Un demandeur d’emploi suivant une formation professionnelle n’est pas un consommateur

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provencele 17 mars 2022

Civ. 1re, 9 mars 2022, FS-B, n° 21-10.487

L’effort de définition de l’article liminaire du code de la consommation permet notamment de savoir comment appréhender le consommateur « principal destinataire » de ce corps de règles (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 17, n° 11). Des problèmes subsistent toujours toutefois dans le cadre de certaines espèces aux confins des définitions envisagées par le législateur. Nous allons étudier l’une de ces difficultés dans l’analyse de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 mars 2022. Rappelons très brièvement les faits pour comprendre l’enjeu du problème. En l’espèce, une personne inscrite à Pôle emploi décide de conclure le 10 septembre 2016 avec une société (la SARL, dans la suite du commentaire) un contrat de formation professionnelle portant sur des activités de naturopathie. Par lettre recommandée en date du 1er février 2017, la personne suivant la formation a résilié le contrat pour raisons personnelles. Le 8 février 2017, la SARL sollicite par conséquent le paiement de la somme de 4 587,80 € qui correspond au prix de la formation contractée. Le 30 juillet 2018, Pôle Emploi règle sa part dans la formation du demandeur d’emploi, à savoir une somme de 820,08 €. C’est dans ce contexte que la SARL fait assigner son cocontractant en paiement du reliquat restant dû soit 3 525,72 €. Le cocontractant demandeur d’emploi invoque la prescription des demandes en arguant du délai biennal de l’article L. 218-2 du code de la consommation. Le tribunal d’instance de Dole refuse d’appliquer la prescription biennale puisque le défendeur à l’instance n’a pas la qualité de consommateur selon lui. Il le condamne au paiement de la somme de 3 525,72 € demandée par la SARL pour régler la formation convenue en septembre 2016. C’est dans ce contexte que le cocontractant débiteur du paiement du prix de la formation se pourvoit en cassation, faute de pouvoir interjeter appel en pareille situation...

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Recherches sur l’embryon, les cellules souches embryonnaires et pluripotentes induites humaines

Article


par Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, Conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologiesle 16 mars 2022

Décr. n° 2022-294, 1er mars 2022, JO 2 mars

La loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a amplifié l’évolution de la législation en faveur de la recherche sur l’embryon humain et ses cellules souches et créé un régime à peu près similaire pour les cellules souches pluripotentes induites humaines. Le volet réglementaire devait cependant être mis à jour car, remanié en dernier lieu par un décret du 11 février 2015, il n’était plus adapté sur divers points aux nouvelles dispositions légales.

Tel est l’objet du décret n° 2022-294 du 1er mars 2022 relatif à la recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules souches pluripotentes induites humaines. Son objet principal est de fixer les modalités d’application du régime d’autorisation des recherches sur l’embryon humain, du régime de déclaration préalable à une recherche sur les lignées de cellules souches embryonnaires humaines existantes, ainsi que du régime de déclaration de certaines recherches à enjeux éthiques spécifiques sur les cellules souches pluripotentes induites humaines. Sont concernés dans le code de la santé publique les articles...

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Pour le gouvernement, il n’y a pas de problème de sur-transposition

Le rapport « étudie les différentes formes de sur-transposition pratiquées, leurs causes, leurs effets ainsi que leurs justifications et identifie les adaptations de notre droit nécessaires pour remédier aux sur-transpositions inutiles ou injustifiées ». Il insiste tout d’abord sur le fait que la « sur-transposition » est une notion protéiforme qui implique deux critères : « l’existence d’un écart par rapport au standard minimum imposé par la directive », et « l’existence d’une norme plus contraignante pour les personnes concernées que le standard européen ».

L’échec de la loi contre les sur-transpositions

La sur-transposition était un chantier important au début du quinquennat. La circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 traitait spécifiquement la question des sur-transpositions. Une mission inter-inspection (IGAS, IGA, CGEDD, IGF, CGE, CGAAER) avait dressé un inventaire des sur-transpositions en avril 2018. Sur 1 400 textes entrant dans le champ de la mission, 137 directives faisaient l’objet d’au moins une mesure de sur-transposition avec un effet pénalisant pour la compétitivité des entreprises, l’emploi, le pouvoir d’achat ou l’efficacité des services publics. Pour 40 d’entre elles, l’effet pénalisant a ensuite été écarté. Puis, dans un certain nombre de cas, il a été jugé préférable de maintenir une sur-transposition (paquet neutre pour les cigarettes, congé maternité, délai de rétractation de 8 jours en matière de crédits).

Un projet de loi avait retenu la suppression de 30 mesures. Étudié par le Sénat en novembre 2018, il n’a jamais été mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais plusieurs de ces articles ont été intégrées dans d’autres textes, comme les lois Pacte, ASAP, LOM ou la loi d’organisation et de transformation du système de santé. D’autres suppressions de sur-transposition interviendront dès qu’un vecteur législatif approprié sera disponible. « Au niveau réglementaire, il n’a pas été possible d’adopter un texte interministériel unique ».

Si elle ne figure pas dans le rapport, la directive sur la protection des lanceurs d’alerte est un bon exemple de sur-transposition. Le projet de directive s’inspirait de la législation française. En 2019, le gouvernement français s’est mobilisé pour éviter que la directive aille au-delà de cette législation, cédant sur plusieurs points. Mais, au final, les propositions de loi adoptées vont au-delà de la directive.

La sur-transposition, un choix politique assumé et justifié

« Aux termes des différents travaux menés relatifs à la sur-transposition, notamment la mission inter-inspections conduite en 2017-2018, il est apparu que ce phénomène, souvent dénoncé, est en réalité moins important que ce qui avait pu être envisagé et correspond dans la majorité des cas à un choix politique assumé », mentionne le rapport. « Si les raisons présidant au phénomène de « sur-transposition » sont multiples, certaines sur-transpositions sont délibérées. Il serait « inopportun » voire « néfaste » de remettre en cause cette volonté car cela « conduirait, le plus souvent, à s’aligner sur le niveau minimal d’harmonisation au niveau européen ». Il est donc « totalement assumé de maintenir des règles qui vont au-delà des normes minimales européennes », afin de mieux « protéger les entreprises et les citoyens, que ce soit en matière économique, sociale, environnementale ou en terme de sécurité ».

Les travaux menés par le gouvernement en matière de lutte contre la sur-transposition ont donc été menés au cas par cas : ainsi, si la suppression de certaines contraintes pesant sur les annonceurs est apparue justifiée car « elles n’apportaient aucune protection supplémentaire aux consommateurs », celles permettant de lutter contre le surendettement et certaines escroqueries ont été maintenues. Le gouvernement assume également la réglementation française restreignant le commerce de l’ivoire ou le fait que la loi de transition énergétique – qui prévoit de porter la part des énergies renouvelables en France à 32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030 – sur-transpose le droit européen.

Le suivi des directives

Pour l’avenir, une équipe projet est normalement constituée dès la publication d’une proposition de directive. Cette équipe doit évaluer l’impact de la proposition de directive y compris concernant sa transposition et doit être opérationnelle jusqu’à la phase de transposition. Mais « il existe une trop grande déconnexion entre les équipes chargées de la négociation d’un texte et celles chargées de sa transposition notamment en raison des délais de négociation et de transposition ».

Le recours aux outils que sont les fiches d’impact simplifiée (FIS1) et stratégique (FIS2) est donc « inégal ». Or, la réalisation et l’actualisation d’un tableau de concordance doivent « faciliter la distinction entre les dispositions qui transposent strictement la directive et celles qui relèvent d’une sur-transposition ». À la suite d’un arrêt rendu par la CJUE en juillet 2019, les États membres doivent désormais accompagner les mesures nationales de transposition « d’informations claires et précises » à l’attention de la Commission européenne. Ce qui a conduit le gouvernement a systématiser la réalisation de tableaux de concordance. Cette nouvelle « norme » conduira-t-elle finalement à réduire les sur-transpositions ? 

 

ActuEL Direction juridique, 14 mars 2022

L’usufruitier-bailleur et le congé pour reprise

Bail d’habitation et usufruit

Aux termes de l’article 578 du code civil, l’usufruit est « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété […] ». Ce droit de jouissance reconnu à l’usufruitier lui permet d’user et de jouir de la chose soit directement soit indirectement, en la donnant en bail et en percevant les fruits générés. En effet, l’article 595 du même code offre à l’usufruitier la possibilité de conclure des baux et il s’en déduit sa qualité de bailleur dans ces contrats (même s’il s’agit pour l’usufruitier d’une liberté encadrée car la durée d’un bail est susceptible de porter atteinte aux droits du nu-propriétaire lorsque celui-ci retrouvera la pleine propriété ; aussi, le consentement du nu-propriétaire est-il parfois requis. Pour une illustration, v. par ex. F. Planckeel, La combinaison de l’usufruit et du bail. Éléments pour une nouvelle théorie des biens, RTD civ. 2009. 639 image).

Pour autant, il arrive que des baux sur un bien immobilier, objet de l’usufruit, n’aient pas été consentis directement par l’usufruitier mais par le nu-propriétaire lui-même. Certes, comme indiqué, certains baux offrant une forme de stabilité aux preneurs à bail imposent, outre l’intervention de l’usufruitier, l’accord du nu-propriétaire pour leur conclusion. C’est ce qui résulte du dernier alinéa de l’article 595 du code civil précisant que « l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal ». En revanche pour les autres baux pouvant être qualifiés d’« actes d’administration », tels que les baux d’habitation soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (conclus pour une durée de trois ou six ans selon que le bailleur est une personne physique ou morale en application de l’art. 10), le principe est celui de la liberté et l’usufruitier, qui aura la qualité de bailleur, peut les consentir seul (sauf fraude des droits du nu-propriétaire : Civ. 3e, 3 avr. 2007, n° 06-13.581, AJDI 2007. 500).

La question du bail conclu par le nu-propriétaire et de ses suites

Quid néanmoins lorsque le nu-propriétaire décide de conclure un bail d’habitation sur un bien faisant l’objet d’un usufruit et qu’ensuite il souhaite reprendre ce bien immobilier, notamment pour en faire bénéficier un de ses proches ? Cette question s’est...

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De l’utilisation stratégique de la subrogation personnelle en matière de cautionnement

La question des recours de la caution est fondamentale pour ce garant personnel qui accepte de payer la dette d’autrui (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 202, n° 208). On sait que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a supprimé la catégorie discutable et désuète des recours avant paiement (J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, Dalloz actualité, 21 sept. 2021 ; L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, 15e éd., LGDJ, Droit civil, 2021, p. 88, n° 80). Les recours après paiement occupent alors une place désormais unique pour assurer le remboursement de la caution après désintéressement du créancier.

Cette question de pure contribution à la dette est d’autant plus essentielle qu’au stade du passif définitif, la caution ne doit rien là où un codébiteur solidaire aurait une part contributive qui viendrait diminuer l’assiette du remboursement exigible aux autres débiteurs. La possibilité de se retourner contre le débiteur principal reste donc cruciale pour la caution qui n’est pas liée au créancier dans le rapport de droit fondamental entre le débiteur et ce dernier. La caution personnelle dispose donc, pour ce faire, de deux actions : la première est personnelle tandis que la seconde lui permet de revêtir les habits juridiques du créancier à travers ce que l’on appelle la subrogation personnelle. Ce mécanisme essentiel du régime général de l’obligation implique que la créance n’est pas éteinte par le paiement du solvens mais lui est transmise. Ainsi le point de départ de l’action du subrogé est identique à celui du créancier originaire, question que nous avons eu l’occasion d’étudier il y a un peu plus d’un mois dans ces colonnes (Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 20-10.855, Dalloz actualité, 11 févr. 2022, obs. C. Hélaine).

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 mars 2022 nous donne une très bonne illustration de l’usage raffiné de la...

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Les faits postérieurs à la requête ne peuvent justifier une dérogation au principe de la contradiction

Le juge qui est saisi afin de rétracter une ordonnance sur requête peut-il se fonder sur des circonstances postérieures au dépôt de la requête ou au prononcé de l’ordonnance pour justifier une dérogation au principe de la contradiction ?

Telle est la question qu’a dû trancher la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2022.

Une requête fondée sur les articles 145 et 812 du code de procédure civile a été déposée auprès du greffe du président du tribunal de commerce aux fins de voir ordonner une mesure d’instruction. Le président du tribunal de commerce a fait droit à cette requête et les mesures d’instruction ont été exécutées. Comme c’est fréquemment le cas, un tiers a alors saisi le juge d’une demande de rétractation. La cour d’appel a rétracté l’ordonnance en soulignant que ni la requête ni l’ordonnance n’exposaient de manière suffisamment précise les raisons justifiant de déroger au principe de la contradiction et que ce défaut de motivation ne pouvait être régularisé a posteriori devant le juge de la rétractation.

La société requérante a alors formé un pourvoi en cassation en reprochant à la cour d’appel non seulement d’avoir retenu que l’ordonnance ne justifiait pas qu’il soit dérogé au principe de la contradiction, mais également d’avoir interdit qu’il soit fait état de moyens nouveaux, postérieurement au prononcé de l’ordonnance, pour le justifier.

Le pourvoi en cassation a été rejeté. Après avoir rappelé que le juge, saisi d’une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, doit s’assurer de l’existence, dans la requête et dans l’ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement, la Cour de cassation a retenu qu’il résulte des articles 145 et 493 du code de procédure civile que « le juge saisi d’une demande en rétractation ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l’ordonnance pour justifier qu’il est dérogé au principe de la contradiction ». Dès lors que la cour d’appel avait constaté que la requête faisait état d’actes de concurrence déloyale sans préciser les raisons de déroger au principe du contradictoire et que l’ordonnance se bornait à indiquer que la société requérante justifiait de circonstances exigeant que la mesure ne soit pas ordonnée contradictoirement, la Cour de cassation a jugé qu’elle en avait « exactement déduit » que ce défaut de motivation ne pouvait faire l’objet d’une régularisation a posteriori et que l’ordonnance devait être rétractée.

Le raisonnement de la Cour de cassation est construit en deux étapes.

L’insuffisante motivation de l’ordonnance et de la requête

S’appuyant sur les motifs de la cour d’appel, la Cour de cassation a estimé que ni l’ordonnance ni la requête ne faisaient état de circonstances précises justifiant de déroger au principe du contradictoire.

Il est aujourd’hui parfaitement connu que le juge saisi d’une demande sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut statuer sur requête que s’il est justifié d’une nécessité de déroger au principe de la contradiction (v. par ex. Civ. 3e, 21 janv. 2021, n° 19-20.801 P, Dalloz actualité, 18 févr. 2021, obs. A. Bolze ; Civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-25.206 NP ; 30 sept. 2021, n° 20-12.530 NP ; 22 oct. 2020, n° 19-20.904 NP ; 1er oct. 2020, n° 19-18.479 NP ; 30 avr. 2009, n° 08-15.421 NP, D. 2009. 2321 image, note S. Pierre-Maurice image ; ibid. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur image). Seule la nécessité de déroger à ce principe autorise en effet à ne pas emprunter la procédure de référé, également visée par l’article 145 du code de procédure civile. Car, comme l’écrivait Chapus : « une procédure doit être aussi contradictoire qu’il est possible qu’elle le soit » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13e éd., Montchrestien 2008, n° 960). Les circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire doivent en conséquence être exposées dans l’ordonnance ou dans la requête qui fait corps avec cette dernière (Civ. 2e, 11 mars 2010, n° 09-66.338 P, Dalloz actualité, 31 mars 2010, obs. S. Lavric ; D. 2011. 265, obs. N. Fricero image ; 30 janv. 2003, n° 01-01.128 P, D. 2003. 604 image).

La question rebondit alors quant au degré de précision attendu du juge des requêtes et du requérant. Ces dernières années, la Cour de cassation a fait preuve d’une certaine rigueur en bannissant les formules « passe-partout » et en exigeant des juges qu’ils caractérisent la nécessité de déroger au principe du contradictoire au regard des circonstances de la cause ; en somme, une analyse in concreto est requise (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-12.086 NP ; 22 mars 2018, n° 17-10.311 NP ; 23 juin 2016, n° 15-16.634 NP).

Certes, si la mesure d’instruction est sollicitée afin d’établir l’existence d’actes de concurrence déloyale, il existe un contexte justifiant qu’il soit dérogé au...

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Levothyrox : la Cour de cassation confirme la responsabilité du fabricant et de l’exploitant

La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi formé par les sociétés Merck Santé et Merck Serono – respectivement fabricant et exploitant de la spécialité Levothyrox – contre une série d’arrêts de la cour d’appel de Lyon les ayant déclarées civilement responsables du défaut d’information relatif au changement de formule de leur médicament (Lyon, 25 juin 2020, n° 19/02416). L’arrêt avait infirmé un jugement rendu par le tribunal d’instance de Lyon, rejetant les demandes indemnitaires introduites, dans le cadre d’une action collective conjointe, par plus de 4 000 patients en réparation du préjudice moral résultant d’un manquement des laboratoires à leur obligation d’information (TI Lyon, 5 mars 2019, n° 11-17-005357).

Par un arrêt du 16 mars 2022, la Cour de cassation vient de rejeter le pourvoi et confirmer la responsabilité civile des sociétés Merck sur le fondement du droit commun de la faute (C. civ., art. 1240).

Rappel des faits et du contexte contentieux

En mars 2017, Merck a modifié la composition du Levothyrox, remplaçant l’un de ses excipients, le lactose, par du mannitol et de l’acide citrique. Ce changement est intervenu à la suite d’une demande de l’ex-AFSSAPS (devenue l’ANSM), dans la perspective d’éviter des différences trop importantes de bioéquivalence, compte tenu de l’arrivée de médicaments génériques de la lévothyroxine, le principe actif du Levothyrox destiné au traitement de l’hypothyroïdie. À partir de l’été 2017, de nombreuses personnes se sont plaintes d’effets indésirables, plusieurs milliers de déclarations ayant ensuite été enregistrées par le système de pharmacovigilance.

Au regard de ces désagréments, certaines victimes ont obtenu du juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse (TGI Toulouse, réf., 14 nov. 2017, n° 17/01840), dont l’ordonnance a été confirmée (Toulouse, 7 juin 2018, n° 19/00023), que les laboratoires Merck délivrent par voie d’importation, sans délai et sous astreinte, la spécialité Euthyrox, correspondant à l’ancienne formule du Levothyrox. Saisie d’un pourvoi formé par les laboratoires, la Cour de cassation a toutefois décidé de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de trancher une question préalable de compétence juridictionnelle (Civ. 1re, 5 juin 2019, n° 18-19.011, D. 2020. 87 image).

Le Tribunal des conflits a indiqué que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître d’une action engagée par des personnes privées aux fins d’obtenir qu’une société commercialise une spécialité pharmaceutique dont elle est le fabricant et qui bénéficie d’une AMM nationale. En revanche, il a estimé qu’en demandant qu’il soit enjoint à l’exploitant de commercialiser l’ancienne formule de la spécialité Levothyrox, les requérants doivent être regardés comme mettant en cause la décision d’autorisation de la nouvelle formule, prise par l’ANSM dans l’exercice de ses prérogatives de police sanitaire, la juridiction administrative étant dès lors seule compétente pour connaître d’une telle action (T. confl., 4 nov. 2019, n° 4165, RDSS 2019. 1143, obs. J. Peigné image). La Cour de cassation en a tiré toutes les conséquences et cassé, sans renvoi, l’arrêt de la cour d’appel, estimant que la juridiction judiciaire n’était pas compétente pour connaître d’un tel litige (Civ. 1re, 8 janv. 2020, n° 18-19.011, préc.).

Des recours avaient par ailleurs été introduits devant la juridiction administrative, mais sans succès. Le juge des référés du Conseil d’État a ainsi rejeté une requête en référé liberté considérant qu’il n’existait aucune carence caractérisée de la ministre de la Santé portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de recevoir les traitements et les soins jugés médicalement les plus appropriés (CE, réf., 13 déc. 2017, n° 415207, AJDA 2018. 1046 image, note D. Roman image ; ibid. 2017. 2447 image). Il a également confirmé une ordonnance rejetant, faute d’urgence, une requête en référé liberté visant à obtenir le maintien pérenne de la fabrication et de la commercialisation de l’ancienne formule, aucune carence caractérisée n’ayant pu être reprochée aux autorités sanitaires (CE, réf., 26 juill. 2018, n° 422237). Le juge administratif a de nouveau rejeté une requête visant à obtenir de l’ANSM qu’elle prenne toutes les mesures appropriées pour garantir, de manière pérenne et en quantité suffisante, la distribution sur le territoire national de l’ancienne formule de spécialité Levothyrox (CE, réf., 14 juill. 2020, n° 441676). À la demande de l’ANSM et compte tenu de la crise sanitaire due à l’épidémie de covid-19, la distribution du médicament Euthyrox, correspondant à l’ancienne formule du Levothyrox, doit encore être assurée jusqu’à la fin de l’année 2022.

Si l’on excepte le volet pénal de l’affaire – une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Marseille en mars 2018 pour tromperie aggravée, mise en danger d’autrui et blessures...

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La valeur supplétive du principe compétence-compétence en droit français de l’arbitrage international

Prévu par l’article 1448 du code de procédure civile, l’effet négatif du principe compétence-compétence institue une priorité au profit du tribunal arbitral pour se prononcer sur sa propre compétence, en imposant au juge français de se dessaisir dès que la convention d’arbitrage invoquée en défense n’apparaît ni manifestement nulle ni manifestement inapplicable. Peut-on conventionnellement y déroger ? C’est la question soulevée par l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2022, dans le litige né d’un incendie survenu à bord d’un paquebot, alors que celui-ci croisait au large des Malouines. Subrogés après indemnisation du propriétaire, les assureurs de celui-ci se retournent contre les différents prestataires intervenus dans la construction du navire : le chantier naval italien, mais aussi deux sociétés finlandaises ayant respectivement fourni les générateurs diesel et le dispositif de sécurité contre l’incendie, ainsi que l’organisme classificateur français. Estimant que le juge compétent est celui du port d’attache du navire, les assureurs saisissent le tribunal de commerce de Mata Utu (Wallis-et-Futuna). En défense, le bureau de classification et le fournisseur du système de sécurité contre l’incendie se prévalent de la clause compromissoire figurant, pour l’un, dans le contrat de classification conclu avec le constructeur et, pour l’autre, dans le contrat conclu entre le constructeur et le propriétaire du navire, à l’exécution duquel le fournisseur estime avoir participé. Le fournisseur des générateurs conteste, lui aussi, la compétence du tribunal de Mata Utu, mais en se prévalant de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la compétence juridictionnelle, au terme d’une argumentation qui ne nous retiendra pas. Saisie sur appel, la cour de Nouméa fait droit à l’exception d’arbitrage, estimant que les clauses compromissoires respectivement invoquées par le bureau de classification et le fournisseur du système de sécurité n’apparaissent pas manifestement inapplicables au litige, conformément à l’article 1448 du code de procédure civile, que l’article 1506, 1°, du même code rend applicable à l’arbitrage international, sauf stipulation contraire.

« Sauf stipulation contraire », c’est à ces trois mots que se ramène le pourvoi en cassation formé par les assureurs. Faisant valoir qu’en convenant, l’une comme l’autre, d’un arbitrage à Londres selon la loi anglaise, les parties aux deux clauses compromissoires litigieuses ont entendu écarter l’effet négatif du principe compétence-compétence prévu par le droit français, le pourvoi en déduit qu’il appartenait à la cour d’appel d’apprécier pleinement l’efficacité de la convention d’arbitrage opposée en défense, conformément au droit anglais, sans s’en tenir à un contrôle prima facie de l’absence d’inapplicabilité manifeste, conformément au droit français. Pourvoi rejeté : tout en admettant le caractère supplétif des dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile en matière internationale, la Cour de cassation retient que la dérogation à l’effet négatif du principe compétence-compétence prévu par ce texte doit être « expresse et non équivoque », la seule désignation de Londres comme siège de l’arbitrage et du droit anglais comme loi de la procédure arbitrale n’étant pas suffisante à cet égard.

Tel est le plus manifeste apport de l’arrêt, qui définit, pour la première fois à notre connaissance, les conditions auxquelles on peut déroger à l’article 1448 du code de procédure civile. Un autre apport, plus discret mais non moins intéressant, réside dans l’arrêt d’appel validé par la Cour de cassation. L’arrêt de la Cour de Nouméa est confirmé, d’abord, en ce qu’il a retenu que le bureau de contrôle pouvait opposer l’exception d’arbitrage aux assureurs subrogés dans les droits du constructeur, ce qui n’étonnera certes pas, puisque le contrat de construction navale comme le contrat de classification contenaient tous deux...

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Requête en aggravation d’une mesure : un certificat médical oui, mais un certificat élaboré à cette fin

L’exigence d’un certificat médical circonstancié est présentée comme la traduction procédurale du principe de nécessité qui gouverne la protection juridique des majeurs. Elle est appréciée avec rigueur par la Cour de cassation ainsi que le montre une nouvelle fois l’arrêt rendu par la première chambre civile le 2 mars 2022, publié au Bulletin.

En 2019, le fils d’une personne protégée sollicite la conversion en curatelle renforcée de la curatelle simple dont sa mère bénéficie depuis un an. Il est fait droit à sa demande mais la personne protégée interjette appel. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 2 juillet 2020, confirme le jugement. La majeure persiste. Devant la Cour de cassation, elle allègue l’irrégularité de la saisine du juge des tutelles : selon le moyen, la requête déposée n’était pas conforme aux articles 431 et 442 du code civil car le certificat médical circonstancié qui l’accompagnait était parvenu au juge antérieurement et avait été élaboré, non pas en vue de l’aggravation de la mesure, objet de la demande, mais pour activer un mandat de protection future. La première chambre civile devait donc préciser si, pour que soit recevable la demande de renforcement d’une mesure de protection, doit être fourni, simultanément à la requête, un certificat médical circonstancié élaboré spécialement à cette fin.

La cour casse l’arrêt d’appel et conclut à l’irrecevabilité de la requête et à l’irrégularité de la saisine du juge de première instance. Au visa des articles 431, 442, alinéas 3 et 4, du code civil, combinés aux articles 1218 et 1228 du code de procédure civile, elle rappelle d’abord que le juge peut à tout moment mettre fin à une mesure de protection, la modifier, ou lui substituer une autre mesure, mais qu’il ne peut la renforcer que si la requête qui lui est adressée est accompagnée d’un certificat médical circonstancié ; elle précise ensuite, même si les textes mobilisés ne l’exigent pas expressément, que ne remplit pas cette exigence le certificat médical qui n’a pas été « établi à cette fin ».

L’arrêt apporte ainsi une précision inédite au dispositif régissant la saisine du juge des tutelles. La position retenue, pour exigeante qu’elle paraisse, est incontestablement conforme aux principes fondamentaux de la protection juridique des majeurs.

Une précision inédite

En l’espèce, il était acquis qu’un certificat médical circonstancié, dûment élaboré par un médecin inscrit sur la liste établie par le procureur de la République, avait été fourni, même si on pouvait s’interroger sur le fait qu’il accompagnât réellement, comme l’exigent les textes, la demande d’aggravation de la mesure. En revanche, l’arrêt retient l’argument de la demanderesse selon lequel ce document, ayant été établi à une autre fin, ne remplissait pas les exigences légales.

Un certificat médical circonstancié « accompagnant la requête »

En l’espèce, le requérant sollicitait l’aggravation de la mesure dont bénéficiait sa mère ; le juge des tutelles y avait fait droit en ordonnant la transformation de la curatelle simple en une curatelle renforcée de l’article 472 du code civil (sur la notion d’aggravation de la mesure, v. Rép. civ., v° Majeur protégé, F. Marchadier, n° 150). Lorsque, comme en l’espèce, est sollicitée une mesure plus protectrice, doivent être respectées les mêmes règles que lorsqu’est demandée l’ouverture d’une mesure de protection : le juge ne peut se saisir d’office et la requête doit non seulement émaner d’une des personnes énumérées à l’article 430 du code civil mais être en outre accompagnée, « à peine d’irrecevabilité », d’un certificat circonstancié élaboré par un médecin inscrit (exigence écartée pour une demande de renouvellement à l’identique, d’allègement de la mesure ou de mainlevée de celle-ci ; un simple certificat médical qui peut être rédigé par n’importe quel médecin suffit et son absence ne conduira pas à l’irrecevabilité de la demande ; Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 14-17.735, Dalloz actualité, 25 nov. 2016, obs. V. Da Silva ; D. 2016. 2336 image ; ibid. 2017. 1490, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro image ; AJ fam....

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Vente par adjudication : prescription quinquennale de l’action en résolution

La prescription est cette institution centrale qui permet d’envisager la consolidation d’une situation juridique par l’écoulement du temps (v. par ex. P. Malaurie, « L’homme, le temps et le droit », in La prescription civile. Études P. Malinvaud, Litec, 2007, p. 393 s. ; Rép. civ., v° Prescription extinctive, par A. Hontebeyrie, spéc. n° 1). Lorsqu’elle est extinctive et qu’elle peut alors faire disparaître un droit réel ou éteindre une obligation, il est bien entendu essentiel de déterminer le délai permettant cet effet. Or, s’il était auparavant de trente ans, le délai de prescription de droit commun est passé depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 à cinq ans et concerne, selon l’article 2224 du code civil, « les actions personnelles ou mobilières ». Bien que cette réforme ait eu pour objectif d’uniformiser les délais, elle a quand même maintenu quelques délais spécifiques. C’est le cas avec l’article 2227 du code civil qui retient un délai de trente ans pour les « actions réelles immobilières ». Mais entre les actions personnelles ou mobilières de l’article 2224 et les actions réelles immobilières de l’article 2227, il existe des actions pouvant être considérées comme mixtes emportant contestation à la fois sur un droit personnel et un droit réel ; ce sont des actions qui ont un caractère personnel car portant sur un contrat ou un acte juridique ayant pour objet un immeuble, tout en concernant également un droit réel immobilier, notamment le droit de propriété (et cela même si cette qualification d’action mixte est parfois critiquée par son caractère artificiel ; v. par ex. les réf. citées in J.-Cl. Procédure civile, v° Action en justice. Classification des actions en justice, par Y. Desdevises, fasc. 500-90, 2020, spéc. n° 35). Elles concernent principalement les actions tendant à l’anéantissement d’un contrat translatif de droits réels (résolution, rescision, nullité) et les actions en exécution d’un tel contrat. À l’origine, ces actions – visées par l’article 46 du code de procédure civile – n’avaient d’intérêt qu’en matière d’option de compétence juridictionnelle puisque la jurisprudence avait accepté que l’on puisse saisir le tribunal du lieu de situation de l’immeuble, outre celui du lieu où demeure le défendeur (par exemple, pour une action en résolution d’une vente d’immeuble, v. Civ. 6 juill. 1925, DP 1926. 1. 125, note L. Crémieu). Mais elles ont aussi pu questionner plus récemment le délai de prescription qu’il fallait leur appliquer. La solution rendue dans la décision commentée apporte un éclairage intéressant à cette interrogation, même si la réponse apportée par la Cour de cassation ne constitue pas une réelle surprise. En effet, la doctrine avait déjà pu proposer de retenir pour l’action mixte la prescription quinquennale (v. A. Hontebeyrie, préc., spéc. nos 93-105 et les réf. citées), et cela alors que deux conceptions de celle-ci s’opposaient entre la conception « moniste », qui analyse « l’action mixte comme une seule et même action sanctionnant deux droits, l’un réel, l’autre personnel » (A. Hontebeyrie, n° 96) et la conception « dualiste », qui « y voit la simple réunion, dans une même instance, de deux actions, l’une réelle, l’autre personnelle, exercées simultanément ou successivement » (idem).

Dans l’espèce commentée, l’administrateur provisoire de la succession d’un couple d’époux avait, en exécution d’une décision de justice, procédé à la licitation d’une parcelle faisant partie de l’actif de la succession. En octobre 2007, cette parcelle avait été adjugée à une personne morale mais, quelques jours plus tard, un indivisaire s’est déclaré se...

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Procédure collective : qualité pour saisir la juridiction compétente en cas de contestation sérieuse de créance

Dans le cadre du déroulement d’une procédure collective, le juge-commissaire est amené à statuer sur les discussions intéressant les créances déclarées au passif du débiteur. Ce principe souffre toutefois de deux limites. D’une part, la discussion ne doit pas relever de la compétence d’une autre juridiction. D’autre part, le juge-commissaire ne peut statuer s’il s’élève devant lui une « contestation sérieuse ». Cette dernière notion impose de s’intéresser au pouvoir juridictionnel de ce juge.

Il résulte de l’analyse de la jurisprudence de la Haute juridiction que lorsque le juge-commissaire doit connaître du fond de la créance, il doit statuer en juge de l’évidence, comme le ferait le juge des référés. Ceci permet d’expliquer qu’en présence d’une contestation sérieuse, le juge-commissaire doit constater le dépassement de son office juridictionnel (C. com., art. L. 624-2). Concrètement, dans cette hypothèse, il sursoit à statuer sur le sort de la créance et désigne la partie qui doit saisir le juge « compétent » dans le délai d’un mois de la notification de sa décision sous peine de forclusion (C. com., art. R. 624-5).

Au demeurant, la mise en œuvre de cette règle a déjà fait l’objet d’une jurisprudence abondante et notamment lorsque le juge-commissaire s’abstient de désigner la partie ayant qualité pour saisir le juge compétent. Dans cette hypothèse, il appartient au juge de la vérification du passif d’apprécier les conséquences de la forclusion en cas d’inaction des parties afin de déterminer, en fonction de la contestation, qui avait intérêt à agir (Com. 23 sept. 2020, n° 19-13.748 NP). L’on s’aperçoit ici que la détermination de cet intérêt est cruciale, car la sanction en dépend : si le créancier s’abstient d’agir, sa créance peut être rejetée (Com. 13 mai 2014, n° 13-13.284 P, D. 2014. 1093, obs. A. Lienhard image ; ibid. 2147, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas image ; Rev. sociétés 2014. 405, obs. L. C. Henry image). Au contraire, si l’inaction provient du débiteur, la créance contestée peut être admise (Com. 23 sept. 2014, n° 13-22.539 P, D. 2014. 1936, obs. A. Lienhard image ; RTD civ. 2014. 941, obs. P. Théry image).

L’arrêt ici rapporté s’inscrit dans la continuité de ces règles, mais pose la question sous un angle différent. En l’occurrence, il s’agissait de savoir, en l’espèce, si la désignation du débiteur au sein de l’ordonnance du juge-commissaire était exclusive de la qualité pour agir du mandataire pour saisir le juge compétent.

En l’espèce, une société a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 14 avril 2016 et 5 octobre 2017. Une banque créancière a déclaré, au titre de prêts, quatre créances qui ont été contestées sur le seul plan des intérêts calculés. Par une ordonnance du 18 décembre 2017, le juge-commissaire a admis ces créances pour leur montant en capital restant dû et, pour le surplus, dit que la société débitrice soulevait une contestation sérieuse et l’invitait à saisir le tribunal territorialement compétent de ses demandes formées contre la banque, et ce, dans le délai d’un mois suivant réception de la notification de l’ordonnance, à peine de forclusion. Face à l’inertie du débiteur, le 19 janvier 2018, le liquidateur de la société débitrice a assigné la banque en déchéance du droit aux intérêts contractuels et en responsabilité pour inexécution de...

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Sanction du défaut d’acquittement de la taxe fiscale : office du juge

Dans le cadre d’une action en résolution de vente automobile, le vendeur fait appel, et obtient le débouté du demandeur, intimé.

Au soutien de son pourvoi, le demandeur se prévaut des dispositions l’article 963, et fait reproche au juge d’appel d’avoir statué au fond alors qu’il aurait dû relever d’office l’irrecevabilité de l’appel.

La Cour de cassation accueille le moyen et casse l’arrêt d’appel.

Une irrecevabilité que les parties ne peuvent soulever…

Quelle étrange fin de non-recevoir que celle du non-acquittement de la taxe fiscale !

Alors que les parties ont à leur disposition de nombreux moyens de procédure pour mettre un terme prématurément à l’instance d’appel, l’irrecevabilité de l’article 963, pour non-acquittement de la taxe fiscale de l’article 1635 bis P du code général des impôts, leur échappe.

En effet, l’article 963, in fine, prévoit que « les parties n’ont pas qualité pour soulever cette irrecevabilité ». C’est donc une affaire entre le juge et la partie, sans que l’autre partie s’en mêle.

On comprend que la finalité de cette sanction n’est pas de faire tomber des procédures d’appel, mais de faire tomber des sous dans les caisses du fonds qui a permis de mettre en place la réforme tendant à la suppression de la profession d’avoués. Par conséquent, la sanction doit être dissuasive, pour contraindre les parties à payer la dîme.

Il n’existe donc pas d’incident entre les parties pour s’expliquer sur cette irrecevabilité.

Pour autant, il existe un contentieux, qui alimente une jurisprudence assez confidentielle (v. Civ. 2e, 22 mars 2018, n° 17-12.770, Procédures 2018, n° 136, obs. P. Croze ; 16 mai 2019, n° 18-13.434 P, Dalloz actualité, 3 juin 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 1111 image ; 1er juill. 2021, n° 19-10.668 P, Dalloz actualité, 22 juill. 2021, obs. C. Lhermitte).

Mais rares sont ceux qui s’y intéressent, précisément en raison du fait que les parties ne peuvent s’en prévaloir.

… mais qu’elles peuvent néanmoins invoquer ?

Mais l’arrêt de cassation rendu le 3 mars 2022 aura peut-être pour conséquence que les parties vont s’intéresser davantage à la question de l’acquittement de la taxe fiscale.

En l’espèce, l’appelant n’avait pas réglé la taxe fiscale, sans que la cour d’appel s’en inquiète. Et le jugement dont appel a été infirmé.

C’est sur ce moyen de procédure que porte le pourvoi.

Par...

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Billets volés, accession mobilière et contrat d’entreprise

Rares sont les décisions autour de l’accession mobilière, mécanisme qui intéresse les « principes de l’équité naturelle » selon la jolie formule de l’article 565 du code civil qui doit être combinée avec les trois sortes d’accessions par adjonction, par spécification et par mélange (F. Terré et P. Simler, Droit civil. Les biens, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 212 s., n° 234). Encore plus rares sont les décisions mêlant dans leurs faits contrat d’entreprise, mise en jeu d’une assurance et cette même accession mobilière. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 mars 2022 fait partie de ces solutions tranchant une situation originale qui permet de rappeler quelles règles doivent s’appliquer quand les faits mêlent plusieurs qualifications juridiques propres en concours, ici l’accession mobilière et le contrat d’entreprise. L’arrêt rendu s’appuie sur des données dont la portée pratique est considérable puisque plusieurs millions d’euros étaient en jeu. Rappelons brièvement les faits pour comprendre pourquoi de telles sommes étaient au cœur du débat.

Par contrat conclu le 8 février 2013, la banque centrale de la République dominicaine (la banque, dans la suite du commentaire) a chargé une société française très connue d’imprimer 180 millions billets de banque. Toutefois, des billets ont été volés pendant la réalisation du contrat, l’affaire ayant été relayée dans la presse française en raison du caractère rocambolesque de la situation et de la découverte par un numismate d’un billet qui n’avait pas à être en circulation en 2013. La soustraction des billets a été officiellement constatée les 12 et 25 juillet 2013. La société française d’impression a déclaré ce vol le 2 août 2013 auprès de sa société d’assurance.

Le 10 janvier 2014, la banque a assigné la société d’impression des billets en dommages-intérêts devant le tribunal de Saint-Domingue. La société d’impression des billets a fait assigner, quant à elle, le 12 février 2016 la société d’assurance devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir sa garantie à hauteur de 50 millions d’euros. La banque et la société d’imprimerie finissent par conclure, le 17 juillet 2018, une transaction mettant fin à leur litige pour une somme de...

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L’action en réduction d’une donation-partage est-elle soumise au dessaisissement ?

Le dessaisissement auquel est soumis le débiteur en liquidation judiciaire n’est pas absolu. Le principe souffre de deux grandes catégories d’exceptions : les droits propres procéduraux, d’une part (B. Ferrari, « La notion de droits propres », in Les grands concepts du droit des entreprises en difficulté, Dalloz, 2019, p. 145 s.), et les droits personnels au débiteur, d’autre part. Les premiers, souvent présentés comme la catégorie d’exceptions au principe du dessaisissement la plus problématique, semblent camoufler quelque peu les difficultés inhérentes à la détermination et au régime des droits personnels au débiteur. Pourtant, ces derniers emportent également leur lot de difficultés, ce dont témoigne l’arrêt ici rapporté.

Précisons pour commencer que, d’un point de vue sémantique et dans la pureté des notions, il vaudrait mieux parler de « droits rattachés à la personne du débiteur » pour qualifier les droits qui lui sont personnels. Au demeurant, la notion n’est pas propre au droit des entreprises en difficulté, puisqu’elle est également présente au sein de l’article 1341-1 du code civil au titre des exceptions à la mise en œuvre d’une action oblique.

Les droits rattachés à la personne du débiteur sont en principe des droits dont les considérations personnelles, morales et familiales sont trop importantes pour qu’ils soient soumis au dessaisissement et partant, pour que leur exercice soit confié au liquidateur par le jeu normal de la mesure. Au demeurant, admettre le contraire conduirait à l’établissement de situations cocasses. Imaginons un liquidateur divorcer en lieu et place du débiteur. Figurons-nous encore un mandataire se constituer partie civile pour le débiteur victime d’un fait infractionnel !

Cela étant, cette première présentation de la notion est beaucoup trop brute pour être exacte. Du reste, la réalité pratique est différente, déjà, parce qu’un droit personnel n’est pas obligatoirement de nature extrapatrimoniale !

À cet égard, certains droits sont qualifiés de « mixtes » avec un régime aménagé de façon à pondérer les intérêts en présence en liquidation judiciaire. Tel est par exemple le cas de la convention de divorce. Le divorce est, certes, un droit personnel au débiteur, mais le liquidateur doit intervenir à la convention relativement aux incidences patrimoniales de la rupture (Com. 26 avr. 2000, nº 97-10.335 P, D. 2000. 263 image, obs. A. Lienhard image).

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt sous commentaire avec la question de savoir si une action en donation-partage est soumise au périmètre du dessaisissement ou, au contraire, si le débiteur conserve la qualité pour l’exercer au titre d’un droit rattaché à la personne.

Les faits de l’arrêt sont assez simples. Le 20 août 2013, un débiteur en liquidation judiciaire, depuis 2006, a assigné ses frères et sœurs en réduction d’une donation-partage dont ils avaient été gratifiés par leurs parents du vivant de ces derniers. Le débiteur n’a obtenu gain de cause ni en première instance ni en appel et se pourvoit en cassation.

Le demandeur reprochait à la cour d’appel d’avoir constaté la nullité de l’acte introductif d’instance et de le débouter de sa demande. Pour cela, la cour d’appel avait estimé qu’en raison du dessaisissement, l’appelant était dépourvu de « capacité » et de « qualité à agir » en réduction de la donation-partage.

Au contraire, pour le demandeur, il disposait là « d’un droit propre », dont il n’était pas dessaisi par l’effet de l’ouverture de la liquidation judiciaire, pour exercer les droits liés à sa qualité d’héritier....

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Comment magistrats et greffiers ont survécu à une nouvelle semaine noire de l’informatique de la justice

Un sérieux dysfonctionnement informatique a plombé, la semaine dernière, l’activité judiciaire pénale. De nombreux magistrats ou greffiers s’en sont fait l’écho sur les réseaux sociaux, dénonçant des arrêts intempestifs de Cassiopée, inutilisable pendant plusieurs jours. Pourtant, selon le ministère de la Justice, le logiciel pour les services pénaux n’était pas à l’origine des ratés. Pour la Place Vendôme, c’est une saturation de l’accès au réseau informatique de l’État permettant un accès sécurisé à internet qui a entraîné en cascade des problèmes de connexion au centre de données ministériel de Nantes. Une explication amère pour les personnels concernés. Car quelque soit l’origine de la panne, de nombreuses juridictions n’ont pas pu travailler normalement pendant plusieurs jours. Trois jours, par exemple au tribunal judiciaire de Pontoise, avec plusieurs logiciels défaillants, une durée « déjà connue, mais assez rare », remarque Stéphanie Caprin, secrétaire nationale de l’USM.

