 29 sept. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1717 image ; ibid. 2022. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; 2 juin 2021, n° 19-22.607 F-P, Dalloz actualité, 15 juin 2021, obs. C. Hélaine). L’arrêt rendu le 11 janvier 2023 ne fera pas figure d’exception dans cette droite lignée d’arrêts sur l’inutilité d’un prix unitaire. Rappelons brièvement les faits, extrêmement classiques en la matière puisque le contentieux est dominé par les acquisitions de panneaux solaires. Une personne physique décide de conclure avec une société, hors établissement, deux contrats de fourniture et d’installation de panneaux photovoltaïques financés par deux crédits souscrits avec son époux auprès de deux établissements bancaires. Les acquéreurs se plaignent de plusieurs irrégularités affectant les bons de commande et assignent tant le vendeur que les établissements bancaires prêteurs de deniers en annulation de la vente et des crédits souscrits. En cause d’appel, les juges du fond annulent les contrats de vente et, en conséquence, les contrats de crédits en retenant que les bons de commande ne comportaient aucune indication précise de la part respective du coût des matériels, des travaux de pose, des démarches administratives et du raccordement à Électricité réseau et distribution France (ERDF) restant à la charge du vendeur ; le bon de commande ne mentionnant qu’un prix global. Les juges du fond détectent également une anomalie dans le bon de commande qui...

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L’ordonnance sur requête et la décision fixant la rémunération du conciliateur

Les arrêts concernant les modalités procédurales de la détermination de la rémunération du conciliateur désigné dans le cadre de la procédure de conciliation du livre VI du code de commerce ne sont pas fréquents. Aussi, l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 14 décembre 2022, publié au Bulletin, mérite-t-il que l’on s’y intéresse. Les faits sont dépourvus d’originalité. Une procédure de conciliation est ouverte ; à l’issue de celle-ci, un accord est trouvé et homologué. La rémunération des deux conciliateurs désignés est fixée à la somme de 300 000 € par le président du tribunal (somme correspondant au plafond envisagé dans la convention d’honoraires conclue avec le débiteur) par ordonnance. Un recours devant le premier président de la cour d’appel est formé, le débiteur reprochant au juge taxateur d’avoir violé l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) faute d’avoir organisé un débat contradictoire avant d’arrêter sa décision. Le premier président ne répond pas à ce moyen et rejette la demande d’annulation.

Un pourvoi en cassation est alors formé par le débiteur, qui se fonde notamment sur le moyen tiré du défaut de réponse aux conclusions sur ce point. La Cour de cassation n’accueille pas ce moyen de cassation, estimant que le premier président n’avait pas à répondre à un moyen inopérant. En effet, la Haute juridiction précise que la régularité de l’ordonnance par laquelle est arrêtée la rémunération du conciliateur, qui est une ordonnance rendue sur requête, n’est pas subordonnée à la tenue d’un débat contradictoire. Si la cassation est finalement prononcée, c’est au bénéfice d’un autre moyen de cassation tiré d’un autre défaut de réponse à conclusions (la société débitrice arguait que les diligences du conciliateur avaient été validées par une personne n’ayant pas le pouvoir pour la représenter).

La question de savoir si la fixation de la rémunération supposait la tenue d’un débat contradictoire (la seule qui retiendra notre attention) devant le président du tribunal impliquait de résoudre plusieurs problèmes auxquels la Cour de cassation apporte, plus ou moins explicitement, des solutions. Elle parvient à une réponse négative en qualifiant l’ordonnance considérée d’ordonnance rendue sur requête (§ 4), ce qui ne va pas sans susciter des interrogations.

On en prendra la mesure en reconstituant le fil du raisonnement.

1. Primo, il fallait interpréter les textes qui ne prévoient pas les modalités selon lesquelles le président du tribunal instruit et juge la demande de fixation de la rémunération.

- D’un côté, on pouvait considérer que le contradictoire n’était pas évincé par le seul fait qu’il ne soit pas fait référence à la tenue d’un débat. En effet, le principe demeure qu’« à moins qu’il n’en soit disposé autrement par le [livre VI du code de commerce,] les règles du code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI de la partie législative [dudit code] » (C. com., art. R. 662-1). Or, le code de procédure civile érige le contradictoire en principe directeur du procès (C. pr. civ., art. 14 à 16) : cette qualification a pour conséquence que ledit principe n’a pas à être rappelé dans chaque procédure pour trouver à s’appliquer ; comme tout principe directeur, il est général et « insuffle vocation à orienter l’interprète » (G. Cornu, Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes [fragments d’un état des questions], in Études offertes à Pierre Bellet, 1991, Litec, p. 83-100, spéc. p. 85).

- Mais d’un autre côté, l’attribution du pouvoir d’arrêter la rémunération au président du tribunal statuant par ordonnance pouvait laisser penser que la procédure était celle des ordonnances sur requête. C’est dans cette voie que s’engage la Cour de cassation en qualifiant la décision « d’ordonnance rendue sur requête ». Cette qualification ne s’imposait pas forcément. D’abord, les textes ne font pas référence à une requête. Surtout, la décision fixant la...

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Aveu judiciaire : le fait, pas le droit

L’aveu judiciaire est une déclaration qui émane d’une des parties à l’instance ou de son représentant. Si la déclaration est faite par un tiers, elle ne constitue pas un aveu, mais un témoignage. Pour exister, et produire des conséquences juridiques, l’aveu doit satisfaire trois conditions. D’abord, la déclaration doit être de nature à favoriser la partie adverse. Ensuite, elle doit résulter de la volonté non équivoque de son auteur. Enfin, elle doit porter sur un fait et non sur des points juridiques. Cette dernière condition s’évince de la règle jura novit curia qui signifie que le droit est l’affaire du juge et ne doit pas être prouvé par les parties. Ce principe trouve sa source dans les articles 9 et 12 du code de procédure civile.

L’arrêt du 8 décembre 2022 rendu par la deuxième chambre civile est un exemple de son application.

En l’espèce, lors d’une séance d’entraînement dans un club de motocyclisme, un participant a été percuté par une motocyclette. Il a été victime d’une atteinte corporelle et psychique. Le conducteur du véhicule a été déclaré entièrement responsable du dommage et, par l’intermédiaire de sa mère puisqu’il était mineur au moment des faits, a été condamné à indemniser la victime intégralement par jugement confirmé le 13 mars 2012.

À la suite de cet accident, la victime a fait construire une maison d’habitation dont la surface a été adaptée à son handicap et dont l’édification s’est achevée en juillet 2014.

Par un arrêt confirmatif du 19 décembre 2018, l’auteur du fait dommageable et son assureur ont été condamnés in solidum au paiement de diverses sommes au titre de la réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux de la victime à l’exception du poste relatif à cette adaptation du logement pour lequel une mesure d’instruction a été ordonnée.

Par un jugement du 20 mars 2019, l’auteur du fait dommageable et son assureur ont été condamnés in solidum à payer 105 170,94 € au titre des frais du logement adapté. La victime a interjeté appel contre cette décision. La cour d’appel, qui l’a confirmée en limitant l’indemnisation au surcoût du logement adapté et l’a infirmée pour le surplus, les a condamnés à payer 68 488,72 € « de surfaces supplémentaires » et 24 817,20 € au titre des frais d’adaptation du logement.

La victime s’est pourvue en cassation contre cet arrêt auquel elle reproche d’avoir retenu l’existence d’un aveu judiciaire de sa part. Selon le pourvoi, la cour d’appel n’aurait pas dû fixer le préjudice subi du fait de la nécessité de vivre dans un logement adapté à son handicap à certaines sommes au motif que la victime aurait admis, à plusieurs reprises, que l’indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques et non à l’ensemble du logement, lui interdisant donc de demander, devant la cour d’appel, une indemnisation au titre des frais de logement adapté incluant le coût de la construction de son logement adapté.

Selon l’argument du pourvoi, l’aveu judiciaire ne peut porter que sur un point de fait et non sur un point de...

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Le bureau de conciliation et d’orientation n’excède pas ses pouvoirs en ordonnant à l’employeur de produire une pièce

Chacun sait que le jugement rendu par le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes ne peut être frappé, selon les cas, d’appel ou de pourvoi en cassation qu’en même temps que le jugement sur le fond, sous réserve des règles applicables aux décisions ordonnance une expertise (C. trav., art. R. 1454-16) ; sans être définitivement fermé, l’appel est ainsi différé afin d’éviter un éparpillement des recours. Naturellement, comme toujours, l’irrecevabilité de l’appel immédiat cède lorsque la décision rendue par le bureau de conciliation et d’orientation est entachée d’un excès de pouvoir (Soc. 24 mai 2006, n° 04-45.877 P, RDT 2006. 192, obs. E. Serverin image ; 6 mai 1997, n° 94-43.085 P, D. 1997. 135 image ; 24 janv. 1996, n° 92-43.768, inédit ; 15 juin 1995, n° 94-40.524, inédit ; 12 juin 1986, n° 83-46.164 P ; 15 mars 1983, n° 80-41.832 P). L’existence d’un excès de pouvoir devient alors une condition tant de la recevabilité que du bien-fondé de l’appel. Même s’il est possible d’admettre que le bureau de conciliation et d’orientation qui ferait usage de prérogatives qui ne lui sont pas reconnues par les textes commet un excès de pouvoir (H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé. Tome 3. Procédure de première instance, Sirey, 1991, n° 570), il reste toujours difficile de circonscrire les contours de cette notion.

La Cour de cassation est appelée régulièrement à apprécier si le jugement rendu par le bureau de conciliation et d’orientation est entaché d’un excès de pouvoir. Dans l’affaire ayant donné lieu à...

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Amiante : départ du délai de prescription de la demande d’indemnisation au FIVA

Un homme, dont la maladie professionnelle liée à une exposition à l’amiante a été reconnue par l’organisme de la sécurité sociale, a adressé au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) une demande d’indemnisation de ses préjudices. Le fonds l’a rejetée la considérant prescrite.

La victime a contesté cette décision devant une cour d’appel de Bordeaux. Cette dernière a considéré que la victime avait eu connaissance du lien entre sa pathologie et l’exposition à l’amiante par un scanner réalisé le 12 décembre 2007. L’action en indemnisation par le FIVA se prescrivant par dix ans à compter de cette prise de connaissance, la cour d’appel de Bordeaux a jugé qu’elle était prescrite depuis le 13 décembre 2017. La victime s’est pourvue en cassation contre la décision des juges du fond.

La Cour de cassation était donc invitée à s’interroger sur le point de départ de la prescription décennale instaurée par l’article 53, III bis de la loi du 23 décembre 2000 régissant les règles de réparation des dommages consécutifs à une exposition à l’amiante dans un cadre professionnel.

Par une décision du 15 décembre 2022, la deuxième chambre civile rappelle en premier lieu que selon le texte précité, la demande d’indemnisation de la victime d’une maladie liée à une exposition à l’amiante adressée au FIVA se prescrit par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition à l’amiante.

Dès lors, pour connaître le point de départ du délai de prescription de l’action en indemnisation, il convient d’identifier le premier certificat médical faisant le lien entre la maladie et sa cause. La date de ce document marque le début du délai de prescription de l’action.

Les juges d’appel ont considéré que ce premier certificat, en l’occurrence un scanner thoracique, datait du 12 décembre 2007. La Cour de cassation relève qu’en réalité, le scanner réalisé en 2007 mentionnait des calcifications punctiformes sous pleurales pariétales antérieures bilatérales plus marquées à gauche mais n’évoquait ni l’exposition à l’amiante ni le caractère professionnel de la pathologie. Le certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition à l’amiante datait du 28 janvier 2013 et c’est à compter de cette date que la victime a eu connaissance du lien entre sa pathologie et l’exposition à l’amiante. Il en résulte que le délai de prescription de l’action de la victime commençait à courir à compter du 28 janvier 2013 et que celle-ci se prescrira le 29 janvier 2023. La demande d’indemnisation adressée au FIVA, était bien recevable.

Considérant que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et qu’elle...

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Panorama rapide de l’actualité « Civil » de la semaine du 23 janvier 2023

Article


par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille et Laurent Dargent, Rédacteur en chefle 30 janvier 2023

Aide sociale à l’hébergement

Action du département en récupération

Si le département qui a engagé des dépenses d’aide sociale au titre des frais d’hébergement et d’entretien d’une personne handicapée accueillie dans un établissement spécialisé dispose d’un recours en recouvrement sur l’actif de la succession du bénéficiaire sur le fondement de l’article L. 132-8 du code de l’action et des familles, l’article L. 344-5 2° prévoit expressément la possibilité d’empêcher une telle action lorsque l’héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée.
Dans ce cadre, la « charge effective et constante » au sens de l’article L. 344-5, 2° du code de l’action sociale et des familles s’entend comme un engagement régulier et personnel de l’héritier du bénéficiaire auprès de la personne handicapée, placée en établissement, et ce tant d’ordre matériel qu’affectif et moral. Viole ce texte, combiné à l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, la décision qui rejette le recours d’un héritier en constatant que ce dernier produit de très nombreuses attestations établissant qu’il s’est occupé de la personne handicapée, sa sœur, pendant plus de vingt-cinq ans, d’une part, et observe, d’autre part, que la commission départementale d’aide sociale a considéré que la prise en charge et l’accompagnement se justifiaient à hauteur de 90.000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l’actif successoral tout en considérant que l’assistance apportée ne relevait que de l’attachement familial et de la loyauté d’une même famille et ne pouvait donc pas avoir pour conséquence de faire échec à l’action en récupération diligentée par le département. Or, il résultait des constatations de l’arrêt frappé du pourvoi que l’héritière avait assumé de façon effective et constante la charge de la bénéficiaire de sorte que le département ne pouvait pas exercer son action en récupération des sommes versées sur le fondement de l’article L. 344-5 2° du code de l’action sociale et des familles. (Civ. 2e, 26 janv. 2023, n° 21-18.653, F-B)

Contrats

Interdiction des engagements perpétuels

Il résulte de la combinaison de l’article 1134 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de l’article 1838 du code civil que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associé pour la durée de vie de la société de sorte que les parties ne peuvent pas y mettre fin unilatéralement. Encourt donc la cassation l’arrêt qui constate que le pacte d’actionnaires avait été conclu pour la durée de la société (soit pour le temps restant à courir jusqu’à l’expiration des 99 années à compter de la date d’immatriculation de la société au registre des commerces et des sociétés) et qu’au terme de cette période, le pacte serait automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société et qui en déduit que cette durée excessive supprime toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés et ouvre aux parties la possibilité de résilier un tel pacte unilatéralement à tout moment. (Com. 25 janv. 2023, n° 19-25.478, FS-B)

Nullité et règles d’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement

Le seul fait qu’un contrant portant sur la recherche d’un financement ait été conclu en violation des règles issues du chapitre IX du titre Ier du livre V du Code de monétaire et financier (lequel porte sur les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement) n’est pas de nature à en entraîner l’annulation. (Com. 25 janv. 2023, n° 21-14.164, F-B)

Responsabilité contractuelle d’une banque : devoir de mise en garde et prescription de l’action en indemnisation

Le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face et non à la date de la conclusion du contrat de prêt. (Com. 25 janv. 2023, n° 20-12.811, FS-B ; avec avis de l’avocat général disponible en libre accès)

Cautionnement

Effets de la compensation sur la seule dette de la caution

Il résulte de l’application combinée de l’article 1234 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de l’article 2288 du même code...

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Application dans le temps de l’annexe à la déclaration d’appel : le sens du tragique

Alors que l’avis du 8 juillet 2022 sur l’interprétation de l’arrêté du 25 février 2022 avait marqué l’arrivée du beau de temps après la pluie (Civ. 2e, avis, 8 juill. 2022, n° 22-70.005 P, Dalloz actualité, 30 août. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 1498 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2022. 496, obs. D. D’Ambra image), voilà que la Cour de cassation se prononce sur son application dans le temps. Et c’est la pluie qui est annoncée ! Tandis que la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait, en l’absence de contrainte technique démontrée, retenu l’absence d’effet dévolutif d’une déclaration d’appel qui renvoyait à une annexe listant les chefs de jugement critiqués par un arrêt antérieur à l’arrêté du 25 février 2022, le pourvoi tentait d’en revendiquer l’application. Réponse de la deuxième chambre civile réunie en formation de section :

« 4. Le décret du 25 février 2022, invoqué par la demanderesse au pourvoi, a modifié l’article 901, 4°, du code de procédure civile en tant qu’il prévoit que la déclaration d’appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, en ajoutant dans ce texte, après les mots : “faite par acte”, les mots : “, comportant le cas échéant une annexe,”. L’article 6 du décret précise que cette disposition est applicable aux instances en cours. La demanderesse au pourvoi soutient que ces dispositions sont applicables au présent litige.

5. Par avis du 8 juillet 2022 (n° 22-70.005) la Cour de cassation a notamment dit que le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d’appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d’appel qui ont été formées antérieurement à l’entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu’elles n’ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n’a pas fait l’objet d’un déféré dans le délai requis, ou par l’arrêt d’une cour d’appel statuant sur déféré.

6. Pour autant, l’instance devant une cour d’appel, introduite par une déclaration d’appel, prend fin avec l’arrêt que rend cette juridiction. Elle ne se poursuit pas devant la Cour de cassation, devant laquelle est introduite une instance distincte.

7. Il en résulte que le décret du 25 février 2022 n’est pas applicable au présent litige.

8. La Cour de cassation a jugé le 13 janvier 2022 (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516 P) qu’il résulte de la combinaison des articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ainsi que des articles 748-1 et 930-1 du même code, que la déclaration d’appel, dans laquelle doit figurer l’énonciation des chefs critiqués du jugement, est un acte de procédure se suffisant à lui seul ; que, cependant, en cas d’empêchement d’ordre technique, l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.

9. Pour constater l’absence d’effet dévolutif, l’arrêt retient que la déclaration d’appel de la société ne précise pas les chefs de jugement critiqués mais procède par renvoi à une annexe transmise le même jour par RPVA les mentionnant, ce dernier document n’ayant aucune valeur procédurale et ne faisant pas partie intégrante de cette déclaration.

10. Il relève en outre que l’appelante ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même, laquelle pouvait parfaitement contenir l’intégralité des chefs de jugement critiqués.

11. Par ces énonciations et constatations, la cour d’appel a fait une exacte application des textes précités, sans porter d’atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge.

12. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé. »

Une histoire d’actes

Comme toute bonne tragédie classique, elle s’organise en cinq actes. Cinq actes pour un seul acte d’appel, mais avec annexe, c’est là toute la différence. On se souvient que le drame s’était noué il y a tout juste un an, le 13 janvier 2022. L’exposition était celle-ci : pour que l’effet dévolutif puisse jouer, les chefs de jugement critiqués doivent figurer dans la déclaration d’appel qui est un acte de procédure se suffisant à lui seul permettant à l’appelant, sous seule condition d’un empêchement technique, de la compléter par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516 P, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 image, note M. Barba image ; ibid. 625, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra image ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon image).

Concrètement, si le dispositif de la décision à reprendre dans l’acte d’appel était inférieur à 4 080 caractères, la contrainte technique autorisant l’établissement d’une annexe n’existait pas et l’effet dévolutif ne jouait pas si les chefs de jugement s’y...

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Panier de pommes et assistance bénévole

Le lecteur attentif au droit des obligations aura très certainement remarqué que la première chambre civile de la Cour de cassation publie de manière régulière des arrêts sur l’assistance bénévole depuis ces derniers mois. L’an dernier, la Cour a pu préciser notamment que même la faute d’imprudence est susceptible d’engager la responsabilité de l’assisté (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-20.331 P, Dalloz actualité, 12 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 740 image, note P. Gaiardo image ; RTD civ. 2022. 395, obs. P. Jourdain image) et l’année 2021 avait été marquée par une décision particulièrement originale sur le partage de responsabilité en la matière (Civ. 1re, 5 mai 2021, n° 19-20.579 P, Dalloz actualité, 12 mai 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1803 image, note D. Galbois-Lehalle image ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; RTD civ. 2021. 653, obs. P. Jourdain image). Aujourd’hui, nous nous intéressons à un arrêt rendu le 18 janvier 2023 qui, loin de s’éloigner des solutions classiques, vient rappeler quelques constantes intéressantes et justifiant très largement sa publication au Bulletin. Tout commence avec un verger de pommiers, dont certains sont assez hauts pour mettre dans l’embarras son propriétaire qui voulait récolter son panier saisonnier de pommes. Coup de chance pour le propriétaire des vergers : il est le gérant d’une société qui utilise des bras de grue. Il demande donc à l’un de ses salariés de manipuler l’une des grues et à un autre de monter avec lui sur la nacelle au bout de celle-ci pour récolter les pommes en hauteur. Voici que, pendant l’opération, le salarié et le propriétaire du verger se blessent assez grièvement. Le salarié blessé décide d’agir en responsabilité et indemnisation contre la société propriétaire de la grue et son gérant. En cause d’appel, les juges du fond écartent l’existence d’une convention d’assistance bénévole puisque l’assisté n’a pas reçu une aide spontanée de l’assistant, celui-ci l’ayant convaincu de lui prêter son concours.

L’assistant se pourvoit en cassation en...

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Pas de garantie d’éviction sans trouble de droit actuel

La garantie d’éviction « dérive de la nature même du contrat de vente », puisqu’il est en effet « impossible qu’en ne vendant rien on touche un prix » (v. les discours de Portalis et de Grenier lors de la présentation au corps législatif des textes relatifs au contrat de vente, in P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du code civil, T. XIV, 1827, p. 122 et p. 198). Cette garantie protège l’acquéreur contre les troubles causés à sa possession paisible du bien. Lorsque le trouble émane d’un tiers, la garantie d’éviction peut être invoquée soit à titre incident en appelant le vendeur à la cause (C. pr. civ., art. 334), soit à titre principal, c’est-à-dire dans une instance à laquelle l’auteur du trouble demeure étranger (C. civ., art. 1640). Dans cette dernière hypothèse, la garantie ne joue que si un trouble de droit actuel, imputable au vendeur et ignoré par l’acquéreur, est caractérisé. Si les acquéreurs agissent généralement une fois évincés, il arrive parfois qu’ils assignent leur vendeur avant toute éviction effective. Tel était le cas en l’espèce.

Dans les circonstances ayant débouché sur l’arrêt rapporté, un couple a acquis une propriété clôturée décrite dans l’acte authentique de vente comme comprenant, entre autres, une piscine hors sol. Postérieurement à la vente, Il apprend que la piscine ainsi qu’une partie de la clôture empiètent sur le fonds voisin par deux missives du propriétaire de ce dernier. Les acquéreurs assignent alors, sept ans après la première lettre, le couple vendeur sur le fondement du dol et de la garantie d’éviction.

La cour d’appel les déboute au motif qu’ils « échouent à établir la preuve d’un trouble de droit actuel dont l’origine serait imputable » aux vendeurs, car le contenu des courriers envoyés « ne caractérise pas l’éviction ou...

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Appel sur la seule compétence par voie d’appel incident : feu vert de la Cour de cassation

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2023 ne peut que retenir l’attention du processualiste. À la suite d’un avis interne, sollicité de la chambre spécialisée en procédure civile, la première chambre civile a en effet contribué à la construction du régime de l’appel particulier d’un jugement qui tranche la seule compétence à l’exclusion du fond. L’arrêt peut encore être remarqué en ce qu’il tranche une partie du fond et casse sans renvoi pour le reste. En un seul arrêt la Cour de cassation met donc en œuvre deux pouvoirs qui lui ont été conférés par des textes plus ou moins récents (sur la demande d’avis à une autre chambre, v. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 36e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, n° 1827) et qui changent en partie sa physionomie traditionnelle, puisque, avec le second, elle se comporte en troisième degré de juridiction (op. cit., n° 1848)…

Une patiente souffrant d’un abcès dentaire consulte un chirurgien-dentiste exerçant son activité à titre libéral, puis un stomatologue, exerçant son activité en secteur public du centre hospitalier. Des complications se produisent.

La patiente obtient en référé la désignation d’un expert médical. Elle assigne en responsabilité et indemnisation les deux praticiens ainsi que le centre hospitalier devant la juridiction judiciaire. Le stomatologue et le centre hospitalier présentent une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.

Le juge de la mise en état rend une ordonnance statuant sur sa seule compétence : d’une part, il s’y déclare incompétent pour statuer sur les demandes dirigées contre le centre hospitalier, d’autre part, il y rejette l’exception d’incompétence s’agissant des demandes dirigées contre le stomatologue (le JME admet donc la compétence de la juridiction judiciaire).

Le stomatologue et le centre hospitalier font appel pour contester la compétence judiciaire retenue par le JME à l’égard du praticien. La patiente sollicite l’infirmation partielle de l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la compétence judiciaire relativement à l’hôpital. Elle forme cet appel incident par voie de conclusions, qu’elle remet plus de quinze jours après la notification de l’ordonnance du JME.

Les appelants principaux opposent l’irrecevabilité de l’appel incident, mais la cour d’appel ne les suit pas, faisant application de l’article 550 du code de procédure civile dispose que, sous réserve des articles 905-2, 909 et 910, l’appel incident peut être formé en tout état de cause alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Il ne peut être reproché à la patiente d’avoir formé son appel incident au-delà du délai de quinze jours, prévu par l’article 84 du code de procédure civile. En outre, la cour d’appel retient la compétence du juge judiciaire, considérant que les fautes relevées à l’encontre du stomatologue, dans le rapport d’expertise, étaient suffisamment graves pour caractériser une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service public.

Le praticien et l’hôpital se pourvoient alors en cassation, invoquant deux moyens, l’un de procédure civile, l’autre relatif au principe de séparation des autorités judiciaire et administrative. D’une part, la cour d’appel aurait violé les articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile : selon le pourvoi, « le recours contre un jugement qui s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, peut seulement s’exercer par un appel formé par voie de déclaration dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement ». D’autre part, la juridiction du second degré aurait violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, car la responsabilité personnelle d’un agent du service public n’est susceptible...

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Délais Magendie et médiation : une chanson populaire ?

Les délais Magendie, ça vous glisse entre les mains. Leur effet couperet et leur cours rapide font qu’ils sont inadaptés à la recherche d’une solution amiable à hauteur d’appel. Délais Magendie et médiation : la chanson est, pour le moment, impopulaire, et ce malgré l’article 910-2 du code de procédure civile, paré de nombreuses incertitudes rendant son opération trop énigmatique.

Cet article est issu du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Dans sa version initiale, il dispose que la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile. Voilà qui donne une forme de répit aux litigants. La pendule de l’appel Magendie s’arrête alors.

Ça s’en va…

La Cour de cassation a déjà apporté de précieuses précisions sur cette interruption. Elle a ainsi indiqué qu’aux termes de l’article 910-2 dans sa version initiale, seule la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais Magendie (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 20-13.912, Dalloz actualité, 9 juin 2021, obs. R. Laffly ; AJ fam. 2021. 322 et les obs. image ; Gaz. Pal. 20 juill. 2021, p. 61, note M. Guez ; Procédures, juill. 2021, n° 7, p. 12, obs. S. Amrani-Mekki ; Bull. Joly Travail, sept. 2021, p. 37, note V. Orif ; JCP S 2021, 1194, obs. A. Bugada). L’injonction à rencontrer un médiateur n’a pas d’effet interruptif ; pas davantage que d’informels pourparlers entre les parties (idem ; adde Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 19-26.235 où la Cour statue par rejet non spécialement motivé).

Ces éléments acquis, il restait à la Cour de cassation de préciser la fin de l’interruption consacrée, signant le point de redépart des délais Magendie (s’agissant d’une interruption, mieux vaudrait d’ailleurs parler de nouveau départ). L’article 910-2 indique que l’interruption produit effets « jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ». Qu’est-ce à dire précisément ? C’est la problématique au cœur de l’arrêt rapporté.

Et ça revient…

Par ordonnance du 13 juin 2016, un conseiller de la mise en état ordonne une médiation. L’ordonnance précise que la mission du médiateur prendra fin à l’expiration d’un délai initial de trois mois commençant à courir à compter de la première réunion ; délai initial qui sera prorogé jusqu’au 20 février 2017. Le 26 décembre 2017, l’appelante dépose des conclusions à fin de reprise d’instance. Saisi par l’intimé, le conseiller de la mise en état prononce la caducité de la déclaration d’appel. L’ordonnance est déférée à la cour d’appel, laquelle confirme par arrêt du 28 juin 2019.

Selon le demandeur à la cassation de cet arrêt, la date de fin de mission du médiateur telle que fixée par ordonnance du conseiller ne constitue pas l’évènement mettant fin à l’interruption prévue par l’article 910-2 du code de procédure civile. C’est, bien plutôt, la date à laquelle l’affaire est rappelée à une audience qu’il faudrait regarder. À titre subsidiaire, selon l’appelant déçu, les pourparlers informels s’étant poursuivi après la fin de la mission de médiation devraient être de nature à interrompre le délai posé par l’article 908 du code de procédure civile, dans l’esprit de...

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Rappel de la nécessaire appréhension globale des accidents de la circulation « complexes »

Ayant expressément pour objectif « l’amélioration de la situation des victimes d’accident de la circulation et […] l’accélération des procédures d’indemnisation », la loi du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », a abandonné tout recours au concept de causalité pour retenir celui d’implication, issu de l’article 4 de la Convention de La Haye sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière. Modifié afin de faire également référence à cette notion, l’article L. 211-1 du code des assurances précise désormais également que l’obligation d’assurance automobile pèse sur « toute personne physique ou toute personne morale autre que l’Etat, dont la responsabilité civile peut être engagée en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué ». La prise en charge du sinistre par l’assureur de responsabilité est ainsi subordonnée à l’implication du véhicule assuré dans l’accident de la circulation. L’absence de définition légale de l’implication est, dès lors, source d’un contentieux régulier, particulièrement en cas de collisions successives. Tel est encore le cas dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 15 décembre 2022.

En l’espèce, le conducteur d’un scooter heurte un véhicule puis, éjecté, atterrit sur le capot d’un deuxième véhicule. Son scooter, ayant poursuivi sa course, percute quant à lui un troisième véhicule. L’assureur du premier véhicule indemnise intégralement la victime de son dommage corporel. Il forme ensuite un recours en contribution à l’encontre des conducteurs des autres véhicules et de leurs assureurs. L’assureur du troisième véhicule refuse de contribuer à l’indemnisation du dommage corporel, en affirmant que ce véhicule n’était pas impliqué dans l’accident. Les juges du fond se prononcent également en ce sens. Ils soulignent que le troisième véhicule « était régulièrement stationné à une vingtaine de mètres des points de choc ayant occasionné des blessures à [la victime et] qu’il n’était pas entré en contact avec...

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Mesures d’instruction [I]in futurum[/I] : notion de procès « manifestement voué à l’échec »

Jusqu’où le juge saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, chargé d’apprécier l’existence d’un « motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige », peut-il examiner la plausibilité des allégations du demandeur sans préjuger du fond du litige à venir ?

L’arrêt rendu le 18 janvier 2022 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, publié au bulletin, soulève à cet égard plus de questions qu’il n’en résout.

En l’espèce, à l’issue de négociations ayant duré plus d’un an, une filiale de la société Fintake Group s’était engagée par promesse unilatérale à acquérir l’intégralité des actions de la société Leasecom détenues par la société CMA, au prix de 70 millions d’euros. La société Fintake Group, se substituant à sa filiale, avait finalement conclu cette cession au prix convenu. Soutenant par la suite avoir découvert que l’un des documents communiqués au cours des pourparlers, le budget 2018 de la société cible, aurait été « sciemment surestimé » par la cédante, la société Fintake Group avait sollicité sur requête auprès du président du tribunal de commerce de Paris la mise en œuvre d’une mesure d’instruction in futurum visant à obtenir les preuves d’éventuelles manœuvres dolosives dont sa filiale et elle pouvaient avoir été victimes.

Le juge des requêtes ayant fait droit à cette demande, la mesure d’instruction avait été exécutée et les pièces saisies avaient été placées sous séquestre. La cédante avait alors obtenu, en référé, la rétractation de l’ordonnance entreprise, et cette rétractation avait été confirmée par la cour d’appel de Paris au motif que la société Fintake Group ne justifiait pas d’un « motif légitime » au sens de l’article 145 du code de procédure civile (Paris, 10 juin 2022, n° 21/18490).

Pour ce faire, la juridiction du second degré avait d’abord retenu qu’il lui appartenait, afin de s’assurer de la « plausibilité » du litige projeté, de « rechercher si les allégations de manœuvres dolosives consistant dans la dissimulation, lors des pourparlers, du budget 2018 validé au sein de la société Leasecom, sont ou non vraisemblables ». Examinant de façon particulièrement attentive les pourparlers litigieux, la cour d’appel avait jugé qu’« il n’apparaît pas des pièces produites que la société Fintake Group a pu être trompée par la société CMA au cours de la période précontractuelle ayant duré plus de dix-huit mois, au cours de laquelle la société [filiale] dont elle a repris les engagements, a eu accès à l’ensemble des éléments, notamment, financiers et comptables de la société Leasecom ». Estimant encore que la société Fintake Group, préalablement à la cession, avait « une parfaite connaissance des résultats de l’exercice 2018 », et qu’il n’existait pas d’« indices suffisants pour justifier l’existence d’un dol », la cour d’appel avait finalement retenu que « l’action que l’appelante pourrait engager à l’encontre de la société CMA au titre d’un prétendu dol apparaît manifestement vouée à l’échec ».

