Saisie-attribution et transmission d’une créance : attention aux formalités

par Cédric Hélainele 23 novembre 2020

Civ. 2e, 22 oct. 2020, F-P+B+I, n° 19-19.999

L’arrêt présenté aujourd’hui revient sur les quelques hésitations existant autour de la transmission d’une créance ayant donné lieu à l’établissement d’une copie exécutoire à ordre (v. Rép. civ., v° Cession de créance, par C. Ophèle, n° 142). On sait que la loi n° 76-519 du 15 juin 1976 précise que les anciennes formalités de l’article 1690 du code civil avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ne s’appliquaient pas à ces cessions particulières. Le contentieux porté devant la Cour de cassation tranche une question de formalité, celle de l’article 6 de la loi précitée lequel précise : « Le notaire signataire, en application de l’alinéa 2 ci-dessus, notifie l’endossement, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au notaire qui a reçu l’acte ayant constaté la créance, au débiteur […] » (nous soulignons). Plus précisément encore, nous sommes au confluent du régime général de l’obligation et des procédures civiles d’exécution puisque des saisies-attributions avaient été réalisées par le cessionnaire. Rappelons brièvement les faits. Une banque cède le 23 avril 2015 à une société des créances qu’elle détenait sur une société civile immobilière (SCI) au titre de deux prêts consentis par acte notarié du 25 avril 2005 et du 22 avril 2006. Le 8 janvier 2016, deux actes d’endossement de la copie exécutoire des actes notariés ont été reçus par le notaire. Le 4 avril 2017 débutent plusieurs saisies-attributions à exécution successive entre les mains des locataires de la société débitrice. Celle-ci demande alors la mainlevée des...

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Requête à jour fixe : avec les conclusions, c’est mieux

Dans son rapport annuel de 2015, la Cour de cassation considérait que « le domaine et le régime du contredit apparaissent désormais poser plus de difficultés que ce dispositif ne comporte d’avantages par rapport à l’ouverture d’une voie de recours ordinaire ». Le législateur l’a entendu et, par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, il a supprimé le contredit au profit d’un appel.

Mais là où la Cour de cassation suggérait que « l’instruction de cet appel devrait avoir lieu selon l’une des procédures d’appel accélérées : ainsi l’appel serait-il jugé suivant la procédure de l’article 905 du code de procédure civile, applicable au référé, voire selon la procédure à jour fixe si l’appelant l’estime nécessaire pour préserver ses droits », le décret a imposé une procédure à jour fixe.

La simplicité de la procédure de contredit et sa grande souplesse ont laissé place à un « appel-contredit » redouté par les avocats. Le législateur aurait voulu dissuader les plaideurs de faire appel de ce type de décisions qu’il ne s’en serait pas pris autrement. Et depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle procédure d’appel, le 1er septembre 2017, les avocats se heurtent à des difficultés de procédure qui alimentent la jurisprudence en la matière.

Dans le cadre d’un litige prud’homal, un conseil de prud’hommes s’est estimé incompétent au profit du tribunal du travail de Monaco.

Le salarié, mécontent de la décision, fait appel.

L’avocat qui représente la salariée comprend que l’appel relève de dispositions particulières, qui le fait échapper au circuit ordinaire. Il saisit donc le premier président… d’une demande de fixation prioritaire.

Le délégué du premier président requalifie cette demande de fixation prioritaire en demande d’autorisation à assigner à jour fixe et rend une ordonnance autorisant l’appelant à assigner.

L’appelant fait délivrer l’assignation à jour fixe.

L’intimé, qui ne se satisfait pas de cette demande de fixation prioritaire, conclut à titre principal à la caducité de l’appel pour non-respect par l’appelant de la procédure à jour fixe.

La caducité est écartée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui estime que c’est une « erreur de pure forme qui ne porte que sur les modalités de mise en œuvre de la procédure d’appel », et la cour infirme le jugement d’incompétence.

Sur pourvoi de l’employeur, l’arrêt est cassé et l’appel déclaré caduc.

Fixation prioritaire ou jour fixe ?

Si l’article 84, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à l’autorisation d’être assigné à jour fixe, il est également...

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Comment la Chancellerie tente d’aménager le travail à distance des greffiers

Critiquée pour son manque d’anticipation, la Chancellerie tente en urgence de rattraper son retard sur l’accès à distance informatique des greffiers du civil, privés pour la plupart de télétravail à cause des défaillances de la chaîne applicative Winci. Après avoir annoncé des premiers tests, le ministère de la Justice a annoncé, lundi 2 novembre, des résultats encourageants. 95 % des juridictions semblent être en effet en mesure de proposer un accès à distance au logiciel.

Cependant, les informaticiens de la Place Vendôme marchent sur des œufs avec cette fonctionnalité qui était naguère présentée comme impossible. « Pour garantir une montée en charge progressive de ce dispositif et pallier une éventuelle saturation du réseau », Paul Huber, le directeur des services judiciaires, dans un courrier du 30 octobre, a demandé aux chefs de cour de recenser une liste d’utilisateurs minimale et maximale. Au total, la direction des services judiciaires a reçu des demandes d’accès à distance pour 2 125 utilisateurs répartis dans 87 juridictions. Parmi eux, 1 225 utilisateurs, jugés prioritaires, vont obtenir, « à brève échéance », un accès à distance. On ignore cependant les modalités exactes du calendrier envisagé. Seconde évolution en cours, l’accès à distance à la messagerie personnelle depuis un équipement personnel, est désormais possible. Enfin, le ministère a indiqué avoir distribué la semaine passée 1 300 ordinateurs ultraportables, destinés en priorité aux greffiers, « un effort très substantiel ».

Les organisations syndicales du ministère de la Justice restent cependant circonspectes face à ces annonces. Le 5 novembre dernier, elles avaient déjà appelé en vain à la réactivation des plans de continuité d’activité, comme au printemps. « Le télétravail est une illusion. Pour la cour d’appel de Paris, on nous parle d’environ 150 utilisateurs qui seraient éligibles à l’accès à distance, alors que nous estimons qu’un millier de personnels du greffe doivent travailler sur Winci dans cette juridiction », explique à Dalloz actualité Hervé Bonglet, le secrétaire général de l’UNSA services judiciaires. « C’est une rustine », ajoute David Melison, trésorier adjoint de l’Union syndicale des magistrats. Et de s’inquiéter, dans sa juridiction, d’une présence quasi normale des personnels de greffe dans leurs bureaux malgré le confinement. « Ce sont eux qui travaillent en open space et qui ont plus de risques d’être contaminés par la covid-19, alors que leur part de travail non faisable à distance est évaluée à une petite moitié », souligne David Melison. Une situation de crise tempérée par le ministère, qui remarque la faible proportion d’agents des services judiciaires malades, 260 au 16 novembre, et l’impossibilité, pour de nombreux agents, de faire du télétravail pour leur mission principale, l’audience.

Garantie des vices cachés (ventes successives) : prescription de l’action et application de la loi nouvelle

Malgré ses atours de décisions statuant exclusivement sur l’action en garantie des vices cachés, l’arrêt rapporté du 1er octobre 2020 pose davantage la délicate question de l’application dans le temps du délai butoir à cette action.

Par acte authentique des 18 décembre 1970 et 16 mai 1972, un couple avait fait l’acquisition de deux bungalows qu’il fit réunir en un seul immeuble. Depuis, ce bien a fait l’objet de plusieurs ventes, dont la dernière, conclue le 21 mai 2010, a été au cœur d’un épineux litige entre les vendeurs successifs et le dernier acheteur.

En effet, à la suite de la remise d’un rapport expertal concluant à l’existence de désordres rendant l’immeuble impropre à sa destination pour atteinte à sa solidité, celle-ci initia une action en garantie des vices cachés à l’encontre de chacun d’eux.

En cause d’appel, les juges du fond, dans un arrêt infirmatif, ont considéré que le jour de la naissance du droit devait être fixé au jour du contrat consacrant l’obligation à la garantie des vices cachés des premiers vendeurs. Ils jugèrent également que le report du point de départ du délai de la prescription au jour où l’acheteur avait eu connaissance du vice dans son ampleur ne pouvait avoir pour effet de porter la prescription au-delà de vingt ans à compter de la naissance du jour du droit. Et de déduire, que l’action qu’il avait engagée plus de vingt ans après la signature du contrat de vente était prescrite.

Dans son pourvoi en cassation, l’acheteur s’est prévalue de son opposition à la prise en compte, comme point de départ du délai de prescription, du jour de la conclusion du premier contrat de vente, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir fait courir ce délai à compter de l’apparition du dommage. Il contesta par ailleurs l’application des dispositions de l’article 2232 du code civil, opérée par les juges du fond, en...

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P. Rancé, [I]Les ennemis jurés. Juges et politiques[/I]

Une fois n’est pas coutume : peut-être faut-il dire un mot de l’homme avant d’évoquer son ouvrage. Pierre Rancé connaît son sujet. Il est un homme de la justice tout autant qu’un homme, pourrait-on écrire, de son livre, dans la mesure où nul n’avait meilleur poste d’observation que le sien, ces dernières années, pour évoquer les liaisons entre politique et justice, entre juges et hommes politiques. De ce fait, son ouvrage se révèle un précieux et passionnant témoignage de cet entrelacs bien embarrassant de notre époque contemporaine. En effet, Pierre Rancé est d’abord un spécialiste des affaires de justice, chroniqueur pour différents médias nationaux qui lui ont donné une fine connaissance des dossiers qu’il analysera ensuite. Mais il a aussi été le porte-parole de Christiane Taubira, à l’époque où elle était garde des Sceaux. Ainsi maîtrise-t-il les rouages de ce monde si complexe et notamment cette question, fonction de porte-parole oblige, des relations entre ces deux mondes qui devraient rester hermétiquement distincts dans une saine démocratie.

Ce n’est pourtant pas faute pour la magistrature de le souhaiter et de lutter pour son indépendance. Et Pierre Rancé commence fort, mais à juste titre. L’instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique serait le fait de chaque gouvernement de la Ve République, une sorte de funeste « tradition historique » dont il faudrait faire remonter l’origine – et l’explication – à la conception du pouvoir judiciaire par la Constitution. Une phrase, évoquée ailleurs par l’auteur à propos de l’expression de « parquet », résume malheureusement bien cet état des choses : « comme quoi les habitudes ont la vie dure, surtout dans la justice » (p. 17). Mais cette situation n’est pas simple, loin s’en faut : elle aboutit, selon l’auteur, à ce que les tentatives de certains personnages politiques pour museler la justice, au cours de l’histoire récente, ont été légion, en dépit des efforts remarqués de beaucoup de magistrats pour tenter de s’émanciper de cette tutelle, sans que ceux-là même qui ont été à l’origine de telles pressions ne s’en émeuvent.

En posant les bases, pour bien comprendre les enjeux et les moyens de cette instrumentalisation, l’auteur rappelle quelques éléments mobilisés par le pouvoir politique et qui sont parfois oubliés, au profit de méthodes plus connues (c’est ce qui est, selon Pierre Rancé, en dessous de l’iceberg, p. 28). Ainsi, par exemple, l’instrumentalisation passe aussi par les ressources que l’on affecte à l’enquête. « L’intervention du politique pour empêcher les juges de travailler peut donc passer aussi par les moyens mis à la disposition de la justice » et, pour freiner une affaire, il suffit « d’atrophier le service de police chargé de l’enquête ». Il s’agit d’ « un soft power efficace dont personne ne parle, ou rarement » (p. 29).

Le livre de Pierre Rancé, qui se lit comme un thriller dont on peine parfois à croire qu’il est vrai, fait utilement le point sur une histoire du temps présent qui peut faire frémir. Les affaires emblématiques des trente dernières années sont relatées avec beaucoup de soin. On se souvient de la tentaculaire affaire Urba, qui a duré presque le temps d’une décennie, des HLM de Paris ou encore de ce procureur que l’on est parti chercher en hélicoptère, alors qu’il se trouvait en plein cœur du Népal, en haut de l’Himalaya. Ce qui fascine, à la lecture de l’ouvrage de Pierre Rancé, c’est cette impression d’irréel tant les ficelles sont grossières, tant les faits sont commis sans vergogne. Et pourtant, le récit n’est pas un mythe. Pierre Rancé a interrogé nombre des protagonistes des dossiers auxquels il s’est intéressé, donnant la voix à ces juges d’instruction qui ont tenté de s’opposer à la mainmise du politique, à des ministres, des avocats, des conseillers et autres experts ayant eu à intervenir dans ces affaires. Pierre Rancé, particulièrement bien informé, donne vie à tous ces dossiers qui doivent demeurer en tête comme autant de dérives qu’il convient d’éviter. Nombreux sont les personnages qui défilent sous sa plume et qui rappellent combien certains n’ont parfois éprouvé aucun scrupule à fouler allègrement les principes essentiels d’une justice saine et démocratique.

La justice est certes une institution collective, mais le juge d’instruction s’est retrouvé bien seul dans les dossiers que décrit l’auteur. Aujourd’hui, selon l’auteur, la situation a peut-être changé. Les relations entre politique et justice semblent avoir évolué. C’est toutefois au prix d’une sorte de « contournement ». Et à long terme, celui-ci pourrait s’avérer tout aussi néfaste.

Pierre Rancé, Les ennemis jurés. Juges et politiques, Robert Laffont, 2020.

De la précision de la motivation dans le rejet d’une mainlevée d’hospitalisation sans consentement

1. L’hospitalisation sans consentement repose en grande partie sur le certificat médical attestant de la nécessité de la mesure. Il s’agit de la pièce maîtresse de l’institution, véritable clef de voûte de tout ce mécanisme aussi subtil que complexe. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 octobre 2020 permet d’entrevoir les conséquences de cette subtilité sur la décision judiciaire elle-même. En l’espèce, une personne présente des troubles psychiatriques qui motivent son admission en alternant soins psychiatriques et soins ambulatoires selon un programme établi par un médecin. Le 7 décembre 2018, le Préfet décide une réadmission en soins psychiatriques de l’intéressé. La Cour de cassation est venue casser l’arrêt d’appel rejetant la nullité aux fins de mainlevée de la mesure, sans renvoi. Cet arrêt de la Cour de cassation a été étudié dans ces colonnes par Madame Peterka l’année passée, nous renvoyons donc le lecteur à son analyse (Civ. 1re, 21 nov. 2019, n° 19-17.941 F-P+B+I, Dalloz actualité, 5 déc. 2019, obs. N. Peterka ; D. 2019. 2304 image ; RTD civ. 2020. 73, obs. A.-M. Leroyer image). Le 27 janvier 2020 suivant, le Préfet maintient pour six mois le programme de soins décidé le 25 octobre 2019. Le 31 janvier, l’intéressé saisit le juge des libertés et de la détention (JLD) pour obtenir la mainlevée de la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1...

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Attribution de la nationalité et Convention européenne des droits de l’homme

Plusieurs affaires portées devant la Cour de cassation le 4 novembre 2020 permettent de revenir sur la possibilité de contrôler la conventionnalité du droit de la nationalité.

Dans la première affaire (pourvoi n° 19-15.150), il était question d’une personne née à Djibouti en 1959. La cour d’appel de Pau a constaté son extranéité, au motif que l’intéressé ne démontrait pas avoir conservé la nationalité française au moment de l’indépendance de ce territoire. L’intéressé conteste cet arrêt en soutenant que les conditions de la conservation de la nationalité française à la suite de l’indépendance du Territoire français des Afars et des Issas (TFAI), telles qu’elles résultent de la loi du 20 juin 1977, constituent une violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, cette loi soumet à une obligation de déclaration de reconnaissance de la nationalité française les seules personnes originaires du TFAI, à condition de surcroît qu’elles aient établi leur domicile à la date de l’indépendance dans le territoire de la République française. S’agissant là de critères discriminatoires fondés sur l’appartenance ethnique et/ou religieuse, la cour d’appel aurait violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne.

Dans la seconde affaire (pourvoi n° 19-17.559), l’intéressé était né à Pondichéry en 1956 et son action déclaratoire de nationalité en raison de sa filiation avec un père français né sur le territoire de Pondichéry et une mère née en Inde anglaise et devenue française par mariage s’était aussi soldée par un échec. La cour d’appel de Paris, en application d’un traité bilatéral conclu entre la France et l’Inde en 1962, a considéré que l’intéressé n’était pas français.

Il a alors formé un pourvoi en cassation, arguant de la violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne. En effet, le traité de 1962 établit une distinction selon que la mère ou le père a perdu la nationalité française. Cette disposition, consacrant une inégalité entre les filiations paternelle et maternelle, entre l’homme et la femme, et entre les parents, reposant sur le sexe des parents, constituerait une disposition discriminatoire portant atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale. Le pourvoi soutenait encore que le traité bilatéral est contraire à la fois à la Convention multilatérale des Nations unies pour toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et au protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme énonçant des droits fondamentaux tels que l’égalité entre les parents vis-à-vis de leurs enfants.

Dans les deux affaires, la Cour de cassation rejette le pourvoi, en rappelant sa jurisprudence antérieure : « La détermination, par un État, de ses nationaux par application de la loi sur la nationalité ne peut constituer une discrimination au sens de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’est assuré le droit à une nationalité ». Elle confirme également que les règles du droit de la nationalité peuvent faire l’objet d’un contrôle au regard de l’article 8. Dans la première affaire, la cour d’appel avait affirmé que « les conditions d’attribution par un État de sa nationalité n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». La Cour de cassation estime que ce motif de la cour d’appel est erroné, mais surabondant, donc insusceptible d’entraîner la cassation. Dans la seconde affaire, elle retient que le moyen ne fait état d’aucune incidence concrète du traité de cession des établissements français de 1956 (et donc, du fait que l’intéressé n’a pas la qualité de Français en application du traité de 1962) sur la vie privée et familiale de l’intéressé. En outre, ce dernier n’a invoqué devant la cour d’appel ni la Convention des Nations unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ni le protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le moyen est donc nouveau et mélangé de fait, donc irrecevable. En revanche, la Cour de cassation ne semble pas exclure de manière générale un contrôle des dispositions françaises au regard des exigences posées par ces textes.

Par ces arrêts, la Cour de cassation confirme la position retenue en 2007 : la détermination, par un État, de ses nationaux, par application de la loi sur la nationalité, ne peut constituer une discrimination au sens de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme dès lors qu’est assuré le droit à une nationalité (Civ. 1re, 25 avr. 2007, n° 04-17.632, D. 2007. 1343 image).

La Cour européenne de droits de l’homme (CEDH) avait fait entrer les questions de nationalité dans le champ d’application de la Convention européenne des droits de l’homme (v. not. CEDH 11 oct. 2011, n° 53124/09, Genovese c. Malte, AJ fam. 2011. 551, obs. M. Rouillard image ; Rev. crit. DIP 2012. 61, étude F. Marchadier image ; 26 juin 2014, nos 65941/11 et 65192/11, Labassée c. France et Mennesson c. France, Dalloz actualité, 30 juin 2014, obs. T. Coustet ; AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; D. 2014. 1797, et les obs. image, note F. Chénedé image ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 1806, note L. d’Avout image ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1007, obs. REGINE image ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2014. 499 image ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon image ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser image ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud image ; 21 juin 2016, n° 76136/12, Ramadan c. Malte, Dalloz actualité, 4 juill. 2016, obs. B  Hérisset ; D. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; Rev. crit. DIP 2017. 221, note F. Marchadier image). De fait, même si la nationalité ne fait pas partie en tant que telle des droits protégés par la Convention européenne, elle constitue un élément de l’identité des personnes (donc elle relève de l’article 8 consacrant le droit au respect de la vie privée) et peut avoir des incidences sur la vie familiale de celui à qui elle est refusée ou retirée. Le jeu combiné des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme peut également conduire la CEDH à examiner les règles, étatiques ou supranationales, qui seraient potentiellement discriminatoires en matière de nationalité (comme dans l’affaire Genovese c. Malte préc.) mais aussi la mise en œuvre de ces règles (comme dans l’affaire Ramadan c. Malte préc.).

Le Conseil d’État a pris acte de cette position et a accepté d’intégrer l’article 8 de la Convention européenne dans sa jurisprudence en matière de nationalité (CE 12 déc. 2014, req. n° 367324, Associations juristes pour l’enfance et a., Dalloz actualité, 18 déc. 2014, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon image ; AJDA 2015. 357 image, note J. Lepoutre image ; ibid. 2014. 2451 image ; D. 2015. 355, et les obs. image ; ibid. 352, concl. X. Domino image ; ibid. 357, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon image ; ibid. 450, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot image ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; AJ fam. 2015. 53, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RFDA 2015. 163, concl. X. Domino image ; RTD civ. 2015. 114, obs. J. Hauser image). La Cour de cassation, à partir de 2015 (v. Civ. 1re, 9 sept. 2015, JDI 2016, n° 4, p. 16, note H. Fulchiron et A. Panet), a commencé à admettre que le droit de la nationalité puisse faire l’objet d’un contrôle au regard de l’article 8 de la Convention. Elle confirme ici cette position, mais sans conclure à une violation, faute pour les intéressés d’avoir établi une incidence concrète sur leur vie privée et familiale de leur absence de nationalité française. Si le principe du contrôle des dispositions relatives à la nationalité était déjà admis (v. égal. Civ. 1re, 19 sept. 2019, n° 18-20.782, Dalloz actualité, 7 oct. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 1833 image ; ibid. 2020. 298, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot image ; ibid. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2019. 651, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2019. 835, obs. A.-M. Leroyer image), il est ici confirmé par ces deux arrêts, ainsi que deux autres rendus le même jour sur des faits similaires à la seconde affaire (pourvois nos 19-17.561 et 19-17.560, Dalloz jurisprudence).

Covid-19 et juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale : nouvelles mesures

Pour lutter contre les conséquences de l’épidémie et du confinement sur le fonctionnement de la justice, le gouvernement a de nouveau adopté, le 18 novembre 2020, une ordonnance (n° 2020-1400 ; v., sur les mesures relatives à la copropriété qu’elle contient, P.-E. Lagraulet, Covid-19 : dossier de soin du patient copropriété, Dalloz actualité, 26 nov. 2020) et un décret (n° 2020-1405) portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale. Cette ordonnance, adoptée conformément à l’habilitation reçue par le gouvernement en application de l’article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, réitère certaines mesures, mais pas toutes, prévues par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 (v. C. Bléry, Épidémie de covid-19 : mesures de procédure civile, D. 2020. 780 image) telle que modifiée par l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 (v. G. Maugain, Coronavirus : complément aux règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, Dalloz actualité, 3 juin 2020).

Champ d’application

Champ d’application de l’ordonnance

Les articles 1er de l’ordonnance et du décret précisent le champ d’application des dispositions qu’elles contiennent. Matériellement, elles s’appliquent aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, c’est-à-dire à toute la matière civile, commerciale, sociale, fiscale, mais aussi en matière disciplinaire (v. en sens la circulaire qui avait accompagné l’ordonnance du 25 mars 2020 et dont les mesures sont pour l’essentiel réitérées par les textes nouveaux, Circ. DSJ/DACS, n° 02/20, 26 mars 2020).

Outre cette précision matérielle, il est précisé que les dispositions contenues par ces textes ne s’appliqueront qu’aux instances en cours au lendemain du jour de la publication de l’ordonnance, c’est-à-dire au 20 novembre 2020, et pendant une période ayant pour terme l’échéance du délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020. Celui-ci devant à ce jour prendre fin le 16 février 2021, par application de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, la période protégée devrait s’achever le 15 mars 2021 à minuit (et non le 16 mars 2021) si l’on s’en réfère à la méthode de computation des délais employée par le Conseil d’État (CE 10 avr. 2020, n° 439903, Dalloz actualité, 17 avr. 2020, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2020. 814 image) et le gouvernement (circ. interprétative du 17 avril) lors du premier confinement et au regard des dates finalement précisées lors des dernières ordonnances.


Mesures d’organisation des services judiciaires

Mécanisme palliatif au défaut de fonctionnement d’une juridiction du premier degré

L’article 2 de l’ordonnance permet une réorganisation du fonctionnement des juridictions afin de pallier l’incapacité de fonctionner d’une juridiction du premier degré, qu’elle soit partielle ou totale. Dans un tel cas, cette mesure, qui figurait à l’article 3 de l’ordonnance du 25 mars 2020, confère le pouvoir au premier président de la cour d’appel de désigner par ordonnance, pour les affaires en cours à compter du 20 novembre, « après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées, une autre juridiction de même nature et du ressort de la même cour pour connaître de tout ou partie de l’activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée ».

L’ordonnance doit déterminer la date de prise d’effet du transfert, la durée du transfert de compétence, celle-ci ne pouvant dépasser celle déterminée par l’article 1, et préciser les activités faisant l’objet du transfert de compétence.

L’ordonnance devra enfin, a minima, faire l’objet d’une publication dans deux journaux diffusés dans le ressort de la cour et être adressée aux bâtonniers des ordres des avocats des ressorts concernés ainsi qu’au Conseil national des barreaux pour diffusion.

Restriction de la formation de jugement

L’article 4 de l’ordonnance réitère certaines dispositions de l’article 5 de celle du 25 mars permettant à nouveau aux juridictions, sur décision de son président, de statuer à juge unique en première instance et en appel. Cette disposition s’applique à toutes les affaires qui lui sont soumises et dans lesquelles l’audience de plaidoirie ou la mise en délibéré dans le cadre de la procédure sans audience a lieu pendant la période juridiquement protégée fixée par l’article 1er de l’ordonnance. Aucun mécanisme d’opposition n’est prévu à cette décision.

L’article précise en outre dans cette situation une hypothèse particulière relative au conseil de prud’hommes pour lequel le président, sur avis du vice-président, peut décider que le conseil statue en formation comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié. Dans cette rédaction, il n’y a pas de doute sur le pouvoir (et donc le choix de son exercice), contrairement à la version antérieure qui pouvait être interprétée comme une obligation : « le conseil de prud’hommes statue » (v. en ce sens G. Maugain, art. préc.).

En cas de partage des voix, l’article précise que l’affaire devra être renvoyée devant un juge du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud’hommes. De la même manière qu’il avait été prévu lors de la première période d’urgence sanitaire, si le juge n’a pas tenu l’audience de départage au terme de la période juridiquement protégée fixé à l’article 1er de l’ordonnance, alors l’affaire est renvoyée à la formation restreinte présidée par ce juge.

Représentation des juges en exercice à l’assemblée générale du tribunal de commerce, du tribunal judiciaire et de la cour d’appel

L’article 7 du décret, en vue des assemblées générales des juridictions qui se tiennent en principe au mois de novembre (v. not. COJ, art. R. 212-23), permet d’augmenter le nombre de délégations que chaque mandataire peut recevoir. L’article 7, II, fixe ainsi ce seuil à deux procurations pour le mandataire chargé de représenter les juges à l’assemblée générale du tribunal de commerce et à cinq procurations pour la représentation des membres de l’assemblée générale du tribunal judiciaire et de la cour d’appel.


Mesures d’organisation des échanges

Forme des échanges entre les parties « simplifiée »

L’article 4 du décret, miroir de l’article 6 de l’ordonnance du 25 mars, dispose que les parties peuvent, par dérogation aux articles 671 et suivants du code de procédure civile, échanger leurs écritures et leurs pièces par « tout moyen dès lors que le juge peut s’assurer du respect du contradictoire ».

L’article 6 du décret permet également, par dérogation aux articles 1222 à 1223-1 du code de procédure civile, de communiquer par tous moyens le dossier d’un majeur protégé aux mandataires judiciaires à la protection juridique des majeurs. Il n’est toutefois pas possible d’employer cette mesure pour communiquer le certificat médical qui ne peut être consulté que selon les dispositions précitées du code de procédure civile.

Service du greffe

L’article 2 du décret du 18 novembre 2020 précise les modalités de communication de la décision de suppression de l’audience ou de l’audition (v. sur celle-ci infra). Dans un tel cas, comme l’article 4 de l’ordonnance de mars 2020 le prévoyait, le greffe communique l’information aux parties lorsqu’elles sont assistées ou représentées par un avocat via le « Portail du justiciable ». Dans les autres cas, les parties sont prévenues par lettre simple et, à défaut de comparaître à l’audience à laquelle l’affaire est renvoyée et si l’affaire n’a pas été citée à personne, la décision est « rendue par défaut ».

L’article 5 du décret prévoit également la réitération de la disposition de l’article 11-4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 permettant aux agents de service de greffe affectés à un service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) d’assurer la réception et la transmission par voie électronique de tous les actes en matière civile, lorsque la représentation n’est pas obligatoire. Elle permet aussi, et à nouveau, à ces agents en matière prud’homale de recevoir et transmettre selon cette forme requêtes, demandes, copie certifiée conforme, extrait et copie certifiée conforme revêtue de la forme exécutoire.

Ils pourront enfin recevoir les demandes d’aide juridictionnelle.

Dans tous les cas, la transmission électronique des documents devra être réitérée, avant qu’il ne soit statué sur la demande, par la production du document original sur support papier par son auteur.


Mesures graduées d’aménagement de l’audience

Aménagement des conditions d’accès au tribunal et aux débats

L’article 3 de l’ordonnance réitère deux mesures de l’article 6-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020.

D’abord, l’article 3, I, confie aux chefs de juridictions le pouvoir de définir les conditions d’accès à la juridiction, aux salles d’audience et aux services qui accueillent du public. Une fois définies, ces conditions devront être portées à la connaissance du public « notamment » par voie d’affichage.

Ensuite, l’article 3, II, permet au juge ou au président de la formation de jugement de décider une restriction de la publicité des débats – lorsqu’ils sont maintenus (v. infra) – pouvant aller jusqu’à la fixation de leur déroulement en chambre du conseil, c’est-à-dire jusqu’à la suppression de la publicité de ceux-ci. Lorsque ce pouvoir est employé, son titulaire décide des conditions dans lesquelles les journalistes peuvent assister à l’audience, y compris en chambre du conseil.

Audience à juge unique

L’article 3 du décret complète le dispositif précédent en permettant au juge de la mise en état et au magistrat chargé du rapport pour les procédures avec représentation obligatoire devant la cour d’appel de tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries, à charge pour lui de rendre compte au tribunal. Ce dispositif s’applique aux procédures écrites ordinaires et aux procédures avec représentation obligatoire devant la cour d’appel.

Le même pouvoir est délégué au président du tribunal de commerce pour toutes les affaires entendues par sa juridiction. La dérogation tient ici à l’absence de faculté d’opposition des avocats contrairement au mécanisme connu du droit positif à l’article 805 du code de procédure civile.

Enfin, conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 qu’elle reprend, la disposition nouvelle permet de porter cette décision à la connaissance des parties par tout moyen.

Audience dématérialisée

À l’instar de l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020, l’article 5 de l’ordonnance permet à nouveau au juge, au président de la formation de jugement et au juge des libertés et de la détention de décider que l’audience ou l’audition se tiendra en « utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle » (sic) permettant de s’assurer de l’identité des personnes y participant et de la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. Comme l’ont très justement remarqué certains auteurs, il s’agit en fait d’un moyen de visioconférence et non d’une télécommunication audiovisuelle, sauf à ce que le législateur ait souhaité la reproduction des audiences à la télévision (v. R. Laher et C. Simon, La justice civile face au reconfinement : un air de déjà-vu, Lexbase hebdo, éd. priv., n° 845, 26 nov. 2020)… D’après le texte adopté, cette décision est insusceptible de recours, ce que le Conseil d’État n’avait pas estimé être, lors du premier confinement, une atteinte grave et manifeste aux droits de la défense (CE 10 avr. 2020, nos 439883 et 43982, M. Kebir, Coronavirus et adaptation du fonctionnement des juridictions judiciaires : rejet des référés devant le Conseil d’État, Dalloz actualité, 20 avr. 2020).

En cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut décider de recourir à tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, à condition encore de pouvoir s’assurer de l’identité de la personne et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

Dans les deux cas, l’article permet enfin que les différents protagonistes (juge, greffier, partie, etc.) se trouvent en des lieux distincts au moment de l’audience dématérialisée.

Procédure sans audience

L’article 6 de l’ordonnance réitère une mesure qui avait été promue par l’article 8 de l’ordonnance de mars 2020 et jugée constitutionnelle (Cons. const. 19 nov. 2020, n° 2020-866 QPC, D. 2020. 2297 image) malgré les vives critiques qui avaient été formulées à son encontre. La disposition délègue au juge ou au président de la formation de jugement le pouvoir de décider que la procédure se déroulera sans audience. Ce pouvoir exorbitant déroge aux mécanismes connus de la procédure civile qui autorisent un tel procédé mais seulement avec l’accord des parties. Ici, le juge décidera seul, sans accord ou avis préalable. Reste toutefois la faculté pour les parties de s’opposer à la décision prise, dans un délai de quinze jours, pouvant être réduit « en cas d’urgence », par le juge ou le président de la formation de jugement.

À défaut d’opposition, la procédure devient exclusivement écrite et la communication entre les parties est faite par notification entre avocats dans les délais impartis par le juge. Au contraire, en cas d’opposition, une audience devra être ultérieurement fixée mais le juge peut en décider la forme en renvoyant simplement l’audience à une date ultérieure ou décider de recourir à la forme électronique prévue à l’article 5 de l’ordonnance.

Enfin, comme précédemment, une audition, par tout moyen, est garantie pour les personnes hospitalisées dans le cadre des procédures relatives aux soins psychiatriques sans consentement. Cette disposition s’applique aux affaires mises en délibéré dans la période mentionnée à l’article 1er de l’ordonnance (v. supra).


Mesure d’aménagement de la prestation de serment

Prestation de serment par écrit

L’article 7 de l’ordonnance dispose enfin que les serments devant ordinairement être prêtés devant une juridiction pourront être présentés par écrit. La formule semble indiquer un mécanisme optionnel, mais, déjà, les services de l’ordre des avocats de Paris auraient indiqué le recours à cette modalité de prestation de serment.

Quoi qu’il en soit, lorsque la prestation est présentée par écrit, elle devra comprendre la mention manuscrite des termes de la prestation et sera déposée auprès de la juridiction compétente qui en accuse réception.


* * *

Restera, après avoir mis en œuvre ces mesures, à s’interroger, comme l’avait fait le professeur Vergès (E. Vergès, La justice civile à l’heure du confinement : une procédure dérogatoire du 21e siècle, Lexbase hebdo, éd. priv., 2020, n° 820) sur la portée dans le temps de ces mesures, dont certaines ont vocation à obtenir valeur législative après ratification (ou même sans ratification par application de la controversée décision du Cons. const. 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC, Dalloz actualité, 3 juin 2020, obs. E. Benoit ; AJDA 2020. 1087 image ; D. 2020. 1390, et les obs. image, note T. Perroud image ; RFDA 2020. 887, note C. Barthélemy image ; v. sur le sujet RTD civ. 2020. 596 image, obs. P. Deumier ; JCP 2020. 1267, obs. P. Avril et al. ; ibid. 718, obs. P.-E. Lagraulet ; v. égal. CE 28 sept. 2020, n° 441059, Lebon image ; AJDA 2020. 1826 image) alors que la procédure civile relève en principe du domaine réglementaire.

Le commencement d’exécution s’apprécie indépendamment de la partie qui l’initie

On connaît la différence entre l’action en nullité et l’exception de nullité, la première susceptible d’être prescrite, l’autre étant perpétuelle en vertu de l’adage issu de la coutume quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt, ad excipiendum. Cette différence de régime était issue d’une lecture littérale de l’article 1304 ancien du code civil ; lecture littérale d’ailleurs assez critiquée par une partie de la doctrine (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, p. 638, n° 568). La réforme issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 est venue consacrer cette exception de nullité et son régime à travers le nouvel article 1185 du code civil (v. N. Picod, La consécration de l’exception de nullité : un second souffle pour un adage séculaire ?, D. 2020. 2076 image). Mais l’exception de nullité ne peut pas jouer en cas d’exécution du contrat : si l’exécution s’est produite, l’anéantissement rétroactif ne peut plus produire d’effets. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 novembre 2020 précise toutefois ce que l’on doit entendre par ce commencement d’exécution.

Les faits étaient assez classiques dans le contentieux contractuel. Une personne physique et une société confient en mars et en juin 2009 à un agent immobilier un mandat de recherche en vue d’acquérir un terrain sur la commune de Cadaujac contre une commission de 12 000 € à la charge de l’acquéreur. Les vendeurs de deux propriétés en indivision situés sur cette commune donnent à leur tour mandat au même agent immobilier afin de les vendre cinq jours après le dernier mandat. Par acte sous seing privé du 29 juin 2009, les vendeurs consentent à la société – puis à la personne physique qui s’y est substituée – deux promesses de vente de leurs terrains. Les vendeurs sont toutefois défaillants et un procès-verbal de carence est dressé. La vente des deux terrains est réitérée par un acte authentique du 8 octobre 2010 au profit du bénéficiaire. Le 24 avril 2014, l’agent immobilier assigne donc l’acquéreur en paiement de la somme de 24 000 € au titre de ses commissions dues en exécution des mandats de recherche. L’acquéreur oppose la nullité des mandats de recherche à l’action intentée. La demanderesse invoque une fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de nullité des mandats. La cour d’appel de Bordeaux répond alors « qu’il ne peut être retenu que M. T… a exécuté tout ou partie des obligations tirées des mandats de recherche, dès lors que Mme D… l’assigne en exécution forcée et pour le paiement de la totalité des commissions envisagées ». L’acquéreur se pourvoit en cassation en indiquant que l’exécution des mandats pouvait tout aussi bien émaner de l’agent immobilier lui-même pour ce qui concernait ses propres obligations. Le commencement d’exécution étant alors prouvé, la prescription pouvait retrouver son empire. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel pour violation de la loi. La solution est lapidaire : « le commencement d’exécution du mandat devait être apprécié indépendamment de la partie qui l’avait effectué ». Voici qui appelle plusieurs réflexions, non seulement sur le droit ancien, mais également sur le droit tel qu’issu des réformes de 2016 et de 2018.

Si le commencement d’exécution du contrat paralyse immédiatement l’exception de nullité, on peut toutefois hésiter sur les contours précis de cette notion. Or la Cour de cassation a en la matière opéré quelques rappels préalablement. Par exemple, la nature de l’obligation exécutée n’a aucune incidence pour caractériser un commencement d’exécution (Com. 13 mai 2014, n° 12-28.013, Dalloz actualité, 28 mai 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1148 image ; ibid. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki image ; RTD civ. 2014. 646, obs. H. Barbier image). M. Barbier indique à ce sujet : « quant à ce que dit l’arrêt, doit être approuvée la solution selon laquelle il est indifférent au blocage de l’exception de nullité que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité » (H. Barbier, Qu’est-ce au juste qu’un « commencement d’exécution » déjouant l’exception de nullité ?, RTD civ. 2014. 646 image). En ce qui concerne la nature de l’obligation exécutée, l’indifférence est donc de mise. On comprend aisément ce constat par la mise en marche de la machine contractuelle, laquelle doit suivre son cours, peu importe l’exception avancée. L’arrêt commenté aujourd’hui se place sur le terrain de l’acteur de l’exécution. On constate ainsi la construction par la Cour de cassation d’un régime objectif du commencement d’exécution. Pour que ce dernier puisse être reconnu, il suffit que le contrat commence à produire des effets par l’exécution de l’une des parties, peu importe sa qualité. En somme, en précisant « indépendamment de la partie qui l’avait effectué », la Cour vient apporter une nouvelle pierre à l’édifice des contours d’un commencement d’exécution apprécié objectivement. La solution doit probablement être accueillie avec bienveillance car ce n’est pas tant l’exécution par celui-ci ou celui-là qui importe, mais le statut du contrat au moment du litige. C’est précisément cette recherche dans le déclenchement de l’exécution qui est intéressante. On ne procède pas à une vérification plus poussée, laquelle méconnaîtrait l’ancien article 1304 du code civil.

Quel avenir pour cette décision face à la réécriture opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 ? Il faut voir cette solution comme parfaitement entérinée par le nouvel article 1185 du code civil, lequel précise : « L’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. » Ce texte ne fait pas que consacrer l’exception de nullité et notamment son caractère perpétuel, assez mystérieusement absent du code civil de 1804. Il vient apporter la confirmation d’un régime objectif du commencement d’exécution. En parlant d’un contrat « qui n’a reçu aucune exécution », le texte ne distingue pas entre les exécutions faites par l’une des parties ou par l’autre. Or, si la loi ne distingue pas, il convient donc de ne pas distinguer. L’arrêt du 12 novembre 2020 vient donc parfaitement s’insérer dans une continuité jurisprudentielle qui a fait l’objet d’une codification en 2016 qui tient plus de la consolidation que de l’innovation comme le remarque madame Picod (art. préc., plus précisément dans l’introduction). En somme, voici donc une solution bienvenue rappelant que le commencement d’exécution s’apprécie indépendamment non seulement de l’obligation exécutée elle-même mais de la qualité de la partie qui l’a exécutée.

Covid-19 : dossier de soin du patient copropriété

Traitement n° 1. Le sauvetage des syndicats de copropriétaires avait débuté par l’adoption de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 qui renouvela les contrats de syndics échus pendant la « période juridiquement protégée », c’est-à-dire entre le 12 mars et le 24 mai 2020 (un mois après la fin de l’état d’urgence), jusqu’au 24 novembre 2020 au plus tard, soit six mois après la fin de la période juridiquement protégée (v. P.-E. Lagraulet, Traitement sur ordonnance : la copropriété est-elle sauvée ?, Dalloz actualité, 27 mars 2020 ).

Traitement n° 2. Le sauvetage s’est ensuite poursuivi et intensifié par l’adoption de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 qui a allongé la durée de la période juridiquement protégée (deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit le 23 juillet inclus), et prolongé la période de renouvellement des mandats. Cette ordonnance a également étendu le champ d’application aux mandats de conseillers syndicaux et précisé les modalités de calcul – prorata temporis – de la rémunération du syndic. Les mandats des deux organes du syndicat échus entre le 12 mars et le 23 juillet inclus se trouvaient alors renouvelés jusqu’au 23 janvier 2021 inclus, au plus tard (v. P.-E. Lagraulet, Ordonnance coronavirus du 22 avril 2020 : volet immobilier, Dalloz actualité, 22 avr. 2020 ).

De manière incidente, la période de renouvellement des contrats a de nouveau été modifiée par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 qui prolongeait la période de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet inclus. La période juridiquement protégée pour le droit de la copropriété s’en trouvait mécaniquement allongée pour s’achever le 10 septembre inclus. Les mandats de syndics et de conseillers syndicaux s’en trouvaient renouvelés jusqu’au 10 mai 2021 inclus.

Traitement n° 3. L’opération de sauvetage des copropriétés s’était achevée lors de la première phase de confinement, par l’adoption de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 (v. P.-E. Lagraulet, Coronavirus : ultime traitement des syndicats de copropriétaires, Dalloz actualité, 26 mai 2020 ; V. aussi, du même auteur, La plasticité du droit de la copropriété, AJDI 2020. 398 image).

Le terme de la période juridiquement protégée fut, une nouvelle fois modifié, pour être fixé au 23 juillet 2020 inclus et le terme des mandats de syndic et de conseillers syndicaux renouvelés de plein droit par effet de l’ordonnance fut fixé au 31 janvier 2021.

L’ordonnance avait également élevé temporairement le nombre de voix pouvant être délégué à une seule personne à compter du 1er juin 2020 et jusqu’au 31 janvier 2021. Le seuil était augmenté à 15 % du nombre de voix du syndicat.

Surtout, l’ordonnance du 20 mai 2020 délégua aux syndics le pouvoir de convoquer des assemblées générales sans présence physique des copropriétaires. Ce pouvoir exorbitant permit aux syndics d’organiser jusqu’au 31 janvier 2021 une assemblée générale purement dématérialisée, « par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique permettant leur identification », selon les moyens et supports techniques choisis par lui lorsque l’assemblée générale ne les avait pas définis.

Il était également permis au syndic, lorsque le recours à la visioconférence ou autre moyen de communication électronique était impossible, de « prévoir que les décisions du syndicat des copropriétaires sont prises au seul moyen du vote par correspondance ».

Enfin, le gouvernement prévit que les syndics pouvaient faire application de ces dispositions aux assemblées déjà convoquées, à condition d’en informer les copropriétaires au moins quinze jours avant la tenue de l’assemblée par tout moyen permettant d’établir avec certitude sa date de réception.

Traitement n° 4. Autorisé par l’article 10, I, de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, le gouvernement a adopté de nouvelles mesures de gestion de la crise en faveur des copropriétés figurant à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020. Ces mesures complètent ainsi le dispositif toujours en vigueur de l’ordonnance du 25 mars 2020.

Deux mesures n’apportent pas innovation mais de simples prolongations ou rétablissements des dispositions déjà prises par les précédentes ordonnances (1). Une mesure innove toutefois en permettant au syndic de sauver une assemblée générale dont l’encéphalogramme était pourtant parfaitement plat (2).

1. Prolongation et rétablissement de dispositions déjà prises

Nouvelle période juridiquement protégée pour les mandats. Dans les mêmes conditions que précédemment, les mandats de syndics et de conseillers syndicaux dont le terme est échu entre le 29 octobre et le 31 décembre 2020 inclus sont renouvelés dans les mêmes termes jusqu’à la prise d’effet du nouveau mandat, et au plus tard le 31 janvier 2021.

Prolongation des pouvoirs du syndic. Dans les mêmes conditions que précédemment, les syndics pourront décider de recourir à l’assemblée générale électronique, ou en cas d’impossibilité à la prise de décision par vote par correspondance, jusqu’au 1er avril 2021 et non plus jusqu’au 31 janvier 2021.

Prolongation de l’augmentation du seuil de délégation. Dans les mêmes conditions que précédemment, un mandataire pourra recevoir plus de trois délégations de vote si le total des voix dont il dispose lui-même n’excède pas 15 % des voix du syndicat jusqu’au 1er avril 2021 et non plus jusqu’au 31 janvier 2021.

2. Nouvelle mesure

Le gouvernement a adopté une mesure nouvelle, astucieuse et étonnante, complétant les mesures dérogatoires à la tenue de l’assemblée générale. Celle-ci prévoit que pour les assemblées générales « convoquées à une date comprise entre le 29 octobre 2020 » (et non dont la convocation a été adressée, la différence est importante car l’ordonnance est parue le 19 novembre, soit après qu’une partie de la période visée soit passée) et le 4 décembre 2020, le syndic peut « à tout moment, informer les copropriétaires, par tout moyen permettant d’établir avec certitude la date de la réception de cette information, que les décisions du syndicat des copropriétaires sont prises au seul moyen du vote par correspondance ».

Ce système est identique à celui que l’on connaissait jusqu’alors.

La nouveauté tient en la possibilité pour le syndic de fixer « un nouveau délai de réception par le syndic des formulaires de vote par correspondance, qui ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la réception de ce courrier » et au plus tard au 31 janvier 2021. On se demande toutefois pourquoi seul le vote par correspondance a été retenu dans cette situation alors que tous les praticiens constatent les cruelles limites de ce système…

Quoi qu’il en soit, cette mesure paraît ainsi permettre au syndic de sauver une assemblée générale qui n’aura pu se tenir physiquement à cause du confinement décidé brutalement, et ayant rendu impossible pour le syndic de transformer l’assemblée générale en assemblée électronique ou vote par correspondance en respectant le délai de prévenance de quinze jours. Ainsi, l’assemblée non tenue, par exemple le 29 octobre 2020, pourra devenir par application de cette mesure une prise de décision par vote par correspondance intervenant avant le 31 janvier 2021. Quant à l’assemblée générale prévue dans les jours à venir, le syndic pourra reporter sa date sans respecter le délai de prévenance de quinze jours, dès lors que le délai de réception des votes est fixé 15 jours plus tard (soit après la date de l’assemblée générale).

Voici donc venue, après l’assemblée générale physique, l’assemblée générale électronique, l’assemblée générale par correspondance, l’assemblée générale ressuscitée. N’est-ce pas là un bien beau prodige médico-légal et ne serait-ce pas un formidable système à conserver à l’avenir pour sauver les assemblées convoquées hors délai de vingt-et-un jours ?!

Produit défectueux contre Monsanto : épilogue

Pour la première fois en France, la société Bayer-Monsanto a été définitivement condamnée par la justice pour avoir commercialisé un produit jugé défectueux sur le fondement des règles issues de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998.

Alors qu’aux États-Unis, le géant de l’industrie a été condamné pour la commercialisation du Roundup, en France, c’est le Lasso qui a eu raison de lui. Que ce soit pour du glyphosate (aux États-Unis) ou du chlorobenzène (en France) la conclusion est la même : il va falloir payer !

En l’espèce, après l’ouverture d’une cuve de traitement d’un pulvérisateur, un agriculteur céréalier français a accidentellement inhalé les vapeurs d’un herbicide acquis auprès d’une coopérative agricole, commercialisé sous le nom de Lasso par la société Monsanto Agriculture France, jusqu’à son retrait du marché en 2007. Depuis 2007, il tente de faire reconnaître la responsabilité de la société Monsanto et d’obtenir réparation de ses préjudices. Il a systématiquement obtenu gain de cause devant les juridictions du fond dont la dernière a reconnu, en 2019, la responsabilité de la société sur le fondement du fait des produits défectueux prévue aux articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil.

La société Monsanto a formé un pourvoi en cassation contestant chacune des conditions de cette responsabilité dans plusieurs moyens, tous rejetés par la première chambre civile dans un arrêt du 21 octobre 2020.

La mise en circulation du produit

C’est d’abord la condition de mise en circulation que contestait le pourvoi. Il reprochait à la cour d’appel de retenir comme date de mise en circulation du produit celle de sa commercialisation par une personne qui n’en était pas le producteur, et non la date à laquelle le producteur s’en était dessaisi volontairement. En ce sens, il pose indirectement la question de la charge de la preuve de la date de commercialisation du produit.

L’article 1245-4 dispose qu’« un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi. Un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation » et l’article 1245-10 que « le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve

qu’il n’avait pas mis le produit en circulation ;
  que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement. »

La « mise en circulation » est une notion clé de la responsabilité du fait des produits défectueux (v., sur le sujet, J.-P. Confino, La mise en circulation dans la loi du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, Gaz. Pal. 3 févr. 2001, n° 34, p. 2). Elle est perçue par certains comme le fait générateur de cette responsabilité et par d’autres comme une condition de la mise en œuvre du régime. D’abord, elle conditionne l’application dans le temps du dispositif qui ne s’applique qu’en présence de produits mis en circulation après le 21 mai 1998. Ensuite, elle est une des causes d’exonération par laquelle le producteur peut se libérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’avait pas mis le produit en circulation ou que le défaut n’existait pas au moment de celle-ci. Elle est également le point de départ du délai de prescription de dix ans prévu par l’article 1245-15. Enfin, c’est à cette date que s’apprécie le défaut de sécurité ou le risque de développement.

Le moment de la mise en circulation du produit représente donc un enjeu déterminant tant pour la victime que pour le producteur. 

Après avoir rappelé le principe de ce régime de responsabilité et son application aux produits mis en circulation après le 21 mai 1998, la Cour de cassation précise qu’aux termes de l’article 1386-5, devenu 1245-4, du code civil, « un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement et ne fait l’objet que d’une seule mise en circulation ». Elle confirme la décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui précise que « l’article 11 de la directive doit être interprété en ce sens qu’un produit est mis en circulation lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en œuvre par le producteur et qu’il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l’état offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé » (CJCE 9 févr. 2006, O’Byrne c. Sanofi Pasteur, aff. C-127/04, D. 2006. 671 image ; ibid. 1259, obs. C. Nourissat image ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain image ; RTD civ. 2006. 265, obs. P. Remy-Corlay image ; ibid. 331, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2006. 515, obs. M. Luby image).