Gêne majeure

A Paris, la gêne a également été « majeure » au pénal, remarque ainsi la greffière principale Fadila Taieb, la représentante de l’Unsa-services judiciaires. « Une journée de travail avec des dysfonctionnements informatiques, c’est déjà une catastrophe, alors imaginez trois jours d’arrêt du logiciel », remarque-t-elle. Même constat à Bobigny, deuxième tribunal de France. Les incidents ont là aussi eu des conséquences fortes sur le travail du greffe, à l’arrêt sur deux jours à cause de l’impossibilité d’enregistrer des trames judiciaires ou de fusionner des jugements, détaille Alexandra Vaillant, la déléguée locale de l’USM dans cette juridiction. La permanence pénale du parquet a également été entravée: la vérification des antécédents des personnes en garde à vue n’était plus possible, par exemple.

Pour réussir à s’en sortir, les greffiers et magistrats ont eu recours au système D. « Les collègues bidouillent, en travaillant à partir de trames déjà enregistrées sur leur poste de travail, mais c’est une perte de temps importante car c’est une saisie très chronophage », remarque Fadila Taieb. Sans Cassiopée, les greffiers doivent en effet rentrer manuellement, par exemple dans le cas d’un jugement, une série d’informations, telles que l’identité, les textes visés, habituellement importées par le logiciel. « Pour les comparutions immédiates, les mandats de dépôts ne sortaient plus, il fallait donc le faire manuellement, au risque d’oublier un article qui devait être visé », complète Alexandra Vaillant. Quant au travail non urgent, comme le post-sentenciel, il a tout simplement été repoussé, soit autant de retard pris sur la formalisation des jugements ou du rôle. « On le fera plus tard, mais on se met alors en difficulté, car cela rajoute de la masse à la masse », observe Fadila Taieb.

Des problèmes récurrents

Des problèmes récurrents qui exaspèrent les personnels judiciaires. « Nous sommes rompus aux dysfonctionnements informatiques, mais d’habitude, cela ne dure que quelques heures », indique Stéphanie Caprin. Dans un mail à la presse le syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires dénonçait récemment des incidents informatiques multiples et hebdomadaires. Ainsi, un deuxième incident informatique, cette fois-ci lié au pare-feu, a été également déploré en milieu de semaine dernière. Mais il est passé presque inaperçu après la galère des premiers jours.

« L’informatique dysfonctionne souvent, que ce soit le réseau ou les logiciels métiers, résume Alexandra Vaillant. Ces pannes usent les agents alors qu’on leur dit que nous allons passer au tout numérique ». Dans un récent rapport, les magistrats de la Cour des comptes avaient relevé les attentes très fortes du personnel du ministère de la Justice sur la transformation numérique de leurs outils de travail, « tout en appréhendant » leur déploiement. Ce qui s’explique aisément: selon la dernière enquête de satisfaction consultée par les magistrats financiers, qui date de janvier 2020, seul un quart des agents du ministère se déclare « très satisfait » du système d’information.

Validité de la désignation du bénéficiaire d’une assurance-vie par testament sans la porter à la connaissance de l’assureur

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 10 mars 2022, revient sur la problématique de la désignation ou de la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie. Celle-ci est régulièrement source de contentieux en raison, notamment, de l’emploi de termes nébuleux – tels qu’« héritiers » ou « ayants droit » – dans la rédaction de la clause bénéficiaire (R. Bigot et F. Gasnier, Assurance-vie : l’identification du bénéficiaire désigné sous le terme d’« héritier », ss Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 19-11.187, Dalloz actualité, 4 nov. 2020 ; D. 2020. 1953 image ; ibid. 2021. 1257, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro image ; AJ fam. 2020. 608, obs. H. Réol image), ou encore d’un testament annulé ayant pour objet de modifier la clause bénéficiaire (R. Bigot et F. Gasnier, Clause bénéficiaire d’une assurance-vie modifiée par un testament annulé et lettres types non signées, ss Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 18-22.563, Dalloz actualité, 22 déc. 2020). En l’espèce, le problème concernait plus spécifiquement la validité de cette désignation ou substitution, et le formalisme requis en la matière. La Cour de cassation, à nouveau saisie, trois ans plus tard, dans la même affaire (Civ. 2e, 13 juin 2019, n° 18-14.954, Dalloz actualité, 11 juill. 2019, obs. R. Bigot ; D. 2019. 1280 image ; ibid. 2020. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre image ; RGDA juill. 2019, p. 32, note L. Mayaux ; JCP N 2019. 1276, note M. Robineau), prend une position claire sur un sujet sensible, dans un scénario précis d’assurance sur la vie – en présence d’un testament – au visa de l’article L. 132-8 du code des assurances.

Pour rappel, ce texte reprend l’article 63 de la loi du 13 juillet 1930. Il a été modifié par la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 (art. 10). Il est entré en vigueur depuis le 19 décembre 2008. L’article L. 132-8 dispose désormais qu’« […] en l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu’avec l’accord de l’assuré, lorsque celui-ci n’est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire […] ». Notons que, dans sa version actuelle, « l’article L. 132-8 mentionne le “contractant” en lieu et place du “souscripteur”, ce qui permet d’intégrer l’hypothèse des assurances de groupe » (M. Robineau, « La validité de la clause de désignation du bénéficiaire », in J.-M. Do Carmo Silva et D. Krajeski, Les grandes décisions du droit des assurances, préf. B. Beignier, LGDJ, Lextenso, 2022, p. 738 s., spéc. p. 739).

Quant au bénéficiaire, il s’agit du « créancier de la prestation promise par l’assureur si le risque convenu se réalise. Sa désignation n’est pas requise pour que le contrat soit valable (C. assur., art. L. 132-8). […] La désignation est libre mais certaines personnes ne peuvent être désignées bénéficiaires, en raison d’un risque de captation. Il s’agit des professionnels de santé ayant soigné l’assuré au cours de sa dernière maladie (à propos d’un médecin ayant soigné l’assuré, v. Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 07-21.303, Dalloz actualité, 16 nov. 2010, obs. S. Lavric ; D. 2010. 2648 image ; RTD civ. 2011. 163, obs. M. Grimaldi image). En outre, d’autres personnes sont réputées être en conflit d’intérêts avec l’assuré (le tuteur, le curateur de la personne protégée, C. assur., art....

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Isolement et contention en hospitalisation sous contrainte : publication du décret d’application ([I]bis repetita[/I])

Le contentieux de l’isolement et de la contention trouvera-t-il enfin un épilogue apaisé ? Le décret n° 2022-419 publié le 23 mars 2022 fait ce vœu qu’avait déjà formulé le décret d’avril 2021 (Isolement et contention en hospitalisation sous contrainte : publication du décret d’application, comm. décr. n° 2021-537, 30 avr. 2021, JO 2 mai, Dalloz actualité, 11 mai 2021, C. Hélaine). À l’époque, nous avions noté que le système n’était peut-être pas celui qui permettrait d’éviter une nouvelle inconstitutionnalité par l’absence de contrôle systématique du juge. Aujourd’hui, fort de ce contrôle beaucoup plus strict, le cadre législatif devrait être plus solide. Le décret étudié vient en apporter les conséquences réglementaires. Restera à compléter ce corpus par des instructions de la Direction générale des offres de soins.

Repositionnons le contexte : le décret n° 2022-419 du 23 mars 2022 répond à une modification législative qui a été causée par le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2021. 380, obs. A.-M. Leroyer image) lequel a engendré une nouvelle décision d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel sur les mesures d’isolement et de contention en soins psychiatriques sans consentement (Cons. const. 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC, AJDA 2021. 1176 image ; D. 2021. 1324, et les obs. image, note K. Sferlazzo-Boubli image ; RTD civ. 2021. 619, obs. A.-M. Leroyer image). Le législateur avait, alors, jusqu’au 31 décembre 2021 pour revoir sa copie. Après l’abrogation des textes concernés en 2020 (également par le jeu d’une QPC, v. Civ. 1re, 5 mars 2020, n° 19-40.039, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. D. Goetz ; AJDA 2020. 1265 image ; D. 2020. 1559, et les obs. image, note K. Sferlazzo-Boubli image ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot image ; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer image), le Parlement avait pris in extremis de nouvelles dispositions dans la loi pour le financement de la sécurité sociale pour 2021 (L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Le législateur avait donc décidé de procéder, pour les conséquences de la seconde abrogation, de la même manière, mais cette fois-ci le Conseil constitutionnel n’en a pas décidé ainsi (16 déc. 2021, n° 2021-832 DC) : l’article 41 comportant les nouvelles dispositions sur l’isolement et la contention ne pouvait être contenu dans une loi de financement de la sécurité sociale.

Nous voici donc en janvier 2022 sans les textes attendus sur le contrôle systématique du juge des libertés et de la détention pour l’isolement et la contention. Ce sera finalement la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique qui s’occupera de pallier cette carence. Ce choix n’était pas très stratégique : certains lecteurs de la loi ont associé le fameux « passe vaccinal » avec cette réforme de l’isolement et de la contention en milieu psychiatrique alors que les deux n’ont absolument rien à voir. Il aurait peut-être fallu passer par un texte différent pour éviter cette discussion assez vaine. Le site Vie publique explique d’ailleurs ce problème : « enfin, un dernier article, sans lien avec la crise sanitaire, tire les conséquences d’une décision QPC du Conseil constitutionnel du 4 juin 2021. Il instaure, en matière de soins psychiatriques sans consentement, un contrôle systématique du juge des libertés et de la détention (JLD) en cas de maintien à l’isolement ou en contention passé une certaine durée » (nous soulignons). L’explication montre bien toute...

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De l’impact de la loi « lanceurs d’alerte » sur les rapports locatifs

par Yves Rouquet, Rédacteur en chef, Département immobilier, Lefebvre Dallozle 30 mars 2022

L. n° 2022-401, 21 mars 2022, art. 9, JO 22 mars

Motif discriminatoire

La loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (JO 22 mars) modifie l’article 225-1 du code pénal. Ainsi, à compter 1er septembre 2022, toute distinction opérée entre les personnes (physiques ou morales) sur le fondement de leur qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un...

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Copropriété : respect de l’obligation de mise en concurrence

par Nicolas Le Rudulier, Maître de conférences, Université d'Angersle 29 mars 2022

Civ. 3e, 9 mars 2022, FS-B, n° 21-12.658

Le second alinéa de l’article 21 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 précise que l’assemblée générale des copropriétaires, statuant à la majorité des voix de ses membres (soit, à la majorité de l’article 25 de la loi de 1965), arrête un montant des marchés et des contrats (autres que celui de syndic) à partir duquel une mise en concurrence est rendue obligatoire. Participant à l’information des copropriétaires, cette disposition vise à les éclairer dans leur choix lorsque l’enjeu financier est jugé suffisamment important. Reste néanmoins que nombre de copropriétés ne font pas le choix de fixer un tel seuil de déclenchement de la procédure de mise en concurrence. Dans une telle situation, l’article 19-2 du décret  n° 67-223 du 17 mars 1967 prend alors le relais en disposant que « la mise en concurrence pour les marchés de travaux et les contrats autres que le contrat de syndic, prévue par le deuxième alinéa de l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque l’assemblée générale n’en a pas fixé les conditions, résulte de la demande de plusieurs devis ou de l’établissement d’un devis descriptif soumis à l’évaluation de plusieurs entreprises ».

Le litige rapporté porte sur l’interprétation à conférer à ce texte.

En l’espèce, un copropriétaire demandait l’annulation d’une résolution ayant voté des travaux de ravalement de façade de l’immeuble, motif pris de ce que seul le devis retenu...

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Des conséquences du partage de responsabilité dans le contentieux contractuel

La question de la responsabilité contractuelle a pu cristalliser une certaine crispation avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : les uns défendant l’idée selon laquelle elle n’existait pas au profit d’un avantage dit « par équivalent », les autres en justifiant l’existence autonome (pour une synthèse exhaustive du débat, v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 887, n° 826). Quoi qu’il en soit, le contentieux autour de l’article 1147 ancien du code civil n’a pas encore tout à fait fini d’être au cœur de certaines préoccupations pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 et donc régis par le droit antérieur. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 23 mars 2022 en est une brillante illustration pour la détermination des droits de chacun à la suite d’une résiliation aux torts partagés des cocontractants. La question posée l’est assez rarement devant la haute juridiction si bien qu’une analyse s’impose pour en comprendre la portée pratique dans le contentieux contractuel ; la solution pouvant utilement être transposée dans le droit issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ratifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018.

Rappelons les faits pour comprendre comment le problème s’est posé devant la Cour de cassation. Une société ayant pour activité le transport maritime transmanche décide de conclure en 2007 un contrat-cadre ayant pour objet de confier à une seconde société la conception et l’installation d’un progiciel de gestion des ventes à bord de ses navires. Un désaccord survient entre les parties : la société de transport assigne en résiliation son cocontractant, lequel a appelé en garantie son assureur. Avant la première décision au fond, la société de transport a été mise en liquidation judiciaire. Par un jugement du 31 décembre 2014, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résiliation du contrat aux torts des deux sociétés, à parts égales. La Cour d’appel de Paris, tout en confirmant le partage de responsabilité, est venue partiellement...

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Responsabilité de la société grand-mère : juge compétent et loi applicable

Une société néerlandaise fait l’objet d’une procédure collective aux Pays-Bas, où se trouve également le siège social de sa société mère. La société grand-mère a, quant à elle, son siège en Allemagne. Pendant plusieurs années, elle a accordé des prêts à cette société néerlandaise, par le biais de conventions de financement et s’est portée garante de certaines dettes.

La société grand-mère ayant cessé de lui apporter son soutien, la filiale néerlandaise a connu des difficultés ayant conduit à l’ouverture d’une procédure collective, les créanciers se répartissant dans différents États, à l’intérieur et hors de l’Union.

Le liquidateur judiciaire a alors agi aux Pays-Bas contre la société grand-mère, en lui reprochant d’avoir cessé son soutien et d’avoir ainsi rendu inévitable la procédure collective. Il s’est fondé sur le droit néerlandais, qui ouvre la possibilité d’une action délictuelle ou quasi délictuelle contre un tiers ayant participé à la réalisation du préjudice causé aux créanciers d’une société déclarée en faillite, cette action étant introduite non pas au nom de l’ensemble des créanciers mais pour leur compte.

La compétence du juge néerlandais a alors été discutée, ce qui a conduit à la transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Le juge compétent

À propos de la compétence du juge, il est important de préciser que les dispositions applicables sont à rechercher non pas dans le règlement n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité mais dans le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Il a en effet déjà été jugé qu’une action en responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle exercée par le syndic dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité et dont le produit revient, en cas de succès, à la masse des créanciers entre dans le champ d’application matériel du règlement Bruxelles I bis (CJUE 6 févr. 2019, aff. C-535/17, Dalloz actualité, 22 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 262 image ; ibid. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image).

Dans ce cadre, la difficulté concernait la mise en œuvre de l’article 7, point 2, de ce règlement Bruxelles I bis, selon lequel, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre que celui du domicile du défendeur, à savoir devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Fallait-il considérer que le fait dommageable s’est produit au lieu d’établissement de la société en difficulté ou en un autre lieu ?

La difficulté n’est pas...

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L’absence d’évidence et le trouble manifestement illicite

Le juge des référés peut-il refuser d’ordonner une mesure afin de faire cesser un trouble manifestement illicite lorsqu’il relève l’existence d’une contestation sérieuse ?

Telle est la question à laquelle a dû répondre la Cour de cassation le 3 mars 2022 dans un arrêt promis aux honneurs de la publication.

Il faut dire que les termes de l’article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 (même si la réforme n’en a pas modifié la teneur), ne sont pas limpides : « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite », énonce le texte. L’absence de contestation sérieuse est ainsi exclue, mais le trouble doit néanmoins être « manifestement illicite » ; d’où une hésitation (sérieuse) sur la place que doit occuper l’évidence dans l’office du juge.

C’est précisément cette difficulté qui est mise en lumière par l’arrêt commenté. À la base de l’affaire se trouvait une relation commerciale entre un établissement agricole et une coopérative : la première s’était engagée à livrer l’intégralité de sa production à la seconde, qui avait conclu des contrats de partenariat avec un fournisseur de denrées alimentaires destinées aux animaux d’élevage et une société d’abattage. Mais voilà qu’en raison de la dangerosité du chemin d’accès à l’établissement agricole, les sociétés partenaires ont mis un terme à leurs interventions. L’établissement agricole, placé entre-temps en redressement judiciaire, ne pouvait plus écouler sa production et a donc assigné la coopérative à comparaître devant un juge des référés. Le juge des référés a constaté l’existence d’un trouble manifestement illicite et a condamné la coopérative à verser une provision et à poursuivre sous astreinte les relations commerciales aux conditions et volumes habituels.

La cour d’appel n’a cependant pas partagé cette manière de voir les choses et a infirmé la décision rendue par le juge des référés. Pour justifier sa décision, la cour a notamment souligné que la coopérative n’était tenue que d’une obligation de moyens, qu’un arrêté avait interdit la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes sur le chemin d’accès vers l’exploitation et que l’interprétation des obligations contractuelles mises à la charge de chacun justifiait qu’un débat s’instaure devant un juge du fond. Sans le dire, les juges estimaient que l’illicéité de trouble n’était pas évidente. L’établissement agricole a donc formé un pourvoi en cassation pour reprocher à la cour d’appel d’avoir pris acte de l’existence d’une contestation sérieuse pour refuser de mettre fin au trouble manifestement illicite, alors que le texte de l’article 809 du code de procédure civile indiquait bien que...

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La notion de juridiction à l’épreuve de la procédure de rectification des omissions matérielles

Qui peut rectifier l’erreur ou l’omission matérielle dont un jugement est affecté ? L’article 462 du code de procédure civile dispose de façon limpide en son alinéa 1er que « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande ».

Le principe est donc que la rectification relève, en principe, des pouvoirs du juge qui a rendu la décision. S’il en va ainsi, c’est parce que « personne mieux que le juge auteur de l’erreur ne peut savoir ce qu’il a entendu décider, et il n’y a pas d’obstacle à saisir le même juge, puisque la rectification n’est pas une voie de recours portant atteinte à l’autorité de la chose jugée » (N. Fricero, « Rectification des erreurs et omissions matérielles », in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2021, n° 622.51). Ce principe connaît une exception : dès que le jugement est déféré dans le cadre de l’exercice d’une voie de recours, seule la juridiction saisie du recours est compétente pour rectifier, à titre accessoire, les erreurs matérielles du jugement, même après son propre dessaisissement (Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-11.285). La Cour de cassation, toutefois, n’est pas compétente, en principe, pour rectifier les erreurs matérielles de la décision attaquée.

Supposons qu’aucun recours ne soit exercé et que le plaideur souhaite faire rectifier l’erreur ou l’omission du jugement par « la juridiction qui l’a rendu ». À qui doit-il s’adresser exactement ? C’est à la résolution de cette question que contribue l’arrêt rendu le 24 mars 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

En l’espèce, un tribunal de commerce, statuant dans sa formation collégiale de droit commun, avait, dans le dispositif de son jugement, condamné un vendeur de bouchons en liège à indemniser l’acheteur au titre de la garantie des vices cachés. Les motifs de cette décision faisaient état d’une condamnation de l’assureur à garantir le vendeur des condamnations prononcées à son encontre. Toutefois, cette condamnation avait été omise dans le dispositif du jugement. On sait combien une telle omission est fâcheuse : faute de figurer dans le dispositif, la condamnation n’a pas autorité de chose jugée (C. pr. civ., art. 480) non plus qu’elle peut donner lieu à exécution forcée (C. pr. exéc., art. L. 111-2).

Pour tenter d’obtenir la rectification de ce jugement, le vendeur a présenté une requête en rectification d’omission matérielle de l’article 462 du code de procédure civile, ce qui fut fait par une ordonnance émanant d’un « juge » du tribunal de commerce.

Un juge (unique) du tribunal de commerce pouvait-il, par...

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Troubles anormaux du voisinage : responsabilité de plein droit du propriétaire actuel

Longtemps conçue comme une déclinaison de la responsabilité du fait personnel, la théorie des troubles anormaux du voisinage a désormais un fondement autonome, la Cour de cassation visant « le principe suivant lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Civ. 2e, 19 nov. 1986, n° 84-16.379). Ce régime de responsabilité est « objectif », c’est-à-dire qu’il ne repose pas sur la preuve d’un comportement fautif de l’auteur du dommage : seul compte l’existence d’un trouble excédant la gêne normalement attendue dans le cadre de relations de voisinage, ceci étant apprécié in concreto par les juges, en tenant compte de la situation particulière de la prétendue victime (v. R. Bigot et A. Cayol, Le droit de la responsabilité civile en tableaux, préf. P. Brun, Ellipses, 2022, à paraître, p. 204). Dès lors, l’absence de faute ne permet pas d’échapper à une condamnation (Civ. 3e, 4 févr. 1971, n° 69-12.528). Parallèlement, l’existence d’une faute ne cause pas nécessairement un trouble anormal du voisinage : encore faut-il que les juges du fond caractérisent l’anormalité de la nuisance (Civ. 2e, 24 mars 2016, n° 15-13.306). Le caractère objectif de ce régime de responsabilité a, de nouveau, été affirmé avec force par la troisième chambre civile le 16 mars 2022.

En l’espèce, l’usufruitière d’un pavillon a déclaré à son assureur un sinistre « dégâts des eaux », puis a assigné sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage les propriétaires actuels du pavillon voisin, ainsi que leurs prédécesseurs, en réalisation des travaux rendus nécessaires par les infiltrations et en paiement de dommages-intérêts. La cour d’appel déclare les propriétaires actuels responsables sur le fondement de ladite théorie dans la proportion de 60 % des désordres affectant le pavillon de la demanderesse. Elle rejette, par ailleurs, les demandes adressées par ces derniers contre leur assureur, aux motifs que « le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage, en l’espèce les fuites sur le réseau des canalisations enterrées de la propriété de M. et Mme F, dont l’origine remonte à 1997 et 2005, soit antérieurement au 25 janvier 2007, date de prise d’effet de l’assurance multirisques habitation » (pt 13). Elle considère, en outre, que les conditions générales du contrat d’assurance ne couvrent pas les dommages provenant d’une canalisation enterrée chez l’assuré et qu’il s’agit là d’une clause de non-garantie, laquelle n’a pas à répondre au formalisme édicté par l’article L. 112-4 du code des assurances (pt 18).

Ces trois points sont contestés par les voisins dans leur pourvoi en cassation.

Le caractère objectif de la responsabilité résultant d’un trouble anormal de voisinage

Les voisins soutiennent, tout d’abord, « que le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l’immeuble vendu avant la cession ; qu’en imputant aux seuls acquéreurs la responsabilité d’un trouble anormal de voisinage dont la cour d’appel relevait elle-même qu’il trouvait sa cause dans des conduites fuyardes, dont les premiers désordres « remontaient à 1997 et 2005 », à une époque où les consorts G étaient propriétaires du bien en sorte qu’ils devaient nécessairement assumer une part du dommage ainsi causé, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (pt 7). La Cour de cassation considère que ce moyen n’est pas fondé. Elle affirme, dans un attendu de principe, que l’« action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit » (pt 8), et en conclut que la responsabilité des voisins devait être retenue, le fait qu’ils n’aient pas été propriétaires de ce fonds au moment où les...

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Loi Badinter : exclusion des marchandises, objets d’un contrat de transport

Il est de jurisprudence constante que la loi Badinter est d’application exclusive : « L’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 à l’exclusion de celles des articles 1382 et suivants du code civil » (Civ. 2e, 4 mai 1987, n° 85-17.051). Le juge est tenu « pour trancher le litige de faire application, au besoin d’office, des dispositions d’ordre public de la loi du 5 juillet 1985 » (Civ. 2e, 5 juill. 2018, n° 17-19.738, Dalloz actualité, 13 sept. 2018, obs. A. Hacene ; D. 2018. 1489 image ; ibid. 2019. 1196, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre image ; RTD civ. 2018. 928, obs. P. Jourdain image ; sur le caractère d’ordre public de la loi Badinter, v. déjà Civ. 2e, 13 janv. 1988, n° 86-10.142 P). Le projet de réforme de la responsabilité civile, présenté par la Chancellerie en mars 2017, reprend cette solution, affirmant que les dispositions relatives à la responsabilité du « fait des véhicules terrestres à moteur » sont d’ordre public (art. 1285, al. 2). Il est dès lors particulièrement important de déterminer avec précision le champ d’application du régime issu de la loi Badinter. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 31 mars 2022 apporte une utile précision sur ce point dans l’hypothèse d’un dommage causé à une marchandise transportée dans le cadre d’un contrat de transport lors de son déchargement.

En l’espèce, une grue-pelle fait l’objet d’un contrat de transport de marchandises. Lors de son déchargement, l’engin bascule et chute au sol. Après avoir indemnisé son propriétaire, l’assureur assigne le transporteur – ainsi que l’assureur de ce dernier – en remboursement des sommes versées sur le fondement de la loi Badinter. Le propriétaire leur demande, sur le même fondement, indemnisation de la franchise restée à sa charge et des frais d’expertise. Le transporteur et son assureur soulèvent alors l’incompétence du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce. Cette exception est rejetée par le juge de la mise en état. La cour d’appel confirme son ordonnance, aux motifs que « l’indemnisation de la victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions d’ordre public de la loi du 5 juillet 1985 » (pt 11). Or la grue-pelle répondait bien à la définition du véhicule terrestre à moteur, et était en mouvement au moment de l’accident.

Le régime de responsabilité issu de la loi du 5 juillet 1985 est, en effet, applicable, aux termes de son article premier, aux accidents de la circulation dans lesquels est impliqué au moins un véhicule terrestre à moteur (VTAM). Contrairement au code de la route et au code des assurances, la loi du 5 juillet 1985 ne définit pas la notion de VTAM. La jurisprudence a progressivement posé plusieurs critères pour retenir cette qualification. Il résulte, tout d’abord, expressément de l’article 1er de la loi Badinter que l’engin concerné doit être un « véhicule », ce qui suppose qu’il soit destiné au transport de personnes...

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Les conditions strictes du recours à la procédure « sans audience »

En raison de l’état d’urgence sanitaire, le juge civil pouvait-il statuer « sans audience », sans recueillir l’absence d’opposition des parties, lorsqu’en appel, l’affaire était instruite selon la procédure dite « à bref délai » ?

C’est à cette question qu’a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mars 2022.

Chacun a en mémoire que, en raison de la diffusion de la covid-19 sur le territoire, le législateur a pris par voie d’ordonnance une kyrielle de mesures destinées à limiter les contacts physiques entre les individus. Les audiences, lieux de rencontres et d’échanges, ont ainsi été vues d’un mauvais œil et des procédures « sans audience » ont été organisées. L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 20 mars 2020, modifié par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, avait ainsi prévu que, lorsque la représentation était obligatoire ou que les parties étaient assistées ou représentées par un avocat, le juge pouvait décider que la procédure se déroule « sans audience », dès lors que la mise en délibéré de l’affaire était annoncée pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (ord. n° 2020-304 du 25 mars 2020, art. 1er et 8), soit entre le 12 mars et le 10 août 2020 (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-20.002 NP). Mais, parce que l’organisation d’une audience « est une garantie légale des exigences constitutionnelles des droits de la défense et du droit à un procès équitable » (Cons. const. 19 nov. 2020, n° 2020-866 QPC, Société Getzner France, § 14, D. 2020. 2297 image ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot image), les parties disposaient d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la mise en œuvre de la procédure « sans audience », ce droit d’opposition n’étant écarté que pour certaines procédures spécifiques : les procédures en référé, les procédures accélérées au fond, mais aussi les...

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Successions internationales : compétence et office du juge

Un ressortissant français s’installa au Royaume-Uni en 1981, où il se maria avec une ressortissante britannique. En 2012, en raison d’une maladie, il revint en France afin de vivre auprès de l’un de ses trois enfants nés d’une première union. Il y décéda en 2015. À la suite de l’ouverture de la succession, un litige s’éleva entre l’épouse et ces enfants, qui saisirent un juge français d’une demande de désignation d’un mandataire successoral chargé d’administrer l’ensemble de la succession, en application du règlement n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen. Il est important de préciser que, même avant le Brexit, ce règlement n’était pas applicable au Royaume-Uni.

La compétence de ce juge fut contestée, au regard de l’article 4 de ce règlement, qui dispose que « sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ».

La cour d’appel écarta sa compétence, compte tenu de la localisation au Royaume-Uni de la dernière résidence habituelle du défunt.

Sa décision fut alors discutée en considération de l’article 10, qui énonce des « compétences subsidiaires » dans les termes suivants :

« 1. Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où : a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès ; ou, à défaut, b) le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre, pour autant que, au moment de la saisine de la juridiction, il ne se soit pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle.

2. Lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur ces biens. »

Le débat se focalisa sur la mise en œuvre de l’article 10,...

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Loi Badinter : distinction entre la garde de la structure et la garde du comportement du véhicule

« Parce qu’elle trouve son fondement dans le risque que crée la situation des véhicules terrestres à moteur (VTAM), la responsabilité du fait du VTAM impliqué pèse sur ceux qui créent ce risque » (P. Malinvaud, M. Mekki et J.-B. Seube, Droit des obligations, 16e éd., LexisNexis, 2021, n° 751, p. 682). L’article 2 de la loi Badinter précise ainsi que les débiteurs de l’indemnisation sont « le conducteur ou le gardien » de chaque véhicule impliqué dans l’accident (solution reprise par le projet de réforme de mars 2017, art. 1285, al. 1).

Le gardien est défini, conformément au droit commun, comme la personne qui a « l’usage, la direction et le contrôle » (Cass., ch. réunies, 2 déc. 1941, Franck, concernant la responsabilité du fait des choses) du véhicule au moment de l’accident. La Cour de cassation a opté, depuis cet arrêt de principe, pour une conception matérielle de la garde, abandonnant la conception juridique retenue jusque-là. Une présomption simple de garde pèse cependant toujours sur le propriétaire de la chose. Cette présomption est notamment applicable lorsqu’un véhicule impliqué dans l’accident était stationné sans personne à son bord. En cas de remise volontaire de la chose à un tiers par le propriétaire, le transfert n’est retenu que si le tiers a acquis les trois pouvoirs sur la chose (usage, direction et contrôle). La responsabilité est la contrepartie de la maîtrise de la chose (ce qui exclut notamment qu’un préposé puisse être reconnu gardien du véhicule du commettant, v. Civ. 2e, 16 janv. 2020, n° 19-10.489, D. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image). L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 31 mars 2022 précise les critères de qualification du gardien en cas de remise d’un véhicule défectueux par son propriétaire à un garagiste.

En l’espèce, le propriétaire d’un tracteur le confie à un garage afin de recherche l’origine d’une fuite...

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Reconnaissance de paternité : précisions sur le champ d’application de l’article 311-15 du code civil

En novembre 2004, une femme de nationalité suédoise a donné naissance à un enfant sur le sol américain. Elle a épousé deux ans plus tard un Français qui, en 2010, a reconnu l’enfant par acte reçu par l’officier d’état civil monégasque. Les époux ont divorcé en 2016 devant une juridiction américaine et, en 2017, la mère a assigné l’auteur de la reconnaissance en contestation de la reconnaissance de paternité. La cour d’appel de Paris juge l’action irrecevable comme prescrite. Elle retient en effet, au regard de l’article 333 du code civil, que la possession d’état de plus de cinq années, conforme au titre, rend l’action en contestation de la reconnaissance de paternité irrecevable.

La mère forme alors un pourvoi en cassation. Elle soutient que l’article 311-15 du code civil ne prescrit l’application de la loi français en ce qui concerne la possession d’état que si l’enfant ou l’un de ses parents réside en France, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la cour d’appel a donc violé l’article 311-15 par fausse application. Elle estime par ailleurs que l’article 311-15 doit être mis en œuvre, pour déterminer la loi applicable tant à l’action en établissement de paternité régie par l’article 311-14 du code civil, qu’à l’action en contestation d’une reconnaissance de paternité régie par l’article 311-17 du code civil.

En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation rappelle à nouveau des règles désormais bien établies en jurisprudence et répond pour la première fois aux interrogations de la doctrine sur le champ d’application de l’article 311-15 du code civil.

Rappel d’une jurisprudence bien établie

L’arrêt sous examen permet de rappeler qu’« il résulte de l’article 311-17 du code civil que l’action en contestation d’une reconnaissance de paternité [doit] être possible tant au regard de la loi de l’auteur de celle-ci que de la loi de l’enfant ».

La règle de conflit...

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Copropriétés dégradées : mieux répondre à l’urgence

Prise en charge des copropriétés dégradées : un vide juridique ancien

Un manque de moyens financiers privés

La rotation des propriétaires est telle au sein des copropriétés qu’il peut en découler des dysfonctionnements en matière de gestion des parties communes. Par ailleurs, les copropriétaires peuvent se perdre dans leurs obligations découlant du statut de 1965 (prise de décision, dépenses, etc.). S’ajoute à cela l’appauvrissement des habitants de certains secteurs, que des charges trop lourdes viennent écraser. Enfin, la dégradation des équipements extérieurs de la copropriété et de l’environnement urbain peut entraîner une perte de valeur des immeubles.

De nombreuses années d’insécurité normative : un encadrement jeune et fragile

L’appellation « copropriété en difficulté » n’a vu le jour qu’en 1990 et fut accompagnée de simples plans de sauvegardes qui, en pratique, étaient difficilement et rarement applicables. Ce n’est qu’en 2010 qu’ont été établis les premiers dispositifs juridiques. Le régime de la copropriété était trop enraciné dans le droit privé pour qu’une quelconque aide publique vienne y remédier.

Des tentatives d’amélioration contemporaines 

Puissance publique et propriété privée : une conciliation nécessaire

À la suite de son rapport de 2012 (Prévenir et guérir les copropriétés en difficulté), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) a mis en place des dispositifs d’observation, de prévention et d’intervention. La loi ALUR du 24 mars 2014 a précisé et renforcé ces orientations. Elle a non seulement réformé les procédures civiles existantes (le droit des procédures collectives n’est pas applicable), mais également ajouté aux plans de sauvegarde créés en 1996 un cadre renforcé d’action publique reposant sur des opérations de redressement des copropriétés (Orcod). Ce cadre renforcé fait intervenir l’administration au-delà des compétences qu’elle se réservait antérieurement, en ce qu’elle ne se cantonne plus aux...

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La loi applicable et les mesures d’instruction préventives

Quelle est la loi applicable lorsque le juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile par une association qui prétend défendre un intérêt collectif ?

C’est à cette question qu’a répondu la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 mars 2022.

Nul n’ignore aujourd’hui que les associations peuvent aisément agir en défense d’un intérêt collectif : il suffit en effet que la défense de ces intérêts entre bel et bien dans leur objet social (Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 21-13.970 P, D. 2022. 652 image ; 2 oct. 2013, n° 12-21.152 NP ; 18 sept. 2008, n° 06-22.038 P, Dalloz actualité, 26 sept. 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 2437, obs. X. Delpech image ; ibid. 2009. 393, obs. E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; ibid. 2448, obs. F. G. Trébulle image) ; ce faisant, rien ne leur interdit de recueillir des éléments de preuve sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile en vue de l’exercice de telles actions. Il suffit cependant d’ajouter un facteur d’extranéité pour que toutes ces belles certitudes s’envolent. Car on peut alors hésiter à faire jouer non plus le droit français, mais la loi applicable au fond du litige. C’est précisément ce qu’a fait une cour d’appel statuant sur le recours dirigé contre une ordonnance de référé ayant ordonné une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile : parce qu’elle a estimé qu’il n’était pas démontré que la loi étrangère (la loi congolaise en l’occurrence) reconnaîtrait aux associations la qualité pour agir au fond, elle a déclaré leur demande irrecevable. La Cour de cassation n’a cependant pas partagé ce point de vue. Elle a en effet jugé, au visa des articles 3 du code civil, et 31 et 145 du code de procédure civile, que la qualité à agir d’une association en défense d’un intérêt collectif doit être appréciée au regard de la « loi du for » en ce qui concerne les conditions d’exercice de l’action, et au regard de la loi du groupement en ce qui concerne les limites de l’objet social dans lesquelles celle-ci est exercée ; du coup, elle n’avait d’autres choix que de censurer l’arrêt rendu par la cour d’appel qui avait décidé d’appliquer la loi applicable au fond.

Cette solution mérite quelques explications.

La désignation de la loi qui doit être appliquée aux conditions d’existence de l’action en justice, et plus particulièrement à la qualité à agir, donne lieu à des hésitations lorsqu’une personne prétend...

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La récusation d’un technicien et la qualité de partie à la procédure de récusation

Le juge qui rejette une requête en récusation peut-il condamner son auteur à payer diverses sommes aux parties à la procédure principale et au technicien dont le remplacement était demandé ?

C’est à cette question qu’a répondu la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2022.

Alors qu’un incendie était survenu sur un navire, un juge des référés, saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, a commis un technicien afin d’y voir un peu plus clair. Mais voilà que l’une des parties à la procédure a déposé une requête visant à remplacer le technicien désigné. Le juge des référés n’y a pas fait droit et la partie requérante, ainsi qu’une autre partie à la procédure de référé, ont décidé d’interjeter appel de cette ordonnance. La cour d’appel a confirmé la décision du juge des référés et, pour faire bonne mesure, a condamné les appelants à verser diverses sommes aux autres parties à la procédure principale et au technicien dont le remplacement avait été sollicité. Pouvait-elle procéder ainsi ? La chose était discutable et des pourvois en cassation ont immédiatement été formés.

La recevabilité des pourvois dirigés contre l’arrêt rejetant la demande de récusation

La recevabilité des pourvois a elle-même donné lieu à discussion.

Chacun sait que les jugements en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l’instance ne peuvent en principe faire l’objet d’un pourvoi en cassation qu’en même temps que le jugement sur le fond, sauf s’ils tranchent également tout ou partie du principal (C. pr. civ., art. 607 et 608). De là, la Cour de cassation décide généralement que le jugement déclarant une requête en récusation d’un technicien irrecevable ou infondée ne peut être frappée de pourvoi indépendamment du jugement sur le fond (Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-14.700 NP ; 17 févr. 2011, n° 10-15.841 NP ; 6 mai 2010, n° 07-13.504 NP ; 17 avr. 2008, n° 07-11.132 P, Dalloz actualité, 14 mai 2008, obs. L. Dargent ; D. 2008. 1420 image ; 1er juill. 1999, n° 96-15.618 NP ; 17 juin 1999, n° 97-17.009 NP ; 10 oct. 1990, n° 88-17.574 NP ; 8 oct. 1986, n° 85-12.420 P).

On ne peut cependant pas manquer de souligner que, dans une décision, la Cour de cassation avait adopté une autre approche en jugeant que le rejet d’une requête en récusation « avait mis fin à une instance incidente et indépendante de la procédure principale qui l’avait fait naître » (Civ. 2e, 23 juin 2005, n° 03-16.627 P, D. 2005. 2102 image ; RTD civ. 2005. 635, obs. R. Perrot image). Surtout, la circonstance que la mesure d’instruction ait été ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile incitait également à admettre que les pourvois en...

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Pause printanière

La rédaction de Dalloz actualité fait une petite pause la semaine du 25 avril.

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L’étendue de la mesure d’instruction préventive et l’identification du juge de la rétractation

Les mesures d’instruction préventives, ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, génèrent un contentieux incessant en matière de concurrence déloyale. Il faut dire qu’il s’agit d’un outil commode pour y voir un peu plus clair, notamment lorsqu’un salarié quitte une société pour créer une société concurrente, comme c’était le cas dans l’affaire soumise à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui a donné lieu à un arrêt rendu le 24 avril 2022.

Cette affaire soulevait deux difficultés : l’une tenant à l’identification du juge de la rétractation, l’autre à l’étendue de la mesure d’instruction préventive.

L’identification du juge de la rétractation

Chacun sait que, lorsqu’il est fait droit à une requête, toute personne intéressée peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance afin qu’il la rétracte ou la modifie (C. pr. civ., art. 496). C’est donc le juge qui a rendu l’ordonnance lui-même qui doit être à nouveau saisi, même s’il importe peu que la personne physique statuant sur la demande de rétractation ne soit pas la même que celle qui a rendu la décision (Civ. 2e, 11 mars 2011, n° 09-66.338 P, Dalloz actualité, 31 mars 2008, obs. S. Lavric ; D. 2011. 265, obs. N. Fricero image ; 11 mai 2006, n° 05-16.678 P, Dalloz actualité, 5 juin 2006, obs. P. Guiomard ; D. 2006. 1705 image). Le juge est alors saisi comme l’est un juge des référés (Com. 1er déc. 1987, n° 86-10.229 P ; Civ. 2e, 28 oct. 1982, n° 81-10.620 P) et doit apprécier s’il y a lieu de retirer la décision de l’ordonnancement juridique ou de la modifier (v., sur l’étendue des pouvoirs de ce juge, M. Foulon et Y. Strickler, Le référé-rétractation, D. 2010. 456{RECUEIL/CHRON/2010/0039}). Tout cela est bien connu, mais les choses sont obscurcies par la tradition et un « vocabulaire hérité d’une autre époque » (R. Perrot, « L’inversion du contentieux (ou les prouesses de l’ordonnance sur requête) », in Justice et droits fondamentaux. Études offertes à Jacques Normand, Litec, 2003, p. 387, n° 12). Car le juge saisi de la demande de rétractation statue selon les règles applicables à la procédure de référé, d’où le problème de savoir s’il peut être qualifié de « juge des référés ».

On tient pratiquement pour acquis que le juge qui a rendu l’ordonnance, le juge des requêtes, est un juge distinct du juge ordinaire des référés, même si les textes qui définissent leurs pouvoirs respectifs sont assez laconiques (v. par ex. COJ, art. L. 213-2). On pourrait sans doute considérer que les référés et les requêtes constituent deux aspects d’une même juridiction provisoire assurée ordinairement par le président de la juridiction ; en somme, il y aurait une unique juridiction traversée par deux procédures principales (la procédure de référé et la procédure sur requête). Mais la tradition et la pratique se sont orientées dans une autre direction. La Cour de cassation ne remet pas en cause la tradition et elle indique, encore dans l’arrêt faisant l’objet du présent commentaire, que « seul le juge des requêtes qui a rendu l’ordonnance peut être saisi d’une demande de rétractation de celle-ci » (v. déjà Com. 2 déc. 2020, n° 18-25.197 NP), ce qui postule l’autonomie du juge des référés, que l’on qualifiera d’ordinaire, et du juge des requêtes ; en conséquence, lorsqu’un juge des référés est ordinairement saisi d’une demande, il doit déclarer irrecevable la demande incidente de rétractation d’une ordonnance sur requête qui serait formée devant lui (Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-11.323 P, Dalloz actualité, 11 juin 2020, obs. G. Sansone ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; Rev. prat. rec. 2020. 12, obs. J. Couturier, E. Jullien et O. Salati image ; v. égal. Com. 20 oct. 2014, n° 13-15.435 NP). Mais la Cour de cassation tend aussi à limiter les conséquences de cette scission des fonctions juridictionnelles du président de la juridiction à la portion congrue. La présente décision en témoigne.

Le tiers avait saisi le président du tribunal de commerce ayant rendu l’ordonnance sur requête d’une...

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Exécution des jugements dans l’Union : sort d’une injonction de payer

Deux jugements prononcés en Jordanie condamnèrent une personne physique, domiciliée en Autriche, à payer une certaine somme à une société anglaise.