Au soutien de son pourvoi contre cette décision, la société Fintake Group faisait valoir, pour l’essentiel, qu’en retenant par de tels motifs que l’action projetée serait « manifestement vouée à l’échec », la cour d’appel avait préjugé du fond du litige à venir et excédé son office, en violation de l’article 145 du code de procédure civile.

La chambre commerciale rejette ce pourvoi : « En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte que les dirigeants particulièrement avertis de la société NBB Lease et leurs experts avaient eu accès à une information exhaustive portant sur l’ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, qui n’a pas fait peser sur la société Fintake Group l’obligation d’établir le bien-fondé de son action, a jugé que l’action que cette société pourrait engager à l’encontre du CMA, au titre d’un prétendu dol, apparaissait manifestement vouée à l’échec, caractérisant, par ces seuls motifs, l’absence de motif légitime justifiant la mesure d’instruction demandée ».

La solution, faussement classique, ne peut manquer d’interroger.

On sait que la notion de « motif légitime » suppose d’établir, outre l’« utilité » ou la « pertinence » de la mesure sollicitée (X. Vuitton et J. Vuitton, Les référés, 4e éd., LexisNexis, 2018, n° 183 ; S. Guinchard et al., Droit et pratique de la procédure civile, 10e éd., Dalloz Action, 2021-2022, n° 221.172), le caractère « crédible » ou « plausible » du litige projeté (v., pour une étude récente, A. Destremau et F. Expert, Mesures d’instruction in futurum : (in)certitudes dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation, JCP 2022. 830). À travers cette exigence, qui doit être appréciée à la date à laquelle le juge statue (Civ. 3e, 8 avr. 2010,...

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Des conséquences du défaut d’information de la commission départementale des soins psychiatriques

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseillele 26 janvier 2023

Civ. 1re, 18 janv. 2023, F-B, n° 21-21.370

Le contrôle des soins psychiatriques sans consentement occupe une place importante dans le contentieux devant le juge des libertés et de la détention. On sait que la première chambre civile de la Cour de cassation est particulièrement attentive au respect des textes du code de la santé publique, quitte à parfois être sévère avec des décisions dont la doctrine pensait qu’elles étaient à l’abri d’une cassation. Cette sévérité s’exprime, par exemple, par la computation des délais très stricts dans lesquels sont enfermées les différentes mesures de soins sous contrainte (v. par ex., Civ. 1re, 26 oct. 2022, n° 21-50.045 F-B et Civ. 1re, 26 oct. 2022, n° 20-22.827 FS-B, Dalloz actualité, 9 nov. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1909 image). Mais elle s’illustre également dans d’autres domaines liés à l’information de certaines entités étatiques. Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2023, la première chambre civile a pu statuer sur une question rarement sous le feu des projecteurs et, à dire vrai, qui n’a pas fait l’objet d’une publication au Bulletin depuis ces trois dernières années, à savoir le défaut d’information de la commission départementale des soins psychiatriques. Cette commission, assez peu connue du grand public, est composée de manière mixte (deux psychiatres, deux représentants d’associations et un médecin généraliste). Chaque commission publie des rapports d’activité assez régulièrement. Informée des différentes mesures de soins psychiatriques sans consentement, la commission départementale peut proposer la mainlevée d’une mesure et demander au directeur d’un établissement de prononcer ladite mainlevée lequel doit accéder à sa demande. Mais il arrive que des difficultés apparaissent quant au traitement de l’information de cette...

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L’action en [I]exequatur[/I] ne se prescrit pas

Dans l’affaire jugée par la première chambre civile le 11 janvier 2023, un office cantonal suisse des poursuites a délivré, au cours de l’année 2002, à un créancier resté partiellement impayé un acte de défaut de biens. Il est utile de préciser, pour la clarté du propos, qu’en droit suisse, le créancier qui a participé à une saisie et qui n’a pas été désintéressé intégralement reçoit un acte de défaut de biens pour le montant impayé, cet acte valant reconnaissance de dette (loi fédérale suisse sur la poursuite pour dettes et la faillite, art. 149).

Le créancier a alors assigné le débiteur en France, afin d’obtenir l’exequatur de cet acte de défaut de biens.

Le débat s’est développé essentiellement à propos de la question de la prescription : l’arrêt énonce que, « si les règles de prescription de l’État d’origine sont susceptibles d’affecter le caractère exécutoire du jugement et, par conséquent, l’intérêt à agir du demandeur à l’exequatur et si celles de l’État requis sont susceptibles d’affecter l’exécution forcée du jugement déclaré exécutoire, en revanche, l’action en exequatur elle-même n’est soumise à aucune prescription ».

Ce principe, qui comporte trois aspects, est énoncé pour la première fois en ces termes et est important. Avant de l’examiner, une remarque d’ordre terminologique mérite toutefois d’être formulée.

Une incertitude terminologique

On sait que dans les rapports franco-suisses (et plus généralement dans les rapports entre, d’une part, les États de l’Union européenne et, d’autre part, la Suisse, la Norvège ainsi que l’Islande), les règles de compétence, directe et indirecte, sont régies par une convention de Lugano, dont il existe deux versions successives. Dans un premier temps a été applicable la convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale signée le 16 septembre 1988, avant que ne soit conclue le 30 octobre 2007 la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Dans l’affaire jugée le 11 janvier 2023, la convention du 16 septembre 1988 était applicable, car l’acte de défaut de biens avait été délivré en 2002.

Cette convention du 16 septembre 1988 (comme, au demeurant, celle du 30 octobre 2007) détermine, notamment, le régime de reconnaissance et d’exécution (art. 25 s.) en France des décisions rendues en Suisse.

Et c’est à ce propos qu’apparaît une incertitude terminologique. Après avoir appliqué la convention de Lugano dans une branche du moyen (qui ne sera pas commentée ici), l’arrêt fait état, à propos d’une autre branche, d’une action en exequatur du créancier et définit, dans les termes précités, le régime d’une telle action.

Or, sauf incompréhension de notre part, c’est en réalité le régime de l’exécution des décisions rendues en Suisse qui est précisé par l’arrêt et non pas le régime de l’exequatur, qui, lui, s’insère dans le droit international privé français commun, qui n’est applicable qu’en l’absence d’une convention internationale ou d’un règlement européen.

Cela étant, cette incertitude terminologique est, en définitive, sans portée. Le principe qu’énonce la Cour de cassation a en effet vocation à trouver application tant dans le cadre des conventions de Lugano que dans celui de l’exequatur, et même d’ailleurs en présence des règlements Bruxelles I du 22 décembre 2000 et Bruxelles I bis du 12 décembre 2012, ainsi que nous allons le préciser.

L’apport de l’arrêt

Sous cette réserve d’ordre terminologique, l’apport de l’arrêt doit être examiné, en distinguant les trois aspects du principe posé par l’arrêt.

Le caractère exécutoire à l’étranger du jugement

Il est certain qu’un jugement étranger ne peut être déclaré exécutoire en France que dans la mesure où il l’est dans l’État où il a été...

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Entre faculté et devoir : l’office du juge et la sanction procédurale de la violation du dessaisissement

Pour ceux intéressés par le droit judiciaire privé et le droit des entreprises en difficulté, ou plus encore, par l’interaction entre ces deux matières, l’arrêt sous commentaire tombe à point nommé.

Du reste, la décision a ceci d’exceptionnel qu’elle est le siège de la rencontre de deux notions fondamentales au sein de leur domaine d’intervention respectif. Il s’agit des fins de non-recevoir, d’une part, et du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire, d’autre part.

Quelques éléments de mise en contexte

Les fins de non-recevoir sont classiquement définies comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir (C. pr. civ., art. 122). Autrement dit, si la demande ou la défense d’une partie est rejetée en raison d’une fin de non-recevoir, c’est que cette dernière ne satisfait pas aux conditions exigées pour pouvoir soumettre au juge cet acte processuel (T. Le Bars, K. Sahli et J. Héron, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 148).

À ce propos, le risque que constitue le prononcé d’une fin de non-recevoir pèse particulièrement sur le débiteur placé en liquidation judiciaire.

Nous formulons cette remarque, car l’ouverture de cette procédure entraîne obligatoirement le dessaisissement du débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, mais également de ses droits et actions concernant son ou ses patrimoine(s) soumis à la procédure collective, lesquels sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur (C. com., art. L. 641-9, I).

Sur le plan procédural, cette règle se traduit notamment par un défaut de qualité pour agir du débiteur pour toutes les actions ayant une incidence sur son ou ses patrimoine(s) soumis à la procédure collective. À titre d’illustration, à compter de l’ouverture de la liquidation judiciaire, il est irrecevable à exercer une action en recouvrement de créance (Civ. 1re, 6 sept. 2017, n° 16-10.711 NP ; Com. 15 nov. 2017, n° 16-21.066 NP). Corrélativement, la privation pour le débiteur du droit d’agir en justice, lorsque l’action a une nature « patrimoniale », emporte reconnaissance de la qualité pour agir du liquidateur (v. par ex. Com. 11 mars 2008, n° 06-19.616 NP).

Problématique au cœur de l’arrêt

C’est le régime de cette fin de non-recevoir, tirée d’une violation du dessaisissement, qui est au cœur de l’arrêt sous commentaire avec l’épineuse question de connaître l’office du juge face à cette sanction procédurale : a-t-il le devoir de la relever d’office ou dispose-t-il à cet égard d’une simple faculté ?

L’affaire

En l’espèce, une société, maître de l’ouvrage, a confié le 15 juin 2012 à un entrepreneur principal un chantier. Au cours de l’année suivante, l’entrepreneur a sous-traité une partie de celui-ci à une autre société, le paiement de cette dernière devant être réalisé directement par le maître de l’ouvrage.

Après la réalisation des travaux, le sous-traitant n’a pu obtenir le paiement de ses factures et a assigné le maître d’ouvrage en paiement de certaines sommes, mais un jugement du 28 juin 2016 a rejeté ses demandes.

Le sous-traitant a alors interjeté appel de ce jugement le 29 juillet 2016 et notons, qu’entre temps, il a été mis en liquidation judiciaire le 6 juillet.

Du reste, cette affaire a été renvoyée à la mise en état et l’ordonnance de clôture révoquée en raison de la liquidation judiciaire. Par une ordonnance du 24 janvier 2018, le conseiller de la mise en état a constaté « l’interruption de l’instance » et enjoint aux parties de régulariser la procédure.

Relevons encore, car cela aura une importance pour la compréhension de l’arrêt, que, par une ordonnance du 16 octobre 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions d’incident et au fond signifiées par le maître d’ouvrage.

Quoi qu’il en soit, et après l’intervention volontaire du liquidateur judiciaire à l’instance, la cour d’appel a infirmé le jugement entrepris et a condamné le maître d’ouvrage à payer une certaine somme au liquidateur.

Le maître d’ouvrage a alors formé un pourvoi en cassation.

En substance, il reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir relevé d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir résultant du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire. En somme, il contestait également le fait que la cour d’appel n’ait pas pris la peine de constater que l’intervention du liquidateur était survenue dans le délai d’appel, ce qui était pourtant crucial dans la mesure où il s’agit de l’unique hypothèse dans laquelle l’intervention du liquidateur pourrait régulariser la procédure initiée par le seul débiteur dessaisi (Com. 14 déc. 1999, n° 97-15.361 P, Société Sivel c. Société CDR Créance groupe Consortium réalisation, D. 2000. 65 image, obs. A. Lienhard image ; 15 nov. 2017, n° 16-21.066 NP, préc.).

Malheureusement pour le demandeur – qui, nous allons le voir, pourra nourrir certains regrets – la Cour de cassation va rejeter son pourvoi.

La solution posée

Pour cela, la haute juridiction indique qu’il résulte des articles L. 641-9 du code de commerce et 125 du code de procédure civile que le débiteur en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d’un jugement « concernant son patrimoine » et que cette fin de non-recevoir, qui est d’ordre public, doit être relevée d’office par le juge. Cependant, la Cour de cassation prend le soin de préciser, très classiquement, et nous ne reviendrons pas dessus, que celle-ci peut être régularisée par l’intervention du liquidateur dans le délai d’appel (C. pr. civ., art. 126, al. 2).

À s’en tenir à ces seules énonciations, le lecteur serait susceptible de ne pas comprendre pourquoi le pourvoi a été rejeté, dans la mesure où, étant en présence d’une fin de non-recevoir d’ordre public, le juge devait donc bien la relever d’office, ce qui aurait pu entraîner la cassation de l’arrêt d’appel.

Pourtant, telle n’est pas la solution rendue par la haute...

Pas d’incompatibilité de principe entre incidence professionnelle et rente invalidité pour une victime inapte à tout emploi

La possibilité de percevoir une indemnisation au titre de l’incidence professionnelle (IP) pour une victime désormais inapte à tout emploi et percevant une rente invalidité a donné lieu à un important contentieux. La décision rendue par la deuxième chambre civile le 15 décembre 2022 (pourvoi n° 21-10.783) est l’occasion de rappeler les règles applicables en la matière.

En l’espèce, une personne est victime d’un accident de la circulation. Elle assigne l’assureur du responsable afin d’obtenir indemnisation des préjudices découlant de son dommage corporel consécutif à l’accident. Les juges du fond rejettent toute indemnisation au titre de l’IP, au motif que la victime perçoit une pension d’invalidité de la Cafat. Selon eux, il serait en effet « constant que l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs (PGPF) sur la base d’une rente viagère d’une victime privée de toute activité professionnelle pour l’avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l’incidence professionnelle » (pt 6). Leur décision est cassée par la deuxième chambre civile pour violation des articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. La Cour de cassation rappelle, dans un attendu de principe, qu’« il résulte de ces deux textes que le juge, après avoir fixé l’étendue du préjudice résultant des atteintes à la personne et évalué celui-ci indépendamment des prestations indemnitaires qui sont versées à la victime, ouvrant droit à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ou son assureur, doit procéder à l’imputation de ces prestations, poste par poste » (pt 5). Dès lors, la cour d’appel aurait dû fixer le préjudice indemnisable de la victime au titre de l’IP avant d’imputer sur ce poste, le cas échéant, le montant de la rente invalidité (pt 7).

Confirmant une solution désormais bien établie, cette décision permet de rappeler, d’une part, qu’un préjudice d’incidence professionnelle peut parfaitement exister concernant une victime totalement inapte à la reprise du travail et percevant une rente invalidité et, d’autre part, que ladite rente est susceptible de s’imputer sur les sommes allouées au titre de l’IP dans le cadre du recours des tiers payeurs.

Possibilité d’une indemnisation au titre de l’IP pour une victime totalement inapte au travail percevant une rente invalidité

La cour d’appel se fonde, en l’espèce, sur une prétendue incompatibilité entre l’attribution d’une rente viagère d’invalidité à une victime privée de tout emploi et l’existence d’une indemnisation au titre de l’IP. Une telle argumentation fait clairement écho à une décision rendue par la deuxième chambre civile le 13 septembre 2018 (n° 17-26.011, Dalloz actualité, 27 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1807 image ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon image ; RTD civ. 2019. 114, obs. P. Jourdain image), affirmant que « l’indemnisation de la perte de ses gains professionnels futurs sur la base d’une rente viagère d’une victime privée de toute activité professionnelle pour l’avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l’incidence professionnelle ». C’était pourtant oublier que la jurisprudence a fortement évolué sur ce point depuis. Dès 2019, la chambre criminelle a proposé d’indemniser, au titre de l’IP, la « situation d’anomalie sociale dans laquelle [la victime] se trouvait du fait de son inaptitude à reprendre un quelconque emploi » (Crim. 28 mai 2019, n° 18-81.035), ou encore « le renoncement définitif à toute activité professionnelle » (Crim. 17 déc. 2019, n° 18-86.063, bjda.fr 2020, n° 67, note A. Cayol). La deuxième chambre civile s’est ralliée à cette position le 6 mai 2021 (nos 19-23.173 et 20-16.428, Dalloz actualité, 20 mai 2021, obs. H. Conte : bjda.fr 2021, n° 75, obs. A. Cayol ; D. 2021. 903 image ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; RTD civ. 2021. 649, obs. P. Jourdain image), en consacrant le « préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle ». La solution est désormais constante devant toutes les chambres de la Cour de cassation. Elle a ainsi été confirmée à plusieurs reprises en 2022 (Crim. 6 sept. 2022, n° 21-87.172, D. 2022. 1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon image ; 18 oct. 2022, n° 21-86.346, Civ. 2e, 27 oct. 2022, n° 21-12.881, Dalloz actualité, 29 nov. 2022, obs. A. Cayol ; D. 2022. 1902 image).

S’il est vrai que la nomenclature Dintilhac n’envisage pas directement une telle situation, une doctrine autorisée avait rapidement souligné l’importance de ne pas amputer l’incidence professionnelle d’une de ses composantes (S. Porchy-Simon,...

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Point de départ de la prescription en matière de responsabilité pour défaut de mise en garde : harmonisation des solutions

Nous commentons aujourd’hui un nouvel épisode dans la saga du point départ de la prescription de l’action de l’emprunteur pour défaut de mise en garde par sa banque avec un arrêt rendu par la chambre commerciale le 25 janvier 2023. On sait que le début de l’année 2022 avait été très riche sur cette thématique notamment de la part de la première chambre civile (v. en ce sens, Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325, Dalloz actualité, 18 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers image ; AJDI 2022. 289 image ; ibid. 289 image ; ibid. 291 image ; RTD com. 2022. 134, obs. D. Legeais image ; 5 janv. 2022, quatre arrêts n° 20-16.031, n° 19-24.436, n° 20-18.893 et n° 20-16.350, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 4 image ; ibid. 1828, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati image). Ces arrêts avaient agité tant la doctrine que la pratique, car ils révélaient une certaine différence d’appréhension de la question entre les différentes chambres de la Cour de cassation. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette lignée avec deux éléments majeurs qu’il faut remarquer : d’une part, l’avis de la première avocate générale, Mme Guéguen, est disponible en libre accès sur le site internet de la Cour de cassation ce qui est particulièrement rare depuis ces dernières années. D’autre part, l’arrêt que nous allons analyser est destiné aux très sélectives Lettres de chambre. Il constitue donc un pas assurément important dans la quête d’un point de départ unifié de la prescription sur la question de la responsabilité pour défaut de mise en garde. Les faits sont classiques en la matière : par acte notarié du 13 novembre 2008, une banque consent à plusieurs emprunteurs solidaires un prêt personnel dit « dirigeants » pour un montant de 200 000 €, remboursable au 31 octobre 2010 afin d’être apporté en compte courant d’associé à une société elle-même détenue par plusieurs autres sociétés. Un avenant du 19 décembre suivant prévoit que le prêt est garanti par une hypothèque conventionnelle sur un des biens immeubles appartenant à l’un des emprunteurs solidaires. La société qui a fait l’objet de l’apport en compte courant, et qui avait pris en charge le prêt litigieux, est mise en redressement puis en liquidation judiciaires si bien que le 29 juin 2011 la banque notifie la déchéance du terme du prêt et poursuit en exécution forcée le paiement sur l’immeuble hypothéqué. Les 12 et 14 février 2014, le garant hypothécaire également coemprunteur assigne notamment l’établissement bancaire prêteur de deniers pour défaut à son...

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Loi sur les mauvais locataires : le Sénat module les ardeurs des députés

La proposition de loi Kasbarian avait été adoptée à l’Assemblée après un parcours très rapide (v. Dalloz actualité, 6 déc. 2022, art. P. Januel). Si le Sénat a accepté de nombreuses dispositions, il a été plus à l’écoute des alertes émises par les associations et la Défenseure des droits. Le ministre a précisé que « le travail se poursuivra en deuxième lecture ».

Dispositions pénales contre les squatteurs

Le Sénat a souhaité mieux distinguer les cas entre squatteurs et mauvais locataires. Ainsi, l’article 1er A qui pénalise le squattage a été réécrit pour punir « l’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage économique à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet », de trois ans de prison et 45 000 € d’amende. Concernant la notion de local « à usage économique », le gouvernement était favorable à limiter la pénalisation au squattage d’un local « commercial, agricole ou professionnel exploité », mais il a été battu.

Surtout, les sénateurs ont supprimé la peine de six mois de prison envisagée pour le très contesté nouveau délit « de maintien sans droit...

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Panorama rapide de l’actualité « Santé » des semaines des 16 et 23 janvier 2023

par Orianne Merger, Rédactrice en chef et Karima Haroun, rédactrice spécialisée, Dictionnaire permanent Santé, Bioéthique, Biotechnologies, Éditions législativesle 3 février 2023

Retrouvez toute l’actualité du droit de la santé, dans le Dictionnaire permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, Éditions Législatives.

 

Produits de santé

Statut juridique des traitements symptomatiques du rhume

• Lorsque le mode d’action principal d’un produit n’est pas scientifiquement constaté, ce produit ne peut répondre ni à la définition du dispositif médical, ni à celle du médicament par fonction. Il appartient toutefois aux juridictions nationales de vérifier si le produit peut être regardé comme un médicament par présentation, étant précisé que la règle, selon laquelle en cas de doute sur la qualification des produits le statut juridique du médicament s’impose, trouve non seulement à s’appliquer aux produits...

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Violences intrafamiliales : l’Assemblée s’entend sur deux propositions de loi

Depuis quelques années, le sujet des violences intrafamiliales est régulièrement à l’ordre du jour parlementaire. Ainsi, après plusieurs modifications de l’ordonnance de protection, l’Assemblée a adopté en décembre une proposition de loi sur les juridictions des violences intrafamiliales, puis, mi-janvier un texte créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales. À l’initiative du groupe socialiste, deux propositions de loi distinctes ont été adoptées mercredi matin par la commission des lois, à l’unanimité.

Retrait de l’autorité parentale ou de son exercice

La première proposition de loi porte sur les cas où l’autorité parentale doit être retirée ou suspendue. Son idée sous-jacente est qu’un « parent violent ne peut être un bon parent ». Le texte déposé par la députée Isabelle Santiago et le groupe socialiste a été retravaillé avec le gouvernement. Des amendements de compromis, portés par la rapporteure et les groupes Renaissance, Horizons et...

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Des contours de la nullité pour méconnaissance de prescriptions légales

Les dispositions du code monétaire et financier prévoient ce que l’on appelle des « intermédiaires en opérations de banque et en service de paiement », ces derniers permettant le rapprochement des parties aux opérations concernées (M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Eréséo, J-P. Kovar, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 90, n° 144). L’arrêt rendu le 25 janvier 2023 permet de régler une difficulté récurrente en pratique : le contrat ne respectant pas les règles issues du code monétaire et financier (à savoir le chapitre IX du titre Ier du livre V dudit code) doit-il être considéré comme nul ? Rappelons les faits afin de comprendre la position exacte du problème. Par lettre de mission du 12 novembre 2013, une société anonyme confie à une société de conseil la recherche d’un financement pour acquérir des parts de copropriété d’un immeuble et l’exécution de travaux de rénovation de ce dernier. La lettre de mission, dans son article 7, indiquait que la société à laquelle était confiée la recherche percevrait une rémunération correspondant à 1 % du montant des financements obtenus par la société anonyme à la signature effective des prêts ainsi trouvés. Voici que l’intermédiaire en opérations de banque mandatée soutient avoir appris en octobre 2014 que la société anonyme avait conclu un contrat de financement, sans l’en informer au préalable. Elle l’assigne donc en paiement de ses honoraires. La société ayant souscrit le prêt argue de la nullité de la lettre de mission car conclue, selon elle, en violation des dispositions du code monétaire et financier. La cour d’appel de Versailles juge la lettre de mission du 12 novembre 2013 valable et rejette les demandes d’annulation de cette lettre. En conséquence, elle estime que la créance d’honoraires est fondée en son principe.

La société anonyme se pourvoit en cassation en reprochant une méconnaissance de l’article L. 519-1, I, du code monétaire et financier. Le pourvoi est rejeté, de manière assez lapidaire, en ces termes : « le seul fait qu’un contrat portant sur la recherche d’un...

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Renvoi après cassation : précisions relatives à la recevabilité des prétentions

Une affaire de Porsche…

C’est une Porsche d’occasion qui est à l’origine de l’arrêt rendu par la première chambre civile le 18 janvier 2023. L’arrêt est d’ailleurs la dernière étape d’une longue procédure, puisqu’il rejette un second pourvoi. Il intéresse les civilistes en ce qu’il statue à propos du choix, appartenant à l’acquéreur, entre action rédhibitoire et action estimatoire en cas de défaut de la chose vendue : l’acheteur victime d’un vice caché a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix (action rédhibitoire) ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix (action estimatoire). La décision concerne aussi le processualiste puisqu’il se prononce sur la recevabilité de prétentions nouvelles devant la cour d’appel de renvoi après cassation d’un premier arrêt d’appel.

L’affaire met aux prises trois personnes que nous appellerons par commodité (et un brin de nostalgie) : Primus, Secondus et Tertius. Primus est le vendeur de la Porsche, Secondus son acheteuse, qui l’échange contre un autre véhicule appartenant à Tertius. Tertius assigne Secondus en résolution de l’échange après avoir appris que le véhicule était économiquement irréparable. Secondus appelle Primus en garantie des vices cachés.

Un jugement confirmé en appel en 2016, prononce la résolution de la « vente » (rigoureusement l’échange, mais le droit applicable est le même, v. C. civ., art. 1707) entre Secondus et Tertius, condamne Secondus à indemniser Tertius et ordonne la restitution du véhicule Porsche à Secondus. Il rejette en revanche la demande en garantie des vices cachés formée contre Primus.

Secondus forme un (premier) pourvoi. La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt d’appel (pour défaut de motifs) en ce qu’il a rejeté cette demande en garantie des vices cachés et renvoie devant la même cour d’appel autrement composée (Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 16-17.675 NP).

Devant cette cour de renvoi, Secondus sollicite une réduction du prix de vente du véhicule Porsche. Primus oppose des fins de non-recevoir tendant à voir déclarer irrecevable cette demande. Mais la cour d’appel ne le suit pas et le condamne à payer à Secondus une somme à titre de restitution d’une partie du prix de vente du véhicule.

Primus forme le second pourvoi dans l’affaire : il présente trois moyens et invoque la violation de plusieurs textes par la cour d’appel, à savoir les articles 564, 565 et 633 du code de procédure civile (premier moyen), 623, 624, 625 et 631 du même code (les deux branches du deuxième moyen) et 1648 du code civil (les deux branches du troisième moyen) :

le pourvoi rappelle d’abord que les demandes nouvelles formulées en appel sont irrecevables, sauf si elles tendent aux mêmes fins que celles de première instance. Or, selon le premier moyen, l’action en garantie dirigée par le défendeur à une action en vice caché, contre son propre vendeur n’a pas le même objet que l’action estimatoire qu’il peut intenter directement contre ce dernier ;
  selon le second moyen, la cassation a pour seul effet de saisir la juridiction de renvoi, sous réserve d’une déclaration de saisine, du chef ayant donné lieu à censure : il est dès lors exclu qu’une partie abandonne la demande, devant la juridiction de renvoi, pour former une demande distincte de celle soumise aux premiers juges ayant donné lieu à cassation (première branche) ; si une partie formule une demande nouvelle recevable, elle ne peut que s’ajouter à la demande formulée devant la cour d’appel et qui été le siège de la cassation (deuxième branche) ;
  la demande en réduction de prix fondée sur l’action estimatoire était prescrite (première branche), l’assignation en garantie ne pouvait interrompre le délai de prescription s’agissant de l’action estimatoire (deuxième branche).

La Cour de cassation, réunissant les trois moyens, rejette le pourvoi.

« 10. En premier lieu, dès lors qu’il résulte de l’article 1644 du code civil qu’en cas de défaut de la chose vendue, l’acheteur a le choix entre l’action rédhibitoire et l’action estimatoire et peut, après avoir exercé l’une, exercer l’autre tant qu’il n’a pas été statué sur sa demande par une décision passée en force de chose jugée, les premier et troisième moyens, qui soutiennent que l’action estimatoire intentée par Mme [L] en appel, substituée à sa demande en garantie de la condamnation ayant accueilli l’action rédhibitoire de Mme [X], est une demande nouvelle qui ne tend pas aux mêmes fins et qui est prescrite en l’absence d’interruption de la prescription par l’assignation du 20 mars 2012, sont inopérants.

11. En second lieu, contrairement aux énonciations du deuxième moyen, les dispositions des articles 623 et suivants du code de procédure civile ne soumettent pas, à l’issue de la cassation qui replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la décision cassée, la recevabilité d’une demande nouvelle à d’autres règles que celles qui s’appliquaient devant la juridiction dont la décision a été cassée et n’imposent dès lors pas aux parties de reprendre les demandes formées devant cette juridiction. »

Procédure de renvoi après cassation

La procédure de renvoi après cassation est une procédure d’appel spécifique (v. J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 551 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, Dalloz Référence 2021/2022, 4e éd. 2021, nos 233.00 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel 2021/2022, LexisNexis, 2020, nos 1631 s. ; C. Lhermitte, Procédures d’appel 2020/2021, Dalloz Delmas express, 2020, nos 53.11 s.). Les...

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De l’interruption de la prescription à l’égard du donneur d’aval

Les arrêts permettant de comparer le régime juridique de la caution et de l’aval sont toujours intéressants pour la vie des affaires, quoiqu’ils deviennent de plus en plus rares au fil du temps, du moins ceux publiés au Bulletin. Comme le disent certains auteurs, l’aval est souvent considéré comme une « variante cambiaire » (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 84, n°91) du cautionnement. Pour autant, le régime des deux opérations s’éloigne parfois : il a été jugé, par exemple que l’avaliste n’est ni fondé à invoquer toute disproportion manifeste en vertu des règles du code de la consommation applicables au cautionnement ni à se prévaloir de l’information annuelle issue de l’ancien article L. 313-22 du Code monétaire et financier (sur l’étude de ces jurisprudences, v. M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Eréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 1146 et 1147, n° 2381 sur l’aval d’un billet à ordre). L’arrêt rendu le 25 janvier 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation permet de renouer avec cette thématique qui croise fréquemment celle du droit des entreprises en difficulté, facteur de difficulté supplémentaire pour le pratique. Rappelons-en les faits brièvement. Une banque accorde des crédits de trésorerie à une société. Cette dernière émet au bénéfice de la banque trois billets à ordre : un premier le 31 octobre 2013 d’un montant de 50 000 € à échéance du 30 novembre 2013, le deuxième et le troisième le 30 avril 2014 pour un montant de 25 000 € et de 75 000 € à échéance du 31 mai 2014. Ces billets à ordre ont fait l’objet d’un aval par une personne physique. La société est placée en liquidation judiciaire et la banque déclare sa créance le 18 juin 2014. Elle assigne le donneur d’aval en exécution de ses engagements par exploit extrajudiciaire quelques années plus tard soit le 16 mars 2017. En cause d’appel, les juges du fond déclarent recevable l’action de la banque en paiement du billet à ordre...

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Précisions sur l’action en recouvrement du département contre une succession

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseillele 2 février 2023

Civ. 2e, 26 janv. 2023, F-B, n° 21-18.653

Le droit patrimonial de la famille connaît parfois des croisements originaux avec d’autres matières. Ainsi en est-il de celui avec les dépenses engagées par le département au titre des frais d’hébergement et d’entretien d’une personne handicapée accueillie dans un établissement spécialisé comme un foyer d’accueil médicalisé. Le département a le droit, en pareille situation, de mener une action en recouvrement sur l’actif de la succession du bénéficiaire. Ce recours, dit en récupération et qui est prévu par l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles, se retrouve toutefois sclérosé par l’article L. 344-5, 2°, du même code quand l’héritier de la personne handicapée bénéficiaire de l’aide a assumé la charge effective et constante du de cujus Ces deux articles se retrouvent aujourd’hui au visa de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 26 janvier 2023. La décision commentée permet d’expliciter le cas où le département ne peut pas mener une telle action en recouvrement.

La situation ayant donné lieu au pourvoi est la suivante. Une personne est devenue handicapée à la suite d’un accident de la circulation et a été hébergée dans un foyer d’accueil médicalisé du 1er juillet 2009 jusqu’à son décès le 22 septembre 2014. Le 19 mai 2017, le président du conseil départemental du Nord notifie à la sœur de la personne décédée en sa qualité d’héritière de la bénéficiaire sa décision de récupérer sur la succession la somme de 270 654,47 € au titre de l’aide sociale versée pour la prise en charge de ses frais de séjour et d’hébergement dans le foyer d’accueil....