Elle rappelle ensuite qu’il découle du même texte « que la date de mise en circulation du produit s’entend, dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il faisait partie » (v. déjà en ce sens Civ. 1re, 22 nov. 2017, n° 16-24.719, RCA 2018. Comm. 33, obs. H. Groutel ; 20 sept. 2017, n° 16-19.643, Bull. civ. I, n° 193 ; D. 2017. 2279 image, avis J.-P. Sudre image ; ibid. 2284, note G. Viney image ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; RDSS 2017. 1132, obs. J. Peigné image ; RTD civ. 2018. 143, obs. P. Jourdain image ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 16, note C. Le Goffic).

Partant, elle reconnaît que c’est à bon droit que la cour d’appel a relevé que le produit Lasso, acquis par la victime en avril 2004, a été livré en juillet 2002 à la coopérative agricole par la société Monsanto Agriculture France, laquelle n’apporte aucun élément de preuve relatif à un stockage du produit de longue durée en son sein.

Sans assimiler la date à laquelle le produit a été livré à la coopérative à la date de sa mise en circulation, sans stockage prouvé, la date de la livraison du produit est nécessairement proche de celle à laquelle le producteur s’en est dessaisi. Et si la date précise de la mise en circulation n’est pas connue, les faits relevés permettent de la situer avec une certitude après le 21 mai 1998. Finalement, qu’importe la date exacte de mise en circulation, du moment que celle-ci a eu lieu avec certitude après l’entrée en vigueur de la loi.

L’assimilation au producteur

Le pourvoi faisait ensuite grief à l’arrêt d’assimiler la société Monsanto Agriculture France au producteur sans constater que l’emballage comportait les noms de deux autres sociétés ainsi qu’un lieu de fabrication en Belgique de telle sorte que le public ne pouvait légitimement croire que la société Monsanto Agriculture France était le producteur du produit.

La Cour de cassation était donc amenée à déterminer si la mention du nom de « Monsanto Agriculture France » était de nature à faire naître, dans l’esprit du public, la croyance que cette société était bien le producteur. 

La première chambre civile rappelle que, selon l’article 1386-6, alinéa 2, 1°, devenu 1245-5, alinéa 2, 1°, du code civil, est assimilée à un producteur toute personne agissant à titre professionnel qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif. Il en résulte que le fabricant n’est pas le seul à pouvoir revêtir la qualité de producteur. Est également producteur, celui qui se présente comme tel par le biais de mentions apposées sur le produit litigieux. 

Cette assimilation s’explique par l’apparence engendrée par de telles mentions. La conception large de la définition de « producteur » a pour but de « faciliter la tâche de la victime en lui évitant des recherches complexes sur l’identité du véritable producteur » (J.-Cl. civil, fasc. 20 ; P. Jourdain, Commentaire de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, JCP E 2008. 1204). C’est aussi « une manière de responsabiliser les professionnels qui utilisent ces moyens d’identification à titre publicitaire » (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd., LGDJ, 2017, n° 41, p. 67).

La mention « fabriqué en Belgique » ainsi que les mentions « Monsanto Europe SA » et « marque déposée de Monsanto Company USA » figurent sur le conditionnement du produit, l’étiquette met en avant le fait que le Lasso, écrit en gros caractères blancs sur noir, est un désherbant sélectif du maïs grain, semence et fourrage, du soja, avec la mention « un herbicide Monsanto », suivi de « siège social Monsanto Agriculture France SAS » avec l’adresse de la société à Lyon et le numéro d’inscription au registre du commerce et des sociétés de Lyon.

La première chambre civile conclut que l’ensemble de ces éléments démontre que la société Monsanto Agriculture France se présentait comme le producteur sur l’étiquette du produit. La cour d’appel a pu en déduire qu’elle devait être assimilée au producteur, toutes ces mentions sur le produit créant une apparence.

La Cour de cassation ajoute qu’au regard des constatations des juges du fond relatives à la présentation de l’étiquette du produit, les questions préjudicielles ne sont pas utiles à la solution du litige, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’en saisir la Cour de justice de l’Union européenne.

L’imputabilité du dommage au produit

Par ailleurs, le moyen contestait l’existence du lien de causalité entre le dommage et l’administration du produit qui aurait été seulement présumé par la cour d’appel. Les circonstances invoquées ne constitueraient pas un réseau d’indices graves, précis et concordants permettant de retenir que l’administration du produit apparaissait comme l’explication la plus plausible de la survenance du dommage.

La Cour de cassation répond qu’en vertu de l’article 1386-9, devenu 1245-8 du code civil, c’est au demandeur de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. Elle ajoute qu’en amont, il doit établir que le dommage est imputable au produit par tout moyen et notamment par des indices graves, précis et concordants.

La haute juridiction admet que, pour ce faire, la victime peut recourir à des présomptions de fait, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes (Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 06-10.967, Bull. civ. I, nos 147 et 149 ; Dalloz actualité, 30 mai 2008, obs. I. Gallmeister ; D. 2008. 1544 image, obs. I. Gallmeister image ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain image ; RDSS 2008. 578, obs. J. Peigné image ; RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2009. 200, obs. B. Bouloc image ; 20 sept. 2017, n° 16-19.643, D. 2017. 2279 image, avis J.-P. Sudre image ; ibid. 2284, note G. Viney image ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; RDSS 2017. 1132, obs. J. Peigné image ; RTD civ. 2018. 143, obs. P. Jourdain image).

Les juges du fond ont retenu que la victime avait acquis du Lasso le 13 avril 2004 et avait rapporté un certain nombre d’éléments de preuves qui constituaient des indices graves, précis et concordants dont il a pu être déduit l’existence d’un tel lien entre l’inhalation du produit et le dommage survenu.

En l’espèce, il incombait donc à la victime de prouver qu’elle avait inhalé le produit Lasso et que le dommage était imputable à cette inhalation. Cette exigence probatoire a été respectée.

La défectuosité du produit

Le pourvoi reprochait à la cour d’appel de ne pas justifier correctement la défectuosité du produit.

La première chambre civile rappelle que, selon l’article 1386-4, devenu 1245-3, du code civil, « un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ».

La Cour de cassation estime que la cour d’appel a pu déduire de ses constatations qu’en raison d’un étiquetage ne respectant pas la réglementation applicable et d’une absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs, le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et était dès lors défectueux. 

Rappelons que la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage. La Cour de cassation énonce souvent l’exigence de la double preuve qui incombe à la victime qui voudrait obtenir réparation de son dommage sur le fondement de cette responsabilité. Cette exigence probatoire est directement imposée par les textes puisque l’article 1245-8 du code civil dispose que « le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage » (pour une application de la règle, v. Civ. 1re, 27 juin, 2018, n° 17-17.469 P, Dalloz actualité, 27 juill. 2018, obs. A. Hacene ; D. 2018. 1439 image ; RTD civ. 2018. 925, obs. P. Jourdain image ; RCA 2018, n° 253, note L. Bloch ; 4 févr. 2015, n° 13-27.505, Bull. civ. I, n° 32 ; Dalloz actualité, 24 févr. 2015, obs. A. Cayol ; D. 2015. 375 image ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; RTD civ. 2015. 404, obs. P. Jourdain image ; Gaz. Pal. 2015. 951, obs. P. Oudot).

Il n’existe pas de présomption de défectuosité qui découlerait de l’implication du produit dans la survenance du dommage. Si certains auteurs trouvent la charge de la preuve « sévère » (P. Le Tourneau [dir.], Droit de la responsabilité et des contrats, 11e éd., Dalloz Action, 2018-2019, n° 6313.11), celle-ci est toutefois atténuée par la dispense de la victime de démontrer que la défectuosité du produit existait au moment de sa mise en circulation (C. civ., art. 1245-10, 2°).

Le lien de causalité entre le défaut et le dommage

Le pourvoi faisait encore grief à la cour d’appel, d’une part, de ne relever aucun lien causal entre le défaut du produit, constitué par une lacune de son étiquetage, et l’inhalation du produit à l’origine du dommage allégué et, d’autre part, de retenir un lien de causalité, alors que la victime ne portait aucune protection lors de l’accident nonobstant les préconisations de l’étiquetage.

Sur le fondement de l’article 1386-9, devenu 1245-8 du code civil, la Cour de cassation rappelle que c’est au demandeur qu’il revient de prouver le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage. Cette preuve peut être apportée par tout moyen et notamment par des présomptions ou indices graves, précis et concordants.

Toutefois, il n’est pas possible de déduire le lien causal de la seule implication du produit dans la réalisation du dommage (Civ. 1re, 27 juin 2018, n° 17-17.469, préc. ; 29 mai 2013, n° 12-20.903, Bull. civ. II, n° 116, Dalloz actualité, 17 juin 2013, obs. N. Kilgus ; D. 2013. 1717, obs. I. Gallmeister image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 1723, note P. Brun image ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout image ; RTD civ. 2013. 625, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2013. 797, obs. B. Bouloc image ; 22 oct. 2009, n° 08-15.171, Dalloz actualité, 10 nov. 2009, obs. P. Guiomard ; 26 sept. 2012, n° 11-17.738, Dalloz actualité, 12 oct. 2012, obs. G. Rabu ; D. 2012. 2853, obs. I. Gallmeister image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 2376, entretien C. Radé image ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout image ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon image ; RTD civ. 2013. 131, obs. P. Jourdain image ; JCP 2012, n° 1061, obs. P. Mistretta ; ibid. n° 1199, note C. Quézel-Ambrunaz ; RCA 2012. Comm. 350, obs. S. Hocquet-Berg ; CCC 2012. Comm. 273, obs. L. Leveneur).

Interrogée par la Cour de cassation par le biais d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de préciser que « l’article 4 de la directive (attribuant à la victime la charge de la preuve des conditions de la responsabilité) doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à un régime probatoire national tel que celui en cause au principal en vertu duquel, lorsque le juge du fond est saisi d’une action visant à mettre en cause le producteur d’un vaccin du fait d’un défaut allégué de ce dernier, il peut considérer, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation dont il se trouve investi à cet égard, que, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit ni n’affirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien causalité entre ce défaut et ladite maladie » (CJUE 21 juin 2017, N. W. e.a. c. Sanofi Pasteur, aff. C-621/15, Dalloz actualité, 28 juin 2017, obs. T. Coustet ; AJDA 2017. 1709, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2017. 1807 image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; RTD civ. 2017. 877, obs. P. Jourdain image).

Elle admet ainsi « qu’un régime de preuve indiciaire, tel que celui retenu par la Cour de cassation, qui facilite la tâche probatoire de la victime, n’est pas incompatible avec l’article 4 en ce qu’il ne renverse pas la charge de la preuve pesant sur celle-ci » (RTD civ. 2017. 877, obs. P. Jourdain image).

Dans l’arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de cassation constate qu’après avoir retenu, d’une part, que les troubles et le stress post-traumatique étaient imputables à l’inhalation du Lasso et, d’autre part, que ce produit était défectueux, les juges du fond ont relevé que cette inhalation était survenue accidentellement.

La notice d’information du produit ne faisant pas apparaître les informations importantes quant au maniement du produit, la cour d’appel a correctement déduit de cela l’existence d’un lien causal entre le défaut et le dommage subi par celui-ci.

L’absence de cause exonératoire

Enfin, le pourvoi reprochait à la cour d’appel ne pas avoir retenu le risque de développement et le faute de la victime comme causes exonératoires.

La première chambre civile rejette les moyens considérant, d’une part, qu’en 2002, il était possible pour la société d’avoir connaissance du défaut du produit lié à l’étiquetage et, d’autre part, qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la faute de la victime – l’absence de masque de protection – et son dommage.

Finalement, des années de procédure et la remise en cause de la preuve de chacune des conditions du régime du fait des produits défectueux n’auront pas suffi à faire échapper la société Monsanto à sa responsabilité pour avoir mis en circulation un produit ne présentant pas la sécurité raisonnablement attendue.

Rapports d’expertise établis non contradictoirement : - + - = +

Le juge peut-il se fonder sur deux rapports d’expertise, l’un judiciaire et l’autre amiable, établis non contradictoirement qui ont pu être discutés au cours de l’instance ?

La première chambre civile de la Cour de cassation nous fournit des éléments de réponse dans cet arrêt du 9 septembre 2020.

Dans cette affaire, il s’agissait de désordres apparus sur des bateaux amarrés dans un port. Des expertises amiables ont été réalisées pour en déterminer l’origine. Les propriétaires et leurs assureurs ont assigné en responsabilité la commune dans laquelle était situé le port ainsi que son assureur. Le propriétaire d’un navire était ensuite intervenu volontairement à l’instance.

Au cours de l’instance, le juge de la mise en état a ordonné une expertise. Dans son rapport, l’expert a conclu que les dommages subis étaient imputables à la défectuosité de l’installation électrique du port, ayant pour origine un phénomène ou un appareil électrique à bord d’un voilier.

En appel, la commune et son assureur ont été condamnés in solidum à payer différentes sommes en réparation des désordres. La cour d’appel a pour cela jugé inopposable le rapport d’expertise judiciaire à une partie – en l’occurrence un assureur – au motif que celle-ci n’avait été ni appelée ni représentée aux opérations d’expertise, dans la mesure où elle a été attraite en la cause postérieurement au dépôt du rapport de l’expert judiciaire. La juridiction d’appel a ajouté que, s’agissant des expertises amiables réalisées à la demande des assureurs des propriétaires des navires endommagés et de la commune, les opérations ne se sont pas déroulées contradictoirement. Elle en a déduit qu’en l’absence d’autres éléments suffisamment probants, ces expertises amiables et judiciaire devaient être écartées des débats. Devant la Cour de cassation, les demandeurs avançaient que ce rapport, régulièrement versé aux débats, était corroboré par des rapports d’expertises amiables et des décisions administratives, de sorte que le juge ne pouvait refuser de l’examiner.

La Haute juridiction censure la décision au visa de l’article 16 du code de procédure civile. Elle indique que lorsqu’une partie à laquelle un rapport d’expertise est opposé n’a pas été appelée ou représentée au cours des opérations d’expertise, le juge ne peut refuser d’examiner ce rapport, dès lors que celui-ci a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties. Elle ajoute qu’il lui appartient alors de rechercher s’il est corroboré par d’autres éléments de preuve. La Haute juridiction conclut en soulignant que ces rapports d’expertise, régulièrement versés aux débats, avaient été soumis à la libre discussion des parties et se corroboraient mutuellement.

Cette solution rappelle que des rapports d’expertise établis en méconnaissance du principe du contradictoire peuvent conserver leur force probante. Cela ne va pourtant pas de soi. Un rapport d’expertise élaboré en méconnaissance de ce grand principe du procès qu’est le contradictoire ne peut qu’inspirer une certaine méfiance, surtout si l’on considère que cette mesure d’instruction est un élément de preuve souvent décisif qui peut emporter la conviction du juge. C’est ce qui explique que le juge ne saurait fonder sa décision sur une mesure d’instruction qui n’a pas été réalisée dans le respect du contradictoire. Néanmoins, le fait que ce rapport n’ait pas été établi contradictoirement ne le condamne pas pour autant à rester lettre morte. Il peut valoir à titre de preuve dès lors qu’il est soumis « à la libre discussion des parties » (Civ. 1re, 18 oct. 2005, n° 04-15.816 ; Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 05-14.333, Bull. civ. II, n° 225 ; AJDI 2007. 562 image, obs. C. Denizot image ; Civ. 1re, 30 janv. 2007, n° 06-11.581, D. 2008. 2820, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur image ; Civ. 2e, 15 oct. 2009, n° 08-16.582). En un mot, le débat contradictoire au cours de l’instance « l’immunise contre les doutes dont son élaboration discrète a été entourée » (R. Perrot, Expertise amiable : son autorité ?, RTD civ. 2012. 769 image). Le rapport d’expertise établi non contradictoirement devient alors une pièce comme une autre susceptible d’être exploitée par le juge.

Cette position de la Cour régulatrice a pu paraître contestable en ce qu’elle réduit l’expertise au seul rapport produit à son terme alors qu’elle est avant tout un processus probatoire dont le déroulement, et non simplement l’acte qui en reprend la substance, doit être contradictoire...

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Nationalité française par mariage, état de bigamie et communauté de vie

Une femme de nationalité algérienne a contracté mariage en 1998 en Algérie avec un Français. Le mariage a été transcrit sur les registres de l’état civil en 2007. En novembre 2010, l’époux français contracte une seconde union en Algérie, le plaçant dans un état de bigamie. La première épouse souscrit en mai 2014 une déclaration de nationalité sur le fondement de l’article 21-2 du code civil, laquelle a été enregistrée le 9 février 2015.

En mars 2016, le ministère public l’a assignée en nullité de cet enregistrement en soutenant que l’état de bigamie de son conjoint excluait toute communauté de vie.

Le tribunal de grande instance de Lille rejette la demande et la cour d’appel de Douai, par un arrêt du 17 janvier 2019, confirme le jugement qui refuse l’annulation de la déclaration d’acquisition de la nationalité française souscrite par l’épouse. Elle a estimé en effet que les conditions posées par l’article 21-2, et notamment la persistance de la vie commune, étaient remplies car, malgré le second mariage liant l’époux, la vie commune avec la première épouse n’avait pas cessé au jour de la déclaration et était caractérisée par le fait que les...

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Notification du certificat de vérification des dépens et effet interruptif du délai de prescription

Suivant l’arrêt du 11 avril 2013, la cour d’appel de Montpellier a prononcé la caducité d’une déclaration d’appel et a laissé les dépens de l’instance à la charge de l’appelant.

L’avocat de la société intimée introduit une requête aux fins de taxation le 20 juillet 2017. Le 26 juillet, il obtient du secrétaire de la juridiction un certificat de vérification des dépens qu’il notifie à l’appelant par lettre recommandée avec accusé de réception, le 28 juillet 2017.

L’appelant conteste ce certificat pour cause de prescription de l’action de l’avocat en recouvrement des dépens.

Par ordonnance du 27 juin 2019, l’action de l’avocat a été jugée prescrite au motif que les causes d’interruption de la prescription étant limitativement énumérées par les articles 2240 et suivants du code civil, la demande de vérification des dépens, qui n’est pas une demande en justice, et la notification du certificat de vérification des dépens, qui ne vaut pas acceptation ni reconnaissance par écrit de la dette, ne sont pas susceptibles d’interrompre la prescription extinctive.

L’appelant forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation. Ce dernier expose que le délai de prescription étant interrompu par la demande en justice, la notification du certificat de vérification des dépens, emportant acceptation par son auteur du compte vérifié, faite par lettre recommandée avec accusé de réception, avait valablement interrompu le délai de prescription de son action en recouvrement.

La question posée à la Cour de cassation était donc celle de savoir si la notification par...

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Quelle signification papier d’une déclaration d’appel dématérialisée ?

Le 22 octobre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt, destiné à une large publication, à propos d’une déclaration d’appel effectuée par voie électronique que l’appelant a voulu signifier à l’intimé non constitué – donc par voie papier. Pour répondre à la question de savoir ce qui doit alors être signifié, l’arrêt met en œuvre les articles 901, 902 et l’article 748-3 du code de procédure civile, ainsi l’article 10 de l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique (CPVE) dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel, alors en vigueur, pris pour l’application des articles 748-1 et suivants et 930-1 du code de procédure civile (Sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, S. Guinchard (dir.), Dalloz Action, 10e éd., 2020/2021, chap. 273 (à paraître). ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, sept. 2012 [actu. janv. 20]. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 4e éd. 2018, nos 485 s.).

Une société fait appel du jugement d’un tribunal de commerce, nécessairement par RPVA (art. 930-1 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 295). Il faut déduire des arguments de l’appelant et des motifs des juges que l’intimé ne constitue pas avocat dans le délai d’un mois suivant la date de l’envoi de la lettre de notification effectuée par le greffe (art. 902, al. 1er et 2) ; que, dès lors, l’appelant doit lui signifier la déclaration d’appel par voie papier (art. 902, al. 3). Faute de signification conforme, un conseiller de la mise en état prononce la caducité de la déclaration d’appel (sanction prévue par le même alinéa). L’appelant défère à la cour d’appel l’ordonnance du CME. La juridiction du second degré confirme l’ordonnance. Pour ce faire, elle estime notamment que « la déclaration d’appel émise et signée par l’avocat [de l’appelant] et remise au greffe le 5 avril 2018 à 15h57, qui est annexée aux actes de signification du 1er juin 2018, ne constitue pas la déclaration d’appel devant être signifiée aux intimées non constituées en application de l’article 902 du code de procédure civile » ; elle juge aussi « par motifs réputés adoptés qu’“il ressort de la comparaison entre le document annexé aux actes de signification et le récapitulatif de la déclaration d’appel que le premier ne confirme nullement la réception par le greffe de l’acte d’appel et qu’il ne mentionne même pas la cour d’appel à laquelle cet acte a été adressé. Il ne comporte pas plus le numéro de la déclaration d’appel, ni la chambre de la cour à laquelle l’affaire a été distribuée, ni le numéro du dossier au répertoire général” et, par motif propre, que “ces significations faites le 1er juin 2018 sont celles d’un avis d’avoir à signifier, délivré par le greffe de la cour et des données saisies qui lui ont été adressées...

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Signification de la déclaration de saisine sur renvoi après cassation : par-delà les textes

Un premier arrêt de cour d’appel fait l’objet d’une cassation en 2014, puis l’arrêt de la cour de renvoi est à son tour cassé en 2017 et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Pau, troisième cour à statuer sur le litige. Les choses n’étant pas suffisamment compliquées, le déclarant-saisissant régularise deux déclarations de saisine, l’une en septembre 2017 et l’autre en février 2018, jointes par la cour de renvoi. Les intimés invoquent l’irrecevabilité et la caducité des deux actes de saisine mais ne sont pas suivies par la cour d’appel de Pau. Les demanderesses au pourvoi, qui étaient les trois sociétés intimées sur les deux déclarations de saisine, reprochaient à la cour d’appel de ne pas avoir retenu la caducité de la déclaration de saisine alors que l’avocat de l’appelant, déclarant-saisissant, s’était contenté de la notifier aux deux avocats constitués avant la réception de l’avis de fixation au lieu de la signifier aux parties. Quant à la troisième société qui avait constitué après l’avis de fixation, elle faisait grief à la cour d’appel d’avoir écarté la caducité alors que l’acte de saisine n’avait pas été signifié dans le délai de dix jours de la réception de l’avis de fixation mais avait été notifié à l’avocat des sociétés intimées qui s’était constitué le jour même de l’avis. La deuxième chambre civile rejette les deux moyens.

Dans le premier cas, elle juge que la cour d’appel ayant constaté qu’avant même la notification par le greffe de l’avis de fixation, l’avocat de l’appelant avait notifié la déclaration de saisine à l’avocat constitué pour les sociétés intimées, c’est par une exacte application de l’article 1037-1 du code de procédure civile qu’elle a retenu qu’il était dispensé de signifier la déclaration de saisine à ces deux sociétés, cette diligence étant devenue sans objet. Dans le second, elle estime que la cour d’appel ayant constaté que, dans les dix jours de la notification par le greffe de l’avis de fixation relatif à la seconde déclaration de saisine, l’avocat de l’appelant avait notifié cette déclaration à l’avocat que les sociétés avaient constitué le jour même de cet avis, c’est sans violer l’article 1037-1 du code de procédure civile qu’elle en a déduit que cette diligence le dispensait de signifier la déclaration de saisine aux sociétés, cette signification étant devenue sans objet.

On ne sait que trop, maintenant, quel sort est réservé à l’avocat de l’appelant, après qu’il a reçu l’avis du greffe d’avoir à signifier, lorsqu’il ne dénonce pas sa déclaration d’appel à l’avocat qui se constitue...

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Intérêt à agir et intérêt à intervenir accessoirement : nuance subtile, mais nuance malgré tout

Une autorisation de visite susceptible d’appel

L’Autorité des marchés financiers (AMF) se voit confier une grande diversité de missions (C. mon. fin., art. L. 621-1). Pour les accomplir, elle dispose de nombreux pouvoirs (v., parmi d’autres, T. Bonneau, P. Pailler, A.-C. Rouaud, A. Tehrani et R. Vabres, Droit financier, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 115, p. 97). Dans le cadre de sa mission de veille et de surveillance des marchés, l’AMF peut notamment mener des contrôles et des enquêtes (C. mon. fin., art. L. 621-9 s.). L’article L. 621-12, alinéa 1er, du code monétaire et financier permet ainsi à son secrétaire général de demander au juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire, dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter, d’autoriser les enquêteurs de l’autorité à effectuer des visites en tous lieux. Longtemps, cette ordonnance du JLD n’a été susceptible que d’un pourvoi en cassation. Sous la menace d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur a finalement permis, au préalable, l’exercice d’un recours devant le premier président de la cour d’appel de Paris (sur cette évolution, v. F. Molinié, Visites domiciliaires de l’AMF et droits fondamentaux : panorama et perspectives au regard de quelques évolutions récentes, Rev. banc. fin. 2018. Étude 5, spéc. nos 8 s.). Or, dans ces contentieux économiques complexes, il n’est pas rare qu’un tiers à la visite intervienne volontairement devant le premier président. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation vient préciser qu’elle doit être la nature de l’intérêt de l’auteur d’une telle demande incidente.

En l’espèce, un JLD a autorisé des enquêteurs de l’AMF, en charge d’une enquête ouverte par son secrétaire général portant sur l’information financière et le marché du titre d’une société, à procéder à une visite au siège social de celle-ci à l’occasion de la tenue de son prochain conseil d’administration. Une fois les opérations effectuées, l’une des représentantes de la société dont les ordinateurs portables et téléphones mobiles ont été saisis a relevé appel de l’ordonnance d’autorisation de visite et exercé un recours contre leur déroulement. Une autre société est intervenue volontairement à l’instance, à titre accessoire.

La visite domiciliaire accordée par l’ordonnance du JLD se limitant au siège social de la première société, le premier président a déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire à titre accessoire de l’autre société. Par ailleurs, il a rejeté la demande tendant à la restitution de l’intégralité des pièces et documents saisis auprès de la représentante de la société. Logiquement, la représentante de la première société et l’autre société intervenue volontairement à l’instance devant le premier président ont formé un pourvoi en cassation. Premièrement, ils font grief au premier président d’avoir déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire accessoire de la société qui n’a pas été visitée. Pour eux, il n’aurait pas dû conditionner cette demande incidente à l’existence d’un intérêt à agir. Deuxièmement, ils dénoncent une atteinte au droit au respect de la vie privée et de la correspondance de la représentante de la société qui n’aurait pas dû être concernée par la saisie de documents dès lors qu’elle n’était que de passage à l’occasion du conseil d’administration.

La chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’ordonnance du premier président. Au visa de l’article 330 du code de procédure civile, elle reproche d’abord au premier président d’avoir privé sa décision de base légale en écartant l’intérêt de la société à intervenir volontairement à titre accessoire. Au visa des articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle lui reproche ensuite de ne pas avoir retenu l’illégalité de la saisie de documents de la représentante de la société. Délaissant volontairement les aspects substantiels, ce commentaire se concentrera sur les aspects procéduraux, et plus précisément la consistance que doit revêtir l’intérêt de l’intervenant volontaire à titre accessoire.

Les deux formes d’intervention volontaire

Les définitions légales permettent « de traiter des ensembles, ou au moins de régler les rapports de mots et des distinctions de concepts » (G. Cornu, Linguistique juridique, 3e éd., LGDJ, 2005, n° 22, p. 106). Le code de procédure civile offre de nombreux exemples de cet exercice de linguistique juridique. Ainsi, après avoir révélé l’existence de deux formes d’intervention volontaire – principale et accessoire (C. pr. civ., art. 328), les rédacteurs du code se sont attachés à en donner une définition. « L’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme » (C. pr. civ., art. 329, al. 1er). Au contraire, l’intervention est « accessoire lorsqu’elle appuie des prétentions d’une partie » (C. pr. civ., art. 330, al. 1er). Tout est dit.

De cette différence de nature doit normalement naître une différence de régime juridique (J.-L. Bergel, Différence de nature (égale) différence de régime, RTD civ. 1984. 255). À l’étude, des différences très nettes apparaissent (v. not. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, 2020, nos 357 s., p. 288 s.). L’arrêt commenté permet de rappeler l’une d’entre elles concernant les conditions de recevabilité.

L’intérêt à agir n’est pas l’intérêt à intervenir accessoirement

Reprenons les dispositions du code de procédure civile consacrées à l’intervention volontaire. Après avoir défini la forme principale, l’article 329, alinéa 2, précise qu’elle « n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention » (nous soulignons). Rien d’étonnant à exiger de l’auteur d’une prétention personnelle qu’il ait intérêt et qualité pour le faire ! Quant à la forme accessoire, l’article 330, alinéa 2, précise qu’elle « est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie » (nous soulignons). Que faut-il déduire de ces rédactions quelque peu divergentes ? A priori, pas grand-chose. L’intérêt n’est-il pas une des conditions du droit d’agir en justice ? Le premier président de la cour d’appel en a jugé ainsi. Mais comment expliquer alors que sa décision ait été cassée par la chambre commerciale de la Cour de cassation ? C’est tout simplement parce que l’intérêt de l’article 330, alinéa 2, n’est pas celui de l’article 329, alinéa 2 ! En effet, l’intérêt à « intervenir accessoirement n’est pas identique à celui exigé pour agir » (J.-J. Taisne, J.-Cl. pr. civ., fasc. 600-20, spéc. n° 61). S’il s’agit bien d’un intérêt propre, celui-ci est « atténué » en ce qu’il se réduit à voir la prétention de la partie principale reçue par le juge (v. Rép. pr. civ., v° Intervention, par D. d’Ambra et A.-M. Boucon, spéc. n° 10). L’intervenant à titre accessoire « ne prétend donc à rien pour lui-même ; il prend seulement fait et cause pour l’une des parties originaires » (N. Cayrol, Procédure civile, 3e éd., Dalloz, 2020, n° 856, p. 418). On comprend mieux les raisons de cette cassation de l’ordonnance pour défaut de base légale. En recherchant l’existence d’un intérêt à agir, et non d’un intérêt à intervenir accessoirement, le premier président a manqué de constater une condition d’application de l’article 330 du code de procédure civile. Voilà certainement une nuance subtile, mais une nuance malgré tout !

Le CSM se prononcera le 16 décembre sur d’éventuelles sanctions contre le juge Cornu

Au cœur de ce dossier, une interception téléphonique en date du 17 juillet 2015. Elle a servi de fondement aux poursuites disciplinaires contre M. Cornu, à l’époque juge d’instruction au tribunal de grande instance de Bastia. Elle a motivé la sanction prononcée le 12 juillet 2017 par la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), compétente pour les magistrats du siège. À savoir un blâme, avec inscription au dossier, pour manquements aux devoirs de réserve, de loyauté et de délicatesse, de confidentialité et au secret professionnel.

Une interception téléphonique qui a valu à cette décision d’être annulée par le Conseil d’État. Le 12 juin 2019, il a jugé qu’elle était « entachée d’une insuffisance de motivation », le CSM ayant écarté sans y répondre un moyen de défense de M. Cornu sur la légalité et les conditions de transmission de cette écoute téléphonique.

Jeudi, c’est un homme fatigué et affecté par cette histoire corse qui s’est présenté devant le CSM. François-Marie Cornu est aujourd’hui vice-président au tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence. Les faits qui lui sont reprochés sont presque les mêmes qu’en 2017. Le garde des Sceaux a ajouté un nouveau grief, la publication en octobre 2019 sur un compte Twitter au nom de Cornu d’attestations rédigées par diverses personnes dans le cadre de l’instance disciplinaire.

Les faits remontent à juillet 2015. Deux ans plus tôt, M. Cornu, considéré par sa hiérarchie comme un magistrat de valeur à la carrière prometteuse, est nommé juge d’instruction au tribunal de grande instance de Bastia. Parmi ses nombreux dossiers, ceux concernant des assassinats commis dans la Plaine orientale, théâtre de règlements de compte en tous genres et d’histoires sans paroles. « J’ai fait l’objet d’une déloyauté rare dans certaines enquêtes », a-t-il expliqué jeudi.

Peu à peu, il en vient à soupçonner certains gendarmes de couvrir un homme qu’il considère, malgré le peu d’éléments recueillis, comme impliqué dans plusieurs de ses dossiers. Il le met en examen en janvier 2015 pour assassinat. Le juge des libertés et de la détention (JLD) le laisse en liberté sous contrôle judiciaire. Un contrôle qui sera levé six mois plus tard par la chambre de l’instruction.

En juin 2015, lors de l’audition d’une partie civile dans ce dossier, par ses questions, il met en cause la décision de la chambre de l’instruction. Informé, le procureur de la République saisit alors par requête en date du 25 juin le président du tribunal. Il lui demande de dessaisir le juge de cette procédure en application des dispositions de l’article 84 du code de procédure pénale.

Dans sa requête, le procureur considère que « les questions posées aux parties civiles ne contribuent en rien à la manifestation de la vérité mais relèvent au contraire une perte d’impartialité ». L’article 84 prévoit qu’un juge d’instruction peut être dessaisi au profit d’un autre « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, par requête motivée du procureur de la République, agissant soit spontanément, soit à la demande des parties ». Le 26 juin, le président du tribunal de grande instance dessaisit le juge Cornu.

Un mois plus tard, le 17 juillet 2015, le juge Cornu s’épanche au téléphone avec une partie civile dans le dossier dont il a été dessaisi. Celle-ci est placée sur écoute dans le cadre d’une enquête préliminaire. Le magistrat critique l’action des gendarmes, celle du parquet, de la chambre de l’instruction… Le 23 juillet, une transcription de cette écoute atterrit sur le bureau du procureur. Elle va conduire à la saisine par le garde des Sceaux de l’instance disciplinaire.

Jeudi, Me Olivier Morice, conseil de M. Cornu, a contesté les conditions de dessaisissement du magistrat ainsi que la légalité de l’interception téléphonique. Selon lui, l’article 84 n’était pas applicable au cas d’espèce. C’était au procureur général près la cour d’appel de Bastia de saisir le procureur général de la Cour de cassation d’une demande en récusation ou en suspicion légitime.

La direction des services judiciaires, par la voix de Catherine Mathieu, a sur ce point estimé que ce dessaisissement fondé sur l’article 84 était régulier. « Les conditions légales ont été scrupuleusement respectées », a-t-elle assuré.

Sur l’interception téléphonique, la défense a souligné son caractère illégal. Si, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le JLD peut autoriser des écoutes téléphoniques et leur transcription, il doit être, selon l’article 706-95, «  informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l’alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation ».

Or, assure la défense, cela n’a pas été le cas. Sur cette retranscription, n’apparaît pas le nom de l’OPJ, encore moins sa signature. Mieux, selon Me Morice, le numéro écouté ne correspond pas à celui figurant dans l’enquête préliminaire. « Le CSM peut-il donner crédit à une interception téléphonique réalisée dans de telles conditions ? », s’est-il interrogé. Par ailleurs, M. Cornu n’a pu contester la légalité de cette interception puisqu’il était dessaisi de l’affaire principale.

Quand bien même a-t-il admis dans un premier temps la teneur des propos retranscrits, qu’il conteste aujourd’hui, « le problème de la reconnaissance ne vient pas suppléer à la régularité de la procédure », a plaidé Me Morice.

La Direction des services judiciaires (DSJ) n’a pas remis en cause la régularité de cette écoute. Certes, la forme n’est pas très usuelle, mais elle permet à la formation disciplinaire « d’apprécier un manquement » aux devoirs du magistrat commis par M. Cornu.

Concernant les faits nouveaux, la publication sur un compte nominatif d’éléments de procédure, la DSJ a considéré que seul M. Cornu avait intérêt à publier ces pièces pour sa défense devant l’instance disciplinaire. Celui-ci conteste avoir publié ces documents.

Tous les éléments reprochés à M. Cornu sont constitutifs de manquements à ses obligations déontologiques et à l’image de l’institution judiciaire. Mme Mathieu a demandé au CSM de prendre en compte le contexte et la gravité des faits. « Rendre la justice en Corse n’est pas une tâche facile. Mais pour autant, cela ne peut pas constituer une excuse pour une perte de repères déontologiques. »

La représentante de la DSJ a estimé que le magistrat restait cantonné dans une position victimaire. Elle a demandé à la formation disciplinaire de prononcer un abaissement d’échelon, une sanction supérieure à celle du blâme.

« Ce que je demande, c’est la fin du cauchemar pour M. Cornu, qu’il puisse continuer son activité de magistrat. Je vous demande de rendre une décision qui le mette hors de cause car il le mérite », a conclu sa défense.

Comme l’a rappelé en préambule la rapporteuse Hélène Pauliat, la formation disciplinaire devra donc déterminer si l’article 84 a été correctement appliqué, si l’interception téléphonique peut être considérée comme légale. Et surtout, si le CSM est compétent pour porter une appréciation sur les actes juridictionnels des juges, qui ne peuvent être contestés que par l’exercice des voies de recours appropriés.

Décision le 16 décembre.

GPA et transcription de l’acte de naissance de l’enfant : la Cour de cassation persiste et signe

Les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 18 novembre 2020 offrent une impression de déjà-vu tant les arrêts relatifs aux conséquences des GPA réalisées à l’étranger se succèdent (v. encore, au début du même mois, Civ. 1re, 4 nov. 2020, nos 19-15.739 et 19-50.042, Dalloz actualité, 12 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 2172 image)…

Un couple d’hommes de nationalité française s’est rendu au Canada pour y avoir recours légalement à une gestation pour autrui. L’acte de naissance de l’enfant qui en est issu indique qu’il a pour parents les deux hommes. De retour en France avec l’enfant, le couple a demandé la transcription de l’acte de naissance. Si le tribunal de grande instance de Nantes a accepté la transcription complète de cet acte au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, la cour d’appel de Rennes, elle, n’a autorisé qu’une transcription partielle au profit de celui qu’elle suppose être le père biologique de l’enfant (il ressort des moyens annexés que les juges ne savent pas avec certitude lequel des deux hommes serait le père biologique). Le refus de transcription complète était fondé sur le constat que « les faits déclarés [dans l’acte de naissance de l’enfant] ne correspondaient pas à la réalité biologique de l’enfant ». La cour d’appel avait en outre affirmé que « le refus de transcription de la filiation paternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique prohibée » et elle avait rejeté toute atteinte disproportionnée au respect de la vie familiale « dès lors que l’accueil de l’enfant au sein du foyer constitué par son père et son compagnon n’est pas remis en cause par les autorités françaises et que ce dernier aura la possibilité de créer un lien de filiation avec l’enfant par un biais autre que la transcription, n’étant pas établi que la voie de l’adoption serait fermée au motif qu’il figure dans l’acte de naissance comme parent ». Elle avait en conséquence écarté toute violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient de préciser immédiatement que la cour d’appel de Rennes a statué le 13 mai 2019. Depuis, les temps ont changé et c’est donc sans surprise que la Cour de cassation, au visa, désormais classique en la matière, des articles 3-1 de la CIDE, 8 de la Convention européenne et 47 du code civil, a cassé sans renvoi l’arrêt d’appel ce qui aboutit à ordonner une transcription complète de l’acte de naissance canadien sur les registres français.

Cette solution était en effet totalement prévisible au regard de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, en quelques années, a permis puis facilité la transcription de l’acte de naissance de l’enfant issu d’une GPA régulièrement réalisée à l’étranger (sur cette évolution, qui a déjà été retracée dans ces colonnes, v. Dalloz actualité, 12 nov. 2020, L. Gareil-Sutter, préc.).

Du reste, la Cour de cassation ayant opté pour une motivation enrichie, l’arrêt fait lui-même référence aux précédents rendus sur la question. Les juges rappellent ainsi, pêle-mêle, la salve d’arrêts du 5 juillet 2017 (§ 12 ; Civ. 1re, 5 juill. 2017, nos 15-28.597, 16-16.901, 16-50.025 et 16-16.455 ; v. not. Dalloz actualité, 6 juill. 2017, art. T. Coustet ; D. 2017. 1737, note H. Fulchiron image ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2017. 482 image ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé image ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest image ; Rev. crit. DIP 2018. 143, note S. Bollée image), la jurisprudence postérieure de l’assemblée plénière du 4 octobre 2019 (§ 10 et 13 ; Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053, Dalloz actualité, 8 oct. 2019, art. T. Coustet ; D. 2019. 2228, et les obs., note H. Fulchiron et C. Bidaud image ; ibid. 1985, édito. G. Loiseau image ; ibid. 2000, point de vue J. Guillaumé image ; ibid. 2423, point de vue T. Perroud image ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 677, obs. P. Hilt image ; ibid. 843, obs. RÉGINE image ; ibid. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; JA 2019, n° 610, p. 11, obs. X. Delpech image ; AJ fam. 2019. 592, obs. J. Houssier image, obs. G. Kessler image ; ibid. 481, point de vue L. Brunet image ; ibid. 487, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2019. 817, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 841, obs. A.-M. Leroyer image ; ibid. 2020. 459, obs. N. Cayrol image ; JCP 2019, n° 1184, note A. Gouttenoire et F. Sudre ; Dr. fam. 2019, n° 261, note J.-R. Binet) rendu après avis de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, avis, 10 avr. 2019, n° P16-2018-001, Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. T. Coustet ; D. 2019. 1084, note H. Fulchiron image ; ibid. 1016, obs. S. Clavel image ; AJDA 2019. 788 image ; ibid. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; AJ fam. 2019. 289, obs. P. Salvage-Gerest image ; ibid. 233, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2019. 286, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 307, obs. A.-M. Leroyer image ; JCP 2019. 551, note F. Sudre et A. Gouttenoire ; RJPF 2019, n° 5, note M.-C. Le Boursicot) et enfin les deux arrêts du 18 décembre 2019 (§ 11 et 14 ; Civ. 1re, 18 déc. 2019, nos 18-12.327 et 18-11.815, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, art. T. Coustet ; D. 2020. 426, note S. Paricard image ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 843, obs. RÉGINE image ; AJ fam. 2020. 131 image ; ibid. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer image) rendus dans des circonstances similaires à la présente espèce (couple d’hommes ayant eu recours à une GPA à l’étranger et dont les noms figuraient sur l’acte de naissance de l’enfant).

On nous permettra de trouver que l’articulation de ces décisions telle qu’elle est présentée dans l’arrêt n’est pas des plus limpides, en particulier quant à la portée des arrêts du 5 juillet 2017 (préc.). Il reste que la Cour de cassation reprend ici au mot près le raisonnement mené dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.). Simplement, intégrant dans sa démonstration la solution dégagée par ces arrêts, elle affirme qu’ils ont conduit à « une évolution de la jurisprudence en ce sens qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil » (§ 14). La Cour de cassation inscrit donc l’arrêt sous examen dans le droit prolongement des solutions dégagées onze mois auparavant.

Or il semblait bien acquis depuis les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.) que, alors que la loi française prohibe toujours le recours à la gestation pour autrui (C. civ., art. 16-7 : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle »), l’acte de naissance d’un enfant issu d’une telle procréation, dès lors qu’il est régulier au regard du pays dans lequel elle a eu lieu, pourra être transcrit sans difficulté en France, y compris s’il désigne les parents d’intention comme parents juridiques de l’enfant.

La question qui subsistait était celle de savoir si la transcription devait désormais être considérée comme une solution exceptionnelle, comme une solution parmi d’autres ou comme le principe.

À s’en tenir à l’avis de la Cour européenne (CEDH, avis, 10 avr. 2019, préc.), la réponse est très nette : en raison de l’importante marge d’appréciation reconnue aux États, la Cour pose une obligation de résultat – reconnaître le lien entre l’enfant et la mère d’intention au plus tard lorsque celui-ci s’est concrétisé – mais laisse chaque État libre de déterminer les moyens pour y parvenir, la transcription étant un moyen parmi d’autres (ibid. § 53). Si on s’attarde sur l’arrêt de l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 4 oct. 2019, préc.), on ne peut que souligner les circonstances exceptionnelles (durée de la procédure, refus de la mère de demander l’adoption et enfants devenues majeures) sur lesquelles les juges se sont fondés pour privilégier la transcription. On pourrait enfin souligner que, dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.), comme dans l’arrêt sous examen, la Cour de cassation affirme que le refus d’une transcription totale décidée dans les arrêts de 2017 (Civ. 1re, 5 juill. 2017, préc.) « ne peut trouver application lorsque l’introduction d’une procédure d’adoption s’avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés ». On aurait pu conclure de ce qui précède que la transcription gardait un caractère « exceptionnel ».

Pourtant, ni dans les arrêts de décembre 2019 (préc.) ni dans l’arrêt sous examen, qui ont tous abouti à une transcription complète, la Cour de cassation ne semble chercher à caractériser le caractère exceptionnel de la situation ou l’impossibilité de l’adoption ou son caractère inopportun dans l’espèce considérée.

En effet, dans l’arrêt sous examen, après avoir rappelé les motifs de la cour d’appel ayant amené les juges à refuser la transcription, la Cour de cassation affirme de façon lapidaire, comme dans les arrêts du 18 décembre 2019 (préc.) : « En statuant ainsi, alors que, saisie d’une demande de transcription d’un acte de l’état civil étranger, elle constatait que celui-ci était régulier, exempt de fraude et avait été établi conformément au droit de l’État de Colombie britannique, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». La Cour de cassation ne relève donc nullement les raisons pour lesquelles la solution de la transcription s’imposerait alors même que, dans la troisième branche de son moyen – non reproduite dans l’arrêt –, le couple tentait manifestement de démontrer la particularité de sa situation. En outre, ce couple ne semblant pas être marié, cela aurait suffi à « légitimer » le recours à la transcription, toute adoption de l’enfant du conjoint étant alors exclue. Enfin, la cour d’appel de Rennes évoquait également, en l’écartant toutefois, l’obstacle éventuel lié au fait que l’acte de naissance faisait figurer le nom du père d’intention ce qui rendrait impossible l’adoption plénière de sa part. Rien de tout cela n’est évoqué dans les motifs de la Cour de cassation.

Il semble donc bien que la transcription totale soit véritablement le principe dès lors que l’acte est régulier au regard des règles juridiques du pays dans lequel elle a eu lieu. Cela avait été pressenti après les arrêts du 18 décembre 2019 (préc. ; v. J.-R. Binet, GPA : les digues cèdent en France, Dr. fam. 2020, comm. n° 39, qui évoque une autonomisation de l’action aux fins de transcription de l’acte de naissance ; égal. A. Gouttenoire, obs. ss Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-12.327, D. 2020. 1696 image). Cela nous semble pleinement confirmé par l’arrêt sous examen.

La Cour de cassation acte ainsi un peu plus ce qu’on a pu appeler « le schisme entre loi et jurisprudence » (S. Paricard, La transcription totale des actes étrangers des enfants nés d’une GPA : un schisme entre loi et jurisprudence, D. 2020. 426 image). Et, même si certains font de la résistance (v. not. l’amendement au projet de loi relatif à la bioéthique, proposé par B. Retailleau et adopté par le Sénat en début d’année, visant précisément à interdire une telle transcription complète), il n’est pas certain que le schisme ne perdure pas au-delà de la réforme des lois bioéthiques tant le législateur, comme le note ce même auteur, « semble, en effet, être sourd à cette jurisprudence qu’il n’entend ni consacrer ni combattre, bienheureux, semble-t-il, que les magistrats gèrent un sujet aussi politiquement clivant » (S. Paricard, art. préc.).

La solution viendra peut-être de la Conférence de La Haye de droit international privé, qui, dans le cadre de ses travaux sur le projet « Filiation/Maternité de substitution » ; v. égal. Bureau permanent de la HCCH, GPA et Conférence de La Haye, AJ fam. 2018. 575), pourrait proposer des solutions pour une approche plus cohérente de ce tourisme procréatif. En effet, on rappellera que l’une de ses missions consiste en l’élaboration d’un « protocole consacré à la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères en matière de filiation rendues à la suite de conventions de maternité de substitution à caractère international ».

Affaire (encore) à suivre…

Signature électronique des décisions juridictionnelles rendues en matière civile : nouvel arrêté

Par un arrêté du 20 novembre 2020, le ministre de la Justice a signé un arrêté (JUST2030158A) relatif à la signature électronique des décisions juridictionnelles rendues en matière civile. Cet arrêt offre le cadre technique de la signature électronique de ces décisions et pourrait préfigurer celui nécessaire au développement du dossier pénal numérique.

Un grand pas pour la justice civile

Le contexte

L’arrêté du 20 novembre 2020 intervient notamment dans le cadre du règlement (UE) 910/2014 du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et de la décision d’exécution (UE) 2015/1506 de la commission du 8 septembre 2015 établissant les spécifications relatives aux formats des signatures électroniques avancées et des cachets électroniques avancés devant être reconnus par les organismes du secteur public visés à l’article 27, § 5, et à l’article 37, § 5, du règlement 910/2014 précité.

Il est par ailleurs pris au visa des articles 1366 et 1367 du code civil qui prévoient notamment que l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier et qui fixe le cadre de l’identification de l’auteur de la signature électronique, de l’article R. 123-5 du code de l’organisation judiciaire relatif à la tenue du registre des délibérations, de l’article 456 du code de procédure civile prévoyant que le jugement peut être établi sur support électronique, ainsi que du décret n° 2010-112 du 2 février 2010 pris pour l’application des articles 9, 10 et 12 de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

Le contenu

Le texte prévoit notamment que tout procédé utilisé pour apposer une signature électronique sur les décisions juridictionnelles mentionnées à l’article 456 du code de procédure civile met en œuvre une signature électronique qualifiée au sens du règlement européen 910/2014 susvisé.

Il s’appuie sur un dispositif de création de signature qualifiée et de certificat qualifié reposant sur l’identification de l’agent sécurisée par la combinaison d’un dispositif d’identification strictement personnel et d’un mot de passe.

Ainsi, la signature électronique contient l’identification du signataire, un jeton d’horodatage garantissant l’intégrité du document et la date de signature et un certificat de signature électronique qualifié et valide, délivré par le ministère de la Justice. Par ailleurs, la signature électronique de la décision juridictionnelle contient la liste des certificats révoqués de l’autorité de certification qui a émis le certificat électronique identifiant le signataire. Cette signature électronique de la décision juridictionnelle garantit que toute modification ultérieure du document est détectable et la signature effectuée sur la base d’un certificat dont la révocation a été demandée est nulle même si la publication de ce certificat sur la liste des certificats révoqués n’est pas encore intervenue.

L’arrêté prévoit que les formats de signature reconnus sont ceux mentionnés en annexe de la décision d’exécution 2015/1506 de la Commission susvisée respectant les exigences des articles 1er et 2 de cette décision.

Enfin, le texte indique que la décision juridictionnelle signée électroniquement est conservée dans un minutier électronique placé sous la responsabilité du directeur du greffe pendant les durées d’utilisation comme archives courantes et de conservation comme archives intermédiaires prévues à l’article R. 212-13 du code du patrimoine. Pendant ces durées, ce minutier garantit l’accessibilité, la lisibilité, l’intégrité, la sécurité et la confidentialité des décisions juridictionnelles signées électroniquement.

Il est prévu que, dans un délai maximum de trois ans à compter de sa signature, la décision juridictionnelle signée électroniquement est transférée automatiquement dans un système d’archivage électronique sécurisé. Celui-ci permet d’étendre la fiabilité des signatures électroniques qualifiées au-delà de la période de validité technologique par les quatre moyens suivants :

• l’identification de chaque décision juridictionnelle signée électroniquement par une empreinte électronique, garantissant que toute modification ultérieure de la pièce à laquelle elle est attachée soit détectable ;

• la traçabilité des opérations de consultation, de versement, de migration, d’effacement et d’extraction ;

• la traçabilité des opérations de migration requises pour assurer la lisibilité dans le temps de la décision juridictionnelle sous format numérique, afin de prouver qu’elles ne constituent pas une altération de son contenu ou de sa forme. Après la migration, le système d’archivage électronique génère une nouvelle empreinte électronique de la décision juridictionnelle sous format numérique ;

• la conservation des empreintes et des traces générées en application des alinéas précédents aussi longtemps que la décision juridictionnelle sous format numérique à laquelle elles se rattachent et dans des conditions ne permettant pas leur modification.