Cette dernière saisit la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles, qui émit alors, en mars 2019, une ordonnance d’injonction de payer en exécution de ces deux jugements.

La société ayant sollicité l’exécution de cette ordonnance en Autriche, la question du régime juridique de cette demande surgit. Il s’est en effet agi de déterminer si le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale avait vocation à s’appliquer.

Le débat s’est porté sur la qualification d’une telle injonction.

Rappelons en effet que l’article 39 du règlement énonce qu’« une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire ». Le régime d’exécution des jugements rendus dans les États membres défini par le règlement suppose donc que l’on soit en présence d’une « décision » au sens du règlement. Et l’article 2, a), de ce texte précise qu’on entend par « décision » « toute décision rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que...

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Devoir de secours et prestation compensatoire : oyez, oyez !

L’arrêt sous commentaire est un énième rappel aux juges du fond sur les éléments à prendre en compte au moment d’apprécier l’éventuelle disparité que créerait le divorce dans les conditions de vie respectives des époux.

Les faits étaient on ne peut plus banals. À l’occasion d’une procédure de divorce, le juge aux affaires familiales saisi avait prévu, dans son ordonnance de non-conciliation, que l’épouse bénéficierait de la jouissance gratuite du logement familial au titre du devoir de secours (sur cette modalité d’exécution du devoir de secours, v. L. Gebler, L’occupation du logement pendant l’instance en divorce, AJ fam. 2011. 461 image). Il s’agit ici d’une mesure provisoire assez classique lorsque l’un des époux – le plus souvent l’épouse – se trouve dans le besoin pendant la procédure. Elle découle de l’article 255 du code civil qui dispose que le juge peut attribuer à l’un des époux la jouissance du logement et du mobilier du ménage en précisant son caractère gratuit ou non. En l’espèce, le juge aux affaires familiales avait expressément prévu une jouissance gratuite du logement en faveur de l’épouse ce qui constituait l’exécution en nature par l’époux de son devoir de secours. Au cours de la procédure, l’épouse avait par ailleurs demandé l’attribution d’une prestation compensatoire. Au moment de prononcer le divorce, la cour d’appel, prenant en compte la jouissance gratuite de l’ancien domicile conjugal dont bénéficiait l’épouse depuis sept ans, lui refusa tout droit à prestation. La Cour de cassation a naturellement cassé cet arrêt.

Il convient ici de rappeler, comme le fait la haute juridiction, qu’il résulte de l’article 270 du code civil qu’à l’occasion du divorce, l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans leurs conditions de vie respectives. Il est précisé à l’article suivant que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci...

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Le référé-provision et les limites du contrôle de la Cour de cassation

Chacun sait qu’en application de l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile (anc. art. 809, al. 2), le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier toutes les fois que l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. La Cour de cassation a donné toute son efficacité à ce texte en admettant que le juge ordonne le versement d’une provision dès lors que le principe même de l’obligation n’est pas sérieusement contestable et même si le montant de l’obligation est encore sujet à controverse (Com. 11 mars 2014, n° 13-13.304 NP ; Civ. 2e, 11 juill. 2013, n° 12-24.722 P, Dalloz actualité, 25 juill. 2013, obs. M. Kebir ; AJDI 2013. 770 image). L’utilité d’une telle mesure n’est plus à démontrer alors que la provision n’est pas réduite au rôle de simple acompte sur l’indemnisation que pourrait accorder un juge du fond ultérieurement saisi : le montant de la provision n’a en effet « d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée » (Civ. 3e, 16 mai 1990, n° 89-11.250 P ; Com. 20 janv. 1981, n° 79-13.050 P ; v. égal. Com. 17 juin 2013, n° 12-18.293 NP).

Cela impose d’encadrer, dans de justes limites, l’office du juge des référés. C’est l’étendue du contrôle exercé par la Cour de cassation sur cet office qui était au cœur de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 31 mars 2022.

À la suite de deux opérations chirurgicales, un...

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Responsabilité du fait des choses : incidence de la faute de la victime

« Découvert » par la jurisprudence sur le fondement de l’ancien article 1384, alinéa 1er, (devenu art. 1242, al. 1er) du code civil lorsque la responsabilité du fait personnel (supposant la preuve d’une faute du responsable) s’est révélée insuffisante avec l’augmentation des risques liés à l’industrialisation (Civ. 16 juin 1896, Teffaine) puis au développement de la circulation automobile (Cass., ch. réunies, 13 févr. 1930, Jeand’heur), le régime de responsabilité du fait des choses, objectif, est détaché de toute appréciation du comportement du responsable et facilite ainsi l’indemnisation des victimes. Il concrétise les préconisations de Josserand et de Saleilles, lesquels avaient suggéré, dès la fin du XIXe siècle, que les personnes créant des risques par leur activité soient contraintes, une fois ceux-ci réalisés, d’en assumer les conséquences sans que la victime ait à prouver leur faute (L. Josserand, De la responsabilité du fait des choses inanimées, Arthur Rousseau, 1897 ; R. Saleilles, Les accidents du travail et la responsabilité civile. Essai d’une théorie objective de la responsabilité délictuelle, Arthur Rousseau, 1897).

Si la faute du gardien de la chose n’est pas requise pour engager sa responsabilité – seul le rôle actif de la chose dans la réalisation du dommage devant être prouvé –, la faute contributive de la victime est, traditionnellement, une cause d’exonération partielle. La solution a, certes, été écartée par la Cour de cassation en 1982 en matière d’accidents de la circulation – à une époque où ceux-ci relevaient encore de la responsabilité du fait des choses de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil (avant l’adoption de la loi Badinter du 5 juillet 1985). Dans son célèbre arrêt Desmares, elle n’admit que l’exonération totale du gardien par la force majeure (Civ. 2e, 21 juill. 1982, n° 81-12.850), excluant toute exonération partielle liée à la faute de la victime ne présentant pas les caractères de la force majeure. Cette décision instaurait un système du tout ou rien et était motivée par le souci de garantir une meilleure réparation des préjudices des victimes d’accident de la circulation. Cet « arrêt de provocation » avait pour but d’inciter le législateur à consacrer une réglementation spécifique pour les accidents de la circulation. La réforme a été opérée par la loi Badinter en 1985. Les...

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Homoparenté : règles applicables aux relations entre un enfant et l’ex-compagne de sa mère biologique

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été saisie de deux requêtes qu’elle a jugé opportun d’examiner ensemble, en raison de leur objet similaire, puisque, dans les deux cas, les requérantes se plaignaient de l’impossibilité de faire établir un lien de filiation entre un enfant et l’ancienne compagne de la mère, et invoquaient une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale (Conv. EDH, art. 8).

Pour autant, les situations n’étaient pas exactement identiques.

Deux requêtes, un objet similaire

Dans la première affaire, une femme, vivant en couple avec une autre femme, a donné naissance à un enfant conçu en France grâce à un « donneur amical ». Le couple a élevé l’enfant ensemble pendant quatre ans, avant de se séparer. Mais, en dépit de cette séparation, les deux femmes sont convenues de maintenir au profit de la femme qui n’est pas la mère un droit de visite et d’hébergement, accompagné du versement d’une pension alimentaire. Neuf ans plus tard, la mère biologique a consenti devant notaire à l’adoption plénière et l’ancienne compagne a déposé une requête en ce sens. Les juridictions françaises ont rejeté cette requête. La Cour de cassation, dans un arrêt du 28 février 2018, a considéré que les deux femmes n’étant pas mariées, l’adoption plénière mettrait fin au lien de filiation de l’enfant avec sa mère, ce qui serait contraire à l’intérêt de l’enfant, seule l’adoption de l’enfant du conjoint laissant subsister sa filiation d’origine (C. civ., art. 345-1, réd. antérieure issue de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption, celle-ci ayant permis de la même façon l’adoption de l’enfant du partenaire ou du concubin). Dans le même temps, les deux femmes avaient également déposé une requête pour obtenir la délivrance d’un acte de notoriété sur le fondement de la possession d’état de l’enfant. Mais n’ayant pas obtenu gain de cause devant les juges du fond, elles ont renoncé à se pourvoir en cassation, la Cour de cassation ayant rendu entre-temps son avis n° 17-70039 du 7 mars 2018, dans lequel elle estimait que les dispositions du titre VII du livre 1er du code civil et spécialement celles de l’article 320, s’opposaient « à ce que deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles soient établies à l’égard d’un même enfant », y compris par la possession d’état. L’enfant a aujourd’hui 20 ans.

Devant la CEDH, les requérantes, invoquant les liens affectifs noués entre l’enfant et l’ancienne compagne de la mère, ont réclamé sur le fondement de l’article 8 la « légitimation de cette relation » « et qu’il en soit pris acte par l’établissement d’un lien de filiation ». L’enfant n’ayant pas été conçu par AMP à l’étranger, il ne leur était pas possible de procéder à la reconnaissance conjointe que permet à titre transitoire l’article 6, IV, de la loi du 2 août 2021. Le gouvernement, de son côté, invoquait principalement le droit à une marge d’appréciation, sur des questions de sociétés délicates pour lesquelles il n’existe pas de consensus au niveau européen....

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La loi applicable à la capacité de recevoir un legs

La loi applicable à l’incapacité de recevoir un legs est-elle celle en vigueur au jour du décès ou au jour de la rédaction d’un testament ? La réponse à cette question n’est pas aussi évidente qu’il y paraît, comme en témoigne cet arrêt rendu le 23 mars 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

En l’espèce, une personne avait institué plusieurs légataires universels et consenti divers legs à titre particulier par testament authentique daté du 17 décembre 2013 confirmé par un codicille du 13 décembre 2014. L’une des légataires à titre particulier était employée en qualité d’auxiliaire de vie à domicile du testateur.

À la suite du décès survenu le 22 janvier 2016, la légataire sollicita la délivrance de son legs auprès des légataires universels, qui la lui refusèrent.

Par un arrêt du 12 juin 2019, la cour d’appel de Paris prononça la décharge de l’obligation de délivrance du legs au motif qu’entre le jour où le testament avait été rédigé et le jour où le décès était intervenu, l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles (CASF) était entré en vigueur. Ce texte prévoyait en effet, dans sa version en vigueur au jour du décès, l’impossibilité pour les employés à domicile accomplissant des services à la personne de profiter des dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes qu’ils accompagnent pendant la durée de cet accompagnement. Pour la cour d’appel, « c’est à la date de la libéralité qu’il y a lieu de rechercher si le légataire avait une qualité l’empêchant, au jour du décès du testateur, de recevoir » (§ 6). Or les juges du fond ont relevé que la légataire était, à la date du testament authentique, employée en qualité d’auxiliaire de vie à domicile. Ils en ont déduit que « le legs à titre particulier consenti à son profit se heurte à l’interdiction résultant de ce texte » (§ 6).

La cour d’appel a cependant éludé la question de l’application dans le temps de l’article L. 116-4 du CASF. Partant du principe que ce texte était pleinement applicable à l’espèce, elle a simplement recherché si, au jour de la rédaction du testament, la légataire revêtait une qualité lui interdisant de recevoir.

C’est cette méconnaissance des principes d’application de la loi dans le temps que lui reproche le moyen du pourvoi et qui justifie la censure de la Cour de cassation. Il ne suffisait pas de déterminer la version du texte applicable au jour du décès (donc abstraction faite des dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 qui l’ont modifié). Il fallait, plus largement, s’interroger sur l’applicabilité même de ce texte qui n’est entré en vigueur que le 30 décembre 2015, soit entre la rédaction du testament et le décès du testateur.

Au visa de l’article 2 du code civil, la Cour de cassation rappelle que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif (§ 5). Elle en déduit « qu’en l’absence de dispositions particulières, les actes juridiques sont régis par la loi en vigueur au jour où ils ont été conclus » (§ 7). Or, « au jour de l’établissement du testament, l’article L. 116-4, alinéa 2, du code de l’action sociale et des familles n’était pas en vigueur » (§ 7).

L’arrêt d’appel est ainsi cassé pour violation de l’article 2 du code civil. Quoiqu’elle porte sur l’interdiction résultant de l’article L. 116-4 du CASF, la cassation entraîne par voie de conséquence la censure des dispositions relatives à la décharge de délivrance du legs et aux pénalités et majorations fiscales.

L’auxiliaire de vie à domicile est donc apte à recevoir son legs car, au jour où le testateur a rédigé son testament, l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles n’était pas en vigueur.

La solution aurait-elle pu être différente ?...

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Action en responsabilité à l’encontre d’un dirigeant de fait : compétence du tribunal de commerce

Une nouvelle fois la compétence des tribunaux de commerce est au cœur d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation (dernièrement, v. Com. 17 nov. 2021, n° 19-50.067 P, Dalloz actualité, 9 déc. 2021, note B. Ferrari ; D. 2021. 2084 image ; ibid. 2262, chron. S. Barbot, C. Bellino et C. de Cabarrus image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image ; Rev. sociétés 2022. 185, obs. L. C. Henry image).

L’arrêt ici rapporté a toutefois ceci de particulier que, de prime abord, il ne fait que rappeler un principe bien établi : les tribunaux de commerce sont compétents pour connaître des actions en responsabilité engagées par des sociétés commerciales contre leurs dirigeants. Mais qu’en est-il lorsque cette qualité est incertaine ? Plus précisément, est-ce que le fait pour le tribunal de commerce de se déclarer compétent pour cette action en responsabilité l’oblige, in limine, à rechercher, par exemple, la réunion des critères d’une direction de fait ? À tout le moins, c’est à cette question que devait répondre la Cour de cassation au sein de l’arrêt ici rapporté.

Les faits étant relativement complexes en raison de l’implication de nombreux acteurs, nous nous permettrons d’en relater l’essentiel.

Une société holding détient la totalité des titres de deux filiales : une SARL et une SAS. Chacune de ces deux sociétés est dirigée par la même personne, tantôt comme gérant, tantôt en qualité de président. Cette même personne est par ailleurs associée au sein de la holding à laquelle elle est liée, de surcroît, par un contrat de travail.

Il est malheureusement révoqué de ses deux mandats sociaux pour différents motifs liés à des faits de concurrence déloyale commis au préjudice de la holding et en faveur d’une société tierce dont il est l’associé avec son épouse, laquelle était, en outre, également salariée de la holding. Cette dernière société notifie, d’ailleurs, quelques jours plus tard le licenciement des époux pour faute grave.

Le tribunal de commerce est saisi d’une action en responsabilité engagée par la holding à l’encontre de la société tierce et de ses deux anciens salariés en réparation de divers détournements dont les époux se seraient rendu les auteurs. Or, pour échapper à la juridiction consulaire, les deux anciens salariés invoquaient une exception d’incompétence au profit de la juridiction prud’homale dont ils sont déboutés par le tribunal de commerce. Ils interjettent appel de cette décision, mais ne sont pas plus heureux devant les juges du second degré.

Les époux se pourvoient en cassation.

D’emblée, précisons que les moyens de l’ancien mandataire social sont considérés comme n’étant pas de nature à entraîner la cassation et la haute juridiction rejette son pourvoi.

À ce stade, il ne reste plus alors qu’à analyser les arguments de l’épouse. Selon elle, pour reconnaître la compétence de la juridiction consulaire, la cour d’appel ne pouvait se fonder sur la seule circonstance que les filiales de la société holding lui reprochaient de s’être comportée en dirigeant de fait. Au contraire, pour écarter la compétence de la juridiction prud’homale et reconnaître celle du tribunal de commerce, les juges d’appel auraient dû rechercher si elle s’était effectivement comportée comme un dirigeant de fait ou, au contraire, si elle avait agi dans le cadre de ses fonctions salariées.

Las pour la demanderesse, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

La haute juridiction commence par rappeler que les tribunaux de commerce sont compétents pour connaître des actions en responsabilité engagées par des sociétés commerciales contre leurs dirigeants de fait. Or...

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Le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction confiées à un technicien et les voies de recours

La décision du juge chargé du contrôle d’une instruction confiée à un technicien qui statue sans respecter le principe de la contradiction est-elle susceptible d’une voie de recours immédiate ?

Telle est la question à laquelle a dû répondre la Cour de cassation le 3 mars 2022 dans un arrêt promis aux honneurs de la publication.

Il est peu dire que la procédure consécutive à la désignation d’un juge chargé du contrôle des mesures d’instruction confiées à un technicien ne suscite pas un contentieux abondant. L’article 155-1 du code de procédure civile se borne à indiquer que le président de la juridiction peut, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, désigner un tel juge et, quelques arrêts mis à part, la Cour de cassation n’a guère eu à connaître d’affaires concernant ce magistrat.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, un juge de la mise en état avait ordonné une mesure d’instruction et ordonné à certaines parties de consigner une certaine somme à titre de provision à valoir sur la rémunération de l’expert (C. pr. civ., art. 269). Nul n’ignore à ce sujet que si la partie ne consigne pas la somme prévue, la désignation de l’expert est caduque, à moins que le juge, à la demande d’une partie se prévalant d’un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de la caducité (C. pr. civ., art. 271). Le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction confiées à un technicien avait ainsi décidé de relever une partie de la caducité, mais, et c’est là le cœur du problème, il y avait procédé sans provoquer les explications des autres.

Cette entorse au jeu de la contradiction a conduit à la formation d’un appel, puis d’un pourvoi en cassation qui, en l’absence de tout excès de pouvoir, ont tous deux été déclarés irrecevables.

Cette irrecevabilité mérite quelques explications.

Si le pourvoi a été déclaré irrecevable (et l’appel avant lui), c’est que le magistrat chargé du contrôle des mesures d’instruction confiées à un technicien ne fait que veiller à la bonne exécution des mesures d’instruction. Les décisions qu’il rend sont donc relatives à l’exécution des mesures et, par application de l’article 170 du code de procédure civile, ne peuvent en principe être frappées d’appel ou de pourvoi en cassation qu’en même temps que le jugement sur le fond (Civ. 2e, 26 oct. 2006, n° 05-18.555 NP). Certes, il en va différemment si la mesure d’instruction est ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile : parce que le juge épuise alors sa saisine en ordonnant la mesure d’instruction, sa décision peut faire l’objet d’un appel immédiat (Civ. 2e,...

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Exception inhérente à la dette et prescription en droit de la consommation

Voici un arrêt assurément important pour le droit du cautionnement tant le revirement de jurisprudence qu’il provoque est intéressant. On se rappelle que la première chambre civile de la Cour de cassation avait jugé en 2019 que « constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du code de la consommation » (Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 523 image, note M. Nicolle image ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff image ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et Ulrik Schreiber image ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau image ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers image). Avant l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, l’article 2313 ancien du code civil ne permettait à la caution que d’invoquer les exceptions qui étaient inhérentes à la dette mais non celles purement personnelles au débiteur. La prescription tirée de l’article L. 218-2 du code de la consommation était, par conséquent, impossible à utiliser par la caution eu égard à ce texte, à la suite de la jurisprudence de 2019. La solution avait fait, à l’époque, couler beaucoup d’encre (v. par ex. les obs. de J.-D. Pellier, La prescription biennale du code de la consommation est une exception purement personnelle au débiteur principal, Dalloz actualité, art. préc.). L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, à la suite du projet proposé par l’Association Henri Capitant, est venue à travers le nouvel article 2298 du code civil condamner pour l’avenir cette décision de manière subtile (v. L. Bougerol, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Épisode 2) : formation et étendue du cautionnement, Dalloz actualité, 19 sept. 2021). Désormais, peu importe la qualification de l’exception, l’article 2298 nouveau permet à la caution d’invoquer les exceptions inhérentes à la dette comme les exceptions personnelles. Mais rien ne permettait de garantir que la première chambre civile viendrait abandonner sa solution pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022, soit avant l’entrée en vigueur de la réforme du 15 septembre 2021. S’inspirant de ce qu’elle a pu réaliser par le passé en matière de rétractation du promettant dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente (Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554, D. 2021. 1574 image, note Léa Molina image ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; AJDI 2022. 226 image, obs. F. Cohet image ; Rev. sociétés 2022. 141, étude G. Pillet image ; RTD civ. 2021. 630, obs. H. Barbier image ; ibid. 934, obs. P. Théry image ; 20 oct. 2021, n° 20-18.514, Dalloz actualité, 17 nov. 2021, obs. G. Tamwa Talla ; D. 2021. 1919 image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image), la Cour de cassation livre le 20 avril 2022 un arrêt permettant d’aligner sa jurisprudence sur le droit nouveau afin d’éviter les différentes de traitement entre les cautions consécutives à l’application de la loi dans le temps : certaines subissant la jurisprudence ancienne, d’autres bénéficiant de l’ordonnance nouvelle.

À l’origine de l’arrêt se trouve une situation factuelle peu originale. Par acte sous seing privé en date du 22 novembre 2007, une société consent un prêt immobilier garanti par un cautionnement. La banque assigne les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt. La cour d’appel de Lyon sursoit à statuer pour solliciter les observations des parties sur la prescription de la créance de la banque. Une fois lesdites observations recueillies, la cour d’appel a pu juger que la...

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Appel incident : l’audacieuse décision de la deuxième chambre civile

Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la procédure sera sauvée !

Ce n’est pas forcément une Révolution, mais lorsque s’avancent la formation de section et l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est que la solution, d’importance et nouvelle, ne s’imposait pas d’elle-même. Le 28 mars 2019, une partie relève appel d’un jugement du tribunal de commerce en limitant son appel aux chefs de la décision qui lui faisaient grief. Plusieurs parties sont intimées, dont une société d’assurance et une banque. La première, après réception des conclusions de l’appelant, dépose ses conclusions de rapport à justice sur les mérites de l’appel et attend la notification des conclusions de la seconde, qui formait appel incident à son encontre, pour former à son tour appel incident en demandant la réformation du jugement et le rejet des demandes présentées à son encontre par la banque. L’irrecevabilité des conclusions de l’assureur est soulevée par la banque, fin de non-recevoir suivie par la cour d’appel de Versailles qui estime que la société d’assurances n’a pas respecté son délai de trois mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile pour former appel incident. Au visa des articles 910 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, la deuxième chambre civile casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt en dégageant la solution suivante : « Il résulte du premier de ces textes, interprété à la lumière du second, qu’est recevable dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions portant appel incident l’appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé en réponse à l’appel incident de ce dernier qui modifie l’étendue de la dévolution résultant de l’appel principal et tend à aggraver la situation de ce dernier ».

Ménage à trois

Pour comprendre la problématique posée, il faut rappeler les échanges entre les trois protagonistes survenus au rythme des délais légaux de trois mois des articles 908 et suivants du code de procédure civile. Après avoir interjeté appel le 28 mars 2019, l’appelant notifie ses conclusions le 27 mai 2019 et un assureur, l’une des sociétés intimées sur l’acte d’appel, dépose ses conclusions le 26 août 2019 en s’en rapportant au mérite de l’appel principal tout en se réservant la possibilité de conclure de nouveau et former appel incident en fonction des conclusions des co-intimés. Le 27 août, soit le lendemain, une banque intimée notifie à son tour ses conclusions en réponse en formant notamment appel incident contre l’assureur afin d’obtenir une somme supplémentaire à celle à laquelle ce dernier avait été condamné à lui verser. Le 25 novembre 2019, l’assureur forme appel incident aux fins d’infirmation du jugement qui l’avait condamné et demande le rejet des demandes de la banque.

A priori exempt de reproche, le raisonnement de la cour de Versailles était le suivant : l’assureur disposait, par application de l’article 909, d’un délai de trois mois, à compter de la notification des conclusions de l’appelant, « tant pour remettre ses conclusions au greffe que pour relever appel incident à l’encontre de la banque également intimée, des dispositions du jugement l’ayant condamné à payer à cette dernière la somme de 229 827,15 €, les dispositions de l’article 910 du code de procédure civile permettant uniquement à l’assureur de...

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Les devoirs du juge en cas d’insuffisance des preuves

Ordonner une mesure d’instruction s’impose parfois afin qu’une partie établisse les faits nécessaires au succès de ses prétentions. Mais le juge rejette parfois la demande tendant au prononcé de la mesure et il n’est alors pas rare que la partie voie dans ce refus la cause (unique) du rejet de ses prétentions. La remise en cause la décision qui refuse d’ordonner la mesure d’instruction demeure cependant délicate. L’arrêt commenté, rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en témoigne.

Prétendant que son interprétation de l’hymne corse avait été reprise à son insu dans un film, un comédien-chanteur a assigné devant un tribunal de grande instance la société qui avait coproduit le film en contrefaçon de droits voisins d’artiste-interprète. Logiquement, le débat s’est noué autour de la preuve de l’utilisation de la voix du comédien-chanteur. Le juge de la mise en état a bien désigné un consultant, mais a rejeté les autres demandes du requérant tendant au prononcé de mesures d’instruction complémentaires. Le tribunal de grande instance a finalement rejeté les prétentions du requérant et la cour d’appel a confirmé les ordonnances du magistrat instructeur et du tribunal de grande instance.

Le comédien-chanteur a alors formé un pourvoi en cassation. Il a commencé par reprocher à la cour d’appel d’avoir confirmé les ordonnances du juge de la mise en état qui refusaient d’ordonner une mesure d’instruction complémentaire. La juridiction d’appel avait en effet relevé que la consultation ordonnée par le magistrat instructeur était limitée et que ce dernier, au regard de la complexité de la mesure, avait pu considérer que rien ne démontrait que la reprise de la mesure eût une quelconque utilité pour la solution du litige. Ces motifs laissaient entendre que la mesure de consultation ordonnée n’était pas suffisante au regard de la complexité du litige et le pourvoi avait donc beau jeu de reprocher aux juges de ne pas avoir ordonné une expertise pour compléter la consultation. L’arrêt rendu était ensuite critiqué car la cour d’appel avait jugé, sans avoir préalablement ordonné une nouvelle mesure malgré l’insuffisance de la précédente, qu’il n’était pas établi que la voix du comédien-chanteur avait été utilisée dans le film.

La Cour de cassation a cependant rejeté les deux moyens dont elle était saisie : le premier en rappelant qu’il relève du pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction ou de consultation ; le second en soulignant que le juge apprécie souverainement les éléments de preuve sans être tenu d’ordonner une quelconque mesure d’instruction.

Cet arrêt invite à quelques observations quant à la conduite du juge en cas d’insuffisance des preuves fournies.

Le juge et la motivation du refus d’ordonner une mesure d’instruction

La Cour de cassation juge dans cet arrêt que l’appréciation de l’utilité d’une mesure d’instruction relève du pouvoir discrétionnaire du juge ; en somme, il lui est reconnu une « dispense de motiver sa décision » (J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, 5e éd., Dalloz Action, 2015-2016, n° 66.33). L’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire mérite quelques explications.

La lecture des arrêts rendus par la Cour de cassation laisse, à première vue, l’impression de courants contraires.

Dans bon nombre d’arrêts, la Cour de cassation juge qu’il relève du pouvoir souverain du juge d’apprécier l’utilité ou l’opportunité d’ordonner une mesure d’instruction (Civ. 2e, 3 nov. 2016, n° 15-25.672 NP ; 19 mars 2015, n° 14-15.368 NP ; Civ. 1re, 23 mars 2011, n° 09-13.739 NP ; Com. 6 juin 2001, n° 98-16.390 NP ; Soc. 21 mars 1996, n° 92-44.806 NP ; Civ. 2e, 28 avr. 1993, n° 91-17.197 NP ; 28 oct. 1992, n° 91-15.007 NP ; Civ. 1re, 25 avr. 1979, n° 78-11.293 P ; Civ. 2e, 24 mars 1971, n° 70-12.144 P ; Civ. 3e, 26 févr. 1970, n° 67-14.257 P). Dans le même ordre d’idées, il est encore possible de relever que le juge saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile apprécie souverainement l’existence d’un motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction (Civ. 2e, 24 mars 2022, n° 21-12.631 NP ; 4 mars 2021, n° 19-23.434 P ; 10 déc. 2020, n° 19-22.619 P ; Soc. 1er juill. 2020, n° 18-24.026 NP ; Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-24.757 NP) ; la notion de « motif légitime » englobe la pertinence de la mesure et des faits invoqués (M. Jeantin, « Les mesures d’instruction in futurum », D. 1980. Chron. 205, n° 19), ce qui implique que le juge motive sa décision au regard de la pertinence de la mesure sollicitée (Com. 17 mars 2021, n° 18-25.236 NP).

Mais dans d’autres décisions, la Cour de cassation indique que c’est dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire que le juge ordonne ou refuse d’ordonner une mesure d’instruction (Civ. 3e, 28 janv. 2021, n° 19-18.233, AJDI 2022. 113 image, obs. Mehdy Abbas Khayli image ; RTD com. 2021. 308, obs. J. Monéger image NP ; 11 juill. 2019, n° 18-14.511 NP, RTD com. 2019. 1006, obs. C. Saint-Alary-Houin image ; 29 juin 2017, n° 16-18.226 NP ; Civ. 2e, 11 oct. 2012, n° 11-18.763 NP ; 6 oct. 2011, n° 10-24.835 NP ; Civ. 3e, 16 mars 2010, n° 09-12.860 NP ; Com. 3 avr. 2007, n° 06-12.762 P, D. 2007. 1211, et les obs. image ; Civ. 3e, 5 avr. 2006, n° 04-18.398 P, AJDI 2006. 742 image, obs. F. de La Vaissière image ; 29 juin 1976, n° 75-14.124 P). C’est dans ce second courant que s’inscrit l’arrêt commenté lorsqu’il souligne que « la cour d’appel n’a fait qu’user du pouvoir discrétionnaire d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction ou de consultation qui peut être ordonnée en application des articles 143, 144 et 256 du code de procédure civile ».

Même contraires, ces courants ne sont pas...

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Pas de testament-partage sans partage imposé

Le testament-partage est à certains égards un acte nimbé de mystères et à la qualification fuyante (P. Catala, La réforme des liquidations successorales, 3e éd., Defrénois 1982, nos 138 et 140). Bien qu’il soit passé, avec la réforme du 23 juin 2006, de la magistrature domestique à l’acte de propriétaire, il a toujours été consubstantiel à l’idée d’une volonté posthume qui s’impose avec autorité à ses destinataires. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire l’arrêt rendu ce 13 avril 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Deux époux communs en biens avaient dressé chacun un testament prévoyant un legs de la quotité disponible à l’un de leurs deux fils et lui offrant une priorité sur le choix des meubles ainsi que la faculté de prélever, à titre d’attribution, un immeuble dépendant de la communauté. Le deuxième fils se voyait quant à lui offrir une semblable faculté d’attribution sur un autre bien immobilier, dépendant aussi de la communauté, et dont il était locataire.

Au décès du dernier des époux, des difficultés sont survenues entre les frères héritiers quant au règlement des successions. Celui qui était désavantagé a sollicité et obtenu la nullité des testaments. La cour d’appel de Rennes a en effet retenu que ces actes constituaient des testaments-partages et qu’ils devaient être annulés comme portant sur des biens communs.

Sur pourvoi du légataire, la décision rennaise est censurée. La Cour de cassation fait sienne la quasi-totalité de l’argumentation du pourvoi. Au visa des articles 1075 et 1079 du code civil, elle énonce en attendu de principe que « le testament-partage est un acte d’autorité par lequel le testateur entend imposer le partage » (§ 4). Or tel n’était nullement le cas puisque la cour d’appel avait constaté que « les attributions prévues par les testaments présentaient un caractère facultatif pour leurs bénéficiaires ». Ces actes ne pouvaient donc pas être des testaments-partages et la cour d’appel n’ayant pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, la cassation est prononcée pour violation des articles 1075 et 1079 du code civil.

L’orthodoxie juridique est ainsi bien heureusement préservée par la Cour de cassation, qui se montre plus que jamais gardienne des qualifications juridiques en veillant à limiter leur instrumentalisation. Déjà, en 2013, elle avait ramené les praticiens dans le droit chemin en rappelant que dans le terme « donation-partage » se situe le mot « partage », notion juridique bien précise qu’on ne saurait dévoyer sous prétexte d’optimisation civile et fiscale de la transmission (Civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-21.892 P, Dalloz actualité, 18 avr. 2013, obs. A.-M. Galliou-Scanvion ; D. 2013. 706 image ; AJ fam. 2013. 301, obs. C. Vernières image ; RTD civ. 2013. 424, obs. M. Grimaldi image ; 20 nov. 2013, n° 12-25.681 P, D. 2013. 2772 image ; ibid. 2014. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2014. 54, et les obs. image, concl. P. Chevalier image).

Ici, l’enjeu de la qualification était grand, puisque la validité des actes en dépendait. La libéralité-partage, catégorie dont fait partie le testament-partage, consiste en effet pour le disposant à réaliser « entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits » (C. civ., art. 1075). Il est ainsi acquis de longue date qu’un testament-partage ne peut porter que sur des biens dont le testateur a la propriété et la libre disposition, ce qui exclut les biens communs ou indivis (Civ. 1re, 5 déc. 2018, n° 17-17.493 P, Dalloz actualité, 23 janv. 2019, obs. M. Jaoul ; D. 2019. 2216, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier image ; AJ fam. 2019. 37, obs. N. Levillain image ; JCP N 2019, n° 1132, note J. Dubarry ; 16 mai 2000, n° 97-20.839 P, D. 2000. 196 image ; RTD civ. 2000....

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Qui connaît de la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel ?

Tout part souvent de l’interrogation légitime d’un praticien : qui – du conseiller de la mise en état (CME) ou de la formation collégiale de la cour d’appel – connaît de la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel, prohibées par principe ? Réponse intuitive : la formation collégiale de la cour d’appel ; non le CME. Car la question touche trop étroitement au fond et à l’effet dévolutif. Parce que le CME est juge de la procédure d’appel et non du fond. Passé le stade de l’intuition, reprenons méthodiquement la question pour lui apporter une réponse qui ne procède pas du seul instinct procéduraliste.

Le point de départ du raisonnement est le suivant : le CME ne dispose que d’une compétence attribuée par les textes, là où la cour d’appel dispose virtuellement d’une plénitude de compétence en matière d’appel civil. Dit autrement et plus justement, lorsque la connaissance d’une question n’est pas expressément réservée au CME par un texte, il appartient à la formation collégiale de la cour d’appel d’en connaître. Le doute profite à la compétence de la cour, en un sens. La précision n’est pas anecdotique. Elle signifie non seulement qu’il faut identifier un texte particulier pour soutenir la compétence du CME sur une question donnée, mais aussi que les textes en question doivent être interprétés strictement – en ce qu’ils portent dérogation à la compétence de principe de la formation collégiale de la cour d’appel. Quels sont donc les textes qui déterminent la compétence du CME ?

Il y a, tout d’abord et abstraction faite de l’article 915 relatif à l’exécution provisoire, l’important article 914 du code de procédure civile qui indique que le CME est seul compétent de sa désignation à la clôture pour tout ce qui touche à la caducité de l’appel et à l’irrecevabilité de l’appel, des conclusions (en application des art. 909 et 910 C. pr. civ.) et des actes de procédure (en application de l’art. 930-1 C. pr. civ.). Cet article confère-t-il compétence au CME pour statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel – qui sont, on le disait, prohibées par principe par l’article 564 du code de procédure civile ?

Dans la mesure où l’article 914 du code de procédure civile doit être interprété strictement, la réponse est négative. Aux termes de l’article 914 du même code, est seule visée l’irrecevabilité de l’appel lui-même (par ex. pour cause de dépassement du délai pour l’interjeter), des conclusions d’intimé ou d’intervenant (C. pr. civ., art. 909 et 910) ou des actes de procédure communiqués en méconnaissance des prescriptions de l’article 930-1 du code de procédure civile, qui prévoit le principe de la communication par voie électronique. Sur le fondement de ce texte, le CME ne paraît donc pas compétent pour se prononcer sur la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel.

Néanmoins – et l’exercice de disputatio commence là… –, d’aucuns se risqueront déjà à un exercice d’interprétation du texte pour en élargir l’opération : qui peut le plus peut le moins, dit l’adage ; or, si le CME peut dire irrecevable l’appel en son entièreté ou des conclusions et autres actes de procédure, ne peut-il pas dire de « simples » demandes nouvelles irrecevables ? Que c’est tentant… Néanmoins, il faut fermement résister à cette première tentation pour deux raisons.

D’une part, cette interprétation extensive elle-même contrevient au principe d’interprétation stricte énoncé plus haut, qui dérive de ce que le CME est une juridiction d’exception ne disposant que d’une compétence d’attribution. D’autre part, et surtout, parce que l’application de l’adage « qui peut le plus peut le moins » est inadaptée au cas présent : il n’y a pas seulement, entre la question de la recevabilité de l’appel et celle de la recevabilité des demandes, une différence de degré mais bien de nature. En bref : ces questions sont fondamentalement différentes. C’est pourquoi l’article 914 du code de procédure civile ne peut résolument pas fonder la compétence du CME pour connaître de la recevabilité des demandes nouvelles.

Ce n’est néanmoins pas le seul texte à tracer les contours de la compétence du CME. Sur renvoi de l’article 907 du code de procédure civile, chacun sait que le CME tire aussi de nombreuses compétences de l’article 789 du même code. Lequel article 789 donne compétence au JME/CME pour « statuer sur les fins de non-recevoir » (6°), avec la possibilité même de trancher une question de fond préalablement – sauf la possibilité pour une partie de demander, dans ce dernier cas et à certaines conditions, à ce que l’ensemble soit tranché par la formation collégiale de jugement. L’article 564 du code de procédure civile prévoit pour sa part que les demandes nouvelles à hauteur d’appel sont par principe frappées d’irrecevabilité relevée d’office. On nous voit venir…

Puisque les demandes nouvelles à hauteur d’appel sont par principe frappées d’irrecevabilité par l’article 564 et que le juge de l’irrecevabilité paraît bien être par principe le CME à lire l’article 789, 6°, qui ne distingue littéralement pas selon les causes d’irrecevabilité, c’est bien le CME qui devrait être compétent sur la question ! Cela étant, et avant d’asséner l’argument jurisprudentiel, il faut bien voir que l’article 789, 6°, vise les « fins de non-recevoir » au sens classique du terme, c’est-à-dire au sens de l’article 122 du code de procédure civile, essentiellement relatives au droit d’agir de l’adversaire (prescription, chose jugée, etc.). L’article 789, 6°, n’évoque pas l’irrecevabilité sans distinction des causes – formule qui serait assurément plus large et engloberait quasiment à coup sûr la question de la recevabilité des demandes nouvelles. Pour cette raison déjà, l’article 789, 6°, paraît inefficace à fonder la compétence du CME pour statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel.

À cela, il faut d’évidence ajouter le fameux avis de la Cour de cassation du 3 juin 2021 (Civ. 2e, 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021. 1139 image ; ibid. 2272, obs. T. Clay image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image). Aux termes de ce dernier avis : « la détermination par l’article 907 du code de procédure civile des pouvoirs du conseiller de la mise en état par renvoi à ceux du juge de la mise en état ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi. Seule la cour d’appel dispose, à l’exclusion du conseiller de la mise en état, du pouvoir d’infirmer ou d’annuler la décision frappée d’appel, revêtue, dès son prononcé, de l’autorité de la chose jugée.

Il en résulte que le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge. »

Certes, l’avis ne répond pas expressément à la question de savoir si le CME est compétent pour statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel. Mais de l’avis s’évincent plusieurs principes fondamentaux qui livrent indirectement la solution.

Tout d’abord, la Cour de cassation invite bien à distinguer là où l’article 789, 6°, ne distingue pas : certaines fins de non-recevoir doivent être soumises au CME ; d’autres ne le peuvent pas, dont l’examen impliquerait une appréciation du premier jugement et pourrait conduire à une infirmation (ou une confirmation) implicite de ce dernier. Ceci parce que, comme l’indique très justement la Cour de cassation, le CME est juge de la procédure d’appel, non de l’appel – dont la connaissance incombe à la formation collégiale de la cour d’appel.

Ensuite, il faut retenir de l’avis que « la détermination par l’article 907 du code de procédure civile des pouvoirs du conseiller de la mise en état par renvoi à ceux du juge de la mise en état ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi » (mise en italique par nos soins). Or quel est le principal effet de l’appel ? L’effet dévolutif bien sûr. Dit autrement, la détermination de l’effet dévolutif – préalable nécessaire à l’exercice d’infirmation, d’annulation ou de confirmation du jugement entrepris – relève de la formation collégiale de la cour d’appel (ce que confirme, au demeurant, toute la saga jurisprudentielle relative aux chefs de jugement critiqués dans la déclaration d’appel). Or la prohibition des demandes nouvelles à hauteur d’appel est portée par l’article 564 du code de procédure civile, lequel est situé dans la section relative aux effets de l’appel et dans la sous-section relative à l’effet dévolutif. Au fond d’ailleurs, qu’importe cette localisation : il est constant que la prohibition des demandes nouvelles a tout à voir avec l’étendue de la saisine de la cour d’appel. Conférer une compétence au CME sur la question l’emmènerait donc hors des limites son périmètre habituel d’intervention… et l’amènerait surtout à empiéter sur celui de la cour d’appel. D’ailleurs, même si des errements peuvent naturellement être constatés ici et là, la jurisprudence du fond ne s’y trompe pas dans l’ensemble (v. par ex. Aix-en-Provence, 10 févr. 2022, n° 20/11648 ; Chambéry, 4 mars 2022, n° 21/00458 ; Paris, 9 mars 2022, n° 21/12859).

Le conseiller de la mise en état n’est donc pas compétent pour connaître de la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel. C’est la formation collégiale de la cour qui l’est. CQFD.

Prêt libellé en devise étrangère et clauses abusives

Les prêts libellés en devise étrangère font l’objet d’une actualité jurisprudentielle très importante. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une des affaires dites « Helvet Immo » que la première chambre civile a pu préciser le mois dernier que la sanction du réputé non écrit tirée du mécanisme des clauses abusives en droit de la consommation était imprescriptible (Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996 P, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 652 image). Cet arrêt publié à la très sélective lettre trimestrielle de la première chambre civile s’inscrit en complémentarité avec les deux arrêts commentés aujourd’hui et rendus le 20 avril 2022. Ces trois décisions forment, en tout état de cause, un corpus tirant toutes les conséquences du renvoi préjudiciel rendu en juin 2021 sur les clauses abusives par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 2288 image, note C. Aubert de Vincelles image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin image ; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais image). L’analyse groupée des deux pourvois nos 20-16.316 et 19-11.599 vise à mieux cerner quelle logique la Cour de cassation souhaite impulser aux décisions à venir sur ces très nombreux prêts libellés en devise étrangère et pour lesquels le droit de la consommation ne reste pas insensible. On y verra une volonté protectrice qui dépasse très certainement les conceptions classiques du critère habituel du déséquilibre significatif. Commençons par rappeler les faits pour mieux comprendre la situation des deux arrêts.

Dans l’affaire n° 20-16.316, c’est un prêt « Jyske Bank » qui est à l’origine du pourvoi. Un établissement bancaire consent un prêt à un emprunteur par offre acceptée le 7 janvier 2008. Ce prêt dit « multi-devises » s’élève à 1 500 000 € ou « l’équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l’une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le prêt est finalement tiré pour 2 389 500 francs suisses. Le 9 août 2011, l’établissement bancaire procède à la conversion du prêt en euros. L’emprunteur conteste cette conversion. Il invoque, ce faisant, l’irrégularité et le manquement de la banque à ses obligations d’information et de mise en garde en assignant ledit établissement bancaire en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l’avenir et en paiement de dommages-intérêts. La cour d’appel de Lyon rejette sa demande tendant à voir réputée non écrite la clause de monnaie étrangère en raison de l’absence de déséquilibre dans les droits et obligations des parties consécutive à la variation du taux de change. 