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Panorama rapide de l’actualité « Civil » de la semaine du 6 février 2023

Article


par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille et Laurent Dargent, Rédacteur en chefle 13 février 2023

Contrats

Exécution d’une convention d’honoraires d’avocat et honoraire de résultat

Il résulte de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 que l’honoraire de résultat prévu par une convention préalable n’est dû par le client que lorsqu’il est mis fin à l’instance par un acte ou une décision de justice irrévocable. Viole ce texte la première présidente qui, pour rejeter la demande en paiement de l’honoraire de résultat, retient qu’une telle demande avait été présentée avant la date de réalisation de l’acte notarié transactionnel irrévocable, alors qu’au jour où elle statuait une transaction irrévocable avait été signée par les parties, à l’issue des opérations de partage. (Civ. 2e, 9 févr. 2023, n° 21-20.036, F-B)

Modes de preuve d’une convention d’honoraires d’avocat

Il résulte de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, que l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. A défaut d’écrit signé par les parties, la preuve de cette convention peut être rapportée conformément aux règles fixées aux articles 1361 et 1362 du code civil. Dès lors viole ces dispositions le premier président qui fait application des dispositions de la convention d’honoraire invoquée par l’avocat, alors que cette convention n’avait pas été signée par la cliente et que le seul règlement partiel des honoraires était insuffisant à suppléer à cet écrit. (Civ. 2e, 9 févr. 2023, n° 21-10.622, FS-B)

Résolution: restitution en valeur et TVA

Il résulte de la combinaison de l’article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article 256 du code général des impôts que la restitution en valeur d’une prestation accomplie sur le fondement d’un contrat résolu doit inclure la taxe à la valeur ajoutée à laquelle cette prestation est assujettie. (Com. 8 févr. 2023, n° 21-16.874, F-B)

Hospitalisation sans consentement

Décision de mainlevée

Saisi sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique aux fins de se prononcer sur le maintien d’une hospitalisation complète, le juge des libertés et de la détention doit examiner le bien-fondé de la mesure au regard des éléments médicaux en présence, sans pouvoir porter une appréciation d’ordre médical. Viole ce texte combiné à l’article L. 3212-1 du même code, le premier président qui après avoir constaté que l’ensemble des éléments médicaux produits justifient la poursuite de la mesure décide toutefois d’en ordonner la mainlevée en raison de la situation de l’intéressée qui a déjà passé de longs mois au sein de la structure d’accueil et qui a été ré-hospitalisée à la suite d’une rechute, en notant qu’une mesure de programme de soins peut être de nature à laisser à l’intéressée la possibilité de poursuivre ses études malgré sa pathologie chronique dont elle semble désormais être consciente à l’audience. En constatant la nécessité d’un maintien de l’hospitalisation complète sans consentement tout en ordonnant la mainlevée pour des motifs impropres, l’ordonnance attaquée a donc méconnu les dispositions précédemment citées. (Civ. 1re, 8 févr. 2023, n° 22-10.852, F-B)

Personnes

Contraception d’urgence : prise en charge des frais

Un décret du 6 février complète les cas dans lesquels la participation des assurés est supprimée pour y ajouter les frais relatifs à la contraception d’urgence ainsi que les frais de transport sanitaire urgent préhospitalier. (Décr. n° 2023-81 du 6 févr. 2023 relatif à la...

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Décision médicale d’arrêt des traitements de survie prodigués à un enfant : un sursis mais pas de QPC

Il est des décisions, quoique rendues avant dire droit, qui résonnent d’une importance particulière et celle rapportée du Conseil d’État, rendue en référé, en est une. Elle n’est toutefois pas la première rendue par la Haute juridiction administrative à propos de l’application du dispositif législatif permettant, sur une décision médicale prise au terme d’une procédure collégiale, d’arrêter les traitements de survie prodigués à un enfant et de conduire à sa mort. Déjà, le Conseil d’État, dans une affaire mettant en cause l’arrêt de tels traitements prodigués à une mineure âgée de quatorze ans avait, par une ordonnance de référé du 5 janvier 2018, admis qu’un enfant mineur et inconscient entrait dans la notion de « personne hors d’état d’exprimer sa volonté » au sens du code de la santé publique et qu’il pouvait donc être l’objet d’une décision médicale de fin de vie malgré l’opposition des parents (CE, réf., 5 janv. 2018, n° 416689, Dalloz actualité, 11 janv. 2018, ob. E. Maupin ; Lebon image ; AJDA 2018. 8 image ; ibid. 578 image, note X. Bioy image ; D. 2018. 71, obs. F. Vialla image ; ibid. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1664, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 2019. 505, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2018. 117, obs. C. Kurek image ; ibid. 68, obs. A. Dionisi-Peyrusse image). L’on comprend le malaise que peut nourrir cette lecture du droit et en tout cas le ressenti des parents confrontés à une décision médicale conduisant à la mort de leur enfant. L’affaire rapportée en donne une nouvelle illustration d’autant plus sensible que la fillette concernée n’avait même pas deux ans au moment des faits tragiques ayant conduit à sa situation médicale.

En l’espèce, une fillette, née le 2 mars 2021, est victime le 31 juillet 2022 d’un accident dans une piscine entraînant un arrêt cardio-respiratoire de longue durée. Réanimée, elle est transférée, en état de coma, dans un centre hospitalier marseillais puis intubée et ventilée. Des examens neurologiques révèlent un ralentissement diffus et persistant de l’activité cérébrale ainsi que des lésions graves et irréversibles. Le 9 août 2022, confrontée à l’évolution défavorable de l’état général de la petite fille, l’équipe médicale conclut à une décision de soins palliatifs en vue d’une future décision d’arrêt des thérapeutiques actives. Les parents de l’enfant font part de leur opposition. La fillette est alors transférée dans une unité de réanimation néonatale et pédiatrique d’un hôpital de l’AP-HP pour une poursuite des soins et un rapprochement du domicile des parents. Le 22 août 2022, une extubation de la fillette est opérée mais elle entraîne une aggravation rapide de son état de santé, avec des détresses respiratoires et un arrêt cardio-vasculaire hypoxique. L’équipe médicale décide alors, en collégialité, de ne pas procéder à une réintubation jugée déraisonnable au vu des lésions cérébrales significatives et irréversibles ainsi que des risques accrus de séquelles neurologiques importantes et des douleurs et inconforts attendus. Les parents s’opposent à une telle décision et demandent la poursuite des thérapeutiques actives. Finalement, une réintubation est effectuée mais l’équipe médicale, sur la base d’examens complémentaires et de ses observations cliniques, décide, au terme d’une procédure collégiale du 15 septembre 2022, l’arrêt des thérapeutiques actives et l’orientation vers une prise en charge palliative. Les parents de la petite fille sont informés de cette décision annoncée comme devant être effective le 27 septembre 2022.

Saisi par ces derniers, le juge des référés du tribunal administratif de Paris décide, par une ordonnance avant dire droit du 23 septembre 2022, de suspendre l’exécution de la décision du 15 septembre 2022 dans l’attente des résultats d’une expertise ayant pour mission de décrire l’état clinique de l’enfant. L’expertise est confiée à deux médecins disposant des compétences appropriées dont l’un toutefois se trouve déchargé de sa mission à la demande des parents. Puis, au vu du rapport d’expertise rendu par le praticien restant mais à l’encontre d’un rapport de contre-expertise réalisé à la demande des parents par un autre médecin, le juge de référés du tribunal administratif de Paris décide, par une ordonnance du 29 novembre 2022, de rejeter la requête des parents, ouvrant ainsi la voie à l’exécution de la décision médicale contestée.

C’est sur l’appel interjeté contre cette ordonnance que le Conseil d’État se prononce dans la décision rapportée : les parents de la fillette lui demandant en substance d’annuler l’ordonnance du premier juge, la décision médicale du 15 septembre 2022 et, titre subsidiaire, de subordonner sa mise en œuvre à leur accord. Par un mémoire distinct, ils demandent également à ce que soit transmise au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) tirée de ce que les dispositions des articles L. 1110-5-1, alinéa 1er, L. 1110-5-2, alinéa 4, et L. 1111-4, alinéa 6, du code de la santé publique, et en particulier la phrase « personne hors d’état d’exprimer sa volonté », telles qu’interprétées par le Conseil d’État comme pouvant concerner l’enfant mineur, méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit.

Ce dernier chef de demande est écarté par le Conseil d’État qui se prononce ensuite sur les autres demandes des parents.

Pas de renvoi de QPC pour juger du pouvoir donné au médecin d’arrêter des traitements de survie prodigués à un enfant

Ce n’est pas la première fois que le Conseil d’État se prononce sur l’arrêt des traitements de survie prodigués à un enfant mineur et inconscient pour admettre que la notion de « personne hors d’état d’exprimer sa volonté » englobe l’enfant dans son champ d’application. Il l’avait déjà fait en 2018 (CE 5 janv. 2018, préc.). Il s’était alors retranché derrière la décision du Conseil constitutionnel du 2 juin 2017 qui a considéré conformes à la Constitution les dispositions législatives autorisant, au terme d’une procédure collégiale, l’arrêt des traitements, notamment la nutrition et l’hydratation artificielles, d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté (Cons. const., déc., 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC, Dalloz actualité, 9 juin 2017, obs. M-C. de Montecler ; AJDA 2017. 1143 image ; ibid. 1908 image, note X. Bioy image ; D. 2017. 1194, obs. F. Vialla image ; ibid. 1307, point de vue A. Batteur image ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1344, obs. E. Debaets et N. Jacquinot image ; AJ fam. 2017. 379, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RDSS 2017. 1035, note D. Thouvenin image ; Constitutions 2017. 342, Décision image). Le Conseil d’État avait également estimé, en 2018, que les règles applicables en la cause n’étaient pas incompatibles avec les stipulations de l’article 6, § 2, de la Convention européenne d’Oviedo du 4 avril 1997 prévoyant que lorsqu’un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, « celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi ». Le Conseil d’État avait également considéré que les prescriptions réglementaires du code de la santé publique ne méconnaissaient pas davantage les dispositions de l’article 371-1 du code civil relatives à l’autorité parentale.

Dans l’ordonnance rapportée du 12 janvier 2023, l’on retrouve sous la plume du Conseil d’État, après le rappel des dispositions législatives et réglementaires contestées en la cause, une motivation analogue pour rejeter la requête des parents en renvoi de QPC au Conseil...

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Mention « sexe neutre » : la CEDH se prononce, que faut-il retenir ?

L’affaire Y. c/ France fait partie de ces affaires qui sont remarquées avant même l’arrêt de la Cour : dès la communication de la requête, il était évident que la position des juges européens – quelle qu’elle fût – allait être largement commentée, et sans doute critiquée.

En effet, les juges européens étaient saisis par une personne biologiquement intersexuée qui alléguait la violation de l’article 8 de la Convention en raison du refus des juridictions internes d’autoriser la mention « sexe neutre ou « intersexe » sur son acte de naissance en lieu et place de la mention « sexe masculin ».

Une obligation négative ou positive ?

Avant toute chose, les juges européens devaient cadrer leur analyse. En effet, la question qui leur était adressée soulevait une interrogation relative à la nature de l’obligation de l’État : le problème concerne-t-il une obligation négative ou une obligation positive ? Autrement dit, la difficulté mise au jour par le requérant concerne-t-elle une ingérence de l’État dans la vie privée du requérant – l’inscription d’office d’une mention relative au sexe – ou bien la nécessité pour l’État de mettre en œuvre le droit à la vie privée du requérant – l’absence d’une catégorie « sexe neutre » ? Bien qu’elle puisse paraître technique, la distinction emporte des conséquences pratiques essentielles : dans le cas d’une...

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Portée de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel fixant le jour auquel l’affaire doit être appelée par priorité

La partie qui, en appel, bénéficie de la procédure à jour fixe est-elle tenue de solliciter une nouvelle autorisation afin d’assigner une personne qui n’est pas mentionnée dans l’ordonnance du premier président ?

C’est à cette question qu’a répondu la première chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, rendu le 18 janvier 2023.

Alors qu’un jugement avait prononcé la liquidation d’une société et désigné un liquidateur, son gérant et la société en interjetèrent appel et, conformément aux prescriptions de l’article 917 du code de procédure civile, s’adressèrent au premier président de la cour d’appel afin que soit fixé prioritairement le jour où serait examinée l’affaire. Si l’ordonnance n’avait pas autorisé à assigner le liquidateur, les appelants, sans se formaliser outre mesure, lui firent également délivrer une assignation. Les intimés ne l’entendirent pas ainsi et la cour d’appel de renvoi, qui s’est visiblement trouvée embarrassée face à cette situation, estima finalement que la mise en cause était régulière dans la mesure où le liquidateur avait régulièrement été cité devant elle : l’argumentation n’était pas très convaincante car, devant la cour d’appel saisie sur renvoi, c’est la même instance qui se poursuit. C’est bien ce qui fut avancé devant la Cour de cassation saisie d’un nouveau pourvoi. La Cour de cassation a cependant rejeté le pourvoi : elle a en effet énoncé qu’aucune disposition ne fait obstacle à ce que la partie qui a obtenu le bénéfice de la procédure à jour fixe assigne sans nouvelle autorisation une personne qui n’est pas mentionnée dans l’ordonnance du premier président.

Pour apprécier les mérites de cette solution, il convient de déterminer la portée de l’acte du premier président...

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La sanction de la méconnaissance du délai laissé au juge pour statuer sur des demandes

Lorsqu’un juge rend son jugement au-delà du délai de vingt jours qui lui est imparti par les dispositions relatives aux recours applicables aux contrats de la commande publique, sa décision est-elle susceptible d’être déclarée nulle ?

Telle était la question posée à la chambre commerciale de la Cour de cassation et à laquelle cette dernière a répondu dans l’arrêt commenté.

En l’espèce, a été publié au Journal officiel de l’Union européenne un appel d’offres portant sur un accord-cadre relatif à diverses prestations et une société a déposé une offre portant sur plusieurs lots. Un litige étant apparu au sujet de l’attribution de l’appel, la société dépositaire de l’offre a, le 4 décembre 2020, saisi le tribunal judiciaire. Le 30 décembre 2020, le tribunal judiciaire a rejeté l’ensemble de ses demandes et la société a donc formé un pourvoi en cassation. Outre un moyen relatif au déroulement de la procédure d’appel d’offres, elle prétendait que le jugement du tribunal judiciaire devait être annulé dès lors que celui-ci n’avait pas statué dans un délai de vingt jours, conformément aux dispositions de l’article 1441-2 du code de procédure civile.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi : observant que le délai de vingt jours, dont dispose le président du tribunal judiciaire pour statuer sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, n’est pas prescrit à peine de nullité, elle en a déduit que l’inobservation de ce délai ne peut pas donner lieu à cassation.

La solution rendue par la Cour de cassation s’appuie sur un constat incontestable : l’article 1441-2 du code de procédure civile n’exige pas à peine de nullité que le juge statue sur les demandes dont il est saisi dans le délai de vingt jours. Mais il n’est pas certain que ce constat suffise,...

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Licéité des pactes d’actionnaires conclus pour la durée de vie de la société

Une affaire à la procédure embrouillée débouche sur un arrêt de cassation qui contribue à poser de très utiles questions sur les pactes d’actionnaires.

La Socrim était une SAS de famille, dont le fondateur avait fait donation de l’essentiel des titres à ses cinq enfants, avec réserve d’usufruit. Un pacte entre les actionnaires avait été établi en 2010, pour déterminer la bonne marche de l’entreprise et en organiser les destinées au décès du fondateur, afin qu’elle demeure une société de famille. Pris de désirs d’indépendance, l’un des enfants s’était lancé dans des activités indépendantes en utilisant le nom de Socrim, sans autorisation. Y voyant une trahison du pacte, les membres de la famille décidèrent de le résilier unilatéralement – anéantissement contesté devant les tribunaux, qui aboutit à la présente décision.

L’arrêt commence par rejeter la première branche du pourvoi, qui soulevait un problème de pur droit civil. Au fil des demandes, certains membres de la famille avaient demandé la nullité du pacte en raison de la prohibition posée par l’article 722 du code civil : organisant le fonctionnement de la société pour la période suivant le décès du paterfamilias, il s’analysait en un pacte sur succession future, prohibé. Toutefois, la cour d’appel n’avait pas prononcé la nullité, ce dont la Cour de cassation l’approuve en rejetant le pourvoi. Sans jamais s’exprimer sur le caractère du pacte à cet égard, la Cour observe qu’il ressortait de l’examen mené en appel qu’un seul article était relatif à la destinée de biens futurs, article d’ailleurs détachable du reste du contrat. La Cour approuve donc l’arrêt d’appel de ne pas avoir prononcé la nullité totale du pacte, seule à lui être demandée. Par prétérition, elle estime être en présence d’une stipulation prohibée qui n’aurait pu être attaquée que par une demande de nullité partielle, la disposition contestée étant sans emport sur le reste du pacte.

En revanche, la cassation est prononcée sur la deuxième branche du moyen, qui intéresse bien plus directement la présente rubrique. En dépit de ce que l’arrêt est rendu par la première chambre civile, c’est la chambre commerciale qui a délibéré sur ce moyen, pratique en extension plus radicale que le simple recueil de l’avis d’une autre Chambre. La résiliation unilatérale du pacte supposait qu’il fût conclu pour une durée indéterminée. Était-ce le cas ? L’article 10 du pacte prévoyait une conclusion pour la durée de la société, au terme de laquelle le pacte serait renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée ; à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie pourrait dénoncer le pacte en notifiant sa décision au moins six mois à l’avance aux autres parties. Selon l’article 11, le pacte devait lier et bénéficier aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux. Dans ces conditions, la durée du pacte était-elle déterminée, indéterminée ou perpétuelle ? La cour d’appel n’avait pas tranché sur la qualification, se contentant d’estimer que « la première période de ce pacte expirera le 24 janvier 2068, et qu’en respectant ces dispositions, les descendants ne pourront sortir du pacte qu’à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment ». L’arrêt est censuré sur ce point, au visa des articles 1134, alinéa 1, ancien et 1838 du code civil, en observant que « la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin...

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Revirement : pas de réparation du déficit fonctionnel permanent par la rente accident du travail !

Les deux arrêts rendus en Assemblée plénière par la Cour de cassation le 20 janvier 2023 (n° 21-23.947 et n° 20-23.673, D. 2023. 182 image) étaient attendus. C’est peu dire que cette attente n’a pas été déçue. Ils offrent en effet l’occasion à la Cour de cassation de réaliser un important revirement de jurisprudence concernant la nature de la rente accident du travail (AT).

Dans les deux cas, un salarié développe un cancer broncho-pulmonaire à la suite de son exposition à l’amiante dans le cadre de son activité professionnelle. Ses ayant-droits tentent de faire reconnaitre l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.

Dans le premier arrêt (n° 21-23.947, préc.), rendu sur renvoi après cassation, la cour d’appel fixe l’indemnisation des préjudices personnels subis par la victime aux sommes de 50 000 € au titre du préjudice moral et 20 000 € au titre du préjudice physique, aux motifs que « l’indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à […] l’absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n’est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale » (pt 3). L’Agent judiciaire de l’État, dans son pourvoi, rappelle la jurisprudence constante en sens contraire de la Cour de cassation : ne seraient réparables, en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (pt 3). Abandonnant expressément cette solution, la Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme « juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent » (pt 11). Elle invoque, pour justifier un tel revirement, les critiques doctrinales (pt 8), les difficultés probatoires rencontrées devant les juges du fond (pt 9) et la jurisprudence en sens contraire du Conseil d’État (pt 10).

Dans le second arrêt (n° 20-23.673, préc.), la cour d’appel avait, au contraire, scrupuleusement appliqué la solution jusque-là constamment admise par la Cour de cassation, selon laquelle « aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle indemnise d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l’absence de perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent », lequel comprend les souffrances physiques et psychiques (pt 4). Or, en l’espèce, la victime « était retraitée lors de la première constatation de la maladie prise en charge au titre du risque professionnel, de sorte qu’elle n’avait subi aucune perte de gains professionnels ni d’incidence professionnelle » (pt 13). Dès lors, la rente indemniserait inévitablement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent (pt 13).

Dans leur pourvoi en cassation, les ayants droit du salarié appellent à une évolution jurisprudentielle, en se référant expressément à la jurisprudence du Conseil d’État, selon lequel, « eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d’incapacité permanente défini par l’article L. 434-2 du même code, la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité » (pt 4). Ils soutiennent ainsi que la rente AT n’indemnise jamais le déficit fonctionnel permanent (DFP). Dès lors, la Cour de cassation devrait abandonner la solution selon laquelle les souffrances physiques et morales ne sont réparables qu’à la condition de n’être pas déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent par la rente AT. Suivant leur argumentation, la Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel au visa des articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code la sécurité sociale. Elle reprend les mêmes motifs (critiques doctrinales, difficultés probatoires, souci d’harmonisation avec la jurisprudence du Conseil d’État) pour justifier son revirement.

Ce dernier permet une certaine amélioration (pour ne pas dire une amélioration certaine !) de l’indemnisation des victimes en admettant désormais, d’une part, l’indemnisation (dans tous les cas) des souffrances endurées en sus de la rente AT en présence d’une faute inexcusable de l’employeur et, d’autre part, l’absence d’imputation de la rente AT sur le DFP lors du...

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De la charge de la preuve en matière de contrats conclus hors établissement

La thématique des contrats conclus hors établissement est récurrente devant la première chambre civile de la Cour de cassation, notamment en raison du flux du contentieux qui ne tarit pas ces dernières années. Nous avions, à titre d’exemple, commenté il y a quelques semaines dans ces colonnes le rappel toujours bienvenue de l’inutilité du prix unitaire dans le bon de commande lors d’une opération de démarchage à domicile (Civ. 1re, 11 janv. 2023, n° 21-14.032 F-P+B, Dalloz actualité, 23 janv. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 70 image). L’arrêt que nous étudions aujourd’hui rendu le 1er février 2023 intéresse une toute autre question, celle de la charge de la preuve de l’accomplissement, par le professionnel, des obligations légales d’information à sa charge. On sait qu’en matière de droit de la consommation, et plus spécifiquement pour les contrats conclus hors établissement, la loi érige certaines obligations dites précontractuelles afin de protéger le consommateur (v. sur ce point, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 179, n° 136). Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont assez classiques. Rappelons-les brièvement. À la suite d’un démarchage, un couple décide d’acquérir le 17 juillet 2014 une pompe à chaleur et un chauffe-eau thermodynamique lesquels sont financés par un crédit souscrit auprès d’une banque. Les acquéreurs invoquent l’irrégularité du bon de commande ainsi que l’absence de réalisation des économies promises par le vendeur. Les acquéreurs assignent ce dernier et la banque en nullité des contrats souscrits et en indemnisation du préjudice subi. Durant la procédure, le vendeur est placé en liquidation judiciaire. La cour d’appel d’Agen décide de rejeter les demandes formulées par les emprunteurs en précisant qu’il appartenait aux demandeurs à l’action en nullité de produire la copie complète du bon de commande. Dans une telle situation, les juges du fond décident qu’il ne leur était pas possible de vérifier la régularité de l’opération conclue faute de preuves suffisantes produites par les acquéreurs. Ces derniers se pourvoient donc en cassation en reprochant à ce raisonnement de ne pas respecter la lettre de l’ancien article L. 121-17 ancien du code de la consommation (nouv. art. L. 221-5 et L. 221-7 du même code) qui impose de faire peser la charge de la preuve sur le...

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Mesures d’instruction préventives : exclusion de l’appréciation du bien-fondé des prétentions qui pourraient être soumises à une juridiction du fond

Chacun sait que le juge des référés ou des requêtes, saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ne doit ordonner une mesure d’instruction que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Mais, et c’est là le nœud gordien de l’affaire, il faut alors fixer les contours de cette notion de motif légitime.

La Cour de cassation estime, selon une jurisprudence qui peut être qualifiée de constante, qu’il appartient au requérant d’établir l’existence d’un potentiel litige (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-22.619 P ; Soc. 1er juill. 2020, n° 18-24.026, inédit ; Com. 16 oct. 2019, n° 18-11.635, inédit, D. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; Rev. sociétés 2020. 546, note A. Cerati-Gauthier image ; Civ. 2e, 19 mars 2009, n° 08-14.778, inédit ; 5 févr. 2009, n° 08-11.626, inédit ; Civ. 3e, 16 avr. 2008, n° 07-15.486 P, Dalloz actualité, 21 avr. 2008, obs. Y. Rouquet ; Au Palais Gourmand (Sté), D. 2008. 1205, obs. Y. Rouquet image ; AJDI 2008. 843 image, obs. J.-P. Blatter image), ce qu’il ne peut faire en procédant uniquement par déductions et affirmations (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-22.619 P, préc.) ; en somme, il doit fournir des indices permettant d’établir ce potentiel litige. Cela évite que des mesures d’instruction soient ordonnées sur le seul fondement des allégations, non étayées, du requérant. Une borne est ainsi fixée ! Mais il faut alors fixer l’autre et déterminer si le juge peut exiger davantage que cela et s’il peut même aller jusqu’à apprécier le bien-fondé des prétentions que le requérant entend faire valoir au fond.

C’est à cette question, finalement assez classique, qu’a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt commenté.

À la suite du décès de son mari au cours de l’attentat commis au Stade de France, une femme, invoquant la perte de l’assistance que lui apportait son époux en raison des pathologies dont elle souffrait, avait assigné le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions afin que soit ordonnée une expertise confiée à un spécialiste en médecine physique et de réadaptation et que lui soit allouée une provision...

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Les assurances dites [I]unit-linked[/I] à l’épreuve des pratiques commerciales déloyales

La combinaison du droit des clauses abusives avec celui des pratiques commerciales trompeuses est assez récurrente devant la Cour de justice de l’Union européenne. On se rappelle, par exemple, ce renvoi préjudiciel à propos des conventions d’honoraires d’avocats ayant mêlé habilement ces deux thématiques (CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. C. Hélaine). Aujourd’hui, nous retrouvons un arrêt à la confluence de ces matières avec une décision rendue par la Cour de justice le 2 février 2023 et qui répond à quatre questions préjudicielles posées par une juridiction polonaise. L’affaire concerne les très célèbres contrats d’assurance-vie, dits unit-linked, encore appelés contrats collectifs d’assurance-vie à capital variable lié à un fonds de placement.

Les faits commencent très classiquement : une personne adhère pour une période de quinze ans à un contrat collectif dit unit-linked conclu entre une banque et une compagnie d’assurance. Son objet était la collecte et l’investissement de primes d’assurance versées par les assurés à travers un fonds de placement. En contrepartie, l’assureur versait des prestations en cas de décès ou de survie de l’assuré à la fin de la période d’assurance considérée. La banque concernée a formé ses employés pour proposer ce produit et a élaboré du matériel de formation validé par la compagnie d’assurance, sans toutefois participer à la conception du produit. Il faut préciser qu’en cas de résiliation du contrat avant son terme, l’assureur s’engageait à rembourser à l’assuré un certain montant (la valeur actualisée des parts dans le fonds de placement avec soustraction d’une commission dite de liquidation). C’est grâce au concours d’un employé de l’établissement bancaire contractant que l’assuré a, ainsi, pu adhérer. Mais le salarié de l’établissement considéré lui a présenté le produit comme un investissement offrant un capital garanti, du moins selon ses dires. L’offre était fondée sur des conditions générales remises à l’assuré. Voici où le problème commence à poindre : l’assuré se rend compte que la valeur de ses parts dans le fonds de placement est devenue nettement inférieure au montant des primes versées. Il souhaite ainsi résilier son contrat d’assurance par courrier du 4 avril 2017 et demande à l’assureur de lui rembourser les primes considérées. Le 25 avril 2017, la compagnie d’assurance répond par la négative à cette demande par courrier réponse. C’est ainsi que l’année suivante, le 10 janvier 2018, l’assuré introduit une action devant le Sąd Rejonowy dla Warszawy-Woli w Warszawie (le tribunal d’arrondissement de Varsovie – Wola, en Pologne). Devant cette juridiction, l’assuré demande la condamnation de la compagnie d’assurance au montant promis en cas de résiliation. L’assuré estime que sa déclaration d’adhésion serait, en outre, nulle et qu’il s’agirait, en tout état de cause, d’une pratique commerciale déloyale de la compagnie d’assurance qui vendait des produits non adaptés aux besoins du consommateur et fournirait des informations trompeuses. Certaines clauses du contrat seraient, au demeurant, abusives en ce qu’elles ne sont que peu claires et imprécises. La compagnie d’assurance dément toute pratique commerciale déloyale en précisant avoir respecté les obligations d’information pesant sur elle et rejette la faute commise par l’établissement bancaire ayant vendu le produit d’assurance à l’assuré.

Nous l’aurons compris : la...

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Suicide au cours d’une garde à vue : pas de faute lourde imputable à l’État

L’équilibre entre la surveillance par les forces de l’ordre ou l’administration pénitentiaire afin d’éviter les tentatives d’évasion ou de suicide et le respect d’un certain nombre de droits et libertés fondamentales des personnes placées en garde à vue ou en détention n’est pas toujours aisé à trouver. Le 21 septembre 2021, Madame Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a rendu publiques les recommandations relatives aux conditions matérielles de garde à vue dans les services de police qu’elle préconisait et que l’arrêt du 18 janvier 2023 rendu par la première chambre civile invite à consulter.

En l’espèce, un homme placé en garde à vue dans les locaux d’un commissariat s’est suicidé par pendaison, dans la cellule qu’il occupait, à l’aide d’une bande de tissu découpée d’un matelas et nouée par l’intermédiaire de deux trous creusés dans l’un des murs.

Ses ayants droit ont assigné l’État en la personne de l’Agent judiciaire de l’État en réparation des préjudices subis sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

La cour d’appel de Lyon a retenu qu’aucune faute lourde n’était caractérisée et imputable à l’État. Précisément, celle-ci a estimé que les précautions prises par les policiers à l’origine de la garde à vue avaient été suffisantes notamment le retrait du cordon du survêtement de la victime et le visionnage régulier des images de la vidéosurveillance de la cellule. En outre, elle a considéré que la victime ne présentait pas de fragilité particulière et que le mode opératoire pour mettre fin à ses jours était difficilement prévisible, en plus de s’être déroulé dans un court laps de temps.

Les ayants droits du défunt ont formé un pourvoi en cassation reprochant à la cour d’appel d’avoir violé l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH).

Selon le pourvoi, le seul fait de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l’état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue constitue une faute lourde. S’ajoute à cela la défaillance d’un système de vidéo-surveillance qui transmet une image floue de l’intérieur de la cellule.

Le pourvoi reproche également à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme il lui était demandé, si la présence d’angles morts n’empêchait pas toute surveillance effective du gardé à vue et si le fait, pour le chef de poste de l’après-midi, d’avoir insisté auprès de l’adjoint de sécurité sur une vigilance accrue concernant le défunt en raison de l’incident du matin relatif au cordon de son survêtement, ne révélait pas la particulière vulnérabilité de ce dernier.

La cour d’appel aurait par ailleurs méconnu l’article 2 de la Conv. EDH en écartant l’existence d’une faute lourde alors que même s’il n’est pas établi que les forces de l’ordre avaient ou auraient dû avoir connaissance du risque réel et immédiat que le défunt, considéré en situation de vulnérabilité, mette fin à ses jours, celles-ci n’ont pas pris les mesures préventives nécessaires pour l’éviter et le prévenir.

La première chambre civile était donc invitée à s’interroger sur l’existence d’une faute lourde imputable à l’État dans le cadre de sa mission de service public de la justice et sur le respect du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Conv. EDH.

Elle a rejeté le pourvoi considérant que la responsabilité de l’état ne pouvait pas être engagée à défaut de faute lourde caractérisée et que le respect au droit à la vie n’avait pas été méconnu.

La responsabilité de l’État pour service de la justice défectueux

La responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service de la justice est prévue par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire qui dispose que « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

Depuis l’arrêt de l’Assemblée plénière du 23 février 2001, la faute lourde répond à une définition objective. Il s’agit de « toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » (Cass., ass. plén., 23 févr. 2001, n° 99-16.165 P, AJDA 2001. 788 image, note S. Petit image ; D. 2001. 1752, et les obs. image, note C. Debbasch image).

Pour engager la responsabilité de l’État, il revient donc à la victime ou à ses héritiers de démontrer l’existence d’une faute qualifiée.

Le contrôle opéré par la Cour de cassation sur la motivation des juges du fond en...

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Rappel de la possibilité pour les proches de la victime directe d’un attentat d’être indemnisés de leur préjudice d’affection

La réparation des dommages corporels des victimes d’actes de terrorisme s’inscrit dans le mouvement de « déclin de la responsabilité individuelle » (G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, LGDJ, 1963) au profit de mécanismes collectifs d’indemnisation. Elle est en effet, depuis la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, assurée par l’intermédiaire d’un fonds de garantie (désormais dénommé FGTI) et financée par une contribution nationale de solidarité prélevée sur les contrats d’assurance de biens (C. assur., art. L. 422-1). La recrudescence des attentats sur le territoire français en 2015 et 2016 a conduit à s’interroger sur l’efficacité (A. Cayol et A. Coviaux, L’influence du terrorisme sur l’indemnisation du dommage corporel, Gaz. Pal. 29 mai 2018, n° 19, p. 38) et la pérennité du système mis en place (R. Bigot et A. Cayol, L’influence du terrorisme sur le droit des assurances, RGDA déc. 2019, p. 6). Le FGTI a pu sembler chercher à limiter l’augmentation des coûts, notamment en retenant une conception restrictive des victimes susceptibles de demander indemnisation en cas d’attentat. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 19 janvier 2023, bien que fondé sur la violation d’une règle de procédure civile, offre l’occasion à la Cour de cassation de rappeler que les proches de la victime directe d’un attentat peuvent obtenir indemnisation de leurs préjudices en qualité de victimes par ricochet.