Une étape importante de la digitalisation de la justice

Cet arrêté constitue une étape importante dans la digitalisation de la justice civile. En effet, ce processus de signature électronique permet l’édition de décisions civiles (tribunaux judiciaires, conseils de prud’hommes et cour d’appel, à l’exclusion à l’heure actuelle des tribunaux de commerce, qui disposent d’une autonomie certaine) sans qu’il soit nécessaire de les imprimer, de les signer manuellement puis de les numériser pour notification et archivage.

Il fait écho à l’arrêté du 18 octobre 2013 relatif à la signature électronique des décisions de justice rendues en matière civile par la Cour de cassation (le premier arrêt signé électroniquement date du 13 octobre 2013) et à l’arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce (v. Y. Broussole, Les principales dispositions de l’arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce, LPA 20 sept. 2019, n° 147, p. 12).

Ce processus engendrera donc nécessairement des gains de temps, mais également de lisibilité en regard de la mise en œuvre de l’open data. Il doit également permettre de simplifier les formalités de notification et pour les avocats de gestion du courrier et de leurs archives.

Il s’appuie sur un dispositif d’authentification de la signature électronique normalisé au niveau européen permettant également de favoriser la sécurité et la fiabilité des décisions et leur reconnaissance mutuelle notamment au sein de l’Union européenne en vertu de l’article 81 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Il faut toutefois tenir compte du fait que la mise en œuvre juridictionnelle effective de cet arrêté nécessitera encore un certain temps. En effet, à l’instar de la situation dans les tribunaux de commerce, qui devraient pouvoir appliquer ce dispositif dans le courant du premier semestre 2021, un temps d’adaptation technique et pratique s’avérant nécessaire pour traduire sur le plan opérationnel l’ensemble des mesures arrêtées selon un schéma directeur bien structuré dans son principe. Souhaitons que la mise en œuvre opérationnelle de ce dispositif au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel puisse intervenir à bref délai.

Un horizon pour la justice pénale ?

Ce dispositif peut naturellement préfigurer sa mise en œuvre en matière pénale dans le cadre du dossier pénal numérique tel que prévu par le décret n° 2020-767 du 23 juin 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « dossier pénal numérique ».

Ce décret permet une transition du dossier pénal numérique par voie de dématérialisation, en cours, à une procédure exclusivement numérique permettant l’édition des actes de procédure sous une forme exclusivement numérique.

En effet, ce chantier majeur que nous appelons de nos vœux de longue date (T. Cassuto, La signature électronique en matière pénale : révolution en suspens ou rendez-vous manqué ?,  AJ pénal 2017. 490 image) avance sur un autre rythme compte tenu notamment des contraintes liées à la protection des données personnelles. Ainsi, il peut être souligné que le décret du 23 juin a été pris au visa du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 dit RGPD et de la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016 qui l’accompagne relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données.

Ce décret, pris après les avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en date du 12 mars 2020 et du comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires en date du 15 mai 2020 instaure donc le cadre général du contenant futur des procédures pénales.

Certains pays se sont déjà dotés de tels outils et il ne saurait être contesté qu’un tel dossier pénal numérique présente de très nombreux intérêts tant pour les professionnels de la justice (T. Cassuto, Objectiver la preuve grâce au numérique, Revue justice actualités n° 21, juin 2019, p. 134) que pour les justiciables.

Il doit permettre d’alléger les tâches de traitement des procédures, notamment de manutention, d’améliorer la qualité des procédures, la conservation de la qualité des preuves, notamment des images recueillies, et par conséquent leur efficacité et leur célérité. En effet, en libérant des énergies et des ressources, il permet d’envisager un traitement accéléré des procédures dans un environnement plus sûr, singulièrement dans le contexte sanitaire que nous connaissons.

Au-delà, il pourrait permettre de favoriser le traitement de situation complexe nécessitant par exemple des recoupements d’informations (meurtres en série, activités d’organisations terroristes protéiformes, délinquance financière et traitement des avoirs criminels, etc.).

Il demeure que l’architecture du dossier pénal numérique doit encore être complétée afin de garantir l’interopérabilité des services, la sécurité des procédures et l’authentification des actes. À cet égard, le recours à un procédé d’authentification et de certification robuste des signatures concourra certainement à renforcer la nécessité de disposer d’un niveau de sécurité des plus élevés outre celle d’une protection de l’intégrité de l’ensemble de la procédure.

Ainsi, les progrès réalisés en matière civile doivent servir d’accélérateur de la modernisation de la procédure pénale numérique qui appelle à être parachevée au plus vite afin d’assurer sa mise en œuvre effective au plus vite.

Vers une accélération de la digitalisation des systèmes et de leur interopérabilité dans le cadre de la coopération judiciaire européenne

L’accélération nécessaire de la modernisation électronique des procédures civiles et pénales pourrait être favorisée par le cadre général européen appelé à se développer notamment sous l’impulsion de la Commission européenne. En effet, le 27 mai 2020, dans sa communication L’heure de l’Europe : réparer les dommages et préparer l’avenir pour la prochaine génération (COM[2020]456 final), la Commission soulignait l’importance de la digitalisation de la justice comme source d’amélioration de l’accès à la justice et le fonctionnement de l’environnement des entreprises.

Sur cette base, le 30 juillet 2020 (Feuille de route – Ares[2020]4029305), la Commission avait arrêté une feuille de route mettant en évidence la problématique de procédure judiciaire essentiellement papier et utilisant des modes de transmission affectant l’accès à la justice au préjudice des citoyens et des entreprises, et ce d’autant plus dans un environnement dégradé du fait de la crise sanitaire (v. The 2020 EU Justice scoreboard). Il est souligné en particulier les réticences au changement. Dans cette feuille de route, il est mis en évidence que la digitalisation de la justice est une condition importante pour améliorer la qualité des systèmes judiciaires en matière civile et pénale, notamment dans un contexte de criminalité transnational, ainsi qu’a pu le constater Europol.

La Commission a ainsi lancé une consultation devant conduire à l’adoption d’une communication sur la digitalisation de la justice qui devrait être présentée le 2 décembre 2020 dont l’objectif annoncé est notamment d’accélérer la digitalisation des systèmes et leur interopérabilité dans le cadre de la coopération judiciaire qui constitue la base juridique de l’action de l’Union européenne.

Il peut être souligné que la Commission saisit l’opportunité de cette démarche pour intégrer les avancées de l’intelligence artificielle (IA) et de la blockchain dont la mise en œuvre raisonnée pourrait apporter des solutions utiles. En effet, il dessine progressivement un consensus sur l’intérêt de l’IA comme outil susceptible de contribuer au fonctionnement de la justice, non certes en vue d’une autonomisation de la prise de décision, mais dans l’assistance à son élaboration (nonobstant sa mise en œuvre effective dans les cabinets d’avocat au moyen d’outils dédiés). Ces évolutions pourront bénéficier de la promotion d’un encadrement juridique de l’IA par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

« Je veux que ces personnes prennent la culpabilité qui est sur moi »

D’un trait de jargon ampoulé, et qui ne s’encombre pas de grammaire, la présidente annonce « l’unique dossier dont s’agit ce jour », mais n’enchaîne sur rien. Elle passe en revue la salle d’audience d’un œil noir surmonté d’un sourcil en accent circonflexe. Les avocats échangent des regards désemparés, inspectent soigneusement rabats et épitoges, puis se tournent vers les bancs du public, il est vrai singulièrement combles pour la période. Ce n’est pas le problème : les parties civiles ont pris place du côté des prévenus, et inversement. On va sans doute avoir un petit souci de gestes barrières : « Les personnes font attention de ne pas se croiser de trop près ! », commande-t-elle en pure perte au ballet si invraisemblablement brouillon que c’en est comique.

Comique, le dossier l’est moins. Un dimanche de janvier 2014, Vivien embarque son pote Baptiste pour une virée dans sa nouvelle voiture, une citadine survitaminée (200 chevaux) acquise cinq jours et 450 km plus tôt. Monotone, la départementale de l’Essonne est ponctuellement égayée par de grandes courbes. C’est dans l’une d’elles que l’arrière décroche brusquement. Devenue incontrôlable, la voiture percute celle de Sylvie, qui roule en sens inverse, et termine sa course en plein champ, quasiment coupée en deux par la violence du choc. La ceinture de Baptiste rompt : projeté à plus de 20 m de la carcasse, il décède peu après, sur les lieux, à 24 ans. Les ITT des deux autres se comptent en mois. Les dépistages sont négatifs, mais une caméra de surveillance, 200 m en amont, permet d’estimer à 140 km/h la vitesse de Vivien. Initialement prévenu, ce dernier est relaxé en 2016 par le tribunal correctionnel (conformément aux réquisitions du ministère public), même si un renvoi sur intérêts civils est toujours pendant.

Pour comprendre, il faut remonter au printemps 2013. Accidentée par un précédent propriétaire, la voiture atterrit chez un épaviste. Arnaud, chauffeur poids lourd salarié d’une entreprise de négoce automobile, passe par là, la trouve « magnifique, quasiment neuve » et s’en porte acquéreur, moyennant 4 000 €. Il sait qu’elle fait l’objet d’une procédure « véhicule endommagé » (VE). Concrètement, le certificat d’immatriculation est bloqué en préfecture, et seul un expert en automobile peut obtenir la mainlevée de la mesure, après avoir soigneusement suivi et contrôlé les travaux de remise en état. Arnaud bricole la voiture lui-même, dans son pavillon, avec des pièces d’occasion. Il fait quelques balades avec, mais lorsqu’il demande des devis d’assurance, c’est la douche froide : il n’a pas les moyens.

Il la revend 8 000 € à son patron, Franck. Qui la cède à son tour à Vivien, pour 10 000 €, par l’intermédiaire d’un garage prête-nom, une coquille vide. C’est Alexandre, un expert soupçonné d’avoir été peu contrariant, qui permet ce tour de passe-passe en donnant son feu vert à la préfecture. Pris de panique à la suite de l’accident mortel, il tente dans un second temps d’étoffer son maigre dossier, en moissonnant fausses attestations, fausses factures et photos qualifiées de « douteuses ». Arnaud le bricoleur, Franck le patron et Alexandre l’expert sont nos trois prévenus du jour. Ils sont poursuivis, notamment, pour homicide involontaire, blessures involontaires, escroquerie en réunion, établissement et usage de faux certificat, mise en danger…

En première instance, en comparution immédiate (!), tous trois sont partiellement relaxés, notamment du chef de mise en danger (conformément aux réquisitions du parquet). Mais écopent pour le surplus de peines mixtes (jusqu’à quatre ans dont deux ferme), d’amendes, et d’interdictions professionnelles définitives assorties de l’exécution provisoire. Sur les bancs des parties civiles, Vivien le conducteur et plusieurs membres de la famille de feu son passager Baptiste font bloc, et sont même représentés par un seul et même avocat. Depuis des années maintenant, les deux camps s’envoient dans les dents des expertises admirablement contradictoires (le dossier en compte sept). Deux d’entre elles, judiciaires, retiendront particulièrement notre attention.

La première remonte à 2016. Elle conclut que le mauvais serrage du train arrière d’occasion peut avoir provoqué l’accident et que la mauvaise soudure des ailes arrière (il est même question d’un « simple collage ») peut en avoir aggravé les conséquences. Chose rare, on peut assister aux opérations, puisque les caméras d’une émission de « télévision gyrophare » sont justement à l’époque en immersion au sein du service enquêteur. Sur les images, on voit effectivement un expert judiciaire. Les mains dans les poches, il répond aux questions de l’équipe de tournage, tandis qu’un mécanicien s’affaire à désolidariser ce qu’il reste du fameux train arrière de l’informe amas de tôle froissée. Au moment d’achever l’opération, le mécano lance benoîtement une phrase du genre : « Ben dis donc, c’était pas très serré. » Puis un pilote d’essai de la marque passe dans la courbe avec une voiture identique, mais flambant neuve : ô surprise, il ne termine pas dans le champ à son tour. Tout cela semble peu probant, mais n’empêche pas un aréopage d’enquêteurs de se presser au micro. Faisant écho au bandeau criard du bas de l’écran, ils évoquent avec assurance, qui « une vraie épave », qui « un cercueil ambulant ».

L’autre expertise importante est la dernière en date, facturée cinquante-six mille euros. Elle n’est pas triste non plus, d’autant que l’épave a malencontreusement été égarée dans l’intervalle. Les deux experts ont pris une voiture identique, en ont desserré le train arrière au pifomètre, et l’ont lancée à deux ou trois reprises sur un parcours en plots de chantier reproduisant sur circuit le rayon de la funeste courbe, sans que le conducteur perde le contrôle. Leurs conclusions sont diamétralement opposées aux premières : elles mettent le serrage du train arrière hors de cause, considérant qu’il n’a pu bouger « en dehors des limites du constructeur », et concédant tout juste un éventuel « microbraquage », d’un angle de l’ordre du tiers de degré. Nous voici donc bien avancés.

Les experts ont fait des pieds et des mains pour venir déposer en personne, ce qui est rare hors assises. Ils concèdent que « les ailes auraient pu un jour se dessouder, constituer une partie saillante et blesser un piéton », comme le train arrière d’ailleurs : « à terme, ça aurait pu rompre ». Mais ils affirment qu’aucun de ces défauts ne peut avoir eu la moindre conséquence « dans ces circonstances précises » : « Aucune voiture ne peut tout simplement résister à un choc à une vitesse cumulée de 200 km/h. » Arnaud, le bricoleur, explique à la barre que, « pour moi, j’ai effectué les travaux correctement » et ajoute : « Ce qui est triste, c’est qu’une personne soit morte, mais je ne me sens pas responsable. » On passe à Franck, le patron. Il a un temps déclaré, sur procès-verbal, que, « si je lui avais dit pour la procédure, ça l’aurait refroidi. Si on devait prévenir le client à chaque fois, on ne vendrait jamais aucun véhicule ». Mais il affirme maintenant avoir clairement informé Vivien (qui a lui aussi changé à plusieurs reprises de version sur ce point) des antécédents de la voiture. L’avocate générale se lance :

— Vous dites que la mention figurait sur le bon de commande et la facture…

— Oui, je n‘avais pas beaucoup de place, et je ne savais pas quoi mettre, alors j’ai marqué « procédure expert ».

— Et pourquoi ne rien avoir précisé sur le certificat de cession ?

— Parce qu’il n’y avait pas d’emplacement.

— Mais rien n’interdit, une fois qu’on a imprimé le document, de prendre sa petite menotte et d’ajouter une mention.

— Je ne savais pas si on avait le droit.

— Je ne pense pas qu’on vous aurait poursuivi pour cela.

Alexandre, l’expert, explique que, « si j’ai signé, pour moi, c’est qu’il n’y avait pas de problème ». Quasiment toutes ses réponses débutent par le même laïus (« Conformément à l’article X de la circulaire Y […] »), ce qui exaspère manifestement le tribunal. Il concède finalement que « le rapport que j’ai transmis à la préfecture était entaché d’erreurs ». « On met au moins “erreurs” au pluriel, vous nous accordez cela ? », demande la présidente à Alexandre, qui concède. Il raconte enfin que « quand les gendarmes m’appellent, je prends le dossier, je vois qu’il manque des pièces, et je panique ».

De son côté, Vivien raconte que, « depuis tout ça, je n’ai plus confiance en moi, j’ai tout le temps l’impression qu’on me trompe. Je veux que ces trois personnes prennent la culpabilité que j’ai sur moi ». L’avocate générale indique pour sa part qu’elle entend solliciter une requalification de l’escroquerie : elle penche pour une tromperie aggravée sur les qualités substantielles de la chose vendue du code de la consommation (art. L. 454-3), même si l’un des trois coprévenus n’a pas vraiment agi comme professionnel. Menaçant de demander trois heures de suspension pour se plonger dans un code, l’un des avocats de la défense tonne : « J’aurais bien aimé qu’on nous en avertisse ! Ça nous met en difficulté, on se retrouve au pied du mur ! » Imperturbable, l’avocate générale rétorque : « Il faut bien que les débats servent à quelque chose ».

Un avocat des parties civiles se lance dans une plaidoirie un peu décalée : « Les Anglo-Saxons disent que “la preuve du cake, c’est qu’on le mange”. Eh bien, la preuve qu’il y avait un problème avec cette voiture, c’est qu’elle est sortie de la route. » Il invoque Coluche : « C’est l’histoire d’un mec qui a perdu ses clés, et les cherche au pied d’un réverbère. Pas parce qu’il les a perdues là, mais parce que c’est le seul endroit éclairé de la rue. Cet “effet réverbère” est un biais méthodologique qui résume bien [le travail des experts], puisqu’ils n’avaient plus ni le train arrière ni la voiture. » La plaidoirie suivante est sur la même ligne : « C’est exactement comme faire une autopsie sur un corps qui n’est pas le bon. »

Avant de requérir sa fameuse requalification, et finalement les mêmes peines qu’en première instance, l’avocate générale consacre plusieurs minutes à déplorer la relaxe, devenue définitive depuis un bail, de Vivien, le conducteur : « J’aurais préféré qu’il y ait un appel du parquet [sur ce volet], mais c’est lui qui a requis la relaxe, pour que la cour ait une vision d’ensemble du dossier. Si vous ne reteniez pas l’homicide involontaire et les blessures involontaires, il n’y aurait [pénalement] plus aucun responsable pour cette mort et ces blessures ! » Un avocat de la défense s’en prend à l’un de ses confrères adverses : « On n’est pas là pour faire exclusivement de l’émotion […]. Il est dans la démagogie, en voulant conforter son client [Vivien] dans l’idée qu’il n’y est pour rien, [ce qui est] faux ! ».

Le suivant prend pour cible l’avocate générale : « On n’est pas là pour condamner quelqu’un parce qu’il faut que quelqu’un soit condamné ! » C’est le conseil d’Alexandre, qui sollicite pour son client une dispense de peine, « pour qu’il puisse redevenir expert. J’ai trouvé des cas avec des centaines et même des milliers de faux, et qui ont pris une interdiction de cinq ans seulement ! » Il insiste sur le fait que, faits après coup, les faux en question n’ont pas servi à remettre la voiture en circulation, et n’ont donc aucun lien de causalité avec l’accident. Le dernier à prendre la parole est l’avocat d’Arnaud, le bricoleur. Après avoir déploré « un gâchis judiciaire », il s’interroge sur le concours de préventions : « L’homicide involontaire et les blessures involontaires ne sont jamais qu’une mise en danger dont le danger s’est réalisé. C’est une infraction non intentionnelle, OK, mais où se trouve l’obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ? » Il ne plaide quasiment que par des questions, notamment sur la tromperie : « Comment [Arnaud] peut-il vouloir tromper une personne dont il ne connaît même pas l’existence ? » Il plaide « une relaxe complète ». Délibéré à six semaines.

Protection de l’enfance : une organisation complexe au pilotage défaillant

Fin 2018, 328 000 enfants bénéficiaient d’une mesure de protection (12 % de plus qu’en 2009). Le cadre juridique renforcé par la loi du 14 mars 2016 reste insuffisant. Le « projet pour l’enfant », censé garantir les bonnes conditions d’une mesure de protection, est appliqué inégalement sur le territoire. La relation avec les parents doit être clarifiée car les mesures prononcées sont toujours provisoires, afin de préserver la possibilité d’un retour dans la...

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Action déclaratoire de nationalité et preuve de la naissance en territoire français

par Amélie Panetle 2 décembre 2020

Civ. 1re, 4 nov. 2020, FS-P+B, n° 19-18.280

M. K…, né au Bénin en 1997, a introduit une action déclaratoire de nationalité fondée sur son lien de filiation paternelle et la double naissance en France de son père et de son grand-père. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 février 2019, a dit qu’il n’était pas français, estimant que la preuve de la qualité d’originaire du territoire français d’outre-mer du Dahomey du grand-père paternel de M. K… n’était pas démontrée, en l’absence d’acte de naissance probant pour le grand-père. Elle a retenu que le jugement supplétif d’acte de naissance produit par M. K… pour justifier du lieu de naissance de son grand-père ne remplissait pas les conditions posées par la Convention franco-béninoise pour la reconnaissance des décisions rendues en matière civile, et qu’aucun élément apporté ne permettait de suppléer l’absence d’acte de naissance.

M. K… se pourvoit alors en cassation. Il soutient que la preuve du lieu de...

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Action contre un copropriétaire : détermination du juge compétent dans l’Union

Une société établie au Royaume-Uni est propriétaire d’un appartement dans un immeuble en copropriété situé en Autriche. Elle loue cet appartement à des vacanciers.

Un autre copropriétaire conteste devant un juge autrichien la possibilité de ce type de location, qui serait selon lui contraire à l’affectation de l’immeuble.

La compétence du juge est contestée. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est alors saisie de deux questions préjudicielles qui lui permettent de se prononcer sur les règles de compétence applicables dans une telle situation. Son arrêt du 11 novembre 2020, rédigé dans un style clair et concis et qui emporte la conviction, envisage deux qualifications, selon que l’on considère qu’il s’agit d’une action en matière de droits réels immobiliers ou d’une action contractuelle.

1. La première qualification résulte des dispositions de l’article 24, point 1, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : en matière de droits réels immobiliers (et de baux d’immeubles), sont seules compétentes les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé, sans considération de domicile des parties.

La jurisprudence est régulièrement appelée à se prononcer sur la portée de ces dispositions. Il est ainsi acquis que cette compétence englobe non pas l’ensemble des actions qui concernent des droits réels immobiliers, mais seulement celles qui, tout à la fois, entrent dans le champ d’application de ce règlement et tendent, d’une part, à déterminer...

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Les députés musclent les peines alternatives pour favoriser leur prononcé

L’article premier élargit le champ des mesures d’alternatives aux poursuites, qui permettent au parquet de proposer des sanctions afin d’éviter un procès. Actuellement, le procureur peut déjà demander à l’auteur de réparer le dommage qu’il a causé, de se soigner, d’effectuer un stage ou de ne pas paraître dans certains lieux. En cas de non-exécution des mesures, des poursuites peuvent être engagées.

L’article rajoutera la possibilité de saisir la chose ayant servi à commettre l’infraction, l’interdiction d’entrer en contact avec les victimes ou les coauteurs et l’obligation de verser une « contribution citoyenne » à une association d’aide aux victimes (jusqu’à 3 000 €). L’auteur pourra aussi être contraint de transiger avec le maire (la mesure vise les dégradations).

L’article 1erbis vise la composition pénale, plus contraignante que les alternatives aux poursuites et soumise normalement à une validation par un magistrat du siège. Le nombre maximal d’heures de travail non rémunéré passera de soixante à cent et l’article permettra d’imposer à l’auteur des faits un stage de responsabilité parentale. Il étend aux infractions contraventionnelles la procédure de validation sans juge du siège.

Déjudiciariser le TIG

L’article 2 porte sur le travail d’intérêt général (TIG). Sauf décision contraire, ce n’est plus le juge de l’application des peines qui déterminera les modalités d’exécution du TIG, mais le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Le juge restera compétent pour suspendre le délai d’exécution des TIG. C’est également le directeur du SPIP qui listera les TIG susceptibles d’être accomplis dans le département, après avis du juge. L’examen médical préalable sera supprimé, sauf cas particulier lié au condamné ou à la nature des travaux.

L’article 3 crée un dispositif d’amende forfaitaire minorée pour les contraventions de cinquième classe (montant habituel : 200 €).

L’article 3 bis étend l’obligation de dénonciation des conducteurs pour les véhicules de société, afin de combler une faille concernant les autoentrepreneurs.

Enfin, l’article 4 simplifie les règles de constat du désistement d’appel devant la cour d’assises. Concernant la chambre criminelle de la Cour de cassation, il retarde la désignation d’un conseiller rapporteur. Enfin, il harmonise la durée au cours de laquelle les demandeurs en cassation peuvent déposer leur mémoire personnel.

Intervention volontaire du FGAO : exigence d’une instance victime contre responsable

Le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) est notamment amené à intervenir « pour indemniser les dommages corporels ou matériels résultant d’accidents causés par des personnes circulant sur le sol (piétons, cyclistes, skieurs, rollers, etc.), non assurées ou inconnues …. Concernant les accidents de la circulation, le FGAO intervient lorsque la victime est titulaire d’un droit à réparation contre un tiers inconnu ou non assuré. Sont donc exclues toutes les personnes n’ayant aucun débiteur (par ex. un conducteur ayant eu un accident seul) » (A. Cayol, L’assurance automobile, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 382).

Les dommages corporels sont indemnisés sans limite devant le FGAO. En revanche, « l’indemnisation des dommages matériels « ne peut excéder par sinistre la somme de 1 220 000 € » (C. assur., art. A. 421-1-1) et seulement si certaines conditions sont réunies : toute indemnisation est exclue lorsque l’auteur du dommage est inconnu et que l’accident n’a entraîné aucune conséquence corporelle (C. assur., art. L. 421-1, I), afin de limiter les risques de fraude » (ibid.). Plus largement, le champ d’intervention du Fonds de garantie connaît certaines limites, en particulier d’un point de vue procédural, ce qui est mis en lumière par un arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la deuxième chambre civile.

En l’espèce, le propriétaire d’un véhicule a souscrit une police d’assurance automobile auprès d’une société d’assurance par avenant à effet du 4 juillet 2009. Peu de temps après, le 28 novembre 2009, ce véhicule, conduit par son propriétaire, est impliqué dans un accident de la circulation à l’occasion duquel un tiers est blessé.

Par arrêt du 11 avril 2011, après que l’enquête pénale ait révélé que le véhicule impliqué a été modifié et son moteur remplacé, le conducteur est condamné pénalement des chefs de blessures involontaires et de mise en circulation d’un véhicule non réceptionné ou non conforme à un type réceptionné.

L’assureur l’assigne en annulation du contrat d’assurance et en remboursement des indemnités versées à la victime. Dans un premier temps du procès, la demande de l’assureur est accueillie. Dans un second temps, le FGAO intervient volontairement à l’instance, devant la juridiction de renvoi.

Considérant que le Fonds de garantie n’avait pas d’intérêt à intervenir dans l’instance au titre de laquelle l’assureur poursuivait la nullité du contrat d’assurance souscrit par son assuré, la cour d’appel de Dijon a déclaré...

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L’incidence du divorce sur les avantages matrimoniaux face à la garantie des droits : transmission d’une QPC

Plus de quinze ans après son entrée en vigueur, la conformité de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 aux droits constitutionnellement garantis est questionnée. Il y a quelques semaines déjà l’article 33-VI de cette loi était considéré comme potentiellement attentatoire aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 en ce qu’il prévoit la possibilité de réviser, suspendre ou supprimer une prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 (Civ. 1re, 15 oct. 2020, FS-P, n° 20-14.584, Dalloz actualité, 13 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter). C’est à présent au tour des I et II de ce même article 33 d’être soumis au contrôle des Sages, la Cour de cassation pressentant que l’application immédiate des effets du divorce sur les avantages matrimoniaux est peut-être attentatoire à la garantie des droits.

En l’espèce, deux époux mariés en 1983 sous le régime de la communauté légale ont aménagé leur régime matrimonial par convention modificative reçue par notaire le 29 juin 2001. Au terme de cette nouvelle charte patrimoniale, l’épouse réalisait divers apports de biens propres avec dispense de récompense pour un montant total de 45 700 000 €. Le 5 février 2015 la cour d’appel de Versailles prononçait le divorce aux torts exclusifs de l’époux et refusait à l’épouse la possibilité de réaliser une reprise des apports. Le pourvoi formé contre cette décision fût rejeté.

La Première chambre civile de la Cour de cassation considéra en effet, au terme d’un arrêt rendu le 6 juillet 2016, que les dispositions de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 étaient applicables en la cause dans la mesure où l’assignation avait été délivrée après le 1er janvier 2005, conformément à l’article 33 I et II de cette loi : « la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés « (Civ. 1re, 6 juill. 2016, n° 15-16.408 ; notons qu’au titre du rappel des faits, cet arrêt indique que les époux se sont soumis au régime de communauté universelle alors que, dans l’arrêt sous commentaire, il est indiqué qu’il s’agit d’un régime légal avec clause d’apport…).

Ayant épuisé tous les recours internes face à son ex-mari, la demanderesse assigna en responsabilité civile le notaire ayant instrumenté l’acte du 29 juin 2001. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 novembre 2019, fit droit à cette demande en retenant que le défendeur avait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde, ce qui avait causé une perte d’une chance d’introduire, dans l’acte de changement de régime matrimonial, une clause de reprise des apports. Le défendeur succombant forma alors un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel il sollicita le renvoi devant le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée :

« Les dispositions des I et II de l’article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, en ce qu’elles disposent selon la portée que leur donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que cette loi est applicable aux procédures introduites par une assignation délivrée après le 1er janvier 2005, date de son entrée en vigueur, et qu’en vertu de telles dispositions transitoires, la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés, méconnaissent-elles la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en remettant en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d’une situation légalement acquise ? ».

Ainsi interrogée sur la réunion des conditions permettant la transmission au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation juge la question sérieuse au motif « qu’en modifiant les conséquences du divorce sur les avantages matrimoniaux consentis avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, les dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, pourraient être de nature à remettre en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire des textes antérieurs et porter atteinte à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

La question ainsi posée invite à préciser les difficultés soulevées par les dispositions incriminées afin d’expliquer en quoi un contrôle de constitutionnalité est ici pertinent (I) avant de s’interroger sur l’issue possible de ce contrôle (II).

I - La pertinence du contrôle

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 16 mai 2004, le sort des avantages matrimoniaux (c’est-à-dire, concrètement, les modalités de liquidation du régime matrimonial) dépendait de la cause du divorce. Si le divorce était prononcé sur demande conjointe, les époux décidaient eux-mêmes du sort des donations et avantages qu’ils s’étaient consentis (C. civ., art. 268 anc.). Lorsqu’il était prononcé sur demande acceptée chacun des époux pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages qu’il avait consentis à l’autre (C. civ., art. 268-1 anc.). S’agissant du divorce pour faute, une logique punitive faisait dépendre les avantages et donations entre époux de la répartition des torts. S’ils étaient partagés, chacun pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages consentis à l’autre (C. civ., art. 267-1 anc.). En revanche, lorsque le divorce était prononcé aux torts exclusifs d’un époux, celui-ci perdait de plein droit toutes les donations et tous les avantages matrimoniaux que son conjoint lui avait consentis (C. civ., art. 267 anc.). Telle était la situation de la demanderesse en l’espèce. Le divorce ayant été prononcé aux torts exclusifs de son époux, elle aurait pu se prévaloir de la déchéance qu’il subissait pour réaliser une reprise des apports à la communauté, si tant est que l’ancien article 267 du code civil fut applicable en la cause. Il est en effet acquis que l’apport d’un bien propre à la communauté constitue un avantage matrimonial (Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-11.967, Bull. civ. I, n° 179 ; Dalloz actualité, 17 oct. 2013, obs. R. Mésa ; D. 2013. 2273 image ; AJ fam. 2013. 635, obs. S. Thouret image ; RTD civ. 2013. 887, obs. B. Vareille image ; RJPF 2013, n° 12, p. 27 ; JCP N 2014. Comm. 1169 J. Massip ; de même que l’adoption d’une communauté universelle, Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-70.138, Bull. civ. I, n° 250 ; AJ fam. 2011. 48, obs. S. David image ; RTD civ. 2011. 112, obs. J. Hauser image ; JCP 2011. 1371, § 10, obs. A. Tisserand-Martin ; JCP N 2011, 17, 35, note J. Massip ; Defrénois, 30 avr. 2011, n° 8, p. 828, obs. J. Massip ; Gaz. Pal. 5 févr. 2011, n° 36, p. 16, note J. Casey ; RLDC 2011, n° 79, p. 56).

Cependant ce système complexe a été supprimé par la loi du 26 mai 2004 qui lui a substitué, aux termes du nouvel article 265 du code civil, un mécanisme très différent. Dorénavant, la cause du divorce importe peu. Une distinction doit être réalisée entre les avantages prenant effet au cours du mariage (qui sont maintenus en cas de divorce) et les avantages prenant effet au décès de l’un des époux ou à la dissolution du régime matrimonial (qui sont révoqués de plein-droit, sauf maintien constaté lors du prononcé du divorce). Or l’apport à la communauté, en ce qu’il modifie l’équilibre des masses, prend effet au jour de l’acte qui le stipule. Contrairement aux clauses liquidatives (préciput, parts inégales, attribution intégrale, etc.), il se réalise bien avant le partage, au seuil de l’entrée en vigueur de la convention matrimoniale : il doit donc être considéré comme maintenu malgré le prononcé du divorce pour faute.

Ainsi la situation de l’épouse apporteuse était-elle bien plus favorable à la veille de la réforme du 26 mai 2004 qu’à son lendemain. L’article 265 du code civil lui interdit désormais de réaliser la reprise, et elle n’avait, en 2001, pas...

Extension des chefs du jugement critiqués par une seconde déclaration d’appel

L’arrêt commenté a eu à trancher une question inédite depuis la réforme de la procédure d’appel introduite par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile : les chefs du jugement critiqués par une première déclaration d’appel peuvent-ils être étendus par une seconde déclaration d’appel ?

La réponse à cette question n’était pas évidente au regard des effets induits par le décret du 6 mai 2017. L’appel général d’un jugement n’est plus autorisé et il appartient à l’appelant de mentionner dans sa déclaration d’appel, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou s’il est indivisible (C. pr. civ., art. 901). L’effet dévolutif de l’appel est désormais limité, l’appel ne déférant à la cour d’appel que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent (C. pr. civ., art. 562). La circulaire du 4 août 2017, prise en application du décret, précise que « la notion de chefs de jugement correspond aux points tranchés dans le dispositif du jugement ».

La rédaction de la déclaration d’appel doit donc aujourd’hui être particulièrement soignée par le praticien, la Cour de cassation jugeant que « seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement. Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués l’effet dévolutif n’opère pas » (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image). Dans une décision du 2 juillet 2020, la Cour de cassation a notamment sanctionné une déclaration mal rédigée en jugeant que « la cour d’appel, ayant constaté que la déclaration d’appel se bornait à solliciter la réformation et/ou l’annulation de la décision sur les chefs qu’elle énumérait et que l’énumération ne comportait que l’énoncé des demandes formulées devant le premier juge, en a déduit à bon droit, […] qu’elle n’était saisie d’aucun chef du dispositif du jugement » (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16.954). Il convient ainsi de ne pas confondre le dispositif du jugement qui doit être critiqué dans la déclaration d’appel avec les demandes qui ont été formulées devant le juge qui ne constituent pas les « chefs critiqués du jugement » et qui n’ont pas besoin d’être mentionnées dans la déclaration d’appel.

Mais dans une approche pragmatique, la Cour de cassation admet qu’une seconde déclaration d’appel puisse être formée...

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Refus de la force majeure pour le créancier

Attention, arrêt remarqué et remarquable en droit des obligations ! Plus précisément, la solution explore les contours de la force majeure de l’article 1218 nouveau du code civil. Si on sait que ses applications peuvent être jugées parfois « sporadiques » comme le note M. Gréau (Rép. civ., v° Force majeure, par F. Gréau, n° 1), il faut bien rappeler que l’économie de l’article 1218 du code civil avait pour vocation de mettre fin au désordre ambiant autour de la notion même de force majeure (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 563, n° 617). Mais l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020 explore une question qui peut encore poser difficultés. Le créancier peut-il invoquer la force majeure quand il ne peut pas profiter de la prestation à laquelle il a droit ? Penchons-nous sur les faits pour comprendre la situation. Un couple marié contracte avec une société de chaînes thermales pour un séjour du 30 septembre 2017 au 22 octobre de la même année pour un montant de 926,60 €. La somme a été payée au début du séjour. Le 4 octobre, l’un des époux est hospitalisé. Son épouse quitte également le lieu d’hébergement le 8 octobre suivant pour l’accompagner. Les contractants assignent la société de chaînes thermales pour obtenir résolution et indemnisation de leur contrat en soutenant que par l’effet de la force majeure ils n’ont pas pu profiter des deux dernières semaines d’hébergement. Le tribunal de Manosque précise que « M. B… a été victime d’un problème de santé imprévisible et irrésistible et que Mme B… a dû l’accompagner en raison de son transfert à plus de cent trente kilomètres de l’établissement de la société, rendant impossible la poursuite de l’exécution du contrat d’hébergement ». Ainsi, la force majeure a été reconnue et le contrat résilié. Mais la société se pourvoit en cassation en arguant que si la force majeure permet au débiteur d’une obligation contractuelle d’échapper à sa responsabilité et d’obtenir la résolution du contrat, c’est à la condition qu’elle empêche l’exécution de sa propre obligation. Ainsi, en ayant versé la somme due, la force majeure ne serait pas applicable puisque l’évènement tiré de l’hospitalisation n’a induit que l’impossibilité de profiter de la prestation dont les époux étaient créanciers. La Cour de cassation casse et annule le jugement entrepris pour violation de l’article 1218 du code civil. La motivation est claire : « le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure ». En somme, la force majeure est un outil destiné au débiteur et non au créancier. Voici une solution assurément importante qui appelle plusieurs précisions.

La Cour de cassation opte pour une lecture littérale de l’article 1218 du code civil, lequel a pour centre de gravité le débiteur seulement et non le créancier. Or ce centre de gravité s’explique par l’utilité de la force majeure en premier lieu. Il s’agit d’un mécanisme de protection du débiteur. Toutefois, dans une étude très remarquée, M. Grimaldi offrait un plaidoyer soutenu pour l’admission de la force majeure invoquée par le créancier (C. Grimaldi, La force majeure invoquée par le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit, D. 2009. 1298, spéc. n° 17 image). L’auteur notait en 2009, soit onze ans avant cet arrêt : « Pour des raisons d’équité, il nous paraît important de reconnaître au créancier la faculté d’invoquer la force majeure pour obtenir l’anéantissement du contrat. Dans ce cas, par principe, le créancier ne saurait être contraint d’exécuter son obligation, et, s’il l’a déjà fait, il devrait obtenir restitution. Il n’en irait autrement que si le débiteur rapportait la preuve d’un préjudice tel qu’il serait inique de le laisser à sa charge, ou si les parties avaient inséré une clause réglant la charge des risques (sous réserve de sa validité, au regard notamment de la législation sur les clauses abusives) ». La question était donc déjà évoquée avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 mais cette importante position doctrinale n’a pas été suivie, du moins expressément. Gravitant autour du débiteur, la force majeure entretient évidemment des liens étroits avec la théorie des risques et le fameux adage res perit debitori (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, p. 820, n° 759). La solution donnée par la Cour de cassation aura peut-être des effets collatéraux sur des contentieux ultérieurs notamment relatifs à l’épidémie de covid-19 (v. par ex. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 image). On peut se demander si la fréquence des demandes dans ce sens formulées par des créanciers en période de coronavirus ne pourrait pas faire évoluer une telle position ; c’est du moins l’idée avancée par M. Grimaldi il y a quelques semaines dans les colonnes du Recueil Dalloz, citant même le jugement du tribunal de Manosque entrepris dans l’arrêt du 25 septembre 2020 (C. Grimaldi, Quelle jurisprudence demain pour l’épidémie de covid-19 en droit des contrats ?, D. 2020. 827, spéc. n° 10 image). La position de la Cour de cassation reste toutefois claire : la force majeure ne peut pas être invoquée par le créancier qui ne peut pas profiter de la prestation due.

On pourrait objecter à la solution de la Cour de cassation une certaine rigueur pour le créancier ; rigueur qu’elle n’a d’ailleurs pas toujours appliquée selon les circonstances (v. Civ. 1re, 10 févr. 1998, n° 96-13.316, D. 1998. 539 image, note D. Mazeaud image ; RTD civ. 1998. 674, obs. J. Mestre image ; ibid. 689, obs. P. Jourdain image, mais qui concerne une hypothèse régie par un texte spécial du code de l’éducation). Il y aurait là une volonté de s’écarter « des termes traditionnellement un peu trop étriqués de la théorie des risques et en mettant l’accent sur l’équilibre des relations entre les parties » (Rép. civ., op. cit., n° 96). Ces plaidoyers restent toutefois, malgré leur caractère très séduisant, peu suivis par la Cour de cassation. La solution analysée aujourd’hui montre que la haute juridiction reste arc-boutée sur la lettre de l’article 1218 du code civil. Texte centré autour du débiteur et non autour du créancier, l’article invite à n’appliquer la force majeure qu’au premier et à la refuser au second. On regrettera évidemment l’absence d’équilibre que tout ceci suggère entre les acteurs de l’obligation notamment dans les contrats synallagmatiques où le créancier d’une prestation est le débiteur d’une autre. Cette restriction dans l’approche de la force majeure permet toutefois de ne pas étendre ce mécanisme à la portée importante à des terres qui lui sont lointaines. Une approche volontairement minimaliste est donc préférée pour le moment. Reste à savoir si cette position peut résister à des demandes massives qui pourraient arriver devant les tribunaux prochainement en raison de l’épidémie de coronavirus. Affaire à suivre.

Autorisation d’une sûreté judiciaire sur une société non débitrice, une possibilité mais aussi des questions

L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que : « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire ».

Lorsque le débiteur est titulaire de parts sociales dans une société civile immobilière, il est donc possible de solliciter l’autorisation de prendre un nantissement sur les parts sociales.

En revanche, il ne semble pas possible de prendre une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à la société civile immobilière qui n’est pas débitrice, même si l’un de ses associés est le débiteur…et pourtant.

Les faits de l’espèce sont les suivants : une société civile professionnelle notariale estime qu’elle est créancière de l’un de ses associés.

Ce dernier est propriétaire de parts sociales dans trois sociétés civiles immobilières, elles-mêmes propriétaires de trois biens immobiliers.

À l’encontre de celui qu’elle considère comme leur débiteur, la SCP notariale a obtenu du juge de l’exécution d’un tribunal de grande instance de Montbéliard l’autorisation de pratiquer des saisies conservatoires sur les parts détenues par ce dernier dans la SCP et dans plusieurs sociétés civiles immobilières ainsi que sur les comptes bancaires ouverts par lui auprès de plusieurs...

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Aide juridictionnelle et atteinte proportionnée au droit d’accès au juge d’appel

Le 20 octobre 2017, un justiciable a sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Le 7 novembre suivant, ce dernier a relevé appel d’une ordonnance de référé ayant constaté la résiliation du bail conclu avec une société. Le 17 du même mois, le greffe lui a alors adressé l’avis de fixation prévu à l’article 905-1 du code de procédure civile. Le 13 décembre, l’aide juridictionnelle lui est accordée.

Par ordonnance du 21 décembre 2017, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de sa déclaration d’appel sur le fondement de l’article 905-1 du Code de procédure civile, faute pour l’appelant de ne pas l’avoir signifiée dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation.

Ce dernier a déféré à la cour d’appel l’ordonnance du conseiller de la mise en état.

Le bureau d’aide juridictionnelle a désigné un huissier de justice le 8 janvier 2018.

Par arrêt du 12 juillet 2018 la cour d’appel, statuant sur déféré, a confirmé l’ordonnance de caducité.

La Cour, curieusement, reprochait à l’appelant de n’avoir pas signifié sa déclaration d’appel avant l’expiration du délai de dix jours suivant la désignation de l’huissier de justice, soit le 18 janvier 2018. En d’autres termes, selon la cour d’appel, le délai pour signifier la déclaration d’appel avait commencé à courir lors de la désignation de l’huissier de justice, soit le 8 janvier 2018.

M. X a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Ce dernier reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir...

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Règlement (UE) n° 650/2012 sur les successions : question préjudicielle

Le règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen prévoit diverses règles de compétence.

La règle générale de compétence est posée par l’article 4 : sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

L’article 5 prévoit par ailleurs la possibilité d’une élection de for. La compétence peut également être liée, selon l’article 7, au choix de la loi régissant l’ensemble de sa succession ou encore être fondée, au titre de l’article 9, sur la comparution de toutes les parties à la procédure.

Des compétences subsidiaires sont par ailleurs établies par l’article 10. Celui-ci dispose notamment, par son point 1, que « lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où : a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès (…) ».

Cet article 10, point 1, a), permet de fonder la compétence des juridictions...

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Loi applicable à un accident de la circulation : règlement Rome II ou Convention de La Haye ?

La difficulté de détermination de la loi applicable trouve son origine dans l’existence de deux textes qui ont, au premier abord, vocation à s’appliquer en présence d’un accident de la circulation ayant un caractère international.

D’une part, le règlement Rome II n° 864/2007 du du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dispose de manière générale, par son article 4, § 1er, que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. D’autre part, la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière retient toutefois spécifiquement que, sous réserve de diverses exceptions, la loi applicable à un accident est la loi interne de l’État sur le territoire duquel l’accident est survenu (art. 3).

Il s’agit là d’un conflit de textes applicables, qui constitue...

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FIVA : revirement de jurisprudence quant à la transmission des pièces complémentaires

Créé par la loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, art. 53), le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) est régi par le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001. Il prévoit que les victimes de dommages imputables à une exposition à l’amiante peuvent le saisir pour obtenir une indemnisation. Lorsque le lien entre l’exposition à l’amiante et la pathologie est établi, celui-ci fait une offre d’indemnisation que la victime est libre d’accepter ou de contester.

Si cette dernière conteste l’offre proposée, son action doit être intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle est situé le domicile du demandeur (art. 24) dans un délai de deux mois (art. 25). Ce délai court à partir de la notification, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de l’offre d’indemnisation ou du constat établi par le Fonds que les conditions d’indemnisation ne sont pas réunies (art. 25). Les actions intentées devant la cour d’appel sont engagées, instruites et jugées conformément aux dispositions spéciales du décret du 23 octobre 2001 (art. 26).

Les articles 27 et 28 du décret prévoient le délai pour le dépôt de la demande et des pièces et documents justificatifs. C’est précisément sur la sanction du non-respect de ce délai que porte l’arrêt de cassation rendu le 26 novembre 2020 par la deuxième chambre civile.

En l’espèce, un homme est décédé en mai 2016 des suites d’un cancer du péritoine. Sa fille et sa compagne ont saisi le FIVA d’une demande en réparation de leurs préjudices personnels. L’offre faite par le FIVA ne leur convenant pas, elles l’ont contestée devant une cour d’appel.

Cette cour d’appel a fixé l’indemnisation des préjudices personnels des victimes par ricochet a une certaine somme en tenant compte de l’irrecevabilité des pièces et documents justificatifs qui n’avaient pas été produits en même temps que la déclaration ou l’exposé des motifs mais avaient été déposés postérieurement au délai d’un mois prescrit. La cour d’appel ayant été saisie par les victimes le 9 novembre 2017, les pièces, dont...

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Nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée, pas même un consommateur

La prescription biennale est souvent un enjeu majeur dans le contentieux consumériste en général et en matière de crédit en particulier. On sait que cette dernière matière repose sur l’opposition entre le crédit à la consommation, soumis à une forclusion biennale en vertu de l’article R. 312-35 du Code de la consommation, et le crédit immobilier, obéissant quant à lui à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du même Code (V. en ce sens Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 11-26.508, au motif que « les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels »). Toutefois, si la question du point de départ de la forclusion est clairement réglée par le Code de la consommation, on ne peut pas en dire autant du point de départ de la prescription, dans la mesure où l’article L. 218-2 précité est muet à cet égard. Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré que « le point de départ du délai de prescription biennale (…) se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé » (Civ. 1ère, 10 juill. 2014, n° 13-15.511). Très favorable aux emprunteurs mais contraire au droit commun de la prescription (en particulier C. civ., art. 2233), cette jurisprudence fut par la suite abandonnée par quatre arrêts remarqués en date du 11 février 2016 (Civ. 1re, 11 févr. 2016, n° 14-22.938, n° 14-28.383, n° 14-27.143, n° 14-29.539), ayant considéré qu’« à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité » (V. à ce sujet V. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2ème éd., Dalloz, Cours, 2019, n° 207. V. égal. A. Gouëzel, Revirement sur le point de départ de la prescription en matière de crédit immobilier, JCP G, 4 avr. 2016, 405).

On comprend donc que les emprunteurs tentent...

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Notification par lettre recommandée : il y a remise et remise

À regarder de plus près, les règles de computation de délais en cas de notification d’un acte ou d’une décision peuvent s’avérer infernales. Une caisse d’allocations familiales de La Réunion demande à un assuré social de payer une certaine somme à titre de trop-perçu et celui-ci sollicite le paiement d’un rappel de prestations. Selon jugement en date du 31 août 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale annule la mise en demeure et rejette les demandes de rappel de prestations. Le jugement est notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception le 21 août 2016, et l’assuré social forme appel le 12 octobre 2016. Par arrêt du 30 novembre 2018, la cour d’appel déclare irrecevable l’appel comme tardif. L’appelant saisit la Cour de cassation et développe, au visa de l’article 669, alinéa 3, du code de procédure civile, le moyen selon lequel la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire tandis qu’il n’avait retiré le pli recommandé lui notifiant le jugement du 31 août 2016 que le 13 septembre 2016, soit moins d’un mois avant d’interjeter appel dudit jugement. La deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion. Au visa des articles 528, 668 et 669 du code de procédure civile, la Cour de cassation donne la solution suivante :
« 6. Il résulte de ces textes que le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise.
7. Pour déclarer l’appel irrecevable comme tardif, l’arrêt retient qu’il résulte des dispositions de l’article R. 142-28 du code de la sécurité sociale que le délai d’appel est d’un mois à compter de la notification du jugement, qu’en cas de notification à domicile, le délai court à compter du dépôt de la lettre recommandée et non pas de son retrait et qu’en conséquence, l’appel formé le 12 octobre 2016, alors que l’accusé de réception de la notification du jugement était en date du 6 septembre 2016, est manifestement hors délais.
8. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Par application de l’article 528, alinéa 1er, « Le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement ». D’autre part, l’article 668 du même code dispose que « Sous réserve de l’article 647-1, la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre ». Enfin,...

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Discipline des professions du droit et du chiffre : l’IGJ rend son rapport

D’emblée l’on doit préciser la portée du rapport sur les professions qu’il vise. Quand on évoque les professions du droit et du chiffre, l’on pense immédiatement à l’expert-comptable (v. par ex. R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle, l’exemple des professions du droit et du chiffre, Defrénois/Lextenso éditions, 2014). Or le périmètre de la mission concerne les professions suivantes : avocats aux conseils, avocats, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers auprès des tribunaux de commerce, commissaires aux comptes, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires.

Tout en soulignant la difficulté d’obtenir des statistiques et leur manque de fiabilité, le rapport relève des insuffisances avérées. On évoquera ici la profession d’avocat car, avec environ 70 000 membres, elle possède l’effectif le plus important, en augmentation constante, avec la responsabilité disciplinaire la plus ancienne (elle date de la restauration du barreau par le décret du 14 décembre 1810). Les derniers chiffres font apparaître cent dix saisines en 2019, chiffre qui baisse d’année en année, comme si les vertus déontologiques des avocats s’accroissaient avec leur nombre : davantage d’inscrits, moins de poursuites. Celles qui proviennent des parquets généraux sont dérisoires quand elles ne sont pas inexistantes. Pour les notaires, avec un effectif moindre, il est vrai (15 720 au 31 octobre 2020), il n’y a eu que soixante-deux poursuites disciplinaires en 2019. Ainsi, il y a des instances disciplinaires, notamment des cours d’appel, qui ne siègent pas une fois par an pour la discipline des professions envisagées.

Le rapport est respectueux des professions et n’emploie pas de mots qui fâchent. Le corporatisme, ce poison, est appelé l’entre-soi, mais son influence, inspirée par la peur du scandale, est parfaitement décrite. Il est aussi nocif en matière disciplinaire qu’en matière de responsabilité civile tant pour l’avocat (Y. Avril, L’assurance obligatoire de l’avocat, D. avocats 2017. 180 image) que pour le notaire (R. Bigot, op. cit., n° 1335).