Dans l’affaire, n° 19-11.599, c’est un prêt « Helvet Immo » qui est au cœur du problème. Deux emprunteurs mariés acceptent une offre le 21 juillet 2009 d’un établissement bancaire portant sur un prêt libellé en francs suisses mais remboursable en euros. Le prêt leur a été proposé par un mandataire de la banque, en vertu d’un contrat de mandat en date du 5 avril 2009. Les emprunteurs estiment que les règles relatives au démarchage bancaire ont été violées et qu’un dol est à l’origine de leur consentement en plus d’un manquement à l’obligation d’information de la banque. Ils ont donc assigné en nullité du prêt l’établissement bancaire ainsi qu’en indemnisation de leur préjudice subi. En cause d’appel, les emprunteurs allèguent du caractère abusif de la clause de monnaie de compte. La cour d’appel de Reims rejette la demande tirée de la nullité pour dol notamment en raison de l’absence de manœuvres dolosives. Elle considère que la clause de monnaie de compte ne présente pas un caractère abusif car cette dernière n’est pas de nature à créer un déséquilibre significatif en raison de l’absence d’effets sur la durée du crédit. Les variations étant subies tant par le créancier du...

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Amiable préalable et excès de pouvoir : contribution à deux édifices en construction

Un nouvel épisode de l’amiable qui devient du contentieux prend place un an (presque) jour pour jour après un précédent arrêt de la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 20-14.106, Dalloz actualité, 10 mai 2021, obs. C. Bléry : « Où l’amiable devient l’objet du contentieux… »). Entre ces deux dates, la même chambre avait encore rendu un autre arrêt (Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 20-12.303 P, Dalloz actualité, 15 juill. 2021, obs. C. Bléry). Cette jurisprudence « émergente » trouve son origine dans l’évolution récente des textes : elle est telle que les plaideurs sont de plus en plus obligés, préalablement à la saisine d’un juge, de recourir aux modes amiables de résolution des différends (sur les MARD, v. not., N. Fricero et alii, Le guide des modes amiables de résolution des différends 2017, 3e éd. ; C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 2366 s. ; L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, 2020, nos 889 et 890 ; D. d’Ambra, in Droit et pratique de la procédure civile, préc., nos 436.111 s.).

Or il n’est pas simple de savoir dans quelle mesure joue cette obligation, car ses contours ne sont pas nets : outre que les textes sont peu clairs, ils sont dispersés et, surtout, régulièrement modifiés ; il faut donc repérer, définir, préciser, etc. L’arrêt du 14 avril 2022 apporte une précision sur la mise en œuvre de l’obligation lorsque le juge est saisi en référé.

L’arrêt apporte en outre sa pierre – un peu branlante – à la construction de l’édifice relatif à la notion d’excès de pouvoir.

L’affaire

Elle oppose, postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme Belloubet, une école de langue (SARL) à une personne inscrite, à une formation et la mère de celle-ci. La formation coûte 4 590 €. La mère paye l’inscription de sa fille au moyen d’un chèque… puis forme opposition, sans qu’on sache pourquoi (changement d’avis ?).

La SARL, se prévalant de l’inscription de la fille, l’assigne ainsi que sa mère, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris afin :

de voir ordonner la mainlevée de l’opposition pratiquée sur le chèque
  et de voir les défenderesses solidairement condamnées au paiement d’une provision de 4 590 € – provision « à 100 % ».

Les défenderesses demandent au juge des référés de constater « l’irrecevabilité de la société pour défaut de médiation préalable ».

Le président du tribunal judiciaire de Paris rend une ordonnance, en référé, le 18 septembre 2020. Par celle-ci,

il dit que l’assignation délivrée aux défenderesses est entachée de nullité en l’absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige,
  il constate l’absence de contrat, l’engagement signé le 26 janvier 2020 par la mère et la fille « n’étant pas conforme aux dispositions de l’article L. 221-9 du code de la consommation »,
  il déboute la SARL de ses demandes de mainlevée de l’opposition sur le chèque et de condamnation au paiement de la provision de 4 590 €.

L’école de langue se pourvoit. La Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions, l’ordonnance rendue le 18 septembre 2020. Pour autant, elle ne répond pas à tous les griefs du pourvoi : l’article 1014 lui permet d’écarter sans décision spécialement motivée les quatrième, cinquième et sixième branches du premier moyen, ainsi que les deuxième et troisième branches du second moyen.

Par les première, deuxième et troisième branches du premier moyen, la SARL reproche au juge des référés, une violation, respectivement des articles 4 et 5, 16 et 455 du code de procédure civile :

le juge a prononcé non pas l’irrecevabilité mais la nullité de l’assignation en l’absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, non demandée par les parties ;
  le juge a relevé d’office cette nullité de l’assignation, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point ;
  le juge a déclaré l’assignation irrecevable dans ses motifs et nulle dans son dispositif et s’est contredit.

Les défenderesses au pourvoi contestent la recevabilité de celui-ci, pour défaut d’intérêt du demandeur, « la société ne justifi[ant] pas en quoi le fait que le juge des référés se soit fondé sur une nullité de l’assignation plutôt que sur une irrecevabilité de la demande lui cause préjudice ».

La Cour de cassation considère cependant que le moyen est recevable, dans les termes rapportés au chapô (n° 6), de sorte que l’école avait bien intérêt. Elle juge aussi qu’il est bien fondé, en raison d’une violation des articles 5, 16 et 455 du code de procédure civile, dont elle résume la teneur : « il résulte de ces textes que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé, qu’il doit respecter le principe de la contradiction, et que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs » (n° 8).

Par la première branche du second moyen, la SARL reproche au juge des référés un excès de pouvoir et ainsi une violation de l’article 485 du code de procédure civile : « le juge qui constate la nullité de l’acte introductif d’instance excède ses pouvoirs en statuant au fond » ; or le président du tribunal judiciaire a débouté la SARL après avoir constaté la nullité de l’assignation.

Là encore, les défenderesses au pourvoi contestent la recevabilité de celui-ci, pour défaut d’intérêt du demandeur, « le président du tribunal judiciaire a[yant] statué, par une décision dépourvue d’autorité de la chose jugée, par une disposition surabondante ».

À nouveau, la Cour de cassation considère que le moyen est recevable, la disposition n’étant pas surabondante, et qu’il est bien fondé, en raison d’une violation de l’article 484 du code de procédure civile (n° 15) : « il résulte de ce texte que le juge qui constate la nullité de l’assignation excède ses pouvoirs en statuant sur le bien-fondé de la demande formée par cet acte ».

Les apports de l’arrêt

L’apport essentiel de l’arrêt se situe en droit des MARD préalables : il apporte la précision rapportée au chapô que l’assignation en référé n’est pas par principe exclue du domaine de l’article 750-1, alinéa 1er. Dès lors, pour saisir directement un juge des référés, il faut justifier d’un cas de dispenses de l’article 750-1, alinéa 2 (I).

Un autre apport de l’arrêt ne doit cependant pas être négligé qui est relatif à l’excès de pouvoir du juge (II).

I. MARD préalables

Les deux arrêts de 2021 avaient été l’occasion de dresser l’état du droit en matière de MARD préalables, tel que « le plaideur est soumis à des obligations formelles et d’autres substantielles » (Dalloz actualité, 10 mai 2021, préc.). L’ordonnance de référé cassée ici atteste de la complexité de l’articulation entre ces deux types d’obligations, le juge des référés les ayant mélangées…

Obligations formelles

Ce sont celles que le pouvoir réglementaire, par le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, a d’abord imaginées, afin d’accoutumer les plaideurs et leurs avocats à l’amiable. Purement incitatif, le système s’est révélé peu efficace ; il a été cependant été conservé en partie (v. Dalloz actualité, 10 mai 2021, préc.).

Issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, l’article 54, commun à l’assignation et la requête, unilatérale ou conjointe, reprend l’obligation formelle (v. 5°), qui n’est plus seulement incitative : depuis le 1er janvier 2020, lorsque la demande initiale doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, l’acte introductif d’instance doit préciser les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative. Cette mention est désormais prescrite à peine de nullité, mais elle ne concerne plus que les domaines dans lesquels la demande initiale doit être précédée d’une tentative de mode alternatif de règlement des différends (art. 750-1).

Autrement dit, si un plaideur doit respecter l’article 750-1 et qu’il le respecte ou qu’il en soit dispensé, encore faut-il qu’il l’indique dans l’assignation : à défaut de cette mention, le défendeur – à l’exclusion du juge qui n’a pas ce pouvoir d’office – pourrait invoquer la nullité de celle-ci (art. 54). La nullité étant de forme (art. 114), encore faudrait-il qu’il parvienne à prouver un grief, assez hypothétique ici.

Pourtant c’est la sanction qu’a prononcée le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris d’office (il n’était pas saisi d’un vice de forme), alors que c’est le prononcé de la sanction de l’obligation substantielle qui lui était demandée (v. infra).

Obligations substantielles

Dès 2016, le législateur a prévu un système plus coercitif (adde C. Chainais et al., op. cit., nos 1600 et 1601).

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a instauré une véritable sanction dans son article 4, à savoir une fin de non-recevoir que le juge pouvait prononcer d’office....

Pas de dévolution du chef du prononcé du divorce à défaut de succombance

Il était une fois, en Procédurie…

La question de la date à laquelle le divorce acquiert force de chose jugée avait été posée puis réglée, il y a de cela quelques années.

L’enjeu essentiel concernant le moment où le divorce a force de chose jugée – devient « définitif » pour certains, même si le terme est pour le moins inadapté – est le devoir de secours entre époux, qui se concrétise par le versement d’une pension alimentaire par l’un des époux au profit de l’autre (C. civ., art. 255, 6°), jusqu’au prononcé du divorce (C. civ., art. 270).

Aussi loin qu’il est possible de remonter, nous trouvons un arrêt de la cour d’appel de Paris, du 25 septembre 1997 dont il était fait état dans le bulletin de la chambre des avoués de Paris (Paris, 24e ch., 25 sept. 1997, Bull. avoués n° 145-18). La cour d’appel de Rennes avait pu statuer dans le même sens (v. par ex. Rennes, 6e ch., 3 août 1999, arrêt n° 815), à savoir qu’en application des articles 31 et 546 du nouveau code de procédure civile, l’époux qui a obtenu que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de l’autre n’avait pas intérêt à faire appel du chef du prononcé du divorce, dès lors que l’époux fautif acquiesçait de ce chef. Le divorce avait alors acquis force de chose jugée, et il était mis fin au devoir de secours.

Mais le vent a tourné, et cette jurisprudence a fait long feu (par ex., v. Civ. 2e, 15 juin 2000, n° 97-21.018). En cas d’appel général d’un jugement de divorce pour faute, la décision quant au divorce ne peut passer en force de chose jugée, sauf acquiescement des parties.

La question se posait dans les mêmes conditions pour les divorces non discutés dans leur principe.

Dans une affaire dans laquelle l’appelant avait soulevé l’absence d’intérêt, au sens de l’article 546, la Cour de cassation a été saisie d’une demande d’avis par la cour d’appel de Rennes (Rennes, 25 mars 2008, n° 07/00408).

Par un avis assez prévisible au regard de la tournure que prenait la jurisprudence, la Cour de cassation avait considéré que « l’appel général d’un jugement prononçant un divorce sur le fondement des articles 233 et 234 du code civil, même si l’acceptation du principe de la rupture du mariage ne peut plus être remise en cause, sauf vice du consentement, ne met pas fin au devoir de secours, la décision n’acquérant force de chose jugée qu’après épuisement des voies de recours » (Cass., avis, 9 juin 2008, n° 08-00.004 P, D. 2008. 1827, et les obs. image ; RTD civ. 2008. 461, obs. J. Hauser image).

Un tour de passe-passe avait permis de répondre à l’inquiétude des avocats quant au maintien de la pension alimentaire durant la procédure d’appel.

Les règles étaient désormais fixées. Même si aucun des époux ne critiquait le jugement du chef du prononcé du divorce, ce chef ne pouvait pas acquérir force de chose jugée avant le prononcé de l’arrêt d’appel, sauf acquiescement de part et d’autre de ce chef.

Mais avec le décret du 6 mai 2017, la question était relancée, et il aura fallu attendre cinq années pour avoir une réponse qui pourra éventuellement étonner le « familliste », mais pas le processualiste.

La date du prononcé du divorce : des conséquences concrètes

Bien...

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Non-application de la loi Badinter aux dommages causés aux marchandises dans le cadre d’un contrat de transport

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 7 avril 2022 (pourvoi n° 21-11.137) confirme la solution posée par la même chambre quelques jours auparavant concernant le champ d’application de la loi Badinter (Civ. 2e, 31 mars 2022, n° 20-15.448, Dalloz actualité, 14 avr. 2022, obs. A. Cayol ; D. 2022. 702 image) : ce texte, qui tend à assurer une meilleure protection des victimes d’accidents de la circulation, n’a pas pour objet de régir l’indemnisation des propriétaires de marchandises endommagées à la suite d’un tel accident, survenu au cours de leur transport par le professionnel auquel elles ont été remises, en exécution d’un contrat de transport.

En l’espèce, un ensemble propulsif est endommagé au cours de son transport en raison d’un heurt avec un pont. La victime assigne le transporteur et l’assureur de ce dernier sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 devant un tribunal de grande instance afin d’obtenir leur condamnation in solidum à réparer son préjudice. Les défendeurs soulèvent, devant le juge de la mise en état, l’incompétence du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce. L’exception d’incompétence est retenue, tant par le juge de la mise en état que par la cour d’appel. Cette dernière constate « que la société Airbus, propriétaire de la marchandise, était partie au contrat de transport, qui constitue un acte de commerce par nature, conclu entre des sociétés commerciales » (pt 8), ce dont elle déduit que « seul ce contrat régissait la responsabilité du transporteur pour les dommages causés à la marchandise transportée et que l’exception d’incompétence soulevée par le transporteur devait être accueillie » (pt 9).

La victime invoque, dans son pourvoi en cassation, une violation de l’article R. 212-8 du code de l’organisation judiciaire et de l’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. Selon elle, « l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions d’ordre public de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation ; […] l’article R. 212-8 du code de l’organisation judiciaire confère au tribunal judiciaire (anciennement le tribunal de grande instance) une compétence exclusive pour connaître, à juge unique, “des litiges auxquels peuvent donner lieu les accidents de la circulation...

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Saisie immobilière : qu’importe la ventilation pourvu qu’on ait le montant

Cette décision est une parfaite illustration des recours intermédiaires qui polluent souvent la procédure de saisie immobilière et que la Cour de cassation pointait déjà du doigt dans certains de ses rapports pour préconiser une rationalisation desdits recours (ce qu’elle préconisait déjà dans ses rapports de 2014, 2015 et 2016).

Dans cet arrêt, les magistrats du quai de l’horloge se sont penchés à la fois sur les effets d’une décision ordonnant la prorogation de la validité du commandement de payer valant saisie et des conséquences d’une suspension du délai, mais aussi est surtout apportent une nouvelle pierre à l’édification de l’office du juge de l’exécution à propos de la mention de la créance retenue exigée par l’article R. 322-18 du code des procédures civiles d’exécution.

Les faits

Une banque a fait procéder à la saisie immobilière d’un immeuble, sis à Quimper.

Par jugement d’orientation du 1er octobre 2014, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Quimper a :

fixé la créance du poursuivant à la somme de 107 952,14 € en principal, frais et accessoires arrêtés au 26 octobre 2012,
  ordonné la vente forcée de l’immeuble saisi,
  fixé la date de l’adjudication au 21 janvier 2015
  et donné acte (sic) à un créancier inscrit ayant déclaré sa créance du montant de sa créance arrêtée au 20 novembre 2013 à la somme de 69 372,18 €.

La partie saisie ayant interjeté appel de ce jugement, la cour l’a, par arrêt du 12 septembre 2017, infirmé quant au montant de la créance poursuivant, déclaré l’action en recouvrement prescrite pour les mensualités de remboursement du prêt échues antérieurement au 3 juillet 2011, dit l’action non prescrite pour les mensualités postérieures et le capital restant dû au 10 mai 2012 et a confirmé les autres dispositions du jugement d’orientation.

Parallèlement, la procédure a été poursuivie devant le tribunal de Quimper et par jugement du 21 janvier 2015, à la demande du poursuivant en vertu de l’article R. 322-19, le juge de l’exécution a reporté la date de la vente forcée de l’immeuble saisi au 3 juin 2015.

Puis par deux jugements du 1er juillet 2015, le juge de l’exécution a, d’une part, prorogé pour une durée de deux ans les effets du commandement et, d’autre part, ordonné sine die le report de la vente forcée.

Ces deux jugements ont été publiés le 6 juillet 2015 au Service de la publicité foncière de Quimper.

L’arrêt de la cour d’appel ayant été rendu le 12 septembre 2017, le créancier poursuivant ayant probablement attendu l’expiration du délai de pourvoi, puisqu’il n’était tenu par aucune date d’audience, le juge de l’exécution ayant ordonné sine die le report de la vente a décidé de reprendre les poursuites par conclusions du 27 novembre 2018.

À l’occasion de cette reprise des poursuites, par jugement du 3 juillet 2019, le juge de l’exécution a notamment :

 dit que la créance du poursuivant s’établissait à la somme de 80 261,62 € en principal, frais et accessoires arrêtés au 10 avril 2019,
  fixé la date de l’audience d’adjudication au 16 octobre 2019 à 11 heures,
  ordonné la prorogation pour une durée de deux ans des effets du commandement.

Ce jugement a été mentionné le 12 juillet 2019 au service de la publicité...

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Vers plus de respect et de dignité à l’occasion du don du corps à des fins d’enseignement médical et de recherche

Le don du corps consiste à donner son corps au moment du décès à des fins d’enseignement médical et de recherche. C’est une démarche personnelle, volontaire qui est soumise à plusieurs règles. Cette démarche est encadrée par la loi et, précisément, des modifications viennent de lui être apportées, remplaçant pour l’essentiel le don de corps à la science par un don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche. En effet, le décret n° 2022-719 du 27 avril 2022 pris en application de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique (art. 13 ; E. Supiot, Loi bioéthique : les grandes lignes d’une réforme attendue, Dalloz actualité, 7 sept. 2021) a supprimé l’appellation « don de son corps à la science ».

Modifiant l’article L. 1261-1 du code de la santé publique, le législateur aborde le don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche, jusque-là évoqué par l’article R. 2213-13 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dans le paragraphe relatif aux opérations consécutives au décès et, plus particulièrement, au transport de corps avant mise en bière, sans en changer fondamentalement les contours. Ainsi, depuis le 4 août 2021, date d’entrée en vigueur de la loi bioéthique, une personne majeure peut consentir par écrit à donner son corps après son décès à des fins d’enseignement médical et de recherche. Le texte précise toutefois que cela n’englobe pas les personnes majeures « faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne ».

Le décret du 27 avril 2022 a aussi modifié l’article R. 2213-13 du code général des collectivités territoriales qui prévoit désormais que « le transport du corps d’une personne majeure ayant consenti à donner après son décès son corps à des fins d’enseignement médical et de recherche, en application de l’article L. 1261-1 du code de la santé publique, est organisé dans les conditions prévues aux articles R. 1261-1 à R. 1261-33 du même code ».

Pour que ce don puisse être validé il est impératif de recueillir le consentement du donneur et de respecter diverses conditions relatives aux modalités de transport et d’accueil des corps, aux conditions de réalisation des opérations funéraires et de restitution du corps ou des cendres à la personne référente. Le décret aborde aussi la question du fonctionnement des structures d’accueil pour clarifier les démarches après que la découverte d’un charnier à l’université de Paris-Descartes, scandale ayant causé un immense désarroi pour les proches des personnes qui avaient fait don de leur corps à la science dans une démarche altruiste et humaniste. Pour éviter de nouveaux dérapages, le décret impose aux établissements recueillant les cadavres de mettre dorénavant en...

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Mise en conformité des règlements de copropriété : nouvelle préconisation du GRECCO

À la suite des nombreuses critiques émanant tant des praticiens que de la doctrine à propos des articles 206, II (sur le lot transitoire), et 209, II (sur les droits de jouissance et les parties communes spéciales), de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite « ELAN », prévoyant des mesures transitoires relatives à la mise en conformité des règlements de copropriété existants, l’article 89 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, dite loi 3DS, a procédé à une réécriture partielle de ces dispositions.

L’objet de la préconisation n° 14 du GRECCO du 22 avril 2022, qui amende et complète ses préconisations nos 10, 12, et 13 (au sujet desquelles, v., respectivement, Dalloz actualité, 2 déc. 2020 ; ibid., 3 mai 2021 ; ibid., 21 sept. 2021, nos obs.) est de préciser quelles sont les modifications résultant de la nouvelle rédaction de ces articles. Pour le surplus, ces préconisations demeurent valables.

La réflexion du GRECCO s’articule autour de deux axes.

La date d’entrée en vigueur des articles 1er, I, alinéas 3 et 4, et 6-4 de la loi du 10 juillet 1965

Issus de la loi ELAN du 23 novembre 2018, les articles 1er, I, alinéas 3 et 4, de la loi du 10 juillet 1965 et 6-4 du même texte, s’intéressent, pour le premier aux lots transitoires et, pour le second, aux parties communes spéciales et à celles à jouissance privative.

Après avoir fait remarquer qu’il résulte, en l’état actuel des textes :

• d’une part, que ces articles seront applicables aux immeubles dont la mise en copropriété est postérieure au 1er juillet 2022,

• et, d’autre part, qu’ils ne sont pas...

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Chronique d’arbitrage : la Cour de cassation crève l’abcès sur l’ordre public international

C’est naturellement l’arrêt Belokon qui attire toute l’attention, en ce qu’il offre à la Cour de cassation l’occasion de fixer une doctrine nouvelle quant aux modalités de contrôle de l’ordre public international (Civ. 1re, 23 mars 2022, n° 17-17.981, Dalloz actualité, 10 mai 2022, obs. V. Chantebout ; D. 2022. 660 image ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, p. 11, obs. L. Larribère). La cour d’appel n’aura attendu que quelques jours pour s’aligner sur la position de la première chambre (Paris 5 avr. 2022, n° 20/03242, Groupement Santullo). Ce dernier arrêt est important, en ce qu’il révèle que la cour d’appel de Paris n’entend pas explorer sa propre voie et accepte de suivre celle tracée par la Cour de cassation.

Au-delà de l’ordre public international, sur lequel nous reviendrons abondamment, trois décisions fondamentales seront abordées dans cette chronique. La première porte sur la sempiternelle question du devoir de révélation des arbitres et c’est l’arrêt Bestful qu’il faut signaler (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869). Les deux autres arrêts concernent la conformité de l’arbitrage d’investissement au droit de l’Union européenne. Pour la première fois, la cour d’appel de Paris se prononce et reprend à son compte la funeste jurisprudence Achmea. Il en résulte deux annulations successives, dans les affaires Slot (Paris, 19 avr. 2022, n° 20/14581) et Strabag (Paris, 19 avr. 2022, n° 20/13085). Deux annulations qui font mal.

I. Le contrôle de l’ordre public international

L’intensité du contrôle est la question qui a retenu l’attention de la jurisprudence et de la doctrine pendant deux décennies. Le débat est connu et nous n’en ferons qu’un rappel très bref. À l’origine, les jurisprudences Thales (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thales Air Défense c. Euromissile, D. 2005. 3050 image, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée image ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin image ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise image ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529) et SNF (Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c/ Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 1684 image, obs. X. Delpech image ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 3111, obs. T. Clay image ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin image ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot image ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train) ont consacré une approche minimaliste du contrôle de l’ordre public international, à travers l’usage d’un triptyque selon lequel la violation de l’ordre public international devait être « flagrante, effective et concrète ». Il en résultait, pour la cour d’appel de Paris dans l’affaire Thales, que le juge devait rechercher « si au vu du débat entre les parties dans la procédure du recours en annulation, l’illicéité dénoncée […] ″crève les yeux″ de la Cour ». Cette analyse a été étendue par la Cour de cassation aux hypothèses de corruption dans l’arrêt Schneider (Paris, 10 sept. 2009, n° 08/11757, Schneider, D. 2010. 2933, obs. T. Clay image : Rev. arb. 2010. 548, note L.-C. Delanoy).

Ces solutions ont été vertement critiquées. Il leur est reproché de sacrifier la protection des intérêts publics et de faire de la France une terre d’accueil pour les sentences violant l’ordre public international. En appliquant une telle démarche à des problématiques aussi cruciales que la corruption, le blanchiment d’argent ou encore le droit de la concurrence, la jurisprudence abandonne la préservation de ses intérêts fondamentaux au profit de tribunaux arbitraux. La confiance n’excluant pas le contrôle, la solution française s’apparentait à un renoncement.

Cette approche n’a d’ailleurs pas été sans conséquence. Elle a contribué à voir échapper une partie du contentieux post-arbitral en présence de personnes publiques au profit des juridictions administratives. Il n’est pas non plus exclu qu’elle ait eu une influence sur les choix de la Cour de justice en matière d’arbitrage d’investissement. Bref, cette solution était autant inacceptable que néfaste.

Dès 2012, les prémices d’une évolution ont pu être identifiées. Pour la première fois, dans une affaire Planor, la cour d’appel de Paris fait disparaître le critère de la flagrance : « Il résulte de l’inconciliabilité de la sentence avec l’arrêt de la cour d’appel de Ouagadougou que sa reconnaissance et son exécution violent de manière effective et concrète l’ordre public international » (Paris 17 janv. 2012, n° 10/21349, Planor Afrique, D. 2012. 2991, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2012, p. 569, note M.-L. Niboyet ; Gaz. Pal. 6-8 mai 2012, p. 16, obs. D. Bensaude). On retrouve une solution similaire dans plusieurs affaires postérieures, notamment des arrêts Sprecher (Paris, 26 févr. 2013, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard) et Gulf Leaders (Paris, 4 mars 2014, n° 12/17681, D. 2014. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2541, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2014, somm. p. 502 ; Rev. arb. 2014. 955, note L.-C. Delanoy).

Toutefois, le diptyque de la violation « effective et concrète » s’est vite retrouvé effacé au profit d’un autre triptyque, celui de la violation « manifeste, effective et concrète ». Là encore, dès 2012, on trouve des traces de l’utilisation de ce nouveau critère (Paris, 26 juin 2012, n° 11/05156, Cah. arb. 2012. 703). C’est néanmoins à partir de 2016 que la jurisprudence s’est fixée, à travers une multiplication des solutions marquantes visant cette formule (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 image, note M. Audit image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). Depuis six ans au moins, la cour d’appel de Paris est acquise à un contrôle « manifeste, effectif et concret ».

Cette évolution soulève néanmoins deux questions. D’une part, la substitution de l’adjectif flagrant par l’adjectif manifeste emporte-t-elle des conséquences réelles – on n’ose dire effectives et concrètes – sur le contrôle réalisé ? D’autre part, la Cour de cassation allait-elle se rallier à cette nouvelle solution ?

Le choix des mots a alimenté les débats doctrinaux les plus savants (v. not. E. Gaillard, note ss Civ. 1re, 13 sept. 2017, JDI 2017, 20 ; E. Gaillard, note ss Paris, 16 janv. 2018, JDI 2018. 13 ; S. Bollée, note ss Paris, 16 janv. 2018, JDI 2018. 12). On peut se demander s’il faut y voir une évolution dans l’intensité du contrôle, dans l’intensité de la violation ou dans la preuve de la contrariété. Si l’on se permet d’être plus pragmatique que théorique, la lecture de la jurisprudence depuis cette date révèle surtout une émancipation de la cour d’appel de toutes limites dans la réalisation de son examen. Là où les jurisprudences Thales et SNF ont pour objet d’interdire au juge de réaliser une analyse exhaustive, le nouveau critère vise à libérer le juge de toute contrainte.

Restait à savoir si la Cour de cassation allait soutenir la cour d’appel dans cette démarche. Pendant longtemps, elle a éludé la question. Dans les arrêts Gulf Leaders (Civ. 1re, 24 juin 2015, n° 14-18.706, Rev. arb. 2016, p. 219, note L.-C. Delanoy), Indagro (Civ. 1re, 13 sept. 2017, nos 16-25.657 et 16-26.445, D. 2017. 2559, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2017. 900, note T. Dufour ; Procédures 2017, n° 11, p. 21, obs. L. Weiller ; Bull. ASA 2018. 31, note A.-M. Lacoste) et Alstom (Civ. 1re, 29 sept. 2021, n° 19-19.769, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2021.687, note C. Jarrosson ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, p. 12, obs. L. Larribère), elle s’est gardée de prendre position. C’est en cela que l’arrêt Belokon est un arrêt majeur. La Cour de cassation livre enfin sa position sur le contrôle de l’ordre public international.

Comme s’il fallait réaffirmer sa suprématie, la Cour de cassation substitue ses propres critères à ceux de la cour d’appel. Ainsi, nulle mention n’est faite du triptyque « manifeste, effectif et concret », lequel est remplacé par une exigence de violation « caractérisée » de l’ordre public international. Qu’on ne s’y trompe pas : cette évolution ne change rien. C’est bien l’approche amorcée par la cour d’appel de Paris qui est consacrée, indépendamment des choix sémantiques. Cette dernière n’a d’ailleurs pas pris ombrage de cette démonstration de force, puisqu’elle a immédiatement repris à son compte ce nouveau critère dans l’arrêt Groupement Santullo (Paris, 5 avr. 2022, n° 20/03242).

L’arrêt Belokon réussit l’exploit d’être à la fois l’arrêt tant attendu tout en ne réalisant que des modifications cosmétiques du droit positif tel qu’il était posé par la cour d’appel de Paris. Aussi, plutôt que de commenter exclusivement l’arrêt Belokon, nous proposons au lecteur de faire un panorama rapide – et incomplet – de plusieurs questions relatives à l’ordre public international (pour une démarche identique et très exhaustive, v. J.-B. Racine, Le contrôle de la conformité de la sentence à l’ordre public international : un état des lieux, Rev. arb. 2022. 179). En effet, au-delà des arrêts Belokon et Groupement Santullo, on ajoutera un arrêt Bestful (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869) et un arrêt (plus ancien) DNO Yémen (Paris, 5 oct. 2021, n° 19/16601, Cah. arb. 2022, à paraître, note A. Reynaud). Ces quatre décisions constituent un point de départ intéressant pour faire le point sur les principaux traits du contrôle de l’ordre public international. L’occasion nous est ainsi donnée de revenir sur les aspects de fond de la violation de l’ordre public international et sur les modalités du contrôle réalisé par le juge.

A. La violation de l’ordre public international

Le juge du recours sanctionne les sentences portant atteinte à l’ordre public international. Cette affirmation soulève a minima trois questions. D’abord, quel est le contenu de l’ordre public international ? Ensuite, quelles sont les preuves qui sont attendues pour établir une violation de l’ordre public international ? Enfin, la violation de l’ordre public international doit-elle présenter une gravité particulière ?

1. Le contenu de l’ordre public international

La question du contenu de l’ordre public international est une question classique. Il est pourtant difficile d’en dresser un tableau exhaustif. Cela s’explique au moins pour deux raisons. D’une part, parce que l’ordre public international ne cesse d’évoluer. À ce titre, de nouvelles valeurs et de nouveaux principes viennent régulièrement l’enrichir alors que d’autres peuvent disparaître. D’autre part, car il ne se limite pas à l’ordre public de direction et inclut aussi l’ordre public procédural et l’ordre public de protection. Il en résulte une difficulté récurrente à saisir la notion et il en découle des incertitudes de régime.

Les arrêts Belokon et Groupement Santullo rappellent que la lutte contre le blanchiment et la corruption sont deux objectifs particulièrement impérieux de l’ordre juridique français. L’arrêt Belokon énonce, en reprenant la motivation de l’arrêt d’appel, que « la prohibition du blanchiment est au nombre des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la violation, même dans un contexte international, et relève de l’ordre public international, la lutte contre le blanchiment d’argent provenant d’activités délictueuses faisant l’objet d’un consensus international exprimé notamment dans la Convention des Nations unies contre la corruption conclue à Mérida le 9 décembre 2003 ». La formule de l’arrêt Groupement Santullo à propos de la corruption n’est pas bien différente : « La lutte contre la corruption est un objectif poursuivi, notamment, par la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997, entrée en vigueur le 15 février 1999, et par la Convention des Nations unies contre la corruption faite à Merida le 9 décembre 2003, entrée en vigueur le 14 décembre 2005 ». Il n’y a aucune discussion – et à dire vrai aucune contestation – sur l’impossibilité de reconnaître une sentence qui permet à une partie de tirer profit de telles pratiques. Reste que, dans un cas comme dans l’autre, les cours usent d’une formule plus énigmatique. Elles estiment qu’il appartient au juge de rechercher « si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est de nature à entraver l’objectif de lutte contre la corruption [ou le blanchiment] » (v. déjà, Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834, Nurol, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2021. 1154, note G. Bertrou, H. Piguet et D. Bayandin ; Paris, 21 févr. 2017, n° 18/01650, Belokon, Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy). La question qui se pose est de savoir si la prohibition du blanchiment ou de la corruption sont des objectifs parfaitement identiques à ceux de ne pas entraver la lutte contre la corruption ou le blanchiment. Spontanément, il semble que le second soit beaucoup plus vaste que le premier. Il faudra observer si, par cette formule, la jurisprudence entend donner une appréciation extensive de l’ordre public international en cette matière.

Au-delà de la corruption et du blanchiment, d’autres valeurs et principes intègrent l’ordre public international. L’affaire DNO Yémen en offre deux exemples. D’une part, il vise « la lutte contre les violations des droits de l’homme, protégés notamment par la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 et le Pacte des droits civils et politiques du 16 décembre 1966, ainsi que la lutte contre les violations du droit humanitaire international, lui-même consacré par les Conventions de Genève (1949), entrées en vigueur en France en 1951, et notamment la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949 ». La formule est relativement vague, d’autant que la CEDH et le Pacte des droits civils et politiques contiennent une grande variété de dispositions. Dans la présente affaire, l’argumentation porte sur le financement d’activités terroristes. C’est sans doute sous cet angle qu’il convient de comprendre l’attendu de la cour. D’autre part, l’arrêt inclut dans l’ordre public international « les sanctions internationales et européennes, en ce qu’elles visent à contribuer au maintien et au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ». Sur ce point, la solution n’est pas totalement nouvelle, la jurisprudence ayant eu l’occasion à plusieurs reprises d’indiquer que les mesures d’embargo, lorsqu’elles émanent de l’Union européenne ou de la communauté internationale, intègrent l’ordre public international (dernièrement, v. Paris, 1er févr. 2022, nos 19/22977 et 18/27765, Armanenti, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, p. 13, obs. L. Larribère). Néanmoins, l’arrêt ajoute au titre des dispositifs intégrant l’ordre public international les mesures de sanctions (gel des actifs) visant des individus. À cette occasion, la cour précise que s’il ne lui appartient pas « d’étendre ces sanctions à des personnes qui ne figurent pas sur les listes annexées à ces sanctions, en revanche, il rentre dans son contrôle de vérifier que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence n’est pas susceptible de contrevenir à ces sanctions en permettant “directement ou indirectement”, la mise à la disposition de fonds à des personnes physiques ou morales, entités ou organismes inscrits sur la liste figurant à l’annexe I ou que ces fonds soient utilisés à leur profit ». Cette inclusion des mesures de sanctions individuelles dans l’ordre public international et la nécessité de ne pas les détourner pourrait devenir une préoccupation majeure dans les mois à venir, à travers la multiplication des sanctions prises contre des personnalités russes depuis la guerre en Ukraine.

L’extension de l’ordre public international concerne également l’impartialité [et l’indépendance] de l’arbitre. Déjà identifiée dans deux précédents arrêts (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999, Pharaon, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; 12 juill. 2021, n° 19/11413, Fiorilla, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869), l’arrêt Bestful continue d’emprunter cette voie, en réalisant un contrôle de l’impartialité de l’arbitre à ce titre. Néanmoins, on peine à comprendre si ce grief est autonome de celui relatif à la violation de l’obligation de révélation. Deux éléments au moins tendent à révéler une autonomie entre les deux : d’une part, l’absence de référence à l’obligation de révélation (sauf pour dire que le requérant « s’appuie sur le même grief que celui examiné au titre de l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral ») ; d’autre part, la disparition de l’irrecevabilité du grief à laquelle la cour aboutit lors de son examen sur le fondement de l’article 1520, 2° du code de procédure civile. Pourtant, ce régime distinct qui se dessine peine à convaincre, dès lors qu’on identifie mal les justifications à une telle différence (v. infra).

En revanche, la jurisprudence continue d’exclure certains griefs du champ de l’ordre public international. C’est le cas de la contradiction de motifs. Dans l’arrêt DNO Yémen, la cour énonce que « le grief pris d’une contradiction de motifs de la sentence arbitrale, constitue nécessairement une critique de la sentence au fond qui échappe au juge de l’annulation, même s’il est invoqué au soutien d’un moyen d’annulation fondé sur la violation de l’ordre public international ».

2. La preuve de la violation de l’ordre public international

En matière de violation de l’ordre public international, la jurisprudence reconnaît aux parties la faculté de l’établir par des « indices graves, précis et concordants ». Cette solution est retenue depuis plusieurs années (Paris, 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; JDI 2017, comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine). Elle est confirmée par la Cour de cassation dans l’arrêt Belokon. Nous ne reviendrons pas en détail sur le recours à cette méthode, qui a déjà fait l’objet d’analyses savantes. Nous nous limiterons à quelques remarques.

Premièrement, il faut signaler que l’examen de ce faisceau d’indices fait l’objet d’une appréciation souveraine par la cour d’appel. C’est l’un des points importants établis par la Cour de cassation dans l’arrêt Belokon. Ainsi, si un débat complet peut avoir lieu devant l’arbitre puis devant le juge du recours, il n’est pas question d’autoriser une troisième mi-temps devant la Cour de cassation. La seule réserve réside dans le contrôle de la dénaturation. C’est là l’apport principal de l’arrêt Alstom (Civ. 1re, 29 sept. 2021, n° 19-19.769, préc.). La Cour de cassation entend donc poser les principes du contrôle, mais refuse de s’intéresser à sa réalisation.

Deuxièmement, il faut se demander si l’appréciation par faisceau d’indices vaut pour toutes les violations de l’ordre public international. Sur ce point, la jurisprudence ne l’utilise que ponctuellement, en particulier en matière de corruption et de blanchiment. Dans l’arrêt DNO Yémen, elle y a toutefois recours pour vérifier la compatibilité de la sentence avec des mesures de sanctions individuelles et des mesures d’embargo. Ce n’est pas la nature de l’ordre public en cause qui paraît guider la solution, mais le caractère occulte des violations de l’ordre public international. À cet égard, on peut s’interroger sur une éventuelle extension de la méthode à certaines violations du droit de la concurrence.

Troisièmement, la question de l’exclusion de certaines preuves du débat se pose. Dans l’arrêt Belokon, la Cour de cassation soumet la production des preuves à un double principe de respect de la contradiction et d’égalité des armes. Cette question est débattue dans l’arrêt Groupement Santullo. Sans entrer dans le détail, certains éléments produits à la procédure résultent d’une enquête pénale menée dans des conditions troubles. La cour d’appel les écarte, au motif que « la reconnaissance de culpabilité des intéressés, [l’auteur] ayant jusqu’alors au surplus toujours contesté les faits, repose sur des aveux obtenus, sans procès ni débats publics, dans des conditions susceptibles de méconnaître les principes fondamentaux liés au respect de la dignité humaine, l’exercice des droits de la défense et la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants, la cour considère qu’ils ne peuvent être pris en compte en l’espèce et admis pour caractériser la corruption ». Cette solution est salutaire. L’objectif de lutte contre les violations de l’ordre public international ne justifie pas l’accueil de preuves profondément viciées.

Il faut d’ailleurs s’attendre à ce que la question probatoire cristallise les débats pendant les prochaines années. Sur ce point, et malgré un rejet opportun des éléments issus de la procédure pénale gabonaise, l’arrêt Groupement Santullo inquiète. L’annulation de la sentence arbitrale est fondée sur des preuves qui, prises individuellement soulèvent des questions et, prises collectivement, prouvent très peu. Primo, si l’on observe attentivement la motivation, on se rend compte que la cour d’appel se fonde malgré tout sur des éléments de preuve obtenus au cours de la procédure pénale dont le résultat a été intégralement écarté. Ainsi, des propos recueillis pendant une confrontation à l’occasion de cette procédure sont retenus au titre de la motivation de la cour d’appel (§ 104). Secundo, la cour accorde une valeur probante indéterminée (mais non négligeable) à des preuves émanant d’organes de l’État partie à la procédure. Lorsque l’État présente une preuve qui provient de ses services, on peut s’interroger sur l’indépendance de ces derniers. Pour fonder sa motivation, la cour accumule les rapports, notes ou déclarations provenant d’agences nationales, de directions générales voire des services de police et d’instruction de l’État partie à la procédure. Il ne faut pas que, pour un État, la preuve de la violation de l’ordre public international puisse en grande partie résulter d’éléments émanant de ses organisations internes. Il y a ici matière à réflexion. Tertio, la cour identifie des corrélations entre des dépôts d’espèce par les agents prétendument corrompus de l’État et le bénéficiaire du marché public. Malheureusement, la cour se méprend dans la chronologie des paiements, en indiquant qu’un dépôt d’espèce réalisé le 18 avril est postérieur à un paiement daté du 10 mai (§ 97)… Quarto, la cour accorde une valeur probante à une décision suisse refusant la mainlevée d’un séquestre, alors que ce refus ne semble motivé par rien d’autre que des soupçons identiques à ceux présentés au juge français, sans que le juge suisse apporte d’éléments autonomes. En bout de course, on peine à être convaincu par le choix réalisé par la cour d’appel d’annuler la sentence. Il y a un véritable travail à opérer par la jurisprudence quant à la hiérarchie entre les preuves produites et sur le standard de preuve à atteindre pour emporter la conviction du juge.

Quatrièmement, la jurisprudence rappelle systématiquement que le juge du recours est juge de la sentence et non de l’affaire. Le raisonnement des arbitres n’est pas scruté par le juge. Peu importe que la sentence n’ait pas, ou ait mal appliqué l’ordre public. Ce qui compte c’est que l’exécution ou la reconnaissance de la sentence n’y porte pas atteinte. En conséquence, il faut établir un lien entre la sentence et la violation de l’ordre public international. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Les arrêts Belokon et Groupement Santullo nous en donnent une explication. Dans le premier, la cour énonce qu’il convient de rechercher si « la reconnaissance ou l’exécution de la sentence était de nature à entraver l’objectif de lutte contre le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d’activités de cette nature, telles que définies par la convention de Mérida ». Dans le second, la cour retient une formule identique, en remplaçant le blanchiment par la corruption. Cette formule est importante, car elle est le cœur de l’examen réalisé par la cour d’appel. Elle doit rechercher si la sentence permet à une partie de récolter les fruits d’une opération de corruption ou de blanchiment. Ces solutions peuvent être étendues à l’ensemble des griefs intégrant l’ordre public international. Chaque fois, il s’agit de se demander si l’exécution de la sentence (le plus souvent, le paiement) permet à une partie de bénéficier d’une violation de l’ordre public international.