En l’espèce, une salariée de Charlie Hebdo travaillait à son domicile lorsqu’elle apprend qu’un attentat a eu lieu. Son mari se trouvant...

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Rappel partiel des règles de computation des délais de prescription en matière d’action en comblement de l’insuffisance d’actif

On sait que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, formée contre le dirigeant d’une personne morale, se prescrit au terme d’un délai de trois ans, courant à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire de cette dernière (C. com., art. L. 651-2). Il s’agit d’un délai de prescription et non d’un délai de procédure, ce dont la Cour de cassation déduit par exemple la mise à l’écart de l’article 642 du code de procédure civile, prévoyant la prorogation du délai qui expirerait un samedi, un dimanche, un jour férié ou chômé au premier jour ouvrable suivant (Com. 10 janv. 2006, n° 04-10.482 P, D. 2006. 301 image, obs. A. Lienhard image ; ibid. 2250, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre image ; Pan. 2256, obs. Lucas ; JCP E 2006. Chron. 1569, n° 15, obs. Pétel ; ibid. 1625, note Legros ; Act. proc. coll. 2006. Comm. 31, obs. Le Bars ; Gaz. proc. coll. 2006/2, p. 52, obs. Montéran ; Defrénois 2006. 934, chron. 38407, n° 4, note Gibirila ; Lexbase n° N4683AKN, note P.-M. Le Corre).

Toute difficulté n’est cependant pas éludée, ce dont témoigne l’arrêt sous commentaire. Les faits de l’espèce sont extrêmement simples, le problème étant ici celui de la computation du délai de prescription de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Une personne morale avait été placée en liquidation judiciaire le 7 janvier 2016. L’assignation du dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actif, délivrée à l’initiative du liquidateur le 7 janvier 2019 à 15h37 était-elle recevable ? Une cour d’appel avait estimé que non, retenant la spécificité de la prescription de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, et considérant que le délai avait expiré le 6 janvier 2019 à 24h. L’arrêt est censuré par la chambre commerciale de la Cour de cassation au triple visa des articles L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce, 2228 et 2229 du code civil. Rappelant la teneur de ces textes – le deuxième précisant que...

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Restitution en valeur : inclusion de la TVA à laquelle la prestation est assujettie

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseillele 20 février 2023

Com. 8 févr. 2023, F-B, n° 21-16.874

Décidément, les conséquences de la résolution sont à l’honneur depuis le début de l’année 2023. On se rappelle qu’il y a quelques semaines, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu l’une des premières solutions publiées au Bulletin appliquant les nouveaux textes issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 sur les conséquences de la résolution dans une affaire sur fond de covid-19 et de force majeure (Com. 18 janv. 2023, n° 21-16.812 F-B, Dalloz actualité, 24 janv. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 118 image). C’est toutefois sur la trame du droit ancien que l’arrêt commenté est rendu. Il concerne une problématique intéressante concernant la restitution de l’imposition liée à la prestation concernée par ladite restitution. Repositionnons les faits pour mieux comprendre l’enjeu de la question. Le 28 octobre 2010, une célèbre société d’ascensoriste a conclu avec une société gérant des centres d’appel un contrat portant sur la prise en charge des appels dédiés aux cas de dysfonctionnement ou de pannes des ascenseurs installés. La société ascensoriste remarque toutefois des problèmes de facturation en ciblant particulièrement un écart significatif entre les appels traités et ceux facturés par son partenaire économique. Elle décide de cesser de régler le centre d’appel à partir du mois de mai 2013 si bien que ce dernier l’assigne en paiement des sommes dues. En cause d’appel, le contrat du 28 octobre 2010 est résolu aux torts de la société gérant le centre d’appel. Les juges du fond condamnent cette dernière à verser à...

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Hospitalisation sous contrainte : le juge ne peut porter aucune appréciation d’ordre médical

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseillele 17 février 2023

Civ. 1re, 8 févr. 2023, F-B, n° 22-10.852

La Cour de cassation continue de préciser les contours des textes du code de la santé publique en matière d’hospitalisation sans consentement. Après avoir statué sur une question relativement rare concernant l’avis de la commission départementale des soins psychiatriques (Civ. 1re, 18 janv. 2023, n° 21-21.370 F-B, Dalloz actualité, 26 janv. 2023, obs. C. Hélaine), la première chambre civile rend un nouvel arrêt promis cette fois-ci aux sélectives Lettres de chambre sur la thématique de l’appréciation des certificats médicaux dans le cadre de l’application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique et donc, ce faisant, quand le juge des libertés et de la détention est saisi du maintien de l’hospitalisation complète sans consentement d’un patient. Les faits ayant donné lieu au pourvoi n’étonneront guère : une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement le 15 janvier 2021 et, plus précisément, en hospitalisation complète par décision d’un directeur d’établissement et à la demande du père de l’intéressée sur le fondement de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique. Peu de temps plus tard, la personne est admise en programme de soins. Le 2 novembre 2021, le directeur d’établissement a pris une décision de réadmission en hospitalisation complète à la suite de la chute de la patiente et eu égard aux certificats médicaux en présence. Le 4 novembre 2021, le directeur d’établissement saisit le juge des libertés et de la détention pour prolonger la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du même code. En cause d’appel, il est décidé de la mainlevée de l’hospitalisation complète par rapport à la situation de l’intéressée qui – selon l’ordonnance attaquée – avait passé de longs mois au sein de l’hôpital. L’ordonnance indiquait qu’un traitement sous la forme d’un programme de soins pouvait laisser la...

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Se défendre en justice : un art difficile…

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 2 février 2023 conduit à revenir sur la notion de défense au fond… pour l’écarter. Il atteste, une fois de plus, que cette notion, pour être fondamentale et des plus classiques, est en réalité difficile à cerner, alors que les enjeux sont importants : le plaideur qui a présenté une défense au fond n’est plus in limine litis…

Les faits sont assez complexes – ce dont atteste l’arrêt de la cour d’appel de Versailles en date du 18 février 2021 (n° 20/04243), dont la lecture s’impose.

Une société confie au chantier naval belge Meuse et Sambre des travaux à effectuer sur une coque de bateau, notamment l’installation d’un moteur de marque Cummins.

Des avaries sont constatées sur ce moteur. Une expertise est ordonnée en référé, à la suite de laquelle le client assigne la société Cummins France et son assureur, en paiement de diverses sommes sur le fondement de la garantie des vices cachés devant le tribunal de commerce de Nanterre. Par la suite Cummins assigne en garantie la société de droit autrichien Robert Bosch, fabricant des injecteurs du moteur, devant le même tribunal de commerce ; par conclusions, la société Cummins sollicite la jonction avec l’instance principale introduite par la victime des avaries.

La société Robert Bosch notifie des conclusions en réponse, où elle se « positionne sur la demande de jonction » : elle émet en effet une « protestation […] à l’égard de sa mise en cause, du fait d’une éventuelle inopposabilité de l’expertise ».

Le tribunal de commerce de Nanterre rejette la demande de jonction.

La société Robert Bosch dépose alors à l’audience des conclusions d’exception d’incompétence : elle demande que soit constatée l’absence d’un lien de rattachement avec le tribunal de commerce de Nanterre à raison de l’absence de jonction entre la procédure principale et la procédure qui l’oppose à Cummins.

Le tribunal de commerce de Nanterre dit l’exception d’incompétence irrecevable et se déclare compétent.

La société Robert Bosch interjette appel devant la cour d’appel de Versailles. Celle-ci déclare également l’exception d’incompétence irrecevable : elle considère en effet que « la protestation de la société Bosch à l’égard de sa mise en cause, du fait d’une éventuelle inopposabilité de l’expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins tendant à sa garantie » et en déduit que l’exception de procédure, qui n’avait pas été soulevée in limine litis, était irrecevable.

La société Robert Bosch se pourvoit en cassation pour violation, par la cour d’appel, l’article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 71 et 368 du même code : l’opposition de la société Bosch à la demande de jonction d’instances ne constituait pas une défense au fond de nature à rendre irrecevable une exception de procédure soulevée ensuite.

La deuxième chambre civile casse l’arrêt d’appel pour violation des articles 74 et 71 du code de procédure civile, dont elle rappelle la teneur : « il résulte du premier de ces textes que les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Selon le second, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire ».

Or, « la société Bosch ne demandait pas que l’expertise lui soit déclarée inopposable et s’était bornée à défendre à la demande de jonction de l’instance en garantie la concernant à celle sur le fondement des vices cachés intentée contre la société Cummins France, sans faire valoir de défense sur le fond du droit ».

Code de procédure civile, article 74

Chacun des « protagonistes » a invoqué l’article 74 du code de procédure civile, qui pose un principe consistant à concentrer le contentieux des exceptions de procédure au début de l’instance ; cela permet d’éviter l’apparition tardive de débats procéduraux annexes. Plus précisément, le texte contient une règle de principe applicable aux exceptions d’incompétence, de litispendance et de nullité pour vice de forme. Elles ne jouent pas pour les autres exceptions de procédure :...

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Sanctions européennes contre la Russie : les recours contre les mesures individuelles se multiplient

Si une trentaine de pays ont déjà fait l’objet de sanctions de la part du Conseil de l’Union, l’ampleur des mesures restrictives prises à l’encontre de la Fédération de Russie depuis fin février 2022 est sans précédent. Et un 10e paquet de sanctions est prévu d’ici le 24 février 2023. Le panel des sanctions européennes visant la Russie, dont les premières datent de 2014, comprend des mesures restrictives sectorielles visant les échanges dans plusieurs secteurs dont la finance, l’énergie, les transports, la technologie ou la défense, des mesures concernant la coopération économique, les relations diplomatiques, l’octroi des visas, la diffusion par des médias soutenus par le gouvernement russe… Il inclut également des mesures restrictives individuelles de gel des avoirs et d’interdiction de fournir des fonds à des personnes physiques et morales, très souvent assorties d’une interdiction de voyager sur le territoire européen pour les personnes physiques. Fin 2022, après l’adoption du 9e paquet de sanctions contre la Russie, cette liste noire comptait 1 386 personnes physiques et 171 entités.

La demande de réexamen de la sanction par le Conseil de l’UE

De nature provisoire et reconductibles tous les six ou douze mois, ces sanctions individuelles de gel des avoirs et des ressources économiques sont souvent prorogées pendant plusieurs années. Elles peuvent faire l’objet de deux types de recours au niveau européen. Une personne sous sanction peut faire une demande de réexamen de la mesure restrictive dont elle fait l’objet par le Conseil de l’UE. « C’est une faculté accordée par le Conseil, sans véritablement de forme imposée », explique Thierry Bontinck, avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris, associé du cabinet Daldewolf et spécialisé en droit de l’UE. La personne sous sanction peut alors déposer des éléments pour justifier la demande de réexamen. « C’est une procédure précontentieuse, qui n’est pas du tout obligatoire avant de saisir le Tribunal de l’UE. Les chances de succès sont très limitées, excepté si le Conseil se rend compte qu’il s’est trompé de personne, par exemple. Mais je la recommande toujours à mes clients parce que le Conseil va devoir prendre en compte ces...

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Garantie des vices cachés : les réparations du tiers, même intéressé, ne libèrent pas le vendeur

Dans cette affaire, était reçu, le 9 mars 2016, un acte authentique portant vente d’un appartement situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, le prix convenu avoisinait la somme de 400 000 €.

Possession prise du bien, l’acquéreur prévoyait de le rénover et c’est à cette occasion qu’a été constatée la présence d’insectes xylophages dont la voracité aura considérablement fragilisé certains planchers de l’appartement.

L’immeuble a d’ailleurs été frappé d’un arrêté de péril pris par l’autorité préfectorale.

Ces conditions ont amené l’acquéreur, s’estimant lésé de ne pouvoir jouir pleinement de la chose qu’il considérait impropre à l’usage prévu, à saisir le tribunal d’une demande de restitution partielle du prix de vente, à concurrence de 130 000 €, et de prétentions indemnitaires (perte de jouissance, frais exposés, remboursement d’appels de charges…) s’élevant globalement à environ 65 000 €.

Ainsi assigné, le vendeur n’a pas manqué d’appeler en garantie le syndic qu’il tenait responsable desdits désordres.

Plutôt favorable à l’acquéreur, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 30 octobre 2019 a reconnu l’existence du vice caché et le droit de l’acheteur d’obtenir une restitution partielle du prix dont le montant serait fixé ultérieurement, un expert ayant été désigné à cet effet.

La décision réservait également bon accueil aux prétentions indemnitaires, pour une somme d’environ 30 000 €, tout en précisant que le syndicat des copropriétaires serait tenu de garantir le vendeur « de toutes les condamnations prononcées contre lui ».

Sans doute rassuré par cette précision, le vendeur n’interjettera appel du jugement qu’en ce qu’il a ouvert la voie à une restitution partielle du prix. Le syndic s’y joindra en formant un appel incident revêtant une importance mineure.

En appel, les condamnations prononcées sur le volet indemnitaires ont été maintenues mais la Cour a infirmé le jugement sur la question de la restitution partielle du prix, annulant la reconnaissance de ce droit et l’expertise ordonnée pour en quantifier l’étendue (Paris, pôle 4 - ch. 1, 15...

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Conversion d’un redressement en liquidation : pas de convocation du débiteur par le greffe lorsque la demande émane d’une requête du mandataire judiciaire

La contradiction, fondée sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 16 du code de procédure civile, s’impose en toutes circonstances au tribunal qui doit veiller à la faire respecter et à la respecter lui-même.

La liquidation judiciaire peut être prononcée par le tribunal à tout moment de la période d’observation, si le redressement est manifestement impossible à la demande du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, d’un contrôleur, du ministère public ou d’office. Le tribunal statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, l’administrateur, le mandataire judiciaire, les contrôleurs et la ou les personnes désignées par le Comité social et économique (CSE), et avoir recueilli l’avis du ministère public.

Sur le plan procédural, les articles R. 631-3, R. 631-4 et R. 631-24 du code de commerce distinguent selon que l’initiative de la saisine aux fins de conversion relève du ministère public ou du pouvoir d’office du tribunal, ou qu’elle émane de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire ou d’un contrôleur. Ce formalisme doit être observé sous peine de nullité du jugement prononçant la liquidation judiciaire.

Dans la première hypothèse, le débiteur est convoqué à la diligence du greffier, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à comparaître dans le délai fixé par le tribunal ou le président du tribunal, selon que la saisine relève du tribunal dans l’exercice de son pouvoir d’office ou d’une requête du ministère public. À la convocation est jointe une note dans laquelle sont exposés les faits de nature à motiver l’exercice par le tribunal de son pouvoir d’office ou la requête du ministère public.

Dans la seconde hypothèse, lorsque le tribunal est saisi par requête aux fins de conversion en liquidation judiciaire de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire ou d’un contrôleur, l’obligation de convocation à la diligence du greffier ne s’applique pas.

En l’espèce, une société X… a été placée en redressement judiciaire par jugement du 12 décembre 2019. Les administrateur et mandataire judiciaires respectivement désignés ont déposé chacun les 15 et 18 septembre 2020...

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Qualification de servitude par destination du père de famille et de chemin d’exploitation

« Les hommes se disputent la terre
- Hommes, la terre, à qui est-elle ? »
(Taos Amrouche, Chant berbère, in, Le Grain magique)

Le morcellement des fonds de terre peut faire naître des litiges d’autant plus complexes que les conditions de l’accès matériel aux parcelles n’auront pas été précisées lors de la division. Tel est bien le cas dans cette affaire où une société civile immobilière, la SCI du domaine, avait réalisé plusieurs divisions d’une parcelle lui appartenant et portant le numéro 9 (ou 10 mais cela semble être une erreur matérielle). Par acte du 4 octobre 2002, elle avait d’abord attribué à deux associés retrayants, les consorts D., deux nouvelles parcelles numérotées 4 et 5. Puis, par acte d’échange du 3 septembre 2004, elle avait divisé ce qu’il restait de la parcelle 9 pour en créer deux nouvelles : la numéro 6, attribuée au syndicat des copropriétaires du domaine, et la numéro 7, qu’elle avait conservé quelques temps avant de la céder à une autre société, la SCI Jump.

L’accès aux parcelles 4, 5 et 6 n’était possible qu’en empruntant un passage situé sur la parcelle 7 mais que la SCI Jump avait supprimé. Les consorts D. et le syndicat des copropriétaires du domaine l’ont alors assigné en rétablissement du passage en invoquant à titre principal l’existence d’une servitude par destination du père de famille et à titre subsidiaire l’existence d’un chemin d’exploitation.

La cour d’appel d’Amiens rejeta leurs demandes par un arrêt du 2 novembre 2021, contre lequel un pourvoi fut formé. Aux termes des deux premiers moyens, chaque demandeur au pourvoi tentait de faire reconnaître l’existence d’une servitude de passage à son profit. Par les deux derniers moyens formulés en des termes identiques, ils contestaient le rejet de la qualification de chemin d’exploitation.

Par arrêt du 18 janvier 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation prononce la cassation partielle de l’arrêt d’appel, rejetant le premier moyen mais accueillant les trois autres. Il en résulte l’absence de servitude de passage au profit du syndicat de copropriétaire tandis que les consorts D. conservent une chance de faire établir la leur devant la cour d’appel de renvoi. Par ailleurs, la qualification de chemin d’exploitation paraît envisageable pour les deux demandeurs.

L’arrêt éclaire deux conditions relatives à la constitution d’une servitude par destination du père de famille et précise les critères de qualification d’un chemin d’exploitation.

L’existence d’une servitude de passage par destination du père de famille

Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire (C. civ., art. 637) dérivant de la situation naturelle des lieux, des obligations imposées par la loi ou des conventions entre les propriétaires (C. civ., art. 639). Elle peut s’acquérir par titre (C. civ., art. 686), par prescription ou par destination du père de...

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Pause hivernale

La rédaction de Dalloz actualité fait une petite pause la semaine du 27 février.

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Principe de réparation intégrale : impossibilité de réparer deux fois le même préjudice

Le principe de réparation intégrale est intimement lié à la fonction indemnitaire qui est prioritairement attachée à la responsabilité civile et constitue de ce fait le principe central régissant les effets de la responsabilité (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les effets de la responsabilité, 4e éd., LGDJ, coll. « Traité de droit civil », nos 116 s.).

Fréquemment rappelé par la Cour de cassation, ce principe, selon la formule empruntée au doyen Savatier (R. Savatier, Traité de la Responsabilité civile en droit français, t. 2, 2e éd., LGDJ, 1951) postule que « le propre de la responsabilité est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » (par ex., Com. 12 févr. 2020, n° 17-31.614, Dalloz actualité, 21 févr. 2020, obs. C.-S. Pinat ; D. 2020. 1086 image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 1254, chron. A.-C. Le Bras, C. de Cabarrus, S. Kass-Danno et S. Barbot image ; ibid. 2421, obs. C. de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n°Â 4216) image ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Légipresse 2020. 472 et les obs. image ; RTD civ. 2020. 391, obs. H. Barbier image ; ibid. 401, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2020. 313, obs. M. Chagny image), qu’il « semble n’avoir été qu’un rêve » (J. Carbonnier, Droit civil. Les obligations, 22e éd., PUF, coll. « Thémis droit privé », Paris, 2000, n° 198). Ce principe, jamais frontalement remis en cause par la jurisprudence (certaines solutions ne sont toutefois pas réellement compatibles avec ce principe,  v. pour l’arrêt du 12 févr. 2020, J.-S. Borghetti, La réparation intégrale du préjudice à l’épreuve du parasitisme, D. 2020. 1086 image), suppose bien sûr que tout le préjudice soit réparé. Il implique également que la réparation n’excède pas le préjudice : tout le préjudice, rien que le préjudice.

C’est ce second aspect du principe de réparation intégrale qu’a eu l’occasion de rappeler la deuxième chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt du 9 février 2023. En l’espèce, la victime d’un « accident de la vie privée » a assigné l’assureur auprès duquel elle avait souscrit une assurance afin de se garantir contre ce type d’évènement. La cour d’appel de Nancy a fait droit à ses demandes, fixant notamment le préjudice à plus de 112 000 € au titre des « pertes de gains futurs » et à près de 740 000 € au titre du « retentissement économique définitif après consolidation ». L’assureur a alors formé un pourvoi en cassation, reprochant notamment à l’arrêt, dans la deuxième branche du moyen unique, d’avoir procédé à une double indemnisation du même préjudice, soutenant que le salaire d’un palefrenier nécessaire au remplacement de la victime dans les tâches qu’elle n’était plus en mesure d’accomplir avait été pris en compte au titre des deux chefs de préjudice précédemment rappelés.

Réparation intégrale et ventilation des préjudices

La critique est accueillie par la Cour de cassation qui censure l’arrêt d’appel, en visant le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime....

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Connaissance de l’empiétement : point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité

Un empiétement peut être invoqué au titre de la défense du droit de propriété (v. not. Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-16.077, Mme Michot c. Diot, D. 2003. 1461, et les obs. image, note G. Pillet image ; ibid. 2044, obs. N. Reboul-Maupin image ; RDI 2002. 386, obs. J.-L. Bergel image), comme au titre du non-respect d’une obligation (v. par ex. Civ. 3e, 23 janv. 2020, n° 18-22.217, AJDI 2020. 456 image). Dans cette hypothèse, le créancier de l’obligation intente une action personnelle. La qualification de l’action est importante, puisque si les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans, les actions réelles immobilières sont soumises à la prescription trentenaire, sous réserve de l’imprescriptibilité du droit de propriété (v. C. civ., art. 2224 et 2227 ; comp. C. civ., anc. art. 2262).

Lorsqu’est invoqué un empiétement, le départage entre l’action réelle et l’action personnelle se fait en considération de l’objectif poursuivi : le requérant défend-il son droit de propriété, droit contesté par le défendeur ou sollicite-t-il le respect de la parole donnée ? (v. W. Dross, Que l’action réelle protège-t-elle ?, RTD civ. 2020. 917 image ; v. égal. Civ. 3e, 6 avr. 2022, n° 21-13.891, qui pose la distinction de l’action réelle immobilière et de l’action personnelle dans l’hypothèse d’un empiétement commis en violation d’une servitude de lotissement, D. 2022. 704 image ; ibid. 1528, obs. Y. Strickler et N. Reboul-Maupin image ; ibid. 2308, chron. B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda image ; AJDI 2022. 451 image, obs. A. de Dieuleveult image ; RTD civ. 2022. 656, obs. W. Dross image). Si les deux actions peuvent être intentées, la Cour de cassation exclut toute influence de la persistance de l’empiétement et de la prescription de l’action réelle sur le point de départ de la prescription de l’action personnelle, contrairement au souhait du demandeur au pourvoi en l’espèce.

En 1963, une société civile immobilière (SCI) a consenti à une société un bail emphytéotique sur deux parcelles afin que son cocontractant y construise une clinique. Vingt-cinq ans plus tard, une extension de la clinique est construite, extension empiétant sur une parcelle appartenant au bailleur et non comprise dans le bail.

En 2008, le bailleur assigne l’emphytéote en référé expertise aux fins d’établir l’empiétement.

Dix ans plus tard, invoquant différents manquements du preneur à ses obligations, le bailleur sollicite la résiliation du contrat et la réparation de ses préjudices résultant notamment de l’empiétement.

La cour d’appel déboute le bailleur de ses demandes en réparation fondées sur l’empiétement au motif que son action est prescrite. Elle souligne que « la SCI ne dénonce l’empiétement...

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Procédure civile, saisie-contrefaçon et secret des affaires

Bel arrêt à l’horizon, rendu en formation de section, promis à publication au Bulletin et commentaire au Rapport. La pratique contentieuse du droit des affaires gagnera à en maîtriser tous les apports.

Une société Teoxane est titulaire d’un brevet européen. Une autre société Vivacy l’assigne en annulation de certaines revendications de la partie française du brevet devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire. L’assignation est placée et distribuée à la troisième section de la troisième chambre. Au soutien de sa demande, la société Vivacy affirme commercialiser un produit mettant en œuvre son propre brevet antérieur.

La société Teoxane estime que ce produit contrefait son brevet postérieur. Elle forme auprès du tribunal judiciaire de Paris une requête en vue d’une saisie-contrefaçon. La question de savoir à qui elle adresse précisément sa requête au sein du tribunal n’est pas évidente à traiter ; elle est de surcroît compliquée par la circonstance que la présidente de chambre concrètement saisie se trouve aussi être délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris.

Au regard de l’en-tête des écritures, c’est bien au président du tribunal que la requête est adressée. Mais plusieurs mentions manuscrites semblent plutôt l’adresser à la présidente de la chambre saisie en cette qualité. Quoi qu’il en soit, celle-ci statue en cette dernière qualité par mention explicite. La société Teoxane obtient deux ordonnances favorables et fait diligenter la saisie-contrefaçon.

La partie requise saisit la magistrate, principalement en rétractation, subsidiairement en détermination des modalités de divulgation des pièces collectées. La juge ne rétracte pas et met en place, à fin de préservation du secret des affaires, un placement sous scellés, c’est-à-dire une mesure différente de celle prévue par l’article R. 153-1 du code de commerce auquel renvoie l’article R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, sur le fondement duquel la saisie fut autorisée. La partie saisie interjette appel.

Quant au refus de rétractation, elle considère, sur le fondement indirect de l’article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, que seule la présidente de la chambre à laquelle avait été distribuée l’affaire initiale relative à la validité du brevet pouvait ordonner sur requête une saisie-contrefaçon. Or, de l’avis de l’appelante, la magistrate ayant rendu les ordonnances querellées avait été saisie ès qualités de délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris. Techniquement, l’appelante conclut à une fin de non-recevoir tirée de l’excès de pouvoir, laquelle ne prospère pas : les juges d’appel estiment que la magistrate avait bien statué ès qualités de présidente de la chambre saisie et que les conditions posées par l’article 845, alinéa 3, du code de procédure civile étaient satisfaites.

Quant aux mesures de protection du secret des affaires, l’appelante estime que la procédure prévue à l’article R. 153-1 du code de commerce n’est pas alternative : le juge qui entend préserver le secret des affaires ne peut avoir recours qu’à cette procédure, conformément à l’article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle. Cette argumentation ne prospère pas davantage, le juge d’appel retenant qu’il était loisible au magistrat de prononcer une mesure différente, jugée d’ailleurs plus protectrice du saisi (en l’occurrence, un placement sous scellés des pièces litigieuses).

La partie requise se pourvoit en cassation. Sous l’angle de la compétence, elle change son fusil d’épaule : elle estime désormais que les conditions de l’article 845, alinéa 3, du code de procédure civile n’étaient pas remplies. De telle sorte que la magistrate ayant rendu les ordonnances, statuant ès qualités de présidente de la chambre saisie, n’avait pas compétence pour en connaître en telle qualité.

Par ailleurs, la demanderesse à la cassation estime que le juge, qui entend préserver le secret des affaires de la partie requise, ne peut que mettre en œuvre la procédure prévue à l’article R. 153-1 du code de commerce, sans pouvoir opter pour une autre, fût-elle jugée plus protectrice des intérêts du saisi.

Le moyen reçoit un accueil mitigé.

La branche tirée de l’article 845, alinéa 3, du code de procédure civile est balayée. La chambre commerciale de la Cour de cassation estime, non pas l’argument infondé, mais tardif et, à ce titre, irrecevable. La logique paraît implacable. Le demandeur au pourvoi a articulé devant les juridictions du fond une fin de non-recevoir tirée de l’excès de pouvoir. Or la Cour estime que la contestation formulée à hauteur de cassation constitue une exception d’incompétence, qui est une variété d’exception de procédure soumise au principe d’invocation liminaire (C. pr. civ., art. 74). La partie demanderesse est donc irrecevable à soulever, pour la première fois devant la Cour de cassation, l’incompétence du magistrat ayant rendu les ordonnances litigieuses, sous couvert d’une violation de l’article 845, alinéa 3, du code de procédure civile.

Le moyen de cassation est en revanche accueilli en son autre branche. La Cour estime en effet « qu’afin d’assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d’office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire » prévue à l’article R. 153-1 du code de commerce sur renvoi de l’article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle (pt 15). Plus loin, elle ajoute qu’« à compter de l’entrée en vigueur du décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, le placement sous séquestre provisoire était la seule mesure pouvant être prononcée pour garantir le secret des affaires du saisi » (pt 20).

Cassation s’en suit, mais sans renvoi, puisque la Cour décide de statuer au fond après « avis 1015 ». Elle ordonne d’ailleurs la remise en intégralité des pièces collectées à la partie saisissante (!), donnant à voir, pour la partie saisie à l’origine du pourvoi, une victoire à la Pyrrhus.

De cet arrêt complexe, on emportera deux apports.

D’une part, la contestation de la compétence du juge de la rétractation de la mesure ordonnée sur requête tirée de l’inobservation de l’article 845, alinéa 3, du code de procédure civile prend la forme d’une exception d’incompétence à invoquer in limine litis.

D’autre part, afin d’assurer la protection du secret des affaires, le juge autorisant une saisie-contrefaçon ne peut recourir, au besoin d’office, qu’à la procédure de placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, prévue à l’article R. 153-1 du code de commerce auquel renvoie l’article R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle. Cette procédure n’est pas alternative mais exclusive.

Sur chaque apport, on formulera quelques observations.

Compétence du juge et recevabilité de la demande

La contestation de la compétence procédant de l’article 845, alinéa 3, du code de procédure civile prend la forme d’une exception d’incompétence. L’hésitation était pourtant permise.

L’article 845 du code de procédure civile intéresse les attributions en matière d’ordonnances sur requête, dans les cas spécifiquement prévus par la loi (al. 1) ou s’agissant de toutes mesures urgentes (al. 2). Plus exactement, l’article 845 intéresse la répartition matérielle interne au tribunal judiciaire sur cette question. Le principe est fixé au premier alinéa : c’est au président du tribunal judiciaire ou au juge des contentieux de la protection qu’il appartient d’en connaître. L’exception figure au troisième : « Les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l’affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi. »

La question est de savoir si cet...

Vaccin contenant des adjuvants aluminiques et myofasciite à macrophages : l’inexistence d’un lien de causalité probable confirmée

Saisi de pourvois dirigés contre deux arrêts de la cour administrative d’appel de Nantes ayant rejeté des demandes indemnitaires au motif qu’aucun lien de causalité n’avait été scientifiquement établi entre l’administration de vaccins contenant des adjuvants aluminiques et le développement de différents symptômes constitués de lésions histologiques de myofasciite à macrophages, le Conseil d’État a imposé aux juridictions du fond une approche probabiliste du lien de causalité lorsqu’elles se prononcent sur un litige individuel portant sur les conséquences dommageables d’une vaccination obligatoire (CE 29 sept. 2021, n° 435323 et n° 437875, Lebon avec les concl. image ; AJDA 2021. 1949 image ; RDSS 2021. 1047, concl. C. Barrois de Sarigny image ).

Statuant en tant que cour de renvoi dans la seconde affaire, la cour administrative d’appel de Nantes maintient qu’en l’état des connaissances scientifiques, aucune probabilité d’un lien de causalité entre l’injection d’un vaccin contenant un adjuvant aluminique et la survenue de symptômes évoquant une myofasciite à macrophages ne peut être retenue.

En l’espèce, une infirmière a été vaccinée contre le virus de l’hépatite B entre 1992 et 1998. Des symptômes de paresthésies associés à des douleurs importantes sont apparus en 2007, le diagnostic d’une myofasciite à macrophages ayant été établi en août 2009. Saisi par l’intéressée, l’ONIAM a rejeté, en avril 2016, la demande indemnitaire présentée au titre de l’article L. 3111-9 du code de la santé publique.

En...

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Les conséquences de l’absence de comparution d’une partie en cause d’appel

Lorsqu’il est prétendu qu’un employeur a méconnu l’obligation de sécurité qui lui incombe, la cour d’appel peut-elle se fonder sur son absence de comparution ou sur l’absence de production de pièces pour infirmer le jugement qui avait débouté le salarié ?

Si les principes applicables en cas d’absence de comparution de l’intimé sont bien connus, leur mise en œuvre peut s’avérer délicate, comme le révèle l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 18 janvier 2023.

L’affaire avait pour origine l’action d’une femme qui, employée dans une société assurant des transports en ambulance, reprochait à son employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité alors qu’elle était victime d’un harcèlement sexuel. Le conseil de prud’hommes avait débouté la salariée car les débats et les pièces versées démontraient que l’employeur, dès qu’il avait été mis au courant de la situation de harcèlement sexuel, avait cessé de faire circuler la salariée et son collègue dans la même voiture et avait informé l’inspection du travail : la juridiction en avait conclu que l’employeur avait effectué tout ce qui était en son pouvoir afin de respecter l’obligation de sécurité qui lui incombait. La salariée avait interjeté appel et l’employeur n’avait pas constitué avocat : tirant parti de cette absence de comparution, la cour d’appel avait infirmé le jugement rendu par la juridiction du premier degré en soulignant que l’employeur ne versait aux débats aucun élément de nature à justifier qu’il avait pris une quelconque mesure de nature à mettre fin au harcèlement subi par la salariée.