Pour les avocats, des projets de réforme ont été présentés de façon aboutie, mais n’ont jamais connu que le sort des vœux pieux (Observations du Conseil national des barreaux, assemblée générale des 10 et 11 févr. 2012). Le rapport présente un intérêt nouveau : la proposition de créer un droit commun disciplinaire. Cette perspective jusqu’ici n’avait émané que de la doctrine (P. Ancel et J. Moret-Bailly [dir.], Vers un droit commun disciplinaire ?, Publication de l’Université de Saint-Étienne, 2007).

D’un rapport exprimé sur 92 pages, on retiendra la proposition de vingt-cinq mesures. La réforme commencerait par une implication et une surveillance accrue de la Direction des affaires civiles et du Sceau et des parquets généraux avec l’appoint des professions du droit. Un régime commun serait appliqué aux professions du droit, tant pour une déontologie à codifier que pour un régime identique de responsabilité disciplinaire. Dans la procédure, à différents stades, une possibilité d’information et d’intervention serait réservée au public. Des sanctions disciplinaires seraient communes et un fichier national des sanctions tenu par la Direction des affaires civiles et du Sceau avec une typologie détaillée des manquements poursuivis.

Un nouveau pouvoir serait donné aux bâtonniers, celui du rappel à l’ordre, qui viendrait remplacer le parfum désuet de l’admonestation. Il s’exercerait à charge d’en informer le parquet général.

Des services d’enquête seraient formés au niveau de l’instance régionale composée sur le modèle échevinal dans le ressort de chaque cour d’appel. Pour l’appel, une commission nationale serait créée.

Actuellement, l’activité de la Direction des affaires civiles et du Sceau ferait l’objet d’un rapport sur la surveillance et la discipline avec des mesures de publicité adaptée.

Des recommandations sont faites pour une meilleure formation en déontologie qui pourrait être envisagée dans une formation continue régulière et obligatoire.

L’homogénéité des régimes présenterait des avantages pour la crédibilité et la confiance nécessaire des citoyens. Ce souci rejoint l’honneur des professionnels. Une justice de qualité doit être comprise aisément et la simplification y contribuerait. L’unité de juridictions éparses permettrait d’avoir des juges plus expérimentés et des sanctions d’un autre âge disparaîtraient. On pense ici à la censure simple ou à la censure devant la chambre assemblée pour les notaires qui relèvent actuellement de deux juridictions distinctes.

Dotée de telles conditions, une réforme ne relève plus de la compétence du gouvernement. Il sera nécessaire de saisir le législateur, ce que le rapport appelle « un processus légistique ». Les rapporteurs indiquent qu’une réforme d’ampleur suppose de nouveaux moyens, matériels et humains. Ces moyens seront-ils accordés ? Ils sont indispensables.

La réforme intervenue, l’on souffrira moins à la lecture de certaines décisions judiciaires. On pense à la décision récente (Civ. 1re, 22 janv. 2020, n° 19-10.939 P, Dalloz actualité, 14 févr. 2020, obs. D. Landry ; D. 2020. 1509 image, note B. Beignier image ; D. avocats 2020. 77 et les obs. image ; Lexbase avocats, n° 301, 5 mars 2020, note Y. Avril) qui refuse l’honorariat à un avocat, ce qui n’est pas une sanction. Bâtonnier, celui-ci avait prélevé sur des fonds destinés à la Caisse nationale des barreaux français le montant de la liste civile pour ne pas subir une trésorerie insuffisante de l’ordre. Après des années de procédure, l’avocat avait fini par combler des comptes CARPA débiteurs. Il n’a jamais été poursuivi devant l’instance disciplinaire.

La réviviscence de la garde juridique de la chose

À la lecture de cette décision, le non-juriste ne trouverait rien à redire. Sans doute, saluerait-il une décision de bon sens ou de logique. En se penchant sur cet arrêt, le juriste, en revanche, bondit sur sa chaise tel un cabri qui s’entendrait susurrer d’une voix chevrotante qu’il est en présence d’un arrêt important. Ainsi, le commentateur en quête de nouveautés, épiant les moindres soubresauts de la Cour de cassation et flairant les éventuels revirements devine, immédiatement, les possibles conséquences de cette décision.

Un enfant de onze ans et sa mère sont en visite chez un couple d’amis. Dans la maison, l’enfant s’empare d’un pistolet de défense. En le manipulant, il se blesse grièvement. La mère du mineur assigne le couple d’amis et leur assureur huit ans plus tard sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. Les premiers juges rendent une décision défavorable au jeune homme. Ce dernier, devenu majeur entre temps, interjette appel de la décision. Nous sommes alors déjà le 26 avril 2019, douze ans après les faits, quand la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion rend son arrêt, cette fois, en faveur de la victime. Le couple chez qui s’est déroulé le drame, ainsi que leur assureur, forment un pourvoi devant la Cour de cassation. Le pourvoi est composé d’un moyen divisé en trois branches mais la Cour de cassation ne répondra qu’à la première, jugeant que les autres sont suffisamment motivées ou ne sont pas de nature à entraîner la cassation. Dans la première branche, ils reprochent aux juges du fond d’avoir considéré qu’il n’y avait pas eu transfert de garde du pistolet. Les époux font valoir que le gardien d’une chose est celui qui en a l’usage, le contrôle et la direction et que c’est donc la victime qui était gardienne de l’arme au moment des faits. Ils rappellent, en sus, des éléments de faits propres à corroborer leurs allégations : la victime s’est introduite seule et sans autorisation dans le sous-sol des époux ; elle s’est emparée à leur insu de l’arme et des munitions qui y étaient entreposées, et s’est blessée elle-même sous l’effet de ses manipulations.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en s’appuyant sur les éléments donnés par les juges du fond. Elle procède alors en deux temps qui visent, chacun, à invalider la thèse du transfert de garde. Dans un premier temps, elle rappelle que ce sont les conditions dans lesquelles ont été entreposées l’arme qui ont permis à l’enfant de s’en emparer, peu important que ce dernier ait eu l’autorisation de se rendre dans le lieu où elle s’y trouvait. Dans un second temps, les juges du droit font un parallèle entre l’âge de la victime au moment des faits, onze ans, et son incapacité à être gardien d’une chose.

Le problème du transfert de garde. Être gardien d’une chose signifie en avoir l’usage, le contrôle et la direction. Ces caractéristiques ont été posées dans le célèbre arrêt Franck du 2 décembre 1941 (Cass., ch. réun., 2 déc. 1941, DC 1942. 25, rapp. P. Lagarde et note G. Ripert ; S. 1941. 1. 17, note H. Mazeaud ; JCP 1942. II, n° 1766, note Mihura). Le principal intérêt de cet arrêt est de permettre de reconnaître la qualité de gardien d’une chose à une autre personne que son propriétaire. Dans l’arrêt, Franck, le voleur d’une automobile fut considéré comme le gardien de celle-ci, ce qui empêcha son propriétaire d’être jugé responsable des dommages causés par celui qui s’en était octroyé l’usage, le contrôle et la direction. Ainsi, grâce à cet arrêt, la présomption quasi-légale (v., P. Mimin, Les présomptions quasi-légales, JCP 1946. I, p. 578 ; P. Brun, Les présomptions dans le droit de la responsabilité civile, thèse Grenoble II, 1993, p. 106) qui pèse sur les propriétaires de choses peut être renversée en prouvant qu’il y a eu un transfert de garde (V. Req. 12 jan. 1927, DP 1927. I. 145, note R. Savatier ; S. 1927. 1. 129, note H. Mazeaud). Les auteurs parlent alors d’une conception matérielle de la garde – qui se rapporte à celui qui est gardien de fait – et non d’une conception juridique de la garde, qui se rapporte à celui qui est gardien en raison du droit réel qu’il a sur la chose (V. not., A. Bénabent, Droit des obligations, 15e éd., LGDJ, n° 590, 448 ; P. Brun, Droit de la responsabilité civile (Œuvre collective), éd. Wolters Kluwer, n° 260-35 ; P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats (Œuvre collective), Dalloz Action 2018-2019, n° 2221.152).

Malgré la consécration de la conception matérielle de la garde, il n’est pas rare que les juges de la Cour de cassation – qui se réservent le droit de contrôler la notion – (V. Civ. 2e, 21 nov. 1990, n° 89-19.401, Gaz. Pal. 1991. Pan. 61 ; RTD civ. 1991. 345, obs. P. Jourdain image ; 9 déc. 1992, n° 91-16.954, Gaz. Pal. 1993. 1. Pan. 126 ; 21 oct. 1999, n° 98-10.945 ; 7 oct. 2004, n° 03-11.498, D. 2004. 2835 image ; 26 oct. 2017, n° 16-24.703) rendent des décisions paraissant se conformer à la conception juridique de la garde en validant des arrêts d’appel défavorables aux propriétaires (Civ. 2e, 18 déc. 1967 ; 15 nov. 1978, n° 77-10.152 ; 3 mars 2011, n° 09-69.658, D. 2011. 2694, obs. F. G. Trébulle image). C’est le cas en l’espèce, car il est impossible d’admettre que le propriétaire avait véritablement le contrôle, l’usage et la direction de l’arme alors qu’elle se trouvait dans les mains d’un autre. Les faits de l’espèce montrent, par ailleurs, que la victime s’est emparée du revolver sans l’autorisation de son propriétaire, à son insu, et s’est blessée toute seule. Cet arrêt rend très difficile la possibilité de retenir un transfert matériel de la garde. Il doit être placé dans le contexte d’une décision rendue peu de temps après une autre ayant refusé, elle aussi, d’admettre le transfert de la garde sur le fondement de la responsabilité du fait de l’animal (Civ. 2e, 16 juill. 2020, n° 19-14.678, D. 2020. 1704 image, note B. Waltz-Teracol image).

Cet arrêt est critiquable en ce qu’il fait peser sur le propriétaire une sorte d’obligation générale de surveillance sur son patrimoine. La décision est rendue, inévitablement, au regard de la nature particulière des faits et notamment au regard de la dangerosité de la chose à l’origine du dommage. Cependant, mal utilisé, un pistolet de défense n’est pas moins dangereux qu’une brique ou une lampe dans les mains d’une personne maladroite. Le propriétaire doit-il veiller et être tenu à la bonne utilisation de tous ses biens alors même que ces derniers ont été empruntés ou, demain, subtilisés ? L’arrêt admet que l’enfant a eu l’usage de l’arme mais ne pouvait en avoir le contrôle et la direction. Pourtant celui qui use de la chose ne peut être que celui qui en a la disposition matérielle. La décision a, en sus, pour conséquence de faire resurgir la faute au sein du régime de responsabilité du fait des choses, car il n’est finalement rien reproché d’autre, au couple, que d’avoir commis une faute de négligence. C’est le sens de l’arrêt quand il fait décision aux « conditions dans lesquelles l’arme était entreposée [qui] ont permis son appréhension matérielle par l’enfant ». À travers les critères de la direction et du contrôle, la faute réapparaît. Toutefois, sur ce point, la responsabilité du fait des choses a souvent été regardée comme une responsabilité pour faute dans la garde…

Le problème de l’âge de la victime. L’âge de la victime entre indéniablement en compte dans la décision prise. La Cour de cassation ne s’en cache pas : « De ses constatations et énonciations, faisant ressortir que l’enfant, âgé de onze ans, ne pouvait être considéré comme ayant acquis les pouvoirs de direction et de contrôle sur l’arme dont il avait fait usage ». Ainsi formulée, il pourrait être avancé qu’un enfant de onze ans n’est jamais en mesure d’acquérir les pouvoirs de direction et de contrôle pour des choses dangereuses. Il ne faudrait pas qu’en généralisant la solution, un enfant ne puisse plus être considéré comme gardien d’une chose. Il faut sans doute plus voir ici une solution d’opportunité qu’un infléchissement de la solution portée par l’arrêt de l’Assemblée plénière du 9 mai 1984 – Derguini – ? Faudrait-il, cependant, admettre que la qualité de mineur est incompatible avec celle de gardien tout comme cette dernière l’est avec la qualité de préposé dans la responsabilité des commettants ? La publicité conférée à cette décision (F-P+B+I) suppose en tout cas un durcissement de l’appréciation de la conception matérielle de la garde.

Il a, pourtant, déjà existé des décisions refusant le transfert de garde à un enfant. Dans un arrêt du 24 mai 1989, la Cour de cassation avait souscrit à l’analyse de juges du fond qui avaient déclaré responsables, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, des grands-parents dont le petit-fils avait décroché sans autorisation un fusil de guerre armé dans la cave de leur maison et blessé accidentellement son frère (Civ. 2e, 24 mai 1989, n° 88-12.558). Le raisonnement opéré était très semblable à celui de de notre espèce puisque, pour juger que les grands-parents étaient restés gardien de la chose, la Cour de cassation avait repris le passage de l’arrêt d’appel qui énonçait que : « cette appréhension matérielle de l’arme par Dominique D… rendue possible par sa position accessible dans une pièce où était rangée la canne à pêche des enfants, ne lui conférait pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance sur l’arme ». Dans l’arrêt du 26 novembre 2020, l’expression « appréhension matérielle » est reprise : « les conditions dans lesquelles l’arme était entreposée ont permis son appréhension matérielle par l’enfant ». Il faut toutefois noter que l’arrêt du 24 mai 1989 est un inédit quand celui du 26 novembre 2020 fait l’objet d’une large publication. Au moins un autre arrêt avait quant à lui, admis le transfert de la garde de fusées contre la grêle à un enfant de treize qui se blessa en les utilisant (Civ. 2e, 17 oct. 1990, n° 89-17.008, RTD civ. 1991. 345, obs. P. Jourdain image) et ce dernier était publié. Les remarques d’une partie de la doctrine ne sont sans doute pas pour rien dans la prise en compte de l’âge du civilement responsable. Certains auteurs considérant qu’il n’est sans doute pas opportun de conférer la qualité de gardien à des enfants sans discernement (V. not., P. Brun, op. cit., n° 260-47). Mais si la qualité de gardien devient incompatible avec le jeune âge de l’enfant, quel seuil d’âge retiendra la Cour de cassation ? On peut aussi se demander si le jeune enfant demeurera responsable sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

L’arrêt laisse en tout cas préfigurer l’émergence d’une jurisprudence propre aux choses dangereuses sous la garde d’adultes qui devront être extrêmement vigilants. Cela conduira à une prise en compte plus systématique de la capacité des gardiens à prévenir la survenance du dommage, lorsqu’ils ont en leur possession des biens dangereux, ce qui constituera un critère déterminant pour juger du transfert de la garde. Pour s’exonérer, le propriétaire devra donc prouver qu’il a bien pris toutes les mesures nécessaires propres à éviter que n’importe qui puisse se blesser ou heurter son entourage. Cela peut consister dans la fourniture d’informations précises sur le fonctionnement de la chose par exemple.

Le lecteur juriste ou non s’étonnera en tout cas de l’absence d’un partage de responsabilité. Le régime de la responsabilité du fait des choses offre tout de même la possibilité au gardien de s’exonérer en partie en montrant que la victime a commis une faute ayant contribué à son dommage. Cette cause d’exonération aurait pu alléger le sentiment de sévérité à l’encontre des propriétaires que l’on peut éprouver en lisant l’arrêt. À la lecture des autres banches du moyen et de l’arrêt d’appel, cette absence semble imputable aux conseils des parties.

L’irréfragable présomption conventionnelle de contribution aux charges du mariage

Il y a six mois la Cour de cassation avait reconnu qu’une présomption conventionnelle de contribution quotidienne aux charges du mariage est parfois une clause de non-recours ayant la portée d’une fin de non-recevoir pour le passé mais qu’elle ne peut empêcher un recours pour l’avenir (Civ. 1re, 13 mai 2020, FS-P+B, n° 19-11.444, Dalloz actualité, 18 juin 2020, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2020. 1173 image ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry image ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier image ; AJ fam. 2020. 362, obs. J. Casey image ; RJPF 2020/7, p. 23, obs. J. Dubarry ; JCP N 2020. 1171, obs. S. Bernard ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, p. 65 s., obs. S. Deville ; LEFP juill. 2020, p. 6, obs. N. Peterka ; Dr. fam. 2020/9, comm. 120, obs. S. Torricelli ; Defrénois 3 déc. 2020, n° 166j9, p. 34, obs. I. Dauriac ; Gaz. Pal. 6 oct. 2020, n° 388h4, p. 68, obs. É. Mulon ; LPA 20 juill. 2020, n° 154t9, p. 16, obs. E. Rançon). Cette nouvelle lecture de l’aménagement des conventions matrimoniales contraste avec l’arrêt rendu ce 18 novembre 2020, qui réaffirme une solution classique quant à la portée probatoire de cet aménagement controversé de la convention matrimoniale.

Deux époux mariés sous un régime de séparation de biens avaient stipulé une clause libellée en ce termes : « Les époux contribueront aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre ». Au cours du mariage l’épouse avait remboursé sur ses deniers personnels l’emprunt contracté par le couple pour l’édification, sur un terrain appartenant à l’époux, d’une maison devenue par la suite le logement de la famille. À la suite du prononcé du divorce, des difficultés se sont élevées quant au règlement des intérêts patrimoniaux des parties. Dans ce cadre, l’ex-épouse sollicita le remboursement d’une somme de 74 723,19 € au titre d’une créance entre époux, demande qui fut accueillie par la cour d’appel de Nîmes le 20 février 2019. La motivation des juges du fond était cependant maladroite car, tout en reconnaissant le caractère irréfragable de la présomption énoncée par la clause, les magistrats nîmois ont estimé que cela n’empêchait pas un époux « de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives » de sorte que « si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace ». Elle suivait en cela une certaine doctrine selon laquelle le caractère irréfragable empêche uniquement de rapporter la preuve d’une sous-contribution et non celle d’une sur-contribution (v. infra).

Pourvoi est formé en cassation. Le moyen mettait en évidence la portée logique d’une présomption qualifiée d’irréfragable : elle « interdit aux époux de prouver que l’un ou l’autre d’entre eux ne se serait pas acquitté de son obligation » de sorte « qu’un époux ne peut se prétendre créancier de l’autre au titre du remboursement d’un emprunt bancaire contracté pour la construction du logement familial, lequel participe de l’exécution de l’obligation de contribuer aux charges du mariage ».

Ainsi la question posée à la Cour de cassation était-elle biaisée. Il ne s’agissait pas tant de s’interroger sur le caractère simple ou irréfragable de la présomption que sur les effets d’une présomption irréfragable. Une présomption conventionnelle irréfragable de contribution aux charges du mariage empêche-t-elle les époux de rapporter la preuve d’une sur-contribution et/ou d’une sous-contribution ?

L’arrêt d’appel est censuré au double visa des articles 214 et 1537 du code civil. En clarifiant la portée d’une présomption irréfragable de contribution aux charges du mariage, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme nécessairement qu’une telle présomption est valable. Les juges du droit auraient pourtant pu saisir cette occasion pour condamner la pratique de telles clauses, qui sont à la fois contraires à l’impérativité de l’article 214 du code civil et à la prohibition des présomptions conventionnelles irréfragable. C’est tout l’inverse.

La Cour rappelle d’abord que les juges du fond sont souverains quant à l’interprétation de la portée de la présomption (v. déjà, Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892, Bull. civ. I, n° 189 ; D. 2013. 2682 image, note A. Molière image ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2013. 647, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2013. 821, obs. J. Hauser image ; ibid. 2014. 698, obs. B. Vareille image ; ibid. 703, obs. B. Vareille image).

Elle précise ensuite la portée exacte d’une présomption irréfragable de contribution quotidienne aux charges du mariage : « un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution ». Cette solution n’est pas inédite (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.349, D. 2015. 864 image ; ibid. 1408, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; ibid. 2094, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2015. 297, obs. J. Casey image ; RTD civ. 2015. 362, obs. J. Hauser image ; ibid. 687, obs. B. Vareille image ; 3 oct. 2018, n° 17-25.858, D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; AJ fam. 2018. 697, obs. J. Casey image ; JCP N 2019. 1174, note A. Karm) mais c’est la première fois que la portée de la clause est décrite avec autant de précisions. La présomption ne porte pas uniquement sur l’exécution de l’obligation mais sur la mesure de celle-ci. Non-seulement les époux sont présumés avoir exécuté leur obligation légale, mais ils sont présumés l’avoir exécutée dans l’exacte mesure que leur impose la loi, c’est-à-dire à proportion de leurs facultés respectives. Aucun d’eux ne peut donc être considéré comme ayant trop ou trop peu contribué.

Outre cette précision qui transcende la distinction entre « sur » et « sous » contribution, la solution est classique, tant sur le pouvoir d’appréciation des juges du fond que sur la possibilité de stipuler une présomption irréfragable. Néanmoins l’on attendait beaucoup mieux de la Cour de cassation au regard notamment des nombreux commentaires doctrinaux de l’arrêt rendu le 13 mai dernier. La réaffirmation de cette solution apparaît problématique à plusieurs égards. Elle contredit l’évolution du droit des contrats sur la preuve (I). Elle sape gravement l’autorité de l’article 214 du code civil qui est pourtant un texte impératif (II). Elle doit être articulée avec la qualification de « clause de non-recours », qui semble pouvoir s’ajouter à celle de « présomption irréfragable » (III).

I - La contrariété au droit des contrats sur la preuve

Selon le nouvel article 1356 du code civil (ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, art. 4), les contrats sur la preuve sont licites mais les parties ne peuvent ni contredire ni établir, au profit de l’une d’elles, de présomption...

La directive actions représentatives : un nouvel élan pour les actions de groupe ?

Cette nouvelle réglementation s’inscrit dans un long processus de discussion. Selon le rapporteur Geoffroy Didier : « Avec ce recours collectif à l’échelle européenne, c’est un changement d’ambition et un changement de dimension que nous proposons à l’ensemble des citoyens de l’Union européenne. »

Une réglementation longuement mûrie et très attendue

Une volonté affirmée de parvenir à un mécanisme européen harmonisé

La mise en place d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs afin de protéger les intérêts collectifs des consommateurs a été mentionnée pour la première fois en décembre 1984 (Mémorandum sur l’accès des consommateurs à la justice de la Commission européenne COM(84)692) avant que la Commission n’annonce en mai 1987 son intention de mettre à l’étude une directive-cadre sur ce sujet. En 2008, la Commission publiait un livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs avant d’organiser en 2011 une consultation publique (« Renforcer la cohérence de l’approche européenne en matière de recours collectifs »).

Dès sa résolution « Vers une approche européenne cohérente en matière de recours collectifs » du 2 février 2012 (PE, réso., 2 févr. 2012, 2011/2089[INI]), le Parlement européen plaidait en faveur d’un cadre « horizontal » comprenant un ensemble de principes communs garantissant un accès uniforme à la justice au sein de l’Union européenne par la voie du recours collectif et traitant des infractions aux droits des consommateurs, tout en tenant compte des traditions du droit et des ordres juridiques des différents États membres et en prévoyant des garanties afin d’éviter les demandes non fondées ainsi que les abus en matière de recours collectif. Le 11 juin 2013, la Commission publiait une communication (« Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs »), qu’elle accompagnait d’une recommandation (Comm. UE, recomm., 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union : JOUE n° L 201, 26 juill. 2013, p. 60), invitant les États membres à se doter de mécanismes nationaux de recours collectifs s’inspirant de plusieurs principes communs horizontaux (la qualité pour agir en représentation d’entités représentatives susceptibles d’engager des actions en représentation sur la base de conditions d’admission clairement définies, la recevabilité des recours collectifs, la diffusion effective d’informations auprès des demandeurs potentiels, le remboursement des frais de justice à la partie gagnante, le financement de l’action en justice, le traitement des litiges transnationaux) et de principes propres aux recours collectifs en cessation et en réparation. Le suivi de cette recommandation s’est avéré toutefois plutôt limité (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union).

Une nette accélération du processus législatif emportée par la nouvelle donne pour les consommateurs

Plus de trente ans après avoir appelé de ses vœux l’instauration d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs, la Commission faisait le constat amer que des « pratiques abusives de grande ampleur qui ont récemment touché des consommateurs dans l’ensemble de l’Union européenne ont ébranlé la confiance des consommateurs dans le marché unique (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union) et son projet prenait alors un nouvel essor.

Le 11 avril 2018, elle lançait la « nouvelle donne pour les consommateurs » (Comm. UE, 11 avr. 2018, COM (2018) 183 final) et annonçait un « train de mesures législatives » dont la proposition de directive relative aux actions représentatives pour la protection des intérêts collectifs des consommateurs afin de faciliter les recours pour les consommateurs victimes de la même infraction dans une situation dite de préjudice de masse. La proposition législative ainsi publiée exigeait que l’ensemble des États membres se dotent d’un mécanisme d’action collective en indemnisation se rapprochant de celui de l’action de groupe, « à tout le moins dans le champ du droit européen de la consommation » (L. Usunier, Nouvelle donne européenne pour les consommateurs, RTD civ. 2018. 854 image). La récente publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) de la directive ouvre un délai de vingt jours à l’issue duquel la directive entrera en vigueur. Les États membres auront alors vingt-quatre mois pour la transposer dans leur droit national et six mois supplémentaires pour l’appliquer. Une fois entrée en vigueur, la nouvelle réglementation s’appliquera aux actions représentatives en cours et à venir.

La directive : un changement de paradigme au niveau européen ?

Les principales caractéristiques de l’action représentative issue de la directive

Le champ d’application de la directive est particulièrement vaste puisqu’il couvre les actions en cessation et en réparation à l’encontre des infractions aux droits des consommateurs dans des domaines variés visés dans son annexe 1, tels que le droit de la consommation, la protection des données, les services financiers, le transport aérien et ferroviaire, le tourisme, l’énergie, les télécommunications, l’environnement ou encore la santé (consid. 13, art. 2). La directive propose aux consommateurs un recours supplémentaire à l’encontre des professionnels en cas de violation du droit de l’Union européenne sans préjudice des droits qu’ils détiennent par ailleurs en application du droit européen. Il est précisé que l’exercice de ce nouveau mécanisme s’applique sans préjudice des règles de l’Union consacrées en droit international privé, notamment celles relatives à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’à la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles (consid. 21, art. 2).

Chaque État membre devra désigner à l’avance une ou plusieurs « entités qualifiées » – qui pourront en particulier être des organisations de consommateurs ou des organismes publics (consid. 24) et établir une liste à jour des entités qui sera mise à disposition du grand public (consid. 32, art. 5, § 1er). Les critères d’habilitation des entités diffèrent selon le caractère transfrontalier ou national de l’action envisagée (consid. 23, art. 3). Les entités devront satisfaire, en ce qui concerne les actions transfrontières, à des critères de désignation stricts qui seront les mêmes dans l’ensemble de l’Union européenne – tenant à leurs sources de financement, leur structure organisationnelle, de gestion et d’affiliation, leur objet statutaire, leur solvabilité et leurs activités (consid. 25, art. 4). Elles seront évaluées au moins tous les cinq ans et les États membres pourront, le cas échéant, révoquer leur désignation (consid. 29, art. 5, § 3). En ce qui concerne les actions nationales, les États membres sont libres d’établir les critères de désignation des entités conformément à leur droit national (consid. 26, art. 4, § 5). La possibilité de recourir à des entités ad hoc spécialement constituées aux fins d’une action spécifique est rendue possible pour les actions nationales (art. 4, § 6) mais est exclue pour les actions transfrontières (consid. 28). Cette distinction entre actions nationales et actions transfrontières pourrait donner lieu à un forum shopping en faveur d’actions nationales dans les États membres dont les critères de désignation seraient plus souples (sous réserve que les juridictions de ces États membres soient compétentes pour connaître de telles actions).

Le financement des actions en réparation fait l’objet de développements particuliers (art. 10). La directive entend ainsi réglementer le financement par des tiers (third-party funding) afin de garantir une meilleure transparence et l’absence de conflit d’intérêts (consid. 25 et 52). Les États membres devront faciliter l’accès des entités à la justice (aide juridictionnelle) et veiller à ce que les coûts de la procédure ne soient pas dissuasifs en limitant les frais applicables ou encore en prévoyant un financement public (art. 20).

La directive milite en faveur d’une publicité accrue quant aux actions intentées ou envisagées par les entités (informations concernant l’état d’avancement des actions engagées sur le site internet des entités, mise en place de bases de données électroniques nationales – art. 13 et 14, consid. 61 et 63). Afin d’intenter une action représentative, l’entité qualifiée devra fournir des « informations suffisantes sur les consommateurs concernés par l’action représentative » (description du groupe de consommateurs, questions de fait et de droit à traiter, lieu où le fait dommageable s’est produit, consid. 34 et 49) afin de permettre à la juridiction saisie de s’assurer de sa compétence et de déterminer la loi applicable (art. 7, § 2). Cette rédaction, pour le moins « large », pourrait conduire à des interprétations divergentes des juridictions saisies.

Ces nouveaux mécanismes procéduraux visent ainsi à permettre à une entité qualifiée d’obtenir à la fois la cessation d’une pratique illégale (par le biais de mesures préventives dites « provisoires », de mesures « définitives » et de mesures de publication mises en œuvre après « consultation préalable » du professionnel en infraction afin de lui permettre de mettre fin à la pratique illégale dans les deux mois qui suivent la demande de consultation) et, le cas échéant, de demander réparation contre des professionnels qui enfreignent les dispositions du droit de l’Union européenne (consid. 8). Les États membres seront libres de décider si l’action représentative sera intentée dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou les deux selon le domaine de droit concerné ou le secteur économique concerné (consid. 19).

La directive laisse aux États membres le choix entre un mécanisme de participation (opt in) ou d’un mécanisme de non-participation (opt out) pour les actions représentatives. L’opt in est exclu en ce qui concerne les actions en cessation (art. 8) et la directive n’autorise que des mécanismes opt out qui n’incluent que les consommateurs qui ont leur résidence habituelle dans l’État membre où se trouve la juridiction devant laquelle l’action représentative a été intentée (consid. 45, art. 9). Là encore, on peut craindre une application asymétrique au regard de la diversité des mécanismes nationaux existants dans les États membres.

La directive introduit le principe dit du « perdant payeur » (loser pays principle) en vertu duquel la partie perdante rembourse les frais de procédure nécessaires exposés par la partie gagnante à l’exception des frais qui ont été exposés par le consommateur en raison de son comportement intentionnel ou négligent (consid. 36 et 38, art. 12). Les juridictions saisies d’une action représentative pourront rejeter les affaires « manifestement non fondées » au stade le plus précoce possible de la procédure conformément au droit national (consid. 49, art. 7, § 7). Cette procédure n’est pas sans rappeler la procédure américaine de motion to dismiss (Federal Rules of Civil Procedure [FRCP], art. 12) permettant au défendeur de mettre fin à l’instance de façon anticipée en faisant valoir que l’action initiée à son encontre est manifestement mal fondée (M. Gizardin et L. Moirignot, 3 Questions : Vers une motion du dismiss à la française pour endiguer l’engorgement des tribunaux provoqués par la crise sanitaire, JCP E 2020. 475). La nouvelle réglementation introduit une procédure de discovery pour les actions représentatives en invitant les États membres à donner aux entités qualifiées la possibilité de demander la production d’éléments de preuves (sur injonction des juridictions saisies) en possession du défendeur à l’action ou d’un tiers (consid. 68, art. 18).

Enfin, la Commission devra évaluer l’opportunité de créer une fonction de médiateur européen pour les actions représentatives. Elle présentera un rapport à ce sujet au plus tard le 26 juin 2028 (consid. 73, art. 23).

Vers une intensification des actions de groupe dans l’Union européenne et en France ?

Le rapporteur Geoffroy Didier a déclaré : « Avec cette nouvelle directive, nous avons trouvé un équilibre entre une protection renforcée pour les consommateurs et la garantie pour les entreprises de la sécurité juridique dont elles ont besoin. »

Depuis son introduction en droit français par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon), l’action de groupe a été étendue progressivement à la santé (L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 184), la discrimination et les relations de travail, les dommages environnementaux et les données personnelles (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 60 s. ; L. n° 2018-493, 20 juin 2018, art. 25 ; L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 38).

Un rapport d’information, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe, a été présenté à la commission des lois le 10 juin 2020 et publié le 11 juin 2020. La mission d’information y fait le constat d’un bilan décevant des class actions à la française (M.-J. Azar-Baud, En attendant un registre d’actions de groupe et autres actions collectives, JCP E 2018. 1637) alors qu’est observée une recrudescence des contentieux sériels, et que des solutions alternatives (médiation de groupe, mise en œuvre d’actions collectives conjointes) émergent (P. Métais et E. Valette, Class action à la française : une promesse séduisante, une application décevante, JCP 2018. 558 ; A. Biard, Sale temps pour l’action de groupe… La nécessaire recherche d’outils alternatifs pour résoudre les litiges de masse, RLDC n° 157, mars 2018, p. 21). Sont ainsi préconisés la création d’un cadre commun pour toutes les actions de groupe, un élargissement des conditions de la qualité à agir (extension de la qualité à agir aux associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte, aux associations composées d’au moins cinquante personnes physiques, aux associations composées d’au moins dix entreprises constituées sous la forme de personnes morales ayant au moins deux ans d’existence et aux associations composées d’au moins cinq collectivités territoriales), une meilleure indemnisation des victimes, un meilleur financement des actions de groupe (une refonte des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, la création d’une sanction civile) et la mise en œuvre de réformes procédurales pour réduire les délais de jugement en matière d’action de groupe (suppression de l’obligation de mise en demeure préalable pour les actions de groupe concernées, une compétence exclusive de certaines juridictions, une communication obligatoire au ministère public pour lui permettre d’intervenir comme partie jointe). Ces principaux axes de réforme sont repris dans une proposition de loi « pour un nouveau régime de l’action de groupe », qui a été déposée le 15 septembre 2020.

Reste à savoir comment la législation française en matière d’action de groupe prendra en considération les orientations de la directive. Alors que la mission d’information regrettait que « l’action de groupe [n’ait] pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs », la directive pourrait lui donner un nouvel élan. La réforme du mécanisme de l’article 700 du code de procédure civile proposée par les parlementaires français afin que les juges prennent en considération les sommes réellement engagées par la partie gagnante, qu’il s’agisse notamment des honoraires d’avocat ou des coûts internes afférents à la procédure s’inscrit dans la logique du « perdant payeur » prônée par la directive. Alors que la mission d’information proposait une réflexion sur l’introduction en France pour la recherche de la preuve dans les actions de groupe de la procédure de discovery présente dans des pays de common law afin de permettre la production de certaines pièces dont la liste serait strictement limitée (comme l’identité des consommateurs lésés), par une décision motivée du juge, ce mécanisme est introduit par la directive. En revanche, la mission d’information propose la condamnation du professionnel au paiement d’une amende civile affectée au Trésor public pour renforcer les sanctions à l’égard des entreprises fautives alors que la directive interdit le recours à des dommages et intérêts à caractère punitif.

Incontestablement, la transposition de la directive va donner une impulsion aux actions de groupe sur le territoire des États membres de l’Union européenne. Certains regretteront que l’initiative de l’action de groupe soit réservée à une « entité représentative » en observant qu’il s’agit précisément d’un frein au développement des actions de groupe qui a été constaté, notamment en France. Mais chaque État membre conserve la possibilité d’élargir les conditions prévues par la directive, sur ce point comme sur d’autres, d’ailleurs. La directive a seulement pour vocation de consacrer un cadre minimal et harmonisé pour les États membres, étant rappelé que les règles de l’Union européenne resteront applicables, notamment pour déterminer la compétence du juge et la loi applicable au litige.

Juge de l’exécution : domaine du sursis à l’exécution

par Guillaume Payanle 18 décembre 2020

Civ. 2e, 19 nov. 2020, F-P+B+I, n° 19-17.931

Dans le présent arrêt, la Cour de cassation rappelle utilement les contours du domaine d’application du sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution.

Pour rappel, la possibilité de demander un sursis à l’exécution, visée à l’article R. 121-22 du code des procédures civiles d’exécution, permet de remédier aux conséquences irrémédiables que pourrait avoir la règle de l’exécution immédiate des décisions prononcées par le juge de l’exécution. En cas d’appel, une telle demande de sursis doit être formée – par assignation en référé délivrée à la partie adverse – auprès du premier président et son auteur doit démontrer qu’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision du juge de l’exécution déférée à la cour d’appel. Le pouvoir réglementaire a entendu conférer d’importants effets à la formulation de cette demande. Ainsi, jusqu’à la date du prononcé de l’ordonnance du premier président, elle suspend les poursuites lorsque la décision attaquée n’a pas remis en cause leur continuation. À l’inverse, elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires, lorsque la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la / des mesure(s) litigieuse(s).

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Remboursement du gérant d’affaires n’est pas synonyme de rémunération !

Voici un nouvel arrêt sur les quasi-contrats rendu pour la fin de l’année 2020 (V. égal. Civ. 1re, 16 sept. 2020, FS-P+B, n° 18-25.429, Dalloz actualité, 14 sept. 2020, obs. C. Hélaine). Largement inspirés de Domat, les textes antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 intéressant les quasi-contrats étaient sujets à diverses discussions doctrinales (sur ceci, Rép. civ., v° Gestion d’affaires, par P. le Tourneau, 2019, n° 10). L’une d’entre-elles a été de savoir si celui qui agit en tant que professionnel au titre d’une gestion d’affaires peut prétendre ou non à une rémunération. La réponse a été résolue par la négative déjà par le passé notamment pour les sociétés de généalogie (Civ. 1re, 29 mai 2019, n° 18-16.999, D. 2019. 1979 image, note T. de Ravel d’Esclapon image ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry image). L’arrêt étudié aujourd’hui en est une exacte confirmation, là-aussi sur une mission de généalogiste retrouvant un héritier refusant de signer un contrat de révélation.

Reprenons les faits pour mieux comprendre tout l’enjeu du problème. À la suite du décès d’une personne, le notaire chargé de sa succession mandate une société de généalogistes associés afin de savoir quels sont les héritiers en rangs utiles, i.e. ceux qui pourront recevoir la succession par le jeu de la dévolution par ordre et degrés. La société généalogiste identifie une seule personne comme héritière. Il faut préciser un silence dans les faits : l’héritier a refusé de signer un contrat de révélation proposé par la société de généalogie, figure connue du droit des successions et des libéralités (L. Leveneur, Une application du concept de bien-information : pour un renouvellement de l’approche du contrat de révélation de succession. Le droit privé français à la fin du XXe siècle – Études en l’honneur de Pierre Catala, Litec, 2001, p. 771 s., spéc. n° 12). Le contrat prévoit alors la rémunération du généalogiste sur une...

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Annulation de la déclaration de nationalité pour fraude et délai de prescription

M. X, de nationalité marocaine, a souscrit en 2002 une déclaration de nationalité en raison de son mariage célébré en 2001 avec une ressortissante française. Cette déclaration a été enregistrée en 2003. Les époux se séparent et le divorce est transcrit en 2004 en marge des actes de l’état civil. M. X se remarie alors la même année avec sa précédente épouse marocaine.

Le 27 décembre 2010, le ministère de l’Intérieur a informé le ministère de la Justice du refus d’enregistrement, le 17 mars 2010, de la déclaration souscrite par la seconde épouse marocaine de M. X, en raison de la fraude commise par celui-ci. Le 10 décembre 2012, le ministère public a engagé une action en annulation de l’enregistrement de la déclaration souscrite par M. X.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 12 juin 2018 rendu sur renvoi après cassation, déclare l’action du ministère public recevable, car non prescrite, et annule l’enregistrement de déclaration de nationalité française. En effet, les juges ont considéré que la seule transcription du jugement de divorce ne permettait pas au ministère public de supposer une fraude au seul vu de l’acte, dans la mesure où il ne résultait d’aucune des mentions de l’acte de mariage que l’époux aurait acquis la nationalité française par son mariage. En outre, ils ont estimé que le signalement fait par le service de l’état civil au moment du mariage avec l’épouse marocaine ne concernait que l’absence de titre de séjour de cette dernière, ce qui n’était pas de nature à constituer un indice de fraude dans le cadre de la déclaration de nationalité souscrite par l’époux précédemment.

Monsieur X forme alors un pourvoi en cassation. Il soutient que la transcription d’un divorce en marge des actes d’état civil d’un ressortissant devenu français par mariage porte à la connaissance du ministère public la rupture de la vie commune des époux au sens de l’article 26-4. Ainsi, le ministère public avait été informé de la rupture de la vie commune à compter du 13 juillet 2004, date de la transcription du jugement de divorce en marge des actes de l’état civil.

En outre, au moment du mariage avec l’épouse marocaine, et du signalement fait par les services de l’état civil au ministère public, Monsieur X a dû fournir un acte de naissance, sur lequel était mentionné son acquisition de nationalité par déclaration, et son divorce ultérieur. Le ministère public était donc, dès 2004, en mesure de découvrir la fraude invoquée. L’action était dès lors prescrite en 2006.

La Cour de cassation rappelle dans un premier temps que l’enregistrement d’une déclaration de nationalité peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans un délai le deux ans de...

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[I]Booking.com c. hôtelier[/I] : compétence pour un abus de position dominante allégué

L’arrêt de la Cour de justice du 24 novembre 2020 retiendra à l’évidence l’attention des juristes mais également des acteurs économiques. Le ministère français de l’Économie en a déjà assuré une certaine publicité, en en publiant un commentaire dans la Lettre de la Direction des affaires juridiques du 4 décembre 2020.

Dans cette affaire, une société allemande qui exploite un hôtel a conclu avec la société Booking.com, qui a son siège aux Pays-Bas, un contrat type lui permettant d’apparaître sur son site. Ce contrat prévoit l’acceptation de conditions générales. Par la suite, Booking.com a modifié ces conditions générales à différentes reprises.

La société allemande a contesté l’inclusion de ces conditions générales dans le contrat, en faisant valoir qu’en raison de la position dominante de Booking.com sur le marché des services d’intermédiaires et des portails de réservation d’hébergement, elle n’avait eu d’autres choix que de conclure le contrat. Elle a alors saisi un tribunal allemand d’une action visant à ce qu’il soit interdit à Booking.com de conditionner le positionnement de l’hôtel à l’octroi d’une commission de plus de 15 %.

Booking.com a toutefois contesté la compétence de ce tribunal allemand, en s’appuyant sur la clause attributive de juridiction prévue par le contrat et donnant compétence aux tribunaux néerlandais.

C’est donc uniquement sous l’angle de la détermination du juge compétent au regard des règles de droit international privé que cette affaire se présente, sans que soit directement envisagée la situation de la plate-forme au regard du régime de l’abus de position dominante (sur cette problématique, v. par ex. N. Lenoir et A. Jacquin, Référencement en ligne et abus de position dominante : quelles problématiques pour les plates-formes numériques ?, AJCA 2016. 223 image).

La difficulté concerne ainsi la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Plus précisément, il s’agit d’établir la qualification – contractuelle ou délictuelle – du litige, en vue de déterminer s’il y a lieu d’appliquer l’article 7, point 1, de ce règlement ou l’article 7, point 2. Rappelons que l’article 7, point 1, dispose qu’en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, alors que l’article 7, point 2, énonce qu’en matière délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Il s’agit, comme le relève l’arrêt (§ 25), de délimiter les champs d’application respectifs de ces deux règles, alors que le litige repose sur une violation alléguée du droit de la concurrence et que les parties à la procédure sont liées par un contrat.

L’enjeu de la qualification du litige était important en l’espèce puisque le juge allemand saisi pouvait retenir sa compétence, sur le fondement de l’article 7, point 2, si l’action était de nature délictuelle mais devait se dire incompétent, en application de l’article 7, point 1, en cas de qualification contractuelle.

Par son arrêt du 24 novembre 2020, la Cour de justice se prononce en faveur d’une application de l’article 7, point 2. Elle retient que la question de droit au cœur de l’affaire est celle de savoir si Booking.com a commis un abus de position dominante. Or, pour déterminer le caractère licite ou illicite des pratiques reprochées à Booking.com au regard du droit de la concurrence, il n’est pas indispensable d’interpréter le contrat liant les parties (arrêt, pt 35), ce qui conduit à retenir que l’action litigieuse relève de la matière délictuelle au sens de l’article 7, point 2, du règlement (arrêt, pt 36).

La Cour précise que cette interprétation est conforme aux objectifs de proximité et de bonne administration de la justice poursuivis par ce règlement. Le juge compétent est en effet alors celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué. Or il est le plus apte à statuer sur le bien-fondé de l’action, et cela notamment en termes de collecte et d’évaluation des éléments de preuve pertinents à cet égard (arrêt, pt 37).

Il n’est pas douteux que la solution qui est ainsi posée suscitera dans les différents États de l’Union européenne le développement d’actions en justice, puisqu’elle permet aux sociétés hôtelières de saisir un juge de l’État où elles exploitent leur établissement, ce qui constitue pour elles un avantage important et pour Booking.com un inconvénient majeur. Peut-être cette solution conduirait-elle d’ailleurs la société Booking.com à réexaminer ses conditions générales et le taux de sa commission, pour éviter une multiplication des contentieux.

Inexécution d’une promesse synallagmatique de vente et point de départ de la prescription

L’article 2224 du code civil fixe le point de départ de la prescription des actions personnelles à la date « où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Mais comment interpréter les notions de « connaissance » et de « fait » à l’aune de l’inexécution d’une promesse synallagmatique de vente ?

L’arrêt sous étude apporte quelques éléments de précision.

Le litige découle de l’inaction du bénéficiaire de la promesse synallagmatique de vente à la date de la réitération de la vente. Le vendeur, qui après plusieurs mises en demeure infructueuses, avait agi en résolution de la vente et en paiement de dommages et intérêt, se heurta à la prescription de son action prononcée par la cour d’appel. En effet, les juges du fond s’appuyèrent sur le point de départ du délai fixé par le compromis pour la réitération de la vente par acte authentiqué au 30 avril 2010.

Le pourvoi invoqué par le vendeur s’appuyait sur un moyen unique tenant au point de départ du délai de prescription des actions en responsabilité contractuelle, qui ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance (et ce en vertu d’une jurisprudence constante, v. par ex., Soc. 26 avr. 2006, n° 03-47.525, D. 2006. 1250 image, pour le préjudice d’un salarié né de la perte de droits correspondant aux cotisations non versées par l’employeur ou encore, Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820, D. 2009. 1960, obs. X. Delpech image ; RTD civ. 2009. 728, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image ; ibid. 2010. 413, obs. B. Bouloc image, pour l’octroi d’un prêt malgré une incapacité manifeste de l’emprunteur à faire face au remboursement).

Le demandeur estimait qu’à la date de la réitération de la vente, il appartenait à la cour d’appel, au lieu de se contenter de considérer l’action prescrite, de vérifier si celui-ci avait ou non conscience que le bénéficiaire voulait abandonner la...

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Prescription de l’action paulienne : point de départ subjectif du délai

L’action dite « paulienne » a pour objectif « d’éviter que le débiteur ne puisse impunément porter atteinte aux droits de ses créanciers par des actes juridiques frauduleux » (J. François, Traité de droit civil, Tome 4, Les obligations. Régime général, 5e éd., Économica, 2020, n° 407). L’article 1341-2 du code civil dispose ainsi que « Le créancier peut (…) agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude » (déjà anc. art. 1167, al. 1, selon lequel les créanciers pouvaient « aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits »). Encore faut-il, toutefois, que le délai de prescription ne soit pas écoulé.

En l’espèce, une action avait été intentée le 4 juin 2010 en vue d’obtenir le paiement de diverses sommes dues en vertu de deux reconnaissances de dette. Faisant droit à cette demande, un arrêt du 23 mai 2013 avait condamné le débiteur au paiement, lequel n’eut jamais lieu en pratique. Dès le 18 juin 2010, le débiteur (depuis lors décédé) céda à son compagnon ses parts dans une société civile immobilière. Considérant que cette cession avait eu lieu en fraude de leurs droits, les créanciers assignèrent ce compagnon sur le fondement de l’action paulienne par acte du 18 octobre 2016. L’action paulienne est, en effet, une action personnelle : elle est dirigée contre l’acte frauduleux d’appauvrissement. Par conséquent, selon la Cour de cassation, « l’action paulienne doit être dirigée contre les tiers acquéreurs », c’est-à-dire en l’espèce le bénéficiaire de la cession (Civ. 1re, 6 nov. 1990, n° 89-14.948, RTD civ. 1991. 739, obs. J. Mestre image).

La demande des créanciers fut, cependant, considérée comme irrecevable, le délai de prescription étant écoulé. Selon les juges du fond, le dépôt de l’acte de cession au greffe du tribunal de commerce avait eu pour effet de porter à la connaissance des tiers et de leur rendre opposable la cession de parts sociales. La publication ayant eu lieu le 2 août 2010, les créanciers étaient en mesure de connaître la cession à cette date, leur action étant donc prescrite le 18 octobre 2016. Les créanciers formèrent alors un pourvoi en cassation, fondé sur une violation de l’article 2224 du code civil et du principe selon lequel la fraude corrompt tout.

Leur argumentation est suivie par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, laquelle, dans un arrêt du 12 novembre 2020, casse l’arrêt de la cour d’appel pour défaut de base...

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Chronique d’arbitrage : compétence et corruption – le recours en annulation à rude épreuve

C’est une fin d’année chargée à laquelle assistent les spécialistes du droit de l’arbitrage, les trois principales juridictions françaises compétentes pour rendre des décisions en ce domaine – le pôle 1, chambre 1 ; le pôle 5, chambre 16 ; et la première chambre civile – tournant à plein régime. On mettra évidemment à l’honneur la décision rendue par la Cour de cassation dans l’affaire Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, D. 2020. 2456 image), qui modifie considérablement les modalités du cas d’ouverture relatif à la compétence. On évoquera également de façon substantielle, plus loin dans la chronique, les questions de corruption, où les décisions très divergentes retenues dans les arrêts Sécuriport (Paris, 27 oct. 2020, n° 19/04177) et Sorelec (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, D. 2020. 2484, obs. T. Clay image) ne manqueront pas de susciter la discussion. On mentionnera également l’arrêt ITOC, qui admet implicitement, et ce n’est pas banal, un appel-nullité contre une mesure d’administration de l’arbitrage (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231) ou encore l’arrêt Dame de Cœur Vape (Paris, 27 oct. 2020, n° 20/09005, D. 2020. 2484, obs. T. Clay image) qui propose un examen de l’inopposabilité de la clause prévue par le nouvel article 2061 du code civil.

I. L’arrêt Schooner

On doit commencer cette chronique par l’arrêt Schooner de la Cour de cassation du 2 décembre 2020 (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396). D’une part, car il s’agit d’un arrêt de la Cour de cassation qui, s’il n’est pas destiné à figurer au BICC ou au Recueil, a été rendu en formation de section et est destiné à une publication sur internet (FS-P-I). Il n’est donc aucunement anodin ; d’autre part, parce que nous avions pu écrire dans ces colonnes, à propos de l’arrêt d’appel (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2019. 751, note C. Crepet Daigremont) que la cour nous avait offert un « remarquable obiter dictum », au point d’y voir une forme « d’orfèvrerie juridique » (Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Dès lors, la cassation de l’arrêt d’appel sur cet aspect de la motivation ne peut qu’attirer l’attention et inviter à la réflexion.