Cette nature particulière du contrôle du juge du recours appelle une précision dont, à l’heure actuelle, la portée est sans doute insuffisamment appréhendée. L’exigence selon laquelle l’exécution de la sentence ne doit pas permettre à une partie de bénéficier d’une violation de l’ordre public international appelle la preuve d’un lien entre la violation de l’ordre public et le bénéfice tiré de la sentence. Dans les affaires Belokon et Groupement Santullo, ce lien n’est pas difficile à établir. Le paiement est le résultat, d’une part, d’une opération de blanchiment et, d’autre part, d’un contrat obtenu par corruption. En revanche, la situation est parfois plus délicate. L’affaire DNO Yémen en offre une illustration topique. Dans cette affaire, la violation de l’ordre public international alléguée est relative à une atteinte aux droits de l’homme et au droit humanitaire international. Toutefois, il n’est pas prétendu que le paiement permet à une partie de tirer profit de telles violations de l’ordre public international, mais que le paiement peut permettre d’en commettre. La sentence ne donne donc pas effet à une violation de l’ordre public international, mais pourrait conduire à une violation de l’ordre public international. Outre que cette violation est incertaine, elle inverse la causalité. La caractérisation d’un lien entre l’ordre public international et l’exécution de la sentence se fait à sens unique : l’exécution de la sentence ne doit pas permettre à une partie de tirer les fruits d’une violation de l’ordre public international, mais il est indifférent qu’une violation de l’ordre public international puisse avoir lieu grâce aux fruits de la sentence. La cour énonce que « ne peuvent être prises en compte des circonstances futures hypothétiques présumant l’emploi par l’une des parties au litige des sommes dues en exécution de la condamnation prononcée par cette sentence à des agissements violant les valeurs et principes protégés par l’ordre public international. Une telle prise en compte, en ce qu’elle supposerait d’anticiper sur des événements futurs et porterait sur des actes qui, pour condamnables qu’ils soient, sont détachables de ceux ayant conduit à la sentence et sur lesquels le tribunal arbitral a statué, relève d’un contrôle qui échappe au juge de l’annulation de la sentence ». Cette analyse emporte des conséquences importantes dans de nombreux domaines. En effet, il n’est pas rare qu’une violation de l’ordre public international soit brandie comme un épouvantail, tant devant l’arbitre que devant le juge. C’est le cas, par exemple, en matière de corruption, mais cela peut autant l’être en matière de concurrence. Ainsi, il ne suffit pas qu’il y ait quelque part dans le monde des atteintes par le créancier aux règles relatives à la corruption ou à la concurrence. Il faut que, dans l’affaire soumise à l’arbitre puis au juge, le créancier entende récolter les fruits d’un contrat obtenu par corruption ou violant le droit de la concurrence. L’établissement du lien entre la violation de l’ordre public international et le paiement ou l’exécution de la sentence est donc de nature à circonscrire le débat.

3. L’intensité de la violation de l’ordre public international

Si l’arrêt Belokon a mis fin au débat sur l’intensité du contrôle du juge, il est susceptible d’en ouvrir un nouveau avec la consécration d’un critère selon lequel la violation de l’ordre public international doit être caractérisée. L’arrêt Groupement Santullo s’est immédiatement approprié ce critère, en ce qu’il conclut que la reconnaissance et l’exécution de la sentence « sont de nature à violer de manière caractérisée l’ordre public international ». Il n’est pas évident de déterminer le sens précis de ce nouveau critère. On peut sans doute voir dans ce choix le poids doctrinal encore très présent d’Emmanuel Gaillard (E. Gaillard, note ss Civ. 1re, 13 sept. 2017, JDI 2017, 20 ; E. Gaillard, note ss Paris, 16 janv. 2018, JDI 2018, 13), qui invite la jurisprudence à prendre en compte l’intensité de la violation, entendue comme son retentissement sur l’ordre juridique. Il faudra néanmoins déterminer si cette précision emporte des conséquences et conduit à écarter certains recours au motif que la violation n’est pas caractérisée. On peut imaginer trois interprétations différentes, qui peuvent au choix être alternatives ou cumulatives : la temporalité de la violation (passée/future) ; l’intensité de la violation (grave/pas grave) ; la certitude de la violation (établie/incertaine). La première conduit à opposer la violation caractérisée de la violation éventuelle. À ce titre, on oppose les violations passées – sanctionnables car caractérisées – et les violations futures – qui ne le sont pas, comme c’est déjà le cas dans l’affaire DNO Yémen. La deuxième invite à distinguer la violation caractérisée de la violation simple. On oppose alors la violation grave de la violation insignifiante. Toutefois, on peut se demander s’il existe des violations insignifiantes de l’ordre public international. La troisième nécessite de dissocier la violation caractérisée de la violation insuffisamment prouvée. Cela dit, retenir une telle distinction peut s’avérer délicat dès lors que la preuve de la violation est, dans un certain nombre d’hypothèses, rapportée à travers un faisceau d’indices. Il faudra observer l’appréciation qui en sera faite par la jurisprudence.

B. Les modalités du contrôle de l’ordre public international

Lorsque l’on évoque les modalités du contrôle, on fait référence non pas à ce qui est contrôlé, mais à la façon dont le contrôle est réalisé. Trois grandes caractéristiques de ce contrôle peuvent d’emblée être identifiées. Premièrement, il peut s’agir d’un contrôle nouveau, si la question n’a pas été débattue devant le tribunal arbitral. Deuxièmement, le débat peut évoluer, dès lors qu’il n’a pas à être identique à celui réalisé devant le tribunal arbitral. Troisièmement, le débat ne souffre d’aucune limite dans son étendue, le juge étatique étant libre de l’approfondir autant que nécessaire.

1. La nouveauté du débat au stade du recours

L’ordre public international peut-il être discuté pour la première fois devant le juge de l’annulation ou de l’exequatur ? En creux, cette question se divise en deux branches. Premièrement, le comportement des parties peut-il caractériser une renonciation à se prévaloir de la violation de l’ordre public international ? Deuxièmement, le juge peut-il relever d’office le moyen ? La réponse est clairement apportée par l’arrêt d’appel dans l’affaire Schooner (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Schooner, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2019. 751, note C. Crepet Daigremont), sans que sa cassation ne remette en cause le principe (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 image ; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; ibid. 2272, obs. T. Clay image ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc). La cour énonce que les « moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l’ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d’office par le juge de l’annulation, et soulevés pour la première fois devant lui ». De façon moins explicite, on retrouve cette solution dans l’arrêt Bestful (§ 27). Ainsi, lorsque l’on est dans le domaine de l’ordre public international, l’importance des intérêts protégés justifie de ne pas dresser d’obstacle à la recevabilité du moyen.

Cependant, les lecteurs avisés ont immédiatement remarqué que l’arrêt Schooner vise l’ordre...

Anormalité du dommage : la Cour de cassation – encore une fois – dans les pas du Conseil d’État

En l’absence de responsabilité d’un professionnel de santé, l’article L. 1141-2, II, du code de la santé publique prévoit que les conséquences anormales des actes de prévention, de diagnostic ou de soins, sont réparées au titre de la solidarité nationale à la double condition (i) qu’elles soient anormales au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de celui-ci et (ii) qu’elles soient suffisamment graves (S. Porchy-Simon et Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel, 8e éd., Dalloz, 2015, § 866, p. 759).

Depuis sa création par la loi du 4 mars 2002, la condition d’anormalité du dommage a été interprétée plutôt strictement par la jurisprudence mais, depuis 2016 au moins (Civ. 1re, 15 juin 2016, n° 15-16.824, Dalloz actualité, 29 juin 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 1373 image ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image) et à la suite du Conseil d’État (CE 12 déc. 2014, nos 355052 et 365211, Dalloz actualité, 5 juin 2015, obs. J.-M. Pastor ; Lebon image ; AJDA 2015. 769 image, note C. Lantero image ; ibid. 2014. 2449 image ; D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout image ; RDSS 2015. 179, obs. D. Cristol image ; ibid. 279, concl. F. Lambolez image ; RTD civ. 2015. 401, obs. P. Jourdain image), la Cour de cassation semble avoir adopté une position beaucoup plus favorable aux victimes (M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. 2. Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, 2021, § 70, p. 86-88). Selon cette jurisprudence, l’anormalité du dommage est caractérisée dans deux hypothèses : soit l’acte médical a eu des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; soit les conséquences ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie mais le risque de survenance du dommage présentait une probabilité faible dans les conditions où l’acte a été accompli.

L’arrêt commenté du 6 avril 2022 ne vient pas remettre en cause ces deux hypothèses mais vient préciser la première en jugeant, comme l’avait fait le Conseil d’État en 2020 (CE 13 nov. 2020, n° 427750, Dalloz actualité, 26 juin 2020, obs. J.-M. Pastor ; Lebon image ; AJDA 2020. 2230 image ; D. 2021. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon image ; RTD civ. 2021. 432, obs. P. Jourdain image), que la survenance prématurée du dommage est susceptible de caractériser une conséquence notablement plus grave que celle à laquelle le patient était exposé.

En l’espèce, une personne qui présentait une pathologie relative à son artère fémorale droite avait subi une chirurgie carotidienne sous anesthésie locorégionale. Au cours de l’intervention, le patient a eu une crise de convulsion généralisée et est demeuré hémiplégique. Un peu plus de quatre ans plus tard, le patient est décédé.

Les ayants droit de ce patient ont demandé la réparation du préjudice subi au médecin et à son assureur ainsi qu’à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Par un arrêt du 22 octobre 2020, la cour d’appel de Paris les a déboutés de l’ensemble de leur demande.

Ils se sont alors pourvus en cassation et ont fait grief à l’arrêt d’avoir mis hors de cause l’ONIAM, les autres chefs de l’arrêt n’étant pas critiqués. Leur moyen, ne comprenant qu’une branche unique, faisait valoir une violation de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique en ce que la cour d’appel aurait relevé que...

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Pas d’interruption de la prescription pour la seule mise en demeure

L’année 2022 reste un cru d’excellence pour la prescription extinctive. Après avoir rappelé il y a quelques jours la prescription applicable à une indemnité réclamée à un ancien député par le Parlement européen (Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 21-12.513, Dalloz actualité, 18 mai 2022, obs. C. Hélaine), la Cour de cassation vient s’attaquer à une question épineuse, à savoir ses causes d’interruption. Contrairement à la suspension, l’interruption de la prescription permet de refaire courir un nouveau délai égal à celui qui était en train de s’écouler avant ladite cause d’interruption (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 1860 s., nos 1787 s.). La question de l’énumération de ces causes d’interruption est donc cruciale en ce qu’elle peut être une issue décisive du procès civil. La pratique reste donc particulièrement alerte sur ce point crucial mêlant droit des obligations et droit judiciaire privé. L’arrêt en date du 18 mai 2022 doit donc attirer particulièrement l’attention en ce qu’il vient énoncer une solution très importante quoiqu’attendue sur le rôle d’une mise en demeure. Son originalité lui vaut d’être promis aux très sélectives Lettres de chambres.

Les faits permettent de mieux comprendre le problème posé. Un médecin souscrit le 10 février 2008 un contrat de location pour un matériel laser transcutané pour des loyers mensuels de 743,91 € le tout sous une durée de soixante mois (pour l’importance de cette précision de durée, v. réc. Com. 11 mai 2022, n° 19-22.015, Dalloz actualité, à paraître, obs. C. Hélaine). Mais le médecin preneur du matériel arrête de payer les loyers à partir du 1er janvier 2011. Le 27 avril suivant puis le 3 avril 2013, le bailleur le met en demeure de respecter ses engagements, en vain. Le propriétaire du matériel assigne le 12 octobre 2016, par conséquent, le locataire en résiliation de plein droit du...

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De l’étendue de l’obligation de conseil du vendeur professionnel

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provencele 20 mai 2022

Civ. 1re, 11 mai 2022, F-B, n° 20-22.210

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 mai 2022 vient confirmer une solution bien connue mais toujours utile à rappeler dans le cadre du droit des contrats spéciaux. Elle concerne les contours de la vente consentie par un professionnel, notamment sur l’obligation de conseil qui pèse sur lui au moment de la conclusion du contrat. À l’heure de la publication d’un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux (v. not. G. Chantepie, Avant-projet de réforme des contrats spéciaux : sources et inspirations, Dalloz actualité, Le droit en débats, 11 mai 2022), cette solution permet d’observer la vivacité d’une telle obligation dans le contentieux porté devant la Cour de cassation.

Les faits ne sont pas si classiques. Ils relèvent presque du cas d’école. Une personne physique souhaite acquérir un camping-car pour voyager sur le continent américain avec quatre passagers. Trouvant un camping-car à son goût, il en fait l’acquisition auprès d’une société, elle-même se fournissant auprès d’une seconde société fabricante de véhicules. Le camping-car est livré le 6 mai 2011 mais notre acquéreur décide de faire installer des équipements supplémentaires. En novembre 2011, soit six mois après l’achat, il constate un fléchissement de l’essieu arrière et sollicite à son retour une expertise amiable et une expertise judiciaire ordonnée en référé. Les deux expertises aboutissent au même résultat : le dommage est dû à un excès de poids lié aux bagages stockés à l’arrière du camping-car. Voici que l’acquéreur décide donc d’assigner les deux sociétés – la venderesse et la fabricante du camping-car – en résolution de la vente et en réparation de ses préjudices moral et matériel à la suite d’un manquement au devoir de conseil. Le tribunal de grande instance de Nantes le déboute de sa demande. Interjetant appel devant la cour d’appel de Rennes, l’acquéreur se retrouve tout aussi déçu : le jugement est confirmé en toutes ses dispositions....

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Du recours de la caution et de l’absence de capitalisation des intérêts

La question de la capitalisation des intérêts, encore appelée anatocisme, implique des croisements intéressants entre le droit commun d’une part et le droit spécial d’autre part. En droit commun, c’est l’article 1343-2 du code civil qui prévoit la possibilité de capitaliser de tels intérêts dès que les conditions sont réunies. Avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, c’était l’ancien article 1154 du code civil qui prévoyait l’anatocisme (sur cette question, v. F. Gréau, Rép. civ., v° Intérêts des sommes d’argent, n° 117). En matière de droit de la consommation, différentes règles coexistent à ce sujet en matière de crédit à la consommation et de crédit immobilier. Pour ce dernier, l’article L. 313-52 du code de la consommation vient empêcher de mettre à la charge de l’emprunteur d’autres frais prévus que ceux mentionnés à l’article L. 313-51 du même code (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 267, n° 206). Les règles du droit commun et du droit spécial s’entrechoquent donc régulièrement, faisant naître des hésitations sur la possibilité de capitaliser des intérêts en matière de prêts régis par le code de la consommation. C’est dans ce maelström de règles que s’aventure l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 avril 2021.

À l’origine de l’affaire, on retrouve un établissement bancaire qui consent à un particulier un prêt immobilier garanti par une caution professionnelle. Le prêt a été conclu le 14 août 2000, il est donc régi par les dispositions antérieures à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et par l’article L. 312-23 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 qui énonçait déjà...

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Remboursement d’indemnités dues au Parlement européen et prescription extinctive

Les questions de prescription extinctive continuent d’avoir le vent en poupe pour l’année 2022. Après avoir statué sur plusieurs questions qui intéressent le point de départ de celle-ci (Civ. 1re, 5 janv. 2022, nos 20-16.031, 19-24.436, 20-18.893 et 20-16.350, Dalloz actualité, 17 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 4 image ; Com. 9 févr. 2022, n° 20-17.551, Dalloz actualité, 16 févr. 2022, obs. C. Hélaine), la première chambre civile de la Cour de cassation s’intéresse à la prescription d’une action pour le moins originale, celle du Parlement européen contre un ancien député.

Les faits de l’espèce méritent toute notre attention en raison de cette originalité. Une personne siège en qualité de député européen de juillet 1999 à juillet 2004. Celui-ci décide d’employer deux assistants parlementaires : il demande que le Parlement lui verse des indemnités destinées à couvrir ses dépenses liées à cet engagement. Par courrier du 30 septembre 2004, un juge d’instruction français a informé le Parlement européen de l’ouverture d’une procédure pénale diligentée contre le député en question dans laquelle il est apparu que les deux assistants parlementaires n’ont jamais exercé les fonctions pour lesquelles ils ont été engagés. L’Office européen de lutte antifraude a remis en octobre 2011 un rapport concluant que les indemnités touchées par le député étaient indues pour ces raisons sur la base de fausses déclarations. Le secrétaire général du Parlement européen a donc pris une décision ordonnant le recouvrement de la somme de 148 160,27 € qui correspond aux indemnités indûment versées pour les emplois concernés. Le délai de règlement convenu expirait au 25 mai 2009. Toutefois, au 4 juillet 2013, une somme supplémentaire a été mise à la charge du député au titre des rémunérations des deux assistants parlementaires. Cette fois-ci, le député décide de contester ces décisions, sans succès. C’est dans ce contexte que le Parlement européen a assigné le député devant le tribunal de grande instance de Strasbourg en responsabilité et en indemnisation sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Le député lui oppose la...

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[Vidéo] Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice: zoom sur le Conseil scientifique

Article

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le 18 mai 2022

Regarder l’épisode 1

Regarder l’épisode 2

Merci à l’IERDJ et à Françoise Tulkens
Interview : Angeline Doudoux
Réalisation : Laurent Montant, Axel Gable & Antonin Bonin
Musique : TFB9 par Vibe Tracks

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Audit énergétique : parution du décret et de l’arrêté d’application

Afin de lutter contre les « passoires thermiques », la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi « Climat et résilience » a institué un audit énergétique venant compléter le diagnostic de performance énergétique (DPE) lors de la vente de logements très énergivores. L’obligation d’établir un audit énergétique s’impose pour les ventes de bâtiments ou de parties de bâtiment à usage d’habitation, comprenant un seul logement ou plusieurs logements non soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis, et classés D à G sur le seuil de performance visé à l’article L. 173-1-1 (CCH, art. L. 126-28-1). En d’autres termes, la réalisation d’un audit énergétique est obligatoire toutes les fois où est proposé à la vente un logement en monopropriété (logement individuel ou immeuble collectif d’habitation appartenant à un seul et même propriétaire) à faible performance énergétique.

L’article L. 173-1-1 du code de la construction et de l’habitation classe les bâtiments existants à usage d’habitation selon sept niveaux de performance, par ordre décroissant, de la classe A pour les biens « extrêmement performants » à la classe G pour ceux « extrêmement peu performants ». Ce classement prend en compte le niveau de performance énergétique du bien ainsi que son niveau de performance en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES).

Pour aller plus loin : la loi du 22 août 2021 est venue également instituer un seuil minimal de performance énergétique pour les bâtiments ou parties de bâtiment à usage d’habitation : à compter du 1er janvier 2028, leur niveau de performance doit obligatoirement être compris entre les classes A et E au sens de l’article L. 173-1-1 précité (CCH, art. L. 173-2).

À la différence du DPE, lequel vise plus généralement à évaluer la performance énergétique et le taux d’émissions de gaz à effet de serre d’un bâtiment (CCH, art. L. 126-26 s.), l’audit énergétique propose des scénarios de travaux adaptés au logement et destinés à lui faire atteindre une rénovation énergétique dite performante.

L’audit énergétique doit être remis par le vendeur ou son représentant à l’acquéreur potentiel dès la première visite du bien, par tout moyen y compris par voie électronique (CCH, art. L. 271-4). Il permet, ainsi, aux futurs acquéreurs d’appréhender l’ampleur des travaux de rénovation nécessaires et leur impact financier avant d’envisager l’acquisition. Ces derniers pourront, notamment, contracter un prêt global destiné à l’acquisition et à la rénovation du bien. L’audit énergétique et le DPE figurent, ensuite, dans le dossier de diagnostic technique (DDT) fourni par le vendeur et annexé à la promesse de vente ou, à défaut, à l’acte authentique de vente (CCH, art. L. 271-4, 6°).

Le régime de l’audit énergétique réglementaire vient d’être précisé par la parution au journal officiel, ce 5 mai 2022, d’un décret et d’un arrêté datés du 4 mai, pris pour l’application de l’article L. 126-28-1 du code de la construction et de l’habitation.

Compétences et qualifications de l’auditeur

Le décret du 4 mai 2022 précise, tout d’abord, les compétences et qualifications dont doivent justifier les professionnels chargés de réaliser les audits énergétiques obligatoires (art. 1er). Celles-ci varient selon que les bâtiments ou parties de bâtiment en cause comprennent un ou plusieurs logements.

Lorsque la vente porte sur un seul logement, peuvent réaliser un audit énergétique : les professionnels titulaires d’au moins un des signes de qualité au sens du décret n° 2018-416 du 30 mai 2018 (art. 1er, II, 2°, a, b et e) ; les architectes et les sociétés d’architecture au sens de l’article 1er, II, 2°, c et d dudit décret ; les personnes certifiées pour réaliser un DPE au sens de l’article R. 271-1 du CCH qui justifient des compétences nécessaires ainsi que, par dérogation, jusqu’au 31 décembre 2023, celles dont la compétence est attestée par un organisme de certification (l’attestation, d’une durée de validité de neuf mois sauf prorogation, doit être présentée au propriétaire ou à son mandataire lors de la visite du logement et être annexée à l’audit énergétique).

Lorsque la vente porte...

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Prescription acquisitive d’une servitude de vue et négligence fautive du syndicat de copropriétaires

L’arrêt rapporté traite de la responsabilité du syndicat vis-à-vis des tiers en cas de travaux illicites réalisés par un copropriétaire et rappelle les conditions d’acquisition d’une servitude de vue par le jeu de la prescription.

Au cas particulier, sans autorisation préalable du syndicat, un copropriétaire avait créé dans le mur extérieur de la copropriété plusieurs vues sans respecter les distances exigées par le code civil et avait aménagé une terrasse débordant sur le fonds voisin. Son propriétaire assigne le syndicat de copropriétaires en suppression des ouvertures, cessation de l’empiétement et dommages et intérêts en réparation des préjudices qui en résultaient. Faisant droit à ces demandes, la cour d’appel condamne in solidum le syndicat et l’auteur des travaux à restituer aux lieux leur état initial et à verser au voisin une somme à titre de dommages-intérêts.

Sur la responsabilité du syndicat de copropriétaires

L’arrêt d’appel considère que le fait de ne pas avoir mis en demeure le copropriétaire de remettre en état le mur dans lequel l’ouverture avait été pratiquée constituait une négligence en relation avec le préjudice subi par la résidence voisine. Le pourvoi critique ce raisonnement en se fondant sur l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 dans sa version antérieure à l’ordonnance du 30 octobre 2019. Selon cet article, le syndicat est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes. Or, pour le syndicat, le dommage allégué ne pouvant être imputé ni à un vice de construction ni à un défaut d’entretien, le lien de causalité faisait défaut.

Cet argument ne prospère pas. La Cour de cassation énonce qu’il appartient au syndicat de copropriétaires, informé des ouvertures illicites pratiquées dans un mur partie commune de la copropriété sans son autorisation donnant sur le fonds voisin et susceptible de préjudicier à celui-ci, de le mettre en demeure de rétablir les lieux dans leur état initial. Elle approuve la cour d’appel qui, ayant ainsi caractérisé la faute du syndicat dans la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes, a retenu que cette négligence fautive avait contribué à la réalisation du préjudice invoqué par la résidence voisine résultant de l’atteinte à son droit de...

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Saisie des rémunérations et procédure collective : rappel de la règle de l’arrêt de toute procédure d’exécution de la part de tous les créanciers antérieurs

Cette décision n’est pas révolutionnaire, mais elle a le mérite de mettre en lumière les difficultés auxquelles les juges du fond sont confrontés pour appliquer des règles de droit qui se multiplient et se télescopent, avec souvent une mauvaise formulation des prétentions par les parties, contraignant la Cour de cassation à rappeler des évidences, ce qui peut parfois être douloureusement perçu lorsque la cour d’appel est invitée à revoir sa copie.

À l’origine, c’est une simple procédure de saisie des rémunérations mise en œuvre devant le tribunal d’instance, alors juridiction compétente (depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, c’est désormais le juge de l’exécution qui en connaît, avec dispense de représentation obligatoire par avocat, même si le litige est supérieur à 10 000 €, C. trav., art. R. 3252-11), mais, au gré d’un appel du jugement ayant autorisé cette saisie et de la survenance d’une procédure collective du débiteur, la situation s’est compliquée, les contestations élevées abordant notamment, la validité d’un titre exécutoire, les règles du crédit immobilier, celles régissant les TEG/TAEG, la mise en œuvre de la déchéance du terme, voire les incidences de la procédure collective.

Les faits

Un créancier, en vertu de la copie exécutoire d’un acte contenant plusieurs prêts, après avoir prononcé la déchéance du terme, présente une requête pour être autorisé à pratiquer une saisie des rémunérations à l’encontre d’un emprunteur défaillant.

Les parties sont convoquées à l’audience de tentative préalable de conciliation et à défaut de conciliation, le 20 décembre 2017, le tribunal rend un jugement autorisant la saisie des rémunérations pour divers montants selon les prêts et dit qu’en application de l’article L. 3252-13 du code du travail, les intérêts seront réduits à zéro à compter de l’autorisation de saisie.

L’emprunteur en interjette appel le 30 janvier 2018.

Le 17 avril 2018, alors que l’instance en appel est en cours, le tribunal de commerce de Paris rend un jugement ordonnant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de l’emprunteur.

Les organes de la procédure collectives interviennent aux côtés de l’emprunteur en cause d’appel et sollicitent l’infirmation du jugement critiqué, forment plusieurs prétentions en développant divers moyens et notamment le débouté de la banque de l’intégralité de ses demandes relatives à la mesure de saisie.

La cour d’appel de Versailles (Versailles, 16e ch.,17 oct. 2019, n° 18/00673) confirme partiellement le jugement, mais l’infirme en retenant certaines des contestations élevées en cause d’appel et notamment :

réduit le capital restant dû au titre des deux prêts,
  prononce la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels du prêteur et dit que seront substitués aux intérêts échus et à venir, les intérêts au taux légal,
  ordonne une compensation,
  fixe la créance de la banque au passif de la procédure collective du débiteur

La banque forme un pourvoi et les...

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Appel incident du chef d’un débouté de demande de condamnation [I]in solidum[/I] : portée

Dans le cadre d’un projet de réhabilitation d’un ancien corps de ferme, un maître de l’ouvrage conclut un contrat d’architecte. Diverses entreprises interviennent pour effectuer les travaux.

Les travaux, réceptionnés, présentant des désordres, les maîtres de l’ouvrage agissent alors en responsabilité contre l’architecte, qui fera l’objet d’une liquidation, son assureur, et les divers entrepreneurs et leurs assureurs respectifs.

L’un des entrepreneurs condamnés fait appel du jugement, en limitant son appel à certaines parties, et à certains chefs de condamnation.

Les maîtres de l’ouvrage, qui n’ont pas fait le plein de leurs demandes, se portent appelant incident notamment du chef du préjudice de jouissance que le tribunal a rejeté.

Pour écarter cette demande, la cour d’appel retient que les maîtres de l’ouvrage « n’ayant pas formé d’appel provoqué pour intimer les autres parties contre lesquelles ils avaient présenté leur demande en première instance, la disposition du jugement qui les en a déboutés est définitive », ajoutant que « la cour n’en est donc pas saisie ».

L’arrêt est cassé, au visa de l’article 553 du code de procédure civile.

Pour la Cour de cassation, le rejet de la demande en condamnation in solidum contre plusieurs défendeurs ne crée aucune indivisibilité entre eux, de sorte que les maîtres de l’ouvrage, appelants incidents, n’avaient pas à se porter appelants provoqués contre les parties non intimées à l’encontre desquelles il était conclu du chef du préjudice de jouissance en première instance.

Irrecevabilité, cour non saisie, chef définitif… gare aux mélanges

Pour bien comprendre l’arrêt, il convient déjà de faire un peu de ménage.

Tout d’abord, la cour d’appel était bien saisie d’une irrecevabilité de l’appel incident, mais par l’appelant principal, non par son assureur, intimé, ce dernier demandant la confirmation de ce chef et subsidiairement la garantie de son assuré à ce titre.

Alors que la cour d’appel devait se prononcer sur une irrecevabilité, elle « constate que les dispositions du jugement ayant […] débouté [les maîtres de l’ouvrage] de leur demande au titre du préjudice de jouissance sont devenues définitives en l’absence d’appel provoqué contre les autres parties à l’instance ».

D’irrecevabilité, il n’en est pas question, la fin de non-recevoir étant remplacée par un « constat ».

Première erreur, qui n’est toutefois pas l’objet du pourvoi.

Il y a certainement défaut de réponse à conclusions, même s’il est vrai que pour les parties en défense à l’appel incident, cela ne change pas grand-chose.

Mais à l’heure où la chasse est ouverte pour traquer, dans le dispositif des conclusions, la présence de moyens (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-18.773 NP, D. 2021. 543, obs. N. Fricero[RECUEIL/CHRON/2021/0677]) et l’absence de prétentions (Civ. 2e, 26 juin 2014, n° 13-20.393 P, Dalloz actualité, 22 juill. 2014, obs. M. Kebir ; Civ. 3e, 2 juill. 2014, n° 13-13.738 P, Dalloz actualité, 18 juill. 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 1505 image ; v. aussi « l’interprétation nouvelle » du 17 sept. 2020 imposant un formalisme jugé non excessif, Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, note C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 image, note M. Barba image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne image ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet image ; D. avocats 2020. 448 et les obs. image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal image ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. Faivre, Gregori, Laher et Provansa ; Gaz. Pal. 27 oct. 2020, p. 9, note P. Gerbay ; ibid. 8 déc. 2020, p. 41, note Ansault ; ibid. 26 janv. 2021, p. 79, note Hoffschir ; ibid. 26 janv. 2021, p. 82, note Lauvergnat ; Defrénois 2021, n° 3, p. 13, note Mazure), les avocats sont en droit d’avoir la même exigence à l’égard d’un jugement, surtout lorsqu’il émane d’une juridiction d’appel.

Or il ne suffisait pas aux juges d’appel de « constater » que des dispositions...

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Les chambres commerciales internationales de Paris, quatre ans après

Faire des propositions « pour adapter le système juridictionnel français aux enjeux économiques et juridiques internationaux contemporains ». Tel était l’objet de la mission confiée par le ministère de la Justice au Haut Comité juridique de la place financière de Paris et qui a donné lieu, en mai 2017, à la remise d’un rapport préconisant la mise en place à Paris de chambres spécialisées pour le traitement du contentieux international des affaires. Et c’est ainsi que, le 7 février 2018, deux protocoles de procédure signés par le barreau de Paris ont officiellement institué ces chambres commerciales internationales, l’une au tribunal de commerce de Paris, l’autre à la cour d’appel.

Renforcer l’attractivité de la place de Paris

Initié dans le contexte du Brexit, le dispositif vise avant tout à renforcer l’attractivité des juridictions commerciales de la capitale en proposant, à côté des centres d’arbitrage, des chambres spécialisées dans le traitement du contentieux international des affaires. Et tenter ainsi de concurrencer la place de Londres à l’heure où, du fait de la sortie du Royaume-Uni, les décisions des juridictions britanniques ont perdu le bénéfice de la reconnaissance et de l’exécution automatique au sein de l’Union européenne. D’autres places européennes ont créé ou envisagé de créer à cette même époque de nouvelles juridictions spécialisées pour attirer une part du contentieux du commerce international. La Chamber for International Commercial Disputes a ainsi vu le jour à Francfort en janvier 2018 et la Netherlands Commercial Court à Amsterdam en janvier 2019. En Belgique, un projet de loi portant création de la Brussells International Business Court introduit en 2018 a finalement été abandonné.

Des protocoles procéduraux sur mesure

Les chambres commerciales internationales de Paris ont vocation à traiter le contentieux international des affaires : contrats commerciaux, rupture de relations commerciales, concurrence déloyale, réparation à la suite de pratiques anticoncurrentielles, litiges en matière de transports, d’opérations sur instruments financiers, de conventions-cadres de place… Leur compétence peut résulter d’une clause attributive de compétence territoriale. Outre les appels des décisions de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, la chambre internationale de la cour d’appel est également compétente pour connaître des recours en annulation et en exécution contre les décisions d’arbitrage international.

Établis à droit constant, les protocoles de procédure auxquels les parties peuvent adhérer devant ces chambres exploitent plusieurs des possibilités offertes par la procédure civile mais non utilisées. À commencer par la possibilité pour les parties d’utiliser l’anglais dans les débats et de communiquer des pièces en anglais sans avoir à les traduire. Les actes de procédure sont rédigés en français, quel que soit le droit choisi, de même que les jugements et les arrêts, accompagnés d’une traduction jurée en anglais. Autre particularité : la possibilité de procéder à des interrogatoires croisés de la partie adverse, des témoins et des experts selon le principe de la cross-examination et de former des demandes de production forcée de documents. Enfin, toujours sous réserve de l’adhésion au protocole, les parties sont amenées à fixer avec le juge un calendrier impératif de procédure dès les premières audiences. Il s’agit ainsi d’une procédure largement inspirée de celles en vigueur dans des chambres d’arbitrage international et des juridictions de common law.

Quel impact sur l’activité de la chambre internationale du tribunal de commerce ?

Créée en 1995, la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris est le premier maillon de ce dispositif. Elle compte aujourd’hui neuf juges, disposant chacun d’au moins trois ou quatre ans d’expérience au tribunal de commerce. Lui sont attribuées en priorité les affaires qui comprennent un élément d’extranéité. S’il est possible, depuis 2018, d’utiliser l’anglais dans les débats, les parties choisissent le plus souvent un avocat francophone – parfois accompagné d’un avocat étranger – et les plaidoiries d’avocat en anglais sont rares. Il est en revanche plus fréquent que les parties et les experts s’expriment en anglais.

Quel impact ont eu la mise en place de protocoles et la création d’une chambre internationale à la cour d’appel de Paris sur l’activité de celle du tribunal de commerce ? « La signature des protocoles a attiré l’attention sur les chambres internationales, notamment celle d’avocats et de cabinets anglo-saxons », répond le président de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, Christian Wiest. Et depuis, « de plus en plus d’avocats demandent à ce que leur affaire soit confiée à la chambre internationale du tribunal lors de l’assignation et de plus en plus de parties adhèrent au protocole ».

Mais si la chambre semble avoir gagné en notoriété, cela n’a pas eu d’impact sensible sur le volume des affaires traitées. « En 2021, la chambre a traité environ 400 dossiers dont 200 affaires internationales, ce qui correspond au volume habituel pour les affaires internationales. » Sur ces 200 décisions, « la moitié concerne le contentieux général – des contrats, principalement –, 10 à 15 % portent sur des incidents – les questions de droit applicable et de compétence sont portés devant cette chambre – et le reste concerne beaucoup d’affaires en droit des sociétés, de rupture brutale des relations commerciales, d’assurances, de distribution, d’économie numérique… »

Peut-on dire que Paris fait aujourd’hui davantage concurrence à Londres sur le contentieux international des affaires ? « Je n’ai aucun exemple d’affaire qui aurait été déplacée de Londres pour être jugée à Paris. Mais certaines affaires – de grosses affaires avec des enjeux importants – qui auraient peut-être été jugées ailleurs, et notamment aux États-Unis, sont venues à nous en raison du protocole de procédure. » Quid des clauses attributives de compétence désignant la chambre commerciale internationale de Paris ? « Je n’en ai encore jamais vues, et je pense que c’est de toute façon encore un peu tôt » pour que de telles clauses insérées dans des contrats soient activées.

187 affaires au rôle de la nouvelle chambre de la cour d’appel

La chambre commerciale internationale créée à la cour d’appel de Paris est le second maillon du dispositif. Elle traite les appels de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, ainsi que les recours contre les sentences d’arbitrage (jusqu’alors traités par la chambre 1.1). Instituée en février 2018, elle n’a véritablement démarré qu’en septembre 2018, le temps de constituer l’équipe des conseillers. Celle-ci compte trois juges, un poste de juriste assistant et une greffière – qui maîtrise plusieurs langues étrangères dont l’anglais. « Un juge spécialisé d’une autre de pôle économique peut venir compléter la formation de jugement sur des dossiers particuliers », précise le président de la chambre, François Ancel, après avoir rappelé que la cour d’appel de Paris compte douze chambres autres spécialisées en droit économique.

Président de la chambre depuis septembre 2018, François Ancel était précédemment président de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris, compétente en matière de propriété intellectuelle. Ancienne avocate, Fabienne Schaller a notamment exercé à la chambre des délits économiques et financiers complexes du tribunal judiciaire de Paris, avant de rejoindre la cour d’appel de Paris où elle s’est spécialisée en droit des transports, de la concurrence, des contrats commerciaux et des ruptures brutales, puis de devenir juge assesseur à la nouvelle chambre commerciale internationale. Ancienne avocate également, Laure Aldebert a notamment été vice-présidente de la troisième chambre du tribunal judiciaire de Paris, spécialisée dans le contentieux de la propriété intellectuelle, avant d’être nommée conseillère à la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris.

En mars 2022, 187 affaires étaient inscrites au rôle de la chambre, dont environ 60 % concernent des sentences arbitrales. Les affaires traitées impliquent à 75 % des plaideurs ressortissants de la zone Europe (Russie et Ukraine comprises) et à 25 % de pays non européens. Depuis sa création, la chambre a été sollicitée par des plaideurs issus de 73 pays. Comme en première instance, les parties sont généralement représentées par des avocats francophones (dont des avocats d’origine anglo-saxonne parlant très bien français), parfois accompagnés d’avocats étrangers. Les plaidoiries en anglais sont possibles, mais « il n’y a pas de demande pour cela aujourd’hui », reprend le président François Ancel. En revanche, « nous avons des auditions de parties et d’experts en anglais ».

Alors qu’au départ tous les dossiers étaient orientés vers la chambre par le greffe, désormais « des avocats demandent à ce que le dossier soit orienté vers la chambre parce qu’ils la connaissent », poursuit le magistrat. Pour cela, « il suffit qu’ils indiquent pourquoi ils veulent que l’affaire soit traitée par la chambre internationale ». Pour ce qui de l’adhésion au protocole, « au début, les parties se méfiaient un peu parce que c’était tout nouveau, mais maintenant elles adhèrent au protocole dans la majorité des cas ».

Un protocole de procédure « suffisamment souple pour s’adapter aux spécificités des dossiers », observe-t-il. Pour en faciliter encore l’appropriation, un guide pratique de procédure bilingue, commun aux deux chambres et élaboré des magistrats et des avocats, est accessible en ligne depuis novembre dernier. « Le protocole laisse beaucoup de liberté et renvoie souvent au code de procédure civile », explique-t-il. C’est pourquoi le guide rassemble en un même document les dispositions issues du code de procédure civile et celles des protocoles de procédure applicables devant les chambres.

Continuer de cultiver ses atouts

La création d’une nouvelle chambre spécialisée en appel et de protocoles ad hoc inspirés des procédures anglo-saxonnes a-t-elle permis d’atteindre les objectifs visés en termes d’attractivité de la place de Paris ? « Je crois que l’on est dans une très bonne voie pour cela. Et avec 187 affaires au rôle, je pense que l’on peut dire qu’il y avait un besoin et que la création de cette chambre répond à ce besoin. » Reste que, outre la présence à Paris d’un barreau d’affaires international et le coût très modéré des procédures françaises – une centaine d’euros au tribunal de commerce, 225 euros par partie en appel, quel que soit l’enjeu du litige –, la place de Paris doit sans nul doute continuer de cultiver d’autres atouts pour attirer le contentieux international des affaires, voire ravir une partie de l’activité juridictionnelle commerciale de Londres.

Le fait de disposer d’équipements technologiques modernes en fait partie. Pendant la crise sanitaire, les juges du tribunal de commerce de Paris ont pu assurer la poursuite de l’activité grâce notamment à la tenue d’audiences par visioconférence. À la chambre internationale, par exemple, « nous avons tenu une audience de trois heures entre Paris, les États-Unis et le Japon, avec traduction simultanée français japonais », raconte le président Christian Wiest. « Le demandeur était américain, le défendeur japonais et le litige portait sur une filiale française. Les parties étaient tout à fait satisfaites du déroulement de l’audience. » À compter de septembre prochain, le tribunal de commerce de Paris va disposer « d’une salle spécialement équipée pour l’organisation de visio-audiences, avec des cabines de traduction simultanée comme il en existe à la CJUE ». À la cour d’appel de Paris, François Ancel aimerait que la chambre internationale puisse elle aussi « disposer d’une salle équipée avec tous les moyens offerts par les nouvelles technologies, comme celle prévue au tribunal de commerce ». Cela « fait partie de l’offre de service aux parties et c’est important », dit-il.

L’émergence d’un office de juge de chambre commerciale internationale

Mais le principal enjeu reste « l’émergence d’un office du juge de chambre commerciale internationale en France », poursuit le magistrat. Car le premier vecteur d’attractivité d’une juridiction demeure la qualité de ses juges, la doctrine et la jurisprudence. D’où « la volonté de la place de Paris de spécialiser des magistrats professionnels et non professionnels » et « le choix de magistrats légitimes » aux postes de conseillers à la chambre internationale.

Pour mieux faire connaître sa chambre commerciale internationale, ses juges et sa jurisprudence, la cour d’appel de Paris y consacre plusieurs pages sur son site Internet. Présentation de la chambre (en français et en anglais et, depuis l’an dernier, en espagnol, allemand et chinois) des profils et des parcours des juges, du protocole et du guide pratique d’application, publication des décisions rendues et de résumés de celles-ci en français et en anglais, et pour certains en espagnol, allemand et chinois, calendrier des audiences, statistiques d’activité… « Cela traduit notre volonté de montrer comment nous travaillons », explique-t-il. « Nous appliquons des standards internationaux pour la rédaction des décisions, avec des paragraphes numérotés, nous rédigeons et traduisons les résumés des décisions, qui sont très vite mis en ligne… Cela représente un très gros travail pour les magistrats, mais la création d’un office de juge international en France était un des grands objectifs de la création de la chambre. »

Après Paris, Versailles

« La seule fragilité de ces protocoles, c’est qu’une autre juridiction peut s’en saisir », relève-t-il. « Une autre cour d’appel peut décider de spécialiser une chambre, ce qui serait légitime, mais je pense qu’il y aurait une réflexion à avoir pour assurer une politique cohérente en termes d’attractivité des juridictions. » Fin 2019, le président du tribunal de commerce de Nanterre a ainsi signé avec le bâtonnier des Hauts-de-Seine un protocole, très similaire à celui du tribunal de commerce de Paris, pour formaliser la création d’une chambre du contentieux international. Il s’agissait en réalité de recréer, dans la perspective du Brexit, une chambre spécialisée qui avait déjà existé à Nanterre, puis disparu. Et fin 2020, le premier président et le procureur général de la cour d’appel de Versailles ont signé avec le barreau des Hauts-de-Seine un protocole, très similaire à celui de la cour d’appel de Paris, organisant la procédure devant une chambre commerciale qui a vocation à traiter les litiges du commerce international. Le département des Hauts-de-Seine compte un grand nombre de sièges d’entreprises qui ont des activités avec l’étranger.

Qui, pour faire la promotion du dispositif ?

Faudrait-il lancer des actions pour assurer la promotion des chambres commerciales internationales de Paris ? Si les deux présidents de chambre et certains des juges participent à de nombreux colloques et évènement en France et à l’étranger pour présenter et parler de ce dispositif, il leur est difficile d’en assurer le marketing. « En tant que magistrats, nous devons garder une certaine distance dans la mesure où nous jugeons ces affaires », rappelle François Ancel. Vanter les atouts d’une juridiction, « cela relève davantage du rôle des barreaux que celui des magistrats », ajoute-t-il. Peut-être le Haut Comité juridique de la place financière, qui a préconisé la mise en place de ce dispositif, a-t-il de nouvelles propositions à faire pour donner un nouvel élan à ces chambres désormais bien installées. Un groupe de travail a en effet été constitué au sein du Haut Comité pour dresser un premier bilan et proposer des pistes d’amélioration. Son rapport devrait être publié prochainement.

 

Audience en anglais à la cour d’appel de Paris

Un grand nombre de salles d’audience ayant été réquisitionnées pour le procès des attentats du 15 novembre 2015, c’est une petite salle sombre qu’est provisoirement installée la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris – la chambre 16 du pôle 5. C’est là que s’est tenue, le 17 mai 2022 dans l’après-midi, l’audition d’un homme d’affaires allemand dans une affaire qui l’oppose à un groupe multinational originaire d’outre-Rhin également. Ce dernier conteste la validité d’une sentence rendue à Moscou en 2019 par un tribunal arbitral et qui condamne le groupe à verser 49 millions d’euros, plus les frais de justice, à son ancien partenaire commercial en Russie. Plusieurs procédures sont actuellement en cours dans différentes juridictions où l’homme d’affaires demande à faire exécuter la sentence. En France, une ordonnance d’exequatur a été rendue. La chambre commerciale internationale a été saisie d’un recours aux fins d’obtenir l’infirmation de cette ordonnance pour divers motifs – et notamment que le tribunal arbitral se serait déclaré à tort compétent.