L’arrêt rendu par la cour d’appel est censuré par la Cour de cassation qui, en se fondant sur les articles 472 et 954 du code de procédure civile, souligne que « s’il appartient à l’employeur de justifier du respect de son obligation de prévention du harcèlement sexuel, son absence de comparution devant la cour d’appel ne dispense pas cette juridiction d’examiner la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s’est déterminé pour juger que l’employeur avait satisfait à son obligation de prévention ».

Cette solution repose sur une application parfaitement orthodoxe des textes.

Lorsque c’est l’appelant qui ne comparaît pas, ce qui ne peut guère survenir que dans la mesure où la procédure suivie est sans représentation obligatoire, la juridiction du second degré, qui n’est alors saisie d’aucune prétention, ne peut que confirmer le jugement (Soc. 25 mars 1998, n° 96-40.812, inédit). Lorsque c’est l’intimé qui ne...

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Contrat d’entreprise et garantie substituée à la retenue de garantie : détermination de la libération de la caution

La loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 tendant à réglementer les retenues de garantie en matière de marchés de travaux définis par l’article 1779, 3°, du code civil a été instituée pour protéger le maître d’ouvrage victime d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux de levée des réserves à la réception.

En pratique, plutôt que d’être soumis à une retenue de garantie de 5% du montant des travaux, l’entrepreneur préfère recourir à l’alternative légalement offerte de fournir au maître d’ouvrage une caution personnelle et solidaire. Cette substitution de garantie est plus contraignante pour le maître d’ouvrage en cas d’inexécution par l’entrepreneur de ses obligations. Dans ce cas, il pourra mettre en œuvre la garantie substituée dans l’année qui suit la réception en notifiant à la caution son opposition à sa libération, par lettre recommandée (Loi du 16 juill. 1971, art. 2). À défaut de notification dans ce délai, la caution est libérée, y compris en l’absence de mainlevée (Loi du 16 juill. 1971, art. 2).

Toutefois, la seule précision quant à la réception visée par la loi de 1971 concerne l’existence ou non de réserves l’assortissant (Loi du 16 juill. 1971, art. 2). La détermination de la réception devient alors l’angle de défense le plus indiqué des cautions désireuses d’échapper à leurs obligations. C’est sur cette problématique qu’a été interrogée la Cour de cassation sur pourvoi formé par la caution bancaire d’un entrepreneur. En effet, suite à la liquidation judiciaire du locateur d’ouvrage, sa caution tentait de défendre en premier lieu, que le principe de la retenue de garantie est conditionné à la réception amiable ou judiciaire des travaux (Loi du 16 juill. 1971, art. 1. Pour une application à un sous-traitant, Civ. 3e, 8 nov. 2018, n° 17-20.677 P, D. 2018. 2188 image ; ibid. 2019. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget image ; RDI 2019. 272, obs. H. Perinet-Marquet image). Or en l’espèce, la caution soutenait l’absence de réception des travaux. Où l’on comprend que les deux « constats d’état des travaux » notifiés au mandataire liquidateur ne pouvaient suffire. La jurisprudence s’était d’ailleurs déjà prononcée en ce sens à propos d’un « constat contradictoire de l’état de la qualité des travaux » pour lequel elle avait jugé qu’il ne constituait...

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Évaluation du préjudice économique d’un enfant résultant du décès d’un de ses parents

Lorsque la victime directe décède, ses proches ont la faculté d’agir en justice à deux titres. Leur qualité d’héritiers leur ouvre, d’une part, une action successorale afin d’obtenir indemnisation des préjudices subis par la victime directe (Civ. 2e, 20 mars 2008, n° 07-15.807, D. 2008. 1059 image ; ibid. 2373, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis image) – à condition que cette dernière ne soit pas morte « sur le coup », en l’absence de toute indemnisation du pretium mortis (Civ. 2e, 9 oct. 1957, JCP 1957. IV. 163). Victimes par ricochet (Y. Lambert-Faivre, Le dommage par ricochet, Thèse Lyon 1959 ; J. Dupichot, Des préjudices réfléchis nés de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité corporelle, Paris, 1969), ils peuvent, d’autre part, demander réparation de leurs propres préjudices extrapatrimoniaux et patrimoniaux.

La nomenclature Dintilhac – bien qu’elle n’ait pas de valeur normative formelle (M. Bacache, La nomenclature : une norme ?, Gaz. Pal. 27 déc. 2011, n° 361, p. 7 ; M. Robineau, Le statut normatif de la nomenclature Dintilhac, JCP 2010. 612) et qu’elle ne soit pas limitative (v. par ex., Cass., ch. mixte, 25 mars 2022, nos 20-17.072 et 20-15.624, Dalloz actualité, 5 avr. 2022, obs. A. Cayol ; D. 2022. 774 image, note S. Porchy-Simon image ; ibid. 1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon image ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; AJ pénal 2022. 262, note C. Lacroix image ; consacrant l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente des proches) –, s’est imposée comme une référence pour tous les acteurs de la réparation du dommage corporel. Elle prévoit expressément que « Le décès de la victime directe va...

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Concentration des prétentions sur renvoi après cassation, la leçon de choses de la Cour de cassation

Un salarié relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes et, selon arrêt du 6 juin 2018, la cour d’Amiens l’infirme en toutes ses dispositions. La société est condamnée à lui payer diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité contractuelle, de dommages-intérêts pour licenciement nul ainsi qu’au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et des congés payés y afférents. Par arrêt du 8 janvier 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule cet arrêt, mais seulement en ce qu’il condamne la société à payer au salarié la somme de 244 810 € au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la somme de 24 481 € au titre des congés payés. Saisie sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Douai, le 23 avril 2021, déclare la saisine recevable mais, dans les limites de la cassation, confirme le jugement. Le salarié forme un pourvoi en reprochant à la cour d’appel son refus de statuer au vu des dernières conclusions motif pris qu’il s’était borné dans le dispositif de ses premières écritures à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud’hommes d’Amiens, de sorte que la cour n’était pas saisie de prétentions relatives à ces demandes. La deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai et renvoie les parties devant la même cour autrement composée. La solution est celle-ci :

« Vu les articles 910-4 et 954, alinéa 3 et 1037-1 du code de procédure civile :

8. Il résulte du premier de ces textes qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond, et du second, que la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

9. Il résulte du dernier de ces textes que, lorsque la connaissance d’une affaire est renvoyée à une cour d’appel par la Cour de cassation, ce renvoi n’introduit pas une nouvelle instance, la cour d’appel de renvoi étant investie, dans les limites de la cassation intervenue, de l’entier litige tel que dévolu à la juridiction dont la décision a été cassée, l’instruction étant reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation.

10. Ainsi, la cassation de l’arrêt n’anéantit pas les actes et formalités de la procédure antérieure, et la cour d’appel demeure saisie des conclusions remises à la cour d’appel initialement saisie.

11. Il s’ensuit que le principe de concentration des prétentions résultant de l’article 910-4 s’applique devant la cour d’appel de renvoi, non pas au regard des premières conclusions remises devant elle par l’appelant, mais en considération des premières conclusions de celui-ci devant la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé.

12. Pour confirmer le jugement, l’arrêt retient que le dispositif des premières conclusions remises devant elle par l’appelant ne comporte aucune demande à l’encontre de la société et que c’est dans les conclusions déposées dans un second temps qu’une demande en ce sens a été formulée. Il ajoute que M. [F] se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud’hommes d’Amiens.

13. En statuant ainsi, en prenant en compte, non le dispositif des premières conclusions de l’appelant remises à la cour d’appel dont la décision a été cassée, mais celui des premières conclusions de l’appelant devant elle, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Choses vues (à Douai et ailleurs)

La cour d’appel de Douai avait estimé que « l’article 954 du code de procédure civile fait désormais obligation aux parties de récapituler leurs prétentions sous forme de dispositif dans les conclusions, la cour ne statuant que sur les prétentions visées dans le dispositif, lesquelles auront par ailleurs été toutes présentées, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, dès le premier jeu de conclusions notifiées devant la cour ». C’est vrai. Mais devant la cour d’appel statuant comme juridiction d’appel, pas sur renvoi après cassation.

On comprend de l’énoncé du moyen que dans des premières conclusions notifiées le 5 juin 2020, le salarié avait, notamment, demandé à la cour de « dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d’un montant brut de 162 639,99 €, outre les congés payés y afférents, soit 16 263,99 € », puis dans des conclusions n° 2 notifiées le 27 novembre 2020, de « dire...

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Compétence dans l’Union en matière contractuelle

Le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale énonce, par son article 7, qu’« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
  pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ».

Ces principes soulèvent des difficultés importantes de mise en œuvre, que ce soit lorsqu’il s’agit de délimiter la notion de matière contractuellle, ou d’individualiser l’obligation qui sert de base à la demande, ou encore de rechercher le lieu d’exécution de cette obligation (pour une présentation de ces difficultés, v. P. Mayer, V. Heuzé et B. Remy, Droit international privé, 12e éd., LGDJ, 2019, n° 350).

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est amenée régulièrement à se prononcer à ce sujet, notamment à propos de l’article 7, § 1, b), lorsqu’il s’agit de déterminer le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande en présence d’une vente de marchandises.

Il résulte certes des termes de l’article 7, § 1, b), que c’est « en vertu du contrat » que le lieu d’exécution doit être recherché (pour une lecture critique de cette expression, v. H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 214). Cependant, il a été nécessaire de préciser ce principe.

La Cour de justice l’a fait dans plusieurs arrêts. Elle a notamment énoncé qu’en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en...

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Prêts libellés en devise étrangère : pas d’automatisme du caractère abusif des clauses litigieuses

Les arrêts concernant les prêts libellés en devise étrangère foisonnent ces dernières années (v. en 2022, Civ. 1re, 7 sept. 2022, n° 20-20.826 F-B, Dalloz actualité 15 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1557 image ; CJUE 8 sept. 2022, aff. jtes C-80/21 à C-82/21, Dalloz actualité, 16 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1596 image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. K. De La Asuncion Planes image ; Civ. 1re, 20 avr. 2022, FS-B, n° 19-11.599 et n°20-16.316, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 788 image ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin image ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais image). Cette richesse du contentieux est liée à la multiplication à la fin des années 2000 de ces prêts dont certaines variétés ont pu créer une certaine toxicité pour le consommateur emprunteur. On sait que cette thématique est l’un des laboratoires topiques d’étude des clauses abusives tant la jurisprudence a pu utiliser cette qualification pour réputer non écrites certaines stipulations venant insérer un déséquilibre significatif au profit du créancier. L’arrêt rendu le 1er mars 2023 conjugue cette question avec une autre thématique régulièrement en lien avec cette dernière, celle du devoir de mise en garde. À l’origine de l’affaire présentée devant la Cour de cassation, on retrouve deux prêts immobiliers libellés et remboursables en devise étrangère (à savoir, des francs suisses) consentis en mars 2008 et en juillet 2009 par un établissement bancaire à un couple d’emprunteur résidents français qui percevait des revenus en francs suisses. Le 10 juillet 2017, les emprunteurs assignent leur créancier en avançant que certaines clauses des contrats signés en 2008 et en 2009 revêtent un caractère abusif et que la banque a manqué à son devoir de mise en garde concernant le fonctionnement des prêts en question. La cour d’appel saisie du litige rejette la demande concernant le caractère abusif des clauses et considère les emprunteurs irrecevables car prescrits s’agissant de leur demande concernant le devoir de mise en garde de la banque. Ils se pourvoient en cassation reprochant à cette motivation une double violation de la loi, à savoir de l’article L. 212-1 du code de la consommation et de l’article 2224 du code civil.

Leur pourvoi donnera un résultat en demi-teinte : le moyen tiré du caractère abusif n’est pas fondé selon la première chambre civile de la Cour de cassation tandis que celui tiré de la prescription entraîne une cassation pour violation de la loi.

Pas d’automatisme pour la qualification de clauses abusives

Les plaideurs avançaient, dans leur premier moyen, que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances » de leurs contrats n’expliquaient pas de manière transparente le fonctionnement du mécanisme utilisé dans les...

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Devoir de vigilance : irrecevabilité des demandes des associations contre Total

En 2019, Mme Boursier écrivait au Recueil Dalloz que « la multiplication des règles de compliance suscite aujourd’hui des interrogations quant à leur articulation et à la sécurité juridique des entreprises assujetties à ce foisonnement de règles sanctionnées » (M.-E. Boursier, Qu’est-ce que la compliance ? Essai de définition, D. 2020. 1419 image). Les deux jugements rendus le 28 février 2023 par le tribunal judiciaire de Paris viennent probablement continuer à alimenter ce questionnement en ce qu’ils sont les premières applications du devoir de vigilance – outil de compliance ex ante – issu de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre codifiant deux nouveaux articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce. Le décret permettant de préciser le contour de ces textes n’est, par ailleurs, jamais sorti si bien que des questions persistent sur le contour de ces textes mais une loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 est venue donner compétence au tribunal judiciaire de Paris pour connaître des actions relatives à ce devoir de vigilance (sur ce point, v. Rép. sociétés, v° Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale, par F. Guy-Trebulle, n° 42-1). L’affaire en question oppose la société TotalEnergies SE à diverses associations, à savoir Les amis de la terre France, The National Association Of Professionnal Environmentalists (NAPE), Africa Institute For Energy Governance (AFIEGO), Survie, Civic response to Environment and Development, Navigators of development association (NAVODA).

Les faits sont connus : une des filiales de la société TotalEnergies SE, la société TotalEnergies EP Uganda, est l’opérateur d’un projet de grande envergure pour le développement d’une usine de traitement en Ouganda réalisée en coopération avec une société chinoise, l’État ougandais ayant autorisé une licence d’exploitation à chacune de ces deux sociétés. Dans le même temps, la société EACOP est l’opérateur d’un second projet mené avec la même société chinoise afin de construire une canalisation enterrée pour le transport d’hydrocarbures sur 1 147 kilomètres entre l’Ouganda et la Tanzanie. Le 20 mars 2019, la société TotalEnergies SE publie son document d’enregistrement universel pour l’exercice 2018 avec un plan de vigilance pour cette même année. Par courrier du 24 juin 2019, les six associations précédemment citées dénoncent ce plan de vigilance et ont mis en demeure la société opératrice de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en œuvre effective, ainsi que de sa publication. Le 24 septembre 2019, la société TotalEnergies défend son plan, argue que celui-ci contient les éléments nécessaires à l’information de chacun et expose les moyens concrets mis en œuvre pour réduire les risques liés. Les six associations ont donc, par acte d’huissier du 29 octobre 2019, fait assigner la société TotalEnergies SE devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre en référé pour enjoindre la société à respecter ses obligations en matière de vigilance. Toute cette affaire a commencé par une assez savante question autour du tribunal compétent : est-ce le tribunal de commerce ou tribunal judiciaire ? Rappelons qu’à l’époque, la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris n’était pas encore insérée dans la loi. Le 30 janvier 2020, la juridiction saisie se déclare incompétence au profit du tribunal de commerce de Nanterre. Un arrêt confirmatif de la cour d’appel de Versailles se prononce sur cette question le 10 décembre 2020. La chambre sociale de la Cour de cassation, par arrêt du 15 décembre 2021 (Soc. 15 déc. 2021, n° 21-11.882, D. 2022. 826 image, note R. Dumont image ; ibid. 963, obs. V. Monteillet et G. Leray image ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno image ; JA 2022, n° 652, p. 10, obs. X. Delpech image ; Rev. sociétés 2022. 173, note A. Reygrobellet image ; RTD com. 2022. 33 et les obs. image ; v. O. Douvreleur, « Compliance et juge du...

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Enlèvement international d’enfant : décision de retour

Pour bien le comprendre, il est utile de rappeler que la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants prévoit notamment que la personne, l’institution ou l’organisme qui prétend qu’un enfant a été déplacé ou retenu en violation d’un droit de garde peut saisir soit l’Autorité centrale de la résidence habituelle de l’enfant, soit celle de tout autre État contractant, pour que celles-ci prêtent leur assistance en vue d’assurer le retour de l’enfant (art. 8) et que les autorités judiciaires ou administratives de tout État contractant doivent procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant (art. 11).

Rappelons également que ce schéma est complété par le règlement Bruxelles II bis n° 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dont l’article 11 énonce que :
« 1. Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (…) en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.
2. Lors de l’application des...

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Le ministère pérennise les sucres rapides

Lors de son discours du 27 février au tribunal de Reims, le ministre a mis en avant l’augmentation par cinq depuis 2017 du nombre de juristes assistants et d’assistants spécialisés. Ils sont aujourd’hui 935. Le ministre a annoncé le recrutement de 300 juristes assistants supplémentaires. Vingt assistants spécialisés supplémentaires seront par ailleurs recrutés. Éric Dupond-Moretti a également indiqué que « l’ensemble des contractuels de catégorie A, B et C recrutés dans le cadre de la mise en place de la justice de proximité ou de la lutte contre les violences intrafamiliales se verront...

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Droit de préemption subsidiaire : seul le prix hors commission est dû

Par cette décision de censure, la Haute juridiction affirme que le locataire d’un local d’habitation n’a pas, dans le cadre de l’exercice de son droit de préemption subsidiaire, à supporter le paiement de la commission de l’agent immobilier mandaté par le propriétaire-bailleur pour vendre son bien.

Deux droits de préemption

On rappellera, à toutes fins utiles, qu’en application de l’article 15-II, alinéas 1er à 3 et 6, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, le preneur à bail d’habitation à qui il est délivré un congé pour vendre, bénéficie d’un droit de préemption sur le bien vendu (aux termes de ce texte, le congé vaut offre de vente au profit du locataire pendant les deux premiers mois du délai de préavis).

En cas de refus de préempter, le texte précise qu’à l’issue du délai de préavis, le locataire est déchu de tout titre d’occupation sur le local.

Cette déchéance connaît toutefois une exception lorsque, en définitive, le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur. En pareille hypothèse prévue aux alinéas 4 à 6 de l’article 15-II précité, en effet, le preneur bénéficie de ce qu’il est convenu d’appeler un « droit de préemption subsidiaire », au régime très proche du droit de préemption principal. Des dispositions spécifiques sont toutefois prévues afin que le locataire qui, possiblement, a déménagé, reçoive l’offre et celle-ci, qui peut être notifiée par le notaire, n’est valable pendant un mois à compter de sa réception (pour une étude d’ensemble du droit de préemption du locataire, v. Droit et pratique des baux d’habitation, Dalloz action 2022-2023, par N. Damas, H. des Lyons, P. Gareau, G. Marot et Y. Rouquet, nos 434.70 s.).

Au cas particulier, un bailleur avait délivré à son cocontractant un congé pour vendre la maison louée valant offre d’acquisition pour 400 000 €.

Faute pour le locataire d’accepter l’offre, celui-ci avait quitté les lieux à l’issue du délai de préavis.

Six mois plus tard, par l’entremise d’une agence immobilière, le bailleur signait une promesse de vente avec un tiers au prix de 380 000 €, dont 10 000 € de commission d’agence. Dans la foulée, le notaire avait notifié ce prix à l’ancien locataire, lequel avait accepté l’offre et conclu la vente.

L’affaire n’en est toutefois pas restée pas là, puisque l’ancien locataire, désormais propriétaire de la maison a intenté une action en justice en répétition des 10 000 € de commission, qu’il estime indus.

Il est débouté tant en première instance (TGI Senlis, 2 juill. 2019) qu’en appel (Amiens, 11 mai 2021, n° 19/05641, Dalloz jurisprudence ; Rev. loyers 2021. 291, obs. S. Brena).

La position des juges du fond repose sur le fait que l’agence immobilière a effectué « une réelle prestation de recherche d’acquéreurs qu’elle a ensuite présentés aux vendeurs afin que soit signé le compromis de vente » qui précisait que les acquéreurs auraient à leur charge la commission d’agence. Et la cour de conclure au caractère déterminant de l’intervention de l’agence immobilière et à la justification de la commission, puisque le locataire en se substituant aux acquéreurs, a accepté d’acquérir aux mêmes conditions, et en est redevable.

Sort de la commission

Cette solution est censurée par l’arrêt sous étude : le locataire qui exerce son droit de préemption...

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Titre exécutoire européen : suspension de l’exécution

Ce règlement a pour objet de créer un titre exécutoire européen pour les créances incontestées en vue, grâce à l’établissement de normes minimales, d’assurer la libre circulation des décisions, des transactions judiciaires et des actes authentiques dans tous les États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution (art. 1).

Dans l’affaire soumise à la Cour de justice, les faits étaient d’une grande simplicité.

S’estimant créancière d’une société nigériane, une société allemande a saisi une juridiction allemande, qui a alors émis une injonction de payer avant de délivrer un titre exécutoire européen et un certificat de titre exécutoire européen. L’exécution du titre exécutoire a ensuite été demandée à un huissier en Lituanie, avant que la société débitrice ne présente, dans ce pays, une demande de suspension de la procédure d’exécution, dans l’attente du résultat de la procédure portée devant un juge allemand et tendant au retrait du certificat de titre exécutoire européen et à la cessation du recouvrement forcé de la créance.

L’intérêt de l’arrêt est qu’il se prononce essentiellement sur deux questions de principe, qui peuvent être présentées sans qu’il y ait à se pencher sur le détail des circonstances de l’affaire.

Les possibilités de suspension de la procédure d’exécution prévues par l’article 23

L’article 23, intitulé « Suspension ou limitation de l’exécution », du règlement énonce que :
« Lorsque le débiteur a :
- formé un recours à l’encontre d’une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen, y compris une demande de réexamen au sens de l’article 19, ou
- demandé la rectification ou le retrait d’un certificat de titre...

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Ouverture de la tierce-opposition aux associés d’une société en difficulté : une nouvelle approche confirmée

Afin de ne pas retarder le processus de traitement des difficultés du débiteur, le droit des entreprises en difficulté restreint traditionnellement les voies de recours ouvertes contre les décisions prises dans le cadre de la procédure, au point que la jurisprudence a consacré des voies de recours contra legem, désignées « recours-nullité », afin de préserver un droit d’accès minimum au juge en cas d’excès de pouvoir (F. Pérochon, avec le concours de M. Laroche, F. Reille, T. Favario et A. Donnette, Entreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, n° 2218). Si les textes ont évolué et aménagent désormais plus largement les possibilités de recours contre les décisions du tribunal de la procédure, l’accès en demeure étroitement encadré, notamment s’agissant de la tierce-opposition.

Cette voie est expressément fermée par l’article L. 661-7 du code de commerce à l’encontre de certaines décisions (décisions relatives à la désignation et au remplacement des organes de la procédure, jugements statuant sur la durée de période d’observation, etc.). À l’inverse, d’autres textes énumèrent les hypothèses dans lesquelles elle peut être exercée. Les articles L. 661-1 et L. 661-2 disposent ainsi que les décisions statuant sur l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ou encore sur l’extension de ces procédures sont susceptibles de tierce opposition, laquelle est également ouverte, aux termes de l’article L. 661-3, contre les décisions arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution du plan. Lorsque la voie est expressément ouverte, il reste encore à déterminer qui peut l’emprunter.

La question, qui était au cœur de cet arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2023, se pose notamment s’agissant des associés de la société débitrice.

Les faits de l’espèce

En l’espèce, une société par actions simplifiée (SAS), dont M. X. détenait 43 % du capital, est placée en redressement judiciaire le 17 mai 2017 avec désignation d’un administrateur ayant pour mission d’assurer l’administration de l’entreprise. Le 20 décembre 2017, un plan de redressement est arrêté, lequel prévoit notamment que l’un des actionnaires de la société (M. Y.) sera tenu d’exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan et que l’administrateur sera maintenu en fonction aux fins de régulariser la procédure prévue aux articles L. 631-9-1 et L. 631-34-6 du code de commerce. Deux mois après l’adoption du plan, le président du tribunal désigne par ordonnance de référé un mandataire ad hoc avec pour mission de convoquer l’assemblée compétente de la société afin que celle-ci statue sur la décision à prendre conformément aux dispositions de l’article L. 225-248 du code de commerce (les capitaux propres de la société étant devenus inférieurs à la moitié du capital social), sur la réduction du capital à zéro suivie d’une augmentation de capital en numéraire en deux temps réservée à M. Y. et à un troisième actionnaire de la société. M. X. exerce une tierce-opposition afin de voir rétracter le jugement ayant arrêté le plan de redressement, puis forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes (Nîmes, 4e ch., 26 nov. 2020, n° 19/02354) ayant déclaré irrecevable sa tierce-opposition aux motifs qu’il était représenté par le représentant légal de la société, car il n’avait pas d’intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le tribunal. Au soutien de son pourvoi, M. X. avance au contraire que le plan de redressement portait atteinte à sa qualité d’associé et au droit de vote qui y était attaché, de sorte qu’il invoquait bien un moyen propre lui ouvrant la voie de la tierce-opposition.

La solution de la Cour et les enseignements de la décision

La Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes. Au visa de l’article 583 du code de procédure civile, dont la première phrase de l’alinéa 1er dispose qu’est « recevable à former tierce opposition toute personne qui y a un intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque », la Cour de cassation commence par rappeler que l’associé est, en principe, représenté dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société.

Cette solution – bien que critiquée (sur ces critiques, qui peuvent être discutées, v. O. Maraud, Les associés dans le droit des entreprises...

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Loi Justice : publication des avant-projets de loi

Une programmation ambitieuse

Comme toute loi de programmation, l’article premier débute sur les moyens qui seront alloués sur le prochain quinquennat au ministère de la Justice

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Sur les moyens humains, la programmation prévoit 10 000 emplois supplémentaires d’ici 2027, dont 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et un nombre substantiel d’assistants du magistrat. À noter, une clause de revoyure interviendra fin 2024 s’agissant des dépenses d’investissements immobiliers.

Le texte d’orientation prévoit un rapport annexé. S’il n’a pas de valeur normative, il décline la feuille de route du ministère. Signe des difficultés que connaît la Justice, il évoque longuement les réponses apportées aux questions sociales avec notamment l’accord-cadre sur la qualité de vie au travail. Il indique également que les ressources humaines, le pilotage budgétaire, la gestion de l’immobilier et les achats seront progressivement confiés aux chefs de cour, à partir de 2024, sous réserve d’études d’impact préalables.

La réforme de la procédure pénale

Comme annoncé le gouvernement serait habilité pour récrire à droit constant par ordonnance, le code de procédure pénale d’ici deux ans. Pour le ministère « la réécriture de ce code procède d’une refonte de la procédure pénale et non de sa réforme ». Dans l’attente, l’article 3 modifie plusieurs règles. Comme cela avait été annoncé, le projet prévoit...

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Perte fautive d’une sûreté et responsabilité du notaire

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseillele 9 mars 2023

Civ. 1re, 1er mars 2023, F-B, n° 21-24.166

Les arrêts permettant d’explorer la mise en jeu du notaire dans le cadre du droit des sûretés ne sont pas légion, surtout ceux publiés au Bulletin. La décision rendue le 1er mars 2023 reste donc l’occasion d’étudier cette question souvent délicate mêlant établissement de la faute mais également détermination d’un préjudice actuel et créancier pour le demandeur à l’action. À l’origine du pourvoi, on retrouve une banque qui consent le 24 avril 1992 à un couple marié une ouverture de crédit garantie par un cautionnement hypothécaire d’une société et de groupements fonciers agricoles d’abord, par le cautionnement de plusieurs personnes physiques ensuite et enfin par le nantissement de parts détenues par ces dernières ainsi que par les emprunteurs dans la société propriétaire de l’immeuble hypothéqué. Un des emprunteurs est placé en redressement judiciaire le 18 mars 1997 puis en liquidation judiciaire le 9 juillet 2003. Le 5 mars 2002, la créance de la banque est admise à la procédure pour un montant de 6 125 488,88 €. Le 8 novembre 2010, une cour d’appel annule le cautionnement hypothécaire donné par l’un des groupements fonciers agricoles en jugeant nul préalablement le procès-verbal d’autorisation donnée par l’assemblée générale extraordinaire tenue en l’étude du notaire. La banque ayant perdu l’une de ses sûretés les plus efficaces selon elle décide d’assigner le notaire en responsabilité et indemnisation du préjudice subi par la perte de cette garantie. Voici qu’un troisième contentieux se noue désormais sur les demandes indemnitaires de la banque à l’encontre du notaire. Une cour d’appel déclare ce dernier responsable et le condamne à payer à la banque une somme de 3 532 090 € en retenant que la sûreté...

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De la bonne information de la caution de la première défaillance du débiteur principal

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseillele 8 mars 2023

Civ. 1re, 1er mars 2023, FS-B, n° 21-19.744

On sait que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a permis une opportune unification de nombreux textes du droit du cautionnement disséminés dans différents codes et réunis désormais dans le Code civil. Mais la jurisprudence continue de traiter les affaires soumises au droit ancien, pour tous les contrats de cautionnement conclus avant le 1er janvier 2022. Parmi elles, certaines concernent l’information de la caution dont les nouveaux textes s’appliquent pourtant aux sûretés constituées antérieurement. Nous l’aurons compris, l’arrêt que nous commentons aujourd’hui rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 1er mars 2023 concerne une question qui appartient au droit ancien mais qui intéressera la pratique tant d’utiles prolongements peuvent être faits avec les textes issus de la réforme de 2021. À l’origine du pourvoi on retrouve une situation fort classique où, le 5 mars 2014, une personne physique se porte caution solidaire d’un prêt consenti par une banque à une seconde personne physique (le débiteur principal, dans la suite de ce commentaire). Le créancier fait face à des défauts de paiement si bien qu’il envoie une lettre simple le 16 avril 2016 qui mentionne ce défaut de paiement pour les échéances de mars et d’avril 2016. Le 22 septembre suivant, la banque met en demeure la caution de régler lesdites sommes par courrier recommandé. Le 14 mars 2017, le créancier assigne ladite caution en paiement. En cause d’appel, les juges constatent que la banque produit bien une lettre simple mentionnant un défaut de paiement si bien qu’elle refuse de priver le créancier des pénalités et intérêts de retard en raison d’une...

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Chronique d’arbitrage : à l’ami, à la mort

Ce n’est d’ailleurs pas un, mais deux arrêts majeurs qui ont été rendus le 10 janvier 2023. En plus de l’arrêt PAD (Paris, 10 janv. 2023, n° 20/18330, JCP E 2023. 1061, note D. Mainguy ; JCP 2023. Doctr. 221, obs. P. Giraud), la cour d’appel de Paris a rendu une décision très attendue dans l’affaire Komstroy (Paris, 10 janv. 2023, n° 18/14721). Parce que les deux décisions sont d’égale importance, le lecteur de cette chronique aura le droit à une analyse exhaustive de chacune. Au-delà, la rentrée est chargée et plusieurs autres arrêts sont à signaler. D’abord, un arrêt HD Holding (Civ. 1re, 1er févr. 2023, n° 21-25.024) qui casse opportunément un arrêt d’appel pour avoir examiné le respect d’une clause de médiation préalable au titre du contrôle de la compétence. Ensuite, l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi dans l’affaire Central Bank of Libya (Paris, 3 janv. 2023, n° 21/14388), qui retient une appréciation restrictive et contestable de l’intérêt à agir d’un tiers. Enfin, on mentionnera l’arrêt Eckes, qui envisage une appréciation très conservatrice de l’extension de la clause compromissoire (Paris, 6 déc. 2022, n° 21/11615).

L’arrêt PAD

L’affaire PAD est déjà connue de tous (Paris, 10 janv. 2023, n° 20/18330, préc.). Elle n’a pas fait le tour du monde en 80 jours, mais tout au plus en 80 heures. Ce n’est pas tant l’apport de l’arrêt qui lui vaut cette notoriété, que la renommée des protagonistes. Inutile, pour autant, de donner les noms, l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire invitant d’ailleurs à préserver cet anonymat. Nombreux sont ceux qui les connaissent déjà et les autres pourront les identifier en trois clics. Néanmoins, on ne contribuera pas à la propagation au sein des algorithmes de l’identité des personnes concernées. C’est, à notre estime, le minimum. Toutefois, puisqu’il s’agit d’une affaire qui touche à la révélation, et que l’intégrité scientifique est aussi importante que l’intégrité arbitrale, le lecteur doit savoir : l’auteur de cette chronique a des liens académiques forts avec le président du tribunal arbitral. Ils ne sont pas, suivant l’expression figurant dans la déclaration d’indépendance dudit président, « de nature à remettre en cause ni de près ni de loin ma parfaite indépendance non plus que ma totale impartialité, mais, dans un souci de totale transparence, et de complète information à l’égard des parties, je tenais à les préciser ». Reste qu’ils existent et que le lecteur conservera son esprit critique à la lecture de ces lignes.

Venons-en aux faits. Le fond du litige est indifférent. Ce qui importe, c’est qu’un tribunal arbitral a été constitué et que son président, professeur de droit au sein d’une université française et spécialiste du droit de l’arbitrage, a, dans sa déclaration d’indépendance, révélé plusieurs circonstances (la déclaration est reproduite dans la décision). En cours de procédure arbitrale, le principal avocat d’une des parties au litige, lui-même professeur de droit et spécialiste du droit de l’arbitrage, est décédé. Le président du tribunal arbitral a alors publié un (vibrant) hommage en l’honneur de son collègue et ami. C’est cette circonstance – l’amitié entre le président du tribunal arbitral et le conseil d’une partie – qui est au cœur du litige. Il est en effet reproché au président de ne pas l’avoir révélée alors qu’elle est de nature, aux yeux du recourant, à créer un doute légitime sur son indépendance et son impartialité. La cour d’appel, convaincue par les faits de l’espèce, prononce l’annulation de la sentence.