Dans un litige opposant, d’un côté, un citoyen américain et deux sociétés américaines et, de l’autre, la République de Pologne, le débat s’est, notamment, cristallisé autour de la compétence du tribunal arbitral à connaître de questions relatives à la matière fiscale. La procédure d’arbitrage est engagée par les investisseurs en vertu du Traité relatif aux relations commerciales et économiques entre les États-Unis et la Pologne. Ce traité bilatéral d’investissement (TBI), dans son article VI, exclut la matière fiscale de son champ d’application, sous certaines réserves limitativement énumérées à l’article VI, (2), a), b) et c). Le tribunal arbitral décide que le litige concerne des questions de fiscalité au sens de l’article VI, (2), du TBI et non une obligation relative au respect et à l’exécution d’un contrat d’investissement au sens de l’article VI, (2), c). Il se prononce en faveur de son incompétence pour connaître des demandes fondées sur l’expropriation (art. VII) et sur les transferts de fonds (art. V) en vertu des exceptions prévues par le a) et le b) de l’article VI, (2). Autrement dit, le tribunal arbitral entend de façon très restrictive sa compétence, en excluant du champ de sa compétence une partie des demandes, comme relevant d’une matière exclue du champ d’application du traité. Le recours contre la sentence arbitrale vise à remettre en cause la sentence en ce que l’arbitre s’est déclaré incompétent pour connaître d’une partie des prétentions de l’investisseur.

Pour rejeter le moyen, la cour d’appel de Paris procède en deux temps. D’une part, elle conforte le tribunal arbitral dans son interprétation du TBI, quant à l’exclusion des questions fiscales de son champ d’application. D’autre part, elle refuse d’examiner certains arguments soulevés par le demandeur au recours, au motif que ceux-ci n’ont pas été présentés devant le tribunal arbitral. Pour cela, elle énonce que l’article 1466 du code de procédure civile « ne vise pas les seules irrégularités procédurales, mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l’ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d’office par le juge de l’annulation, et soulevés pour la première fois devant lui ». Elle ajoute que « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens. En effet, le but poursuivi par cette disposition – qui est d’éviter qu’une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable –, ne serait pas atteint si, sous couvert d’un cas d’ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu’il avait soumis aux arbitres. Cette portée attribuée à l’article 1466 du code de procédure civile n’est pas incompatible avec la plénitude du contrôle exercé par le juge de l’annulation à l’égard des cas d’ouverture du recours, dès lors qu’en statuant sur des moyens identiques à ceux qui avaient été soumis aux arbitres, il n’est lié ni par leur interprétation des textes ni par leur appréciation des faits ».

C’est le refus de la cour d’appel d’examiner ces moyens nouveaux qui entraîne la censure. Au visa des articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile, la Cour de cassation énonce qu’il résulte de ces textes que, « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question, devant le juge de l’annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ». Elle en déduit que l’arrêt d’appel encourt la cassation pour avoir déclaré irrecevables, faute d’avoir été plaidés devant le tribunal arbitral, les moyens tirés, d’une part, de l’usage abusif par la République de Pologne de l’exclusion des questions fiscales par l’article VI du Traité, d’autre part, du bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée stipulée à l’article I du Traité. Nous évoquerons, pour analyser cette décision, son sens (A), son fondement (B) l’appréciation que l’on peut en faire (C) et les alternatives envisageables (D).

A. Le sens de l’arrêt Schooner

Pour comprendre l’arrêt Schooner, il faut distinguer ce qui fait et ce qui ne fait pas l’objet d’une censure par la Cour de cassation.

Ne fait pas l’objet d’une censure la partie de l’arrêt d’appel selon laquelle la renonciation « ne vise pas les seules irrégularités procédurales, mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l’ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d’office par le juge de l’annulation, et soulevés pour la première fois devant lui ». Implicitement, cet aspect de l’arrêt, qui est antérieur dans le raisonnement intellectuel, est conforté par la Cour de cassation. En conséquence, tous les cas d’ouverture peuvent faire l’objet d’une renonciation s’ils n’ont pas été invoqués en temps utile : la compétence ; la constitution du tribunal ; la motivation ; le contradictoire. Pour ce qui est de l’ordre public, il convient d’affiner. L’arrêt d’appel n’évoque que l’ordre public international de fond, seul cas insusceptible de renonciation. Il en résulte deux interrogations : la mention de l’ordre public international de fond exclut-elle l’ordre public international procédural du champ de l’exception à la renonciation ? Convient-il de distinguer ordre public de direction et de protection ? La réponse à ces deux questions a déjà été donnée, puisque la cour d’appel de Paris a retenu quelque temps après que « le principe d’égalité des armes relève de l’ordre public international de protection, de sorte qu’il est loisible à une partie de renoncer à son bénéfice » (Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques). En conséquence, l’ordre public procédural est susceptible de renonciation, de même que l’ordre public de protection. En définitive, la solution selon laquelle l’ensemble des cas d’ouverture du recours en annulation sont susceptibles de renonciation, à l’exception d’un grief relatif à l’ordre public international de fond (de direction), n’est pas condamnée. On peut même considérer qu’elle est implicitement confirmée.

En revanche, fait l’objet d’une censure la partie de la motivation selon laquelle « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens ». La renonciation voit sa portée limitée. La Cour de cassation considère, à l’inverse de la cour d’appel, que la renonciation vise des catégories de moyens et non des griefs concrètement articulés. Ainsi, dès lors qu’une partie a contesté la compétence devant les arbitres, elle est libre de la discuter de nouveau devant le juge en se prévalant de nouveaux moyens, arguments ou preuves.

B. Le fondement de l’arrêt Schooner

La justification de la solution posée par cet arrêt peine à être identifiée. L’examen de la jurisprudence et des textes ne lui donne aucune assise solide.

1. La jurisprudence antérieure

Au titre de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation ne revient pas seulement sur la solution de l’arrêt Schooner de la cour d’appel. Elle remet également en cause l’arrêt Papillon Group rendu il y a plus de dix ans. La cour d’appel de Paris y énonçait que l’examen du juge s’appuie sur les éléments « tels qu’ils résultent du dossier » soumis aux arbitres (Paris, 26 mars 2009, n° 08/01578, Papillon Group c. République Arabe de Syrie, D. 2010. 2933, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2010. 525, note V. Chantebout ; D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; v. égal. Paris, 22 mai 2008, n° 06/22560, Abela, D. 2008. 3111, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2008. 730, note F.-X. Train ; JCP 2008. I. 222, § 7, obs. C. Seraglini ; D. 2008. 3111, obs. T. Clay). Par cet arrêt, la cour d’appel interdit au juge du recours de connaître de pièces n’ayant pas été examinées préalablement par les arbitres. Pire, elle refuse également d’examiner les pièces jugées irrecevables par les arbitres, ce qui lui a valu des critiques doctrinales (V. Chantebout, note ss Paris, 26 mars 2009, art. préc., n° 26).

On pourra objecter que cet arrêt ne fait qu’aligner la solution avec celle qui est retenue pour le consommateur. En effet, la Cour de justice permet au juge de l’annulation de connaître de l’incompétence de l’arbitre alors même qu’elle n’a pas été discutée devant le tribunal (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Elisa Maria Mostaza Claro, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 3026, obs. T. Clay image ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 633, obs. P. Théry image ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb. 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid. 2007, n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot ; N. Sauphanor-Brouillaud, Clauses abusives dans les contrats de consommation : critères de l’abus, CCC juin 2006, n° 6, étude 7, p. 5 ; CJCE 6 oct. 2009, aff. C-40/08, Asturcom, D. 2009. 2548 image ; ibid. 2959, obs. T. Clay image ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron image ; ibid. 695, chron. C. Aubert de Vincelles image ; Rev. arb. 2009. 813 note C. Jarrosson ; RDC 2010. 59, note O. Deshayes ; Europe 2009. Comm. 469, note L. Idot ; Procédures 2009. Comm. 400, note C. Nourissat ; JCP 2010. 1201, § 1, obs. C. Seraglini ; LPA 2010, n° 115, p  24, note V. Craponne ; Cah. arb. 2010. 471, note A. Musella et P. Pedone). Cependant, la solution est doublement différente. D’une part, elle se justifie par le statut de consommateur ; d’autre part, et bien plus fondamentalement, elle conduit à écarter totalement la règle de la renonciation en permettant de contester la compétence arbitrale au stade du recours alors qu’elle ne l’a pas été devant l’arbitre.

En revanche, on peut éventuellement identifier des liens de parenté avec la solution retenue il y a peu dans l’arrêt Antrix (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, Dalloz actualité, 4 mai 2020, note J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 608 image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2020. 617, obs. H. Barbier image ; JDI 2020, note C. Debourg, à paraître ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2020, n° 42, p. 23, note P. Casson). Cette affaire a donné lieu à un imbroglio autour d’une clause compromissoire pathologique. En substance, le défendeur a adopté deux positions distinctes. Dans un premier temps, il a protesté, auprès de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), contre le caractère institutionnel de l’arbitrage. Dans un second temps, il a contesté la compétence du tribunal arbitral en soutenant que la clause compromissoire, en ce qu’elle fait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, est pathologique. Devant le juge du recours, sur le fondement des articles 1520, 1° et 2°, du code de procédure civile, le défendeur s’est prévalu uniquement du premier argument, développé devant la CCI, mais pas devant le tribunal arbitral. La cour d’appel (Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 39, obs. D. Bensaude) a déclaré irrecevable le moyen, sur le fondement de la renonciation. L’arrêt est cassé par la Cour de cassation au motif que « l’invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel, de sorte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’était pas contraire à celle développée devant celui-ci ».

Dans les deux affaires, la Cour de cassation écarte la renonciation. Faut-il y avoir un mouvement de fond, visant à diminuer la surcharge pondérale d’une renonciation devenue obèse ? Sans doute. Et d’une certaine manière, ce n’est pas plus mal. Néanmoins, on peut identifier au moins deux différences fondamentales entre les arrêts Schooner et Antrix. D’une part, dans Antrix, la critique présentée devant la cour d’appel, si elle n’a pas explicitement été formulée devant les arbitres, l’a été devant la CCI. Il ne s’agit pas d’un moyen nouveau, mais d’un moyen présenté devant l’autorité de nomination pour contester sa faculté à désigner un arbitre. D’autre part, la Cour de cassation justifie la recevabilité de l’argument par le lien (« emportait nécessairement contestation de la régularité ») entre ce qui a été débattu devant le tribunal arbitral et le grief invoqué devant la cour d’appel. Autrement dit, à défaut d’un tel lien, l’argument n’est pas recevable. En somme, l’arrêt Antrix favorise une approche concrète (réaliste ?) de la recevabilité. Ce n’est pas le cas de l’arrêt Schooner.

2. Les fondements textuels

On peut se demander si la solution retenue par la Cour de cassation peut trouver un appui textuel. L’arrêt est rendu au visa de l’article 1466 du code de procédure civile. Celui-ci énonce que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». La principale difficulté dans l’interprétation de cet article réside dans l’interprétation de la notion « d’irrégularité ». Malgré les écrits remarquables sur cette question (not. L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, Rev. arb. 1996. 3), le travail de définition du terme « irrégularité », appliqué à l’arbitrage, n’a jamais véritablement été réalisé. Le Vocabulaire juridique Cornu définit l’irrégularité au sens procédural comme un « vice (de forme ou de fond) qui ne peut être soulevé par l’adversaire (au moyen d’une exception de nullité, d’incompétence, de litispendance ou de connexité) ou relevé d’office qu’à des conditions restrictives et qui, s’il est reconnu, a pour effet de faire tomber l’acte ou la procédure » (J. Cornu et Association Henri Capitant [dir.], Vocabulaire juridique, 11e éd., PUF, coll. « Quadrige », 2016, v° Irrégularité). Dans le code de procédure civile, on trouve cette notion dans la sous-section consacrée à la « nullité des actes pour irrégularité de fond » (C. pr. civ., art. 117 à 121). L’on comprend que l’irrégularité est un vice qui affecte la procédure (ou la sentence) et est susceptible d’entraîner sa disparition. Néanmoins, ces définitions sont insuffisamment précises pour l’arbitrage. Dans le cadre d’un recours en annulation, il convient de se demander si l’irrégularité doit être assimilée à un cas d’ouverture du recours (il en existe six en matière interne [C. pr. civ., art. 1492] et cinq en matière internationale [C. pr. civ., art. 1520]) ou à un grief (il existe une multitude de griefs qui, pour être examinés, doivent entrer dans un des cas d’ouverture. Par exemple, le défaut de révélation est un grief invocable au titre du cas d’ouverture relatif à l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral). Toutefois, comme pour l’irrégularité, les notions de cas d’ouverture et de grief ne sont pas définies par le code de procédure civile (et sont parfois utilisées de façon interchangeable en jurisprudence). Dès lors, il convient d’admettre que la Cour de cassation dispose d’une certaine liberté pour interpréter la notion d’irrégularité et de l’assimiler à un cas d’ouverture plutôt qu’à un moyen.

Au soutien de cette analyse, on peut d’ailleurs convoquer la procédure civile. On sait que la clause d’arbitrage est, en droit interne, qualifiée d’exception de procédure (Civ. 1re, 13 mai 2020, n° 18-25.966, Kimmolux, Dalloz actualité, 12 juin 2020, obs. G. Sansone ; D. 2020. 1113 image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; Procédures 2020. Comm. 147, obs. L. Weiller ; Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; RDC 2020, n° 3, p. 79, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; LPA 2020, n° 196, p. 19, note S. Akhouad-Barriga). Par conséquent, elle est soumise au régime de ces exceptions de procédure et doit, conformément à l’article 74 du code de procédure civile, être soulevée in limine litis. Dès lors, il est vrai que, à défaut d’avoir invoqué l’incompétence des juridictions étatiques avant tout autre moyen de défense, les parties sont, de façon assez similaire à la règle de l’article 1466 du code de procédure civile, censée y avoir renoncé. Néanmoins, il est également vrai que les parties, dès lors qu’elles ont soulevé l’exception, sont libres de faire évoluer leur argumentation, en particulier entre la première instance et l’appel. Ainsi, l’article 563 du code de procédure civile leur offre la possibilité, « pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, [d’]invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ». Le parallélisme est frappant : les parties doivent, devant l’arbitre, discuter de la compétence, sous peine d’y renoncer ; toutefois, elles peuvent avancer de nouveaux moyens et de nouvelles preuves devant le juge de l’annulation au soutien de cette prétention. Exactement comme pour une exception d’incompétence devant le juge étatique. Le raisonnement est séduisant. Il est pourtant dangereux. Il conduit à un glissement du recours en annulation vers un appel.

C. L’appréciation de l’arrêt Schooner

Notre appréciation de l’arrêt Schooner ne sera pas positive. Le recours en annulation n’est pas un appel contre la sentence arbitrale ; il n’est pas le lieu pour faire évoluer le litige. Comme l’a écrit, il y a déjà quelques années, un auteur, le recours en annulation est « une sorte de “recours en cassation en raccourci” » (L. Bernheim-Van de Casteele, Les principes fondamentaux de l’arbitrage, préf. T. Clay, Bruylant, 2012, n° 375). Les parties ont tout loisir pour présenter leur argumentation devant les arbitres et, le cas échéant, discuter ensuite l’appréciation qui en a été faite devant le juge de l’annulation, si tant est qu’elle entre dans un cas d’ouverture du recours. L’arrêt Schooner va plus loin et les excès potentiels d’une telle solution sont facilement identifiables.

Premièrement, prise au pied de la lettre, cette jurisprudence permettra aux parties, non pas de refaire le match, mais de jouer un nouveau match – avec une nouvelle équipe ! – devant le juge de l’annulation. En effet, c’est une chose de permettra au juge de l’annulation d’examiner à nouveau en fait et en droit la question de la compétence, c’en est une autre que d’ouvrir la voie à un examen de nouveaux moyens, nouveaux arguments ou nouvelles pièces. Le droit français de l’arbitrage confie, en principe, à l’arbitre, non pas une primauté, mais une priorité pour examiner les contestations portant sur sa compétence (M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013, n° 8). Or cette priorité est ignorée si les parties sont admises à invoquer devant le juge de l’annulation de nouveaux moyens de droit et de fait ainsi que de nouvelles preuves. Rappelons-le, le cas d’ouverture relatif à la compétence permet de discuter (1) l’existence de la clause, (2) l’applicabilité de la clause, (3) l’arbitrabilité du litige et (4) le délai de l’arbitrage. Telle qu’elle est formulée, la règle n’interdit pas, dès lors que la compétence a été discutée devant l’arbitre, de contester devant le juge de l’annulation l’expiration du délai, quand bien même ce point n’a pas été relevé en cours de procédure. Impensable ? Sans doute. Mais il conviendra à la Cour d’intervenir à nouveau pour limiter la portée de sa solution. Avec des questions qui ne manqueront pas de mettre en lumière la difficulté de réaliser des distinctions : le débat sur l’extension de la clause devant l’arbitre permet-il de discuter la transmission de la clause devant le juge ? L’argument tiré de la validité de la clause permet-il de remettre en cause l’arbitrabilité du litige ? C’est un véritable casse-tête qui s’annonce (mais aussi une source inépuisable de controverses pour les adeptes des manœuvres dilatoires).

Deuxièmement, il faut aller plus loin et se demander si la solution doit être étendue aux autres cas d’ouverture. La lecture de l’arrêt indique que ce n’est pas la volonté de la Cour de cassation, dès lors que l’arrêt est rendu au visa de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile et qu’elle vise explicitement « la compétence ». Néanmoins, encore faut-il justifier une telle discrimination. Dans notre thèse, nous avons souligné que certains cas d’ouverture visent des intérêts publics et d’autres des intérêts privés (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 296 s., préf. T. Clay). Cette distinction justifie un traitement différencié des cas d’ouverture, en particulier en ce qui concerne les intérêts publics. La cour d’appel, dans l’affaire Schooner, a implicitement retenu une telle distinction en distinguant l’ordre public international de fond, seul cas permettant d’examiner le respect des intérêts publics et insusceptible de renonciation. Mais, à partir du moment où les autres cas sont tous relatifs aux intérêts privés des parties, sur quel critère fonder une différence de régime ? On pourra éventuellement souligner que certains cas d’ouverture concernent la légitimité de l’arbitre pour trancher le litige alors que d’autres concernent le respect par les arbitres des règles relatives à la résolution du litige (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit.), ce qui justifierait un traitement spécifique pour les cas d’ouverture prévus à l’article 1520, 3°, et 1520, 4°. En revanche, comment expliquer que la compétence et la constitution du tribunal arbitral fassent l’objet d’un régime distinct ?

Il est d’ailleurs intéressant de comparer la jurisprudence rendue en matière de révélation et celle issue de l’arrêt Schooner. Dans le dernier arrêt Tecnimont (Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 24 image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans ; Rev. arb. 2020. 403, note M. Henry), la Cour de cassation a adopté une position radicale : elle a refusé que soit examiné dans le cadre du recours tout argument qui ne figure pas dans la requête en récusation. C’est donc l’extrême – et l’excès – inverse de la solution retenue dans Schooner, à tel point que nous avions pu nous inquiéter d’une solution qui « conduit à faire peser une obligation de parallélisme des formes entre la requête en récusation et le recours en annulation. Une telle exigence est dépourvue d’un quelconque fondement juridique et interdit aux parties d’affiner leur argumentation, ce qui laisse sceptique » (J. Jourdan-Marques, obs. ss Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont n° 16-18.349, Dalloz actualité, 29 janv. 2019). On pourra toujours dire que, dès lors que les deux griefs ne sont pas examinés au titre du même cas d’ouverture, les deux solutions sont parfaitement compatibles et l’arrêt Schooner ne remet pas en cause l’arrêt Tecnimont. Mais il certain que l’arrêt Schooner sera invoqué pour rouvrir le débat concernant la révélation.

D. L’alternative à l’arrêt Schooner

Les arrêts Schooner, Tecnimont et Antrix invitent à la réflexion et à la recherche d’un juste équilibre. En effet, la renonciation à se prévaloir des irrégularités est une règle qui, si elle est salutaire, peut conduire à des dérives. Il est essentiel de mieux en fixer la portée.

Quelle solution envisager ? Il nous semble que la solution retenue par la cour d’appel selon laquelle « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » est excellente. Autrement dit, il ne devrait pas suffire d’avoir discuté de la compétence (ou d’un autre cas d’ouverture) devant le tribunal arbitral pour pouvoir soulever, devant le juge du recours, « de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ». En revanche, il convient de ne pas imposer aux parties un parallélisme des formes dénué de sens. Ainsi, quel que soit le cas d’ouverture, le débat ne se pose pas dans les mêmes termes au stade arbitral et post-arbitral. Par exemple, pour la compétence, la discussion porte sur la clause alors qu’au stade post-arbitral, elle porte sur la sentence elle-même (la jurisprudence répète inlassablement que « le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence »), ce qui est de nature à faire évoluer le débat. Nécessairement, les parties sont invitées à présenter leur recours de façon distincte afin d’insister sur les éléments retenus par le tribunal arbitral pour fonder sa sentence. Autre exemple, de nombreux griefs sont identifiés seulement une fois la sentence rendue : il peut s’agir d’un défaut de révélation découvert tardivement ou d’une violation du contradictoire identifiée dans la sentence. En somme, le débat ne peut être figé au stade arbitral et être simplement transposé dans le recours contre la sentence.

Ceci étant dit, comment faire la part des choses entre une évolution de l’argumentation qui est acceptable et une qui ne l’est pas ? Il faut, à notre avis, garder en tête deux principes directeurs. D’une part, le juge étatique n’a pas vocation à se substituer à l’arbitre (ou à l’institution dans le cadre d’une demande de récusation), lequel doit conserver une priorité pour trancher le litige – y compris la question de la compétence. Dès lors, tout moyen, argument ou preuve qui aurait pu être présenté à l’arbitre et qui ne l’a pas été doit être écarté du débat. D’autre part, l’article 1466 du code de procédure civile est un scalpel, qui permet au juge de distinguer soigneusement ce qui est recevable et ce qui ne l’est pas. Si la compétence arbitrale n’a pas été discutée, c’est le cas d’ouverture qui est fermé ; si un grief n’a pas été soulevé, c’est ce grief qui est irrecevable ; si un moyen relatif à la compétence n’a pas été invoqué, c’est ce moyen qui doit être écarté ; si une preuve n’a pas été présentée, c’est cette preuve qui doit être rejetée. Dès lors, le juge peut apprécier au cas par cas la nature de l’argumentation qui est présentée devant lui et départager ce qui relève d’une évolution admissible de la défense d’une partie et ce qui marque une volonté de soumettre au juge des éléments qui n’ont pas été présentés devant l’arbitre.

II. La clause compromissoire

La présente livraison est très riche sur les problématiques touchant directement la clause compromissoire. Elles concernent aussi bien l’efficacité de la clause, qui est fortement chahutée, que ses effets.

A. L’efficacité de la clause

Comme souvent, des parties tentent d’échapper à la mise en œuvre de la clause compromissoire en contestant son efficacité. Néanmoins, il est beaucoup moins commun de voir des tiers s’attaquer aux clauses contenues dans les contrats : le ministre de l’Économie et des Finances et une association de consommateurs.

1. La validité de la clause

Le tribunal de commerce de Paris a rendu une importante décision dans le cadre de l’action exercée par le ministre de l’Économie et des Finances contre la société Subway dans le cadre des contrats de franchise conclus avec ses franchisés (T. com. Paris, 13 oct. 2020, n° 2017005123, D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; AJ contrat 2020. 543 image, obs. J.-C. Roda et F. Buy image ; ibid. 543 image). On le sait, le contentieux impliquant la société Subway est récurrent devant les juridictions françaises, de nombreux franchisés essayant de se soustraire à la procédure arbitrale prévue par le contrat (Paris, 15 sept. 2020, n° 18/01360, Dalloz actualité, 19 oct. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 2 juin 2020, n° 17/18900, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2421, obs. C. de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216) image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; Paris, 11 sept. 2018, n° 16/19913, D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; AJ contrat 2018. 491, obs. J. Jourdan-Marques image ; CCC 2018, n° 11, p. 21, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal. 2018, n° 38, p. 25, obs. D. Bensaude ; RLDA 2019, n° 145, p. 35, note J. Clavel-Thoraval). Dans ces procédures, les justiciables ont tenté d’obtenir, sans succès, la suspension de l’instance dans l’attente de la décision du tribunal de commerce. Reste à savoir si cette solution, désormais rendue, aura une influence sur les recours à venir.

La question posée au tribunal de commerce, sur le fondement de l’article L. 442-1, 2°, du code de commerce (L. 442-6, I, 2°, au moment de l’action), est celle de la validité de la clause de droit applicable et de la clause compromissoire (ainsi que de l’utilisation de la langue anglaise) dans les contrats de franchise. Inutile de faire durer le suspense, la nullité des deux clauses est prononcée en ce qu’elles créent un déséquilibre significatif. Dans le fond, on est tout à fait prêt à admettre que de telles clauses, dans un contrat de franchise, en ce qu’elles déclarent le droit néerlandais (ou du Liechtenstein) applicable et qu’elles prévoient un arbitrage avec siège à New York, sont déséquilibrées. En revanche, la motivation de la décision est indigente (dans le même sens, v. T. Clay, obs. ss T. com. Paris, 13 oct. 2020, art. préc.).

D’abord, le tribunal signale qu’« il ne saurait être prétendu que les commerçants de détail en France utilisent spontanément ce mode de règlement des conflits ». D’une part, on est gêné par l’utilisation de la formule « il ne saurait être prétendu », qui semble interdire la preuve contraire. D’autre part, on veut bien entendre que le choix de l’arbitrage ne soit pas systématique dans ce type de contrat et qu’il est le plus souvent imposé lorsque le franchiseur est une enseigne étrangère. Est-il pour autant inexistant ? On aurait préféré une affirmation étayée en faits, plutôt qu’une injonction de croire, d’autant que, hasard du calendrier (sans doute), la cour d’appel de Pau a rendu un arrêt dans le cadre d’un contrat de franchise portant sur un commerce relativement proche (v. infra, Pau, 5 nov. 2020, n° 20/01175, Tagli’Apau). De plus, le tribunal ajoute qu’« il ne saurait être prétendu que, dans l’hypothèse où un commerçant français choisirait ou accepterait la clause compromissoire, il proposerait ou accepterait volontiers que la procédure d’arbitrage se déroule à New York ». Il est vrai que la clause prévoit que la phase orale de la procédure se déroulera à l’étranger. Néanmoins, on aurait aimé que le tribunal prenne en considération le caractère facultatif de l’audience, qui n’a lieu que si une partie le demande.

Ensuite, même si cela concerne uniquement la clause d’electio juris, on doit mentionner la motivation retenue pour la condamner. Le tribunal juge qu’il ne « saurait être prétendu qu’un commerçant français, sauf rarissime exception, pourrait spontanément, voire sur demande de son cocontractant, choisir, voire accepter, le droit néerlandais, pays que dans la plupart des cas il n’a pas visité, dont il ne connaît pas la langue et encore moins le droit ». Face à la puissance intellectuelle d’une telle analyse, on ne peut que s’incliner. Nous qui avons cru naïvement pendant des années que le choix d’un droit applicable était guidé par la sécurité juridique apportée par son régime (certes, à une partie plus qu’à une autre, ce n’est pas la question), ce choix serait le fruit des soirées passées à arpenter les rues amstellodamiennes au début de l’été…

Enfin, le tribunal conclut en énonçant que « Subway fait fi tant du bon sens que de la bonne foi dans sa tentative de convaincre le tribunal que ses candidats franchisés français, pour sécuriser juridiquement leur relation avec leur franchiseur, “choisissent” la langue anglaise, le droit néerlandais, la clause compromissoire et le déroulement de la procédure aux États-Unis. L’accumulation et la conjonction de ces contraintes imposées au franchisé, tant sur le plan juridique que culturel […], caractérisent un déséquilibre significatif en défaveur du franchisé ». Cette partie de la motivation suscite trois remarques, dont seule la première est juridique. Premièrement, il ne fait aucun doute que ces clauses sont imposées par Subway. Comme d’ailleurs toute clause contenue dans un contrat d’adhésion, que le cocontractant ne peut qu’accepter ou refuser en bloc. Ce n’est pas pour autant qu’elle crée un déséquilibre, sauf à exiger que, même pour l’achat d’une baguette de pain, les parties négocient l’ensemble des clauses contractuelles de leur contrat de vente. Deuxièmement, on ne peut que s’inquiéter de l’appel au bon sens pour appuyer une motivation, à une époque où cet argument est l’une des armes des mouvements populistes et où l’on attend d’une juridiction de statuer en droit. Troisièmement, on ne peut que savourer la référence à une contrainte « culturelle » prétendument imposée au franchisé, lequel conclut un contrat pour vendre en France la quintessence de la malbouffe venue d’outre-Atlantique. Il est délicieux d’attendre d’une marque qui compte 45 000 restaurants dans 110 pays un contrat de haute gastronomie alors qu’elle vend une nourriture standardisée.

On regrettera d’autant plus cette décision qu’elle évince volontairement ce qui peut justifier en droit sa solution. L’arrêt retient en effet qu’il n’est pas « besoin de rechercher si le coût est ou non supérieur ou inférieur à celui d’une procédure devant les tribunaux français ou à celui d’un mode alternatif de règlement des différends en France ». Pourtant, c’est sans doute là que se trouve le déséquilibre. Les coûts nécessaires pour assurer la défense de leurs intérêts peuvent être particulièrement élevés dès lors que le contrat, tel qu’il est rédigé, nécessite de recourir aux services d’avocats très spécialisés (droit de la franchise, droit néerlandais, droit de l’arbitrage, langue française et langue anglaise). Ne peut-on pas simplement considérer que, par ces coûts, l’accès au juge est menacé ? En tout cas, on en vient à se demander si ce n’est pas de telles décisions que veut éviter la société Subway en intégrant ces clauses dans son contrat de franchise…

Dans le même temps, le tribunal judiciaire de Paris était saisi par l’association UFC - Que Choisir d’une action en suppression des clauses abusives contre Uber (TJ Paris, 27 oct. 2020, n° 16/07290). L’action est fondée sur l’article R. 212-2, 10°, du code de la consommation, qui classifie de clause grise la clause compromissoire dans les contrats de consommation. La principale conséquence de cette qualification est le caractère présumé abusif de la clause, ce qui distingue ce régime de celui prévu par le code de commerce. Le tribunal considère que la clause doit être réputée non écrite dès lors qu’elle ne ménage « aucune liberté à l’utilisateur d’acceptation ou de refus » et qu’elle laisse croire au consommateur que sa « soumission à de telles modalités de règlement extrajudiciaire constitue un préalable voire un substitut obligatoire à l’exercice de son action en justice ». La présence de telles clauses dans le contrat de consommation, en particulier sur les réseaux sociaux ou les plateformes en ligne, est une problématique insuffisamment prise en considération. On peut espérer que ce genre de décision, comme la recommandation récente de la commission des clauses abusives sur les contrats de location de transports individuels en libre-service (recommandation n° 20-01, 30 sept. 2020), incite les professionnels à revoir leurs clauses. Ceci étant, il ne faut pas nécessairement partir du principe que l’arbitrage doit être prohibé en matière de consommation. Rien n’interdit d’inventer un arbitrage adapté à ces litiges, gratuit pour le consommateur et permettant l’obtention rapide d’une décision.

2. L’opposabilité de la clause

En matière interne, la clause est soumise à l’article 2061 du code civil, qui a été modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016. Il énonce désormais : « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée. Lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ». Logiquement, les décisions sur la nouvelle mouture de cet article sont encore rares. C’est donc avec un grand intérêt qu’on lira l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris dans une affaire La Dame de Cœur Vape (Paris, 27 oct. 2020, n° 20/09005, D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Le contrat, conclu sous la forme authentique postérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau texte, porte sur un bail commercial. Rapidement, le preneur délivre congé au bailleur. Ce dernier assigne son cocontractant devant le tribunal judiciaire pour contester la validité du congé. Le défendeur soulève une fin de non-recevoir (sic) tirée d’une clause compromissoire figurant au contrat de bail. Le juge de la mise en état accueille l’argument et renvoie le demandeur à mieux se pourvoir. En conséquence, c’est sur un appel de cette ordonnance que le pôle 1, chambre 1, est saisi. Le débat est doublement intéressant, puisqu’il soulève, d’une part, la question de l’articulation entre le nouvel article 2061 du code civil et le principe compétence-compétence et, d’autre part, la question de la portée de l’inopposabilité fixée par cette disposition.

Le nouvel article 2061, alinéa 2, du code civil pose un principe d’inopposabilité de la clause compromissoire à certaines parties. Pour être efficace, cette disposition ne doit pas être mise en échec par l’article 1448 du code de procédure civile, qui renvoie les parties devant les arbitres, sur le fondement de l’effet négatif du principe compétence-compétence. L’enjeu central est celui de l’articulation du nouvel article 2061 du code civil avec le principe compétence-compétence. En substance, trois réponses sont envisageables : la première consiste à dire que, dès lors qu’il y a une discussion sur la qualité de « non-professionnel » d’une des parties, la clause n’est pas « manifestement inapplicable » et il est fait interdiction au juge judiciaire de se prononcer ; la deuxième invite à laisser le juge examiner la qualité de « non-professionnel », cet examen relevant du caractère « manifestement inapplicable » de la clause ; la troisième conduit à considérer que les questions doivent être traitées dans un ordre chronologique, la mise en œuvre de l’effet négatif du principe compétence-compétence étant conditionnée à l’opposabilité préalable de la clause. Cette troisième approche a notre préférence, en ce qu’elle permet de préserver l’efficacité de la nouvelle solution préconisée par l’article 2061 du code civil tout en évitant les discussions sur ce qui doit être considéré comme « manifeste » dans la qualification de non-professionnel. Ce n’est toutefois pas la solution retenue par l’arrêt, encouragée en cela par la doctrine (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1008, n° 25). Elle énonce que « la SCI Fredema est ainsi mal fondée à soutenir que la convention d’arbitrage à laquelle elle a librement consenti en qualité de bailleur, lui serait manifestement inopposable ou serait manifestement nulle ou manifestement inapplicable au différend des parties ». C’est donc dans une logique de conciliation entre 2061 du code civil et 1448 du code de procédure civile que la cour s’inscrit, avec la consécration d’une éventuelle « inopposabilité manifeste  ». Il faudra attendre quelques arrêts supplémentaires pour déterminer si cette solution constitue la ligne jurisprudentielle tracée par la cour et si sa mise en œuvre convainc.

Reste à savoir comment, en l’espèce, la question de l’inopposabilité est envisagée. L’alinéa 2 de l’article 2061 fait dépendre l’opposabilité de la clause de la qualité de professionnel des parties (sur cette question, v. C. Jarrosson et J.-B. Racine, art. préc., n° 21 ; T. Clay, L’arbitrage, les modes alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi « Justice du XXIe siècle », JCP 2016. Doctr. 1295, nos 17 s.). En l’espèce, le défendeur est une société civile immobilière formée par des personnes physiques. Pour retenir qu’il a contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la cour d’appel commence, et c’est à signaler, par ne pas faire référence à l’article liminaire du code de la consommation définissant les qualités de professionnel et non-professionnel, alors que le bailleur l’y invitait ! C’est donc indépendamment du code de la consommation que la qualification doit être réalisée. On peut s’en réjouir, car il n’y a pas lieu de soumettre une disposition du code civil à une définition du code de la consommation, d’autant que ce dernier dispose de son régime spécial pour la clause compromissoire. Pour le reste, la cour collecte un certain nombre d’indices pour trancher en faveur d’une clause conclue dans le cadre d’une activité professionnelle : objet social, secteur d’activité, assujettissement à la TVA, soumission à l’impôt sur les sociétés, mise en location par un bail commercial. Elle juge que « ce bail est donc un acte de gestion de l’actif immobilier dont la SCI Fredema est propriétaire, destinée à réaliser la fin pour lesquelles ses associés l’ont constituée, à savoir percevoir des revenus, contracté en conséquence dans le cadre de son activité professionnelle au sens de l’article 2061 du code civil, peu important qu’elle ne soit pas un promoteur immobilier et qu’elle ne soit constituée que d’associés personnes physiques ». Ce faisant, la cour d’appel suit l’opinion doctrinale suivant laquelle, pour les SCI, « la réalisation de leur objet constitu[e] une activité professionnelle » (C. Jarrosson et J.-B. Racine, art. préc., n° 22 ; v. égal., mais moins explicité sur la question de l’opposabilité, T. Clay, L’arbitrage, les modes alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi « Justice du XXIe siècle », art. préc., n° 16).

3. La clause face à l’impécuniosité d’une partie

L’affaire Tagli’Apau est un peu complexe (et à dire vrai, difficilement lisible dans le résumé des faits), mais soulève, dans une perspective nouvelle, la question de l’impécuniosité des parties à l’arbitrage (Pau, 5 nov. 2020, n° 20/01175). Un contrat de franchise a été conclu en 2011 entre un franchiseur, Tagliatella (ou Pastificio… l’arrêt n’est pas clair) et un franchisé, Taglia’Apau (dans le cadre d’un concept, « Tagliatella », qui fera saliver le lecteur à l’heure du déjeuner). En 2015, le franchisé a sollicité une révision des conditions économiques et un dédommagement à la suite d’une perte de marge. Une procédure collective a ensuite été ouverte à son encontre en 2016, transformée en liquidation en 2018. Finalement, en 2018, le franchiseur a fait délivrer un courrier de résiliation du contrat de franchise pour manquement aux obligations contractuelles.

Le déroulement de la procédure n’est pas non plus parfaitement clair. En avril 2016, le franchisé a saisi la CCI d’une demande d’arbitrage. Néanmoins, le franchiseur a refusé de payer la provision sur les frais de l’arbitrage. En conséquence, en 2018, le liquidateur judiciaire du franchisé a assigné le franchiseur devant le tribunal de commerce. C’est alors que le franchiseur a soulevé l’incompétence du juge judiciaire au profit de la justice arbitrale. En somme, le franchiseur a refusé de payer les frais d’arbitrage pour que puisse se dérouler la procédure arbitrale et s’oppose, dans le même temps, la compétence des juridictions étatiques. Le tribunal de commerce a accueilli l’exception d’incompétence, ce qui a conduit le liquidateur à interjeter appel.

En apparence, la position du franchiseur est intenable : comment refuser, d’un côté, de payer la provision et, de l’autre, s’opposer à la compétence judiciaire ? C’est ce que tente de mettre en lumière le liquidateur. Mais la position du franchiseur n’est pas dénuée de pertinence. Il prétend que les demandes formées devant le tribunal arbitral par le franchisé sont « exorbitantes », ce qui entraîne un calcul de provision pour frais d’arbitrage disproportionné. En somme, le franchiseur estime que ce n’est pas à lui d’assumer des frais d’arbitrage surévalués et que si le demandeur souhaite voir sa demande examinée, il doit, soit réexaminer le montant de ses demandes, soit payer l’intégralité des frais de l’arbitrage. Entre les deux positions, le cœur balance. La cour d’appel ne refuse pas la discussion et offre une belle motivation (bien que décousue et pas toujours facile à suivre).

Elle énonce, d’abord, que le refus du franchiseur « de régler leur part de provision » ne constitue pas « une renonciation irrévocable à la clause compromissoire au regard de l’exception d’incompétence soulevée valablement devant la juridiction de l’État ». La cour ajoute que « la force obligatoire de la clause compromissoire est indépendante de la santé financière de l’une des parties signataires […]. La partie qui fait état de son impécuniosité ne peut donc tirer argument de ce fait pour se soustraire à la compétence arbitrale ». Reste à savoir comment assurer, malgré tout, un accès de l’impécunieux à la justice. Pour la cour d’appel, la réponse ne fait pas de doute : il « appartient au tribunal arbitral de permettre l’accès au juge ». À l’inverse, « les intimées pouvaient valablement ne pas avancer leur quote-part de provision ». En somme, si le droit d’accès au juge doit être assuré, c’est à l’arbitre et, subsidiairement, à l’institution de s’en charger et aucunement au cocontractant. La solution n’est pas dénuée de logique, même si elle ne plaira pas nécessairement aux tenants d’un solidarisme contractuel.

B. Les effets de la clause

1. Le principe compétence-compétence

On ne le dira jamais assez, mais pour mal commencer un arbitrage, rien de tel qu’une clause mal rédigée. Dans une affaire soumise à la cour d’appel d’Aix-en-Provence (15 oct. 2020, n° 17/11777, SEGIP), le contrat annonçait le pire : « Pour l’exécution des présentes et de leurs suites, les parties conviennent que tout litige relatif aux présentes sera de la compétence que tribunal de commerce de Manosque […]. Aussi, tous litiges auxquels les présentes pourraient donner lieu et notamment tant pour leur validité, leur interprétation, que leur exécution, seront soumis à une procédure d’arbitrage dans les conditions suivantes ». Néanmoins, la contradiction manifeste de cette clause ne fait pas obstacle au renvoi des parties devant les arbitres. La cour rappelle que « la présence dans le même acte d’une clause attributive de compétence et de clause d’arbitrage est insuffisante à elle seule à permettre de conclure que les parties ont manifestement voulu soumettre à la juridiction étatique leur litige et à caractériser la nullité ou l’inapplication manifeste de la clause d’arbitrage. La présence d’une clause attributive de compétence ne se substitue pas à la clause compromissoire et ne fait pas obstacle à la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage. La contrariété de clauses soulève une difficulté d’interprétation contredisant le caractère manifeste de l’inapplicabilité. Au seul regard de l’apparence ou la vraisemblance de la compétence arbitrale, il appartient au juge étatique de la retenir, sans qu’il puisse être autorisé à procéder à un examen approfondi et substantiel de l’exacte volonté des parties ». Si la formule est un peu longue, elle rappelle opportunément, sans préjuger la question, qu’il appartient au tribunal arbitral de se prononcer en priorité sur sa compétence.

Une autre cour d’appel se distingue par une application remarquable du principe compétence-compétence (Rennes, 20 oct. 2020, n° 20/00963, Thermador). La clause figure dans un pacte d’associés, lequel contient également une clause de non-concurrence et une clause de confidentialité. Reprochant à des sociétés tierces d’avoir débauché plusieurs signataires de ce pacte, le reste des actionnaires assigne ses concurrents et ses anciens associés. La cour d’appel énonce que « les actions de nature délictuelle ne font pas obstacle à l’application d’une convention d’arbitrage, il s’agit d’une question qui relève du champ d’application de la clause d’arbitrage ». Elle ajoute qu’il « apparaît ainsi que le litige est en relation avec l’inexécution prétendue par M. Y et Mme Z de l’obligation de non-concurrence mise à leur charge par le pacte d’actionnaire. Il en résulte que la convention d’arbitrage n’est pas manifestement inapplicable. Le juge judiciaire est incompétent pour statuer sur sa compétence ». On ne saurait mieux dire. La cour fait une application parfaite du principe compétence-compétence appliqué à une action délictuelle : sans anticiper la compétence arbitrale, elle renvoie les parties devant le tribunal arbitral après avoir caractérisé un lien entre l’action et la clause. Exactement ce qu’il faut faire (en ce sens, v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685, nos 12 s.).

Malheureusement, comme trop souvent, cette rigueur n’est pas toujours partagée, même à la cour d’appel de Paris (Paris, pôle 1, ch. 8, 13 nov. 2020, n° 20/10471, Atos). La clause est considérée comme « manifestement inapplicable » au motif qu’« aucune partie ne propose de traduction exhaustive bien qu’elle soit en langue anglaise » et qu’elle « est rédigée de telle manière qu’elle est manifestement inapplicable : en effet, l’article 28.2 du GMSA indique que chaque partie peut soumettre un différend entre elles à l’arbitrage, conformément à ce qui est indiqué être la section suivante, laquelle ne correspond aucunement à l’hypothèse d’un arbitrage. Les parties sont ainsi convenues d’une clause compromissoire inapplicable parce qu’inaboutie ». Aucun des deux arguments ne convainc. S’il est regrettable que les parties n’aient pas traduit la clause, cet incident ne doit pas être de nature à la rendre inapplicable. Par ailleurs, son incomplétude n’est aucunement de nature à la rendre manifestement inapplicable, dès lors qu’il existe, pour pallier cette lacune, un juge d’appui !

2. Le choix des arbitres

a. Le remplacement par la volonté d’une seule partie

En dehors des questions portant sur l’exception d’incompétence, il est assez rare de voir des cours d’appel saisies de litiges portant sur l’arbitrage. Un recours en annulation devant la cour d’appel de Dijon constitue à l’évidence une rareté (Dijon, 12 nov. 2020, n° 18/00617). La question posée ne manque pas d’intérêt. Il s’agit de savoir si, et le cas échéant jusqu’à quelle date, une partie ayant choisi un arbitre peut modifier son choix. Pour la cour d’appel, le remplacement peut intervenir tant que le tribunal, « non encore définitivement constitué, n’avait pas abordé l’examen du fond de l’affaire ». Les textes sont effectivement incertains sur cette question. L’article 1458 du code de procédure civile énonce que « l’arbitre ne peut être révoqué que du consentement unanime des parties ». Néanmoins, il convient de se demander si la règle s’applique seulement après la constitution du tribunal arbitral, prévue à l’article 1456 du code de procédure civile : « Le tribunal arbitral est constitué lorsque le ou les arbitres ont accepté la mission qui leur est confiée ».

Si l’on retient la figure du contrat d’arbitre (contra, L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, thèse ss la dir. de F.-X. Train, Paris Nanterre, 2018), la question est de savoir à quelle date celui-ci est formé et, par conséquent, la date à laquelle l’arbitre, pour être révoqué, doit l’être par la partie plurale. Pour Thomas Clay, « le contrat d’arbitre se forme quand l’acceptation rencontre l’offre, c’est-à-dire quand l’arbitre accepte la mission que les litigants lui proposent » (T. Clay, L’arbitre, préf. P. Fouchard, Dalloz, 2001, n° 646). Quand bien même l’auteur prévoit une réserve, celle-ci n’est pas dirimante : « il existe une condition supplémentaire à la formation du contrat d’arbitre : il ne suffit pas que l’arbitre ait accepté la mission, encore faut-il qu’il puisse l’accomplir. Autrement dit, la formation du contrat d’arbitre est toujours subordonnée à la condition suspensive que le tribunal soit effectivement saisi du litige » (T. Clay, L’arbitre, op. cit., n° 647). En effet, l’existence d’une condition suspensive n’est pas de nature à préserver le droit d’une partie de révoquer l’arbitre. Car ce sont bien les deux parties, ensemble, qui désignent l’arbitre : « il faut du reste distinguer le choix de l’arbitre qui n’est que la proposition d’un nom et la désignation de celui-ci qui procède des litigants conjointement » (T. Clay, L’arbitre, op. cit., n° 625). En définitive, la question soulevée devant la cour d’appel de Dijon peut faire l’objet de discussions et un arrêt de la Cour de cassation ne manquerait pas d’intérêt.

b. La désignation par le juge d’appui

Dans une affaire où les faits sont assez confus, une partie a saisi le juge d’appui afin de voir désigner un arbitre, ce à quoi le juge d’appui a fait droit. D’après l’article 1460 du code de procédure civile, il en résulte qu’aucune voie de recours n’est ouverte dès lors que le juge procède à la désignation. Il faut réserver l’exception de l’excès de pouvoir, qui ouvre la voie à un appel-nullité (v. par ex. Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Garoubé, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin image ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 787). C’est justement cette question qui est posée à la cour d’appel de Montpellier (19 nov. 2020, n° 19/04956, Vista), avec une situation particulière : dans le cadre de la désignation de l’arbitre par le juge d’appui, toutes les parties n’ont pas été appelées à l’instance. La cour rejette le recours, au motif que « le fait que tous les participants aux actes de cession n’aient pas été appelés à la cause par les parties demanderesses, sans que les défenderesses n’aient jugé utile d’y remédier, ne saurait constituer un excès de pouvoir du juge ». La solution est logique. Il faut néanmoins se demander si le débat ne peut pas rebondir au stade du recours contre la sentence, au motif que l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral n’a pas été respectée. Peu probable, mais la question mérite d’être posée…

III. La sentence arbitrale

A. L’internationalité de l’arbitrage

Les décisions sur le caractère interne ou international de la sentence ne sont pas si fréquentes, sans doute car la plupart du temps, la qualification est évidente. Elle est pourtant posée au conseiller de la mise en état, au détour d’une question sur l’arrêt de l’exécution (provisoire ?) de la sentence (Paris, ord., 1er déc. 2020, n° 20/08033, EPPOF). Le conseiller vise logiquement l’article 1504 du code de procédure civile termes duquel « est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ». Il ajoute qu’il « résulte de cette définition exclusivement économique que l’arbitrage revêt un caractère international lorsque le différend soumis à l’arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État, peu important la qualité ou la nationalité des parties, la loi applicable au fond du litige ou à la procédure, ainsi que le siège du tribunal arbitral. Cette qualification ne dépend pas de la volonté des parties ». Rien de nouveau sur le front des principes.

En revanche, l’application aux faits est intéressante, puisque litige oppose des sociétés françaises et concerne un bien immobilier situé à Paris, ce qui peut faire présumer une qualification interne. Cependant, le juge va au-delà de ces apparences et s’intéresse à la réalité du contrat. Il constate que le contrat d’« Advisory Agreement », certes signé entre sociétés françaises, l’est au bénéfice d’un investisseur. Le juge recherche alors l’identité de cet investisseur et constate qu’il s’agit d’une société allemande. Il en conclut que « l’opération d’optimisation convenue, à savoir le rendement locatif de l’immeuble situé en France, pour cet investisseur allemand, le Fonds BTI, est donc une opération d’investissement de nature transfrontalière, qui ne se dénoue pas économiquement uniquement en France, contrairement à ce que soutient la société EPPOF et met dès lors en cause les intérêts du commerce international ». La solution est intéressante et ce refus de se limiter aux apparences paraît conforme à l’esprit de l’article 1504 du code de procédure civile. On s’éloigne néanmoins de la solution retenue dans l’affaire Tapie (Paris, 17 févr. 2015, n° 13/13278, Sté CDR créances c. Sté CDR-Consortium de réalisation, Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech ; ibid. 18 déc. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1253 image, note D. Mouralis image ; ibid. 425, édito. T. Clay image ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. arb. 2015. 832, note P. Mayer ; JCP 2015. 289, note S. Bollée ; Procédures avr. 2015. Étude 4, obs. L. Weiller ; Cah. arb. 2015. 281, note A. de Fontmichel  ; Gaz. Pal. 2015, n° 94, p. 17, note M. Boissavy ; ibid., n° 167, p. 22, obs. M. Nioche ; Bull. ASA 2016. 207, note M. Henry ; Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904 et 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1505 image ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2589, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine image ; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry), ce qui laisse entendre que l’interprétation restrictive de l’internationalité aperçue dans cet arrêt n’était qu’une parenthèse (politique).

B. L’exequatur de la sentence

Les difficultés relatives à l’exequatur des sentences arbitrales sont assez rares. Cette procédure « coup de tampon » ne suscite pas vraiment l’intérêt de la doctrine. C’est pourtant une très belle question qui est posée à la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 12 nov. 2020, n° 19-18.849, IPSA Holding, D. 2020. 2286 image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image) à propos d’un arrêt d’appel déjà commenté (Paris, 14 mai 2019, n° 17/09133, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). En l’espèce, la procédure collective a été ouverte après la reddition de la sentence, mais avant son exequatur. Comment, dans ces circonstances, articuler le principe de suspension des poursuites individuelles avec une sentence déjà rendue ?

La Cour de cassation donne deux réponses importantes. La première est assez simple : le principe de l’arrêt des poursuites individuelles des créanciers est à la fois d’ordre public interne et international et l’exequatur ne saurait « sans méconnaître le principe susvisé, rendre exécutoire une condamnation du débiteur à paiement de sommes d’argent ». Pour respecter l’arrêt des poursuites, la sentence ne peut donc être revêtue de la force exécutoire.

Est-ce à dire que l’exequatur ne peut pas être sollicité pour ces sentences ? Ce n’est pas la solution retenue, et c’est le deuxième apport de l’arrêt. À cet égard, la cour énonce que « l’exequatur prononcé dans de telles circonstances ne peut avoir pour objet que la reconnaissance et l’opposabilité en France ». Cela revient à se réapproprier une distinction, déjà connue du droit international privé, entre, d’un côté, la force exécutoire, qui est exclue par l’arrêt des poursuites et, d’un autre côté, l’efficacité substantielle et l’autorité de la chose jugée, qui sont susceptibles d’être accordés par la voie de la reconnaissance (on signalera que, pour l’autorité de la chose jugée, l’article 1484 du code de procédure civile ne la fait pas dépendre de la reconnaissance. Elle n’en demeure pas moins précaire en son absence).