Acceptée par le conseiller de la mise en état, l’audition de l’homme d’affaires devant la chambre commerciale internationale s’est déroulée entièrement en anglais. Après s’être d’abord exprimé librement pendant une dizaine de minutes, il a répondu aux questions des avocats et de la cour, formulées en anglais elles aussi. Il était représenté par un avocat spécialiste de l’arbitrage et inscrit aux barreaux de Paris, New York et de l’Ontario (Canada), accompagné par un avocat allemand, qui n’est pas intervenu lors de l’audience. Le groupe allemand était représenté par deux avocats du bureau de Paris de Clifford Chance, venus accompagnés par deux avocats allemands du groupe. Les parties se sont mises d’accord sur le fait de joindre au procès-verbal de l’audience une transcription de l’audition réalisée par une sténo-dactylographe, présente à l’audience.

Accès au droit : incursion dans les permanences des MJD (partie II)

V. la première partie de cet article.

 

En Champagne, permanence de l’association locale de soutien aux tuteurs familiaux, qui accompagne de près ou de loin un millier d’entre eux, entre l’Aube et la Marne voisine. « Ma sœur a mis un peu le grappin sur mon père… », entame Jean*, la soixantaine, en reprenant son souffle, « et elle s’est portée tutelle sans qu’on en soit averti ». L’intervenant est surpris : « En théorie, quand on fait une demande de mesure de protection, on est censé communiquer les identités de tous les membres de la famille », en plus de joindre le livret du même nom. Faute d’avoir été consulté, Jean a fait un courrier à la juge, « en l’informant comme quoi on n’avait pas été informé ». Dans la foulée, il a demandé à « avoir de la visibilité sur les comptes en banque », en vain : « Elle n’a de comptes à rendre qu’à votre père et à la juge », objecte l’intervenant. À l’écoute du portrait que Jean brosse de sa fameuse frangine, on se dit que les dîners de famille doivent être animés : « Depuis son mariage avec un agriculteur qui a beaucoup de terres, du jour au lendemain, elle s’est vue grande dame. Elle est prête à tout, elle est pas humaine. » En fait, aucun risque : des dîners de famille, ils n’en font plus depuis un bail, et d’ailleurs, « la dernière fois que j’ai vu mon père, qui est Alzheimer, il m’a pas reconnu ». Après de longues secondes de réflexion, Jean parvient à situer dans le temps cette dernière rencontre : « C’était il y a quinze ans. » Dégainant un Cerfa de requête, l’intervenant en arrive à la conclusion suivante : « Peut-être qu’elle vous a mentionné, mais qu’elle a précisé que ça faisait une vingtaine d’années que vous n’aviez plus de contact avec votre père, ce qui a pu conduire la juge à ne pas vous convoquer. » « C’est parce que c’est elle qui a mis des barrières ! », proteste énergiquement Jean. « Bon, au moins, j’ai un avis », poursuit-il une fois calmé, « parce qu’entendre tous les sons de cloche de partout… »

« Ne faites surtout pas de recours tout seul »

Porte de Saint-Ouen, permanence d’une avocate en droit des étrangers. « Comment vous avez entendu parler de la maison ? Par bouche-à-bouche ou… ? », lance l’avocate, avant de se reprendre dans un grand éclat de rire. Tariq a été régularisé par le travail en 2016, et sa demande de naturalisation vient d’être « refusée ». En fait, elle est ajournée à deux ans : « L’ajournement, ce n’est pas un refus, mais une chance », estime l’avocate. Ce qui chagrine Tariq, c’est la lapalissade qui tient lieu de motivation : on lui reproche d’avoir « séjourné de manière irrégulière » sur le territoire antérieurement à sa régularisation. Lui croit comprendre « de manière intermittente ». Or il le jure, il n’est jamais ressorti de France. « Alors oui, sauf que là, ça ne veut pas du tout dire ça », corrige l’avocate, « ça veut dire “de manière illégale”… »

— En plus, j’ai des récépissés avant 2016, et toutes mes feuilles d’impôt, et tout.

— Et pourquoi vous ne les avez pas données dès le début ?

— Ils ne demandent que les trois dernières années.

— Mais la liste, elle n’est pas limitative, il faut leur donner le maximum.

Tariq ne veut pas attendre les deux ans, et tient à faire un recours hiérarchique, parce que « je connais plein de gens qui l’ont eue après une contestation ». « Ne le faites surtout pas tout seul », explique l’avocate, « vous devez au moins être assisté d’un juriste, qui va vous aider à rectifier des petites choses dans votre courrier ». À l’accueil, la greffière objecte que « mes juristes ne perdront pas de temps à faire un courrier qui ne servira à rien, parce que vous contestez une chose qui n’est pas contestable. Ce sera même encore pire, parce qu’on vous reproche d’avoir été illégalement sur le territoire, et vous voulez expliquer qu’en plus, vous avez travaillé illégalement. » Finalement, c’est un écrivain public qui aide Tariq à rédiger son recours.

Dans le bureau de la « permanence notaire », Louise, invalide, explique d’une toute petite voix que son père lui a légué le droit d’usage et d’habitation d’un petit appartement du nord parisien. Dans son testament, le patriarche avait couché que, « au cas où ce legs serait contesté » par un cohéritier, elle en aurait à la place la pleine propriété. Une contestation plus tard, la délivrance de son legs ne porte pourtant que sur la moitié indivise, car un remploi n’avait pas été correctement pris en compte. Depuis, elle est donc en indivision avec sa mère. « Je ne saisis pas bien où vous voulez en venir… », l’interrompt la notaire. « Dans l’intervalle », précise donc Louise, « ma mère a fait plusieurs donations, hors part successorale, à mes frères et sœurs. Et rien à moi, parce que c’est un peu tendu dans ma famille. Du coup, je me demande si j’ai une chance de pouvoir racheter l’autre moitié un jour, parce que… j’en peux plus ». Or on ne peut pas dire que les planètes de Louise soient bien alignées : « Je suis malheureusement obligée d’attendre que ma mère décède, parce qu’elle est sous curatelle renforcée. Sauf que, maintenant, ma sœur veut me mettre à la porte, elle dit que je suis occupant sans titre. Et les autres me disent que j’aurais dû payer un demi-loyer pendant tout ce temps, ils me terrorisent avec ça depuis des années… » On commence à cerner le problème, mais l’entretien a déjà largement dépassé le temps imparti : « Il faut que vous alliez voir un avocat en droit de la famille, parce que vous n’allez pas pouvoir rester dans cette situation, ça c’est sûr. »

« Mais moi, je veux que ça passe par la justice ! »

En Champagne, la permanence de la juriste du CDAD se poursuit avec Corinne, qui a « 59, euh… 69 ans, excusez-moi ». Elle vient « par rapport à ma fille, qui m’a volée. Elle me doit 8 000 €, parce qu’elle m’a volé des chèques sur plusieurs années. C’était après la mort de mon autre fille, j’étais en dépression ». Dans un premier temps, elle a tenté une médiation : « Le médiateur lui a fait une leçon de morale, et il lui a dit de s’excuser, mais elle ne voulait pas. » Puis, devant une commission de surendettement, en 2008, sa créance a été inscrite au plan (au troisième palier), à hauteur de… 10 € par mois. Corinne pouvait ainsi espérer un remboursement au bout de soixante-dix-sept ans, soit autour de ses 110 printemps. « Mais elle n’a jamais payé », précise Corinne, « et, en plus, elle déménage tout le temps, et je n’ai pas son numéro ». Sans compter que, dans l’intervalle, « ma fille m’a demandé de lui avancer de l’argent. Je lui ai prêté 4 000 €, puis 3 000, puis 1 000. Donc on en est à seize mille en tout. Traverser tout ça, ç’a été une descente aux enfers pour moi ». Récemment, elle a fini par se décider à aller voir un huissier de justice, qui n’a bien sûr rien pu faire, pour cause de forclusion : « Le temps joue contre moi, forcément. Il m’a dit de voir avec un avocat. » « Effectivement », répond la juriste, « la seule solution, ce sera peut-être de lancer une procédure. Mais il faudra voir si ce n’est pas prescrit ».

Christine a une toute petite voix, et s’efforce manifestement d’occuper le moins possible d’espace dans la pièce : « Ben voilà, je suis mariée, et… Comment expliquer ça ? Je n’ai plus les mots. » Elle les trouve tout de même : « Mon mari, petit à petit, s’est éclipsé. Il travaille à Paris, il a emmené de plus en plus d’affaires, et maintenant, il ne vient plus du tout. Et il veut me forcer à faire un divorce à l’amiable, parce qu’il ne veut pas aller en justice. » « Effectivement, si vous êtes d’accord… », entame la juriste : « Mais moi, je veux que ça passe par la justice ! », s’indigne Christine. Elle estime s’être fait rouler dans la farine depuis le départ : « Il a tout planifié petit à petit, […] alors que moi, je me suis mariée par amour. » « C’est pour ça qu’on parle de mariage gris », rebondit son interlocutrice : « Parce qu’il n’est blanc que d’un côté. Par contre, si vous demandez, non pas un divorce, mais une annulation du mariage, il faudra apporter des éléments au juge. Là, je ne suis pas certaine que ça tienne la route, mais il faudra voir avec un avocat » « Il me dit qu’il veut se marier avec une autre femme, parce qu’il veut des enfants », explique Christine : « Moi aussi, j’en voulais, sauf que maintenant, je suis trop vieille… » La juriste poursuit : « Si l’avocat vous dit que l’annulation n’est pas possible et que vous ne voulez pas divorcer, vous n’êtes pas obligée. Mais il saisira le juge qui, à un moment ou un autre, le prononcera. Donc vous pouvez reculer l’échéance, mais c’est tout. » Christine est bien décidée à rendre à son futur ex la monnaie de sa pièce, en l’empêchant d’acquérir la nationalité française par le mariage : « Si vous ne faites que divorcer, a priori, ça ne devrait pas avoir d’incidence », lui répond la juriste, « sauf que, normalement, il faut une cohabitation, donc parlez-en à l’avocat, ça vaut le coup ! »

« Mais qu’est-ce que vous voulez que j’écrive, moi ? »

Dans le Loir-et-Cher, place au conciliateur, qui accomplit son sacerdoce depuis qu’il a pris sa retraite… il y a maintenant plus de trente ans. Il reçoit aujourd’hui Jean et Madeleine, qui ont fait démousser leur toit (6 000 €) et installer une nouvelle douche (11 000 €), sans voir la couleur de la « PrimeRénov’ » qu’on leur avait promise. Surtout, ils considèrent que le chantier n’est pas terminé, mais ils n’ont plus de nouvelles de l’entrepreneur : « C’est un menteur ! Un magouilleur ! », éructe Jean. Pourtant, l’organisme de crédit vient de commencer les prélèvements sur leur compte. Quant au chef d’entreprise, il dit ne pas comprendre ce qu’il fait là : « On a un PV de réception de chantier. Ce qui veut dire que, pour nous, le chantier, il est ter-mi-né. Je n’ai rien à me reprocher. » « Y a rien qui va dans votre truc », le coupe Jean : « Pour moi, vous êtes en train de nous baiser. » « On n’a absolument rien signé », s’insurge Madeleine, « d’ailleurs, j’étais à l’hôpital à ce moment-là ». Les regards convergent vers Jean, qui baisse d’un ton : « Enfin, euh… peu importe, hein… Une entreprise consciencieuse, même si on a signé, elle sait bien qu’elle n’a pas fini son travail, et elle revient. » « Pour moi, c’est terminé pour aujourd’hui », lance le conciliateur à l’artisan, « vous pouvez y aller ». « Je vais vous envoyer vers un avocat », explique-t-il au couple, « parce qu’à mon sens, il va falloir entamer une procédure. » Il ajoute : « Mais bon, c’est mal parti, là… »

D’autres fois, les conciliations marchent sans marcher. Comme pour cet autre couple d’octogénaires, flanqué du gendre. Jacques et Geneviève se sont offert sept volets roulants électriques en alu, pour 13 000 €, mais sont mécontents du résultat. Ils ont envoyé plusieurs recommandés, puis ont laissé passer la période covid, mais sont toujours aussi remontés. L’installateur arrive à son tour, essoufflé : « Je suis navré, je m’étais trompé… Je viens d’aller… ben… chez vous, en fait. » On en vient au cœur du problème. Certains volets sont trop larges, et accrochent ; d’autres sont trop étroits, et laissent passer le jour : « C’est normal qu’il y ait quelques millimètres de chaque côté », objecte l’entrepreneur. « Oui m’enfin là, on passe la main, quand même… », réplique Geneviève. Au bout d’une trentaine de minutes d’invectives, ils en arrivent à la conclusion que l’explication la plus plausible est que des volets aient été intervertis, et donc montés sur les mauvaises fenêtres. « Mais qu’est-ce que vous voulez que j’écrive, moi ? », tente ponctuellement le conciliateur lorsqu’il parvient à en placer une. Parce qu’ils discutent entre eux, et finissent même par convenir d’un rendez-vous sur place. « Bon, ben on y va comme ça, alors », conclut le gendre. « Bon, ben alors, je ferme le dossier », boude le conciliateur : « Je vais vous adresser une attestation comme quoi il n’y a pas eu de conciliation aujourd’hui. » « Comment ça ? », sursaute l’entrepreneur : « On vient de se concilier ! » « Mais… il n’y a rien à signer ? », s’interrogent les autres en chœur. « Non non », répond le conciliateur, en refermant son dossier : « Allez, je vais vous mettre dehors. »

« Ils vont se prendre votre plainte en boomerang »

Retour avec l’avocate. Philippe, nimbé de légers effluves de cigare, raconte ainsi de sa voix de stentor que « j’ai eu il y a des années un contrôle fiscal, qui a occasionné un recalcul d’URSSAF. Il y en avait pour 30 000 €, mais j’ai passé un accord avec l’huissier, et depuis, plus de nouvelles ». Jusqu’au début de cette année, où l’organisme a finalement réclamé le (gros) solde : « L’huissier était étonné, parce qu’il m’a dit qu’il y avait une prescription de trois ans. » Il n’a pas le souvenir d’avoir véritablement contesté les contraintes successives : « Honnêtement, j’ai dû écrire. Et puis, quand je n’ai plus eu de nouvelles d’eux, j’ai tout jeté. » À plusieurs reprises, L’URSSAF a ensuite interrompu la prescription (ici par trois ans) de justesse : « Cette prescription, elle est acquise s’il ne se passe rien, mais s’ils vous font une mise en demeure, par exemple, ça repousse. » Les négociations n’ont pas donné grand-chose : « Ils me laissent trente-six mois maxi. » « Vous n’aurez pas plus en justice », explique l’avocate, « vous aurez même moins, puisque les délais de paiement, c’est vingt-quatre mois au maximum ». Elle lui conseille de convenir amiablement d’un échéancier: « Vous ne pouvez pas étaler sur vingt ans non plus, il faut leur proposer un truc raisonnable… » En remballant sa pochette, il ajoute : « J’ai eu plusieurs contrôles fiscaux, en plus. À chaque fois, ça m’a coûté un appartement… »

Magali a un enfant en bas âge sur les genoux, mais il l’empêche d’ouvrir sa pochette, alors elle le refile au vieil homme à béret qui les accompagne. C’est Louis, le père de Magali. Il a « acheté » la maison d’une voisine, pour 10 000 €. Plus exactement, le petit-fils de cette dernière lui a fait une promesse de vente sur papier libre. Et puis, « elle a eu des problèmes d’argent, donc elle a demandé à mon père de commencer à payer ». Ont suivi plusieurs autres versements, toujours contre signature. « Mais vous n’avez jamais rien formalisé devant un notaire ?! », sursaute l’avocate. Non, mais cela n’a pas empêché Louis de faire des travaux dans « sa » maison : par exemple, de remplacer un vieux ballon d’eau chaude. « Mais il y a un mois, la voisine m’a dit que la maison avait été vendue à quelqu’un d’autre », lance Magali, avant d’ajouter : « Les gendarmes n’ont pas voulu prendre notre plainte. Ils nous ont dit que les voisins seraient peut-être dans la merde, mais que nous aussi, et que le procureur nous condamnerait autant qu’eux. » L’avocate secoue la tête de gauche à droite, en levant les yeux au plafond : « Pour moi, c’est une escroquerie. Il vous vend une maison qui n’est pas à lui, le papier n’est pas valable pour une vente mais ça reste un acte sous seing privé, et il prend votre argent, donc bon… » Quoi qu’il en soit, elle leur conseille de chercher, dans les locaux de la gendarmerie, l’affiche « Charte de l’accueil », puis l’article cinq, et de le montrer à leur interlocuteur : « Ils sont obligés de la prendre. Sinon, vous écrivez directement au procureur, en mettant bien les copies des… trucs. Ils vont se prendre votre plainte en boomerang, avec un joli papier “soit-transmis” qui leur fait rarement plaisir. » « On va y retourner tout de suite, et puis leur dire qu’on sort de chez vous », conclut Magali.

« Tuer quelqu’un, c’est simple »

Remontons enfin à Paris. À la permanence droit du travail, c’est au tour de Nacera, qui a gardé les enfants successifs d’un couple à leur domicile, avant d’y faire un peu de ménage à mesure que ceux-ci quittaient le nid. À force de réclamer, elle a réussi à obtenir ses fiches de paie des trois dernières années, mais toujours rien pour les dix-neuf précédentes. Elle a fini par refuser de travailler, et vient de recevoir un courrier constatant son abandon de poste.

— Est-ce que vous avez toujours été déclarée ?

— Elle m’a toujours donné des chèques.

— Oui, mais est-ce qu’elle vous a déclarée aux caisses ?

— Comme elle me donne des chèques, pour moi, je suis déclarée.

— Mais vous êtes allée voir votre caisse de retraite ?

— Oui. Ils n’ont rien.

L’avocate fait la moue : « Ce que vous pourriez faire, c’est aller à l’inspection du travail, parce qu’ils pourront peut-être faire un courrier qui lui fera peur. Soit vous êtes déclarée, et le seul problème, c’est la remise des bulletins. Soit vous ne l’êtes pas, et c’est du travail dissimulé. » Nacera sursaute : « Pour elle ou pour moi ? » « Pour elle », la rassure l’avocate, « d’autant que vous, vous avez bien déclaré ces revenus. » Elle poursuit : « Vous pourrez même déposer une plainte pénale contre elle, mais vous aurez sans doute intérêt à demander des dommages-intérêts, parce que même si une régularisation était faite, je ne sais pas si la caisse en tiendrait compte. » Nacera ne semble guère convaincue, et finit par lâcher : « C’est que… son mari est avocat, et il m’a dit qu’il allait porter plainte. » « Alors non », rectifie la consœur amusée, « c’est contre lui qu’on va déposer plainte. En plus, quand il y a une procédure contre un avocat, on doit en informer notre ordre professionnel, et ça aussi, ça peut faire pression sur eux… »

Chez le Défenseur des droits, Linda est persuadée de payer trop d’impôts, et ne veut pas en démordre : c’est forcément (encore) un sale coup de son ex-mari. En fait non, c’est juste la conjonction du prélèvement à la source et d’un changement de tranche : « Elle est mal tombée, je suis fiscaliste, c’est mon métier », lâche le délégué en aparté. Norbert, lui, a une question à laquelle seul Pôle emploi serait en mesure de répondre. « Il faut que vous preniez rendez-vous avec votre conseiller, parce qu’il faut avoir accès à votre dossier pour pouvoir vous dire à quoi vous avez droit exactement », explique le DDD : « Par contre, si vous n’arrivez pas à en avoir un, revenez me voir. » Et le même d’ajouter, une fois la porte refermée : « Beaucoup savent pertinemment qu’ils n’ont pas raison, mais ils viennent nous voir pour pouvoir raconter ensuite qu’on leur a dit que… C’est pour ça qu’on est très prudent. » Vient le tour de Pierre, qui a couru comme un dératé et peine à reprendre son souffle. S’il est ici, c’est parce qu’il est mort. Il l’a appris vers Pâques, par un courrier adressé à sa succession : « Au début, ça m’a fait rire. Et puis, j’ai été radié de la sécurité sociale. Puis de la caisse de retraite. Personne ne comprend d’où ça vient, mais j’aimerais bien descendre de la croix, moi. » Erreur ou malveillance… Vu son parcours de vie rocambolesque, et accessoirement le nombre de ses créanciers, il ne semble pas inenvisageable que Pierre ait pu lui-même chercher à disparaître des radars, avant de retrouver pris à son propre piège. On ne le saura sans doute jamais et, à vrai dire, peu importe. « Tuer quelqu’un, c’est simple, mais le ressusciter, c’est plus compliqué… », philosophe le DDD pendant que le mort-vivant cherche dans son sac à dos le certificat de vie qu’il vient d’aller faire contresigner à la mairie. « L’urgence, c’est la réactivation de votre pension », ajoute le même, « pour que vous puissiez vivre ». « Je ne vous le fais pas dire… », sourit Pierre.

 

* Tous les prénoms et certains détails ont été modifiés.

Accès au droit : incursion dans les permanences des MJD (partie I)

V. la seconde partie de cet article.

 

À Troyes (Aube), la maison de la justice et du droit (MJD) est à peine excentrée : elle est plantée quasiment dans l’ombre de la cathédrale du XIIIe siècle, non loin d’une maison à colombages comme la ville en compte des centaines, et à même pas deux kilomètres du tribunal judiciaire. Comme toutes les MJD, elle est aux couleurs du ministère de la Justice. Mais concrètement, c’est un groupement d’intérêt public, le conseil départemental d’accès au droit (CDAD) qui, au travers d’une subdélégation de service public, fait intervenir juristes, associatifs, avocats, etc. Ici comme ailleurs, on trouve également un délégué du procureur (DPR), qu’on laissera un peu de côté puisque, par définition, ce ne sont pas les justiciables qui sont à l’initiative de la rencontre.

Une première permanence, généraliste, est justement assurée par une juriste du CDAD. Sur le listing, il est indiqué Mickaël* « souhaite connaître les démarches pour dénoncer un mariage blanc ». « Je vis en concubinage, mais elle est déjà mariée, avec son frère », commence le trentenaire sous le regard un peu perdu de son interlocutrice, « parce qu’en fait, son frère, c’est son cousin ». « Hmm, d’accord », ponctue régulièrement la juriste, sans conviction, en se tassant progressivement dans son siège. Le cas pratique finit tout de même par prendre forme : « En fait, c’est pour voir ma fille, parce qu’elle ne veut pas me la donner. Elle dit que je ne participe pas financièrement. Je dois lui faire un virement de 50 € pour qu’elle me la donne, une journée. » « Ce sont deux choses différentes », précise la juriste : « Il faut contribuer aux charges, mais vous n’avez pas besoin de payer pour voir votre enfant. Vous avez droit à un maintien des liens, mais effectivement, avant d’avoir un jugement, c’est un peu bancal. »

— Sauf que le juge m’a dit qu’il abandonnait, qu’il en avait marre…

— Et quel jugement a été rendu, du coup ?

— Il m’a mis qu’il fallait ressaisir le juge aux affaires familiales.

— Ah, donc c’était le juge des enfants ?

— Voilà.

— Bon, ben vous allez être bon pour faire un deuxième dossier pour l’aide juridictionnelle. Y a pas le choix.

« On va voir dans le journal qu’un homme a pété les plombs devant une CAF… »

« Et donc, vous avez un problème avec qui ? », demande un peu plus loin la conciliatrice à Karim, qui réfléchit quelques secondes avant de répondre, non sans une certaine morgue : « J’ai divers problèmes actuellement. Je suis d’un milieu assez modeste, je mène ma vie assez péniblement et difficilement, et le président Macron… » « Alors, on va en venir au litige, Monsieur », le coupe la conciliatrice. En fait, on était en plein dedans, puisque tout a démarré avec l’annonce d’une « indemnité inflation » de 100 €. « Voyant mes réserves vides, mais devant faire des courses pour la petite », Karim a cherché à récupérer ce modeste pécule. Il s’est donc rendu en agence mais, « victime d’une perte d’identité », comprendre de la carte du même nom, « je me suis présenté avec [le récépissé de] déclaration. Sauf que je me suis retrouvé dans un litige commercial, ils ont appelé la police, et je vais aller devant le juge pour une vexation que j’aurais faite… » On croit comprendre qu’il serait question d’une tentative d’extorsion.

— En plus, la banque a clôturé mon compte.

— Mais ce n’est pas du ressort du conciliateur.

— Ben justement, j’avais demandé à ne pas avoir un conciliateur.

Le jeune homme monte en pression, et en vient à lâcher : « Après, on va voir dans le journal qu’un homme a pété les plombs devant une CAF… » Pas rassurée outre mesure, la conciliatrice va chercher le délégué du procureur dans le bureau voisin. Karim proteste : « Je me suis pas énervé, j’ai juste une éloquence un peu véhémente. » Il explique que, sans accès à son compte, il ne peut pas faire de photos d’identité ; et que, sans carte d’identité, il ne peut pas ouvrir de nouveau compte. « La pauvreté, elle m’a mise dans un cercle vicieux », conclut Karim : « Moi je me suis braqué maintenant, ça y est. C’est peine perdue pour moi, en fait. Toutes les démarches que j’ai faites, on m’a menacé d’appeler les policiers. » Il se lève et lance sèchement : « Au revoir, et merci ! Enfin, c’est ironique, mais bon, merci. »

« On lui souhaite une longue vie quand même, hein ! »

Dans le XVIIe arrondissement parisien, les justiciables ne convergent pas seulement vers le tribunal des Batignolles. On en croise aussi du côté de la Porte de Saint-Ouen, dans l’une des trois MJD que compte la capitale. Aujourd’hui, c’est « permanence notaire ». Jean-Pierre se « pose des questions » sur la future succession de sa belle-mère. Il sait qu’il y aurait des choses à faire pour optimiser la transmission avant qu’il ne soit trop tard. D’ailleurs, avec sa compagne, « on est allé la voir plusieurs fois, mais elle a dit que ça ne valait plus le coup ». Il faut dire qu’elle est « un peu têtue », et « aussi un peu méfiante, quand même ». « Ah oui, les personnes âgées, des fois… » répond la notaire, imperturbable. Jean-Pierre a déjà tout calculé, au centime près, et fait toutes sortes de simulations : « Ben oui, elle peut faire ça… Mais est-ce qu’elle veut ? », lui rétorque-t-elle à l’occasion. « Moi, je n’ai jamais pu parler à ma mère de tout ce qui était argent », ajoute-t-elle, « mais si elles arrivent à en parler, il faut qu’elles discutent ensemble. Et évidemment, si elles arrivent à en liquider un peu, c’est mieux. Il faut lui expliquer qu’il serait dommage que l’État garde son argent ». Pour le moins clinique, la lecture que Jean-Pierre fait de la situation sent tellement le sapin pour belle-maman que la notaire se sent obligée de préciser : « Enfin bon, on lui souhaite une longue vie quand même, à cette dame, hein ! »

Alexandre, quant à lui, vient sur les conseils de la chambre des notaires, avec des questions sur la loi Elan. Il cherche à vendre son appartement, auquel il a réuni des combles « récupérées par AG en jouissance exclusive il y a vingt ans ». Or « la surface Carrez a été prise sur l’ensemble ». « Ah ben oui mais non ! », se marre la notaire. « Sans rentrer dans le détail, je vais vous dire un truc tout simple », poursuit-elle : « Soyez clair dès le départ, trouvez un acquéreur qui veuille absolument le bien et qui le prenne en l’état. Mais faites la promesse chez un notaire, pour qu’il bétonne l’acte. Parce que sous seing privé, dans une agence, ils ne le feront pas bien. » Alexandre est rassuré, mais « le notaire, il ne peut pas refuser, en disant que ce n’est pas d’équerre ? » « Alors oui, c’est sûr, certains vont refuser », répond-elle avec un sourire entendu, « mais vous en trouverez toujours un qui ne refusera pas ».

« Elle ne se plaint pas, mais je vois bien qu’elle est épuisée »

Dans un bureau voisin, une avocate assure une permanence en droit du travail. Et reçoit Samba, « bientôt 35 ans, enfin je crois ». Il travaille « au planning », qu’il reçoit chaque fin de semaine pour la suivante. Depuis quelque temps, son employeur l’envoie aux quatre coins de l’Île-de-France, pour des missions dont la durée, dans le meilleur des cas, excède à peine le temps de transport aller-retour. Il pense être le seul dans ce cas, mais ne connaît pas les plannings de ses collègues et ne veut surtout pas leur en parler. Épuisé, il a fini par refuser son dernier emploi du temps : l’employeur vient donc de le convoquer en vue d’une sanction disciplinaire, tout en lui indiquant oralement que, « si vous voulez démissionner, moi, ça ne me dérange pas ». « Mon sentiment », analyse l’avocate, « c’est qu’ils cherchent à vous faire partir. Mais vous êtes un peu pris au piège, parce que ces plannings, ils sont conformes à votre contrat, ils ne portent pas atteinte à votre droit au repos, et vous ne pouvez pas démontrer qu’ils ne concernent que vous. Donc vous n’avez pas vraiment de motif légal de refuser, c’est une forme d’insubordination ». Partir, Samba n’a rien contre, au demeurant. « Par contre, il ne faut surtout pas démissionner », précise l’intervenante, « mais peut-être que vous pourriez faire une rupture conventionnelle, qui donne droit à une petite indemnité ». Samba n’arrive pas à retenir le nom, alors elle griffonne sur un coin de feuille : « Rupture conventionnelle ».

Caroline, pour sa part, est venue pour sa mère, femme de ménage. Longtemps, elles ont été plusieurs à travailler dans les locaux, mais il ne reste plus qu’elle, alors « elle est sous l’eau. Ce n’est pas quelqu’un qui se plaint, mais moi, je le vois bien, qu’elle est épuisée ». « Si elle estime qu’elle a une charge de travail trop importante pour une seule personne », explique l’avocate, « elle peut parfaitement demander un entretien avec son responsable ». Sinon, « elle a aussi le droit de solliciter d’elle-même, sans que son employeur soit averti, le médecin du travail. Il peut préconiser certaines choses, parce que l’employeur, il a quand même une obligation d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés. Mais bon, si elle y va, il ne faut pas qu’elle dise que tout va bien, hein ». Caroline ne semble pas convaincue, mais après un petit temps de réflexion, elle ajoute : « Il faudrait peut-être seulement que je la pousse un peu… » « Par exemple, on pourrait parfaitement imaginer », reprend l’intervenante, « que le médecin du travail dise qu’elle ne peut pas monter plus de X étages, ce qui contraindrait l’employeur à prendre une autre personne, à temps partiel, pour faire les étages supérieurs ». Pendant que Caroline se dirige vers la porte, l’avocate ajoute : « Après, si elle est vraiment trop fatiguée, elle se met en congé maladie, ça arrive à plein de gens, hein. »

« Avec les tribunaux, on ne peut jamais savoir »

C’est à une trentaine de minutes de marche du centre-ville de Blois (Loir-et-Cher) que se trouve notre troisième MJD, dont les intervenants assurent également des permanences à Vendôme et Romorantin. Posée dans un quartier-dortoir essentiellement animé par la présence d’une mosquée et d’un petit café, cette « maison » est en fait un appartement, au second étage d’un petit immeuble qui accueille également des cabinets médicaux ou des associations d’insertion. La greffière est une stakhanoviste des petits livrets d’information thématiques, très bien fichus, dont débordent les présentoirs de la salle d’attente. Mais entrons dans une première salle. Une avocate y tient une permanence généraliste, facturée 10 € pour couvrir partiellement les 252 € de la vacation de l’auxiliaire de justice.

Entre un couple de petits vieux, accompagné d’un énorme dossier. Ils prennent chacun leur histoire par un bout, et la déroulent en parallèle, jusqu’à ce que Jacqueline pose une main autoritaire sur l’avant-bras de Marcel : « On ne va peut-être pas parler en même temps ! » Ils sont « enfumés jour et nuit » par la cheminée de leur voisine : « Il y a plein de bistre et de suie partout. Elle est à trois mètres de notre aération, et visiblement, il en faudrait six ». C’est « un mec qui monte des cheminées » qui leur a dit. Ils ont d’ailleurs imprimé le texte en question, sauf qu’il ne concerne que « celui qui veut construire… » : « Ça ne parle pas de la mise en conformité d’une installation existante », souligne l’avocate. « Mais il ne faut pas nuire à ses voisins », assène Marcel : « Sauf que vous ne pouvez pas non plus la contraindre à l’impossible », relativise son interlocutrice. « Tout ça, c’est quand même bon pour nous ! », s’enthousiasme l’homme. « Avec les tribunaux, on ne peut jamais savoir », répond l’avocate : « En tout cas, il faut d’abord passer par une conciliation, c’est obligatoire ». Lorsqu’ils tournent les talons, l’avocate intercale à notre attention : « Parfois, les gens ne veulent pas comprendre qu’il n’y a juste rien à faire, si ce n’est trouver un compromis. Et souvent, ils sont tellement sûrs de leur coup qu’ils ne se ménagent même pas la charge de la preuve. »

« Vous pensez que je dois lui mettre la pression ? »

Dans le bureau voisin se trouve un juriste du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). « Ma femme et moi, on ne se parle plus beaucoup », explique par la suite Christophe en se grattant la tête : « Elle est partie avec une femme depuis plusieurs mois, et je commence à en avoir marre d’attendre qu’elle revienne, donc je veux lancer une procédure de divorce. » « Votre avocat peut écrire à madame pour proposer un divorce par consentement mutuel », explique l’intervenant, « sinon, vous partirez sur un divorce contentieux ». La liquidation du régime pourrait réserver quelques surprises à Christophe, notamment parce qu’ils disposent de « deux comptes joints, chacun le sien. D’ailleurs, elle met le sien à découvert exprès pour qu’on vienne me demander à moi ». Mais aussi parce que « notre maison, je l’ai construite moi-même, sur un terrain qui est à mon nom, sauf que le prêt a continué après le mariage », et qu’il l’a remboursé depuis « son » compte joint. Suivent d’autres montages un peu baroques, mais rien d’inextricable. Pourtant, au fil de l’entretien, on comprend que Christophe cherche surtout de bonnes raisons de ne pas pouvoir aller au bout de sa démarche. Comme son interlocuteur ne lui répond visiblement pas ce qu’il a envie d’entendre, il finit par lui faire dire ce qu’il n’a pas dit : « Du coup, vous pensez que je dois lui mettre la pression pour qu’elle revienne ? » Drôle de question, surtout lorsqu’on la pose à un organisme aussi fondamentalement féministe. « Alors non, ça ne se fait pas », s’agace l’intervenant, en faisant les gros yeux : « Ça peut donner lieu à indemnisation si c’est reconnu comme une faute, mais c’est tout. Les gens, ils partent, ils partent, c’est comme ça, ça fait partie des libertés. »

Au fond du couloir, permanence de la Ligue des droits de l’homme (LDH). « J’ai une situation avec la préfecture », franglise Moussa, « dubliné » d’une trentaine d’années. Patiemment, l’intervenante essaie de démêler son dossier, mais à chaque fois qu’elle termine ses explications, il change de version. On en est à la troisième lorsque Moussa lâche : « Alors… je ne vous ai pas tout dit. Je vais vous expliquer exactement ce qu’est la vérité… » « À mon avis », l’interrompt-elle, « à la préfecture, ils en ont long comme ça sur vous, faut pas rêver ! Les cas compliqués comme vous, ça passe quand même mieux quand c’est présenté par un avocat. » Moussa cède la place à Charifa, qui cherche à obtenir une carte de séjour pour sa mère : « On a fait une première demande, refus… Une deuxième, refus… une troisième, refus… » Elle cherche donc des conseils pour mieux tourner la quatrième.

— Quelle raison ils ont donné, pour le refus ?

— Ils ont dit qu’elle avait un visa touriste, alors qu’il aurait fallu un visa long séjour.

— On sait très bien qu’aucun consulat n’en délivre.

— Mais… Pourquoi ils demandent ça, alors ?

« J’ai envie de vous dire de toucher du bois »

Retour en Champagne, pour une permanence du délégué du Défenseur des droits (DDD), compétent en cas de discriminations, mais aussi pour tous les litiges avec les administrations et, plus largement, les services publics. Le listing des rendez-vous évoque des « contraventions » : « J’imagine que c’est un problème de carte grise qui n’a pas été transférée… », tente-t-il. Bingo. « Vous êtes mon dernier espoir, parce que j’ai été con, mais alors vraiment très très con », s’autoflagelle Christian. « Je l’ai vendue sur internet », entame-t-il. « Bien sûr », répond le délégué.

— Il m’a payé en liquide.

— Bien sûr.

— Il m’a dit qu’il reviendrait le lendemain pour les papiers.

— Bien sûr.

— Et je n’ai plus eu de signe de vie.

On attend le « bien sûr », qui ne vient pas, mais toujours est-il que les contraventions s’accumulent : Christian en règle d’ailleurs certaines. Comme le délégué a quelques talents de divination, il continue tout seul : « Et puis, vous avez voulu porter plainte, et on n’a pas voulu la prendre. » Christian confirme, et ajoute que le dossier qu’il a patiemment monté en ligne (sur le site de l’ANTAI) a été déclaré irrecevable… faute de plainte. Son interlocuteur hausse les épaules : « Malheureusement, vous n’êtes pas le premier. On est trois sur le département, et on a bien dû avoir une trentaine de cas identiques. » « J’ai envie de vous dire de prier le Bon Dieu, et de toucher du bois », poursuit le même : « Peut-être qu’il s’est planté avec, ou qu’il l’a revendue… À part croiser la voiture par hasard et foutre une bombe dessous… Si j’avais la solution, je la ferais payer, et je serais riche. » C’est finalement le délégué du procureur, ancien policier, qui trouve la solution : un coup de fil au gradé du commissariat du coin. « Je préfère t’appeler avant, pour ne pas qu’il se fasse shooter une deuxième fois… », glisse-t-il à son correspondant. Dès le lendemain, Christian pourra déposer la plainte que jamais personne n’aurait dû refuser de prendre.

Arrive Louisa, qui commence à détailler sa procédure de divorce. « J’ai un problème », l’interrompt le DDD, « j’ai vu votre ex-époux ! » Il tourne les pages d’un cahier à grands carreaux, puis le referme : « C’est bon, il n’y a rien de confidentiel. » Louisa lui tend l’arrêt d’appel, et il se cogne la lecture à mi-voix de l’ensemble de la décision. Au bout de plusieurs minutes, enfin arrivé au dispositif, il ponctue : « Bon, ben c’est la copie conforme du premier jugement, quoi. » Le problème, c’est que, pendant de nombreux mois, l’ex-mari de Louisa n’a versé ni prestation compensatoire ni pension alimentaire pour leur progéniture. La caisse d’allocations familiales (CAF) a commencé à procéder au recouvrement, et donc au versement sur le compte de Louisa, mais c’est alors que son ex a entrepris de lui faire en direct des virements mensuels du même montant. Louisa a considéré que cela couvrait les mois de retard, ce que plusieurs interlocuteurs de la CAF lui ont d’ailleurs confirmé. Mais l’organisme y voit un trop-perçu, dont il exige le remboursement. Au fil des mois, l’entremêlement d’interventions humaines et d’opérations automatisées a achevé de transformer les comptes en sac de nœuds : « Et comme d’habitude, vous ne les avez eus que par téléphone ou internet, et il n’y a aucune trace de rien… » Une fois, Louisa a en fait réussi à échanger avec un être humain en chair et en os : une femme brune qui lui a promis de la rappeler sous quarante-huit heures. C’était il y a des semaines. « Je regarde ça, je les appelle et je vous tiens au courant. »

 

* Tous les prénoms et certains détails ont été modifiés.

Responsabilité décennale : absence d’obligation contractuelle de saisine préalable du conseil régional de l’ordre des architectes

La garantie légale consacrée par l’article 1792 du code civil prévaut sur les clauses du contrat de maîtrise d’œuvre. Dans la décision rapportée, la troisième chambre civile remet en évidence cette primauté.

Absence de saisine préalable obligatoire : fin de non-recevoir s’imposant au juge

Dans un arrêt rendu le 23 février 2021 (Orléans, ch. civ., 23 févr. 2021, n° 19/00489), la cour d’appel d’Orléans a rejeté la demande de Mme Y, tendant à engager la responsabilité décennale de son maître d’œuvre, la société Neodomus, ainsi que celle de l’assureur de celui-ci, la Mutuelle des architectes français (MAF). En l’occurrence, le contrat d’architecte contenait une clause de conciliation préalable obligatoire, subordonnant toute action en justice du maître d’ouvrage à la saisine du conseil régional de l’ordre des architectes.

Ainsi, sur ce fondement et alors même que la requête était introduite au titre de l’article 1792 du code civil, les juges d’appel ont fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par les défendeurs, en déclarant irrecevable l’action en réparation.

Mme Y a contesté cette décision devant le juge du droit.

Absence de saisine préalable obligatoire : inopposabilité de la fin de non-recevoir concernant les désordres de nature décennale

Par le biais d’une cassation partielle, la haute juridiction maintient sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le manquement à une obligation contractuelle de saisine préalable pour avis du conseil est licite et opposable au maître d’ouvrage. Ce dernier ne pourra régulariser son erreur en cours d’instance (v. par ex. Civ. 3e, 16 nov....

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Loi applicable à l’obligation alimentaire d’un enfant enlevé

Les circonstances à l’origine de cette affaire sont très simples.

Un couple de ressortissants polonais résida au Royaume-Uni et y eut deux enfants. Par la suite, la mère décida de s’installer en Pologne avec les enfants, malgré l’opposition du père, qui resta au Royaume-Uni.

Deux actions en justice furent alors engagées, l’une par la mère, l’autre par le père.

D’une part, la mère obtint d’un juge polonais la condamnation du père au paiement d’une pension alimentaire, sur le fondement de l’article 3 du protocole de La Haye, du 23 novembre 2007, sur la loi applicable aux obligations alimentaires qui dispose qu’en principe, « la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires » (art. 3, § 1) et qu’« en cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi de l’État de la nouvelle résidence habituelle s’applique à partir du moment où le changement est survenu » (art. 3, § 2). Ce juge accorda cette pension en application du droit polonais, après avoir retenu que la résidence habituelle des enfants se trouvait en Pologne.

D’autre part, le père obtint d’un autre juge polonais une injonction dirigée contre la mère de lui remettre les enfants, au motif que leur résidence habituelle se trouvait, avant leur retenue illicite en Pologne, au Royaume-Uni. Ce juge statua au regard des dispositions de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, qui énonce notamment, par son article 12, que, « lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat ». Néanmoins, la mère ne respecta pas cette injonction.

Ces quelques éléments permettent de cerner immédiatement la difficulté soulevée par cette...