Il y a deux niveaux de lecture possibles pour cette décision. Le premier est technique et conduit à un examen du cheminement de la cour pour aboutir au prononcé de l’annulation. Depuis plusieurs années, la question de la révélation fait l’objet d’une réglementation très pointilleuse (et que nous critiquons presque systématiquement), qui limite les cas d’annulation. Sauf à réaliser un revirement de jurisprudence explicite, il n’y a aucune raison de s’écarter du chemin ainsi tracé. Or sur ce point, la décision prête le flanc à la critique. Le second est plus général et porte sur le traitement du lien d’amitié dans l’arbitrage international. La question est légitime et il n’y a pas à regretter qu’elle soit enfin posée frontalement. Elle permet de revenir de façon plus générale sur l’obligation de révélation et de mettre en lumière certains écueils dont la jurisprudence française – en dehors de cette décision – est à l’origine.

L’annulation de la sentence : un cheminement discutable

Au cours de l’année 2022, la cour d’appel a stabilisé sa jurisprudence pour clarifier le raisonnement en présence d’allégations portant sur le défaut de révélation de certaines circonstances par l’arbitre. Premier temps, il faut que le grief soit recevable ; deuxième temps, il faut que l’arbitre se soit abstenu de révéler des circonstances qui auraient dû l’être ; troisième temps, il faut que la circonstance ignorée soit de nature à créer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. Examinons la décision à la lumière de ce cheminement.

La recevabilité du grief

L’article 1466 du code de procédure civile, connu de tous, impose aux parties de dénoncer les irrégularités procédurales dès que possible, faute de quoi elles y renoncent. Cette règle est entendue largement et la cour le rappelle, en soulignant que « cette disposition ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences arbitrales, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520-5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international de fond. Le grief allégué constitutif du cas d’ouverture tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral est donc soumis à l’article 1466 précité ». Sur cet aspect, rien de nouveau.

À première vue, on peut même penser que la question dans l’affaire PAD ne soulève aucune difficulté. L’hommage du président du tribunal arbitral date du 15 avril 2021 alors que la sentence arbitrale a été rendue le 10 novembre 2020 et le recours en annulation formé le 14 décembre 2020. Autrement dit, la découverte est postérieure à la reddition de la sentence, ce qui permet d’écarter toute discussion sur la renonciation pendant l’instance. Mieux, la sentence attaquée n’est que partielle et la procédure est encore en cours à la date de l’hommage. Or le requérant a introduit une demande de récusation le 20 avril 2021. Le devoir de réaction a été respecté pour permettre l’examen du grief devant le juge de l’annulation.

On peut toutefois soulever une double interrogation.

D’une part, la notoriété de la relation amicale est éludée (dans le même sens, D. Mainguy, note ss. Paris, 10 janv. 2023, n° 20/18330, JCP E 2023. 1061). Ne méritait-elle pas de faire l’objet d’un examen ? Ainsi, la cour d’appel reproduit l’argumentation des requérants selon laquelle « le PAD considère que la preuve est suffisamment rapportée des liens actuels, profonds, étroits, intenses et de longue date entre les intéressés, relevant notamment que [le président du tribunal arbitral] a été l’élève du [conseil] qui faisait partie de son jury de thèse ». Or s’il y a bien une information notoire, c’est celle-là. Il suffit pour la connaître d’ouvrir la thèse du président du tribunal arbitral pour constater, dès la première page, que le nom du conseil figure parmi les membres du jury. Depuis des mois, la jurisprudence invite les parties à réaliser un examen minutieux de tout ce qui se trouve sur Internet, mais la consultation de la première page du travail fondateur de la vie d’un universitaire échappe à cette obligation d’investigation ? D’ailleurs, il suffit de consulter rapidement la bibliographie des deux universitaires pour constater qu’ils ont participé ensemble à de nombreux colloques, en France comme à l’étranger, en qualité de coparticipants voire d’organisateur.

Cela dit, le lecteur pourra tout à fait souligner qu’il s’agit là de relations universitaires, scientifiques ou doctrinales qui sont distinctes des relations d’amitié. C’est parfaitement exact. Reste que le requérant souligne lui-même qu’« après le décès brutal de ce dernier, […] des doutes sur son impartialité sont devenus des certitudes ». Ce n’est d’ailleurs pas illégitime d’avoir de tels doutes lorsque l’on constate l’existence de liens universitaires intenses. Comme les arbitres, les universitaires ne sont pas des créatures éthérées et des rencontres académiques peuvent découler des liens d’amitié. Or la voie, dans une telle situation, est tracée par la jurisprudence Tecnimont (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier image ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin ; ibid. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay ; maintenu par, Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 24 image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans). Lorsque les informations, qu’elles soient notoires ou communiquées par l’arbitre, sont à l’origine d’un doute, l’obligation de réaction est réactivée. La partie doit alors interroger l’arbitre et, le cas échéant, former une demande de récusation. On peut rester sceptique face à l’argumentation d’une partie qui admet avoir des doutes antérieurs à l’hommage publié, mais qui est restée inactive.

D’autre part, la jurisprudence de la cour d’appel a retenu il y a quelques mois que le déclenchement d’une demande de récusation n’est pas suffisant pour échapper à la renonciation. Il faut, en plus, réitérer ses réserves devant le tribunal arbitral après le rejet de la demande par l’institution. L’arrêt Pharaon est clair sur cette exigence : « Le fait que les décisions de récusation rendues par la Cour de la CCI ne soient pas susceptibles de recours au terme de son règlement d’arbitrage, ce que les parties ont au demeurant accepté en soumettant leur arbitrage à ce règlement et que les décisions rendues par ce centre ne soient pas revêtues de l’autorité de chose jugée et ne lient pas le juge de l’annulation, ne dispensent pas la partie qui entend maintenir sa contestation de formuler expressément une objection ou à tout le moins des réserves devant le tribunal arbitral, dès lors que si elle s’abstient de le faire, elle doit être réputée avoir pris acte des décisions de récusation et accepté de se soumettre au tribunal arbitral ainsi constitué » (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Lexbase Hebdo, 9 sept. 2021, obs. L. Chuk Hen Shun). Rien dans l’arrêt n’indique que cette formalité a été respectée, alors que l’arbitrage était encore en cours après le rejet de la demande de récusation.

En définitive, on est un peu étonné que la question de la notoriété soit passée si rapidement. Faut-il y voir un changement de cap, vers une appréciation renouvelée de la notoriété que nous appelons inlassablement de nos vœux depuis plusieurs années ? Impossible de le savoir. Et c’est sans doute le principal problème. En effet, la sécurité juridique est un principe au moins aussi important que la qualité de la règle posée. En la matière, la jurisprudence nous dit depuis des années, et encore dans l’arrêt PAD, que « l’arbitre est dispensé de révéler les faits notoires » (§ 50 de l’arrêt). Les arbitres qui révèlent (ou ne révèlent pas) aujourd’hui se fondent, en principe, sur les solutions acquises à cet instant. En revanche, ils sont dépourvus de facultés divinatoires permettant d’anticiper les évolutions jurisprudentielles d’ici quelques années, à la date à laquelle un recours sera examiné. C’est d’ailleurs la raison qui doit inciter les arbitres à révéler les faits notoires, quand bien même la jurisprudence les en dispense, car nul ne peut prévoir les solutions de demain. Partant, on doit bien admettre que le faible intérêt porté à cette question dans la décision n’est pas sans susciter une certaine inquiétude et devrait préoccuper l’ensemble de la communauté.

L’obligation de révélation de la circonstance

La détermination des circonstances à révéler est une question qui a fait l’objet des évolutions les plus intéressantes et les plus intrigantes ces dernières années. La jurisprudence, depuis le fameux arrêt Vidatel, creuse un sillon inattendu qui place le règlement d’arbitrage au cœur du raisonnement (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud). La raison à cela tient au silence du droit français, qui n’apporte aucun soutien aux arbitres dans l’identification des circonstances à révéler. L’arrêt ne dit pas autre chose, en relevant que « le contenu de l’obligation de révélation n’est pas précisé, l’article 1456 du code de procédure civile ayant consacré la règle matérielle d’origine prétorienne qui impose à l’arbitre une obligation générale de révélation » (l’appellation de « règle matérielle » peut être discutée, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une règle spécifique au commerce international, mais une règle qui s’applique aussi bien en matière interne qu’internationale. Cela dit, sa mise en œuvre répond aux caractéristiques d’une règle matérielle).

Comment faire face à cette lacune du droit français ? Deux options sont envisageables : créer un régime prétorien de toute pièce ou renvoyer à des sources tierces. Après avoir longtemps suivi la première voie, le droit français emprunte désormais la seconde. L’arrêt PAD n’y déroge pas et énonce que « s’agissant en l’espèce d’un arbitrage rendu sous l’égide de la CCI dans lequel les parties ont entendu se soumettre au Règlement de la CCI (version 2017), il appartient à l’arbitre de faire application de ce Règlement et de se référer aux recommandations émises en cette matière par ce centre d’arbitrage (v. “note du 1er janvier 2019 aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage selon le Règlement d’arbitrage CCI”), ce qui lui donne un référentiel objectif pour lui permettre de satisfaire à cette obligation ». La fin de l’attendu est intéressante et révèle la ratio legis de ce choix : donner à l’arbitre un référentiel impératif, stable et qui ne nécessite pas de connaître le contenu du droit français.

Ce choix est audacieux. Il est cohérent avec l’aspiration jurisprudentielle de soutenir l’autonomie de l’arbitrage international et de placer la volonté des parties au cœur de son régime juridique. Il consacre une forme de supplétivité du droit français en matière d’obligation de révélation. Reste que la route est semée d’embûches et que ce choix, si l’on est prêt à le soutenir, sera soumis à rude épreuve. En effet, il faut assumer le projet jusqu’au bout et admettre que les institutions puissent régler intégralement ces questions. C’est accepter que le juge français soit partiellement voire totalement dépossédé de ce cas d’ouverture. En effet, le pire serait que les exigences institutionnelles et les exigences jurisprudentielles se cumulent, se contredisent ou s’annihilent. Il faudra du temps pour attendre un point d’équilibre.

Quoi qu’il en soit, à propos des circonstances à révéler, il est déjà acquis qu’il faut partir de la fameuse Note aux parties de la CCI pour établir l’existence d’une obligation pesant sur les arbitres. C’est ce que fait la cour, qui rappelle que la Note prévoit l’obligation pour les arbitres de révéler toute « relation professionnelle ou personnelle étroite avec le conseil de l’une des parties ou le cabinet d’avocats de ce conseil ». Elle ajoute, comme cela est précisé dans la Note, que la liste dressée n’est pas exhaustive et que tout doute doit être résolu en faveur de la révélation.

En l’espèce, deux liens différents sont pointés du doigt par le requérant : d’une part, celui entre le président et un coarbitre et, d’autre part, le fameux lien entre le président et le conseil. Ces liens ne figurent pas dans la déclaration d’indépendance de l’arbitre, qui est reproduite intégralement.

Sur le premier, le lien entre le président et le coarbitre, lui aussi professeur de droit, échappe à la révélation. La cour juge que « les liens professionnels qui peuvent exister entre les avocats et les professeurs de droit, notamment dans le domaine de l’arbitrage international, et en particulier dans le milieu universitaire à un niveau doctoral et pour les jurys de thèse, n’impliquent nullement, par nature, l’existence de relations professionnelles ou personnelles “étroites” au sens des recommandations de la CCI précitées, ces relations pouvant tout au plus être qualifiées d’académiques ou de scientifiques ». Faute d’éléments supplémentaires, la relation est considérée comme échappant à l’obligation de révélation (v. égal., sur les liens académiques, Paris, 17 mai 2022, n° 20/15162, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay image).

Sur le second, la cour écarte également la révélation des liens académiques. En revanche, en s’appuyant sur l’éloge publié à la mémoire du conseil, la cour juge que le lien d’amitié doit être révélé. La motivation mérite d’être reproduite. La cour énonce que « la société DIT relève à juste titre le contexte particulier de cette publication, qui comporte une part d’emphase et d’exagération inhérente aux hommages funèbres. Dans ces circonstances particulières, la mention finale (“Je l’admirais et je l’aimais”) ne saurait, contrairement à ce qu’allègue le PAD, être considérée comme la marque d’une aliénation de son auteur envers le [conseil], mais doit être comprise comme l’expression d’un hommage rendu à une figure respectée du droit de l’arbitrage. S’inscrivant dans un registre personnel, les déclarations qu’elle comporte n’en font pas moins état de liens d’amitié entre son auteur et le [conseil], au sujet desquels [le président] affirme notamment qu’il consultait ce dernier “avant tout choix important”, révélant ainsi l’intensité d’une relation dépassant la simple amitié ordinaire, intensité que conforte l’information selon laquelle le défunt “se livrait” à lui, alors même que l’auteur souligne le caractère exceptionnel d’une telle attitude de la part de l’intéressé (“lui qui le faisait peu”). La proximité et l’intimité ainsi révélées apparaissent telles qu’elles ne peuvent, sauf à vider la notion de sa substance, que conduire à regarder cette relation comme caractérisant l’existence de liens personnels étroits ».

Nous reviendrons de façon plus approfondie sur la question de la révélation du lien d’amitié plus loin dans ce commentaire. Disons simplement, à ce stade, que la démarche adoptée par la cour paraît tomber sous le sens : l’hommage révèle un lien d’amitié qui entre dans le champ de la révélation et dont les parties ont été tenues dans l’ignorance.

Le doute raisonnable

Il est de jurisprudence constante depuis l’arrêt Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Dalloz actualité, 19 oct. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2458, obs. X. Delpech image ; ibid. 2991, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas image ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller) que le défaut de révélation ne suffit pas à emporter l’annulation de la sentence ; encore faut-il que les circonstances soient de nature à faire naître un doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. Sur cet aspect, l’arrêt ne déroge pas à la règle et souligne de façon pédagogique que « la non-révélation par l’arbitre de l’existence de liens personnels étroits avec l’une des parties ou son représentant ne suffit pas, à elle seule, à caractériser un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que les éléments tus soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur son indépendance et son impartialité, c’est-à-dire un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles, l’appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l’espèce ».

Pour la cour d’appel, le doute est caractérisé en l’espèce. Elle énonce que « le fait d’établir un lien entre l’existence des liens personnels étroits précités et une procédure d’arbitrage en cours, par la mention : “c’est sous ses nouvelles couleurs que je devais le retrouver dans trois semaines pour des audiences où il agirait comme conseil et moi comme arbitre, et je me réjouissais d’entendre à nouveau ses redoutables plaidoiries au couteau, où la précision et la hauteur de vue séduisaient bien plus encore que n’importe quel effet de manche. Ce rendez-vous n’aura pas lieu, pas plus que nos rencontres régulières (…)” associée à celle selon laquelle, de son côté, il le consultait “avant tout choix important”, alors que l’arbitrage mentionné dont il était le président se poursuivait entre les mêmes parties, constitue une circonstance qui, sans remettre en cause l’intégrité intellectuelle et professionnelle de l’intéressé, était de nature à laisser penser aux parties que le président du tribunal arbitral pouvait ne pas être libre de son jugement et ainsi créer dans l’esprit du PAD un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité de cet arbitre ». Plusieurs remarques peuvent être formulées à l’égard de cette motivation.

Premièrement, les éléments utilisés pour caractériser le doute raisonnable sont identiques à ceux retenus pour établir la nécessité de révéler les circonstances. D’une part, il s’agit dans les deux cas de propos tenus dans l’éloge funèbre. D’autre part, certains éléments sont visés deux fois, notamment la formule selon laquelle le président consultait le conseil « avant tout choix important », qui est utilisée pour caractériser l’obligation de révélation et le doute raisonnable. L’élément décisif qui a justifié l’obligation révélation est aussi celui qui justifie l’annulation. Cette démarche n’est pas celle adoptée habituellement par la cour, qui exige presque systématiquement des « élément[s] complémentaire[s] tiré[s] notamment des faits ou des circonstances entourant l’affaire » (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/08929, Couach, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. P. Giraud). Cette approche est évidemment envisageable, mais il faut bien admettre qu’elle brouille la frontière entre les deux critères.

Deuxièmement, on peut s’interroger sur la façon d’examiner le doute raisonnable. D’un côté, la cour évoque une « appréciation devant être faite sur des bases objectives ». De l’autre, elle juge que cette circonstance « sans remettre en cause l’intégrité intellectuelle et professionnelle de l’intéressé, était de nature à laisser penser aux parties ». On peine à comprendre si l’appréciation doit être objective ou subjective. Comment admettre l’existence d’un doute si la cour n’en a aucun ? La position des parties est-elle à ce point différente de celle de la cour pour que l’appréciation du doute raisonnable de l’une et de l’autre soit distincte ? Est-on en train de subjectiviser une appréciation objective du doute raisonnable ? Cette dissociation n’est pas sans inconvénient, car les parties, si elles forment un recours, considèrent systématiquement avoir un doute raisonnable. Comment, dès lors, justifier de rejeter le recours si la cour considère que son appréciation est indifférente ? Comment faire le tri dans le doute des parties si la cour n’accorde aucune confiance à son jugement ?

Troisièmement, doit-on se laisser convaincre par le doute caractérisé dans cette affaire ? Sur les trois dernières années, la cour d’appel n’a annulé aucune sentence sur ce fondement. Ce n’est pourtant pas faute d’occasions, puisqu’on dénombre une quinzaine de recours exercés sur ce fondement. Si tous n’ont pas été rejetés pour absence de doute raisonnable, c’est le cas d’un certain nombre d’entre eux. Il est remarquable que, parmi toutes les hypothèses, en particulier celles faisant état de liens matériels entre un arbitre et une partie ou un conseil, la seule qui ait donné lieu à une annulation soit celle où c’est un lien d’amitié qui est en jeu. Le lien désintéressé est-il plus grave que le lien intéressé ? Les arbitres sont-ils incapables de faire la part des choses entre leur mission et leur amitié ? C’est la question qu’il faut désormais se poser.

L’amitié dans l’arbitrage : une question légitime

L’amitié en arbitrage est un éléphant au milieu de la pièce. On peut légitimement critiquer cette situation, mais il ne fait aucun doute que l’on trouve de tels liens dans toute procédure arbitrale. Deux éléments au moins y contribuent : d’une part, l’arbitrage est un petit milieu, où tout le monde se connaît. À force de se côtoyer, des liens se tissent et des amitiés naissent (osons dire qu’il en va de même, historiquement, avec les magistrats spécialisés en arbitrage). D’autre part, l’arbitrage repose sur la confiance. On nomme des arbitres que l’on connaît, non pas tant parce qu’on attend d’eux une quelconque dépendance ou une partialité, mais parce que l’on ne prend pas le risque de choisir un inconnu.

Reste que le débat doit être mené. Depuis plus d’une décennie, l’attention se focalise sur le lien matériel. La raison est double. D’une part, ils sont potentiellement les plus graves, en ce qu’ils peuvent créer une véritable dépendance économique. D’autre part, parce que l’information de l’existence de ce lien est celle qui a le plus de chances de se retrouver matérialisée sur un support accessible aux parties.

En revanche, les liens d’amitié sont insaisissables. Dans un petit milieu comme l’arbitrage, l’amitié peut être connue de tous sans pour autant qu’aucune preuve de celle-ci ne soit disponible. Certes, on peut trouver des indices sur les réseaux sociaux, que ce soit l’amitié sur Facebook (qui, on le rappellera, a été regardée comme indifférente en matière judiciaire, Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 16-12.394, Dalloz actualité, 19 janv. 2017, obs. S. Prétot ; D. 2017. 62 image ; ibid. 208, entretien P.-Y. Gautier image ; ibid. 2390, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny image ; Dalloz IP/IT 2017. 350, obs. G. Desgens-Pasanau image ; JCP 2017. 74, obs. F. G’Sell ; Dr. adm. 2017, Repère 2, obs. Stahl ; Dr. fam. 2017. Repère 2, obs. J.-R. Binet) ou encore la publication de photographies librement accessibles. Reste que, le plus souvent, l’amitié n’est pas une information disponible par écrit (ou en image). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une obligation de révélation pèse sur l’arbitre. C’est à lui de transmettre l’information, pas aux parties de se s’échiner à la trouver, quand bien même, contrairement au lien matériel, l’amitié est rarement confidentielle.

Alors, l’arbitre doit-il prendre l’initiative de révéler cette information ? L’arrêt donne une réponse sans ambiguïté. Reste à en déterminer les contours. Toutefois, il ne faut pas s’arrêter là. La montée en puissance de l’obligation de révélation emporte de nombreux effets de bord, qu’il appartient à la jurisprudence de juguler.

Les contours de l’amitié à révéler

Exiger la révélation du lien d’amitié est une chose ; délimiter cette révélation en est une autre. Or un petit tour de la question révèle que l’on surplombe un puits sans fond.

Premièrement, qu’est-ce que l’amitié ? Ou plutôt, à partir de quel degré la relation doit-elle être jugée digne de révélation ? L’amitié est subjective. Certains diront que leurs amis se comptent sur les doigts d’une main alors que d’autres se vanteront d’en avoir des centaines ou des milliers. Comment objectiver cette qualification ? Quelle intensité du lien ? Quel seuil annuel de rencontres ? Quelle ancienneté de la relation ? Inutile d’en dire plus, on voit déjà que la question est complexe.

Deuxièmement, l’amitié est un lien entre deux personnes. Qui le lien doit-il unir ?

D’un côté, l’arbitre ; mais de l’autre ? Les parties, dira-t-on immédiatement. Certes, mais à l’exception des hypothèses où les parties sont des personnes physiques, cette réponse est trop courte. Il faut déterminer si l’amitié peut concerner les dirigeants, les actionnaires ou encore les salariés d’une partie ? Potentiellement, cela fait beaucoup de monde et on imagine qu’il est indispensable de faire du tri. Qu’en est-il au-delà des parties ? En l’espèce, le lien ne concerne pas une partie, mais son conseil. Simplement, il y a rarement, en arbitrage, une seule personne physique qui assure cette mission. Faut-il étendre l’obligation à toutes ? Faut-il aller au-delà et envisager les membres du cabinet qui ne participent pas à l’arbitrage ? Et quid, autre hypothèse, des coarbitres ? Là encore, l’arrêt envisage le lien entre le président et le coarbitre. Faut-il l’inclure ?

Mais pourquoi limiter le lien d’amitié à l’arbitre ? Ne faut-il pas envisager les conjoints, les ascendants, les descendants ou les collatéraux ? Qu’en est-il des liens qui concernent les associés de l’arbitre ?

Sur ces questions, la Note aux parties de la CCI est très décevante. Elle vise la seule relation professionnelle entre l’arbitre et le conseil d’une partie ou son cabinet (si tant est que l’on puisse être ami avec une personne morale, ce dont Jèze aurait douté… toutefois, les bons comptes font les bons amis et c’est souvent, nous rappelle Soyer, la personne morale qui paie). Rien n’est dit sur l’amitié avec une partie, pas plus que sur les cercles gravitant autour des uns et des autres. Dès lors, le choix de la cour d’appel de se fonder sur la Note aux parties pourrait tourner court, sauf à restreindre le champ de la révélation.

La consultation des IBA Guidelines est plus fertile. Elles mentionnent dans les circonstances à révéler “A close personal friendship exists between an arbitrator and a counsel of a party” et “A close personal friendship exists between an arbitrator and a manager or director or a member of the supervisory board of: a party; an entity that has a direct economic interest in the award to be rendered in the arbitration; or any person having a controlling influence, such as a controlling shareholder interest, on one of the parties or an affiliate of one of the parties or a witness or expert”. L’obligation est plus large, quand bien même on constate que l’entourage de l’arbitre n’est pas concerné.

Le code de l’organisation judiciaire apporte également une piste intéressante. Seule est évoquée, à l’article L. 111-6, l’hypothèse de l’« amitié ou inimitié notoire entre le juge et l’une des parties ». La formule est restrictive et exclut l’avocat.

Il n’est pas inintéressant de se demander si le choix réalisé par le code de l’organisation judiciaire n’est pas plus cohérent que celui réalisé par la Note aux parties de la CCI. Ce qui est recherché, c’est le risque pour l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. Or l’amitié avec une partie est bien plus de nature à influencer la décision de l’arbitre que toute autre relation. Si les magistrats de l’ordre judiciaire sont capables de faire la part des choses entre leur amitié avec un conseil et le litige dont ils sont saisis, il en va de même pour les arbitres, qui ne sont pas plus vertueux, mais ne le sont pas moins.

Pour autant, la hiérarchisation des liens d’amitié en fonction de la gravité ne rend pas moins légitime la question de la révélation. C’est une chose de dire que l’existence d’un lien d’amitié fait obstacle à l’exercice d’une fonction d’arbitre, c’en est une autre que de considérer qu’elle doit être révélée sans pour autant remettre en cause la mission confiée. Il devient indispensable d’établir un cadre sécurisant à la révélation.

Les effets de bord à juguler

Il y a un problème dans la révélation. Il est simple : les arbitres ne sont pas incités à révéler. L’affaire PAD le révèle d’ailleurs au grand jour : sans cet hommage, l’amitié serait restée ignorée et la sentence aurait été préservée.

Comment l’expliquer ? Lorsqu’une personne est pressentie pour assurer une mission d’arbitre, elle va s’interroger sur les circonstances à révéler. Plus les circonstances sont nombreuses, plus il est probable qu’une partie objecte à la désignation. C’est là qu’on touche au cœur de la difficulté. Plus l’arbitre en dit, plus il a de chance d’être écarté (défaut de confirmation ou récusation). Moins l’arbitre en dit, plus il a de chance d’être retenu.

Mais il y a beaucoup plus problématique. On pourrait espérer que les institutions d’arbitrage restent solides face aux contestations – souvent dilatoires – des parties et confirment les arbitres. Et c’est un point que nous n’avons pas encore évoqué à propos de l’affaire PAD. En l’espèce, une demande de récusation a été déposée et rejetée. Néanmoins, la cour d’appel annule quand même la sentence. Rien d’exceptionnel, diront les connaisseurs, la décision de l’institution n’ayant pas autorité de la chose jugée (Paris, 23 juin 2015, n° 13/09748, Rev. arb. 2015. Somm. 957 ; Cah. arb. 2015. 543, obs. P. Daureu et P. Pedone).

C’est...

Ce que prévoit le ministère de la Justice en 2023 sur le numérique

Une application pour les usagers, un plan de soutien immédiat aux juridictions et un ambitieux projet « zéro papier » – qui suscite d’ailleurs déjà le doute. Présenté à la mi-février, le second plan de transformation numérique du ministère vient d’être à nouveau détaillé dans le rapport annexé de l’avant-projet de loi de programmation et d’orientation de la Justice, qui doit être débattu au printemps et qui vient d’être dévoilé par Dalloz actualité.

Un document de quarante pages qui refait le point sur ces chantiers très attendus. Ainsi, outre le déploiement d’une centaine de techniciens informatiques dans les tribunaux cette année, le service du numérique doit plancher sur la connexion au réseau interministériel de l’État (RIE 2) pour « augmenter substantiellement les débits », signale le ministère. La remise à niveau du parc informatique...

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Arbitrage, référé et date d’appréciation de l’urgence

Une société tchèque confie à une société française la distribution exclusive de ses produits en Normandie, par un contrat stipulant une clause compromissoire.

Cette société française saisit un juge des référés afin qu’il soit fait défense à la première société de collaborer avec une société tierce, qu’il lui soit ordonné de produire des pièces et qu’elle soit condamnée au paiement d’une provision.

Cette articulation du droit de l’arbitrage et d’une procédure de référé est bien connue.

Applicable à la matière de l’arbitrage international sur renvoi de l’article 1506 du code de procédure civile, l’article 1449 dispose que en effet que « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’État aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou...

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Office du juge et titre exécutoire

« Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras ; L’un est sûr, l’autre ne l’est pas » nous enseigne Jean de La Fontaine (Le petit poisson et le pêcheur). Il n’en reste pas moins qu’en l’absence de certitude d’obtenir leur dû, les justiciables pourront parfois préférer multiplier les moyens de parvenir à leurs fins.

Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 1er mars 2023 illustre cette tentation. Les faits de l’espèce étaient simples : des époux avaient confié à un entrepreneur la conception et la réalisation de certains travaux d’intérieurs pour leur maison, travaux qui ont, semble-t-il, été menés à bien. Afin de payer le solde du prix du marché, les époux ont alors émis un chèque pour un montant d’un peu plus de 90 000 €. Le chèque étant demeuré impayé en raison d’un défaut de provision suffisante, un huissier de justice a alors délivré au contractant impayé un titre exécutoire en application de l’article 131-73 du code monétaire et financier.

L’un des époux ayant assigné le cocontractant en nullité du contrat, en restitution des sommes déjà perçues et en indemnisation, ce dernier demanda reconventionnellement la condamnation de l’époux à lui payer le solde du prix. On comprend implicitement que la cour d’appel d’Agen, par un arrêt du 5 juillet 2021, avait rejeté l’ensemble des demandes. En ce qui concerne la demande en paiement du prix, ce rejet était motivé par le fait que le cocontractant disposait « déjà d’un titre exécutoire pour ce montant établi par huissier de justice le 30 août 2008 » (arrêt, § 8).

D’un article 4 à l’autre

Sur pourvoi incident formé par le contractant impayé, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt. Si un tel résultat n’étonne pas...

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Les conditions de recevabilité du pourvoi incident

Chacun sait que, sauf disposition contraire, le délai pour former un pourvoi, qui court à compter de la signification du jugement, est de deux mois (C. pr. civ., art. 612). Ce délai de deux mois n’est cependant pas toujours applicable au pourvoi incident, même provoqué, qui obéit aux règles qui gouvernent l’appel incident (C. pr. civ., art. 614). Il résulte en effet de l’article 550 du code de procédure civile que, sous réserve d’être formé dans les conditions de forme et de délai prévues par l’article 1010 du code de procédure civile, le pourvoi incident ou provoqué est recevable alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal ; dans ce dernier cas, il n’est cependant pas reçu si le pourvoi principal est lui-même irrecevable.

La mise en œuvre de ces règles conduit à distinguer deux visages du pourvoi incident ou provoqué.

Exercé dans le délai pour former un pourvoi principal, le pourvoi incident ou provoqué ne constitue qu’une commodité procédurale : parce qu’un pourvoi a déjà été formé et a initié un lien juridique d’instance, il est inutile d’exiger de la partie qui entend, à son tour, exercer cette voie de recours qu’elle formalise un nouveau pourvoi principal. Mais, sauf à priver une partie du droit de former un pourvoi en cassation, ce pourvoi incident ou provoqué a la même portée qu’un pourvoi principal : que le pourvoi principal soit déclaré irrecevable ou que soit prononcée sa déchéance, n’a aucune incidence sur la recevabilité du pourvoi incident ou provoqué. Cela ne signifie pas que le pourvoi incident ou provoqué est toujours recevable ; simplement, sa recevabilité ne dépend pas du sort du pourvoi principal.

Mais le pourvoi incident ou provoqué peut présenter un autre visage. Parce que l’exercice...

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Quand la clause pénale rencontre le droit des entreprises en difficulté

Les arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation sur la clause pénale publiés au Bulletin ne sont guère nombreux. Par conséquent, la pratique reste assez attentive à toutes les décisions qui peuvent être l’occasion d’en préciser les contours et le régime. La clause pénale reste une institution, en effet, extrêmement utilisée pour son efficacité redoutable notamment dans les contrats d’entreprise ou de bail (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 996, n° 888). Mais cette efficacité peut être mise à mal lorsque le débiteur se retrouve dans une procédure collective. La déclaration de la créance est alors un moment décisif en ce que les créanciers peuvent ainsi entrer dans ladite procédure collective et espérer obtenir un jour leur dû selon leurs situations respectives (sur la qualification juridique de la déclaration de créance, P. Le Cannu et D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 532, n° 786). L’arrêt rendu le 8 mars 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation vient explorer une question à la croisée de ces chemins.

Les faits ayant donné lieu au pourvoi débutent par la conclusion d’un bail commercial par acte du 29 novembre 2012 entre une société civile immobilière et une seconde société portant sur un local situé dans un centre commercial. L’article 9 du contrat stipule que si le preneur ne se présente pas à la date de livraison prévue (fixée à 2 mois avant la date d’ouverture du centre commercial au public) ou s’il manifestait sa volonté de ne pas exécuter le bail, il devrait verser au bailleur une indemnité forfaitaire correspondant à trois années de loyer de base, toutes taxes comprises. Voici que le preneur à bail est soumis le 30 avril 2013 à une procédure collective (à savoir, un redressement judiciaire). La société civile immobilière avertit son débiteur postérieurement que la livraison du local aura lieu le 7 août 2013. L’administrateur judiciaire informe ladite société civile qu’en application de l’article L. 622-14 du code de commerce, qu’il...