Dans quelle hypothèse cet exequatur « amputé » sera-t-il demandé ? La Cour énonce qu’il s’agit de la situation où la « vérification des créances fait apparaître une contestation à l’égard de laquelle le juge-commissaire n’est pas compétent », afin de permettre au créancier « de faire reconnaître son droit de créance ». En réalité, et si l’arrêt n’est pas parfaitement clair et nécessite des connaissances en procédure collective, il semble que l’hypothèse soit celle où le juge-commissaire est incompétent, sur le fondement des articles L. 624-2 et R. 624-3 et suivants du code de commerce, pour connaître d’une contestation sérieuse portant sur la créance (v. Rép. com., v° Entreprise en difficulté : procédure et organes, par P. Cagnoli, n° 645). En présence d’une telle contestation sérieuse, l’article R. 624-5 du code de commerce prévoit que les parties sont renvoyées à mieux se pourvoir et à saisir la juridiction compétente. Quelle est la juridiction compétente ? Pour une sentence rendue en France, il doit s’agir du juge de l’annulation, qui peut être saisi directement par le débiteur. En revanche, pour une sentence rendue à l’étranger, comme c’est le cas en l’espèce, le juge de l’annulation n’est pas accessible. Or le débiteur n’est pas en mesure de saisir directement la cour d’appel. Pire, s’il demande l’exequatur, il sera privé du droit de faire appel de l’ordonnance, faute d’intérêt à agir (Paris, 10 nov. 1987, Rev. arb. 1989. 669, note A.-D. Bousquet ; Bull. ch. avoués 1988. 1. 5). Afin de trancher cette contestation sérieuse, la Cour de cassation considère donc qu’il convient pour le créancier de demander l’exequatur, ce qui permettra, le cas échéant, au débiteur de faire appel de l’ordonnance. Ainsi, les parties pourront se retrouver devant le juge « naturel » de la sentence, à savoir la cour d’appel saisie d’un recours contre l’ordonnance d’exequatur. À l’issue du débat, la contestation sera tranchée et la créance sera définitivement fixée.

Finalement, la véritable question qui se pose, à la lecture de cet arrêt, est celle de savoir si l’on doit considérer qu’une contestation sur les conditions de reconnaissance en France d’une sentence doit être qualifiée de « contestation sérieuse ». Nous nous garderons de donner une réponse en droit des procédures collectives. Néanmoins, il convient de rappeler que la créance déclarée à la procédure collective a été reconnue par un acte juridictionnel. Or en principe, n’importe quel juge peut, par voie incidente, se prononcer sur la reconnaissance de la sentence dans l’ordre juridique français. N’était-ce pas suffisant pour permettre au juge-commissaire de trancher cette question ? La question est posée.

IV. Les recours contre la sentence

A. Aspects procéduraux des recours contre la sentence

1. L’arrêt de l’exécution de la sentence

Depuis le décret du 13 janvier 2011, le recours en annulation n’est plus suspensif d’exécution, mais le conseiller de la mise en état peut arrêter ou aménager l’exécution si elle est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties (C. pr. civ., art. 1526). En principe, le critère posé par l’article 1526, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à une analyse casuistique de la situation économique du créancier ou du débiteur (v. I. Michou, « L’exécution provisoire de la sentence internationale », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, p. 119, nos 15 s.). Deux ordonnances ajoutent leur pierre à l’édifice jurisprudentielle en la matière.

Dans l’affaire EPPOF (Paris, ord., 1er déc. 2020, n° 20/08033, cité supra), le conseiller de la mise en état fait un rappel complet des principes applicables à l’arrêt de l’exécution contre une sentence internationale (v. déjà Paris, ord., 30 juin 2020, n° 20/04017, Compagnie de sécurité privée et industrielle, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). Prenant appui sur le rapport au Premier ministre relatif au décret du 13 janvier 2011, le juge énonce qu’« il ressort de ces éléments que l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution de la sentence, qui ne peut dépendre du caractère sérieux du recours en annulation, doit être apprécié strictement, sous peine de rendre ineffective l’absence d’effet suspensif du recours en annulation, quand bien même le texte de l’article 1526 précité ne cantonne pas expressément son bénéfice à une appréciation des seules conséquences économiques d’une exécution de la sentence pour l’une des parties ». Il ajoute que « cette interprétation stricte de l’article 1526, alinéa 2, conduit à subordonner le bénéfice de l’arrêt ou de l’aménagement à une appréciation in concreto de la lésion grave des droits que ladite exécution est susceptible de générer, de sorte que ce risque doit être, au jour où le juge statue, suffisamment caractérisé et qu’il ne saurait découler de l’article 1526 du code de procédure civile une faculté pour le juge d’accorder à une partie le droit de s’opposer à l’exécution d’une sentence pour un motif général, abstrait ou hypothétique, voire pour des conséquences manifestement excessives, ce critère n’étant pas identique à la lésion grave des droits requise par l’article 1526, alinéa 2 ». Enfin, il termine l’énoncé des fondements en soulignant qu’il « appartient à la partie qui invoque le bénéfice de l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution de la sentence de produire tous éléments de nature à établir que l’exécution de la sentence mettrait sa situation gravement en péril qu’elle soit économique ou autre, soit que la sentence précarise gravement sa situation, soit qu’il lui soit impossible de recouvrer les fonds en cas de succès du contentieux portant sur le contrôle de la sentence, soit qu’elle engendre toute autre lésion grave de ses droits, qu’il lui appartient de justifier ». En somme, la décision rappelle deux choses : la lésion grave doit être distinguée des conséquences manifestement excessives ; l’analyse se fait in concreto.

Les faits sont en revanche moins significatifs. Pour la première fois, et certainement pas la dernière, le débiteur invoque les circonstances dues au coronavirus pour étayer une situation précaire et un risque de cessation des paiements en cas d’exécution. Pour le juge, ce risque ne suffit pas à établir le caractère « gravement lésionnaire » de l’exécution. Autrement dit, il est insuffisant de plaider un risque ou le caractère inopportun de l’exécution : il faut démontrer concrètement en quoi l’exécution entraîne une lésion grave aux droits d’une partie. Il faut bien admettre que la distinction est fuyante. Elle justifie en l’espèce un rejet de la demande d’arrêt.

Néanmoins, il faut rappeler que la compétence pour trancher la question de l’arrêt de l’exécution incombe soit au premier président, soit au conseiller de la mise en état. Peut-on envisager une stratégie, visant à favoriser la saisine de l’un plutôt que de l’autre ? Difficile à dire. Pour autant, dans une affaire Couach (Paris, ord. prés., 4 nov. 2020, n° 20/09273), la partie a saisi le premier président d’une demande d’arrêt de l’exécution, avec plus de succès. La demande porte sur deux aspects différents : d’une part, sur la libération de fonds séquestrés entre les mains du bâtonnier de Paris ; d’autre part, sur des saisies-attributions sur les comptes bancaires du débiteur. Sur le séquestre, le délégué du premier président ne trouve rien à redire, dès lors qu’il estime que les sommes consignées proviennent du patrimoine du créancier. Il n’y a donc pas lieu d’arrêter la libération de fonds sur lesquels le débiteur ne dispose d’aucun droit. En revanche, sur les saisies-attribution, le juge accepte d’arrêter l’exécution. D’abord, il constate que « la mesure d’exécution n’a pas encore produit ses effets et n’est donc pas consommée » : time is of the essence. Ensuite, il signale la situation économique « très précaire » du débiteur, établie par la production d’une analyse d’un cabinet d’expertise comptable sur sept exercices « tous largement déficitaires ». Enfin, il caractérise le risque de non-restitution des fonds : absence de biens en France et absence d’activité économique réelle du créancier. Surtout, et c’est à signaler, la cour constate l’absence de convention d’entraide judiciaire avec la Turquie et « les relations diplomatiques extrêmement tendues à l’heure actuelle entre la France et la Turquie » pour achever de se convaincre.

2. L’appel-nullité contre une mesure d’administration de l’arbitrage (!)

L’arrêt ITOC est intéressant (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231). Dans le cadre de la procédure arbitrale, les parties s’opposent sur l’audition de certains témoins. En conséquence, le tribunal arbitral a rendu une ordonnance de procédure pour régler cette question et déterminer les témoins susceptibles d’être entendus. Cette décision est-elle susceptible de recours ? Non, selon la cour, qui énonce que « cette décision par laquelle les arbitres se prononcent sur les auditions susceptibles d’être organisées ne tranche en aucune manière tout ou partie du litige au fond qui oppose les parties, la compétence ou bien encore un incident de procédure mettant fin à l’instance ». Par cette réponse, la cour reprend la définition de la sentence arbitrale posée par l’arrêt Sardisud (Paris, 25 mars 1994, Sardisud, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson). Elle en conclut que « cette “ordonnance de procédure” ne constitue donc pas une sentence, mais une simple mesure d’administration de l’arbitrage non susceptible de recours ».

En réalité, derrière cette question se cache le débat relatif à la qualification des mesures d’instruction. Le droit de l’arbitrage considère classiquement que les mesures d’instruction relèvent de l’ordonnance de procédure. Cette dernière position est partagée par la jurisprudence judiciaire (en matière d’expertise, v. Paris, 25 mars 1994, Sardisud, préc. ; Civ. 1re, 17 juin 2009, Crédirente, Rev. arb. 2009. 741 [1re esp., 2e décis.], note C. Chainais ; Civ. 2e, 6 déc. 2001, Petit-Perrin, Rev. arb. 2002. 697, note J. Ortscheidt ; Procédures 2002, n° 27, obs. H. Croze) et arbitrale (pour l’audition des témoins, v. ord. CCI rendue dans l’affaire 7170, 1992, JDI 1993. 1082, note D. Hascher ; pour la nomination d’un expert, v. ord. CCI rendue dans l’affaire 5082, 1988, JDI 1993. 1072 [2e esp.], note D. Hascher) ainsi que la doctrine (S. Jarvin, Les décisions de procédure des arbitres peuvent-elles faire l’objet d’un recours juridictionnel ?, Rev. arb. 1998. 611, spéc. p. 617 s. ; F.-X. Train, Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales étrangères : le droit français au prisme de la Convention de New York, RIDC 2014. 249, n° 12, François-Xavier Train considère que la qualification d’ordonnance « ne suscite pas de difficulté lorsqu’il s’agit de décisions […] ordonnant une expertise »). Il n’est pas étonnant de voir la qualification de sentence écartée. En l’espèce, elle l’est au profit de la qualification de « mesure d’administration de l’arbitrage » qui fait, à notre connaissance, l’objet d’une première consécration jurisprudentielle après avoir été appelée de ses vœux par la doctrine (P. Duprey et C. Fouchard, note ss Paris, 26 févr. 2013, Rev. arb. 2014. 82, n° 7 ; C. Chainais, note ss Paris, 29 nov. 2007, Civ. 1re, 17 juin 2009 ; Paris, 3 juill. 2008 ; Paris, 25 sept. 2008, Rev. arb. 2009. 741, spéc. p. 759 : l’auteur parle de « mesure d’administration arbitrale » ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 101 s.).

Toutefois, toutes les mesures d’instruction n’ont pas exactement la même portée. Certaines sont susceptibles de léser immédiatement et gravement les droits des parties, à tel point que l’on peut préconiser une qualification de sentence (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 105 s.). Or il est intéressant de constater que, sans retenir une telle qualification, la cour d’appel envisage l’ouverture d’une voie de recours contre cette mesure d’administration de l’arbitrage. Pour cela, elle énonce que, « si en droit français l’existence d’un excès de pouvoir est susceptible de rendre recevable un appel-nullité à l’encontre d’une mesure d’administration judiciaire, encore faut-il que le grief formulé à l’encontre de la mesure querellée permette de caractériser un tel excès de pouvoir », avant de rejeter le recours au motif que « la seule violation du principe du contradictoire ne constitue pas une méconnaissance par l’arbitre de l’étendue de ses pouvoirs de sorte qu’elle ne peut caractériser un excès de pouvoir ». Si le recours est rejeté en l’espèce, il est clair que la cour d’appel l’envisage, sur le fondement de l’excès de pouvoir. C’est donc un « recours en annulation-nullité » qui voit potentiellement le jour avec cette décision. On peut regretter cette porte ouverte, qui pourrait donner lieu à une avalanche de contestations. En réalité, la question véritablement importante n’est pas celle d’un éventuel excès de pouvoir (parfaitement hypothétique), mais celle de l’exercice d’une prérogative juridictionnelle par l’arbitre. Néanmoins, lorsque l’arbitre exerce une prérogative juridictionnelle, c’est une qualification de sentence qu’il faut retenir, et pas seulement un recours en annulation-nullité fondée sur un excès de pouvoir. En revanche, à défaut d’exercice d’une prérogative juridictionnelle, aucune voie de recours ne doit être ouverte.

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle voie de recours posera une double question. Premièrement, comment définir l’excès de pouvoir ? À cet égard, on est tenté de renvoyer vers un précédent arrêt (Paris, 26 févr. 2020, n° 19/22834, Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques), qui a énoncé : « Il est de principe qu’il y a excès de pouvoir lorsque le juge s’arroge des attributions que le dispositif normatif lui refuse ou lorsqu’il refuse d’exercer les compétences que la loi lui attribue. La violation de règles de fond ou de procédure, même lorsqu’il s’agit de la violation d’un principe essentiel de procédure, tel celui du contradictoire ou de la méconnaissance de l’objet du litige, ne constitue pas un excès de pouvoir, mais une simple erreur de droit. Il en est de même en cas d’absence de motivation ou de motivation insuffisante ». Reste à savoir si cette définition sera confirmée. Deuxièmement, quels griefs seront invocables contre la mesure d’administration de l’arbitrage ? A priori, la recevabilité et le bien-fondé du recours sont intimement liés : si le recours en annulation-nullité est recevable, c’est que l’excès de pouvoir est caractérisé et que l’acte doit être annulé. Autrement dit, il ne devrait pas être nécessaire de s’inscrire ensuite dans les cas d’ouverture du recours prévus par les articles 1492 et 1520 du code de procédure civile.

B. Aspects substantiels des recours contre la sentence

1. La compétence

C’était malheureusement à prévoir. L’arrêt Rusoro (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi) a ouvert une voie d’eau dans le contrôle de la compétence (à laquelle vient désormais s’ajouter celle de l’arrêt Schooner…). La cour d’appel, prise à son propre piège, aura bien du mal, sauf à se dédire, à refermer la porte.

De quoi parle-t-on ? Pour rappel, dans l’arrêt Rusoro, un TBI prévoit un délai pour permettre à l’investisseur de présenter ses demandes devant un tribunal arbitral. Assez simplement, il s’agit de savoir s’il faut retenir une qualification de recevabilité ou de compétence pour cette question. Alors que tout indique qu’une question de prescription doit s’analyser en termes de recevabilité – excluant ainsi un examen par le juge de l’annulation –, la cour d’appel a retenu une qualification de compétence. Certes, on aura pu dire de cet arrêt qu’il doit être lu comme révélant une spécificité de l’arbitrage d’investissements, lié aux modalités des rédactions des TBI. Il n’en demeure pas moins que, dans le recours en annulation, toute faille doit être exploitée lorsque l’on cherche à remettre en cause une sentence.

On est donc à peine étonné de voir un demandeur à l’annulation tenter de forcer le passage pour faire qualifier de compétence ce qui devrait, normalement, être balayé d’un revers de la main (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c. Keppel Seghers Engineering Singapore). En l’espèce, il s’agit d’une banale clause règlement amiable du différend préalable à la saisine du tribunal arbitral, qualifiée de longue date de condition de recevabilité (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude). C’était sans compter l’effet Rusoro. Pour le requérant, « les parties, en stipulant une telle clause, ont entendu limiter le champ d’application ratione materiae de la clause compromissoire et, partant la compétence ratione materiae du tribunal arbitral ». On le voit, la tentation est forte de faire entrer toute exigence contractuelle de recevabilité dans le champ de la compétence (et pourquoi, d’ailleurs, s’arrêter aux exigences contractuelles ?).

Face à cette argumentation, la solution de la cour d’appel est naturellement très attendue. Et force est de constater qu’on est loin d’une réponse ferme.

Les faits de l’espèce sont importants. Les conditions générales contractuelles contiennent une clause dans laquelle on trouve cette procédure préalable applicable aux réclamations. Figure également dans cette disposition une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux du Qatar. La clause compromissoire, quant à elle, a été ajoutée par un amendement aux conditions contractuelles. Pour le demandeur, la convention d’arbitrage s’insère dans la clause de règlement des litiges du contrat principal et exige le passage par la procédure amiable. Or, à cet égard, la cour d’appel écrit noir sur blanc qu’« analysé en ces termes, ce moyen est bien recevable ». Comment, dès lors, ne pas y voir une consécration de la qualification de compétence pour une clause de mode amiable préalable à la saisine d’un tribunal arbitral ? Comment, demain, ne pas s’attendre à une consécration identique pour toute autre clause contractuelle, par exemple, une clause relative à la prescription ? Comment ne pas craindre, après-demain, l’éviction du critère de la clause contractuelle et voir basculer l’intégralité des questions de recevabilité sous l’angle de la compétence ?

Néanmoins, l’analyse de la cour ne s’arrête pas là. Elle constate qu’il y a un doute quant à l’articulation entre la clause issue des conditions générales contractuelles et la clause compromissoire ajoutée par l’amendement aux conditions contractuelles. Elle énonce qu’il n’est « nullement indiqué dans l’accord qui la contient qu’elle aurait vocation à s’insérer dans le descriptif précité et à se substituer au seul article 20.4 des conditions générales ». Elle en déduit que « quand bien même cette clause n’a pas vocation à supprimer le processus mis en place préalablement par les parties […], le non-respect de ce processus ne saurait conduire à limiter, au regard de la généralité des termes de la clause compromissoire, la compétence du tribunal arbitral, sans préjudice de l’appréciation par ce dernier de la recevabilité des demandes ». Autrement dit, c’est uniquement parce qu’il y a un doute dans l’articulation entre la clause de règlement amiable et la clause compromissoire, et grâce à la généralité de cette dernière qu’en l’espèce, la qualification de compétence est écartée. A contrario, c’est une confirmation supplémentaire qu’une clause de règlement amiable préalable articulée avec une clause compromissoire dans un contrat pourra, désormais, entrer dans le périmètre d’examen relatif à la compétence. L’effet Rusoro a donc commencé à détricoter méthodiquement la distinction classique entre compétence et recevabilité.

2. Le respect par l’arbitre de sa mission

a. L’ultra petita

Le grief d’ultra petita n’est pas si fréquemment retenu par la jurisprudence. Pour ce qui est du montant des demandes, il impose simplement aux arbitres de ne pas accorder plus que ce qu’il leur a été demandé. C’est finalement une application de l’article 4 du code de procédure civile à l’arbitrage. Dans l’arrêt Keppel (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, préc.), la situation est particulièrement intéressante, car, parmi de nombreux postes de préjudices dont la réparation est demandée, les arbitres ont accordé, pour l’un, la somme de 2 591 892,98 QAR au lieu de 2 572 826,64 QAR. Ainsi, une somme de 21 000 QAR environ a été accordée en plus de ce qui a été demandé par les parties, ce qui représente environ 1 % de ce poste de préjudice, moins de 0,02 % du montant total de la condamnation et moins de 0,006 % du montant total des demandes.

Pour tenter de sauver la sentence d’une annulation partielle, le défendeur invoque deux arguments : que, malgré la demande chiffrée, il était demandé au tribunal une condamnation « aux sommes qu’il jugerait appropriées » ; que le dépassement du montant ne tombe pas sous le coup de l’ultra petita lorsque le montant ne dépasse pas le montant de la demande globale.

Malheureusement, les deux arguments sont rejetés et la sentence est annulée partiellement. D’une part, la cour juge que la formule invitant le tribunal à une condamnation à des sommes qu’il pourrait évaluer « n’autorise nullement le tribunal à aller au-delà des sommes demandées, mais seulement à accorder le cas échéant une somme différente dans la limite de ce plafond ». D’autre part, elle considère que lorsque la demande est formulée « poste par poste » et que le tribunal tranche « poste par poste », c’est à ce niveau que l’examen de l’ultra petita doit être examiné. L’une et l’autre de ces appréciations sont convaincantes. On ajoutera que le caractère véniel du dépassement, comme c’est le cas en l’espèce, n’y change rien. L’arbitre doit respecter méticuleusement les demandes des parties et ne jamais dépasser, poste par poste, le montant demandé.

b. Le respect des règles procédurales

Lorsque les parties déterminent des règles procédurales applicables, le non-respect de celles-ci entraîne-t-il l’annulation de la sentence ? La jurisprudence l’admet depuis longtemps (Paris, 1er juill. 1999, Sté Braspetro Oil Services [Brasoil] c. GMRA, Rev. arb. 1999. 834, note C. Jarrosson). Cependant, la question qui demeure est de savoir si la seule violation de ces règles est susceptible d’entraîner l’annulation où s’il est nécessaire d’établir un grief ? La doctrine se prononce le plus souvent en faveur de la nécessité d’un grief (A. Pinna, L’autorité des règles d’arbitrage choisies par les parties, Cah. arb. 2014. 9 ; P. Giraud, La conformité de l’arbitre à sa mission, thèse, ss la dir. de C. Jarrosson, Paris 2, 2014, n° 483), mais les décisions ne sont pas fréquentes. Deux arrêts viennent, coup sur coup, confirmer expressément cette solution.

Dans l’arrêt ITOC, il est reproché aux arbitres de ne pas avoir respecté les règles procédurales arrêtées par les parties (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231, ITOC). De façon tout à fait classique, l’arrêt retient que « le tribunal arbitral s’écarte de sa mission s’il ne respecte pas les règles procédurales qui ont été arrêtées par les parties » (en dernier lieu, v. Paris, 23 juin 2020, n° 18/09652, Ginkgo, Dalloz actualité, 29 juillet 2020, obs. J. Jourdan-Marques). En revanche, l’arrêt ajoute que « cet écart, en ce qu’il porte sur une règle procédurale, ne saurait emporter l’annulation de la sentence que si l’irrégularité procédurale avait été soulevée préalablement devant le tribunal arbitral et s’il est établi qu’il a pu causer à une partie un grief ou qu’il a eu une incidence sur l’issue du litige ». C’est une solution globalement identique, bien que rédigée différemment, qui est retenue dans l’affaire Sterling Merchant Finance (Paris, 1er déc. 2020, nos 19/09347, 19/09352, 19/09554 et 19/09725, Sterling Merchant Finance). Le requérant invoque une violation des IBA rules concernant les demandes de production de documents. La cour rappelle qu’« il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de l’annulation de sanctionner une mauvaise application des règles de procédure choisies par les parties, sauf à ce que l’application alléguée comme étant erronée emporte une violation du principe de la contradiction ».

c. L’utilisation de ses pouvoirs par l’arbitre

Dans l’arrêt Keppel (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, préc.), et alors que les arbitres ont reçu mission de statuer en droit, la cour rappelle une définition tout à fait intéressante de l’amiable composition, déjà esquissée précédemment (Paris, 23 janv. 2018, n° 16/12618, D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via, Dalloz actualité, 14 janv. 2020, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Elle souligne que « l’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d’en exiger la stricte application et les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou modérer les conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l’équité ou l’intérêt commun bien compris des parties l’exige ».

Dans l’arrêt Sterling Merchant Finance (Paris, 1er déc. 2020, nos 19/09347, 19/09352, 19/09554 et 19/09725, préc), la cour examine le raisonnement du tribunal arbitral pour vérifier qu’il a bien statué en droit. Après avoir rappelé les principales étapes du raisonnement du tribunal, la cour retient que « loin de statuer en équité pour examiner le principe d’une rémunération variable due, le tribunal arbitral s’est appuyé sur le contrat dont il a interprété les clauses contractuelles pour admettre le droit de la société Sterling au bénéfice d’une telle rémunération, sans nullement modifier l’économie du contrat en substituant aux obligations contractuelles des obligations nouvelles ne répondant pas à l’intention commune des parties ». Elle ajoute que « la République algérienne ne saurait considérer que le tribunal arbitral s’est ainsi comporté en amiable compositeur alors que ce comportement ne saurait à lui seul résulter d’une interprétation du contrat dont elle considère qu’elle n’est pas conforme à sa thèse au risque de sanctionner sous couvert du non-respect de la mission de l’arbitre, une mauvaise appréciation des termes du contrat et donc un mal jugé par le tribunal arbitral ». Pour autant, la sentence est tout de même partiellement annulée. En effet, si le principe de la rémunération a bien été examiné en droit, le montant de celle-ci l’a été en équité. Le tribunal arbitral a notamment jugé que « le tribunal privilégie l’équité, car il serait illogique et injuste d’accorder à la demanderesse la totalité de la rémunération variable pour un résultat qui n’a pas été atteint uniquement grâce à sa contribution ». La cour constate dès lors que « le tribunal s’est délibérément et expressément fondé sur l’équité pour évaluer le montant de la rémunération variable ». L’arrêt rappelle utilement que si le tribunal arbitral est libre d’interpréter le contrat, il ne peut convoquer l’équité pour en modifier le sens.

Dans un arrêt ayant un très faible intérêt (Paris, 24 nov. 2020, n° 18/06448, Bouygues Bâtiment Île-de-France), rédigé de façon inhabituelle pour une décision du pôle 1, chambre 1 (mais en l’absence de sa présidente), il est reproché aux arbitres d’avoir « délégué » leur pouvoir juridictionnel aux experts. On sait en effet que certaines questions sont éminemment complexes et que, en dépit de leurs qualités, les arbitres ne sont pas toujours en mesure d’apprécier certaines données dans toute leur technicité. Ceux-ci peuvent avoir tendance à s’en remettre aveuglément aux experts, ce qui conduit à refuser de mener la mission qui leur est confiée. En l’espèce, le moyen est écarté. La cour constate « le tribunal arbitral n’a pas délégué son pouvoir juridictionnel, mais a procédé à une appréciation des circonstances et des demandes, en prenant en considération les moyens développés par les parties et en faisant siennes les constatations des experts relatives aux travaux supplémentaires, sous réserve des aspects qu’ils n’avaient pas encore analysés, et ce en confrontant la solution retenue aux exigences de l’équité ». La ligne à suivre, équilibrée, semble être la suivante : oui pour s’approprier les conclusions d’un rapport d’expertise, mais à condition d’examiner l’ensemble des arguments des parties et, lorsque c’est la mission qui leur est confiée, confronter la solution à l’équité.

3. Le principe du contradictoire

Dans l’affaire Sterling Merchant Finance (Paris, 1er déc. 2020, nos 19/09347, 19/09352, 19/09554 et 19/09725, préc.), plusieurs griefs relatifs à une violation de la contradiction sont soulevés. La cour rappelle que « le principe de la contradiction fait obstacle à ce qu’une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter. Il est interdit également que des écritures ou des documents soient portés à la connaissance du tribunal arbitral sans être également communiqués à l’autre partie, et que des moyens de fait ou de droit soient soulevés d’office sans que les parties aient été appelées à les commenter ». En l’espèce, il est reproché à une partie d’avoir utilisé, lors de l’audience, un Powerpoint, lequel n’a pas été communiqué à la partie adverse, qui n’est pas comparante. La cour rejette le moyen, aux motifs que la partie a été régulièrement invitée à comparaître, que le document est simplement illustratif et que son utilisation est conforme à l’invitation du tribunal arbitral.

4. L’ordre public international

L’ordre public international ne doit pas devenir le filon pour remettre en cause les sentences arbitrales. La jurisprudence en a bien conscience, et écarte régulièrement des griefs qui ne sauraient être invoqués sur ce fondement. En revanche, lorsque le débat glisse sur le terrain de la corruption, les chances de survie de la sentence sont devenues très faibles.

a. La loyauté procédurale

On signalera simplement, mais ce point est loin d’être dépourvu d’intérêt, que la cour d’appel de Paris reconnaît dans l’arrêt Sécuriport (Paris, 27 oct. 2020, n° 19/04177) que la loyauté probatoire n’est pas un principe d’ordre public international, sauf à ce qu’elle soit constitutive d’une fraude procédurale. Voilà qui vient encore réduire le champ des griefs invocables dans le cadre de l’ordre public international. On peut s’en réjouir, dès lors qu’un contrôle approfondi de l’ordre public international se justifie d’autant mieux lorsque les principes examinés sont limités.

b. La corruption

Depuis quelques années, la corruption dévaste tout sur son passage. Ce sont deux arrêts de la cour d’appel de Paris qui ont été rendus sur cette question, avec des solutions radicalement opposées pour des faits relativement proches. Une étude conjointe est donc intéressante. Elle l’est d’autant plus que ces deux arrêts présentent un point commun qui les distingue du reste de la jurisprudence récente : la corruption n’est pas invoquée dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’intermédiaire (comme dans Alstom ou Samwell, v. Paris, 10 avr. 2018, n° 16/11182, Alstom, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 2018. 465, note A. Pinna ; Paris, 15 sept. 2020, n° 19/09058, Samwell, Dalloz actualité, 19 oct. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image), mais directement dans le cadre d’un contrat conclu avec l’État. L’arrêt est plutôt à rapprocher de celui rendu dans l’affaire République démocratique du Congo c. Customs and Tax Consultancy (Paris, 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine), voire dans l’affaire Belokon (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin image ; ibid. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy).

Le premier arrêt, d’un point de vue chronologique, a été rendu par la chambre commerciale internationale à la cour d’appel de Paris (CCIP-CA) le 27 octobre 2020 dans une affaire République du Bénin contre Sécuriport (Paris, 27 oct. 2020, n° 19/04177, Sécuriport). Les faits concernent un contrat conclu entre les deux parties pour la mise en place de systèmes de contrôle des passagers aux aéroports. À la suite d’un changement de gouvernement (et moins de six mois après la conclusion du premier contrat), le conseil des ministres du Bénin a décidé de mettre fin au contrat. C’est dans ce contexte qu’un tribunal arbitral a été saisi par Sécuriport. Après avoir écarté les allégations de corruption, le défendeur a été condamné à indemniser le demandeur. Le recours porte sur la question de la conformité de la sentence à l’ordre public international.

Le deuxième arrêt a été rendu par le pôle 1, chambre 1, de la cour d’appel de Paris le 17 novembre 2020 dans une affaire État de Libye contre Sorelec (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Le litige porte sur un contrat conclu en 1979 pour la construction d’écoles et de logements. Plusieurs différends ont émaillé l’exécution du contrat, donnant lieu à la conclusion du plusieurs protocoles, dont un en 2003, fixant une créance au profit de Sorelec. Se référant aux termes de ce dernier protocole, Sorelec a introduit, en 2013, une demande d’arbitrage fondée sur un traité bilatéral d’investissements franco-libyen, pour un montant de 109 238 764 €, outre les intérêts. Au cours de la procédure d’arbitrage, Sorelec a sollicité l’homologation du nouveau protocole d’accord et d’arrangement relatif à la procédure d’arbitrage signée les 27 et 29 mars 2016 avec l’État de Libye, représenté le ministre de la Justice du gouvernement provisoire émanant du parlement. Par ce Protocole, l’État de Libye s’engage à payer à Sorelec la somme de 230 000 000 € dans les quarante-cinq jours de la notification de la sentence et, en cas de non-règlement dans les quarante-cinq jours de la notification de la sentence, prévoit que le tribunal arbitral rendra une sentence finale condamnant le défendeur à payer la somme de 452 042 452,85 €. Par une sentence du 20 décembre 2017, le tribunal arbitral a homologué l’accord et, par une sentence du 10 avril 2018, a prononcé la condamnation de l’État libyen dans les termes prévus par le protocole, faute de paiement de la somme de 230 000 000 €. Les deux sentences ont fait l’objet d’un recours en annulation formé par la Libye. Néanmoins, seule la première sentence est examinée par la cour d’appel. Le recours ne porte pas exclusivement sur la question de la conformité de la sentence à l’ordre public international, mais nous nous y limiterons.

Deux remarques préliminaires peuvent être faites à propos de l’affaire Sorelec.

D’abord, contrairement à l’affaire Sécuriport, les allégations de corruption n’ont pas été formulées devant les arbitres au stade de la sentence partielle. Pire, elles ne l’ont pas non plus été avant la reddition de la sentence finale (le 10 avril 2018), alors que celle-ci a été rendue postérieurement à l’exercice du recours contre la sentence partielle (le 26 janvier 2018). Logiquement, la cour rappelle que le « juge étatique chargé du contrôle [peut] apprécier le moyen tiré de la contrariété à l’ordre public international alors même qu’il n’a pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l’ont pas mis dans le débat ». Cette formule n’est pas nouvelle (Paris, 14 juin 2001, Tradigrain, Rev. arb. 2001. 773, note C. Seraglini) et est régulièrement reprise (Paris, 3 juin 2020, n° 19/07261, TCM, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 1970, obs. S. Bollée image ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Elle est logique, dès lors qu’il s’agit d’un grief destiné à s’assurer d’une absence de violation par la sentence d’intérêts publics. On reste néanmoins gêné de voir une partie s’en sortir à bon compte avec de telles manœuvres et d’encaisser, au passage, 150 000 € d’article 700. Certes, on ne peut pas traiter un État souverain comme un opérateur du commerce international classique, mais on espère que d’autres moyens pourront être trouvés pour contrecarrer ces stratégies procédurales.

Ensuite, la configuration de l’affaire Sorelec est particulière. La première sentence est une sentence « d’homologation » du protocole conclu entre les parties. Autrement dit, c’est une sentence d’accord-parties (sur lesquelles, v. P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, nos 1364 s.). Or la question de la qualification d’acte juridictionnel de ces sentences n’est pas certaine. En jurisprudence, la Cour de cassation a rendu une décision ambiguë sur la qualification des décisions d’accord-parties. Elle y affirme que « la simple constatation, dans le dispositif de la décision, de l’accord des parties, sans aucun motif dans le corps de celle-ci, ne peut s’analyser en un acte juridictionnel » (Civ. 1re, 14 nov. 2012, n° 11-24.238, D. 2012. 2991, obs. T. Clay image ; RTD com. 2013. 476, obs. E. Loquin image ; JCP 2012. Doctr. 1354, § 2, obs. J. Ortscheidt ; D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2013, n° 6-8, p. 21, obs. D. Bensaude). En doctrine, les avis sont partagés (en faveur, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 78 s. ; en défaveur, v. E. Loquin, note ss Civ. 1re, 14 nov. 2012, RTD com. 2013. 476 image). On aurait aimé que la cour d’appel soit saisie de cette question, d’autant qu’elle conditionne la recevabilité du recours. En tout état de cause, l’arbitre est censé contrôler le contenu de l’accord avant d’apposer sa signature. Il est néanmoins difficile de savoir si ça n’a pas été fait ou si les arbitres n’ont rien trouvé à redire à l’accord.

Pour le reste, on remarque que les deux arrêts utilisent un appareil normatif proche et qui s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence récente. Les trois premiers paragraphes de la motivation des deux décisions sont identiques et connus (Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, préc.) : « La lutte contre la corruption est un objectif poursuivi, notamment, par la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997, entrée en vigueur le 15 février 1999, et par la Convention des Nations unies contre la corruption faite à Mérida le 9 décembre 2003, entrée en vigueur le 14 décembre 2005. Suivant le consensus international exprimé par ces textes, la corruption d’agent public, qu’il soit national ou étranger, consiste à offrir à celui-ci, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles, en vue d’obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu, en liaison avec des activités de commerce international. La prohibition de la corruption d’agents publics est au nombre des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève en conséquence de l’ordre public international ». D’autres passages, sans être rédigés de façon parfaitement semblable, renvoient à des idées similaires. Dans les deux arrêts, il est rappelé qu’il revient au juge d’apprécier si « la reconnaissance ou l’exécution de la sentence viole de manière manifeste, effective et concrète l’ordre public international ». De même, la possibilité d’apporter la preuve par des « indices graves, précis et concordants » est mentionnée par l’une et l’autre des décisions. Néanmoins, on note déjà la formulation opposée sur un point : l’arrêt Sécuriport utilise une formule négative (« l’annulation de la sentence n’est encourue que s’il est démontré par des indices graves, précis et concordants ») alors que l’arrêt Sorelec utilise une formule plus positive (« l’annulation de la sentence partielle en cause est encourue s’il est démontré par un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants »). Faut-il y voir une anticipation du résultat final ou une approche fondée sur des présupposés distincts ? Difficile à dire. Enfin, les deux arrêts expliquent qu’il ne leur appartient pas de réviser au fond la sentence, mais d’examiner les indices qui leur sont soumis pour s’assurer de l’absence d’indices portant sur la corruption. On reste sceptique face à cet exercice d’équilibrisme, qui ressemble à une fausse pudeur. En réalité, il nous semble qu’il faut choisir : soit le juge de l’annulation est juge du contrat, et la sentence est indifférente puisqu’elle n’est même pas examinée ; soit le juge de l’annulation est juge de la sentence, et il faut bien admettre que pour réaliser son examen, il doit s’émanciper du principe de non-révision au fond.

Qu’en est-il des critères de l’examen ? La situation étant trop différente entre un contrat d’intermédiaire et un contrat directement conclu avec l’État, la cour d’appel se retrouve dans l’impossibilité d’appliquer les sept critères posés par l’arrêt Alstom pour caractériser la corruption. Elle est donc dans l’obligation de réfléchir dans le cadre de critères distincts. C’est sur ce point que les arrêts divergent : s’ils s’interrogent sur des critères identiques, ils en tirent des conclusions diamétralement opposées.

On peut d’abord évoquer les éléments considérés comme indifférents.

Dans l’affaire Sécuriport, la cour d’appel considère qu’il importe peu que l’État du Bénin « n’explique pas dans ses écritures la nature de l’avantage dont il aurait été question ni qui en a été le bénéficiaire ». Elle ajoute que « la mauvaise foi de l’État du Bénin est indifférente ». La première réserve se justifie par l’idée selon laquelle la preuve parfaite de la corruption est difficile à établir et que certains éléments peuvent rester occultes, notamment les bénéficiaires de la corruption. La seconde est moins claire et peut renvoyer à une diversité de comportements.

Justement, dans l’affaire Sorelec, la mauvaise foi de l’État libyen prend diverses formes. On a déjà signalé que le moyen tiré de la corruption n’a jamais été présenté devant le tribunal arbitral, même après l’exercice du recours en annulation contre la sentence partielle. Mais l’arrêt va plus loin. En effet, il retient qu’il n’y a pas lieu « eu égard au caractère occulte de cette activité, d’exiger que l’État de Libye ait engagé des poursuites pénales ». On peut considérer que la solution est logique, dès lors que cela équivaut à rappeler la difficulté d’identifier les bénéficiaires. Néanmoins, c’est oublier que, dans l’arrêt, toute l’argumentation est tournée autour du comportement du ministre de la Justice du gouvernement provisoire. Difficile, dès lors, de considérer que la cheville ouvrière de l’acte de corruption n’est pas identifiable. En outre, une telle analyse est à mettre en parallèle avec la jurisprudence antérieure. Dans l’affaire Belokon, la cour d’appel a retenu que « la circonstance que les poursuites engagées par les autorités kirghizes en 2010 n’aient pas encore débouché sur un procès au fond est dénuée de pertinence. Considérant, au demeurant, que la durée de l’instruction n’apparaît pas, en l’occurrence, manifestement disproportionnée, dès lors que les faits de blanchiment donnent lieu, par nature, à des montages opaques et complexes impliquant de multiples sociétés off shore et, qu’en outre, la plupart des personnes poursuivies dans le dossier pénal en cause ont quitté le territoire kirghiz ». Certes, les poursuites n’ont pas abouti, mais elles ont été engagées, ce qui montre, à tout le moins, que l’État ne reste pas les bras croisés chez lui tout en plaidant la corruption pour s’opposer à la sentence arbitrale. C’est une chose de dire que le contrôle du juge français est indépendant des procédures pénales ; c’en est une autre que d’affirmer que l’absence de procédure pénale est parfaitement indifférente, encore plus quand c’est l’État lui-même qui se prévaut de la corruption. Comme le signale Thomas Clay, dans cette situation, l’État gagne à tous les coups (T. Clay, obs. ss Paris, 17 nov. 2020, D. 2020. 2484 image).

Examinons maintenant les éléments utilisés au titre d’éventuels indices. Ils sont, pour l’essentiel, au nombre de quatre : la situation du pays ; la procédure suivie pour la conclusion du contrat ; le caractère précipité de la conclusion du contrat ; les termes du contrat.

Premièrement, dans l’affaire Sorelec, la cour se focalise sur la situation politique de la Libye (aucun argument équivalent ne ressort de l’arrêt Sécuriport, quand bien même la situation de corruption est évoquée par la République du Bénin dans ses prétentions). Cet indice renvoie à celui posé par l’arrêt Alstom, selon lequel il faut tenir compte du fait « que le pays en cause ou certains secteurs d’activités de ce pays soient notoirement corrompus ». Sur ce point, il est vrai que le contrat a été conclu en mars 2016, précisément au moment où la Libye se dotait d’un nouveau gouvernement d’entente nationale. Il est certain que la conclusion d’un protocole d’accord au beau milieu d’une période de transition aussi importante est un indice non négligeable. En revanche, on est plus sceptique sur l’utilisation de données datant de 2013, c’est-à-dire antérieures au début de la deuxième guerre civile libyenne, pour faire état du niveau de corruption en Libye. De même, on peut être étonné par la mention selon laquelle « le secteur public était majoritairement considéré par la population comme corrompu », dont on voit mal la portée probante.

Deuxièmement, la question de la procédure suivie pour la conclusion de ces contrats est posée. Dans l’affaire Sécuriport, c’est une violation du code des marchés publics qui est alléguée. Elle est écartée, au motif que le tribunal arbitral a constaté que la procédure prévue par le code ne s’applique pas au présent contrat et la cour ajoute, non sans ironie, que le successeur de la société Sécuriport a également été choisi sans appel d’offres. De même, l’absence d’autorisation officielle pour la signature du contrat est considérée comme ayant fait l’objet d’une régularisation par une décision officielle du conseil des ministres postérieure. À l’inverse, dans l’arrêt Sorelec, le non-respect de la procédure pour la conclusion du protocole est pris très au sérieux. Sans entrer dans le détail, il est reproché au ministre de la Justice de s’être dispensé de l’avis (consultatif) du « département du contentieux » avant d’approuver la transaction. On est néanmoins un peu étonné par l’importance donnée à cet argument. Dans l’arrêt Customs and Tax Consultancy, la cour d’appel a énoncé, certes pour écarter une qualification de loi de police, qu’« en vertu du principe de bonne foi dans l’exécution des conventions, un État ne peut invoquer devant le juge de l’annulation, afin de se délier de ses engagements contractuels, la violation de sa propre législation ». De plus, le même arrêt a ajouté que « l’inobservation des règles de transparence dans la passation des marchés publics est un indice particulièrement significatif de telles infractions, elle ne saurait être sanctionnée pour elle-même, indépendamment d’une atteinte actuelle à l’objectif de lutte contre la corruption ». Autrement dit, cet arrêt semble rechercher un certain équilibre entre l’absence de vérification des règles internes et une exigence minimale de transparence. Or on est bien en peine pour se laisser convaincre, dans l’affaire Sorelec, par l’absence totale de transparence dans la conclusion de ce protocole, dès lors que les faits figurant dans l’arrêt font état de la désignation d’une commission pour cette négociation, assistée par un conseiller financier désigné par le président du Parlement, d’un rapport de ce dernier au conseil des ministres avant la conclusion du protocole et d’une transmission du protocole au département du contentieux une fois signé. Pour asseoir son raisonnement, la cour d’appel invoque une sentence arbitrale – ce qui est intéressant du point de vue des sources du droit – constatant et condamnant des pratiques similaires au même moment en Libye – ce qui est important –, à ceci près que le bénéficiaire de la transaction est directement impliqué dans les manœuvres – ce qui n’est pas allégué pour Sorelec. Enfin, preuve ultime qu’il s’agit là d’un indice grave, précis et concordant de corruption, la cour d’appel évoque le rôle du représentant de l’État libyen à l’arbitrage, agissant sur instruction du fameux « département du contentieux » (celui dont l’autorité a été contournée), qui a été évincé de la négociation dans la conclusion du protocole. C’est oublié, comme le signale la cour d’appel, que ce représentant est également « conseil assistant » de l’État de Libye dans la procédure pendante devant la CCI et qu’il n’a pourtant jamais soulevé la question de la corruption devant le tribunal arbitral. En somme, on reste un peu perplexe face à l’importance donnée à cet élément qui se focalise étrangement sur le respect des procédures internes sans expliquer vraiment en quoi une autre procédure aurait nécessairement abouti à un résultat radicalement différent.

Troisièmement, la question du caractère « précipité » de la conclusion du contrat en cause est au cœur du raisonnement dans les deux arrêts. Dans l’arrêt Sécuriport, la République du Bénin fustige un « contrat […] signé dans des circonstances soudaines et précipitées ». L’argument est néanmoins rejeté, au motif que l’offre de Sécuriport a été étudiée par les autorités béninoises depuis plusieurs mois. À l’inverse, dans Sorelec, la cour considère que « le défaut de précision ou la brièveté de la durée des négociations comme l’absence ou l’insuffisance de documents, qui ne sont pas compatibles avec un processus sérieux, susceptible d’avoir permis le rapprochement des parties, sont des indices de corruption » (c’est finalement un critère proche de celui retenu dans Alstom qui retient comme indice « l’absence ou l’insuffisance de production de documents – tels que rapports, études techniques, projets de contrats ou d’amendements, traductions, correspondances, procès-verbaux de réunions, etc. – précis et probants et dont l’origine peut être établie avec certitude »). Les arguments pris en compte pour retenir cet indice sont parfois déroutants. Ainsi, les conclusions de l’État de Libye dans la procédure arbitrale sont utilisées pour caractériser une contestation ferme des réclamations de Sorelec. C’est faire fi de la posture contentieuse tenue par les parties devant un tribunal (arbitral ou étatique), laquelle n’est absolument pas incompatible avec des négociations menées en parallèle. Il est également signalé que l’État de Libye n’était pas assisté par un avocat, alors même qu’on voit mal en quoi cela peut faire une différence. Enfin, il est surtout reproché à Sorelec de ne pas apporter la preuve de la véracité de ces négociations, alors qu’elle produit certains éléments (courriers, preuve d’une négociation physique, témoignage), certes probablement insuffisants, mais pas inexistants. Elle en déduit que Sorelec ne « produit aucun compte-rendu ou procès-verbal de réunion, retraçant les positions en présence et l’évolution des discussions, aucun échange écrit entre les parties préparatoire à l’accord ». En définitive, la cour d’appel renverse complètement la charge de la preuve de l’existence d’une négociation. Elle ne s’en cache d’ailleurs pas, puisqu’elle énonce que, « sauf à demander à l’État de Libye d’apporter une preuve négative puisqu’il soutient l’absence de négociations réelles, faute de documents, seule Sorelec était à même de justifier de la réalité et du sérieux desdites négociations ». On comprend la volonté de ne pas faire peser une preuve négative sur une partie. Néanmoins, cela revient à caractériser un indice par l’impossibilité pour une partie de prouver que cet indice n’existe pas.

Quatrièmement, les termes et conditions du contrat sont examinés dans les deux espèces. Sur ce point, l’arrêt Customs and Tax Consultancy a considéré que « le prix serait exorbitant au regard des ressources de la RDC, qui sont impropres à caractériser l’infraction alléguée ». Dans l’affaire Sécuriport, la cour, suivant cette ligne, écarte d’un revers de la main l’argument en énonce que « le fait d’exciper d’un contrat désavantageux pour la République du Bénin n’est pas un indice de corruption suffisamment caractérisé par la seule allégation d’un prix plus élevé que celui de son successeur, aucune information n’étant communiquée sur le prix du marché ni sur les modalités du contrat [avec le successeur] ». À l’inverse, dans l’affaire Sorelec, la cour d’appel procède à sa propre analyse du protocole, estimant qu’il « satisfait à quasiment toutes les prétentions de Sorelec sans contrepartie », ce qui caractérise un « déséquilibre » dont la Libye ne « tirait un quelconque avantage économique ou politique ». Elle va jusqu’à apprécier la stratégie procédurale de l’État de Libye, en retenant qu’« au moment de sa signature, la procédure d’arbitrage était suffisamment avancée pour que cet accord ne lui permette pas de s’épargner la procédure arbitrale et les coûts afférents et qu’il n’ait guère à craindre, compte tenu de ces termes, une décision de la CCI qui lui aurait été plus désavantageuse ». Elle considère enfin la pertinence du protocole au regard de la situation économique du pays, en signalant que la Libye « n’avait aucun intérêt à privilégier l’utilisation de fonds publics dont il avait besoin pour faire face, ne serait-ce qu’à ses dépenses obligatoires, pour régler une société étrangère ».

En définitive, et quand bien même ils sont bien plus riches que ce que nous avons pu décrire, les arrêts Sécuriport et Sorelec révèlent une approche radicalement différente, en fait sinon en droit, des indices de corruption. L’arrêt Sorelec semble avoir totalement enterré la jurisprudence antérieure, en particulier l’arrêt Customs and Tax Consultancy, qui a énoncé que « le juge de l’annulation [n’est] pas le censeur d’éventuelles erreurs de gestion commises par un État ». C’est finalement l’attitude opposée qu’adopte la cour d’appel de Paris. L’appréciation est tellement rigoureuse que l’on en finit par se demander si les contrats conclus par la France résisteraient à l’autopsie de la cour (que penser du contrat sur les droits télévisés du football français signé, pour plus d’un milliard d’euros, entre la ligue de football professionnel, qui exerce une mission de service public, et la société Mediapro, qui ressemble plus à une coquille vide, qui vient d’imploser à l’heure à laquelle nous écrivons ces lignes ? Amateurisme ou corruption ?).

On peut toutefois se demander si la raison d’une telle divergence ne tient pas à une différence d’appréciation du standard imposé par la recherche d’indices suffisamment graves, précis et concordants. Le droit civil français est habituellement gouverné par un raisonnement relativement binaire : soit la personne qui supporte la charge de la preuve l’apporte, et elle est reçue en sa prétention, soit elle échoue, et elle est déboutée. L’admission d’une preuve par faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants perturbe cette habitude. Le 100 % n’est plus exigé. Reste à savoir à hauteur de quel pourcentage il faut être convaincu ? 80 % ? 66 % ? 51 % ? Finalement, la principale différence entre Sécuriport et Sorelec n’est-elle pas la hauteur à laquelle la barre est fixée ? Trop haut dans Sécuriport ? Trop bas dans Sorelec ? C’est à cette réflexion que nous invitent ces arrêts.