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Pas d’hospitalisation sous contrainte d’un mineur sur décision d’un directeur d’établissement

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provencele 25 mai 2022

Civ. 1re, avis, 18 mai 2022, B+R, n° 22-70.003

Si les soins psychiatriques sans consentement ont fait l’objet récemment d’une actualité brûlante, c’est surtout sous l’angle des mesures connexes que sont l’isolement et la contention (Décr. n° 2022-419 du 23 mars 2022, JO 25 mars, Dalloz actualité, 29 mars 2022, obs. C. Hélaine). Les différentes abrogations en série de ces corps de règles pourraient presque faire occulter les autres difficultés de cette matière qui n’est pas connue pour être une terre de simplicité. La question de la nouvelle législation de l’isolement et de la contention ainsi que ses modalités pratiques étant désormais réglée – bien que subsistent nombre des difficultés sur le terrain qui ne pourront pas perdurer – d’autres problèmes mis de côté rejaillissent. L’une de ces incertitudes réside sur l’application des soins psychiatriques sans consentement aux mineurs. Sur le principe, la question est réglée par les textes du code de la santé publique. Le mineur peut être hospitalisé sous contrainte à l’initiative des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale ou du tuteur (CSP, art. L. 3211-10 et L. 3211-1, al. 1er, sur décision de placement prise par le juge des enfants en assistance éducative ou par le procureur de la République, sur décision du représentant de l’État dans le département (CSP, art. L. 3213-1) ou encore sur décision de la chambre de l’instruction ou d’une juridiction de jugement prononcée à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Mais ces hypothèses énumérées par le code de la santé publique peuvent faire apparaître une question lancinante. Une décision du directeur d’établissement peut-elle conduire à une telle hospitalisation d’un mineur, sur le fondement du droit commun en la matière à savoir l’article L. 3212-1 du code de la santé publique ? C’est la question posée dans cet avis rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 mai 2022. La réponse donnée est promise à une publication maximale, c’est-à-dire au Bulletin, aux Lettres de chambres mais également au très prestigieux Rapport annuel de la Cour de cassation. Voici donc une décision importante qui, même si elle ne lie pas la juridiction ayant saisi la Cour eu égard à l’article L. 441-3 du code de l’organisation judiciaire, devra nécessairement être prise en compte pour éviter une future et probable cassation pour violation de la loi en cas de recours.

À l’origine de la demande d’avis, on retrouve une...

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Les notaires peuvent procéder à l’adjudication de parts sociales

La question du pouvoir de procéder à l’adjudication n’est pas fréquente devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Généralement, les problèmes sont rapidement résolus en raison de la précision des textes sur le sujet. Mais, parmi les zones d’ombres laissées par les dispositions en vigueur, se trouve l’adjudication des parts sociales. Pour celles-ci, la doctrine était jusqu’à l’arrêt commenté particulièrement divisée : qui des huissiers de justice ou des notaires étaient compétents ? Le silence des textes laissait songer soit à un pouvoir partagé soit à un pouvoir exclusif de l’un d’eux (A. Leborgne, Droit de l’exécution, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 716, n° 1578). L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 19 mai 2022 met fin au débat en prenant clairement position pour une compétence partagée. L’arrêt n’étonnera guère car beaucoup d’auteurs s’étaient prononcés en ce sens ces dernières années (v., pour un exposé des positions de chacun, Rép. sociétés, v° Saisie de droits sociaux et de valeurs mobilières, par P. Théry, nos 102 s.).

Positionnons le problème de l’arrêt du 19 mai 2022 en rappelant les faits ayant donné lieu au pourvoi. Une personne est condamnée par jugement du 8 avril 2014 au paiement d’une certaine somme d’argent au profit d’une société. La société créancière décide de recourir à une saisie des parts sociales détenues par le débiteur condamné. La vente par adjudication de ces parts a été réalisée au profit d’une autre personne physique le 8 décembre 2017 par la chambre départementale des notaires de la Somme. Voici que le débiteur mécontent de s’être vu saisir ses parts sociales intente une action en justice pour annuler les...

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Éric Dupond-Moretti maintenu à la Chancellerie avec sursis

La nomination d’Éric Dupond-Moretti avait été la principale surprise du gouvernement Castex. Son maintien est celle du nouveau gouvernement Borne. Beaucoup pariaient sur son départ. Son cabinet s’était d’ailleurs largement dépeuplé ces dernières semaines. Mais il a finalement été maintenu à son poste.

Hier dans un entretien au Journal du Dimanche, Élisabeth Borne justifiait son maintien par son bon bilan budgétaire et par les États généraux de la justice « il était important qu’il puisse recevoir les conclusions de ces travaux et engager rapidement leur mise en œuvre ». Une argumentation passe-partout, pas totalement convaincante.

Un procès pour un ministre en exercice ?

À la nomination de Dupond-Moretti, l’Union syndicale des magistrats avait parlé de « déclaration de guerre ». Elle l’a ensuite menée, portant plainte avec d’autres syndicats pour prise illégale d’intérêts dans différents dossiers où le garde des Sceaux a sollicité des inspections dans des affaires où il avait précédemment été avocat. L’une des plaintes a été classée sans suite, mais ses demandes d’enquête administrative dans l’affaire des fadettes du PNF et contre l’ancien juge Édouard Levrault à Monaco ont abouti à une mise en examen pour prise illégale d’intérêts. Il y a deux semaines, François Molins a communiqué pour indiquer qu’il demandait le renvoi du ministre devant la Cour de justice de la République (CJR). Ce sera à la commission d’instruction de la CJR de décider s’il y a procès. Une situation inédite.

La guérilla juridique menée par les syndicats de magistrat a profondément agacé les responsables politiques. « Ce n’est pas aux magistrats de choisir leur ministre » est une parole qui revient souvent chez les élus de la majorité, mais parfois aussi auprès de parlementaires d’opposition. Le maintien d’Éric Dupond-Moretti à la Chancellerie est une manière de signifier que, pour le président de la République, le pouvoir de choisir un ministre reste au politique. Quitte à créer un conflit malsain au cœur de nos institutions.

Les chantiers à venir

Maintenu à son poste malgré sa situation judiciaire et des relations exécrables avec la magistrature, reste à savoir ce qu’Éric Dupond-Moretti pourra faire. Le ministre va déjà devoir recomposer son cabinet, qui sera dirigé par l’ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État, Jean-Denis Combrexelle. Le rapport des États généraux de la justice devrait prochainement être remis au ministre. Certains éléments ont déjà été dévoilés par les journaux L’Opinion et Le Figaro, mais le collège n’a pas toujours été en mesure d’aboutir à des solutions consensuelles.

Parmi les chantiers à venir : le défi budgétaire. Au cours de la campagne, Emmanuel Macron a indiqué qu’il s’engageait, d’ici 2027, à la création de 1 000 postes de magistrat, 2 500 greffiers, 2 500 juristes constitués en équipe auprès des magistrats, et 2 500 agents en soutien.

La confirmation d’Éric Dupond-Moretti garantit le maintien de plusieurs réformes dont la mise en œuvre sera délicate, dont l’encadrement dans le temps des enquêtes préliminaires et la suppression des aménagements de peine automatique. Cette mesure risque d’être inflationniste, à un moment où les maisons d’arrêt débordent (taux d’occupation de 139 % au 1er avril) et alors que le moratoire sur l’encellulement individuel prendra fin en décembre. La loi Belloubet se donnait cinq ans pour se conformer à ce principe qui a plus d’un siècle. Mais, plutôt que de le respecter, des parlementaires ont déjà demandé l’abandon de l’objectif de l’encellulement individuel en maison d’arrêt (Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. P. Januel). Par ailleurs, une fois le programme de 15 000 places de prison achevé, les créations de places devraient se concentrer sur la semi-liberté et le placement extérieur.

Parmi les chantiers judiciaires : la réforme de la carte et du statut des cours d’appel, la réécriture du code de procédure pénale pour le rendre plus simple, lisible et cohérent et une refonte de la politique de la protection de l’enfance. Ce chantier relèvera de la magistrate Charlotte Caubel, ancienne directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui a été nommée secrétaire d’État chargée de l’enfance, auprès d’Élisabeth Borne.

Dans le précédent quinquennat, la réforme constitutionnelle n’a pu aboutir. Si ce chantier relèvera partiellement d’Olivier Véran, ministre des Relations avec le Parlement à qui a été confiée la « Participation citoyenne », deux propositions reviennent constamment depuis dix ans : la nécessité de revoir le statut du parquet, et la suppression de la cour de justice de la République. Ces points pourraient aboutir, à condition de trouver un accord entre députés et sénateurs. Mais qui des deux, entre le ministre et la CJR, supprimera l’autre en premier ? 

Appel au boycott des produits israéliens : le juge du fond, protecteur de la liberté d’expression

Lyon, 4ech. corr., 5 mai 2022, MP c. J. Z., n° 21/01449

Lancé en 2005 par la société civile palestinienne, le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) s’est fixé trois objectifs ancrés dans le droit international : la fin de l’occupation de la Palestine et de la colonisation israélienne ; l’égalité des droits entre Israéliens et Palestiniens ; la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens.

Pour obtenir de l’État d’Israël le respect de ces objectifs, le mouvement BDS appelle au désinvestissement, à savoir au retrait des entreprises étrangères du territoire israélien, et à des sanctions prises par les États et les Nations unies contre Israël et ses institutions. Son volet « boycott » consiste, quant à lui, à demander aux citoyens et aux institutions de ne pas acheter de produits israéliens et de rompre les liens avec les institutions académiques, culturelles, sportives, syndicales et associatives qui sont financées par ou liées à l’État israélien.

Une cinquantaine d’associations françaises a rejoint le mouvement BDS en 2009. Elles organisent sur le territoire français des opérations d’appel au boycott, au cours desquels les consommateurs sont invités, via différents supports (ports de t-shirts imprimés, pancartes brandies, banderoles déployées, slogans scandés, chansons entonnées, discours prononcés, théâtre de rue, discussions avec la clientèle ou le personnel des magasins, tracts, cartes postales et autocollants distribués, pétitions et signatures collectées, lettres envoyées à des professionnels, vidéos d’actions, interviews et textes mis en ligne), à ne pas acheter les produits israéliens vendus dans les magasins ou les supermarchés. Dans le cadre de ces opérations, les produits de l’entreprise pharmaceutique TEVA, dont le siège est implanté à Tel-Aviv, en Israël, sont visés.

Le 16 décembre 2016, TEVA a porté plainte contre l’éditrice d’un site militant ayant, d’une part, écrit « TEVA, on n’en veut pas », car « une partie de ses bénéfices renfloue l’armée israélienne » et, d’autre part, diffusé des vidéos de rassemblements ayant eu lieu les 19 et 20 novembre 2016 devant les pharmacies de la région lyonnaise appelant les clients à ne pas acheter des médicaments TEVA. La plainte pour appel à la discrimination a donné lieu à une information judiciaire puis à des poursuites pénales. Le 18 mai 2021, le tribunal de Lyon a relaxé l’éditrice (TJ Lyon, 6e ch. corr., 18 mai 2021, n° 17333000031, MP c. J. Z.). Le ministère public a fait appel de la décision. Par un arrêt du 5 mai 2022 (Lyon, 4e ch. corr., 5 mai 2022, n° 21/01449, MP c. J. Z.), la cour d’appel de Lyon a confirmé la relaxe initiale, estimant que les écrits publiés et les vidéos relayées sont couverts par la liberté d’expression. Cet arrêt solidement motivé signe-t-il la fin d’une politique de poursuites pénales initiée par la chancellerie ?

En 2010 et 2012, le ministère de la Justice a adopté deux circulaires demandant aux procureurs d’engager des poursuites contre les personnes qui appellent au boycott des produits israéliens, en considérant que ces faits sont susceptibles de constituer une infraction de « provocation publique à la discrimination » (circ. CRIM-AP n° 09-900-A4, 12 févr. 2010 et CRIM-AP n° 2012-0034-A4, 15 mai 2012).

En pratique, les procureurs n’ont pas fait une application zélée des circulaires et plusieurs procédures relevées contre les « boycotteurs » ont été classées sans suite. Cependant, dans un certain nombre de cas, des poursuites ont été engagées par les parquets et soutenues par des plaintes déposées par des associations françaises de soutien à Israël (association France-Israël, Avocats sans frontières, chambre de commerce France-Israël, Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, Union des étudiants juifs de France, etc.).

Comment le juge pénal a-t-il appréhendé cette situation ? Comment a-t-il concilié interdiction de l’appel à la discrimination, libre choix de consommation et liberté d’expression ?

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 5 mai 2022 met en lumière le rôle joué par le juge du fond pour protéger, dans le cadre de la liberté d’expression, les appels au boycott des produits israéliens. En dépit d’une position favorable de la Cour de cassation à une restriction de la liberté d’expression, position finalement sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les juges du fond ne sont, dans leur très grande majorité, pas entrés en voie de condamnation à l’encontre des militants BDS poursuivis. Pour bien comprendre la solution retenue par le juge d’appel lyonnais, il est nécessaire de rappeler dans quel contexte juridique elle se situe et d’évoquer l’appréciation traditionnellement portée par le juge du fond sur le sujet.

Interdiction de la discrimination versus liberté d’expression

L’arrêt rendu le 5 mai 2022 par la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans un contexte juridique particulier dans lequel la priorité a été donnée, dans un premier temps, à la lutte contre les appels à la discrimination, puis, dans un second temps, au respect de la liberté d’expression.

L’appel au boycott des produits israéliens perçu comme discriminatoire

La Cour de cassation a jugé que l’appel citoyen au boycott des produits israéliens est susceptible de constituer une infraction pénale de provocation à la discrimination fondée sur l’appartenance à une nation, prévue et réprimée par l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse (art. 24, al. 8, avant la L. n° 2014-1353 du 13 nov. 2014 qui a abrogé les dispositions incriminant la provocation et l’apologie du terrorisme, alors objet de l’alinéa 6 de l’article 24). La position de la chambre criminelle s’est forgée en deux temps.

La Cour de cassation a été saisie d’une première affaire en 2012. Une action de militants BDS avait eu lieu dans un magasin Carrefour de Mérignac (Gironde) le 30 mai 2009. Une des militantes a été poursuivie par le parquet de Bordeaux pour avoir collé des autocollants appelant au boycott sur une caisse du supermarché et sur un produit d’origine israélienne (une bouteille de jus d’orange). Le tribunal de Bordeaux a déclaré la militante coupable de l’infraction de provocation à la discrimination fondée sur l’appartenance à une nation, tout en indiquant que les faits constituaient une entrave à l’exercice normal d’une activité économique (TGI Bordeaux, 5e ch. corr., 10 févr. 2010, n° 09218000215). La cour d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement sans lever la confusion créée sur la nature exacte de l’infraction commise (Bordeaux, 22 oct. 2010, n° 10/00286, D. 2011. 931 image, note G. Poissonnier image). Un pourvoi a été formé et la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet, dans lequel elle a considéré que l’infraction de provocation à la discrimination pouvait être valablement retenue et n’a pas estimé que l’invocation surabondante par le juge du fond de l’infraction d’entrave constituait un motif suffisant de cassation (Crim. 22 mai 2012, n° 10-88.315, Dalloz actualité, 22 juin 2012, obs. C. Fleuriot ; D. 2012. 1405 image ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer image ; AJ pénal 2012. 592 image, note G. Poissonnier et F. Dubuisson image ; RSC 2012. 610, obs. J. Francillon image ; Gaz. Pal. 28 juill. 2012, p. 22, obs. S. Detraz ; D. 2013. 457, obs. E. Dreyer ; RSC 2012, 610, obs. J. Francillon ; CCE 2012, n° 100, obs. A. Lepage ; JCP 2012. 1318, n° 4, obs. B. de Lamy). 

Il était cependant difficile d’accorder trop d’importance à cet arrêt de 2012, car les faits à l’origine de l’affaire semblaient moins relever de la liberté d’expression que d’une éventuelle entrave à l’exercice normal d’une activité économique (C. pén., art. 225-2, 2°) ou d’une possible dégradation légère d’un bien, l’autocollant placé sur la bouteille de jus d’orange ne pouvant se décoller et ayant rendu le produit impropre à la vente, ce qui avait entraîné un dépôt de plainte de la part de Carrefour (La répression de l’appel au boycott des produits israéliens est-elle conforme au droit à la liberté d’expression ?, RBDI 2012. 177, obs. F. Dubuisson).

C’est à l’occasion d’une seconde affaire que la Cour de cassation s’est, en 2015, prononcée clairement sur la légalité de l’appel au boycott des produits israéliens. Les faits à l’origine de l’affaire ont donné lieu à deux jugements de relaxe prononcés par le tribunal de Mulhouse (TGI Mulhouse 15 déc. 2011, nos 3309/2011 et 3310/2011, D. 2012. 439, obs. G. Poissonnier image ; Gaz. Pal. 16 févr. 2012, p. 9, note G. Poissonnier). Cependant, le parquet a fait appel. Infirmant les deux jugements, la cour d’appel de Colmar a rendu deux arrêts condamnant les militants BDS à l’origine de...

Communication des pièces en appel : c’est quand je veux, ou presque

Une partie fait appel d’une ordonnance de référé, laquelle relève du droit de la procédure à bref délai en appel.

La lecture de l’arrêt de la cour d’appel ne permet pas précisément de savoir à quelle date les parties ont conclu ou devait conclure, mais cela est indifférent.

Il n’est pas discuté que l’appelant a remis et notifié ses conclusions dans le délai, et il en est de même de l’intimé.

En revanche, ce que l’intimé reproche à l’appelant est d’avoir attendu l’expiration du délai dont disposait l’intimé pour conclure, avant de lui communiquer les pièces visées.

L’intimé avait demandé à ce que les pièces soient écartées, et que les conclusions soient déclarées irrecevables, au motif que les pièces n’avaient pas été communiquées dans le délai pour conclure.

La cour d’appel déclare les pièces et conclusions recevables, ce que la Cour de cassation approuve.

Conclusions et pièces : une indissociabilité à sens unique

« Les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables », nous rappelle la Cour de cassation, même si cela n’a certainement échappé à personne.

Le texte ne le disait pas, et les avis étaient partagés. Nous pensions que rien ne justifiait que l’irrecevabilité des conclusions entraîne l’irrecevabilité des pièces, mais la Cour de cassation en avait jugé autrement (Cass., ass. plén., 5 déc. 2014, n° 13-27.501 P, Dalloz actualité, 12 déc. 2014, obs. M. Kebir ; BICC 1er mars 2015, p. 7, rapp. Andrich, avis Lesueur de Givry ; D. 2014. 2530 image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2015. 80, obs. C. Lhermitte image ; RTD civ. 2015. 200, obs. N. Cayrol image ; Gaz. Pal. 24 mars 2015, p. 32, note Malherbe ; JCP 2014. 1300, obs. Gerbay ; ibid. 2015. 10, note N. Fricero ; Procédures 2015, n° 29, note Croze ; Civ. 2e, 13 nov. 2015, n° 14-19.931 P ; v. encore Civ. 2e, 23 juin 2016, n° 15-10.831, D. 2017. 422, obs. N. Fricero image).

Le décret du 6 mai 2017 en avait pris acte, et modifié en conséquence l’article 906, qui s’était vu alourdi d’un « les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables ».

Mais, dans l’autre sens, rien n’est prévu.

Si des pièces sont rejetées, il n’est pas prévu que les conclusions seraient elles-mêmes irrecevables. Le caractère indissociable des pièces et des conclusions, c’est dans un seul sens.

Et c’est ainsi que la Cour de cassation a déjà considéré que des conclusions recevables ne préjugent pas du rejet des pièces, lesquelles peuvent être tardives au regard du temps utile (Civ. 2e, 6 déc. 2018, n° 17-17.557 NP, Dalloz actualité, 7 janv. 2019, obs. A. Danet ; ibid., 11 janv. 2019, obs. M. Kebir ; D. 2018. 2370 image ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; ibid. 848, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle image ; Gaz. Pal. 29 janv. 2019, note C. Bléry).

Le défaut de simultanéité à peine d’irrecevabilité ?

L’intimé voulait voir une irrecevabilité des conclusions, comme sanction d’une absence de communication en temps utile.

Il est vrai que la Cour de cassation a pu faire naître des irrecevabilités, là où le texte ne précise pas, au motif que l’article 122 du code de procédure civile n’édicte pas une liste limitative (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 P, BICC 1er mai 2003, p. 43, avis Benmakhlouf, rapp. Bailly ; R. p. 471 ; D. 2003. 1386, et les obs. image, note P. Ancel et M. Cottin image ; ibid. 2480, obs. T. Clay image ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller image ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 349, obs. R. Perrot image ; LPA 12 mars 2003, p. 13, note Bernheim ; JCP 2003. I. 128, n° 17, obs. Cadiet ; ibid. 2003. I. 142, n° 13, obs. Virassamy ; ibid. 2003. I. 164, n° 9, obs. Seraglini ; Procédures 2003, n° 96, note Croze ; JCP E 2003. 707, note Croze et Gautier ; ibid. 627, n° 4, obs. Caussain, Deboissy et Wicker ; CCE 2003, n° 60, note Grynbaum ; CCC 2003, n° 84, note Leveneur ; Rev. arb. 2003. 403, note Jarrosson ; Defrénois 2003. 1158, obs. Libchaber ; BJS 2003....

Entérinement de la destination du père de famille des servitudes discontinues

Les articles 692 et 694 du code civil possèdent un champ d’application différent et des conséquences distinctes en fonction de la nature des servitudes concernées (Rapport annuel 2004 de la Cour de cassation). Dans l’arrêt rapporté, la troisième chambre civile remet en évidence cette différenciation.

Rejet de la destination du père de famille des servitudes discontinues en appel

Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2020, la cour d’appel de Caen a rejeté la demande de M. et Mme M, tendant à la remise en état d’une canalisation d’évacuation des eaux usées par Mme S, propriétaire de la parcelle voisine. Les appelants avaient invoqué l’existence d’une servitude par destination du père de famille entre les deux parcelles, issue de la division d’un seul fonds par acte du 30 septembre 1997 (Caen, 15 déc. 2020, n° 18/01639).

Alors même qu’elle présentait un signe apparent matérialisé par un regard, le rejet était fondé sur l’absence de mention de...

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Mariage célébré à l’étranger : loi applicable au consentement des époux

Deux ressortissants tunisiens se marient en Tunisie en 2012.

Par la suite, l’épouse assigne l’époux devant un juge français en nullité du mariage, pour absence d’intention matrimoniale.

Sa demande est rejetée en application du droit français.

L’épouse forme alors un pourvoi en cassation, en soutenant notamment que les juges du fond ont appliqué à tort le droit français, alors que le consentement au mariage devait être apprécié, selon elle, au regard de la nationale de l’époux, qui était en l’espèce la loi tunisienne.

Par son arrêt du 18 mai 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette toutefois le pourvoi (en procédant à une substitution de motif), aux motifs que :

« 5. Aux termes de l’article 202-1 du code civil, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l’article 146 et du premier alinéa de l’article 180.

6. L’article 146 dispose : “Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement.”

7. La cour d’appel a relevé que Mme [V] se prévalait d’un défaut d’intention matrimoniale de M. [P].

8. Il en résulte que l’action était en réalité fondée sur l’article 146 du code civil, de sorte que la loi...

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Pas de mention, pas d’interruption de la prescription !

par Mélanie Jaoul, Maître de conférences, Université de Montpellierle 3 juin 2022

Civ. 1re, 18 mai 2022, FS-B, n° 20-22.234

Un couple vivant en concubinage a acquis un bien immobilier en indivision. En octobre 2007, après leur séparation, l’ex-concubin assigne sa coïndivisaire en liquidation et partage de l’indivision. Le 13 octobre 2016, le notaire dresse un projet de partage de l’indivision.

Saisie de l’affaire, la cour d’appel (Rennes, 4 nov. 2019, n° 18/07113) n’accueille pas la demande de Mme E visant à obtenir une fin de non-recevoir tirée de la prescription des créances dont son ex-concubin se prétendait titulaire au titre du remboursement des prêts bancaires. En effet, les juges du fond considèrent que M. W a interrompu le jeu de la prescription à l’égard des créances relatives aux prêts bancaires en assignant sa coïndivisaire en liquidation et partage de l’indivision. La procédure aux fins de liquidation étant toujours en cours, la prescription reste suspendue et la cour d’appel vient donc ordonner l’homologation du projet de partage sous réserve de l’ajout de la créance de Mme E à l’égard de l’indivision au titre de la taxe foncière pour les années 2011 à 2013, et de la déduction, de la créance de M. W à l’encontre de l’indivision au titre des mensualités du prêt, du montant total des versements...

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Action en paiement d’un découvert en compte et forclusion

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provencele 3 juin 2022

Civ. 1re, 25 mai 2022, F-P+B, n° 20-23.326

La question du point de départ de la forclusion en droit de la consommation est cruciale notamment dans le cadre des actions en paiement d’un découvert en compte tacitement accepté (J. Calais-Auloy, Droit de la consommation, Dalloz, coll. « Précis », 2020, 10e éd., p. 441, n° 402). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 mai 2022 vient rappeler comment manier la règle en jeu, à savoir que ces actions doivent être engagées à peine de forclusion par l’établissement bancaire dans les deux ans suivant l’expiration d’un premier délai de trois mois à compter du dépassement non régularisé. Toutefois, la difficulté est la suivante : bien souvent, plusieurs dépassements coexistent dans le temps. Certains sont régularisés puis d’autres se prolongent de manière continue. À partir de quel moment doit commencer à courir ledit délai de trois mois ? L’arrêt du 25 mai 2022 répond à cette question très précise. Les faits à l’origine du pourvoi sont assez classiques. Deux personnes ont chacune ouvert le 21 mars 2007 un compte courant auprès d’un établissement bancaire. Le 16 juillet 2014, la banque les assigne en paiement des soldes débiteurs des comptes concernés. Le tribunal de grande instance d’Angers considère que la banque est forclose pour l’un des deux comptes. L’établissement bancaire interjette appel. La cour d’appel d’Angers infirme le jugement sur ce point et ne voit aucune forclusion dans l’action de la banque. Elle estime que le compte...

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Renseignements inexacts de l’emprunteur et inscription au FICP

La question de la déchéance du terme occupe une place importante en jurisprudence comme en témoignent les derniers arrêts rendus par la première chambre civile sur le sujet (v. par ex. Civ. 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386, Dalloz actualité, 23 nov. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 2084 image ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image). La décision en date du 25 mai 2022 vient confirmer ce constat en mettant sous le feu des projecteurs une difficulté assez rarement publiée au Bulletin, celle de l’inscription auprès du fichier des incidents des crédits aux particuliers de la Banque de France (abrégé le FICP dans la suite du commentaire). Ce fichier, géré par la Banque de France, peut provoquer des crispations en cas de conflit sur la nature exacte de l’incident de paiement caractérisé de l’emprunteur. Bien souvent, le désaccord porte sur la nature de cet incident, ce qui s’est produit dans le pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt commenté aujourd’hui. Or le prêteur de deniers a une obligation de vérifier le FICP avant de pouvoir délivrer un nouveau crédit, rendant ce genre de solutions importantes à scruter pour la pratique (P. Delebecque et F. Collart-Dutilleul, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 911, n° 888). L’arrêt du 25 mai 2022 est, à ce titre, au croisement entre le droit des contrats et la pratique bancaire.

Les faits permettent de se rendre compte rapidement du problème en jeu. Par acte authentique du 6 novembre 2014, une banque consent à deux emprunteurs un prêt destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier. Le contrat d’adhésion prévoyait une série de conditions générales dont l’article 17 qui stipulait une exigibilité du prêt par anticipation si les emprunteurs fournissaient des renseignements inexacts sur des éléments essentiels ayant déterminé l’accord de la banque ou de nature à compromettre le remboursement du prêt. Le 21 juin 2016, la...

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De l’information sur le risque d’amortissement négatif

Le lecteur attentif de ces colonnes remarquera que la Cour de cassation est particulièrement vigilante en droit des contrats spéciaux sur le prêt d’argent, notamment en raison du risque de toxicité de certaines pratiques bancaires. À ce titre, nous avons pu analyser ces dernières semaines plusieurs décisions qui faisaient appel à la notion de clauses abusives pour réputer non écrites certaines stipulations à la licéité discutée (Civ. 1re, 20 avr. 2022, nos 19-11.599 et 20-16.316, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 789 image). L’arrêt du 25 mai 2022 rendu par la première chambre civile que nous commentons aujourd’hui fait appel à la responsabilité contractuelle de droit commun pour rappeler l’existence d’une obligation d’information et d’un devoir de mise en garde dans le cadre très précis de prêts comportant des paliers d’échéances dont le montant de certaines est inférieur à celui des intérêts échus, le tout ayant pour effet d’aboutir à un contrat risqué pour l’emprunteur au fur et à mesure des échéances.

Positionnons le problème en rappelant les faits ayant donné lieu à ce pourvoi. Par offre du 11 août 2004, acceptée le 23 août et réitérée par acte authentique le 31 août, un établissement bancaire consent à un couple d’emprunteurs un prêt de 220 000 € pour une durée de vingt ans. Ce produit financier a pu être trouvé grâce à l’entremise d’une société intermédiaire. Le prêt stipule un taux d’intérêt fixe de 3,55 % pendant les trois premiers mois mais susceptible de variations en fonctions de l’évolution d’un indice (l’indice TIBEUR 3 mois que l’on appelle également dans la pratique EURIBOR) convenu entre les parties. Le prêt prévoit également deux périodes de différés d’amortissement avec franchise partielle d’intérêts. L’amortissement du capital devait prendre effet avec le 52e versement.

Trouvant le produit dangereux et inadapté à leur situation financière, le couple emprunteur a sollicité la condamnation en paiement de dommages-intérêts du prêteur et de l’intermédiaire pour manquement à leurs devoirs d’information et de conseil ainsi que de mise en garde. L’affaire a...

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Pas de citation de l’appelant par LRAR dans les procédures sans représentation obligatoire

Une partie fait appel d’un jugement ayant statué sur une contestation du nombre de trimestres retenues par la caisse d’assurance retraite.

L’appel en la matière relève de la procédure sans représentation obligatoire.

En conséquence, si, aux termes de l’article 937 du code de procédure civile, le défendeur est cité à comparaître par lettre recommandée avec avis de réception, le même article prévoit que le demandeur est quant à lui avisé de la date et du jour de l’audience par tous moyens.

Le jugement est confirmé par la cour d’appel, l’appelant n’ayant pas été présent à l’audience.

Au soutien de son pourvoi, le demandeur précise qu’il n’est pas rapporté qu’il ait été touché par l’avis du greffe valant convocation à l’audience, et que, tout comme pour le défendeur, le demandeur devait être cité par une lettre recommandée avec avis de réception.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que c’est à raison que la cour d’appel a confirmé le jugement dès l’instant où l’appelant a été destinataire d’une lettre simple de convocation, ajoutant que l’appelant devait s’enquérir du sort de son appel.

Intimé et appelant : une inégalité de traitement

Lorsque la procédure d’appel est sans représentation obligatoire, l’article 937 du code de procédure civile prévoit que le défendeur est cité à comparaître dans des formes particulières, à savoir par l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception.

Et la Cour de cassation veille alors à ce que l’intimé ait été régulièrement cité à comparaître (pour une convocation remise le lendemain du jour de l’audience : Civ. 1re, 25 mars 1997, n° 96-05.064 NP).

Quant au demandeur, qui n’est pas sans connaître l’existence de la procédure d’appel, l’ayant engagée, le texte est moins exigeant, puisqu’il suffit au greffe de l’aviser de la date d’audience « par tous moyens ».

On comprend que cette forme allégée permet aux juridictions de faire des économies, en se dispensant d’une lettre recommandée au coût élevé.

Si ce « par tous moyens » consiste en pratique en l’envoi d’une lettre simple, rien n’exclut l’envoi d’un SMS, d’un courrier électronique, ou même un appel téléphonique.

Au-delà du caractère économique, qui certainement a pesé lourd pour cette inégalité de traitement, il est vrai que la partie appelant n’est pas prise au dépourvu, puisque c’est elle qui a formé l’appel. Elle sait donc qu’elle sera convoquée à une audience.

Il n’y a pas atteinte au principe de l’égalité des armes, dès...

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Diffamation : de l’importance du contexte dans l’appréciation de la bonne foi

Par deux arrêts, la première chambre civile s’est prononcée sur la bonne foi de femmes assignées en diffamation pour avoir, pour l’une, dénoncé dans la presse une agression sexuelle dont elle aurait été victime sept ans auparavant de la part d’un ancien ministre de la République (pourvoi n° 21-16.158) et, pour l’autre, publié sur twitter des propos que lui aurait tenu l’ex-patron d’Equidia (« Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit »), assortis du hashtag « balancetonporc » (pourvoi n° 21-16.497).

Révélation de faits d’agressions sexuelles : la base factuelle était-elle suffisante ?

Dans la première affaire, la fille d’un ancien ministre avait révélé dans la presse, en octobre 2017, avoir été victime d’agressions sexuelles de la part d’un homme âgé, ancien ministre de la République lui aussi, alors qu’elle avait une vingtaine d’années et qu’elle assistait, seule, à une représentation lyrique. Le 10 janvier 2018, le mis en cause l’avait assigné en diffamation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Dans son pourvoi, le mis en cause contestait la pertinence des différents éléments retenus par les juges du fond (Paris, 14 avr. 2021) pour conclure à l’existence d’une base factuelle suffisante et à la bonne foi de la défenderesse. Le premier moyen, reprochant à la cour d’appel d’avoir pris en compte des témoignages portant sur d’autres faits, est écarté au motif qu’il critique un motif surabondant relatif au comportement déplacé du demandeur vis-à-vis d’autres femmes. Le second, en revanche, est dûment examiné, la Cour de cassation contrôlant les motifs par lesquels les juges du fond ont considéré que la diffamation était justifiée.

La première chambre civile commence par rappeler les contours de l’examen de proportionnalité en matière d’atteintes à la liberté d’expression. Ainsi, seules les ingérences nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention sont permises. En outre, « en matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges […] de rechercher […] si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ».

En l’espèce, elle relève que les juges du fond ont bien établi l’existence d’un débat d’intérêt général dans lequel s’inscrivaient les propos litigieux, à savoir la libération de la parole des femmes au lendemain de l’affaire Weinstein. Sur la base factuelle suffisante, il résultait des éléments soumis au débat que le demandeur et la défenderesse avaient assisté, côte à côte, à une représentation de l’Or du Rhin le 25 mars 2010, qu’après la soirée, la défenderesse avait confié à son entourage avoir subi une agression, certains de ses proches l’ayant dissuadé de porter plainte, et qu’une expertise psychiatrique amiable effectuée huit ans après n’avait révélé aucune pathologie mentale qui aurait pu affecter la crédibilité de ses propos. Sur les quelques erreurs commises par la défenderesse (s’agissant du nom de l’opéra et de l’existence d’un entracte), les juges du fond ont estimé qu’elles « n’étaient pas de nature à discréditer l’ensemble de ses propos dès lors qu’elle les exprimait plus de sept ans et demi après les faits et que cette durée faisait également obstacle à la recherche de témoins directs ». Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a, sans méconnaître son office, déduit à bon droit que les propos en cause reposaient sur une base factuelle suffisante et que, « compte tenu du contexte dans lequel ils avaient été tenus, le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à Mme L », la défenderesse.

La bonne foi, fait justificatif d’origine prétorienne propre à la diffamation, exige la réunion de quatre éléments : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression,...

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L’autorité de la chose jugée et les demandes afférentes à un même contrat

Les principes qui gouvernent l’autorité de la chose jugée peuvent être énoncés simplement. Pour déterminer si l’autorité de la chose jugée attachée à un premier jugement fait obstacle à la recevabilité de demandes, il suffit de comparer le dispositif de la décision qui a été rendue et les demandes nouvellement soumises au juge au travers du prisme de l’article 1355 du code civil : s’il apparaît que la « chose demandée » est la même, que la demande est fondée sur la « même cause » et est formée entre les mêmes parties, par elles et contre elles en la même qualité, l’autorité de la chose jugée fait obstacle à la recevabilité des demandes présentées en second lieu. Il reste que la mise en œuvre de ces critères apparaît bien souvent délicate. Ils permettent bien de résoudre quelques cas lorsque la solution à donner relève pratiquement de l’évidence. Mais, sitôt que le juge est confronté à un cas « complexe », l’article 1355 du code civil ne semble lui fournir aucun repère sur lequel il pourrait appuyer son raisonnement. C’est qu’en effet les concepts de « chose demandée » ou de « cause » s’avèrent trop flous pour guider l’interprète (H. Motulsky, Pour une délimitation plus précise de l’autorité de la chose jugée en matière civile, D. 1958, chron. 1, n° 8).

La chose est d’autant plus délicate depuis qu’a été consacré le principe dit de concentration des moyens. Nul n’ignore aujourd’hui que, depuis qu’a été rendu le fameux arrêt Césaréo, le demandeur se doit de présenter, dès l’instance relative à sa première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime être de nature à fonder celle-ci (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672 P, D. 2006. 2135, et les obs. image, note L. Weiller image ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud image ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot image ; v. égal. Com. 12 mai 2015, n° 14-16.208 P, Dalloz actualité, 3 juin 2015, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2015. 869, obs. H. Barbier image ; Civ. 2e, 25 oct. 2007, n° 06-19.524 P, Dalloz actualité, 14 nov. 2007, obs. I. Gallmeister ; D. 2007. 2955 image ; ibid. 2008. 648, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis image ; RDI 2008. 48, obs. P. Malinvaud image ; RTD civ. 2008. 159, obs. R. Perrot image). Le plus souvent, c’est l’application de cette règle au défendeur qui génère des difficultés (v. par ex. Civ. 2e, 1er juin 2021, n° 20-11.706 P, Dalloz actualité, 22 juill. 2021, obs. N. Hoffschir). Mais, en ce qui concerne le demandeur, toute difficulté n’est pas pour autant écartée. Car il est parfois bien difficile de déterminer si la « chose demandée » est la même que celle qui avait donné lieu au premier jugement et cela est tout particulièrement vrai lorsque les différentes demandes concernent un même contrat.

Trois arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 19 mai 2022 illustrent ces difficultés.

1. Lorsqu’un contrat est conclu, il est tentant d’exiger des parties qu’elles soulèvent dans la même instance l’ensemble des demandes relatives à celui-ci. D’ailleurs, jusqu’à l’entrée en vigueur du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, qui a abrogé la règle dite de l’unicité de l’instance, les demandes dérivant d’un même contrat de travail devaient être formées dans le même procès (C. trav., art. R. 1452-7). Mais, à l’exception peut-être de la matière arbitrale (Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-13.266 P, Dalloz actualité, 30 mai 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 1629, obs. X. Delpech image ; ibid. 3111, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2008. 551, obs. R. Perrot image ; RTD com. 2010. 535, obs. E. Loquin image), les différentes chambres de la Cour de cassation n’exigent pas qu’une partie concentre dans un même procès l’ensemble des demandes dérivant d’un même rapport juridique : le demandeur « n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits » (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-17.048 NP ; Civ. 3e, 5 nov. 2020, n° 18-24.239 NP ; Civ. 1re, 14 oct. 2020, n° 19-14.169 NP ; Com. 8 mars 2017, n° 15-20.392 NP ; Civ. 1re, 30 nov. 2016, n° 15-20.043 NP ; 12 mai 2016, nos 15-16.743 et 15-18.595 P, Dalloz actualité, 27 mai 2016, obs. F. Mélin ; Com. 10 mars 2015, n° 13-21.057 NP ; Civ. 2e, 26 mai 2011, n° 10-16.735 P, Dalloz actualité, 10 juin 2011, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2011. 1566, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2012. 244, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2011. 593, obs. R. Perrot image), y compris lorsque celles-ci procèdent d’un même contrat (v., à propos d’un contrat de bail, Civ. 3e, 16 sept. 2009, n° 08-10.487 P, AJDI 2009. 812 image, obs. F. de La Vaissière image).

a. Cette solution est à nouveau rappelée dans deux des arrêts commentés.

Le premier arrêt a été rendu dans l’affaire des mobiles de Calder (n° 20-21.585). La cour d’appel de Paris avait en effet ordonné aux héritiers d’un galeriste et marchand d’art de restituer plusieurs mobiles aux héritiers de l’artiste américain et de leur verser une certaine somme d’argent en raison de la vente d’autres œuvres qui avaient été remises. Le mobile Un verre et deux cuillères, qui faisait partie des œuvres restituées, avait cependant subi des dommages...

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Les États généraux de la justice dressent une feuille de route

Le comité des États généraux, présidé par Jean-Marc Sauvé, a finalisé ses travaux il y a plusieurs semaines. La remise des conclusions attend la fin des échéances électorales, mais, comme différents confrères (l’Opinion, le Figaro et BFM TV), Dalloz actualité a pu consulter le rapport de 217 pages, intitulé Rendre justice aux citoyens. Très riche dans l’état des lieux qu’il établit, il suggère de nombreuses pistes d’évolution.

Une justice « au bord de la rupture »

Pour le comité, « l’institution judiciaire paraît grippée. Pour beaucoup, elle serait en lambeaux ». Il dresse un rapport sombre, de la « banalisation de la loi » à la « crise du service public de la justice » et de « l’autorité judiciaire ». Cet état des lieux sans complaisance reprend de nombreux rapports rédigés ces dernières années, du manque de moyens, aux problèmes d’informatisation, d’allongement des délais ou de gestion des ressources humaines.

Le comité rejette différentes pistes. Ainsi, il reste en majorité attaché à l’unité du corps judiciaire, veut le maintien du juge d’instruction et ne plaide que pour un renforcement limité des pouvoirs du CSM. Par ailleurs, la déjudiciarisation « a aujourd’hui atteint ses limites ».

L’enjeu est budgétaire. Pour le comité, il faudra recruter au moins 1 500 magistrats supplémentaires au cours du prochain quinquennat. « Ce nombre devra être affiné sur la base du référentiel en cours de construction. » Il propose aussi de recruter 2 500 à 3 000 greffiers supplémentaires, 2 000 agents et arriver à 2 000 juristes assistants. Le comité regrette la faible rémunération des agents du ministère et suggère des revalorisations.

Revoir l’organisation judiciaire et le CSM

L’organisation judiciaire est contestée. Aujourd’hui, il n’y a « pas de lien clair entre la budgétisation et l’activité des juridictions ». L’idée d’un regroupement autoritaire des cours d’appel suscite l’hostilité des élus. Le comité suggère plutôt de créer au-dessus, une carte de régions judiciaires, recoupant les régions administratives. Chaque région judiciaire disposerait d’un budget opérationnel de programme avec des secrétariats généraux de région judiciaire, responsables des aspects budgétaires, immobiliers et informatiques. Ce scénario n’interdit pas au ministère de poursuivre la réflexion sur la fusion de cours d’appel. De même, des tribunaux judiciaires chefs de file dans chaque département permettraient de rationaliser sans fusionner.

Sur les réformes constitutionnelles, le comité propose la suppression de la Cour de justice de la République et s’est penché sur le CSM. Il souhaite son avis conforme sur les décisions concernant les magistrats du parquet, mais sans lui donner un pouvoir d’initiative sur les nominations des procureurs de la République et des procureurs généraux. Si le conseil disposerait d’un rôle consultatif sur le budget et les projets de loi pouvant affecter le fonctionnement des juridictions, le comité ne préconise pas de transfert de compétence entre la DSJ et le CSM. Il rejette aussi l’idée d’un « procureur général de la nation ». C’est au gouvernement, qui est responsable devant le Parlement, de définir la politique de la nation. Certains membres du comité ont également regretté le mode de scrutin des magistrats au CSM, qui « a pu favoriser la présence d’une seule organisation syndicale en son sein ». L’idée d’un scrutin unique de liste nationale a recueilli l’adhésion d’une majorité.

Le comité note la « perte d’attractivité rapide des fonctions d’encadrement supérieur en juridiction depuis quinze ans » : « autrefois synonymes de prestige, elles sont désormais perçues comme une somme de charges ingrates et sans contrepartie ». Les compétences managériales doivent être davantage diffusées. « Il faut aussi permettre aux magistrats de bâtir des projets de carrière plus individualisée » et plus spécialisée, notamment en matière économique. Il suggère également de renforcer l’évaluation des chefs de cours et des magistrats de la Cour de cassation, à travers « un mécanisme d’évaluation à 360° par un comité indépendant composé de membres nommés notamment par le garde des Sceaux et le CSM », afin de dissocier évaluation et nomination.