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La laïcité dans le service public de la justice : état des lieux

Susciter une réflexion sur la place de la laïcité dans l’activité quotidienne des juridictions et des lieux de justice. Tel était l’objet de l’appel à projets lancé en 2016 par la Mission de recherche droit et justice à la demande de la Direction des affaires criminelles et des grâces de la Chancellerie, et qui a donné lieu à trois rapports de recherche, publiés en 2019, et un colloque, organisé en janvier 2022 par l’Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice. L’objectif de ces travaux est d’identifier les problèmes juridiques qui se posent aux acteurs de la justice lorsqu’ils appliquent le principe de laïcité et, plus largement, lorsqu’ils sont confrontés au fait religieux.

Il s’agit donc de se pencher sur les rapports entre, d’une part, l’obligation de neutralité des fonctionnaires et des agents du service public et, d’autre part, la liberté de pensée, de conscience et de religion des justiciables. Ces derniers n’étant pas soumis à une obligation de neutralité, ils sont libres de manifester leurs convictions – notamment religieuses – à condition de ne pas violer l’ordre public, de respecter les lois et règlements en vigueur et de ne pas troubler le fonctionnement du service. Ce qui leur interdit, par exemple, de dissimuler intégralement leur visage, de se livrer au prosélytisme ou de se prévaloir de leurs croyances religieuses pour s’affranchir des règles régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers.

Mieux former les professionnels de la justice

Réalisée sous la direction de Mathilde Philip-Gay, professeur de droit public à l’Université Lyon 3, l’étude sur La laïcité dans la Justice fait un constat assez inattendu : les professionnels de la justice n’ont pas une connaissance très précise ni très exacte de la notion juridique de laïcité. On peut observer chez eux une multitude de conceptions philosophiques et politiques de la laïcité, et une tendance à faire passer des opinions personnelles pour une règle de droit positif. Or, si cette méconnaissance est très similaire à celle observée dans le reste de la population française, elle est surprenante chez ceux qui sont chargés d’appliquer le droit et de garantir le respect du principe de laïcité au sein des institutions judiciaires.

Or, l’étude souligne que le fait de bien connaître et de respecter le droit positif en matière de laïcité permet aux professionnels d’éviter les situations qui peuvent les conduire à émettre un jugement sur les convictions du justiciable. Et cela permet aussi d’éviter de faire passer des convictions individuelles pour une règle juridique. D’où l’importance de former les professionnels de la justice au droit applicable et de développer une méthodologie de prise en compte du fait religieux dans le respect des principes de la laïcité. L’étude rappelle par ailleurs que le principe de neutralité de l’administration et des services publics revêt deux dimensions, en France : il implique que les agents publics donnent toutes les garanties de la neutralité mais aussi qu’ils en présentent l’apparence pour que l’usager ne puisse en douter. La neutralité à la française est donc à la fois « une neutralité objective » et une « neutralité d’apparence ».

Le juge et les deux facettes de la neutralité à la française

Dirigée par Elsa Forey et Yan Laidié, professeurs de droit public à l’Université de Bourgogne, l’étude sur L’application du principe de laïcité dans la justice s’est notamment penchée sur l’implication, pour les juges, des deux facettes du principe de neutralité de l’administration et des services publics : la neutralité des apparences (ou neutralité statutaire) et, surtout, la neutralité du « for...

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Panorama rapide de l’actualité « santé » des semaines du 13 février, du 20 février et du 27 février 2023

par Karima Haroun, rédactrice spécialisée, Dictionnaire Permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, Éditions Législativesle 16 mars 2023

Retrouvez toute l’actualité du droit de la santé, dans le Dictionnaire permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, Éditions Législatives.

Produits de santé

Prise en charge d’un médicament d’exception

Les ministres peuvent, à la suite de l’avis de la Commission de la transparence, subordonner la prise en charge d’un médicament de l’ostéoporose à une prescription initiale par un médecin spécialiste de la maladie. (CE 7 févr. 2023, n° 462425)

Denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales

La Cour de justice précise dans quelle mesure des produits commercialisés dans le but de traiter des infections urinaires peuvent être qualifiés de denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales, de médicaments ou de compléments alimentaires. (CJUE 2 mars 2023, aff. C-760/21, Kwizda Pharma GmbH contre Landeshauptmann von Wien)

Personne et corps humain

Activité de prélèvement et de greffe d’organes et de tissus

L’Agence de la biomédecine publie les chiffres de l’activité du prélèvement et de la greffe d’organes en 2022 et annonce une reprise malgré le contexte actuel. Les dons de tissus ont augmenté de 5,3 % entre 2021 et 2022. Dans 80 % des cas, il s’agit de prélèvements de cornées sur des...

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Dispositif, concentration, moyens et prétentions : la grande illusion

Condamné par le tribunal de commerce en tant que caution à verser différentes sommes, une partie relève appel devant la cour d’appel de Paris, laquelle confirme le jugement par arrêt du 7 avril 2021 en estimant irrecevable la demande de l’appelant visant à obtenir une condamnation de la banque et du fonds commun de titrisation. Les juges d’appel considèrent que si le dispositif des premières conclusions sollicite bien le débouté des demandes de la banque, aucune motivation n’apparaît dans les conclusions, cette demande de débouté ne renvoyant à aucune prétention dûment explicitée et justifiée par des pièces. Pour la cour, est donc irrecevable le moyen de défense de la caution appelante, fondé sur l’article L. 332-1 du code de la consommation, soulevé pour la première fois dans des conclusions ultérieures et dans le dispositif. La caution forme un pourvoi pour violation des articles 910-4 et 954 du code de procédure civile afin de soutenir que le principe de concentration des prétentions se comprend non au regard de la motivation contenue dans le corps des premières écritures mais bien du dispositif qui contenait la prétention. La deuxième chambre civile répond au visa des articles 910-4, alinéa 1er du code de procédure civile, créé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, dans sa version applicable du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020 et 954 dudit code :

« 3. Selon le premier de ces textes, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
4. En application de l’article 954 alinéas 1 et 3 du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquelles chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
5. Il en résulte que le respect des diligences imparties par l’article 910-4 du même code s’apprécie en considération des prescriptions de l’article 954.
6. Pour confirmer le jugement, l’arrêt, après avoir rappelé les termes des articles 910-4 et 564 du code de procédure civile, retient que l’engagement disproportionné ouvre à la caution un moyen de défense au fond lui permettant de faire rejeter, selon l’article 71, la demande de son adversaire. Il ajoute que l’article 564 autorisant les nouvelles prétentions dès lors qu’elles ont pour objet de faire écarter les prétentions adverses, la demande tirée de la disposition n’est pas irrecevable comme nouvelle en cause d’appel. Il relève que, dans ses conclusions du 10 mai 2019, M. [J] n’a pas sollicité la déchéance de la banque dans sa motivation, la demande de débouté de la banque ne renvoyant à aucune prétention dûment explicitée et justifiée par des pièces comme l’exige l’article 564. Il retient qu’est irrecevable ce moyen de défense soulevé pour la première fois par conclusion du 26 septembre 2019 et dans son dispositif, déclare irrecevable la demande de l’appelant fondée sur l’article L. 332-1 du code de la consommation.
7. En statuant ainsi, alors que l’appelant avait, conformément à l’article 954 précité, mentionné ses prétentions tendant au débouté de la banque, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile, et que l’article 910-4 ne fait pas obstacle à la présentation d’un moyen nouveau dans des conclusions postérieures, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Moyens et prétentions, la confusion des genres

Le moyen unique au soutien du pourvoi était laconique...

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Champ d’application de la directive 2008/48/CE sur les contrats de crédit aux consommateurs : délai pendant lequel l’exécution du contrat de crédit ne peut commencer

Les renvois préjudiciels traitant de la directive 2008/48/CE, laquelle concerne les contrats de crédit aux consommateurs, sont devenus assez rares au fil du temps. Ce texte prévoit notamment, pour le consommateur, le fameux délai de quatorze jours calendaires pour se rétracter dans le cadre d’un contrat de crédit, sans en donner de motif codifié en droit français à l’article L. 312-19 du code de la consommation. Des hésitations sont toutefois apparues sur le lien entre ce délai de rétractation et certaines dispositions des droits internes des États membres, comme pour l’ancien article L. 311-14 du code de la consommation devenu L. 312-25 qui empêche le commencement de l’exécution du contrat de crédit pendant une durée de sept jours. C’est précisément ce qui a conduit la cour d’appel de Paris à poser une question préjudicielle à ce sujet, notamment sur les règles procédurales entourant un relevé d’office de la nullité d’un contrat conclu en violation du délai requis par ce texte.

Rappelons brièvement les faits pour comprendre la portée des questions posées. Le 5 novembre 2011, un établissement bancaire décide de consentir à deux personnes physiques un contrat de prêt à la consommation d’un montant de 15 362,90 € remboursable en 84 mensualités. Les parties se sont entendues, près de quatre ans plus tard, pour réaménager la dette. Mais les débiteurs ne s’exécutent pas à la suite de cette renégociation. Leur défaillance conduit la banque à saisir les juridictions françaises pour voir prononcer une condamnation au paiement du solde restant dû. Par jugement du 25 janvier 2018, le tribunal d’instance du Raincy (Seine-Saint-Denis) a condamné les emprunteurs au remboursement du solde du seul capital perçu car la juridiction avait prononcé la nullité du contrat de crédit en cause. Le tribunal a soulevé d’office l’article L. 311-14 du code de la consommation lequel concerne le délai de sept jours évoqué précédemment dans nos propos introductifs. Le jugement avait constaté que, contrairement à ce que prévoit cette disposition, les fonds faisant l’objet du contrat avaient été mis à la disposition des emprunteurs moins de sept jours suivant l’acceptation de l’offre de prêt. L’établissement bancaire interjette appel. Il avance que la nullité du contrat de crédit ne pouvait pas être soulevée d’office...

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Rétractation du promettant : la chambre commerciale harmonise sa jurisprudence

Parmi les innovations de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’article 1124 du code civil et son bris de jurisprudence sur la rétractation du promettant dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente a fait couler beaucoup d’encre en doctrine (v. sur ce point F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 278, n° 259). À la suite de cette nouveauté dans le droit positif, d’une manière assez surprenante, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, après quelques hésitations, décidé de modifier sa jurisprudence pour les contrats antérieurs au 1er octobre 2016. Elle a pu ainsi préciser que le promettant s’obligeait définitivement à vendre dès cette promesse, rendant sa rétractation inefficace même avant l’ouverture du délai d’option qui est offert au bénéficiaire (v. Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554, D. 2021. 1574 image, note L. Molina image ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; AJDI 2022. 226 image, obs. F. Cohet image ; Rev. sociétés 2022. 141, étude G. Pillet image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati image ; RTD civ. 2021. 630, obs. H. Barbier image ; ibid. 934, obs. P. Théry image ; 20 oct. 2021, n° 20-18.514, Dalloz actualité, 17 nov. 2012, obs. G. Tamwa Talla ; D. 2021. 1919 image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; AJDI 2022. 384 image, obs. F. Cohet image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati image ; RTD civ. 2022. 112, obs. H. Barbier image). La chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé, dans son arrêt du 15 mars 2023 aujourd’hui commenter, de suivre cette voie et de revirer sa propre jurisprudence dans une décision particulièrement longue et permettant d’étudier également la possible modulation des effets du revirement, laquelle était questionnée par le promettant, défendeur au pourvoi. Rappelons les faits pour comprendre toute la portée de cet arrêt assurément très intéressant, destiné toutefois seulement au Bulletin là où on aurait pu, peut-être, l’attendre également au sein des Lettres de chambre.

Deux sociétés concluent, le 21 juin 2012, un protocole d’accord cadre qui a pour objet l’entrée d’une d’entre-elles dans une société filiale de l’autre. La première partie du protocole prévoit que l’une des sociétés acquiert donc 47 % de la société tierce, le solde étant détenu par la société cocontractante. La deuxième partie de la convention stipulait une promesse unilatérale de cession de 13 % des actions de la même société, le bénéficiaire devant lever l’option dans les six mois de la tenue de l’assemblée générale approuvant les comptes clos au 31 décembre 2015. La troisième partie du protocole prévoyait, quant à elle, une promesse synallagmatique de vente de l’ensemble des actions encore détenues par le propriétaire initial sous condition suspensive de la réalisation sans heurt des deux cessions précédentes. Le 8 mars 2016, le promettant notifie au bénéficiaire de la promesse sa rétractation de la promesse unilatérale. Le 28 juin de la même année, le bénéficiaire notifie à cette même société son intention de lever l’option. Le bénéficiaire mécontent de ne pas pouvoir obtenir la cession des parts promises a assigné son cocontractant en exécution forcée de la promesse et en paiement de dommages-intérêts. Les juges du fond rejettent la demande de réalisation forcée de la vente, la demande de dommages et intérêts et annulent la troisième partie de la convention. Ils avancent que, conformément au droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la rétractation du promettant exclut toute rencontre de volontés réciproques de vendre et d’acquérir, signant ainsi l’impossibilité de faire droit à la demande de réalisation forcée de la vente. Nous l’aurons compris, le bénéficiaire de la promesse se pourvoit en cassation en 2021 critiquant cette position jurisprudentielle. C’est ainsi que la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu connaître de ce pourvoi lui laissant la possibilité de revirer sa propre jurisprudence sur cette question.

L’arrêt aboutit à une cassation pour violation de la loi : nous l’étudierons sous l’angle de l’harmonisation des jurisprudences en premier lieu puis de l’absence de modulation de l’application du revirement en second lieu.

Une harmonisation attendue de la position de la chambre commerciale

Dans l’arrêt du 15 mars 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient utilement mettre à profit la technique de rédaction dite de la motivation enrichie pour accompagner son revirement de jurisprudence. Il s’agit d’un des arrêts publiés au Bulletin les plus motivés de ces dernières années, sans aucun doute tant la question effleure...

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Une précision bienvenue sur le point de départ de la majoration de l’intérêt légal

Le contexte

L’article 1237-1 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dispose que « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement. En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. » Il résulte de ce texte que toute décision de justice portant condamnation emporte, en principe, intérêt au taux légal (C. mon. fin., art. L. 313-2) à compter du prononcé du jugement, que le dispositif prenne le soin de la préciser ou pas.

Cependant, l’article L. 313-3 du code monétaire et financier dispose que « En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d’adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé. Toutefois, le juge de l’exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant. » Si le point de départ du calcul de l’intérêt au taux légal ne fait pas de...

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Panorama rapide de l’actualité « Santé » des semaines du 6 mars et du 13 mars 2023

par Karima Haroun, rédactrice spécialisée, Dictionnaire Permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, Éditions Législativesle 24 mars 2023

Retrouvez toute l’actualité du droit de la santé, dans le Dictionnaire Permanent Santé, bioéthique, biotechnologies, Éditions Législatives.

Produits de santé

Loi DDADUE : mesures concernant la santé publique

La loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (DDADUE) comporte des articles dédiés à la « protection de la santé publique ». A côté des dispositions visant le retrait d’autorisation des installations de chirurgie esthétique ne respectant pas les restrictions relatives à la publicité, notamment vis-à-vis des mineurs, la suppression des exemptions dont bénéficie le tabac à rouler ou à chauffer et l’adaptation des règles de déclaration des mélanges classés dangereux, les principales innovations apportées par la loi DDADUE en matière de santé concernent le régime des denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales, l’obligation de sérialisation des médicaments par les pharmaciens d’officine et la lutte contre les ruptures d’approvisionnement en dispositifs médicaux ou dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. (L. n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture)

Produits de santé défectueux et régime de l’exonération pour risque de développement

Le Conseil constitutionnel estime que la différence de traitement existant entre les victimes de dommages corporels résultant d’un produit de santé défectueux, selon que ce produit est ou non issu du corps humain, est objectivement justifiée eu égard à la nature et aux risques spécifiques que présentent les éléments ou les produits issus du corps humain. (Cons. const., QPC, 10 mars 2023, n° 2023-1036)

Dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro : dispositions transitoires

À la lumière des rapports des professionnels de la santé sur le risque imminent de pénurie de dispositifs médicaux (DM) et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DMDIV), un règlement prolonge la validité des certificats délivrés conformément aux directives 90/385/CEE et 93/42/CEE et prolonge la période transitoire pendant laquelle les DM et DMDIV conformes à ces directives peuvent être légalement mis sur le marché. La...

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Avocats : la règle de l’unicité de la représentation n’est pas une fin en soi

La règle de l’unicité de la représentation par avocat est prévue à l’article 414 du code de procédure civile. Selon ce texte, « une partie n’est admise à se faire représenter que par une seule des personnes, physiques ou morales, habilitées par la loi ». Il s’ensuit qu’une partie à l’instance ne peut normalement conclure qu’un seul mandat ad litem. Cette règle est réservée à la représentation. Si une partie au procès décide de s’entourer de plusieurs avocats, un seul sera désigné comme représentant, les autres ayant le statut d’assistant (Rép. pr. civ., v° Assistance et représentation en justice, par D. Cholet, n° 70). C’est la règle de l’unicité de la représentation, ou de l’unicité de la postulation, tendue vers la bonne administration de la justice et érigée dans l’idée principale que « le tribunal n’ait officiellement qu’un interlocuteur à qui s’adresser » (Rép. pr. civ., v° Tribunal judiciaire : procédure écrite ordinaire, par N. Cayrol, n° 18).

Dans un avis attendu rendu le 9 mars 2023, la Cour de cassation répond à une difficulté d’application de cette règle. La situation concerne les assurances. En pratique, il n’est pas rare qu’au sein d’une même instance une compagnie d’assurance soit représentée par plusieurs conseils, lorsqu’elle garantit plusieurs assurés eux-mêmes parties au procès. C’était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’avis, où une instance opposait certains copropriétaires d’une résidence aux différentes sociétés intervenues dans sa construction et à leur assureur. Le constructeur principal et les sous-traitants étant respectivement couverts par le même assureur, la question se posait de savoir si ce dernier devait recourir aux services d’un seul avocat postulant, où s’il devait prendre autant de représentants que d’assurés parties au litige. La question était précisément posée à la deuxième chambre civile en ces termes : « dans un même litige, la représentation d’une société d’assurance prise en ses qualités d’assureur de plusieurs personnes morales distinctes, par autant d’avocats que de personnes assurées, est-elle conforme aux dispositions de l’article 414 du code de procédure civile ? »

L’avis du 9 mars 2023 est positif : « lorsqu’une société d’assurance est partie à un litige à raison de plusieurs contrats couvrant différentes personnes, l’article 414 du code de procédure civile ne fait pas obstacle à ce qu’elle soit représentée par autant d’avocats que de personnes assurées ».

À l’analyse, cet avis nous semble bon (« Avis : du latin visum, “ce qui semble (bon)” ; videre, “voir” » : M. Allain, M. Chapuis, « Qu’est-ce qu’un avis à la Cour de cassation ? », Procédures, mars 2023, 3), ce qui mérite...

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Différends entre avocats : la conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier est facultative

Cette jurisprudence récente, appelée à une certaine publicité, est à contre-courants multiples. Elle est, d’une part, à contre-courant d’un vaste mouvement politique de promotion de l’amiable, qui devrait rapidement trouver une traduction réglementaire. Elle est, d’autre part, à contre-courant d’une politique jurisprudentielle globalement favorable aux modes amiables. C’est en somme une jurisprudence de contraste (sur laquelle, v. S. Grayot-Dirx, Arbitrage du bâtonnier : le défaut de conciliation préalable à sa saisine ne la rend pas irrecevable, JCP 2023. 368).

Son apport est là : si les articles 7 et 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, relatifs aux litiges nés d’un contrat de travail ou de collaboration libérale et aux différends d’ordre professionnel entre avocats, érigent, avec le soutien de l’article 142 du décret du 27 novembre 1991, un préalable de conciliation, celui-ci n’est pas obligatoire, de sorte que sa méconnaissance n’est pas sanctionnée par l’irrecevabilité de la saisine du bâtonnier (v. réc. Civ. 1re, 8 févr. 2023, n° 21-21.893, sur la désignation par convention du bâtonnier compétent s’agissant d’un différend entre avocats de barreaux différents). Pour les différends entre avocats, la conciliation avant saisine du bâtonnier est donc facultative.

Revenons dans un premier temps sur la solution et le raisonnement qui y a conduit.

Litige relatif à un contrat de travail ou de collaboration libérale

La première affaire concerne un contrat de collaboration libérale (pourvoi n° 22-10.679). Un litige survient ; la collaboratrice saisit d’emblée le bâtonnier pour qu’il rende son arbitrage. Le bâtonnier repousse la fin de non-recevoir invoquée de l’autre côté de la barre, tirée de l’absence de tentative de conciliation préalable. Sur recours, une cour d’appel réforme la décision, au motif que la conciliation avant saisine du bâtonnier, prévue par la loi de 1971, ensemble le décret de 1991, revêtirait un caractère obligatoire, dont la méconnaissance se traduirait par l’irrecevabilité de la demande adressée au bâtonnier. Il est vrai que tel est le sens global de la jurisprudence du fond (v. not. Colmar, 31 mai 2019, n° 18/02195, représentatif de cette tendance). Pourvoi est formé et c’est sur moyen relevé d’office que la cassation est prononcée.

La première chambre civile relève, d’une part, que selon l’article 7 de la loi de 1971, les litiges nés d’un contrat de travail ou de collaboration libérale sont, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier (§ 6). D’autre part, elle rappelle que, selon l’article 142 du décret de 1991, le bâtonnier est saisi, à défaut de conciliation, par l’une ou l’autre des parties, l’acte de saisine précisant, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant (§ 7). Ce qui conduit à la conclusion que le préalable de conciliation dont s’agit n’est pas obligatoire.

Litige d’ordre professionnel entre avocats

Dans la seconde affaire (pourvoi n° 21-19.620), le même raisonnement est développé pour la même conclusion, s’agissant de la conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier relativement aux différends d’ordre professionnel entre avocats, mettant en jeu l’article 21 de la loi de 1971 et les articles 142, 179-1 et 179-4 du décret de 1991 (ce dernier rend applicable l’article 142 aux litiges considérés ; le second prévoit l’arbitrage du bâtonnier à défaut de conciliation).

En adoptant, coup sur coup, la même solution au moyen d’un seul et même énoncé normatif, la première chambre civile adresse un message assuré et ferme. Toute la question est de savoir s’il est digne d’approbation. Au regard des dispositions en cause, la solution semble exacte.

La loi de 1971 et le décret de 1991

L’article 7 de la loi de 1971 indique bien que la saisine du bâtonnier est possible « en l’absence de conciliation ». L’article 21, III, de la même loi, seul pertinent ici, est pareillement libellé s’agissant des différends d’ordre professionnel entre avocats. Ainsi, ces dispositions législatives n’érigent explicitement pas le préalable de conciliation en obligation ni n’en sanctionnent la méconnaissance par l’irrecevabilité de la saisine du bâtonnier.

On dira qu’une autre interprétation est possible. De fait, la loi n’est habituellement pas là pour bavarder, de sorte que, pour donner effet utile à cette incise – « en l’absence de conciliation » –, il faudrait y voir un préalable de conciliation obligatoire.

Deux considérations permettent cependant de repousser cette interprétation adverse.

D’une part, le principe est l’accès direct au juge (en l’occurrence, au bâtonnier arbitre). Ce n’est que par exception que des causes d’irrecevabilités sont élevées en forme de préalable obligatoire, exception qui sont théoriquement de droit étroit. Dès lors, en présence d’une disposition ambiguë, le doute doit profiter à l’accès direct au bâtonnier.

D’autre part et surtout, l’article 142 du décret de 1991 permet de lever ce doute subsistant. En effet, il prévoit diverses causes d’irrecevabilité. Or ne se trouve pas parmi ces causes le non-respect du préalable de conciliation. D’aucuns diront que c’est un simple oubli. C’est néanmoins douteux : l’alinéa 1er dudit article évoque bien le cas du défaut de conciliation préalable, mais sans lui attacher la moindre sanction.

L’intention du législateur est donc claire : avant la saisine du bâtonnier, une conciliation est possible mais pas obligatoire. Ne pas mettre en œuvre une conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier n’expose en tout cas pas le requérant à l’irrecevabilité de sa demande.

Ainsi présentée, la solution paraît irrésistible. D’ailleurs, la motivation des arrêts est dans cette veine, d’un syllogisme conquérant et expéditif, à sens unique. Pourtant, un double malaise demeure, l’un relatif à la cohérence interne de la solution, l’autre à sa cohérence externe.

Cohérence interne

Tout d’abord, revient comme un boomerang la question de l’effet utile de cette fameuse incise présente dans la loi et...

De l’absence de date du bordereau Dailly

Les arrêts portant sur la cession de créance ont le vent en poupe en ce moment. Après avoir rappelé la portée de l’article 1701, 2°, du code civil dans le cadre de la cession de droits litigieux (Com. 8 févr. 2023, n° 21-11.415, Dalloz actualité, 15 févr. 2023, obs. C. Hélaine), la chambre commerciale de la Cour de cassation s’intéresse à la cession par bordereau dit « Dailly » dont l’effet translatif nécessite un bordereau daté et signé (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, Dalloz, coll. « Précis », 2022, 13e éd., p. 1809, n° 1652). L’arrêt rendu le 15 mars 2023 permet d’utilement rappeler une jurisprudence importante sur l’absence de date des bordereaux de cession (v. M. Julienne, Régime général des obligations, 3e éd., Lextenso, 2020, p. 181 s., n° 240). Rappelons brièvement les faits pour en comprendre la portée. Une société cède à une autre des créances professionnelles ayant donné lieu à l’établissement de plusieurs factures (en l’occurrence, trois en date du 9 août, du 30 août et du 20 septembre 2010). Voici où le problème commence à apparaître : les bordereaux de cession n’ont pas été datés contrairement à l’exigence du code monétaire et financier. La banque, qui vient aux droits du cessionnaire, assigne en paiement le débiteur cédé qui refuse de payer en se prévalant de cette absence de date. Il estimait que les cessions professionnelles ainsi opérées lui étaient inopposables. Ce même débiteur a été, par la suite, placé en redressement judiciaire. Les juges du fond estiment que faute de date, ces cessions doivent être requalifiées en cession de droit commun. Le débiteur regrette cette position et forme un pourvoi en arguant que ce moyen n’avait pas été présenté à la discussion des parties. L’arrêt est logiquement cassé sur le fondement de l’article 16 du code de procédure civile (Com. 22 janv. 2020, n° 18-17.081, D. 2020. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers image ; ibid. 2085, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; Rev. prat. rec. 2020. 28, chron. O. Salati image). La cour d’appel de Poitiers, de renvoi, refuse à la fois de donner un quelconque effet à la cession de créances professionnelles dont le bordereau n’est pas daté mais, plus encore, refuse de la requalifier en cession de droit commun. La banque se pourvoit en cassation en avançant que l’absence de date ne pouvait pas avoir pour effet de priver l’opération de tout effet translatif en pareille situation.

Le pourvoi est logiquement rejeté. Nous allons...

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La compensation à l’épreuve du crédit documentaire

Le crédit documentaire, opération « profondément synallagmatique » (J.-M. Jacquet, P. Delebecque et L. Usunier, Droit du commerce international, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 615, n° 689), est une institution incontournable du droit du commerce international, au carrefour de plusieurs matières complexes comme le droit des sûretés et le droit bancaire. Mais aussi spéciale soit cette convention, la théorie générale de l’obligation et plus particulièrement son régime peut venir interférer dans les solutions retenues quand plusieurs obligations se croisent. L’arrêt du 15 mars 2023 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation vient régler une question intéressante, inédite, aux enjeux multiples et importants. La décision forgée, typique d’une motivation enrichie, est ainsi promise à une publication à la fois au Bulletin et aux sélectives Lettres de chambre. Ce pourvoi atypique mérite que l’on en rappelle les faits assez précisément.

Une société de droit émirati (dans la suite de ce commentaire, la société) ayant pour activité l’achat et la revente de produits pétroliers demande à une institution financière connue – l’union des banques arabes et françaises (l’UBAF) – d’émettre en faveur d’un de ses fournisseurs une lettre de crédit import pour un montant de 32 685 291,87 $, laquelle a été réglée le 20 mai 2011 sur présentation des documents justifiant la livraison. Il était prévu que le règlement des sommes dues se ferait conformément aux fameuses Règles et usances uniformes de la Chambre de commerce internationale régissant les lettres de crédit (les RUU 600). La société qui a demandé l’émission de la lettre de crédit import n’a pas remboursé intégralement ladite somme mais seulement 3 999 976,12 $ américains dans le délai imparti. Le 1er juillet 2011, l’UBAF confirme plusieurs lettres de crédit export émises en faveur de la société pour un montant de 28 637 129,44 $ américains payables à réception des documents conformes par versement desdites sommes sur les livres d’un établissement bancaire français ouvert par la société. L’UBAF soutenait avoir réglé cette somme par compensation avec sa propre créance qui n’était toujours pas payée. La société décide donc d’assigner l’UBAF en responsabilité soutenant qu’elle a manqué à son obligation en tant que banque confirmante. En appel, les juges du fond confirment le jugement...

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L’étendue de la suspension de la prescription consécutive au prononcé d’une mesure d’instruction préventive

Quel est le droit dont le délai de prescription est suspendu lorsqu’un juge ordonne une mesure d’instruction avant tout procès ?

Telle était la question soulevée dans l’affaire ayant donné lieu à un arrêt rendu le 2 mars 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

Les faits ayant conduit au prononcé de cet arrêt n’étaient guère originaux. Parce qu’elle rencontrait des difficultés à propos de moteurs acquis entre octobre 2005 et octobre 2006, une société a décidé d’assigner la société venderesse à comparaître devant le président du tribunal de commerce afin que, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ce dernier ordonne une mesure d’instruction préventive en vue, notamment, de rechercher l’existence de vices rédhibitoires. Par ordonnance du 20 novembre 2009, le président du tribunal de commerce a fait droit à cette demande et a prescrit une expertise. L’expert a établi son rapport le 26 février 2015 et ce n’est que, selon un acte signifié le 4 mars 2016, que l’acquéreur a assigné le vendeur en paiement au titre de manquements à son obligation de délivrance conforme et à son obligation de conseil. La cour d’appel de Lyon a cependant déclaré ces prétentions irrecevables comme se heurtant à la prescription. Les juges du fond n’ont pas nié qu’un délai de prescription puisse être interrompu par l’assignation devant le juge des référés, puis suspendu par le prononcé de la mesure d’instruction préventive ; en revanche, ils ont estimé que les mesures d’instruction préventives, qui visaient à rechercher l’existence de vices rédhibitoires, n’avaient pas le même objet que celui des prétentions dont ils étaient saisis.

La Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses. Après avoir rappelé les termes de l’article 2239 du code civil, elle a jugé que « si, en principe, la suspension comme l’interruption de la prescription ne peuvent s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ». Appliquant cette règle, elle a constaté que la demande d’expertise en référé, qui tendait à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s’ils étaient atteints d’un vice rédhibitoire, tendait au même but que l’action en inexécution de l’obligation de délivrance conforme, si bien que la cour d’appel aurait dû constater que la mesure d’instruction ordonnée avait suspendu la prescription de l’action au fond.

L’étendue de l’effet suspensif attaché au prononcé d’une mesure d’instruction avant tout procès est ainsi calquée sur celle de l’effet interruptif attaché à la demande en justice.

L’étendue de l’effet interruptif de prescription

Apprécier la portée de l’effet suspensif découlant du prononcé de la mesure d’instruction préventive revient finalement à fixer celle de l’effet interruptif attaché à la demande en référé.

L’article 2241 du code civil prévoit que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ». Mais il faut alors identifier le droit dont le délai de prescription est ainsi interrompu par la demande en justice.

Il pourrait être prétendu que l’effet interruptif ne peut s’étendre au-delà du délai de prescription de l’action qui est mise en œuvre par la demande portée en justice. Cette analyse, qui ne semble jamais avoir été réellement soutenue, conduirait alors à limiter considérablement l’effet interruptif de prescription attaché à la demande tendant au prononcé d’une mesure d’instruction préventive. Car l’action exercée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui tend à la sanction du droit à la preuve (I. Després, Les mesures d’instruction in futurum, préf. G. Wiederkehr, Dalloz, 2004, nos 177 s.), est, selon toute vraisemblance, distincte de l’action qui pourrait ultérieurement être exercée devant un juge du fond. Dans tous les cas, une telle analyse, qui conduirait à un cantonnement de l’effet interruptif de prescription, ne reflète plus le droit positif.

Au moment de la réforme de l’article 2244 du code civil par la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, il avait déjà...