V. L’action en responsabilité contre l’institution d’arbitrage

L’action en responsabilité contre les acteurs de l’arbitrage fait désormais partie d’une certaine forme de routine pour le plaideur malheureux. Qu’il s’agisse de l’action exercée contre les arbitres (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 302, obs. E. Loquin image ; Paris, 21 mai 2019, n° 17/12238, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image), l’institution d’arbitrage (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, préc.) voire de l’avocat (Pau, 7 janv. 2020, n° 18/01797, Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), les exemples récents ne manquent pas. Encore faut-il qu’il y ait un semblant de fondement à l’action exercée. On reste donc perplexe face à l’action en responsabilité exercée contre la chambre de commerce internationale par la société Kraydon, qui a tout du Kraken trumpien (Paris, 10 nov. 2020, n° 18/19033, D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Le demandeur estime que la chambre de commerce internationale peut voir sa responsabilité engagée en raison des fautes commises par l’arbitre unique, notamment eu égard à la violation des obligations d’impartialité et de respect du contradictoire par ce dernier. En somme, la prétention vise à faire supporter par l’institution les éventuels errements de l’arbitre, avec à la clé une demande pour une coquette somme de 38 millions d’euros. On imagine déjà le vent de panique saisir les institutions d’arbitrage si une telle solution devait être retenue. Encore fallait-il, pour donner une once de crédibilité à son action, avoir en parallèle exercé un recours en annulation contre la sentence… Las, le requérant n’a même pas pris cette peine. L’action est évidemment rejetée, la cour en profitant pour poser les jalons d’une très éventuelle responsabilité de l’institution en la matière. Elle énonce que « la CCI, en qualité de centre d’arbitrage, choisi par les parties, a conclu avec celles-ci un contrat d’organisation de l’arbitrage régi par son règlement d’arbitrage. Il ressort de celui-ci que la Cour exerce des fonctions d’organisation de l’arbitrage, la fonction juridictionnelle étant dévolue aux seuls arbitres, la Cour n’ayant aucun pouvoir juridictionnel. Comme le relève la CCI, sa responsabilité ne saurait se confondre avec celle de l’arbitre unique ». C’est donc à l’aune de son règlement que la responsabilité de l’institution est examinée, sachant qu’il faut distinguer les obligations qui lui incombent de celles qui pèsent sur les arbitres. Ainsi, la disposition de l’article 22 du règlement d’arbitrage de la CCI sur le contradictoire ne concerne que ces derniers et ne fait pas peser d’obligations sur l’institution. La cour conclut sa motivation par un constat cinglant, mais lucide, à l’encontre du demandeur, qui ne cherche « qu’à obtenir de la CCI la prise en charge des indemnités dont elle a été déboutée dans la procédure d’arbitrage, alors qu’elle n’a pas exercé la voie de recours qui lui était ouverte contre la sentence ». Pour le Kraken, il faudra repasser…

On souffle un peu !

2020 s’achève dans quelques jous. Il était temps.

Nous avons de quoi nous féliciter malgré tout, ici, à la rédaction : avec les centaines de questions juridiques posées brutalement par l’apparition de la covid-19, vous avez été encore plus nombreux à nous suivre. 

Merci à vous et merci à l’équipe d’avoir tenu bon.

Allez, c’est l’heure de souffler un peu. 

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Mesures conservatoires : délai de contestation

par Guillaume Payanle 24 décembre 2020

Civ. 2e, 19 nov. 2020, F-P+B+I, n° 19-20.039

Un débiteur saisit le juge de l’exécution compétent afin de faire annuler un nantissement de parts sociales, un commandement de payer ainsi que des saisies-attributions pratiquées à son encontre. Ses demandes d’annulation ayant été déclarées irrecevables en raison de leur – supposée – tardiveté, il interjette appel, en vain. La cour d’appel juge en effet que les contestations soulevées par le débiteur sont irrecevables car elles n’ont pas été formées dans le délai d’un mois prévu à l’article R. 211-11 du code des procédures civiles d’exécution. Ledit débiteur forme alors un pourvoi contre cet arrêt confirmatif et en obtient la cassation.

S’il conteste la validité de plusieurs procédures civiles d’exécution, le débiteur concentre ses griefs...

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Stipulation pour autrui d’un droit réel

Le litige rapporté a conduit la Cour de cassation à préciser les effets et la portée d’une stipulation pour autrui visant une cession de parcelles.

En l’espèce, deux colotis, une personne physique et une personne morale, ont entrepris un échange de parcelles afin de réorganiser la distribution du foncier et permettre à une association syndicale libre (ASL) d’être propriétaire, notamment, de deux parcelles devant accueillir une nouvelle voie de desserte ainsi qu’une aire de jeux. L’ASL n’ayant pas encore été créée, c’est par le biais d’une stipulation pour autrui prévoyant que les terrains « seront cédés » gratuitement par leur propriétaire que l’opération fut envisagée en septembre 1981. Ce n’est qu’en novembre 2005 que l’ASL, créée entre-temps, assigna l’ayant droit du propriétaire initial aux fins d’obtenir la régularisation forcée de la cession.

La discussion porte ici sur la nature du droit qu’est susceptible de transposer une stipulation pour autrui dans le patrimoine du bénéficiaire.

Que ce dernier n’ait pas d’existence au jour où la convention est passée ne saurait être un obstacle. Il faut qu’il puisse être identifié au plus tard au moment où la stipulation doit produire ses effets et qu’en conséquence, l’acte soit suffisamment précis à cet égard. La stipulation à personne future est parfaitement valable et l’ordonnance de 2016 l’a reconnu expressément à...

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Signification d’une ordonnance d’injonction de payer et interruption non avenue du délai de prescription

Une société a introduit une requête en injonction de payer le 20 février 2015, à l’encontre d’un syndicat des copropriétaires, aux fins d’obtenir le paiement de deux factures liées à la réalisation de travaux. La demande a été partiellement accueillie par le tribunal de grande instance suivant ordonnance du 5 juin 2015, laquelle fut signifiée par la société au syndicat des copropriétaires.

Le 29 juin 2015, ce dernier a formé opposition à l’ordonnance.

À défaut pour la société créancière d’avoir constitué avocat dans le délai prévu à l’article 1418 du code de procédure civile, le juge de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance par jugement du 1er février 2016.

Suivant exploit d’huissier du 17 février 2016, la société a assigné le syndicat des copropriétaires en paiement des factures. Un jugement du 28 avril 2017 fait droit aux demandes de la société et condamne en conséquence le syndicat des copropriétaires à verser les sommes dues. Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel dudit jugement.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 mai 2019, a débouté la société de sa demande pour cause de prescription de son action en paiement. Cette dernière forme conséquemment un pourvoi devant la Cour de cassation.

La société expose que la signification du l’ordonnance d’injonction de payer constituait une citation en justice au sens de l’article 2241 du code civil, interruptive de prescription, peu important que l’ordonnance d’injonction...

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De la preuve du préjudice pour limiter la restitution du capital prêté en cas d’annulation

par Cédric Hélainele 24 décembre 2020

Civ. 1re, 25 nov. 2020, FS-P+I, n° 19-14.908

Le contentieux autour du contrat de prêt d’argent peut poser plusieurs difficultés en cas d’annulation ou de résolution. L’une d’entre elles réside dans le remboursement des sommes prêtées, nerf de la guerre de bien des instances liées aux conséquences d’une telle nullité. Les emprunteurs regrettent souvent cette conséquence de la nullité qui aboutit à rembourser des deniers qui ont parfois été dépensés. C’est précisément tout l’enjeu de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020. Des particuliers décident d’acquérir, le 9 juin 2012, une éolienne après un démarchage à domicile. Les acquéreurs souscrivent un prêt auprès d’un établissement bancaire pour financer l’éolienne qui est installée le 2 juillet 2012. La banque verse les fonds au vu d’un certificat signé par un des emprunteurs attestant la livraison et la réalisation des travaux pour l’installation de l’éolienne. La société venderesse est placée en liquidation judiciaire le 24 octobre de la même année. Par acte du 21 octobre 2013, les emprunteurs assignent la banque et le liquidateur judiciaire de la société en annulation des contrats de prêt et de vente, en restitution des échéances payées et en paiement de dommages-intérêts en se prévalant de certaines irrégularités formelles du contrat de vente. L’affaire a été portée devant la Cour de cassation une première fois (Civ. 1re, 31 janv. 2018, n° 16-28.138, RTD com. 2018. 177, obs. D. Legeais image) et la cour d’appel de Paris a été saisie sur...

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Retour sur le domaine du démarchage

Le domaine des dispositions relatives au démarchage suscite encore un certain contentieux, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2020. En l’espèce, le 29 août 2011, un couple a accepté un devis établi par une société portant sur la fourniture et l’installation d’un système de production d’électricité d’origine photovoltaïque au prix de 20 143,56 €. Le 13 décembre de la même année, ils ont souscrit un crédit d’un montant identique auprès d’une banque. Par la suite, les acquéreurs, se plaignant d’un défaut de sécurité de leur installation ainsi que de manquements du professionnel aux dispositions du code de la consommation relatives au démarchage à domicile, ont assigné le vendeur, pris en la personne de son liquidateur judiciaire, et la banque en annulation et, subsidiairement, en résolution des contrats de vente et de crédit.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 4 avril 2019, annule le contrat de vente et le contrat de crédit affecté, prive la banque de sa créance de restitution du capital emprunté et la condamne à restituer les sommes perçues des acquéreurs en fixant à la somme de 20 143,56 € la créance de ces derniers au passif du vendeur. Pour ce faire, les magistrats aixois estiment tout d’abord que le démarchage à domicile est caractérisé par la réception à domicile de propositions commerciales, soit que le vendeur se déplace, soit que le consommateur soit incité à se déplacer pour en bénéficier, à la condition que le lieu ne soit pas un lieu de commerce habituel. Ils constatent, ensuite, que les acquéreurs ont fait l’objet d’une prospection par téléphone ayant abouti à une prise de rendez-vous, à leur domicile, le 24 août 2011, qu’ils ont reçu une estimation de la production d’électricité, datée du 26 août 2011, établie par la société venderesse, et qu’ils ont signé, à leur domicile, le 29 août 2011, un devis, de sorte que la relation commerciale entre les parties a débuté par un démarchage à domicile et que le fait qu’il ait existé par la suite des pourparlers entre les parties ne permet pas d’écarter la législation protectrice du démarchage à domicile.

Insatisfaite de cette solution, la banque se pourvut en cassation, à juste raison puisque l’arrêt aixois est censuré au visa de l’article L. 121-21, alinéa 1er, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 : la haute juridiction rappelle tout d’abord que, « selon ce texte, est soumis aux articles L. 121-21 à L. 121-33 du code de la consommation quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d’une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l’achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d’achat de biens ou la fourniture de services » (pt 4). Elle considère ensuite qu’« en se déterminant ainsi, sans constater que le devis avait été accepté au domicile des consommateurs en présence du professionnel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé » (pt 6).

La solution est irréprochable tant il est vrai que les dispositions relatives aux démarchages ont vocation à s’appliquer lorsqu’un contrat a été conclu en un lieu inhabituel en la présence du professionnel (v. à ce sujet N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, « Traité de droit civil », in J. Ghestin [dir.], Les Contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., LGDJ, 2018, n° 541). Certes, la jurisprudence avait adopté une conception plus large du démarchage en admettant d’étendre son empire dans l’hypothèse où la signature du contrat avait été précédée d’une visite au domicile du consommateur, faisant ainsi prévaloir le lieu de rencontre des parties sur la signature du contrat (v. N. Sauphanor-Brouillaud et al., op. cit., n° 542). Mais elle précisera par la suite que cette visite devait avoir donné lieu à un engagement de la part du consommateur (v. Crim. 27 juin 2006, n° 05-86.956, D. 2007. 484 image, note E. Bazin image ; RSC 2007. 92, obs. C. Ambroise-Castérot image, interprété a contrario : « le déplacement d’un professionnel au domicile d’un consommateur pour l’étude des lieux et la prise des mesures nécessaires à l’établissement d’un devis envoyé ultérieurement par voie postale, qui n’a donné lieu à aucun engagement du destinataire, ne constitue pas un démarchage au sens de l’article L. 121-21 du code de la consommation »).

La solution serait certainement la même sous l’empire des dispositions issues de la loi du 17 mars 2014 précitée, transposant la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs. Certes, l’article L. 221-1, I, 2°, du code de la consommation retient une conception particulièrement étendue du contrat conclu hors établissement (cette expression ayant succédé à celle, plus connue, de démarchage). Celui-ci est en effet défini comme « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :

a) Dans un lieu qui n’est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d’une sollicitation ou d’une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d’une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;

c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur ».

Mais il n’en demeure pas moins que la présence du professionnel est nécessaire (que ce soit au moment de la conclusion du contrat ou immédiatement avant celle-ci), ce qui permet d’ailleurs de distinguer le contrat conclu hors établissement du contrat conclu à distance (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, nos 129 et 130). La protection du consommateur trouve donc une limite dans les hypothèses où le désir de contracter prend naissance hors la présence du professionnel. Cela peut s’expliquer par la considération selon laquelle le consommateur, lorsqu’il est seul, ne se trouve plus soumis à la pression du professionnel. Il est donc préférable, pour bénéficier des faveurs du code de la consommation, de s’engager quand le professionnel est à domicile !

Proposition de loi visant à réformer l’adoption : la première lecture est achevée

Enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin dernier, la proposition de loi visant à réformer l’adoption vient d’être adoptée en première lecture ce vendredi 4 décembre, dans un contexte parlementaire relativement apaisé, jurant avec les protestations acérées émises par une partie de la doctrine (M.-C. Le Boursicot, Une proposition de loi visant à réformer l’adoption… déconcertante et même inquiétante, RJPF 2020-11 ; P. Salvage-Gerest et al., Réforme de l’adoption : une « petite loi » indigne (Adresse urgente à Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs), Forum Famille Dalloz, 17 déc. 2020).

Ce texte succède, pour mémoire, au rapport Limon-Imbert rendu public en octobre 2019 (M. Limon et C. Imbert, Vers une éthique de l’adoption. Donner une famille à un enfant, oct. 2019) et accueilli froidement par l’École et le Palais (P. Salvage-Gerest, Le rapport Limon-Imbert, un coup d’épée dans l’eau, AJ fam. 2020. 350 image). Pour autant, l’essentiel des recommandations formulées dans ce rapport sont reprises dans la proposition de loi, dont l’ambition est clairement affichée dès l’exposé des motifs, à savoir renforcer et sécuriser le recours à l’adoption « comme un outil de protection de l’enfance » (Proposition de loi visant à réformer l’adoption, Ass. nat., 30 juin 2020, p. 4), même si l’on rappellera accessoirement que l’adoption n’est pas réservée aux mineurs (v. infra, art. 4, pour l’adoption plénière), et que près de 88 % des adoptions simples concernaient même, en 2018, des majeurs (Z. Belmokhtar, Les adoptions simples et plénières en 2018, ministère de la Justice, sept. 2020, p. 43)… Quoi qu’il en soit, la proposition de loi s’articule autour de trois axes successifs : faciliter et sécuriser l’adoption conformément à l’intérêt de l’enfant (encore lui !) (titre I), renforcer le statut de pupille de l’État et améliorer le fonctionnement des conseils de famille (titre II), et perfectionner, enfin, plusieurs dispositions relatives au statut de l’enfant (toujours lui) (titre III).

Or, à l’issue de son passage en Commission des lois puis à l’Assemblée nationale, la proposition de loi apparaît, à l’analyse, assez peu modifiée, même si certains points pourront appeler l’attention sur le plan civil (la présente étude limitera l’essentiel de son propos aux dispositions modifiées du code civil, soit au titre 1 de la proposition de loi sous examen).

Réécriture de l’article 364, alinéa 1er, du code civil

Laissé intact par la commission des lois et par la chambre basse, l’article 1er de la proposition de loi étudiée envisage de réécrire l’article 364, alinéa 1er, du code civil, dans le dessein d’insister sur l’originalité de l’adoption simple vis-à-vis de l’adoption plénière. En l’état, cet article énonce en effet que « l’adopté reste dans sa famille d’origine et y conserve tous ses droits, notamment ses droits héréditaires ». Aussi, l’affirmation de l’établissement d’un nouveau lien de filiation envers l’adoptant demeure-t-elle absente de ce texte. C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi lui substitue une nouvelle rédaction ainsi formulée : « L’adoption simple confère à l’adopté une filiation qui s’ajoute à sa filiation d’origine. L’adopté conserve ses droits dans sa famille d’origine ». Selon ses auteurs, cette réécriture refléterait « mieux la réalité juridique de l’adoption simple, puisqu’elle a pour effet de créer une nouvelle filiation qui s’ajoute à la filiation d’origine, et non pas seulement de maintenir la filiation d’origine comme le sous-entend la formulation actuelle de l’article 364. Elle permet par ailleurs, en soulignant que l’enfant « bénéficie » d’un double lien de filiation, de mettre en valeur cette spécificité de l’adoption simple, [en supprimant] la mention spécifique à ses droits héréditaires, [pouvant] laisser penser que le maintien des droits dans la famille se limiterait aux droits héréditaires de l’adopté ou que ces derniers seraient plus importants que les droits extrapatrimoniaux » (M. Limon, Rapport visant à réformer l’adoption [n° 3161], Ass. nat., 23 nov. 2020, p. 14). À l’évidence, cette réécriture du texte pourra être approuvée, en raison de sa clarté assurément préférable à l’actuelle version de l’article 364, alinéa 1er, même si l’on observera avec une auteure que l’établissement d’un double lien de filiation ne vaudra « que si la filiation de naissance [de l’enfant] est établie, ce qui n’est pas toujours le cas » (M.-C. Le Boursicot, art. préc.). Il n’en demeure pas moins que la finalité adjonctive de l’adoption simple en ressortira mieux affirmée, par opposition à la finalité substitutive de l’adoption plénière, clairement exposée, pour sa part, à l’article 356, alinéa 1er, du code civil.

Ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins

Constituant la disposition phare de la proposition de loi sous examen, l’article 2 signe l’ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins, rompant avec plusieurs siècles d’exclusivisme matrimonial. À cette fin, quinze articles du code civil sont un à un réécrits pour tenir compte de cette petite révolution (C. civ., art. 343, 343-1, 343-2, 345-1, 346, 348-5, 353-1, 356, 357, 360, 363, 365, 366 et 370-3) et mettre fin, selon le rapport parlementaire, « à la différence de traitement face à l’adoption entre les couples mariés [et] les couples non mariés – qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent » (M. Limon, rapport préc., p. 19). À cette occasion, la juxtaposition des règles du mariage et du Pacs se poursuit encore, le premier devenant défendu entre « l’adoptant et le conjoint ou le partenaire [de] l’adopté » (C. civ., art. 366 à venir), même si l’on pourra regretter l’absence de prohibition réciproque du Pacs entre ces mêmes individus, dans la mesure où l’interdiction de l’un (le mariage) aurait dû justifier l’interdiction de l’autre (le Pacs).

En outre, certaines des nouvelles dispositions de cet article 2 libéralisent aussi l’accès à l’adoption, ou plus précisément les conditions à remplir par l’ensemble des adoptants : mariés, pacsés, concubins ou même célibataires. Les articles 343 et 343-1 à venir envisagent ainsi de réduire le délai minimum de communauté de vie (et non d’union) entre les adoptants d’un même couple de deux à un an, ou encore d’abaisser l’âge minimum des adoptants de 28 à 26 ans. On pourra d’ailleurs discuter, sur ce point, la réécriture de l’article 343 par l’amendement n° 268, dans la mesure où celui-ci substitue malencontreusement aux termes « époux » celui de « couple marié », au motif que le premier ne serait plus « pertinent au regard de l’évolution de la société[,] un couple marié [pouvant] être constitué d’un homme et d’une femme, de deux hommes ou de deux femmes ». Or, si l’on admettra volontiers la véracité de l’affirmation, l’on observera toutefois qu’il aurait fallu, pour parachever ce pseudo-esprit de rigueur, modifier la mention relative aux « concubins » présente dans le même texte (!), et modifier au passage l’ensemble des dispositions du code civil et des autres codes recourant au terme générique d’« époux ». Espérons donc ici un retour à la version originelle du texte et, à dire vrai, à la raison. À l’inverse, et au risque de distribuer les bons et les mauvais points, l’on saluera assurément l’amendement n° 280 proposant de remplacer, à l’article 365, du code civil, la mention des « père » et « mère » de l’enfant par celle plus exacte « de l’un des parents », dans la mesure où l’ouverture de l’adoption aux couples de personnes même sexe fêtera bientôt ses sept ans et qu’à la différence de l’article 343, la référence à la dualité des sexes ne pouvait se maintenir ici sans inexactitude (cette référence est d’ailleurs également effacée de l’article 348, alinéa 1er, du code civil par l’article 7 de la proposition de loi).

De surcroît, un dernier regret et une ultime difficulté pourraient successivement être relevés relativement à ce deuxième article de la proposition de loi. Quant au regret, il concernera l’article 353-1 du code civil, malencontreusement réécrit, là encore, par un amendement superfétatoire (n° 509). À ce jour, l’alinéa 1er du texte dispose en effet que, « dans le cas d’adoption d’un pupille de l’État, d’un enfant remis à un organisme autorisé pour l’adoption ou d’un enfant étranger qui n’est pas l’enfant du conjoint de l’adoptant, le tribunal vérifie, avant de prononcer l’adoption, que le ou les requérants ont obtenu l’agrément pour adopter ou en étaient dispensés ». Or, préférant une périphrase censée « simplifier la rédaction de l’article 353-1, en renvoyant à l’ensemble des cas où l’agrément est requis », le texte à venir énonce désormais que, « dans tous les cas où l’agrément est requis, le tribunal vérifie avant de prononcer l’adoption que le ou les requérants ont obtenu cet agrément ou en ont été dispensés ». La modification ôterait donc du code civil toute référence aux différentes hypothèses nécessitant un agrément, en imposant au lecteur de se reporter, péniblement, à l’article L. 225-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF). La simplification présumée serait donc bien incertaine et justifierait là aussi un retour à la version originelle du texte. Quant à la difficulté, celle-ci concernera différemment l’article 370-3 du code civil, prenant acte sur le plan du droit international privé de l’ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins. Le texte à venir posera en effet, à l’issue de la réforme, les principes suivants : « Les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par un couple, à la loi qui régit les effets de leur mariage, de leur partenariat enregistré ou de leur concubinage […] ». Or, si l’application du texte ne posera guère problème aux époux, la règle demeurant pour eux inchangée, ni même aux partenaires, l’article 515-7-1 du code civil trouvant ici à s’appliquer, sa transposition aux concubins pourra s’avérer plus délicate. Comment conviendra-t-il en effet de déterminer, en ce cas, « la loi qui régit les effets de leur concubinage », alors même que le concubinage n’est pas une union civile et n’est pas « régi » par la loi, tout du moins dans la plupart des États du monde ? Sur ce point, la lettre de l’article 370-3 appellera le débat et, n’en doutons pas, de passionnantes discussions !

Adoption par un célibataire

Introduit par la Commission des lois, l’article 2 bis de la proposition de loi n’appelle pas à d’amples développements. Très simplement, celui-ci prévoit que, « dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la [loi], le gouvernement [remettra] au Parlement un rapport faisant un état des lieux de l’adoption par toute personne célibataire âgée de plus de 26 ans ». Tout au plus pourra-t-on relever qu’une telle précaution n’aurait peut-être pas été utile si la proposition de loi sous examen n’avait pas fait l’objet d’une procédure accélérée, et avait été précédée, comme cela eut été préférable, par une étude d’impact. Mais c’est ici ouvrir un autre débat…

Écart d’âge entre l’adoptant et l’adopté (supprimé)

Plus étonnante est en revanche la suppression (partielle) par l’amendement n° 57 de la condition d’écart d’âge entre les adoptants et l’enfant adopté, préconisée par le rapport Limon-Imbert (recommandation n° 13) et repris par l’article 3 de la proposition de loi initiale. À l’origine, la proposition de loi prévoyait en effet d’insérer, après l’alinéa 1er de l’article 344 du code civil, cette nouvelle condition ainsi formulée : « L’écart d’âge entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’ils se proposent d’adopter ne doit pas excéder quarante-cinq ans. Toutefois, cette règle n’est pas applicable à l’adoption des enfants du conjoint, du partenaire de pacte civil de solidarité ou du concubin ». Or, considérée comme un frein potentiel à « l’adoption en général et à celle des enfants aux besoins spécifiques en particulier » (amendement n° 57), cette condition d’âge a finalement été supprimée des dispositions à venir du code civil… pour réapparaître dans le CASF à l’article L. 225-1, alinéa 2, conditionnant la délivrance de l’agrément à « une différence d’âge maximale de cinquante ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’ils se proposent d’adopter », sauf « justes motifs » (proposition de loi, art. 10, amendement n° 543 et sous-amendement n° 569). Aussi, et par un surprenant jeu de vases communicants, la disposition déchue du code civil est donc promue dans le CASF comme une nouvelle condition de délivrance de l’agrément, limitant le domaine de cette condition aux seules adoptions réclamant ce sésame. Dès lors, l’on ne comprendra plus véritablement le sens même de la suppression de la condition de l’article 344 du code civil, dans la mesure où, précisément, les « enfants aux besoins spécifiques » sont généralement ceux adoptés en dehors du cercle familial… Il n’en demeure pas moins que cette proposition devrait pour une fois faire consensus (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 15), malgré cette étonnante justification.

Adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans

Présenté par le rapport parlementaire comme une mesure de faveur envers « l’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans », l’article 4 de la proposition de loi amendée porte en lui une profonde refonte de l’article 345 du code civil, via l’insertion de nouvelles exceptions au principe de limitation de cette adoption aux seuls mineurs de moins de 15 ans (M. Limon, rapport préc., p. 23). Tout d’abord, le texte prévoit l’allongement du délai durant lequel l’adoption plénière peut être sollicitée à titre dérogatoire, en le portant des 20 aux 21 ans de l’adopté (amendement n° 536). En cela, la proposition de loi offre donc un an de répit supplémentaire aux enfants susceptibles de faire l’objet d’une adoption plénière « de rattrapage ». Ensuite, et par une regrettable rédaction par renvois, le texte dresse la liste des enfants susceptibles de profiter de cette dérogation légale, en ajoutant la possibilité d’adopter en la forme plénière l’enfant du conjoint jusqu’à ses 21 ans, le pupille ou l’enfant déclaré délaissé jusqu’au même âge, outre la possibilité pour le tribunal judiciaire de prononcer une adoption plénière en dehors de ces situations, « en cas de motif grave », ouvrant ici un pertinent point d’appréciation aux magistrats. Aussi l’article 4 de la proposition de loi témoigne-t-il bien d’un mouvement de faveur envers l’adoption plénière, à l’heure où, pourtant, certains la pensaient condamnée.

Placement en vue de l’adoption

D’apparence discrète et rescapé de son passage en Commission et devant l’Assemblée nationale, l’article 5 de la proposition de loi n’en recèle pas moins d’importantes adaptations. En premier lieu, ce texte modifie la lettre de l’article 351 du code civil sur deux points terminologiques. D’une part, en énonçant que le placement en vue de l’adoption n’est plus « réalisé » par la remise de l’enfant aux futurs adoptants mais qu’il « débute » par cette remise, cette modification – bienvenue (contra M.-C. Le Boursicot, art. préc.) – étant destinée à éclaircir le processus du placement et à réduire « les incertitudes quant à la date du début de [cette] période » (M. Limon, rapport préc., p. 28). Et, d’autre part, en corrigeant la référence aux enfants déclarés « abandonnés » pour y substituer, très justement, celle des enfants déclarés « délaissés », et ce « afin de tirer [toutes] les conséquences du remplacement, par la loi [du 14 mars 2016], de la déclaration judiciaire d’abandon par la déclaration judiciaire de délaissement parental » (ibid., p. 29) (correction également opérée, notons-le, par l’article 13 de la proposition de loi s’agissant de C. civ., art. 347, 3°). En deuxième lieu, et l’innovation est plus importante, le même article 351 se voit enrichi d’un alinéa 2 octroyant aux futurs adoptants le pouvoir de « réaliser les actes usuels de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant », et ce dans le dessein de sécuriser et « de clarifier le type d’actes que les futurs parents peuvent accomplir pendant le placement » (ibid., p. 28), ce dont, là encore, l’on pourra se réjouir. En revanche et en dernier lieu, l’article 5 de la proposition de loi surprendra un peu plus par l’élargissement du processus de placement au profit de l’adoption simple qu’il porte (C. civ., art. 361 à venir), sans pour autant renvoyer à l’article 352 relatif aux effets de ce placement vis-à-vis de la famille d’origine et sans se justifier sur le tout (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 5). Or, dans un contexte où, comme nous l’avons dit, 88 % des adoptions simples sont prononcées en faveur de majeurs, la proposition peinera ici à convaincre en son principe comme en sa portée.

Interdiction de l’adoption plénière conduisant à une confusion de générations

Fortement refondu par deux amendements distincts (nos 540 et 571), l’article 6 de la proposition de loi sous examen prévoit désormais d’insérer dans le code civil un nouvel article 343-3, aux termes duquel « toute adoption plénière conduisant à une confusion des générations [serait] prohibée ». À l’origine, le texte initial était à la fois plus large et plus précis, en prévoyant que « l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs [était] prohibée ». Plus large, car le texte n’était pas limité à l’adoption plénière ; mais aussi plus précis dans la mesure où, en lieu et place d’une formule assez absconse (celle de « confusion des générations », très « contrôle de proportionnalité compatible »), le texte limitait la prohibition à la seule ligne directe et à celle collatérale au deuxième degré. Or, si la seconde modification pourra tout de même être approuvée, cette marge d’appréciation judiciaire apparaissant particulièrement bienvenue, la première pourra l’être un peu moins, en ce sens où, si la finalité de l’adoption plénière diffère certes de celle de l’adoption simple, peut-être ne justifiait-elle pas, sur ce point, une telle différence de traitement (l’amendement n° 571 évoque d’ailleurs à cet égard une étrange « mesure de coordination »…).

Consentement des parents à l’adoption de leur enfant

L’article 7 de la proposition de loi réordonne, moyennant deux amendements successifs et un troisième de coordination (nos 76, 512 et 511), les dispositions du code civil et du CASF relatives aux qualités exigées du consentement des parents à l’adoption de leur enfant, que l’adoption soit interne ou internationale. Concrètement, le texte fait en effet remonter à l’article 348-3 du code civil les qualités du consentement à l’adoption jusqu’alors énoncées à l’article 370-5, en posant au premier de ces textes que « le consentement à l’adoption doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l’enfant et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ». C’est dire que l’article 7 amendé transposerait donc à l’adoption interne les exigences jusqu’alors imposées à l’adoption internationale, en les précisant un peu plus, et ce afin de mettre en commun « la définition du consentement à l’adoption pour toutes les adoptions », aux dires de la promotrice de ce texte (amendement n° 512). Or, si l’on pourra certainement saluer ici l’effort de construction d’un droit commun de l’adoption, l’on pourra néanmoins regretter, sur la forme, l’incise relative à « l’adoption plénière » contenue dans cette disposition d’ores et déjà située… dans un chapitre relatif à l’adoption plénière (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 11) ! Ou comment illustrer les dangers des amendements de dernière minute, proposés à la hâte et sans recul suffisant.

Adoption du mineur âgé de plus de 13 ans ou du majeur protégé hors d’état de donner son consentement

Exempt de tout amendement parlementaire, l’article 8 de la proposition de loi poursuit en prévoyant de compléter l’article 348-6 du code civil d’un nouvel alinéa permettant au tribunal judiciaire, « lorsque le mineur âgé de plus de 13 ans ou le majeur protégé est hors d’état de consentir personnellement à son adoption, [de] passer outre l’absence de consentement, après avoir recueilli l’avis du représentant légal ou de la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’adopté ». Saluée par certains (M.-C. Le Boursicot, art. préc.) mais contestée par d’autres (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 12), la portée de cette nouvelle disposition demeure toutefois incertaine. Faudra-t-il en effet en déduire, en présence d’un mineur, que « l’avis  » du représentant légal se substituera seulement au consentement de l’enfant ? Ou faudra-t-il considérer qu’il se substituera, plus largement, à ces deux consentements ? En ce dernier cas, la portée du texte serait tout autre, même si la lecture du rapport parlementaire pourrait bien faire pencher la balance, fort heureusement, dans le sens de la première interprétation (M. Limon, rapport préc., p. 37), dont on souhaiterait peut-être confirmation lors du passage de la proposition de loi au Sénat.

Consentement de l’enfant à son changement de nom et prénom

De façon tout à fait opportune, l’article 9 de la proposition de loi se propose ensuite « d’harmoniser les conditions d’âge relatives aux changements de nom et de prénom [de l’enfant adopté] entre les procédures de droit commun [des] articles 60 et 311-23 du code civil, et celles propres à l’adoption » (ibid., p. 42). Pour ce faire, le dernier alinéa de l’article 357 se verrait complété par l’exigence d’un consentement de l’enfant adopté de plus de 13 ans à son changement de prénom en cas d’adoption plénière, tandis que l’article 363 rendrait la pareille pour son changement de nom en cas d’adoption simple. L’harmonisation serait donc limitée, puisque l’enfant adopté en la forme plénière ne pourrait toujours pas – et naturellement pourrait-on dire – s’opposer à son changement de nom, consubstantiel aux effets mêmes de cette forme d’adoption. C’est pourquoi cette proposition convaincra par sa rationalité et sa juste mesure (contra P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 13).

Rétroactivité de la loi en cas de PMA réalisée à l’étranger

L’article 9 bis de la proposition de loi persuadera en revanche un peu moins le lecteur. Dans le dessein d’anticiper l’ouverture de la PMA aux couples de femmes (M. Limon, rapport préc., p. 42 s) (désormais hypothétique, tant celle-ci ne semble plus être dans les priorités politiciennes – et non politiques – de la majorité), ce nouvel article introduit par la Commission des lois envisage d’insérer un dispositif transitoire relativement discutable. Selon le texte, il deviendrait en effet acquis que, « lorsqu’un enfant né avant l’entrée en vigueur de la présente loi est issu d’une PMA réalisée à l’étranger dans les conditions prévues par la loi étrangère et dans le cadre d’un projet parental commun de deux femmes, mais que la mère désignée dans l’acte de naissance de l’enfant s’oppose sans motif légitime à l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’autre femme, celle-ci peut, dans un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, demander l’adoption de l’enfant […] ». Ce texte ambitionnerait donc de résoudre l’hypothèse du refus de la mère de l’enfant de faire établir le lien filiation de celui-ci envers la co-mère, hypothèse certes rare mais non inexistante (rappr. Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-20.560, D. 2014. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; AJ fam. 2013. 705, obs. G. Vial image ; RTD civ. 2014. 106, obs. J. Hauser image ; 13 juill. 2017, n° 16-24.084, D. 2017. 1528 image ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2017. 478, obs. M. Saulier image ; 6 nov. 2019, n° 19-15.198, Dalloz actualité, 21 nov. 2019, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2019. 2182 image ; AJ fam. 2019. 648, obs. M. Saulier image). Toutefois, l’utilité même du dispositif pourrait sembler superfétatoire au regard de la nouvelle jurisprudence inaugurée en décembre 2019 par la Cour de cassation en matière de transcription des actes d’état civil étrangers en présence de PMA pratiquées à l’étranger (Civ. 1re, 18 déc. 2019, nos 18-14.751 et 18-50.007, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, art. T. Coustet ; D. 2020. 426 image, note S. Paricard image ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; AJ fam. 2020. 133, obs. J. Houssier image ; ibid. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer image ; 18 mars. 2020, n° 18-15.368, Dalloz actualité, 11 mai 2020, obs. F. Mélin ; D. 2020. 822 image ; AJ fam. 2020. 311, obs. J. Houssier image). La transcription de ces actes étant désormais de droit en l’absence d’irrégularité et de fraude, le texte ne concernera effectivement que les situations où la co-mère ne sera pas mentionnée dans l’acte de naissance de l’enfant et sera contrainte de recourir à l’adoption. Mais, même en ce cas, le procédé consistant à anticiper l’adoption d’une loi pourra en lui-même prêter à discussion, de surcroît en présence d’un vote désormais bien incertain de la loi concernée (v. égal., en ce sens, P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 6)…

Autres modifications

Au-delà de ces différentes reprises du code civil, la proposition de loi ambitionne enfin de revoir en profondeur les règles de délivrance des agréments (art. 10) et surtout de refondre le statut des pupilles de l’État (art. 11 à 18), avec plus ou moins de réussite à en croire les auteurs s’étant d’ores et déjà prononcés sur ce point (M.-C. Le Boursicot, art. préc. ; P. Salvage-Gerest et al., art. préc., nos 14 s.). Mais avec plus de quarante amendements à leur actif, on laissera ici le soin à nos successeurs d’étudier, dans le détail, les suites de ces articles amendés en dernière minute !

Dernières conclusions : le visa dans le viseur de la Cour de cassation

Une société interjette appel d’un jugement la condamnant au profit d’un salarié. La société appelante dépose des conclusions le 11 juillet 2017 puis notifie de nouvelles écritures le 9 octobre 2018, veille de la clôture. Par arrêt du 14 décembre 2018, la cour d’appel de Toulouse prononce la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur et le condamne à payer au salarié diverses sommes. Demandeur au pourvoi, l’employeur reprochait à la cour d’appel de s’être prononcée au seul visa des conclusions notifiées le 11  juillet 2017 et de s’être abstenue de viser les conclusions du 9 octobre 2018, recevables comme notifiées avant la clôture.

Au visa des articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 2, du code de procédure civile, la deuxième chambre civile casse inévitablement l’arrêt de la cour de Toulouse et apporte la réponse suivante :

« 4. Il résulte de ces textes que s’il n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l’indication de leur date.

5. Pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, puis le condamner à payer au salarié diverses sommes à l’exception de l’indemnité de travail dissimulé, l’arrêt se prononce au visa des conclusions notifiées par la société Bureau de contrôle fédéral le 11 juillet 2017.

6. En statuant ainsi, alors qu’il ressort des productions que la société Bureau de contrôle fédéral avait déposé le 9 octobre 2018 des conclusions développant une argumentation complémentaire portant sur l’examen des fiches horaires établies par Mme X, la cour d’appel, qui n’a pas visé ces dernières conclusions et qui s’est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu’elle les aurait prises en considération, a violé les textes susvisés  ».

La solution, classique, a été rappelée un nombre incalculable de fois par les différentes chambres de la Cour de cassation, et elle dépasse bien sûr le strict cadre de la cour d’appel. Lorsqu’il expose les faits, les moyens et la procédure, ne s’offrent pas au juge beaucoup d’options. S’il ne rappelle pas les prétentions et moyens des parties, il doit expressément viser la date à laquelle ont été déposées les conclusions. L’article 455 du code de procédure civile,...

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Licitation : de quelques chausse-trapes et de l’art de combler les vides

Ces deux décisions revêtent une grande importance pour la licitation, modalité d’un partage, car elles offrent à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation l’occasion de combler un vide laissé par les auteurs de la réforme du droit des successions, par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2016, et de la procédure de saisie immobilière, par l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 et le décret n° 2006-236 du 27 juillet 2006.

Elles se complètent ; dans la première décision (pourvois nos 19-18.800 et 19-18.801), la Cour de cassation rappelle qu’en vertu du principe posé par l’article 543 du code de procédure civile, la voie de l’appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre les jugements de première instance s’il n’en est autrement disposé, aussi, même si aucun texte ne précise la voie de recours attachée à un jugement d’adjudication sur licitation ayant statué sur une contestation, celui-ci est susceptible d’appel.

Dans la seconde (pourvoi n° 19-16.691), elle tire, en toute logique, le constat de la position prise dans la première, pour retenir que le pourvoi, qui a été formé contre un jugement d’adjudication sur licitation ayant statué sur une contestation, n’est pas recevable.

Si ces deux arrêts permettent de combler un vide apparent, leur commentaire est aussi l’occasion d’évoquer les chausse-trapes qui jalonnent la vente sur licitation.

Les faits

En ce qui concerne l’arrêt du 19 novembre 2020, les faits sont les suivants : pour le recouvrement de dettes fiscales, un comptable public obtient un jugement ordonnant le partage d’une indivision et préalablement à celui-ci, la vente sur licitation de bien indivis.

Les biens adjugés lors d’une première vente ont fait l’objet d’une surenchère. À l’occasion de la revente sur surenchère, l’un des indivisaires forme une demande d’annulation rétroactive de la procédure de surenchère qui n’est pas retenue et les biens sont adjugés. L’appel formé par l’indivisaire est déclaré irrecevable, la cour retenant que les dispositions de l’alinéa 2 de l’article R. 322-60 du code des procédures civiles d’exécution, qui dispose que seul le jugement d’adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d’appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, ne sont pas applicables à la vente sur de licitation.

L’indivisaire s’est pourvu en cassation.

En ce qui concerne le second arrêt, un jugement a ordonné la licitation de deux immeubles dépendant d’une succession ; lors de l’audience d’adjudication sur licitation, le tribunal a déclaré non valides les clauses d’attribution et de substitution intégrées au cahier des charges et adjugé les biens immobiliers ; l’une des parties s’est pourvue en cassation...

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Radiation pour défaut d’exécution : appréciation du caractère significatif de l’exécution

En procédure civile plus qu’ailleurs, « une sanction peut en cacher une autre » (L. Cadiet, La sanction et le procès civil, Mélanges en l’honneur de J. Héron, LGDJ, 2008, p. 125 s., spéc. p. 146. Adde, C. Chainais, Les sanctions en procédure civile. À la recherche d’un clavier bien tempéré, in D. Fenouillet et C. Chainais (dir.), La sanction en droit contemporain, vol. 1, La sanction entre technique et politique, Dalloz, 2012, p. 357 s., spéc. nos 45 s.). La caducité d’une assignation, parce qu’elle prive cet acte de procédure de son effet interruptif des délais (Cass., ass. plén., 3 avr. 1987, n° 86-11.536, Bull. AP, n° 2, p. 3), peut conduire à l’irrecevabilité d’une initiative processuelle devenue prescrite ou forclose. De même, ce qui n’est a priori qu’une sanction dérisoire – la radiation – peut constituer le terreau d’une sanction aux effets bien plus dévastateurs – la péremption.

De la radiation à la péremption de l’instance. La radiation sanctionne dans les conditions de la loi le défaut de diligence des parties (C. pr. civ., art. 381, al. 1er) ; elle est la « sanction bilatérale d’une carence réciproque » (G. Cornu, J. Foyer, Procédure civile, 3e éd., 1996, n° 172, p. 688). Ainsi, lorsque devant la juridiction désignée les parties sont tenues de se faire représenter, l’affaire est d’office radiée si aucune d’elles n’a constitué avocat dans le mois de l’invitation qui leur a été faite (C. pr. civ., art. 82). Si aucune des parties n’accomplit les actes de la procédure dans les délais requis, le juge peut, « d’office, radier l’affaire par une décision non susceptible de recours après un dernier avis adressé aux parties » (C. pr. civ., art. 470). À cette forme de radiation « défaut de diligences », le pouvoir réglementaire a ajouté il y a quelques années une radiation « défaut d’exécution » qui sanctionne le demandeur qui ne justifie pas avoir exécuté la décision qu’il conteste . Initialement cantonnée au demandeur au pourvoi en cassation (C. pr. civ., art. 1009-1), cette sanction a été étendue à l’appelant lorsque l’exécution est de droit ou a été ordonnée (C. pr. civ., art. 524).

Cette sanction n’a qu’un effet limité : l’affaire est retirée du rôle des affaires en cours (C. pr. civ., art. 381, al. 2), comme « mise en sommeil par le juge » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., 2019, n° 1193, p. 973). L’instance demeure donc, simplement suspendue en raison du désintérêt manifeste des parties. À ce titre, cette sanction paraît être de peu d’importance. C’est une erreur ! En effet, le rétablissement de l’affaire n’est possible que si l’instance ne s’est pas périmée entre temps (C. pr. civ., art. 383, al. 2). La péremption de l’instance advient lorsque « aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans » (C. pr. civ., art. 386). L’instance s’éteint alors (C. pr. civ., art. 385), elle se trouve comme effacée, il n’en reste plus rien. Si elle n’éteint pas l’action par elle-même (C. pr. civ., art. 389), la disparition de l’instance qu’elle entraîne fait disparaître l’acte introductif d’instance, et avec lui son effet interruptif des délais. Le droit se trouve alors pleinement exposé aux effets définitifs du temps… En définitive, « sous des dehors relativement inoffensifs [la radiation] se révèle à la longue comme une main de fer simplement gantée de velours, qui broie leur affaire » (I. Desprès et A. Pic, Les perturbations du lien d’instance (interruption, radiation, péremption, caducité), in L. Flise, E. Jeuland (dir.), Du lien d’instance aux liens processuels 1975-2015, Actes des 6e rencontres de procédure civile, 2016, IRJS, p. 55 et s., p. 70).

Un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter. Cette dégénérescence de la radiation en péremption peut heureusement être évitée. En cas de radiation « défaut d’exécution », il faut un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter la décision attaquée (C. pr. civ., art. 524, al. 7 ; art. 1009-2, al. 1er). Attention, pour être efficace, ce remède doit intervenir avant l’expiration d’un délai de deux ans courant depuis la notification de la décision ordonnant la radiation (C. pr. civ., art. 524, al. 7). Illustrant ce risque de « combinaison-aggravation », l’arrêt commenté précise les contours de ce que doit être une diligence interrompant le délai de péremption de l’instance d’appel.

Un résidant monégasque décède. Le de cujus ayant institué un légataire universel, le tribunal de première instance de Monaco l’envoie en possession. La veuve du de cujus assigne le légataire universel devant le tribunal de grande instance de Paris. Par jugement revêtu de l’exécution provisoire, il transmet l’intégralité de la succession à la veuve et condamne le légataire universel à lui payer une somme de 100 000 € en raison d’un manque à gagner. Le légataire universel interjette appel de ce jugement, mais faute d’avoir exécuté celui-ci l’affaire est radiée. Deux jours avant le deuxième anniversaire de la date du jugement, il règle la condamnation de 100 000 € et sollicite la réinscription de l’affaire au rôle. S’opposant à cette réinscription, la veuve soulève la péremption de l’instance. Le conseiller de la mise en état ayant écarté l’incident, la veuve défère l’ordonnance à la cour d’appel.

Les juges infirment l’ordonnance et jugent au contraire l’instance périmée. Selon eux, en cas de radiation de l’appel pour défaut d’exécution du jugement attaqué, seule l’exécution raisonnable de la décision constitue un acte interruptif de péremption. Or, en ne justifiant pas avoir permis à la veuve d’entrer en possession de l’entièreté du patrimoine du de cujus, le légataire universel n’a pas manifesté une volonté raisonnable d’exécuter le jugement. Le légataire universel forme alors un pourvoi en cassation. Pour lui, l’interruption du délai de péremption ne peut être subordonnée à la réinscription de l’affaire au rôle ; une diligence manifestant la volonté de faire progresser l’instance suffit. Non seulement la cour d’appel a inopportunément écarté l’existence d’une volonté d’exécuter le jugement, mais en outre elle a ajouté au dispositif du jugement en exigeant du légataire qu’il réalise « concrètement la transmission du patrimoine successoral ».

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué. Elle rappelle que tout acte d’exécution significative de la décision attaquée manifeste la volonté non équivoque de l’exécuter et constitue, par conséquent, une diligence interrompant le délai de péremption de l’instance d’appel. À ce propos, et c’est là l’apport de l’arrêt, l’appréciation du caractère significatif de l’exécution de la décision frappée d’appel doit être seulement faite en considération de ce qui a été décidé par le premier juge dans le dispositif de sa décision.

L’appréciation du caractère significatif en considération de ce qui a été jugé. Un acte d’exécution de la décision attaquée ne manifeste pas toujours une volonté non équivoque de l’appelant ou du demandeur au pourvoi de l’exécuter. Pour être certain que cette volonté anime le plaideur, il faut qu’il soit l’auteur d’un « acte d’exécution significative ». De toute évidence, l’appréciation du caractère significatif relève du pouvoir souverain des juges du fond. En revanche, il appartient à la Cour de cassation de les rappeler à l’ordre lorsque leur appréciation porte atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée (C. pr. civ., art. 480).

Reprenons les faits. Pour caractériser sa volonté non équivoque d’exécuter le jugement attaqué, le légataire universel a déposé des conclusions au fond, formulé une demande de réinscription de l’affaire au rôle et effectué le règlement de la somme de 100 000 € en exécution du jugement. En vain, puisque la cour d’appel a considéré ces actes d’exécution non significative. Selon elle, le jugement n’a pas été exécuté dans la mesure où le patrimoine n’a pas été transmis à la veuve. En effet, si le jugement n’a pas fixé les modalités de cette transmission, le légataire universel n’en est pas moins tenu de justifier avoir permis à la veuve d’entrer en possession de l’intégralité du patrimoine. Dit autrement, en ne permettant pas de réaliser « concrètement » la transmission du patrimoine successoral, alors qu’il lui appartenait à lui seul de le faire, le légataire universel n’a pas accompli de diligences de nature à faire avancer l’instance. Cependant, en raisonnant ainsi, les juges du fond ont commis une erreur : à aucun moment le dispositif du jugement attaqué n’exige une telle réalisation concrète. Il se borne simplement à dire que l’intégralité de la succession tant immobilière que mobilière du de cujus est transmise à sa veuve ; il n’impartit aucune diligence au légataire à l’effet de permettre à celle-ci d’entrer en possession des biens dépendants de cette succession. La cour d’appel a donc ajouté au dispositif et partant méconnu l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu. En définitive, les juges devront se montrer excessivement rigoureux au moment de rédiger leur dispositif s’ils veulent voir l’autorité de leur jugement renforcé par la menace d’une radiation.

Au terme de ce commentaire, on peut émettre un regret. La Cour de cassation n’a pas apporté de réponse à un moyen opportunément soulevé par le demandeur au pourvoi : dans l’hypothèse où l’instance a donné lieu à une mesure de radiation « défaut d’exécution », le rétablissement de l’affaire au rôle est-il le seul moyen pour interrompre le délai de péremption ? C’est ce qu’a jugé, à tort, la cour d’appel. Une impulsion processuelle, quelle que soit sa nature, doit suffire (comp. à propos d’une radiation « défaut de diligences », Civ. 2e, 16 mars 2000, n° 97-21.029, Bull. civ. II, n° 47 ; D. 2000. 128 image ; RTD civ. 2000. 398, obs. R. Perrot image ; Procédures 2000. Comm. 117, obs. R. Perrot). Que de temps perdu en raison d’une sanction – la radiation « défaut d’exécution » – dont la doctrine a démontré l’inefficacité… (J. Beauchard, La relativité du dilatoire, Mélanges en l’honneur de Jacques Héron, 2009, LGDJ, p. 101 s., spéc. p. 108).

Ryanair : sort des clauses attributives de juridiction conclues avec les passagers

Un contrat de transport fut conclu, en ligne, entre la société Ryanair, de droit irlandais, et un passager pour un vol entre Milan et Varsovie.

Le vol ayant été annulé, le passager pouvait prétendre à une indemnisation en application du règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol.

Ce passager céda ses droits à une société, ayant son siège en Pologne, spécialisée dans le recouvrement de créances. Cette société saisit une juridiction polonaise d’une demande d’indemnisation à l’encontre de la société Ryanair. Cette dernière contesta alors la compétence de cette juridiction, au motif que les conditions générales du contrat de transport stipulaient une clause attributive de compétence désignant les tribunaux irlandais. Selon la société Ryanair, cette clause s’imposait à la société cessionnaire de la créance d’indemnisation du passager.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 18 novembre 2020, rédigé dans un style limpide. Il envisage deux aspects.

Absence d’opposabilité de la clause attributive au cessionnaire du droit à indemnisation

L’article 25, § 1, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose que, « si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ».

Il s’agit là d’un mécanisme classique du règlement, à propos duquel la Cour de justice est régulièrement appelée à intervenir. Elle a déjà précisé, par exemple, qu’il importe peu que la clause ait été acceptée en ligne, à la suite d’une acceptation par « clic » des conditions générales du contrat (CJUE 21 mai 2015, El Majdoub, aff. C-322/14, Dalloz actualité, 10 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1279 image ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJCA 2015. 370, obs. L. Constantin image ; RTD com. 2015. 777, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image).

La difficulté était en l’espèce de déterminer si la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de transport liant la société Ryanair à un passager pouvait ou non être opposée à une société cessionnaire du droit à indemnisation de ce passager.

À ce sujet, il est acquis qu’en principe (pour une présentation de différentes hypothèses jurisprudentielles, Mémento Francis Lefebvre Procédure civile, 2020/2021, n° 64530), une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat ne peut produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat (CJUE 28 juin 2017, Leventis et Vafeias, aff. C-436/16, pt 35, D. 2017. 1370 image ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; RTD com. 2017. 739, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; Rev. UE 2017. 570, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. de Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens image ; Europe 2016, Comm. 335, obs. Idot).