Sauver la justice civile

Le comité insiste sur la dégradation de la justice civile. Les effectifs de magistrats dédiés diminuent et la part des jugements des tribunaux de grande instance frappés d’appel est passée de 16 % en 2008 à 25 % en 2019. Le comité veut renforcer la collégialité et les moyens alloués à la première instance. En contrepartie, l’appel serait limité et deviendrait à terme une simple voie de réformation. Cela nécessite de rompre le lien entre le grade et l’emploi dans la magistrature, pour accueillir plus de magistrats expérimentés en première instance. Certains contentieux (loyers impayés, délais de paiement, fixation des pensions alimentaires) seraient barémisés. Le rapport propose aussi de renforcer la prise en charge des frais d’avocat par la partie perdante.

Le comité souscrit à l’expérimentation d’un « tribunal des affaires économiques », qui regrouperait notamment les professions libérales et les agriculteurs. Il propose d’accroître la participation des parties au financement, mettant fin au principe de gratuité. Enfin, il suggère de constituer une filière de juges civilistes économiques.

Les conseils des prud’hommes seraient transformés en tribunaux du travail, à la composition identique. Rattachés aux tribunaux judiciaires, le ministère de la Justice deviendrait l’unique pilote de leur administration. Pour réduire les délais, le rôle des greffes dans la mise en état serait renforcé avec l’orientation ab initio des affaires vers une conciliation, une audience paritaire ou une audience de départage. Pour les cas d’urgence, le comité suggère de créer un référé « sauvegarde de l’entreprise » et un référé « garantie du salarié ».

Pour la protection des majeurs vulnérables, le formalisme du mandat de protection future doit être simplifié. Le comité propose de consacrer une présomption de gestion d’affaires. Le retour de la double habilitation des services de placement, d’aide éducative à domicile et d’action éducative en milieu ouvert est également très souhaitable pour favoriser la sortie du mineur de la sphère judiciaire.

Simplifier sans affaiblir la justice pénale

Le comité préconise une réécriture du code de procédure pénale en rappelant que « l’impératif de simplification ne saurait conduire à remettre en cause la garantie des droits ». Le pouvoir de sanction autonome du parquet a atteint ses limites. Pour améliorer la réparation des victimes, le comité recommande de transférer au juge civil l’indemnisation des préjudices complexes. Il veut favoriser le statut de témoin assisté à celui de mis en examen, qui serait réservé au cas où des mesures coercitives sont envisagées.

La fonction de JLD souffre d’un « réel déficit d’attractivité ». Le comité reprend l’idée de scinder ses missions entre matière pénale d’une part et matières civile et administrative d’autre part, qui permettrait de faire appel à un magistrat non spécialisé.

La surpopulation carcérale est un enjeu important. Le bilan de la réforme de 2019 est mitigé. Tout en rejetant le numerus clausus, le comité est favorable à la mise en place d’un mécanisme de régulation de la population carcérale par la définition, pour chaque établissement pénitentiaire, d’un seuil d’alerte et d’un seuil de criticité. En cas de dépassement, les différents acteurs de la chaîne pénale se réuniraient pour définir des mesures de régulation, comme lors de la crise sanitaire. Le comité propose aussi de renforcer la présence des SPIP en juridiction et de créer une agence nationale de prévention de la récidive et de la probation.

Nationalité française et établissement de la filiation

Une personne née aux Comores a obtenu la délivrance d’un certificat de nationalité française, cette délivrance étant motivée par le fait qu’elle est devenue française de plein droit par l’effet collectif attaché à la souscription en 1989 d’une déclaration de nationalité française par son père, également né aux Comores, puis à son enregistrement.

Le ministère public a contesté ce certificat de nationalité française, en critiquant notamment la réalité de la filiation à l’égard du père français.

Les juges du fond ont alors retenu que la filiation avait été établie par la mention du père dans l’acte de naissance de la personne considérée, étant précisé que cet acte avait été dressé après l’obtention aux Comores, en 2019, d’un jugement supplétif d’acte de naissance, selon lequel cette personne était née en 2004.

La décision d’appel est toutefois cassée par l’arrêt du 25 mai 2022 de la première chambre civile, au motif qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui incombait de rechercher si, au regard des règles d’établissement de la filiation paternelle selon la loi de la mère, désignée par la règle de conflit, la filiation de cette personne avait été établie avant l’acquisition par son père de la nationalité française. La cour d’appel a violé les articles 3 et 311-14 du code civil et l’article 84 du code de la nationalité, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993.

S’il ne formule aucune solution nouvelle en matière de nationalité, cet arrêt du 25 mai 2022 mérite de retenir l’attention, car il rappelle aux juges du fond quelques-uns des principes habituellement...

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Responsabilité du fait des choses : distinction entre défaut d’entretien et anormalité de la chose

Un principe général de responsabilité du fait des choses a été « découvert » par la jurisprudence dans l’alinéa 1er de l’ancien article 1384 (devenu art. 1242) du code civil lorsque la responsabilité du fait personnel s’est révélée insuffisante pour indemniser les victimes d’accidents avec le développement de l’industrie (Civ. 16 juin 1896, Teffaine) puis de la circulation routière (Cass., ch. réunies, 13 févr. 1930, Jand’heur). Il s’agit d’une responsabilité objective, détachée du comportement du responsable, lequel est tenu en qualité de gardien d’une chose. Encore faut-il qu’un lien de causalité soit établi entre cette chose et le dommage (Civ. 19 févr. 1941, Cadé). La causalité est une exigence commune à tous les régimes de responsabilité civile de droit commun (R. Bigot et A. Cayol, Le droit de la responsabilité civile en tableaux, préf. de P. Brun, Ellipses, 2022, p. 118), ce qui est confirmé par la deuxième chambre civile dans un arrêt rendu le 25 mai 2022.

En l’espèce, un enfant se blesse en chutant du toit d’un entrepôt. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) assigne le propriétaire du bâtiment afin d’obtenir remboursement de ses débours. La cour d’appel déclare ce dernier responsable, sur le fondement de la...

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Significations dans l’Union européenne : notion de requérant

Le règlement n° 1393/2007 du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale est applicable, selon son article 1, en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié.

En application de l’article 5, § 2, « le requérant prend en charge les éventuels frais de traduction préalables à la transmission de l’acte, sans préjudice d’une éventuelle décision ultérieure de la juridiction ou de l’autorité compétente sur la prise en charge de ces frais ».

Le règlement ne définit pas cette notion de requérant mais il semble évident qu’elle ne peut viser que l’une des parties concernées.

L’affaire jugée par la Cour de justice de l’Union européenne le 2 juin 2022 montre toutefois que certains justiciables tentent de pousser à l’innovation juridique.

Dans cette affaire, deux époux ont saisi un juge roumain d’une procédure de divorce. Ce juge a prononcé le divorce et fixé la résidence de l’enfant au...

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Application stricte des conditions de la perte du recours personnel de la caution

Le développement massif du cautionnement professionnel implique un accroissement sensible du contentieux relatif à la perte du recours après paiement de la caution. En effet, une société de financement qui se porte caution, et qui est généralement une filiale de la banque prêteuse, est souvent bien moins regardante avant de payer en cas de défaillance du débiteur qu’une caution non professionnelle, tandis qu’elle ne manque pas, immédiatement après paiement, d’exercer contre le débiteur son recours subrogatoire et/ou personnel. Telle est l’hypothèse qui a donné lieu à un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 mai 2022.

En l’espèce, une banque a consenti deux prêts immobiliers à des coemprunteurs solidaires, garantis par le cautionnement consenti par la Compagnie européenne des garanties et cautions. Alors que l’un des codébiteurs bénéficiait d’une suspension pendant un an de l’exécution de ses obligations, certaines échéances sont demeurées impayées, de sorte que la banque a mis en demeure le second codébiteur de payer avant de prononcer la déchéance du terme. Après avoir payé les sommes réclamées, la caution a assigné les emprunteurs en remboursement. La cour d’appel a alors déclaré l’action de la banque contre le codébiteur bénéficiant d’une suspension de l’exécution de ses obligations irrecevable aux motifs qu’aucune déchéance n’avait pu être prononcé à son encontre pendant la période de suspension et que « la caution, étant subrogée dans les droits de la banque, ne peut avoir plus de droits que cette dernière ». La caution a formé un pourvoi en cassation, soutenant qu’elle ne pouvait se voir opposer les exceptions dont le débiteur aurait disposé à l’égard du créancier dans le cadre de l’exercice de son recours personnel.

La question posée était alors celle de l’opposabilité, par le débiteur à la caution exerçant son recours après paiement, des exceptions – et plus particulièrement d’une absence de déchéance du terme – qu’il pourrait opposer au créancier.

La Cour de cassation a répondu par la négative et cassé l’arrêt attaqué en relevant que la caution exerçait son recours personnel et que, dans ce cadre, en application de l’article 2308, alinéa 2, du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, « si un débiteur peut faire valoir à sa caution qu’il aurait eu des moyens pour faire déclarer sa dette éteinte avant qu’elle ne paye le créancier en ses lieu et place, ce débiteur ne peut toutefois pas se prévaloir de l’absence de déchéance du terme de sa dette, celle-ci n’étant pas une cause d’extinction de ses obligations ». Compte tenu également du principe selon lequel la caution a un recours en répétition pour le tout contre chacun des codébiteurs solidaires qu’elle a cautionnés (C. civ., art. 2307 ancien), la Cour de cassation en a déduit que « l’absence de déchéance du terme à l’égard de l’un des débiteurs solidaires ne prive pas la caution de son droit d’exercer à son encontre son recours personnel ».

Cette solution repose, d’abord, sur la spécificité du recours...

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Quand faut-il interjeter appel d’une décision affectée d’une erreur matérielle ?

Les juges étant humains et les humains n’étant pas parfaits, il arrive que des erreurs matérielles se glissent dans les jugements. Pour remédier à cette situation somme toute banale, le code de procédure civile prévoit une procédure de rectification qui se veut simple et rapide (C. pr. civ., art. 462). Elle recèle pourtant de vrais pièges lorsqu’un plaideur souhaite exercer un recours à l’encontre de la décision entachée de l’erreur. C’est ce dont témoigne l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 19 mai 2022.

Le litige concerne la prise en charge de la maladie d’un salarié au titre de la législation professionnelle. L’employeur conteste la décision de prise en charge de la CPAM devant un (ancien) tribunal des affaires de sécurité sociale. Le jugement rendu le 7 septembre 2017 retient dans ses motifs que la décision prise par la CPAM n’est pas opposable à l’employeur mais indique dans le dispositif l’inverse : l’employeur y est débouté de son recours, la décision de prise en charge lui étant déclarée opposable. Ce jugement est notifié (à l’initiative de la juridiction) le 19 septembre 2017. Une requête en rectification d’erreur matérielle est alors déposée par l’employeur et, le 5 octobre 2017, une décision rectificative est rendue qui indique dans le dispositif que le recours est bien fondé et que la décision de prise en charge est inopposable à l’employeur. Le 25 octobre 2017, la CPAM interjette appel des deux jugements.

La cour d’appel déclare l’appel irrecevable comme tardif (en effet, au 25 octobre, le délai d’un mois courant à compter de la signification du 19 septembre était expiré). Un pourvoi est formé contre cet arrêt par la CPAM. Celle-ci soutient qu’elle n’avait pas intérêt à faire appel avant la rectification intervenue le 5 octobre 2017 puisqu’elle ne succombait pas aux termes du jugement tel que libellé à l’origine. Selon elle, son intérêt à recourir serait né avec la rectification du jugement et, en se fondant sur l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, elle argue que « la rectification d’une erreur matérielle intervenue après l’expiration du délai pour former appel ouvre un nouveau délai pour former appel à l’encontre du jugement rectifié, lorsque la rectification fait naître l’intérêt pour l’appelant à former appel et ne peut donner lieu à contestation utile en cassation ».

La haute juridiction ne suit pas ce raisonnement. Elle rappelle les termes de l’article 462 du code de procédure civile qui précise que, « si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation » et en tire la conséquence que « la décision rectificative n’a pas d’effet sur le délai d’appel de la décision rectifiée, qui court depuis sa notification ».

La solution adoptée par la Cour de cassation se révèle respectueuse des intérêts en présence. L’apport de l’arrêt peut se résumer à deux principes dont les praticiens pourront se souvenir : après l’expiration du délai, ce n’est plus l’heure de l’appel ; avant la rectification, c’est déjà l’heure de l’appel.

Après l’expiration du délai, ce n’est plus l’heure de l’appel

En cas de rectification d’erreur matérielle, il y a deux décisions : la décision rectifiée et la décision rectificative. Il est jugé que « la décision rectificative s’intègre à la décision rectifiée » (Civ. 2e, 24 mai 2006, n° 04-20.077 ; 8 janv. 2009, n° 06-14.417). Cette image est signifiante. En effet, d’une part, « la décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement » et elle est « notifiée comme le jugement » (C. pr. civ., art. 462, al. 4). D’autre part, si la décision rectifiée est annulée ou infirmée, les décisions rectificatives perdent leur fondement juridique et voient leurs effets anéantis concernant les chefs de jugement infirmés ou annulés (arrêts préc.). L’inverse n’est pas vrai. Si un...

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La prescription des créances entre époux indépendante du partage de l’indivision

Une indivision n’est pas une communauté ; une créance n’est pas une récompense. La différence de notion commandant la différence de régime, il faut se garder de soumettre les créances entre époux aux règles de l’inscription en compte de l’indivision, notamment celles gouvernant la prescription. C’est en substance ce que rappelle cet arrêt rendu le 18 mai 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

En l’espèce, deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens se trouvaient en indivision. Un jugement du 22 octobre 2009 avait ordonné l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage, et un jugement du 1er mars 2012 avait prononcé leur divorce et ordonné le partage de leurs intérêts patrimoniaux. Le 29 juin 2018 seulement, le projet d’acte notarié de partage avait été établi, faisant état d’une créance de 850 968,92 € détenue par l’ex-épouse à l’encontre de son ancien conjoint. Pour en obtenir le recouvrement, la créancière avait été autorisée, par ordonnance du 4 juillet 2018, à réaliser une saisie conservatoire, qui fut pratiquée quelques jours plus tard.

Le débiteur avait alors saisi le juge de l’exécution afin d’obtenir la mainlevée de la saisie, ce qui lui fut refusé par la cour d’appel d’Amiens au terme d’un arrêt rendu le 6 février 2000. Les juges du fond avaient en effet considéré que la créance était fondée et non prescrite car non seulement « dès l’ordonnance de non-conciliation, le régime matrimonial devient une indivision post-matrimoniale et […] l’action aux fins de partage est imprescriptible » mais de plus, « si une demande relative à une créance entre époux devait être considérée comme une demande connexe, le délai de prescription de cinq ans ne commencerait à courir qu’à compter du projet de partage […] qui a fait naître le principe de la créance ».

Le succombant forma un pourvoi en cassation et entreprit, avec succès, de convaincre les juges du droit que l’action en paiement de la créance était prescrite, ce qui justifiait la mainlevée de la saisie conservatoire. Dans cet arrêt du 18 mai 2022, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens en ce qu’il rejette la demande de mainlevée de la mesure. La première chambre civile fait sienne l’argumentation développée dans le moyen quant au point de départ du délai de prescription mais relève d’office au préalable un moyen tenant à la durée du délai de prescription.

La durée du délai de prescription de la créance entre époux

La Cour de cassation relève d’abord, conformément à l’article 620 du code de procédure civile, un moyen de pur droit justifiant à lui seul la cassation de l’arrêt d’appel. La cour d’appel avait en effet considéré que l’action aux fins de partage est imprescriptible, ce qui est vrai mais hors sujet. Cela est vrai car l’article 815 du code civil selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué » laisse aux indivisaires toute latitude pour apprécier si la situation leur convient ou s’ils souhaitent y mettre fin. Partant, l’action tendant à obtenir le partage d’une indivision n’est soumise à aucun délai de prescription, même entre époux (Nancy, 16 nov. 1961, JCP 1964. II. 13477, note P. Voirin ; Civ. 1re, 22 oct. 1985, n° 84-11.468 P, D. 1986. 241, note A. Breton ; 5 nov. 1985, n° 83-16.738 P ; 14 nov. 2000, n° 98-22.936 P, D. 2001. 1755 image, note P. Lipinski image ; Dr. fam. 2001, n° 8, note Beignier). Cela est pourtant hors sujet car le partage de l’indivision ne se confond pas avec le règlement des créances entre indivisaires ou contre l’indivision. Le partage est une opération permettant de substituer à une concurrence de droits de même nature sur un ou plusieurs biens une pluralité de droits privatifs sur des biens déterminés. Il s’agit donc de réaliser le passage d’une propriété collective à plusieurs propriétés exclusives. Le règlement des créances a quant à lui pour objet l’exécution d’une obligation consistant dans le versement...

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De l’action en revendication du crédit-bailleur face au preneur consommateur

En raison notamment de sa nature hybride (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 397, n° 349), le contrat de crédit-bail se retrouve assez fréquemment devant la Cour de cassation. Ainsi, en 2020, la première chambre civile avait pu juger que dans le cadre d’un ensemble contractuel comportant une vente et un crédit-bail, la résolution de la première entraînait la caducité du second (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 17-12.611, Dalloz actualité, 2 sept. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 1461 image ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki image ; RTD civ. 2020. 884, obs. H. Barbier image). Aujourd’hui, c’est une question originale à la croisée des chemins entre le droit des biens et le droit de la consommation qui est à l’origine du pourvoi examiné par la haute juridiction. La décision, promise aux honneurs d’une publication au Bulletin, interroge notamment les rapports de la prescription avec l’action en revendication du crédit-bailleur laquelle est essentielle pour préserver la propriété de celui-ci. Les faits sont assez classiques en la matière. Une société et une personne physique concluent un contrat de crédit-bail portant sur un véhicule par acte sous seing privé du 13 août 2010. Le contrat arrive à son terme le 27 octobre 2013. Le crédit-bailleur délivre une mise en demeure le 25 juin 2015 laquelle reste sans réponse : le preneur n’a ni restitué le véhicule ni levé l’option d’achat. Le bailleur décide donc de l’assigner en restitution du véhicule et en paiement d’une indemnité en réparation de son préjudice de jouissance. Le preneur soulevait la prescription de l’action en restitution qui devait, selon lui, être assujettie à une prescription biennale en raison de sa qualité de consommateur. La cour d’appel de Montpellier considère que la prescription de deux ans de l’ancien article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation n’est pas applicable à la cause. Les juges du fond déclarent ainsi l’action en restitution recevable. Le preneur se pourvoit en cassation en rappelant son argumentaire sur l’application de l’article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation déniant à l’action sa qualité d’action en revendication pour la qualifier d’action...

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L’offre du FIVA doit être envoyée aux deux parents

En l’espèce, un homme est mort des suites d’un cancer causé par son exposition à l’amiante durant sa vie professionnelle. Le 21 octobre 2013, le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) a été saisi d’une demande d’indemnisation du préjudice personnel subi par le petit-fils mineur de la personne décédée, sans que l’on sache si la demande a été signée et envoyée par la mère ou par le père.

Par une lettre recommandée du 30 décembre 2013, le FIVA a adressé à la mère une proposition d’indemnisation de son enfant mineur. Cette proposition n’a pas été acceptée. Sans que l’arrêt explicite ce point, l’on comprend que les parents ont négocié avec le FIVA. En effet, ces derniers, agissant en qualité d’administrateurs légaux des biens de leur enfant, ont demandé au juge des tutelles d’homologuer une transaction.

Par des ordonnances du 15 mars 2015, le juge des tutelles a cependant rejeté cette demande et désigné un administrateur ad hoc afin de représenter le petit-fils mineur dans la procédure suivie devant la cour d’appel relative à l’indemnisation de ce dernier. L’administrateur ad hoc a alors formé un recours contentieux devant la cour d’appel mais le FIVA a fait valoir que celui-ci était irrecevable car formé plus de deux mois après la lettre recommandée adressée à la mère de l’enfant mineur formulant l’offre d’indemnisation.

Un délai préfix de deux mois pour former un recours contentieux

Pour rappel, la procédure d’indemnisation des victimes de l’amiante, qui a été instituée par l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 créant le FIVA et précisée dans ses modalités par le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, commence par une phase non contentieuse au cours de laquelle la victime doit envoyer un formulaire d’indemnisation au fonds accompagné d’un certain nombre de pièces.

Si le dossier est complet, le fonds a alors trois possibilités : refuser l’indemnisation au motif que les conditions ne sont pas remplies ; formuler une offre d’indemnisation ; ne pas répondre. Le décret prévoit expressément que l’offre doit être formulée par lettre recommandée avec avis de réception (Décr. n° 2001-963, art. 22). En l’absence de réponse dans un délai de six mois à compter de la réception d’une demande d’indemnisation par le fonds, la demande est réputée...

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Restriction des moyens de preuve de l’envoi de l’information due à la caution

Par un arrêt du 25 mai 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé une solution désormais constante dans la jurisprudence de la chambre commerciale relative aux modes de preuve de l’exécution par le créancier de son obligation annuelle d’information de la caution.

En l’espèce, une banque a demandé au juge de l’exécution la poursuite d’une procédure de saisie immobilière initiée par un autre créancier à l’encontre d’une caution personne physique ayant garanti le remboursement de prêts consentis à une société civile immobilière. La caution a opposé à la banque la déchéance de son droit aux intérêts pour non-respect de l’obligation annuelle d’information prescrite par l’article L. 313-22 du code monétaire et financier. La cour d’appel a rejeté ce moyen de défense en relevant que la banque justifiait, par la production de lettres versées aux débats, avoir adressé à la caution l’information requise. La caution s’est pourvue en cassation, et la question posée à la haute juridiction était de savoir si la production de copies de lettres pouvait suffire à prouver l’envoi de ces courriers. La réponse apportée, conforme à une jurisprudence désormais constante, est négative, la Cour de cassation rappelant qu’« il résulte de [l’article L. 313-22 du code monétaire financier, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021] qu’il appartient aux établissements de crédit et aux sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, de justifier de l’accomplissement des formalités légalement prévues et que la seule production de la copie de lettres d’information ne suffit pas à justifier de leur envoi ». Cette dernière précision implique la cassation de l’arrêt qui a statué par des motifs impropres à justifier sa décision.

La première chambre civile a ainsi rappelé la charge de la preuve, avant de se prononcer sur les moyens de preuve.

La charge de la preuve

En application du droit commun de la preuve issu de l’article 1353 du code civil, il revient à la caution qui invoque un manquement à l’obligation d’information de prouver qu’elle en était créancière, et donc qu’elle entrait dans le champ d’application du texte invoqué. Ce point n’est plus débattu à hauteur de cassation à l’espèce, qui est une illustration de l’applicabilité de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier au cautionnement des dettes de sociétés civiles immobilières ayant une activité économique (Civ. 1re, 12 mars 2002, n° 99-15.598 P, D. 2002. 1199 image, obs. A. Lienhard image ; RTD com. 2002. 524, obs. M. Cabrillac image ; 15 mars 2005, n° 02-20.335 P, D. 2005. 1080, obs. E. Chevrier image ; AJDI 2005. 489 image, obs. F. Cohet-Cordey image ; ibid. 747 image ; JCP E 2005, n° 23, p. 1003, obs. P. Simler ; RDBF 2005, n° 85, obs. Legeais ; RJDA 2005, n° 1043 ; RDC 2005. 841, obs. Houtcieff ; BJS 2005. 1220).

En revanche, il revient toujours au professionnel débiteur d’une obligation d’information de prouver qu’il l’a exécutée (jurisprudence constante depuis Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 P, D. 1997. 319 image, obs. J. Penneau image ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis image ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain image ; ibid. 924, obs. J. Mestre image). La Cour de cassation juge donc qu’il appartient à l’établissement de crédit de rapporter la preuve de l’envoi de l’information annuelle (Civ. 1re, 2 oct. 2002, n° 01-03.921 P, D. 2002. 3011, et les obs. image ; CCC 2003, n° 21, obs. Leveneur ; RJDA 2003, n° 189 ; Com. 17 oct. 2000, n° 97-18.746 P, D. 2001. 698 image, obs. L. Aynès image ; 4 nov. 2021, n° 20-14.170, D. 2001. 698 image, obs. L. Aynès image), même si elle précise qu’« il n’incombe pas au créancier de prouver que la caution a effectivement reçu l’information envoyée » (Civ. 1re, 25 nov. 1997, n° 96-10.527 P, D. 1998. 2 image ; RTD civ. 1998. 154, obs. P. Crocq image ; RTD com. 1998. 185, obs. M. Cabrillac image ; RDBB 1998. 9, obs. Crédot et Gérard ; Gaz. Pal. 20-22 déc. 1998, p. 11, obs. S. Piédelièvre ; Com. 17 oct. 2000, n° 97-18.746 P, préc. ; Civ. 1re, 26 avr. 2000, n° 98-13.045 NP, JCP E 2000. 1656, obs. P. Simler ; RDBF 2000. 227, obs. D. Legeais ; 2 oct. 2002, n° 01-03.921 P, D. 2002. 3011, et les obs. image ; CCC 2003, n° 21, obs. L. Leveneur ; RJDA 2003, n° 189 ; Com. 2 juill. 2013, n° 12-18.413 P, Dalloz actualité, 24 juill. 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 2255 image, note L. Bougerol-Prud’homme image ; ibid. 2014. 1610, obs. P. Crocq image ; ibid. 2136, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ;...

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Condamnation de la France pour formalisme excessif : la CPVE sur la sellette (?)

« Il se passe toujours quelque chose »… en procédure civile. Le fameux slogan d’un grand magasin est transposable à notre matière, tout spécialement à la procédure d’appel et/ou à la communication par voie électronique. Les textes foisonnent, dont la qualité laisse trop souvent à désirer (C. Bléry, Le droit en décadence ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 9 mars 2022) et la Cour de cassation se trouve contrainte de démêler l’écheveau textuel. Elle s’y emploie au fil de nombreux arrêts, qui forment un ensemble pas toujours cohérent et donc pas forcément prévisible ; en outre, cette jurisprudence est parfois très stricte, trop formaliste, au détriment des plaideurs. Ceux-ci n’hésitent pas à saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)… qui a condamné la France, à plusieurs reprises, pour excès de formalisme.

Aux arrêts Henrioud et Reichman contre France (CEDH 5 nov. 2015, Henrioud c. France, n° 21444/11, D. 2016. 1245 image, note G. Bolard image ; Procédures 2016. Comm. 15, obs. N. Fricero ; 12 juill. 2016, Reichman c. France, n° 50147/11, D. 2016. 1652 image ; Procédures 2016. Comm. 288, N. Fricero), il faut désormais ajouter l’arrêt Lucas contre France, rendu le 9 juin 2022 par la cinquième section de la CEDH : selon la cour de Strasbourg, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a violé l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans son arrêt du 26 septembre 2019 (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image) qui lui était soumis, en pêchant par excès de formalisme : elle a ainsi porté atteinte au droit d’accès au juge du requérant. Pour autant, et c’est heureux, la CEDH ne remet pas en cause ledit arrêt de la Cour de cassation, dans un autre aspect, à savoir celui qui dénie une valeur juridique aux protocoles de procédure (Dalloz actualité, 2 oct. 2019, préc.).

Il faut noter que l’arrêt n’est pas définitif et qu’il est susceptible d’un renvoi devant la grande chambre, conformément à l’article 44, § 2, de la Convention. Son apport théorique est cependant notable, alors que ses conséquences pratiques pour les avocats français sont plus problématiques.

À l’origine de l’arrêt du 9 juin une procédure en matière d’arbitrage. Un arbitre unique avait été chargé de statuer comme amiable compositeur, sa sentence arbitrale devant être définitive et sans appel (ce qui est la règle, v. C. pr. civ., art. 1489). Un recours en annulation (toujours susceptible d’être exercé lorsque l’appel est fermé, v. C. pr. civ., art. 1491) avait été formé par voie papier à l’encontre de la sentence devant la cour d’appel de Douai. Celle-ci avait déclaré le recours recevable par arrêt du 17 mars 2016. Un pourvoi avait été formé et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait cassé (sans renvoi) au visa des articles 930-1 et 1495 du code de procédure civile, dont elle rappelait la teneur : « attendu, selon le second de ces textes, que le recours en annulation d’une sentence arbitrale est formé, instruit et jugé selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 du code de procédure civile ; que le premier dispose que les actes de procédure sont, à peine d’irrecevabilité, remis à la juridiction par voie électronique » ; elle en déduisait que « la recevabilité du recours en annulation de la sentence arbitrale est conditionnée par sa remise à la juridiction par la voie électronique et que les conventions passées entre une cour d’appel et les barreaux de son ressort, aux fins de préciser les modalités de mise en œuvre de la transmission des actes de procédure par voie électronique, ne peuvent déroger aux dispositions de l’article 930-1 du code de procédure civile, notamment en en restreignant le champ d’application ».

Le perdant, M. X. Lucas, a donc formé une requête devant la CEDH, invoquant principalement une atteinte à son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention, et la CEDH a fait droit à cette requête.

Tout d’abord, la Cour estime la requête recevable, comme entrant dans le champ d’application de l’article 6, § 1er (nos 29 s.) et alors que les voies de recours internes ont été épuisées (nos 34 s.)

Sur le fond, la CEDH valide l’arrêt de la Cour de cassation en ce qu’il a jugé qu’un arrêté technique ou un protocole ne pouvait restreindre le champ d’application de la CPVE (nos 48 à 50). Elle estime que le requérant ne peut être tenu pour responsable de l’erreur procédurale ayant consisté à remettre son recours en annulation par voie papier ; il serait donc excessif de la mettre à sa charge (nos 51 à 56). Surtout, elle juge qu’il y a eu un « excès de formalisme » :

« 57. S’il ne lui appartient pas de remettre en cause le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation pour infirmer la solution retenue par la cour d’appel de Douai (paragraphes 49 50 ci-dessus), la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès. Or elle considère, dans les circonstances de l’espèce, que les conséquences concrètes qui s’attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif. »

La Cour européenne conclut donc à la violation de l’article 6, § 1er, de la Convention, le requérant s’étant « vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge » (nos 58 et 59), avant d’accorder des sommes au titre du dommage moral (3 000 €) et des frais (1 170 €)… et de rejeter la demande de satisfaction équitable (nos 60 s.).

Hiérarchie des normes

La CEDH valide donc l’arrêt de la Cour de cassation en ce qu’il a jugé qu’un protocole ou qu’un arrêté technique ne pouvait restreindre le champ d’application de la CPVE.

Protocole

L’arrêt de 2019 de la Cour de cassation ne nous avait pas paru surprenant en affirmant l’absence de valeur des protocoles de procédure (Dalloz actualité, obs. C. Bléry, préc.) : il s’inscrivait dans une jurisprudence déjà établie et qui était justifiée au regard de la hiérarchie des normes. La deuxième chambre civile avait en effet déjà dénié toute valeur à un protocole de procédure, dans un arrêt inédit qui avait implicitement statué en ce sens (Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355 NP, à propos du JAF). Surtout, elle avait explicitement jugé que les protocoles de procédure ne peuvent imposer des règles de droit dur au-delà du code de procédure civile, dans deux importants arrêts publiés – le premier en matière d’expropriation et le second à propos du JEX en matière de saisie immobilière (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234, Dalloz actualité, 7 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2353 image, note C. Bléry image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal. 6 févr. 2017. 60, N. Hoffschir ; 1er mars 2018, n° 16-25.462, Dalloz actualité, 13 mars 2018, obs. C. Bléry ; D. 2018. 517 image ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne image; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; JCP 2018. 514, obs. L. Raschel) ; l’arrêt du 26 septembre 2019 ne faisait que réaffirmer l’absence de valeur des...

Déclaration d’appel et chefs de jugement critiqués, le choix des armes

En avoir ou pas

Face à une déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués, le choix de l’arme procédurale a été laissé à l’intimé. Par la Cour de cassation elle-même. Selon les velléités belliqueuses qui l’animeront – ou ses connaissances procédurales –, l’intimé aura, entre ses mains, un pistolet à eau ou un lance-flammes. La nullité ou l’absence d’effet dévolutif.

Dans une procédure dans laquelle un jugement avait déclaré irrecevable comme prescrite son action en responsabilité contre un mandataire liquidateur, l’appelant avait vu le conseiller de la mise en état écarter l’exception de nullité de l’acte d’appel soulevée par les intimés. L’ordonnance estimait que le défaut de mention des chefs de jugement critiqués sur la déclaration d’appel n’engendrait aucun grief. Devant la cour cette fois, l’un des intimés s’est emparé, pour les mêmes raisons, de l’absence d’effet dévolutif de cet appel « total » et la cour d’appel de Paris a estimé qu’elle n’était effectivement saisie d’aucune demande. L’appelant, demandeur au pourvoi, reprochait à la cour d’avoir statué ainsi alors que si le conseiller de la mise en état avait jugé qu’il n’y avait pas de grief, « le chef de dispositif que l’appelant a entendu remettre en cause étant aisément identifiable », « la cour devait être regardée comme saisie de l’effet dévolutif de l’appel ». La deuxième chambre civile rejette le pourvoi et apporte la solution suivante :

4. Selon l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s’opérant pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

5. En outre, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

6. Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d’appel fondée sur ce même grief aurait été rejetée.

7. En application des articles L. 311-1 du code de l’organisation judiciaire et 542 du code de procédure civile, seule la cour d’appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l’absence d’effet dévolutif, à l’exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l’article 914 du code de procédure civile.

8. Ayant relevé que la déclaration d’appel mentionnait au titre de l’objet/portée de l’appel un « appel total » et ne visait aucun chef de jugement critiqué et qu’aucune régularisation de la déclaration d’appel n’était intervenue dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond, la cour d‘appel, qui ne pouvait que constater que cette déclaration d’appel était dépourvue d’effet dévolutif, quand bien même le conseiller de la mise en état avait rejeté la demande d’annulation de cette déclaration d’appel fondée sur l’absence de mention des chefs de jugement critiqués faute de grief causé aux intimés, en a exactement déduit qu’elle n’était saisie d’aucune demande, l’absence d’effet dévolutif opérant pour l’ensemble des intimés.

L’adieu aux armes

Répondant à trois demandes d’avis, mais à cela seulement, la Cour de cassation a précisé dans un premier temps que l’acte d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués encourt une nullité de forme, régularisable dans le délai imparti à l’appelant pour conclure, et qu’il ne résulte de l’article 562 du code de procédure civile, qui précise que l’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent, aucune fin de non-recevoir (Civ. 2e, avis, 20 déc. 2017, nos 17019, 17020 et 17021, Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 18 image ; ibid. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean image). C’était l’appréciation littérale et logique de l’article 901 du code de procédure civile, et la réponse aussi à la question posée, celle de la sanction encourue entre la nullité et la fin de non-recevoir. Ainsi, s’il se place sur le terrain de la nullité, l’intimé doit démontrer le grief que lui cause cette déclaration d’appel qui omettrait un chef, plusieurs chefs ou la totalité des chefs de jugement critiqués, ce qui semble aussitôt compromis, puisqu’à la lecture des conclusions de l’appelant, il comprendra la critique effectivement portée. Rappelons-le, l’appelant doit aussi énoncer ces chefs de jugement critiqués...

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Rapport 2021 du CSM : l’indépendance en question

Comme chaque année, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), chargé par la Constitution d’assister le président de la République dans son rôle de garant de l’indépendance des magistrats, sacrifie au rituel d’une conférence de presse, pour présenter son activité de l’année écoulée. Un exercice choral présenté par Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, François Molins, procureur général près cette même cour, assistés de plusieurs membres du conseil.

L’année 2021 aura été marquée par de nombreuses attaques de politiques à l’égard de l’institution judiciaire, qualifiées « d’outrancières » par M. Molins, une défiance croissante de l’opinion publique sur son fonctionnement et la publication, à l’automne, de l’appel de 3 000 magistrats, lancé en réaction au suicide d’une jeune magistrate, a mis en lumière le malaise et la souffrance d’un monde judiciaire.

Au cours de cette année perturbée par la crise sanitaire, le CSM a poursuivi sa réflexion sur « la problématique centrale des ressources humaines de la magistrature », point noir de la gestion de ce corps de près de 9 000 magistrats. Ainsi, le Conseil, toutes formations confondues, a rendu 2 284 avis sur les propositions de nominations du ministère de la Justice, soit un renouvellement de moins d’un tiers de cette profession, à 70 % féminine. En 2021, soixante et onze femmes occupaient les fonctions de présidentes de tribunal judiciaire (TJ) et cinquante-trois celles de procureures.

Crise de vocation

Pour rappel, concernant...

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Offre incomplète : pas de sanction de l’assureur pour des préjudices inconnus

Afin d’accélérer l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, la loi Badinter du 5 juillet 1985 a instauré une procédure obligatoire pour les assureurs en cas de dommage corporel (v. R. Bigot et A. Cayol, Le droit de la responsabilité civile en tableaux, préf. de P. Brun, Ellipses, 2022, p. 336 s.). Cette procédure, dite « d’offre active » (par opposition à la procédure « d’offre passive », issue de la loi du 1er août 2003 transposant une directive européenne du 16 mai 2000, et applicable, quelle que soit la nature du dommage : C. assur., art. L. 211-9, al. 1er), leur impose d’adresser spontanément une offre à la victime, dans le délai maximum de huit mois à compter de l’accident. L’offre comprend tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’un règlement préalable (C. assur., art. L. 211-9, al. 2). Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l’assureur n’a pas, dans les trois mois suivant l’accident, été informé de la consolidation de l’état de la victime. L’offre définitive d’indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l’assureur a été informé de cette consolidation (C. assur., art. L. 211-9, al. 3). Des sanctions pécuniaires sont...

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Quelle jurisprudence à l’ère des données judiciaires ouvertes ?

En juillet 2021, nous commentions dans ces colonnes le rapport « Cour de cassation 2030 » (D. actu., 15 juill. 2021, note C. Hélaine) projetant la Cour de cassation dans son futur à travers une série de propositions plus ou moins originales (opinions dissidentes, meilleur dialogue des juges, recours à une motivation enrichie plus fréquente entre autres). Le 14 juin 2022, c’est un second rapport qui a été remis aux Chefs de Cour, sur la diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence. La genèse du projet remonte au 23 juillet 2021 : Mme Chantal Arens, Première Présidente de la Cour de cassation, et M. François Molins, Procureur Général, ont confié à M. Loïc Cadiet, Mme Cécile Chainais (tous deux professeurs des universités) et M. Jean-Michel Sommer (directeur du service de documentation, des études et du rapport à la Cour de cassation) une mission de réflexion sur cette thématique. Le but était de mener une étude sur l’incidence de l’open data des décisions de justice qui a débuté récemment mais également sur le rôle des différents acteurs du monde judiciaire à ce sujet (magistrats, avocats sans oublier les universitaires). Dans la lettre de mission, Mme Arens et M. Molins résument bien l’objet même de cette réflexion, à savoir « reconsidérer la notion même de jurisprudence ». Les difficultés majeures gravitent alors inévitablement autour du rôle du précédent interrogeant tour à tour l’office du juge mais également l’organisation judiciaire entre les juridictions du fond et la Cour de cassation. Or le rôle de cette dernière reste que « l’interprétation de la loi soit la même pour tous » comme le rappelle élégamment la page d’accueil de son site internet à chaque visiteur. La diffusion massive de nouvelles données décisionnelles implique de s’interroger sur les outils au service de la continuité de ce rôle. Le développement des sites internet de « jurimétrie » interpelle également et avec ces derniers, naît un questionnement autour de la réutilisation des données issues de ces décisions. La lettre de mission reste donc très dense et axée autour d’une question majeure que nous reproduisons ci-dessous afin de déterminer dans cette étude quelles réponses y apportent le rapport déposé le 14 juin 2022 :

Dans quelle mesure la connaissance d’une telle masse de décisions, permise par l’open data, peut-elle conduire à la reconnaissance, consacrée ou imposée, d’une jurisprudence « horizontale », au point de conférer une valeur normative et régulatrice aux décisions des juridictions du fond ?

En somme, la question reste celle de l’adéquation des décisions entre elles mais également de leur autorité, voire de leur force normative. L’interrogation est évidemment tant pratique (notamment en raison du développement d’algorithmes analysant les décisions de justice par les acteurs de la Legal Tech) que théorique sur des problématiques intéressant l’organisation judiciaire en France. C’est dans ce contexte que se présentait donc la mission confiée le 23 juillet 2021 aux présidents du groupe de réflexion. Le produit fini remis à la Cour de cassation dénote de la grande qualité de l’exécution de cette tâche : 160 pages d’une précision millimétrée, livrées dans les temps souhaités. La mixité professionnelle des rapporteurs par la présence d’un universitaire (M. Sylvain Jobert, professeur des universités) et d’une conseillère référendaire (Mme Estelle Jond-Necand) a permis à ce rapport de mêler la théorie et la pratique avec beaucoup de soin. L’introduction du rapport reprend le questionnement de la lettre de mission en étudiant l’évolution historique de la notion de jurisprudence (p. 23) et en s’interrogeant notamment sur une question pivot : les décisions rendues par les juges du fond sont-elles constitutives d’une jurisprudence ? Question à la réponse nuancée, que le rapport explore plus avant dans son corps et dans les recommandations listées. L’introduction note encore que la réflexion (pp. 27 et 28 du rapport) implique de s’interroger sur l’articulation des jurisprudences entre celle de la Cour de cassation et celles des juges du fond. 

Nous analyserons tour à tour l’état des lieux dressé des formes de diffusion des décisions de justice en France avant d’examiner les perspectives dessinées par le groupe d’étude, notamment en prenant en compte les risques de l’open data et ses éventuelles mises à profit.

Une diversification et une pluralité des modes de diffusion des décisions

Le rapport note le caractère inédit d’un tel état des lieux sur la diffusion des données décisionnelles (p. 32). Il est vrai que peu d’études ont eu l’occasion d’être menées sur la question notamment en raison de la difficulté d’être exhaustif à ce sujet. Le groupe de travail a accordé une grande précision à cette première partie qui sert de base structurelle à tout l’édifice du rapport. L’état des lieux invite à évoquer la diversité de la diffusion et l’intérêt de sa réception.

De l’importance et de la diversité de la diffusion...

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Précisions sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel

Il est classique en procédure civile que le droit d’intimer en appel tous ceux qui ont été parties en première instance n’implique pas celui de présenter des prétentions à l’encontre des parties contre lesquelles l’appelant n’a pas conclu en première instance (v. Civ. 3e, 24 mai 2017, n° 15-27.302 P, Dalloz actualité, 26 juin 2017, obs. S. Prigent ;  D. 2017. Actu. 1121 image ; Gaz. Pal. 14 nov. 2017, p. 32, note Millard ; Rev. loyers 2017. 380, note Peignot ; Civ. 2e, 12 juin 2008, n° 06-20.400, Procédures 2008, n° 258, note Perrot ; Civ. 1re, 18 mars 2003, n° 01-01.073 P, RTD civ. 2003. 355, obs. R. Perrot image ; Procédures 2003, n° 109, note R. Perrot), la sanction consistant en l’irrecevabilité de la demande, fin de non-recevoir susceptible d’être soulevée en tout état de cause (Civ. 2e, 24 janv. 2008, n° 07-15.433 P, D. 2008. AJ 555 image ; Procédures 2008, n° 103, obs. R. Perrot ; sur la distinction entre demande nouvelle et moyen, v. Civ. 2e, 11 mars 1998, n° 96-11.443 P, Procédures 1998, n° 109, obs. R. Perrot).

Si cette règle est claire et bien connue, reste à identifier ce qu’il faut entendre par demande « nouvelle » et à considérer l’exception posée à l’article 566 du code de procédure civile posant le principe de recevabilité des demandes qui sont, vis-à-vis de la demande principale, l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. Rapporté au champ du contentieux du licenciement, comment qualifier la demande en paiement d’heures supplémentaires qui n’interviendrait qu’à hauteur d’appel ? Tel était l’enjeu dans l’affaire ayant donné lieu à...

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 SYMBOLE GRIS

Ordre des avocats de Carpentras


16, impasse Ste Anne

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