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Sélection de l’actualité « Civil » marquante de la semaine du 13 mars 2023

Article


le 22 mars 2023

Contrats

Clauses abusives : clause de commission d’ouverture d’un prêt hypothécaire

L’article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale qui, eu égard à une réglementation nationale prévoyant que la commission d’ouverture rémunère les services liés à l’examen, à l’octroi ou au traitement du prêt ou du crédit hypothécaire ou d’autres services similaires, considère que la clause établissant une telle commission relève de l’« objet principal du contrat », au sens de cette disposition, au motif qu’elle représente l’une des composantes principales du prix.
L’article 5 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’aux fins de l’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle prévoyant le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture, le juge compétent est tenu de vérifier, au regard de l’ensemble des éléments de fait pertinents, que l’emprunteur a bien été mis en mesure d’évaluer les conséquences économiques qui en découlent pour lui, de comprendre la nature des services fournis en contrepartie des frais prévus par ladite clause et de vérifier qu’il n’existe pas de chevauchement entre les différents frais prévus par le contrat ou entre les services que ces derniers rémunèrent.
L’article 3, § 1er, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une jurisprudence nationale qui considère qu’une clause contractuelle prévoyant, conformément à la réglementation nationale pertinente, le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture destinée à rémunérer les services liés à l’examen, à la constitution et au traitement personnalisé d’une demande de prêt ou de crédit hypothécaire, peut, le cas échéant, ne pas créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, à condition que l’existence éventuelle d’un tel déséquilibre fasse l’objet d’un contrôle...

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[I]Exequatur[/I] : nature juridique et notion de « partie intéressée »

Une société roumaine fait l’objet, en Roumanie, d’une procédure collective. Un tribunal commercial de cet Etat prononce alors trois jugements, dont l’un reconnaît la qualité de créancière d’une autre société roumaine.

Se fondant sur le règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, cette seconde société, créancière, a obtenu que ces jugements soient déclarés exécutoires en France.

Rappelons que l’article 38 du règlement dispose que « les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée ». Rappelons également que la requête devait être présentée au greffier en chef du tribunal de grande instance, devenu le directeur de greffe du tribunal judiciaire (art. 39, 1, renvoyant à l’annexe II du règlement).

L’ancienne administratrice de la société débitrice a alors formé un recours contre la décision du greffier en chef.

Elle soutint que la société créancière n’était pas, au sens de l’article 38, une partie intéressée à faire exécuter les jugements roumains, dans la mesure où ceux-ci avaient été rendus en faveur du liquidateur de la société débitrice et du représentant des créanciers.

L’arrêt du 1er mars 2023 écarte toutefois le moyen du pourvoi dans les termes suivants : « l’exequatur d’un jugement étranger n’étant pas, en lui-même, un acte d’exécution, c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que la (seconde) société, qui avait été admise en qualité de créancière à la procédure collective de la société (débitrice) ouverte en Roumanie, était une partie intéressée à l’exequatur des jugements lui conférant...

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De la qualité pour agir du liquidateur judiciaire en fraude paulienne

Les amateurs de droit des entreprises en difficulté savent à quel point le contenu de l’article L. 622-20 du code de commerce est décisif quant à l’articulation des logiques gouvernant la matière. Ce texte – applicable en liquidation judiciaire par le renvoi de l’article L. 641-4 du même code – dispose notamment que le mandataire judiciaire (ou le liquidateur) a exclusivement qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers.

Du reste, cette habilitation incarne la logique d’une procédure collective : à compter de l’ouverture de la procédure, les créanciers soumis à la discipline collective perdent, sauf exception, leur droit d’agir individuellement contre leur débiteur au profit du mandataire judiciaire qui a donc qualité pour défendre leur intérêt. C’est notamment en cela que la procédure est dite… collective !

Las, les contours de la qualité pour agir du mandataire ne sont pas aisés à déterminer. Au vrai, les questions susceptibles de se poser se cristallisent, substantiellement, autour de ce qu’il faut entendre par la notion « d’intérêt collectif des créanciers » et, procéduralement, par ce qu’est ou non une action tendant à la défense d’un tel intérêt. En somme, ces éléments sont d’autant plus importants qu’il est bien acquis que le mandataire judiciaire ne peut agir dans l’intérêt d’un seul ou d’un groupe particulier de créanciers (Com. 7 janv. 2003, n° 99-10.781 P, D. 2003. 274 image, obs. A. Lienhard image ; RTD com. 2003. 564, obs. A. Martin-Serf image).

Qu’en est-il de l’exercice d’une action paulienne ; action destinée à combattre l’appauvrissement anormal du débiteur par l’obtention de l’inopposabilité de l’acte litigieux (C. civ., art. 1341-2 ; L. Sautonie-Laguionie, La fraude paulienne, LGDJ, 2008) ? Doit-elle s’analyser en une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers ou, au contraire, les créanciers pris individuellement conservent-ils la qualité pour l’exercer ?

Sans être tout à fait novateur, l’arrêt ici rapporté permet de répondre à ces interrogations et, surtout, de revenir utilement sur les discussions inhérentes à la notion d’intérêt collectif des créanciers.

L’affaire

Les faits à l’origine de l’arrêt sous commentaire sont relativement complexes et nous n’en retiendrons que l’essentiel. Deux sociétés sont devenues les créancières d’une autre en raison d’opérations de cession portant sur des terrains qui ne se sont finalement pas réalisées. Or, les sociétés créancières avaient respectivement versé à la société venderesse une indemnité d’immobilisation et un acompte, tous deux garantis par deux hypothèques.

En marge de ces contentieux, la société venderesse a constitué avec la fille de son gérant une autre société au sein de laquelle elle a effectué un apport en nature des terrains litigieux. Par la suite, les parts de cette société ont progressivement été cédées à la fille du gérant et à son épouse.

Courant 2013, l’une des sociétés créancières a assigné la société venderesse et celle « nouvellement » créée en inopposabilité de l’apport en société fait par la première à la seconde sur le fondement de la fraude paulienne.

Las, la société venderesse a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 5 avril et 5 juillet 2016 et le liquidateur a lui aussi assigné la société bénéficiaire de l’apport sur le fondement de la fraude paulienne.

L’affaire est portée en appel et les juges du second degré vont faire droit à la demande du mandataire et déclarer l’apport litigieux inopposable à la procédure collective.

Plus précisément, la cour d’appel a relevé que la société débitrice avait transférait, sous le couvert d’un apport en nature, son patrimoine immobilier dans celui d’une autre société, puis s’était dépouillée progressivement de l’ensemble de ses parts sociales au bénéfice des parents de son gérant au moyen d’une compensation fictive et dénuée de contrepartie. Ce faisant, pour les juges du fond, la débitrice avait effectivement accompli un acte en fraude des droits de ses créanciers, ce qui justifiait, selon eux, de déclarer l’apport inopposable à la procédure collective, et ce, peu important que cette inopposabilité ne profitait pas à l’ensemble des créanciers, mais seulement à deux d’entre eux.

Ce dernier élément est décisif à la compréhension de la solution commentée et était au cœur du pourvoi soumis à la Cour de cassation par la société débitrice.

En effet, selon la demanderesse, le liquidateur n’était pas recevable à exercer l’action paulienne, faute de pouvoir prétendre agir dans l’intérêt collectif des créanciers, dans la mesure où seule une partie des créanciers avait intérêt à voir juger que l’acte attaqué leur était inopposable pour cause de fraude paulienne.

La solution

Fort logiquement à notre sens – mais nous y reviendrons – la Cour de cassation rejette ce pourvoi.

Pour cela, elle retient que le liquidateur – représentant l’intérêt collectif des créanciers (C. com., art. L. 622-20 et L. 641-4) – a qualité pour exercer l’action paulienne contre un acte frauduleux ayant eu pour effet de soustraire un bien du patrimoine du débiteur soumis à la liquidation judiciaire et de réduire ainsi le gage commun des créanciers, y compris lorsque la répartition des dividendes profite exclusivement à certains d’entre eux.

Que devons-nous en penser ?

Au vrai, cette solution ne surprend guère : elle confirme une jurisprudence désormais bien établie et qui mérite d’être approuvée.

Reste qu’à y regarder de plus près, l’arrêt est sans doute plus intéressant à raison des mots qu’il emploie que pour la solution qu’il pose. Si nous formulons cette remarque, c’est que nous reconnaissons dans les termes utilisés par la Cour de cassation une certaine approche des actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers – à l’œuvre depuis maintenant quelques années – et se concentrant sur la finalité de l’action comme clé de détermination de la qualité pour agir ou non du mandataire.

Finalement, nous sommes donc en présence d’une solution classique qui se dote, par cet arrêt, d’un raisonnement moderne (comp. pour l’observation de la même tendance, Com. 8 mars 2023, n° 21-18.677 F-B, Dalloz actualité, 24 mars 2023, obs. M. Guastella) !

Une solution classique

Avant d’évoquer à proprement parler le classicisme de la solution commentée, un bref retour sur le régime de l’action paulienne dans le contexte d’une procédure collective est d’abord nécessaire, tant celui-ci est particulier et quelque peu en contradiction avec la logique inhérente aux actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers et avec celle de la répartition de la qualité pour agir dans le contexte d’une procédure collective (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action, 2023-2024, n° 621.311).

Comme...

Commission d’ouverture des demandes de prêt et clauses abusives

L’utilisation du renvoi préjudiciel en matière de clauses abusives continue d’être particulièrement riche en droit de la consommation. Les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union sont très nombreux, à ce titre, ces derniers mois (v. par ex. dernièrement, CJUE 12 janv. 2023, aff. C-395/21, Dalloz actualité, 17 janv. 2023, obs. C. Hélaine ; AJDA 2023. 491, chron. P. Bonneville, C. Gänser et A. Iljic image ; D. 2023. 70 image ; 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; 8 sept. 2022, aff. jtes C-80/21 à C-82/2, Dalloz actualité, 16 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1596 image ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. K. De La Asuncion Planes image). Aujourd’hui, nous nous intéressons à une affaire relative aux contrats de crédit nous venant tout droit des juridictions espagnoles. Rappelons brièvement les faits pour en comprendre toute la portée. Le 21 septembre 2005, un consommateur décide de conclure avec un établissement bancaire un contrat de crédit avec une garantie hypothécaire pour un montant de 130 000 € qui prévoyait un versement d’un montant de 845 € au titre des commissions d’ouverture de la prestation reçue. Le 24 avril 2018, le consommateur demande en justice la nullité de la clause relative à la commission d’ouverture et la restitution de la somme versée. La demande est accueillie par le Juzgado de Primera Instancia (le tribunal de première instance espagnol). Celui-ci juge nulle la clause et non avenue : il condamne l’établissement bancaire à rembourser au consommateur le montant payé. La banque interjette appel auprès de la juridiction compétente, à savoir l’Audiencia Provincial de Palma de Mallorca (la cour provinciale de Palma de Majorque en Espagne). La cour d’appel refuse de faire droit à la demande de la banque puisque, selon elle, celle-ci n’aurait pas établi que le montant de la commission correspondait à la prestation d’un service effectivement réalisé. La banque s’est donc pourvue en cassation devant le Tribunal Supremo (la Cour suprême d’Espagne). C’est précisément la Cour suprême qui se questionne sur la législation européenne. Elle estime que l’arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (aff. C‑224/19 et C‑259/19, D. 2020. 1516 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image), qui intéresse le même établissement bancaire, souffre d’une difficulté majeure : la juridiction de renvoi concernée à cette époque aurait présenté la réglementation espagnole de manière déformée. Ceci aurait donc conduit à une hésitation sur la portée réelle de l’arrêt Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, qui justifie, selon elle, le renvoi de trois nouvelles questions préjudicielles. Elle décide de surseoir à statuer dans cette optique.

Voici les questions posées à la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-565/21 :

1) L’article 3, paragraphe 1, et les articles 4 et 5 de la directive [93/13] s’opposent-t-ils à une jurisprudence nationale qui, eu égard à la réglementation spécifique de la commission d’ouverture en droit national, en tant que rémunération des services liés à l’examen, à l’octroi ou au traitement du prêt ou du crédit hypothécaire ou d’autres services similaires inhérents à l’activité du prêteur occasionnée par l’octroi du prêt ou du crédit, versée en une seule fois et, en règle générale, au moment de la conclusion du contrat, considère que la clause établissant une telle commission régit un élément essentiel du contrat, puisque cette dernière est une composante principale du prix, et que l’on ne saurait conclure au caractère abusif de cette clause si elle est rédigée de manière claire et compréhensible, au sens large établi par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ?

2) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE s’oppose-t-il à une jurisprudence nationale qui, aux fins de l’appréciation du caractère clair et compréhensible de la clause régissant un élément essentiel du contrat de prêt ou de crédit hypothécaire, prend...

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Indemnisation du préjudice économique des proches par le FIVA : pas d’imputation d’une pension de réversion non sollicitée

Lorsque la victime directe décède, ses proches ont la faculté d’agir en justice à deux titres. Victimes par ricochet (Y. Lambert-Faivre, Le dommage par ricochet, Thèse Lyon 1959), ils peuvent, d’une part, demander réparation de leurs propres préjudices extrapatrimoniaux et patrimoniaux. Leur qualité d’héritiers leur ouvre, d’autre part, une action successorale afin d’obtenir indemnisation des préjudices subis par la victime immédiate (Civ. 2e, 20 mars 2008, n° 07-15.807 : « Attendu que les ayants droit d’une victime décédée […] sont recevables à exercer, outre l’action en réparation du préjudice qu’ils ont subis du fait de ce décès, l’action en réparation du préjudice subi par la victime résultant de sa maladie », D. 2008. 1059 image ; ibid. 2373, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis image). C’est ainsi à double titre que le conjoint survivant d’une victime de l’amiante agissait dans l’affaire soumise à la deuxième chambre civile le 9 mars 2023.

À la suite du décès de son époux d’un cancer broncho-pulmonaire – reconnu par la caisse primaire d’assurance maladie comme présentant un caractère professionnel –, une veuve saisit le FIVA. Contestant l’offre proposée par ce dernier, elle saisit une cour d’appel à fins d’indemnisation, d’une part, du préjudice subi par le défunt au titre de l’assistance par tierce personne (ATP) et, d’autre part, de son propre préjudice économique.

Ces deux demandes sont rejetées. En premier lieu, la cour d’appel considère que les ayants droit « ne produisent aux débats aucun élément médical consacrant expressément la nécessité de l’assistance d’une tierce personne, ou permettant, le cas échéant, d’en déterminer l’étendue » (pt 6). Elle ajoute que « les documents médicaux produits, qui constatent seulement une incapacité fonctionnelle totale, n’impliquent pas, de manière nécessaire, l’exigence d’une assistance par un tiers 24 heures sur 24 » (pt 7).

En second lieu, la cour d’appel, pour rejeter la demande relative à l’indemnisation du préjudice économique subi par la veuve, énonce qu’il appartient à celle-ci d’indiquer si elle a ou non sollicité le bénéfice de la pension de réversion que l’organisme de retraite complémentaire des agents non-titulaires de l’État et des collectivités publiques (IRCANTEC) pourrait lui servir au titre des fonctions d’élu qu’avait exercées son époux et, le cas échéant, si elle perçoit une somme à ce titre (pt 14).

La décision est cassée par la deuxième chambre civile sur ces deux points. Tout d’abord, la Cour de cassation considère que les juges du fond ont privé leur décision de base légale en refusant toute indemnisation au titre de l’ATP « par des motifs insuffisants à caractériser l’absence de besoin d’assistance par tierce personne » (pt 8). Ensuite, elle affirme que la cour d’appel a violé l’article 53 de la loi du 23 décembre 2000 et le principe de réparation intégrale en déboutant la veuve de sa demande relative à l’indemnisation de son préjudice économique. Il résulte en effet de ce texte « que l’indemnisation par le FIVA ne présente pas de caractère subsidiaire » (pt 11), les juges du fond ne pouvant donc pas valablement subordonner la réparation du préjudice économique du conjoint survivant à la demande préalable du versement de la pension de réversion.

Nécessité pour les juges du fond de quantifier les besoins en ATP

Selon la nomenclature Dintilhac, « ces dépenses sont liées à l’assistance permanente d’une tierce personne pour aider la victime handicapée à effectuer les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne. Elles visent à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d’une tierce personne à ses côtés pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie » (J.-P. Dintilhac [dir.], Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juill. 2005, p. 34).

L’indemnisation a lieu en fonction des besoins et non des dépenses. Elle ne saurait être subordonnée à la présentation de factures (par ex., Civ. 2e, 24 nov. 2011, n° 10-25.133, Dalloz actualité, 14 déc. 2011, obs. G. Rabu ; D. 2011. 2932 image ; ibid. 2012. 644, chron. H. Adida-Canac, O.-L. Bouvier et L. Leroy-Gissinger image ; ibid. 2699, obs. D. Noguéro et J.-M. Plazy image ; AJ fam. 2012. 109, obs. T. Verheyde image ; RDSS 2012. 187, obs. T. Tauran image ; 4 oct. 2012, n° 11-24.789 ; 11 sept. 2014, n° 13-20.998 ; 15 janv. 2015, n° 13-27.761, Dalloz actualité, 28 janv. 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 661 image, note M. Saulier image ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon image ; RTD civ....

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Du caractère abusif de certaines clauses de déchéance du terme

Les contrats de prêt sont une source intarissable de contentieux en droit de la consommation. Dans cette optique, certaines stipulations visant à permettre une déchéance du terme plus rapide pour l’établissement bancaire, notamment sans mise en demeure préalable, interrogent quand on les met à l’épreuve du droit des clauses abusives issu de la directive 93/13/CEE. On sait que ces clauses, d’une fréquence très importante, sont la source de pourvois récurrents devant la première chambre civile de la Cour de cassation (v. par ex., sur la notification de celle-ci, Civ. 1re, 10 nov. 2021 P, n° 19-24.386, Dalloz actualité, 23 nov. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 2084 image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image) qui n’hésite pas, par ailleurs, avec d’autres juridictions d’États membres de l’Union européenne à renvoyer diverses questions préjudicielles à la Cour de justice (v. en ce sens Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154 P, Dalloz actualité, 23 juin 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1619 image, note A. Etienney-de Sainte Marie image ; RTD eur. 2022. 203, obs. A. Jeauneau image). Deux arrêts rendus le 22 mars 2023 nous intéressent aujourd’hui en ce qu’ils prolongent les réponses apportées autour des clauses de déchéance du terme et bénéficient, par ailleurs, de la réponse donnée par la Cour de justice à propos des questions transmises par l’arrêt, précédemment cité et commenté dans nos colonnes, du 16 juin 2021. Ces deux arrêts du 22 mars 2023 sont publiés au Bulletin mais également aux Lettres de chambre, signant ainsi une importance toute particulière des solutions qu’ils dégagent. Les établissements bancaires, comme les conseils des emprunteurs, y prêteront une attention toute particulière en ce que les deux décisions prononcent une cassation pour violation de la loi, à savoir de l’ancien article L. 132-1 du code de la consommation devenu L. 212-1 du même code. Le lecteur pourra également se référer à une décision sur la même thématique de janvier dernier (Civ. 1re, 11 janv. 2023, n° 21-21.590 P, Dalloz actualité, 17 janv. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 116 image).

Les faits des deux pourvois se ressemblent. Dans la première affaire (pourvoi n° 21-16.476), une banque consent à une personne physique par acte notarié du 4 décembre 2009 un prêt immobilier en francs suisses garanti par une hypothèque et qui comportait, en outre, une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate. La débitrice devient défaillante et la banque fait délivrer un commandement aux fins de vente forcée des biens hypothéqués. Le 17 février 2020, le tribunal saisi ordonne la vente forcée des immeubles concernés et fixe le montant de la créance de la banque. L’emprunteuse forme un pourvoi en estimant que la clause prévoyant l’exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt peut être qualifiée d’abusive au sens du code de la consommation. Dans la seconde affaire (pourvoi n° 21-16.044), un second établissement bancaire consent le 22 juillet 2008 un prêt immobilier à un couple d’emprunteurs comportant une clause de déchéance du terme. Après ladite déchéance, le créancier engage une procédure d’exécution forcée des immeubles appartenant aux emprunteurs. Ceux-ci avancent, devant la juridiction saisie, le caractère abusif de la stipulation contractuelle considérée ainsi que d’une clause pénale insérée au contrat. Dans cette seconde affaire, la cour d’appel saisie du litige exclut le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du prêt en estimant que la déchéance du terme avait été prononcée après une première mise en demeure restée sans effet précisant le délai pour que les emprunteurs puissent s’y opposer. Ces derniers décident donc de se pourvoir en cassation reprochant une méconnaissance de l’article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2008-776 du 4 août...

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Preuve de la minorité d’un ressortissant étranger

La preuve des faits est, pour celui qui souhaite se prévaloir de l’application d’une règle de droit, un enjeu majeur. L’affirmation, usée jusqu’à la corde (idem est non esse et non probari prétend ainsi l’adage), n’en est pas moins actuelle, ce qu’illustre un arrêt de la première chambre civile du 15 mars 2023.

En l’espèce, un individu, d’origine afghane, prétendait être né en 2004, ce qui l’aurait placé, à l’époque des faits, en dessous de l’âge de la majorité. Ce dernier s’étant présenté au dispositif d’évaluation des mineurs étrangers isolés, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Angers a saisi le juge des tutelles d’une demande d’ouverture d’une mesure de tutelle au profit du mineur prétendu. Celui-ci disposait, depuis le 17 juin 2020 d’un acte de naissance afghan, et s’était vu accorder par l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) le bénéfice de la protection subsidiaire puis s’était vu délivrer le 11 octobre 2021, par le même organisme, un certificat de naissance tenant lieu d’acte d’état civil et mentionnant une date de naissance en 2005.

Par un arrêt du 7 février 2022, la cour d’appel d’Angers avait dit n’y avoir lieu d’ordonner une mesure de tutelle à l’égard de l’individu concerné, estimant en substance que sa minorité n’était pas établie.

Le pourvoi introduit par l’individu est rejeté par la Cour de cassation. Se prononçant...

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Certificat successoral européen et inscription d’un bien au registre foncier

Le règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, a mis en place un certificat successoral européen, qui jouit d’un régime juridique autonome (CJUE 21 juin 2018, aff. C-20/17, pt 46, Dalloz actualité, 18 juill. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2018. 1383 image ; ibid. 2384, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier image ; AJ fam. 2018. 554, obs. C. Gossart image ; ibid. 372 et les obs. image ; Rev. crit. DIP 2018. 850, note L. Perreau-Saussine image ; RTD eur. 2018. 845, obs. V. Egéa image).

Ce certificat, encore peu utilisé en France (D. Boulanger, Utiliser le certificat successoral européen !, JCP N 2022. 1233), est délivré en vue d’être utilisé dans un autre État membre (art. 62, § 1) par les héritiers, les légataires ayant des droits directs à la succession et les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession qui, dans cet autre État, doivent respectivement invoquer leur qualité ou exercer leurs droits en tant qu’héritiers ou légataires, et/ou leurs pouvoirs en tant qu’exécuteurs testamentaires ou administrateurs de la succession (art. 63, § 1). Comme l’a déjà indiqué la Cour de justice (CJUE 21 juin 2018, aff. C-20/17, préc., pt 49), le certificat vise en définitive à aider les héritiers et les légataires, les autres personnes proches du défunt ainsi que les créanciers de la succession à faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontalières ainsi qu’à permettre aux citoyens de l’Union de préparer leur succession (sur ce, Rép. internat., v° Règlement n° 650/2012 sur les successions, Certificat successoral européen, par P. Lagarde, nos 222 s. ; J.-Cl. Int., v° Successions- Droit international privé européen, fasc. 557-50, par M. Revillard, n° 112).

Le certificat peut être utilisé, en particulier, pour prouver un ou plusieurs des éléments suivants : a) la qualité et/ou les droits de chaque héritier ou, selon le cas, de chaque légataire mentionné dans le certificat et la quote-part respective leur revenant dans la succession ; b) l’attribution d’un bien déterminé ou de plusieurs biens déterminés faisant partie de la succession à l’héritier/aux héritiers ou, selon le cas, au(x) légataire(s) mentionné(s) dans le certificat...

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Révision de la jurisprudence sur le délai de recours en révision

Voilà quelques années que la Cour de cassation juge que l’article 528-1 du code de procédure civile s’applique indifféremment aux voies de recours ordinaires et extraordinaires, et indistinctement en sous ordre de ces dernières : une partie qui a comparu n’est recevable à former ni un pourvoi en cassation ni un recours en révision contre un jugement qui n’a pas été notifié dans les deux ans de sa date (quant à la tierce opposition, une partie ayant comparu ne saurait en régulariser une en toute hypothèse). La Cour de cassation révise sa propre jurisprudence : l’article 528-1 ne s’applique finalement pas au recours en révision.

Avant de nous pencher sur le revirement opportun, revenons sur la jurisprudence antérieure.

Jurisprudence antérieure

Le recours en révision est une voie de recours extraordinaire aux côtés du pourvoi en cassation et de la tierce-opposition. Il est régi par le droit commun des voies de recours extraordinaire et diverses dispositions spéciales, figurant aux articles 593 à 603 du code de procédure civile.

Extraordinaire parmi les recours extraordinaires, le recours en révision est essentiellement ouvert en cas de fraude d’une partie ayant volontairement et délibérément trompé la juridiction saisie. Il permet de remettre en cause un jugement passé en force de chose jugée (insusceptible de recours suspensif), voire irrévocable (insusceptible de recours autre qu’en révision).

Les causes d’ouverture sont « précisément et limitativement énumérées par l’article 595 » du code de procédure civile : fraude, rétention d’une pièce décisive, éléments de preuve reconnus ou judiciairement déclarés faux (Civ. 2e, 18 févr. 1999, n° 97-11.767, inédit). L’article 596 l’enserre dans un délai de deux mois à compter du jour où l’intéressé a eu connaissance de la cause de révision, la jurisprudence étant stricte sous ce rapport, exigeant même de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve de cette date (Civ. 2e, 12 févr. 2004, n° 02-11.913, D. 2004. 736 image ; 13 sept. 2007, n° 06-20.757 ; 24 juin 1987, n° 86-11.547) et plus généralement de la recevabilité de son recours (Civ. 2e, 8 nov. 2001, n° 00-15.125, inédit).

Le contact de cet article 596 – et plus généralement de la logique du recours en révision – avec l’article 528-1 du code de procédure civile devait susciter des étincelles jurisprudentielles. De droit commun, l’article 528-1 forme en binôme avec l’article qui précède. Selon l’article 528, les délais de recours courent par principe à compter de la notification du jugement. Cependant, selon l’article 528-1, si le jugement n’a pas été notifié dans les deux ans de son prononcé, la partie ayant comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal ; cette disposition n’étant applicable qu’au jugement tranchant tout le principal ou mettant fin à l’instance sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident. L’idée est, au choix, de sanctionner l’inertie procédurale des parties ou de voir dans leur passivité processuelle une forme d’acquiescement tacite.

Déjà, une tension est palpable. L’article 528-1 a vocation à sécuriser les décisions demeurées non notifiées dans les deux ans de leur date s’agissant des recours principaux d’une partie ayant comparu. En contrepoint, le recours en révision procède de l’adage classique au nom duquel la fraude corrompt tout : dans l’ordre juridique français, ne peuvent demeurer des décisions – même irrévocables – ayant été surprises...

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Nouvel éclaircissement sur la portée de l’effet interruptif de prescription de la saisie immobilière

Le contexte

Les textes régissant la réforme de la procédure de saisie immobilière, l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 réformant la saisie immobilière et le décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006 relatif aux procédures de saisie immobilière et de distribution du prix d’un immeuble sont entrés en vigueur le 1er janvier 2007.

Cette réforme de la procédure de saisie immobilière a été suivie de très près d’une autre réforme d’ampleur, avec la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile et la confrontation de ces deux réformes a suscité des questions, notamment après la rédaction du nouvel article L.137-2 du code de la consommation (devenu depuis art. L. 218-2 du même code) disposant que :

« L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».

Les délais de prescriptions s’étant pour la plupart bien raccourcis (dix ans, cinq ans, deux ans) et les actes interruptifs ayant subi une profonde mutation avec la réforme de la prescription, notamment avec les articles 2244 du code civil : « Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée » et 2242 du même code : « L’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance ».

La confrontation de ces textes avec ceux régissant la procédure de saisie immobilière a fait phosphorer pratique et doctrine, notamment puisque le commandement de payer valant saisie devenait un acte d’exécution forcée (C. pr. exéc., art. L. 321-1) valant acte interruptif en vertu de l’article 2244 du code civil, et que la saisie-immobilière donnait désormais systématiquement lieu à une instance, introduite par une assignation, valant acte interruptif en vertu de l’article 2242 du code civil.

Il a donc fallu répondre à ces énigmes…quel était le point de départ de l’effet...

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Expropriation de parties communes : indemnisation de la perte de valeur des parties privatives

Le principe d’unicité du lot de copropriété que rappelle le deuxième alinéa de l’article 1er de la loi de 1965 (Loi n° 65-557 du 10 juill. 1965) créer un lien intangible entre parties privatives et parties communes. Les unes ne peuvent être appréhendées sans les autres. Cette caractéristique s’illustre bien entendu de nombreuses manières dans le strict périmètre d’application du droit de la copropriété, mais rayonne également bien au-delà, notamment en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique (G. Vaysse, Expropriation et statut de la copropriété, AJDI 2017. 741 image ; A. Bernard, L’expropriation d’un immeuble en copropriété, AJDI 2000. 193 image). C’est ainsi que le juge de l’expropriation ne peut prononcer l’expropriation d’un lot de copropriété « à l’exception des parties communes » (Civ. 3e, 31 janv. 2007, n° 06-12.404, D. 2007. 504 image ; AJDI 2007. 484 image, obs. P. Capoulade image ; RDI 2007. 261, obs. C. Morel image ; JCP 2007. I. 197, chron. H. Perinet-Marquet ; Constr.-Urb. 2007, n° 56, obs. D. Sizaire ; Rev. loyers 2007, n° 876, p. 193, note P. Dechelette-Tolot ; Defrénois 2007. 972, obs. C. Atias). Pour autant, s’il existe bien un lien indéfectible entre ces deux éléments, ils ne sauraient être confondus, ni dans leur consistance, ni dans les droits qu’ils confèrent, ni dans l’identité des personnes susceptibles d’agir pour leur préservation.

C’est de ce dernier point que la décision rapportée se veut l’illustration.

Après qu’une portion des parties communes d’une copropriété a fait l’objet d’une procédure d’expropriation en urgence au profit d’une société d’autoroute, le juge de l’expropriation avait inclus dans le montant de l’indemnisation une déprécation de 20 % des lots de copropriété en constatant la disparition de près d’un tiers des emplacements de parking, ce qui, relevait-il, en zone...

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Panorama rapide de l’actualité « Civil » de la semaine du 20 mars 2023

Sélection par Cédric Hélaine, docteur en droit, chargé d’enseignement à l’Université d’Aix-Marseille, Nicolas Hoffschir, maître de conférences, Université d’Orléans, et Laurent Dargent, rédacteur en chef

Contrats

Clauses abusives : exigibilité immédiate du terme

Méconnaît son office et viole l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, une cour d’appel qui fait application d’une clause d’un contrat de prêt immobilier autorisant la banque à exiger immédiatement, sans mise en demeure ou sommation préalable de l’emprunteur ni préavis d’une durée raisonnable, la totalité des sommes dues au titre de ce prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans examiner d’office le caractère abusif d’une telle clause. (Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476, FS-B) Crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d’un contrat de prêt immobilier qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable. Une telle clause est abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008. (Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.044, FS-B)

Procédure civile

Acquiescement : la seule exécution d’une décision ne suffit pas

Il résulte des articles 409 et 410 du code de procédure civile que si l’acquiescement peut être exprès ou implicite, il doit toujours être certain. Il doit résulter d’actes ou de faits démontrant sans équivoque l’intention de la partie à laquelle on l’oppose. La seule exécution d’une décision d’un premier juge ne pouvant, en elle-même, valoir acquiescement, doit, en conséquence, être censuré l’arrêt d’une cour d’appel ayant retenu, pour constater la volonté d’acquiescer manifestée par la société et déclarer l’appel irrecevable, que la société a, non seulement, payé les condamnations exécutoires prononcées à son encontre par le jugement, mais aussi celles, non susceptibles d’exécution provisoire, correspondant aux dépens et à l’indemnité de procédure. (Civ. 1re, 23 mars 2023, n° 21-20.289, F-B)

Appel, pluralité de parties et indivisibilité du litige : modalités de l’appel

Selon les articles 552 et 553 du code de procédure civile, en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, d’une part, l’appel dirigé contre l’une d’elles réserve à l’appelant la faculté d’appeler les autres à l’instance, d’autre part, l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance. L’appelant dispose, jusqu’à ce que le juge statue, de la possibilité de régulariser l’appel en formant une seconde déclaration d’appel pour appeler en la cause les parties omises dans sa première déclaration. (Civ. 2e, 23 mars 2023, n° 21-19.906, F-B) En l’absence d’impossibilité d’exécuter simultanément deux décisions concernant les parties au litige, l’indivisibilité, au sens de l’article 553 du code de procédure civile n’étant pas caractérisée, l’appel de l’une des parties ne peut pas produire effet à l’égard d’une partie, qui ne s’est pas jointe à l’appel. Il en résulte qu’en l’absence d’indivisibilité au sens de l’article 553, l’infirmation de la décision de condamnation sur l’appel formé par l’une des parties condamnées solidairement ne produit pas d’effet à l’égard des autres parties condamnées. (Civ. 2e, 23 mars 2023, n°...

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 SYMBOLE GRIS

Ordre des avocats de Carpentras


16, impasse Ste Anne

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Tél : 04.90.67.13.60

Fax : 04.90.67.12.66

 

 

 

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