En l’espèce, l’arrêt relève que la société de recouvrement n’a pas consenti à être liée par une clause attributive de juridiction à la société Ryanair, et que cette dernière n’a pas davantage consenti à être liée à cette société de recouvrement par une telle clause (arrêt, pt 44).

Il en déduit que la clause attributive ne peut pas être opposée à la société de recouvrement (arrêt, pt 46). L’arrêt (pt 47) réserve cependant l’hypothèse dans laquelle, conformément au droit national applicable au fond, le tiers aurait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations, auquel cas la clause attributive de juridiction pourrait le lier (v. déjà, en ce sens, CJUE 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, aff. C-352/13, pt 65, Dalloz actualité, 15 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2016. 964, obs. D. Ferrier image ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJCA 2015. 382, obs. A.-M. Luciani image ; Rev. crit. DIP 2019. 786, note L. Idot image ; RTD eur. 2015. 807, obs. L. Idot image ; JCP 2015. 665, note D. Berlin ; Procédures 2015. Comm. 225, obs. C. Nourissat).

Clause attributive et clause abusive

L’affaire a conduit la Cour de justice de l’Union européenne à se pencher sur une seconde difficulté, cette fois de qualification de la clause attributive de compétence.

Ainsi qu’il l’a été rappelé précédemment, l’article 25, § 1, prévoit la compétence des juridictions d’un État membre désignées par la clause attributive de juridiction, « sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre ».

Ce principe est essentiel en l’espèce.

Puisque la clause attributive désigne les tribunaux irlandais, il conduit à devoir apprécier la validité de cette clause au regard du droit irlandais mais interprété conformément au droit de l’Union, et notamment à la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. On sait en effet que cette directive constitue une réglementation générale de protection des consommateurs, qui a vocation à s’appliquer dans tous les secteurs d’activité économique, y compris dans celui du transport aérien (CJUE 6 juill. 2017, Air Berlin, aff. C-290/16, pt 44, Dalloz actualité, 4 sept. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1468 image ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; JT 2017, n° 201, p. 14, obs. X. Delpech image ; RTD eur. 2018. 159, obs. L. Grard image ; Europe 2017. Comm. 364, obs. Michel ; CCC 2017. Comm. 213, obs. Bernheim-Desvaux ; ibid. 2018. Chron. 2, n° 11, obs. C. Aubert de Vincelles).

La référence à cette directive est décisive.

En vertu de son article 3, § 1, une clause est en effet considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat concerné.

Or une clause attributive de juridiction, qui est insérée dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle est situé le siège de ce professionnel, doit être considérée comme abusive dans la mesure où, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur concerné, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat (CJUE 9 nov. 2010, VB Pénzügyi Lízing, aff. C-137/08, pt 53, D. 2011. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron image ; ibid. 632, obs. C. Aubert de Vincelles image).

C’est cette solution que l’arrêt reprend : « le cas échéant, une telle clause, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur, à savoir le passager aérien, et un professionnel, à savoir [la] compagnie aérienne, et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle le siège de celle-ci est situé, doit être regardée comme abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE […] ».

Contrat de séjour : qualification exclusive de celle de louage de chose

La qualification des contrats est un aspect fondamental du droit civil (P. Jestaz, La qualification en droit civil, Droits 1993, n° 18, p. 45). Pouvant se définir comme l’opération intellectuelle consistant à classer un contrat concret dans une catégorie (A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 13e éd., LGDJ, 2019, n° 8, p. 23), elle « suppose de rattacher une situation de fait donnée à une catégorie prédéfinie en vérifiant que la première satisfait aux critères d’identification de la seconde » (P. Puig, Contrats spéciaux, 8e éd., Dalloz, coll. « Hypercours », 2019, n° 25, p. 33). Ceci requiert donc, dans un premier temps, d’identifier les éléments caractéristiques d’une catégorie contractuelle donnée pour, dans un second temps, vérifier qu’ils peuvent être retrouvés dans le contrat dont la qualification est recherchée. Une telle opération est d’une importance cruciale : elle est, en effet, le préalable nécessaire à la détermination du régime juridique applicable à un rapport contractuel donné (G. Virassamy, note ss Com. 4 juill. 1989, D. 1990. 246 image). Il s’agit donc d’une opération de droit, soumise au contrôle de la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt rendu le 3 décembre 2020, la troisième chambre civile a-t-elle eu l’occasion de préciser que le contrat de séjour est exclusif de la qualification de contrat de louage de chose, le régime spécial de responsabilité du locataire en cas d’incendie ne pouvant dès lors trouver application.

En l’espèce, un contrat de séjour avait été conclu entre une personne âgée et une société exploitant un EPHAD. Un incendie, dont l’origine est demeurée indéterminée, s’étant déclaré dans la chambre de la résidente, l’assureur de cette dernière a été assigné en réparation des dommages causés par le sinistre par la société (et son assureur subrogé dans ses droits) sur le fondement de l’article 1733 du code civil. Aux termes de celui-ci, en présence d’un contrat de louage de chose, le locataire répond de l’incendie, à moins qu’il ne prouve que ce dernier est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction, ou que le feu a été communiqué par une maison voisine. La cour d’appel a fait droit à cette demande, en affirmant, pour faire application du régime du louage de chose s’agissant de la responsabilité du locataire en cas d’incendie, qu’« un EPHAD […] consiste à la fois en une prestation d’hébergement relevant du contrat de louage et en prestations de services et de soins, nécessitant qu’il soit fait une application distributive de régimes différents, les obligations mises à la charge des parties coexistant dans la relation contractuelle ».

L’assureur de la résidente forme alors un pourvoi en cassation. Contestant la qualification de louage de chose, il soutient qu’un contrat de séjour, en raison des prestations à caractère médical, de services et de soins qu’il prévoit, n’est pas, fût-ce pour partie, soumis aux règles relatives au louage de chose. La cour d’appel aurait donc violé les articles 1709 et 1733 du code civil, ainsi que les articles L. 342-1, L. 342-2 et D. 311 du code de l’action sociale et des familles, dans leur rédaction applicable en la cause. La Cour de cassation casse, en effet, sa décision au visa de l’article 1709 du code civil en raison d’une violation, pour fausse application, de ce texte. Rappelant que « le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer », elle affirme clairement que « le contrat de séjour au sens de l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles est exclusif de la qualification de contrat de louage de chose ».

Il peut, certes, être tentant, face à un contrat complexe, d’opter pour une qualification mixte, conduisant à une application distributive des règles propres à chacune des catégories juridiques retenues. Ainsi, un contrat ayant pour objet l’achat d’une pellicule et son traitement a-t-il pu être qualifié pour partie de vente et pour partie de contrat d’entreprise (Civ. 1re, 25 janv. 1989, n° 87-13.640). De la même façon, les juges du fond avaient cru bon, en l’espèce, de retenir la double qualification de contrat de louage de chose (concernant la prestation d’hébergement) et de prestations de services et de soins. Si elle a le mérite de tenter de rendre compte le plus exactement possible de la spécificité du contrat litigieux, une telle qualification distributive conduit cependant à « dépecer le contrat » pour lui appliquer un double régime (A. Bénabent, « L’hybridation dans les contrats », in Mélanges Jeantin, Dalloz, 1999, p. 27 ; F. Labarthe, « Les conflits de qualification », in Mélanges Bouloc, Dalloz, 2006, p. 539). Elle n’est donc que rarement admise par la jurisprudence.

Une qualification unitaire est, en général, préférée. Il s’agit alors de rechercher la prestation caractéristique du contrat (M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, Economica, 2002). Ripert et Boulanger considéraient déjà qu’il est possible de distinguer une prestation, objet d’une obligation, à laquelle se rapportent les autres obligations que le contrat peut créer (G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil d’après le traité de Planiol, t. 2, LGDJ, 1957, n° 241, p. 99). Elle rend compte de la fonction principale du contrat. Prédominante, elle absorbe en quelque sorte l’utilité économique de ce dernier. Les autres obligations, accessoires, ne sont pas prises en compte lors de l’opération de qualification. La règle de l’accessoire conduit en effet à un « procédé de réduction » (expression de P. Voirin, in R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français. Tome 4. Les biens, par P. Voirin, 2e éd., Arthur Rousseau, 1938, p. 110, note 3) permettant de négliger ce qui est secondaire. Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de cassation le même jour que l’arrêt commenté (Civ. 3e, 3 déc. 2020, n° 19-19.670), les juges du fond avaient ainsi qualifié un contrat de séjour de bail, aux motifs qu’il avait « pour objet principal de mettre à la disposition de l’occupante un logement et une cave à titre exclusif en contrepartie d’une redevance couvrant le loyer et les charges de chauffage, d’eau et d’électricité et que les prestations complémentaires portant sur le service des repas, le dispositif d’alarme et les animations [étaient] facultatives et ne présent[ai]ent qu’un caractère accessoire ».

Retenir la qualification de louage de chose présentait, dans les deux espèces, un enjeu de taille : elle permettait, en effet, à la société d’invoquer l’application de l’article 1733 du code civil – propre à ce type de contrat –, lequel fait peser sur le locataire une présomption simple de responsabilité en cas d’incendie.

Bien que le raisonnement suivi par les juges du fond n’ait pas été identique – les premiers retenant une qualification distributive, les seconds une qualification unitaire –, les deux décisions sont cassées par la Cour de cassation pour violation de l’article 1709 du code civil. Selon elle, le contrat de séjour ne peut pas être qualifié (même partiellement) de contrat de louage de chose. La solution n’est guère surprenante au regard de la jurisprudence antérieure. La troisième chambre civile avait déjà précisé que « le contrat de séjour par lequel une maison de retraite s’oblige à héberger une personne âgée et à fournir des prestations hôtelières, sociales et médicales n’[est] pas soumis aux règles du code civil relatives au louage de choses » (Civ. 3e, 1er juill. 1998, n° 96-17.515, D. 1998. 207 image ; RDI 1998. 694, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé image ; RDSS 1998. 877, obs. J.-M. Lhuillier image). Il semble, en effet, difficile de considérer la mise à disposition d’un local comme la prestation caractéristique d’un tel contrat. Les premiers juges avaient ainsi, en l’espèce, considéré que la résidente et la maison de retraite « étaient liées par un contrat sui generis non assimilable aux dispositions régissant les baux d’habitation dès lors que des services spécifiques étaient proposés aux pensionnaires, dont une prise en charge médicale et paramédicale régie par des dispositions propres issues du code de l’action sociale et des familles ». L’assureur soulignait également, dans son pourvoi, que le contrat de séjour est soumis, soit à un statut (CASF, art. L. 311-4 : « Le contenu minimal du contrat de séjour ou du document individuel de prise en charge est fixé par voie réglementaire »), soit à des dispositions « exclusives de la qualification de louage de chose, au regard du caractère indéterminé de sa durée, du prix du séjour visé par voie réglementaire, du recouvrement des impayés et des modalités de résiliation » (v. moyen annexé à l’arrêt).

Jonction, omission de statuer et déféré

Le 27 septembre 2016, une salariée interjette appel d’un jugement du conseil de prud’hommes devant la cour d’appel d’Orléans et l’employeur relève à son tour appel dès le lendemain. Sur le premier appel, le conseiller de la mise en état est saisi par l’appelante d’un incident d’irrecevabilité de conclusions et d’appel incident de l’intimé et, sur le second, de la caducité de l’appel principal. Les deux incidents étaient donc conduits par la salariée, en qualité d’appelante sur le premier appel et en celle d’intimée sur le second. Le conseiller de la mise en état, après avoir joint les procédures, déboute la salariée de toutes ses demandes et l’appelante défère à la cour l’ordonnance. Par arrêt sur déféré du 18 décembre 2017, la cour d’appel dit n’y avoir lieu à statuer sur la caducité de l’appel et l’irrecevabilité des conclusions. Une fois l’arrêt sur le fond rendu, la salariée et l’Union départementale des syndicats Force Ouvrière d’Indre-et-Loire, qui était intervenante volontaire en cause d’appel, forment un pourvoi contre les deux arrêts. Se prononçant sur l’arrêt rendu sur déféré, la deuxième chambre civile juge :

« Vu les articles 4, 462 et 916 du code de procédure civile :
9. Il résulte de ces textes que lorsqu’elle est saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, ayant statué dans les cas prévus aux alinéas 2 et 3 de l’article 916, la cour d’appel examine, si la demande lui en est faite, les autres demandes soumises au conseiller de la mise en état que celui-ci n’aurait pas tranchées, y compris en raison d’une omission de statuer, dès lors qu’elles étaient formulées dans les conclusions examinées par le conseiller de la mise en état et que celui-ci n’a pas réservé sa décision sur ces demandes.
10. Pour...

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JLD [I]versus[/I] JEX : attention au respect des champs de compétence

Un étranger, en situation irrégulière sur le territoire national, a fait l’objet d’une mesure d’éloignement et a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral du 4 juin 2019

Par ordonnance rendue le 7 juin 2019, le juge des libertés et de la détention de Boulogne-sur-Mer prolonge la rétention administrative. Le ressortissant étranger interjette appel de cette ordonnance de prolongation.

À l’appui de son appel il fait valoir que le contrôle d’identité intervenu le 4 juin 2019 à l’occasion d’une opération d’évacuation d’une immeuble de ses occupants est intervenu uniquement en raison de son apparence ; que son interpellation n’est pas intervenue dans des conditions régulières de loyauté ; que l’arrêt de placement en rétention administrative n’est pas régulier en considération des garanties qu’il présente de représentation puisqu’aux travers des pièces qu’il verse à la procédure il dispose de conditions matérielles d’accueil sur le territoire français et d’un logement stable.

En effet, il précise que préalablement à l’opération d’évacuation, le 27 mars 2019, il avait saisi le juge de l’exécution de Lille pour contester une procédure d’expulsion ordonnée par le tribunal d’instance de la même ville et que par jugement rendu le 6 juin 2019, le juge de l’exécution avait fait droit à sa demande de suspension de son expulsion de son logement pour une durée de trois ans expirant le 6 juin 2022, que de ce fait il...

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Seconde déclaration d’appel élargissant l’intimation et instance nouvelle

À la suite d’une légionellose contractée à l’occasion d’un séjour dans un établissement thermal, la victime a agi en responsabilité contre l’établissement exploitant les installations, la société d’économie mixte d’exploitation du thermalisme et du tourisme (SEMETT). Cette dernière a été condamnée à indemniser la victime, et à payer la créance de l’organisme de sécurité sociale, la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

La société a fait un premier appel, n’intimant que la victime. Puis, une quinzaine de jours plus tard, elle forme une seconde déclaration d’appel pour intimer l’organisme de sécurité sociale.

Dans le cadre de son pourvoi, la société condamnée invoquait des conclusions déposées le même jour, dans le cadre de la seconde instance, et dont la cour d’appel n’aurait pas tenu compte.

Le pourvoi est rejeté au motif qu’en cas d’indivisibilité du litige, permettant à la partie d’appeler les parties omises dans le premier acte d’appel, la seconde déclaration d’appel ne crée pas une instance unique, de sorte que la cour avait bien statué au regard des dernières conclusions de l’appelant.

L’indivisibilité du litige

Un mot doit être dit sur cette indivisibilité du litige, qui permet d’élargir une intimation posée par une première déclaration d’appel.

Pour la Cour de cassation, l’indivisibilité se caractérise par « l’impossibilité d’exécuter séparément les dispositions du jugement concernant chacune des parties » (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-10.126 P). Mais l’imbrication des obligations entre les parties ne suffit pas à créer l’indivisibilité (Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 18-10.269).

Certains litiges sont indivisibles par nature, comme en matière d’admission de créance, ce qui oblige à appeler à la cause, à peine d’irrecevabilité, les organes de la procédure collective (Civ. 2e, 10 janv. 2019, n° 17-27.060). De même, il a été jugé que la péremption est par nature indivisible (Civ. 2e, 3 janv. 1980 ; 28 oct. 1985 ; 11 juin 1997).

Cette indivisibilité a des conséquences sur le plan procédural.

Ainsi, comme le prévoit l’article 529, « Dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l’une d’elles. ». Une partie peut donc se prévaloir d’une signification faite par une autre partie pour soutenir que l’appel est tardif à son égard.
Par ailleurs, il est prévu à l’article 553 que « En cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel de l’une produit effet à l’égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l’instance; l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance ».

L’indivisibilité oblige donc à ce que toutes les parties soient appelées en cause d’appel, à peine d’irrecevabilité, ce qui se comprend puisque cela pourrait aboutir à obtenir un jugement impossible à exécuter.

En l’espèce, la société avait omis, dans son premier acte d’appel, d’intimer l’organisme de sécurité sociale. Or, dans le cadre d’un litige d’indemnisation d’un préjudice corporel il existe une indivisibilité entre l’auteur, la victime et l’organisme social (par ex., Rennes, 5e ch., 8 nov. 2017, n° 16/09778 ; Orléans, ch. civ., 19 juin 2017, n° 15/04183 ; Chambéry, 30 oct. 2008, n° 08/00794 ; Douai, 3e ch., 1er mars 2018, n° 17/02640).

En conséquence l’appelant, auteur, devait intimer la victime, mais également l’organisme...

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Retour sur la responsabilité du banquier en matière de crédit affecté

Le crédit affecté, que le Code de la consommation qualifie également de crédit lié, est celui « servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ; ces deux contrats constituent une opération commerciale unique » (C. consom., art. L. 311-1, 11°). Dès lors, le crédit est intimement lié au contrat principal, l’anéantissement du second entraînant nécessairement celle du premier (C. consom., art. L. 312-55 : « En cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l’instance ou s’il a été mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur »). L’emprunteur est alors, en principe, obligé de restituer le capital au prêteur, excepté si ce dernier a commis une faute ayant entraîné un préjudice à l’égard de l’emprunteur (la faute de celui-ci pouvant toutefois conduire à un partage de responsabilité. V. par ex. Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-23.529, Dalloz actualité, 16 juin 2020, obs J.-D. Pellier ; D. 2020. 1101 image ; RTD com. 2020. 701, obs. B. Bouloc image). Encore faut-il démontrer tous ces éléments, ce qui n’est pas toujours chose aisée, comme l’illustre un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020. En l’espèce, un couple d’emprunteurs a, le 9 juin 2012, après un démarchage à domicile, acquis une éolienne auprès d’une société, qui a été placée en liquidation judiciaire le 24 octobre 2012. Ils avaient souscrit, le jour de l’acquisition, auprès d’une banque, un prêt destiné à la financer. L’éolienne a été installée le 2 juillet 2012 et la...

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Indivisions gigognes et efficacité de la cession de droits indivis

Une indivision complexe était née entre trois sœurs et un frère à la suite du décès de leur mère en 2009. Deux des sœurs étaient en effet déjà en indivision avec leur mère de son vivant sur un appartement situé à Paris, propriété indivise répartie à hauteur de 68 % pour la mère et 16 % pour chacune des filles, Bérénice et Stéphanie. Au décès de la mère, ses droits sur l’immeuble intégrèrent l’indivision successorale entre les quatre enfants. Bérénice et Stéphanie détenaient ainsi, en plus de leurs 16 % sur l’immeuble, une quote-part d’1/4 de l’indivision successorale (en ce compris les 68 % sur l’immeuble). Les deux autres enfants, Jean-Marc et Valérie, ne disposaient quant à eux que d’une quote-part d’un quart de l’indivision successorale (en ce compris les 68 % sur l’immeuble).

Soucieux de simplifier les choses, Bérénice et Jean-Marc avaient cédé à Stéphanie leurs droits sur l’immeuble à la faveur d’un acte authentique daté du 26 décembre 2011, auquel Valérie ne prit pas part, qui précisait que les parties entendaient expressément faire cesser l’indivision successorale sur les parts cédées. Aucune mention ne prévoyait que l’effectivité de la cession serait soumise à l’aléa du partage de l’indivision successorale dans son ensemble.

Une mésentente et des difficultés subsistaient entre les deux sœurs encore titulaires de droits sur l’immeuble. Valérie assigna donc Stéphanie en partage.

Par un arrêt infirmatif du 14 décembre 2018, la cour d’appel de Versailles ordonna le partage de l’indivision entre la demanderesse et la défenderesse au motif qu’il résulte de l’article 883 du code civil que l’effet déclaratif peut s’attacher à un acte qui n’emporte pas attribution de droits privatifs.

Stéphanie, la défenderesse succombante, forma un pourvoi en cassation. Elle reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir violé l’article 883 du code civil en refusant de tirer les conséquences de ce que les droits des cédants étaient subordonnés à l’aléa du partage. Selon la troisième branche du moyen «...

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Succession : calcul de l’indemnité de réduction au jour du partage

C’est un nouveau rappel fort bienvenu de la méthode de calcul de l’indemnité de réduction que réalise ici la Cour de cassation (v. déjà, Civ. 1re, 22 mars 2017, n° 16-15.484, D. 2017. 817 image ; AJ fam. 2017. 307, obs. N. Levillain image).

En l’espèce, deux époux avaient réalisé diverses donations à leurs trois enfants. Après leurs décès, des difficultés sont apparues entre les héritiers quant au partage des successions et de la communauté. Il était notamment question de diverses indemnités de réduction. Pour les calculer, le notaire avait retenu les valeurs des immeubles donnés à l’ouverture de la succession et réunis à la masse partageable, suivant en cela les préconisations d’un rapport d’expertise judiciaire. Or, certaines parcelles avaient bénéficié depuis l’ouverture des successions d’une augmentation conséquente de leur valeur en raison d’une évolution de leurs classement. Cela n’a pas empêché les juges du fond d’homologuer le projet de liquidation et partage réalisé par le notaire. La Cour d’appel de Rennes a notamment considéré, dans son arrêt du 30 octobre 2018, que cette méthode était conforme à l’article 922 alinéa 2 du code civil et que « l’application de cet article rendait inutile la discussion qui avait eu lieu entre les parties sur les futures éventuelles modifications de classement et de valeur des parcelles ».

L’un des héritiers forma un pourvoi en cassation au moyen que la Cour d’appel aurait violé l’article 868 du code civil dans sa rédaction applicable au litige.

Dans cet arrêt du 4 novembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation ne tergiverse pas : elle casse l’arrêt d’appel au visa et pour violation de l’ancien article 868 du code civil. Après avoir...

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Responsabilité de l’État : pas de faute lourde si les voies de recours ont été exercées

En France, la difficulté de mettre en œuvre la responsabilité de l’État pour défectuosité du service public de la justice réside dans la preuve d’une carence suffisamment grave constitutive d’un véritable dysfonctionnement de la juridiction (COJ, art. L. 141-1).

C’est ce que nous rappelle l’arrêt de rejet rendu par la première chambre civile le 18 novembre 2020.

En l’espèce, à l’occasion d’une information judiciaire ouverte des chefs de diverses infractions commises au préjudice d’une entreprise de transport maritime de passagers, le juge d’instruction a, notamment, mis en examen le gérant de la société et procédé à la saisie de navires. Par ordonnance, confirmée en appel, il a refusé la restitution des navires et prescrit leur remise au service du Domaine en vue de leur aliénation. Le pourvoi en cassation formé par le gérant a été rejeté en 2007. Par un arrêt partiellement infirmatif rendu en 2011, la cour d’appel l’a condamné pour abus de confiance, abus de biens sociaux, faux, obtention indue de documents administratifs et extorsion de fonds, à deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis, cinq ans d’interdiction de l’activité de transport maritime, a prononcé la confiscation de navires et a ordonné la restitution de cinq navires, dont quatre avaient été vendus entre temps par le service du Domaine. Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a une nouvelle fois été rejeté le 5 décembre 2012.

Invoquant un fonctionnement défectueux du service public de la justice résultant de la décision de saisir les navires, du défaut d’entretien et de gardiennage de ceux-ci ainsi que des ventes réalisées à un prix inférieur à la valeur réelle, le gérant a assigné l’Agent judiciaire de l’État en réparation de ses préjudices, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (COJ).

Par un jugement du 8 juin 2017, le tribunal de grande instance de Marseille a déclaré recevables ses demandes en indemnisation des préjudices liés à la saisie du navire Mistral II et a rejeté la demande d’annulation fondée sur le fonctionnement défectueux du service de la justice. Le 30 avril 2019, la cour d’appel a elle aussi rejeté les demandes et confirmé le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur sa recevabilité à agir relativement au bateau dénommé Mistral II et, statuant à nouveau de ce chef, l’a déclaré irrecevable en sa demande.

Le gérant de la société a formé un nouveau pourvoi en cassation, invitant la première chambre civile à se prononcer sur la présence d’une faute des juges du fond susceptible de traduire l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission qui lui incombe et, de fait, d’engager la responsabilité de l’État.

La Haute juridiction rejette le pourvoi en rappelant l’exigence d’une faute qualifiée ou d’un déni de justice pour engager la responsabilité de l’État pour défectuosité du service public de la justice. Elle confirme ensuite que la recherche de cette responsabilité ne peut pas constituer une voie de recours en plus de celles prévues par la loi. Elle reconnaît, toutefois, qu’il en va autrement dans le cas où la juridiction qui se prononce en dernier ressort a méconnu les dispositions du droit de l’Union européenne. 

L’exigence d’une faute lourde 

La Cour de cassation confirme que « la responsabilité de l’État en raison d’un dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ne peut être engagée que sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, à l’exclusion des dispositions de droit commun prévues par le...

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Nouvelle confrontation entre bien-être animal et abattage rituel

Pour la troisième fois en un peu plus de dix-huit mois, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) devait se prononcer sur les rapports entre bien-être animal et abattage rituel. Ses deux premières décisions relevaient d’une logique d’articulation. D’un côté, le droit de l’Union européenne (UE) peut imposer que l’abattage rituel soit opéré dans des abattoirs agréés dans la mesure où un tel encadrement ne restreint pas la liberté religieuse (CJUE 29 mai 2018, aff. C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a. c/ Vlaams Gewest,AJDA 2018. 1603, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; RTD eur. 2019. 395, obs. F. Benoît-Rohmer image). De l’autre, la certification européenne « agriculture biologique », qui inclut des standards élevés en matière de bien-être animal, ne peut être attribuée à la viande issue d’animaux abattus, selon les rituels religieux, sans étourdissement préalable (CJUE 26 févr. 2019, aff. C-497/17, OABA c/ Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Bionoor SARL, Ecocert France SAS, INAO, AJDA 2019. 1047, chron. P. Bonneville, S. Markarian, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2019. 805 image, note F. Marchadier image ; RTD eur. 2020. 323, obs. F. Benoît-Rohmer image). La dernière décision de la Cour, rendue le 17 décembre 2020, traduit cette fois une logique d’opposition. Les Etats membres souhaitant promouvoir le bien-être animal sont ainsi en droit de supprimer l’exception à l’obligation générale d’étourdissement préalable des animaux normalement accordée pour l’abattage rituel. 

C’est un décret adopté par le gouvernement flamand de Belgique le 7 juillet 2017 qui a transporté la controverse jusqu’aux prétoires. Celui-ci conditionne l’abattage rituel d’animaux à leur étourdissement préalable réversible et non létal. Il met ainsi à profit la possibilité laissée par le règlement (CE) n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, dont l’article 26, § 2 c), permet aux États membres d’adopter des mesures assurant une meilleure protection des animaux. Néanmoins, l’article 4, § 4, du même règlement prévoit explicitement une exception à l’obligation d’étourdissement préalable des animaux pour ce qui concerne la mise à mort réalisée conformément à des préceptes religieux. L’enjeu est donc de déterminer si la marge laissée aux États membres permet d’aller jusqu’à supprimer l’effet de l’exception prévue en matière d’abattage rituel. C’est dans ce contexte que la Cour constitutionnelle de Belgique, saisie par diverses associations juives et musulmanes de plusieurs recours en annulation contre le décret, a décidé de poser à la CJUE trois questions préjudicielles portant respectivement sur l’interprétation de l’article 26, § 2 c), du règlement, le respect de l’article 10, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux garantissant la liberté de religion et le respect des principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique garanties par les articles 20, 21 et 22 de la Charte.

Le bien-être animal, une valeur de l’UE

La Cour, réunie en grande chambre, focalise l’essentiel de sa décision sur les deux premières questions, traitées conjointement. Elle rappelle avant tout que l’obligation d’étourdissement préalable, et plus généralement l’ensemble du règlement n° 1099/2009 soumis à son interprétation, traduisent le fait que le bien-être animal constitue une valeur de l’UE consacrée tant par l’article 13 TFUE que par la jurisprudence (v. not. l’arrêt Liga van Moskeeën préc., §§ 63-64 ; CJUE 23 avr. 2015, aff. C-424/13, Zuchtvieh-Export, § 35). Dès lors, ce n’est qu’à titre dérogatoire et pour assurer le respect de la liberté de religion qu’une exception est prévue pour ce qui concerne l’abattage rituel. À cet égard, compte tenu des disparités de traitement de l’abattage rituel entre les États membres, le législateur européen a entendu assurer un certain « degré de subsidiarité » en leur laissant la liberté d’adopter des mesures plus favorables à la protection des animaux. Dans ces conditions, c’est aux États membres eux-mêmes d’opérer la conciliation entre les deux valeurs protégées par le droit de l’UE. Assez logiquement, l’article 26, § 2 c), du règlement, pris in abstracto, ne porte donc aucune atteinte à la liberté de religion garantie par l’article 10, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux. Un État membre peut adopter des mesures plus favorables au bien-être des animaux au moment de leur mise à mort à la condition, cependant, que pareilles mesures respectent les droits fondamentaux.

Or, le décret adopté par la région flamande, qui relève effectivement, selon la Cour, du champ d’application de l’article 10, § 1er, de la Charte, apparaît limiter l’exercice du droit à la liberté des croyants juifs et musulmans. L’abattage rituel exige en effet que la mort de l’animal découle du seul fait qu’il se vide de son sang, raison pour laquelle, pour s’en assurer, l’étourdissement préalable n’est pas pratiqué. Afin de déterminer si une telle limitation de la liberté de religion est permise, la CJUE procède, en premier lieu, à différents constats. La réglementation nouvelle est bien prévue par la loi et n’aboutit pas à prohiber en tant que tel l’abattage rituel, encore que, sur ce dernier point, l’affirmation paraît un peu rapide et l’on pourrait objecter que l’absence d’étourdissement semble malgré tout en constituer pour les requérants un élément primordial. Le décret litigieux poursuit en outre un objectif d’intérêt général largement exprimé par le législateur flamand et reconnu par le droit de l’Union.

Proportionnalité de l’ingérence dans la liberté de manifester sa religion

En second lieu, la Cour se penche plus longuement sur le respect du principe de proportionnalité, sachant que dans le domaine des rapports entre État et religions, il convient de reconnaître la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités nationales. Le raisonnement des juges procède en deux temps. D’une part, ils constatent que le législateur flamand s’est fondé sur un consensus scientifique établissant que l’étourdissement préalable constitue le meilleur moyen de réduire la souffrance des animaux au moment de leur mise à mort. Le décret adopté satisfait donc à la condition de nécessité. D’autre part, pour établir le caractère proportionné de l’ingérence dans la liberté de manifester sa religion, la Cour souligne que le législateur flamand s’est là encore appuyé sur des recherches scientifiques démontrant que l’étourdissement préalable n’avait aucune conséquence sur le fait que la mort des animaux était entraînée par la saignée. Selon ces études, la technique de l’électronarcose aboutit à un étourdissement réversible et non létal. Par conséquent, c’est l’argument principal au fondement de l’abattage rituel sans étourdissement qui est écarté, c’est-à-dire la crainte que la mort de l’animal soit causée par la technique d’étourdissement et non par la saignée. La Cour aurait sans doute pu s’arrêter là. Elle replace néanmoins le débat dans le cadre d’un conflit de valeurs : « la Charte est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques (…). Or, le bien-être animal, en tant que valeur à laquelle les sociétés démocratiques contemporaines attachent une importance accrue depuis un certain nombre d’années, peut, au regard de l’évolution de la société, être davantage pris en compte dans le cadre de l’abattage rituel et contribuer ainsi à justifier le caractère proportionné d’une réglementation telle que celle en cause au principal » (§ 77). Pour toutes ces raisons, elle conclut au caractère proportionné des mesures adoptées par la région Flandre.

Respect des principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique

Quant à la troisième question préjudicielle qui lui était posée, la Cour considère que la possibilité pour les États membres d’adopter de telles mesures ne contrevient pas aux principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique protégés par les articles 20, 21 et 22 de la Charte des droits fondamentaux. Les requérants contestaient le fait que les États membres puissent imposer l’étourdissement préalable des animaux lors de l’abattage rituel alors que le règlement n° 1099/2009 ne contient aucune disposition semblable pour les animaux mis à mort lors de manifestations culturelles ou sportives ou dans le cadre d’activités de chasse ou de pêche. Pour les premières, la Cour retient qu’elles n’ont pas vocation à produire des denrées alimentaires autrement que de façon purement marginale. Elles n’entrent donc pas dans le champ de l’article 1er, § 1er, du règlement. Pour les secondes, les juges soulignent, non sans une certaine ironie, que les notions de chasse et de pêche perdraient tout leur sens si elles devaient être pratiquées sur des animaux préalablement étourdis.

Un bien-être animal valorisé

La tension persistante entre bien-être animal et abattage rituel en droit de l’Union européenne méritait bien un traitement à part entière. À ce titre, la décision rendue par la Cour fera date, d’autant qu’elle valorise nettement le bien-être animal en allant à l’encontre des conclusions de l’Avocat général G. Hogan. Elle n’apparaît toutefois pas exempte de critiques.

D’une part, si son raisonnement traduit un appel à faire évoluer les pratiques en matière d’abattage rituel, la Cour ne nomme pas explicitement les choses. Elle se range derrière les avis scientifiques mis en avant par le législateur flamand. Cependant, il faut savoir que le débat sur l’étourdissement préalable des animaux existe au sein même des institutions religieuses et que certaines y sont favorables (v. F. Marchadier, L’abattage, le bien-être de l’animal et la labellisation « agriculture biologique », D. 2019. 805 image, spéc. p. 807, citant not., D. Boubakeur, Rapport de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris à propos du sacrifice islamique des animaux destinés à la consommation halal et sur les méthodes internationales récemment admises par les pays musulmans, Revue semestrielle de droit animalier, 2010/2, p. 169 ; A. Peters, L’abattage religieux et le bien-être animal revisités, Cahiers de droit européen, 2020/1, p. 128 citant par exemple une recommandation commune de la Ligue islamique mondiale et de l’OMS datant de 1986). Ce n’est évidemment pas à la Cour de le trancher pour ces dernières. Cela dit, l’évoquer aurait pu montrer que le bien-être animal et la liberté de religion ne sont pas, contrairement à ce que laissent entendre certains points de la décision, deux valeurs parfaitement irréconciliables.

D’autre part, il est permis de s’étonner du constat, partagé par la Commission, selon lequel la Flandre peut bien imposer l’étourdissement lors de l’abattage rituel dès lors que la libre circulation des produits provenant d’autres Etats membres n’est pas entravée et permet en conséquence de se procurer de la viande issue d’abattages rituels réalisés sans étourdissement.

Enfin, il n’apparaît pas inutile de rappeler que la possibilité d’imposer l’étourdissement y compris lors de l’abattage rituel d’animaux intervient dans un contexte où l’effectivité de la législation européenne en matière de bien-être animal est perçue comme laissant à désirer (v. not., C. Maubernard, Conclusions du Conseil de l’Union européenne : le bien-être animal entre consécration de haut niveau et vacuité des considérations matérielles, Revue semestrielle de droit animalier, 2020/1, pp. 131-133 ; Cour des comptes européennes, Rapport spécial n° 31/2018, Bien-être animal dans l’UE : réduire la fracture entre des objectifs ambitieux et la réalité de la mise en œuvre, novembre 2018). Il suffit de renvoyer sur ce point aux images de mauvais traitements dans les abattoirs régulièrement révélées dans les médias. Certes, ce n’est pas une raison pour ne pas adopter de mesures assurant une meilleure protection des animaux. Il faut néanmoins reconnaître qu’une fois ces remarques mises bout à bout et même si la promotion du bien-être animal peut être vue comme un progrès du point de vue d’une grande partie de l’opinion publique, les citoyens touchés par ces mesures n’en doivent pas moins garder un goût amer. 

Pas d’interdiction des poursuites pour le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour autrui

S’il est exact que le constituant d’une sûreté réelle pour la garantie de la dette d’un tiers ne s’engage pas à satisfaire à l’obligation d’autrui, il y a un pas de géant pour en déduire que ce constituant n’est pas le débiteur du bénéficiaire, lequel ne serait pas, réciproquement, son créancier. Le Cour de cassation le franchit pourtant allègrement en retenant, au sein de cet arrêt de la chambre commerciale rendu le 25 novembre 2020, que faute d’avoir la qualité de créancier à l’égard du constituant, le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui n’est pas soumis au principe de l’interdiction des poursuites individuelles en cas de procédure collective.

En l’espèce, une société avait hypothéqué un terrain en faveur d’une banque, pour la garantie de prêts souscrits par une autre société. L’emprunteuse ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque s’est prévalue de son « cautionnement hypothécaire » et a initié la réalisation de l’hypothèque. Cependant, en cours de route, la constituante a elle-même été placée en redressement judiciaire, de sorte que l’arrêt des voies d’exécution sur l’immeuble grevé a été sollicité. La cour d’appel ayant fait droit à cette demande, la banque a formé un pourvoi, lequel imposait de préciser le sort du bénéficiaire d’une sûreté réelle garantissant la dette d’un tiers lorsque le constituant est placé en procédure collective. Plus précisément, le bénéficiaire d’une telle sûreté subit-il l’interdiction des poursuites individuelles ou peut-il, à l’inverse, réaliser sa sûreté indifféremment de l’existence de la procédure ?

Au visa des articles L. 621-40 et L. 621-42 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et de l’article 2169 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 23 mars 2006, la chambre commerciale casse l’arrêt d’appel. Ayant rappelé – selon une formule désormais classique – qu’une « sûreté réelle, consentie pour garantir la dette d’un tiers », n’implique « aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l’obligation d’autrui », la Cour de cassation en déduit que « le bénéficiaire […] ne peut agir en paiement contre le constituant, qui n’est pas son débiteur », de sorte que « n’ayant pas acquis la qualité de créancier, il n’est pas soumis à l’arrêt ou l’interdiction des voies d’exécution ». Par conséquent, le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour autrui peut librement « poursuivre ou engager une procédure de saisie immobilière contre le constituant » sous le coup d’une procédure collective, ce qui constitue un sort particulièrement favorable.

Cette décision inspire de nombreuses réflexions. À titre liminaire, deux sont importantes. D’abord, si l’arrêt se fonde sur l’ancienne numérotation du code civil et du code de commerce, la solution s’applique pareillement à la nouvelle numérotation (C. com., art. L. 622-21-I et art. L. 622-23 ; C. civ., art. 2464), laquelle ne contient pas de modification substantielle. Ensuite, cette décision, quoi que formulée à l’occasion d’une procédure de redressement judiciaire, arbore une portée générale et s’applique à l’ensemble des procédures collectives.

Au-delà de ces remarques liminaires, l’arrêt laisse profondément perplexe. À force de nier toute correspondance de nature entre une sûreté réelle pour autrui et une sûreté personnelle, la Cour de cassation bascule vers un raisonnement juridique contestable, selon lequel le constituant d’une sûreté réelle pour autrui ne serait pas le débiteur du bénéficiaire, qui ne serait pas non plus son créancier. Voilà qui méconnaît la nature même d’une convention constitutive de sûreté réelle, de sorte que cette décision illustre le nécessaire retour à l’orthodoxie juridique quant au traitement des sûretés réelles pour autrui. 

Contestation du raisonnement

La solution débute par la reprise d’une formule constituant, depuis une quinzaine d’années, la boussole de la Cour de cassation quant aux sûretés réelles pour autrui. En effet, la chambre commerciale prend soin de rappeler que la sûreté réelle garantissant la dette d’un tiers n’implique « aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l’obligation d’autrui ». Cette formule a permis d’éviter que les sûretés réelles pour autrui ne tombent dans le giron du droit du cautionnement (v. Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210, D. 2006. 729 image, concl. J. Sainte-Rose image ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 733, note L. Aynès image ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; ibid. 2855, obs. P. Crocq image ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2006....

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Refus de révocation du sursis à statuer : irrecevabilité de la demande d’autorisation de faire appel

Dans le cadre d’un litige opposant une banque à des emprunteurs, une plainte pénale est ouverte, entraînant le sursis à statuer prononcé par le juge de la mise en état du tribunal.

Cette ordonnance de mise en état ne fera l’objet d’aucun recours, les parties n’ayant pas demandé à être autorisé à en faire appel. Toutefois, alors que la procédure pénale ayant conduit à ce sursis était toujours en cours, la banque a estimé que l’affaire devait reprendre son cours. Elle a alors demandé au juge ayant prononcé ce sursis de le révoquer, ce que ce dernier devait refuser. La banque a donc saisi le premier président pour être autorisé à interjeter appel de l’ordonnance de refus de révocation.

Le premier président déclare irrecevable la demande d’autorisation, ce que la Cour de cassation approuve.

L’autorisation d’appel…

Le sursis à statuer, qui est un incident d’instance ne mettant pas fin à l’instance, mais qui la suspend, connaît un régime particulier s’agissant de la voie de recours.

Rappelons que la jurisprudence qualifie ce sursis à statuer d’exception de procédure, de sorte que dans les procédures avec désignation d’un magistrat de la mise en état, c’est ce dernier qu’il faut saisir de la demande de sursis à statuer, conformément aux dispositions de l’article 789 anciennement 776 (Civ. 2e, 25 juin 2015, n° 14-18.288 P).

Tout comme pour l’expertise, avec l’article 272, « la décision de sursis à statuer peut être frappée d’appel sur autorisation du premier président de la cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime » (C. pr. civ., art. 380). Le premier président, saisi selon la procédure accélérée au fond (anciennement en la forme des référés), rend alors une ordonnance par laquelle il autorise l’appel s’il considère qu’il existe un motif grave et légitime. L’appel reste alors conditionné à cette autorisation.

Ces procédures restent relativement rares, et n’alimentent pas vraiment la jurisprudence. Il ne fallait donc pas passer à côté de cette décision, qui au surplus est publiée.

… de la décision de sursis à statuer

Si la décision de sursis à statuer ne fait l’objet d’aucune demande d’autorisation, le sursis à statuer produit son plein effet, jusqu’à l’événement attendu. Dès la survenance de l’évé+nement, la cause de sursis disparaît et l’instance reprend son cours, et le délai de péremption avec.

Mais il peut arriver que l’une des parties, qui ne justifiait pas d’un motif grave et légitime pour faire appel lorsque la décision a été rendue, considère en cours de procédure que le sursis à statuer ne se justifie plus.

Le code a tout prévu, l’article 379, alinéa 2, précisant que « le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis à statuer ou en abréger le délai ». Les parties ne sont donc pas enfermées dans un sursis à statuer dont elles n’ont pas fait appel, et qui pourrait retarder inutilement la procédure. C’est le juge qui a ordonné le sursis à statuer qui révoquera le sursis ou en abrégera le délai. Cette procédure est une espèce de rétractation, qui permet au juge de revenir sur ce qu’il a jugé.

En l’espèce, c’est le juge de la mise en état qui avait ordonné le sursis, et c’est à lui que la banque a demandé de révoquer le sursis, ce qui a été refusé.

Mais la décision statuant sur la révocation ou en abrègement de délai de l’article 379, alinéa 2, du code de procédure civile n’est pas une décision ordonnant le sursis à statuer. C’est ce que nous rappelle la Cour de cassation. L’article 380 qui prévoit une autorisation de faire appel par le premier président ne vise que la décision qui ordonne le sursis à statuer, non la décision qui se prononce sur l’alinéa 2 de l’article 379, qu’il soit fait droit ou non à la demande de révocation. La Cour de cassation approuve ainsi le premier président qui a déclaré irrecevable la demande d’autorisation de faire appel. Elle retient que l’autorisation du premier président concerne seulement la décision qui a ordonné le sursis à statuer, sans s’étendre à celle rejetant la demande de révocation de ce sursis. C’est une stricte application des dispositions de l’article 380 du code de procédure civile.

Cet arrêt de rejet complète utilement un précédent arrêt pouvant laisser entendre qu’était ouvert la possibilité de saisir le premier président d’une demande d’autorisation d’une décision ayant refusé la révocation d’un sursis à statuer précédemment ordonné (Civ. 2e, 27 sept. 2018, FS-P+B, n° 17-17.270, Dalloz actualité, 7 nov. 2018, obs. M. Kebir).

Un appel sans autorisation

La Cour de cassation exclut donc toute demande d’autorisation. Au soutien de son pourvoi, le demandeur concluait sur le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. En d’autres termes, se pose la question du recours si celui de l’article 380 est définitivement fermé.

La Cour de cassation rappelle tout d’abord que la décision ordonnant le sursis à statuer était elle-même susceptible d’appel. La partie pouvait donc, si elle considérait que le sursis à statuer ne s’imposait pas, saisir le premier président d’une demande d’autorisation, ce qu’elle n’a pas fait. l n’est pas inutile de souligner que cette autorisation suppose de justifier d’un motif grave et légitime, ce qui constitue indéniablement un obstacle à l’appel. Mais il n’en demeure pas qu’un recours existe, sur autorisation.

La Cour de cassation précise d’autre part que le recours contre la décision de rejet de la demande de révocation n’est pas fermé pour autant puisqu’en effet, il est différé conformément aux dispositions de l’article 776, alinéa 2, du code de procédure civile, aujourd’hui 795, alinéa 2. Cette précision est importante car l’article 379, alinéa 2, ne prévoit quant à lui aucun recours particulier, et la question pouvait se poser de savoir quel était ce recours. L’arrêt de la Cour de cassation éclaire donc sur le recours de la décision de refus.

S’agissant d’une ordonnance de mise en état, c’est un appel différé avec le jugement sur le fond. Il n’y a donc pas, pour la Cour de cassation, une atteinte au droit de recours. Cela étant, cet argument convainc à moitié. En effet, le sursis à statuer n’ayant pas été révoqué, l’instance est suspendue, jusqu’à ce survienne l’événement attendu, tel que fixé dans la décision de sursis à statuer. Ce n’est qu’alors, lorsque le sursis à statuer ne produira plus ses effets, que la juridiction rendra son jugement au fond. Celui qui n’avait pas obtenu la révocation du sursis à statuer pourra alors faire appel de la décision de rejet de la demande de révocation, avec le jugement au fond, le cas échéant en limitant son appel à la seule ordonnance de mise en état si le jugement au fond lui est favorable.

Et c’est alors en terme d’opportunité que la question du recours se posera. Quel intérêt de faire appel pour la partie qui a essuyé un refus d’une demande de révocation, dès lors que l’instance a repris et que le juge a statué au fond ? Si, sur le papier, le droit au recours est conservé, il est en pratique inexistant. Et il plus que probable que les cours d’appel n’auront jamais à connaître de l’appel d’une décision de rejet d’une révocation de sursis à statuer. En excluant que ces décisions puissent, par une espèce de parallélisme des formes, suivre le régime des décisions ordonnant le sursis à statuer, la Cour de cassation a de fait fermé tout recours, même si elle s’en défend par une argumentation dont nous pouvons douter qu’elle ait convaincu personne.

D’un autre côté, est-ce vraiment regrettable que ce recours n’existe pas ? Le juge a ordonné un sursis à statuer, par une décision appelable (sous conditions). Saisi ultérieurement pour qu’il revienne dessus, il refuse de revoir sa position. Après tout, est-il utile d’encombrer les juridictions avec ce type de litige ? Cela n’est pas certain.

Mails malveillants, piratage de compte et épluchage du réseau LinkedIn : récit de la vengeance 2.0 sordide d’un amant éconduit

Un amant est éconduit par son ancienne maîtresse. Fou de rage, il cherche à se venger de la pire des façons en dévoilant leur relation, une manière, dit-il, de tenter d’entraîner dans sa chute son ancien amour perdu. Lundi, la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris avait à juger un dossier qui a connu un écho singulier grâce à l’utilisation à outrance des possibilités du numérique. « Ce que cette affaire a de particulier, ce sont les moyens utilisés, résume le substitut Barthélémy Hennuyer. C’est ce qui donne à cette malveillance une dimension ahurissante ». « Des proportions, permises grâce à l’informatique et les réseaux sociaux, qui donnent le vertige », ajoute-t-il.

Pendant plusieurs mois, au cours de l’été et de l’automne 2019, Marc* a inondé la sphère professionnelle, amicale et familiale d’Armelle*. En tout, une trentaine de mails ont été envoyés à au moins 900 personnes – le décompte définitif est incertain –, qui connaissaient de près ou pas la victime. Ils sont envoyés à des collègues d’Armelle, à sa paroisse, à ses amis, ou encore à ses parents. Certains des messages, malveillants, sont signés à tort du nom des enfants d’Armelle, d’autres de son nom. Certains sont accompagnés de photos de nus. La rémunération d’Armelle est dévoilée. Un autre message affirme que son époux n’est pas le père de leurs enfants. Un dernier annonce enfin à ses destinataires l’homosexualité du nouveau patron d’Armelle, devenu une victime colatérale de la folie de l’amant éconduit. Ce qui a valu à Marc des poursuites pour usurpation d’identité, violation de la vie privée (la porno-divulgation), dénonciation mensongère et une série d’infractions informatiques pour le piratage de la boîte mail d’Armelle. Une liste trop courte pour la partie civile, qui a plaidé pour retenir des qualifications supplémentaires, de l’envoi de messages malveillants au harcèlement.

« J’ai commencé à dévisser »

Sans cette affaire, Armelle et Marc seraient deux quadra cadres supérieurs à la réussite éclatante. La première, diplômée de Science-Po, est une spécialiste des ressources humaines, aujourd’hui DRH d’un groupe réalisant plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le second a fondé, avec succès, une entreprise de conseil en ingénierie, qui pesait il y a deux ans plus de 120 millions d’euros de chiffre d’affaires. Armelle et Marc s’étaient connus au début des années 2000. Ils se retrouvent en 2015. Cela tombe bien, Marc recherche justement un nouveau responsable des ressources humaines. Leur histoire reprend, d’abord strictement professionnelle. Puis, deux ans plus tard, après un séminaire à Barcelone, les deux amants, qui ont chacun construit leur famille, renouent leur relation. Un temps seulement. Alors qu’ils envisagent l’achat d’un appartement à Neuilly, dans la banlieue cossue de Paris, pour refaire leur vie, Armelle met un point final à cette histoire et annonce qu’elle va changer d’employeur.

« J’ai commencé à dévisser, explique Marc, rouge de honte, à la barre. Je sentais bien que cela m’échappait. J’ai sombré. À la fin de l’été, elle était dure, froide avec moi. Je voulais qu’Armelle partage la douleur que je vivais. C’est là que j’ai eu l’idée de ces mails atroces, horribles. Je savais que cela allait être destructeur mais c’était plus fort que moi. »

— Vous vous rendez compte du nombre de personnes destinataires ?, s’étonne la juge-rapporteure Jehiel. Et vous envoyez vos messages à la terre entière presque, et notamment la terre de madame ?

— Oui, c’est horrible, et j’ai fait cela, répond, contrit, Marc.

Armelle se tient la tête en l’écoutant. « Ce que j’ai vécu, c’est une destruction de l’intérieur, une humiliation profonde de mon image, de mes études, de ce que je suis en tant que mère, femme, une démolition sociale et une profonde déstabilisation de ma vie de famille », avait-elle expliqué auparavant, des sanglots dans la voix, alternant des regards en direction des magistrats et vers le prévenu. « La seule chose qu’il n’a pas réussie, c’est mettre fin à ma vie », ajoute celle qui a pensé, au paroxysme de ce drame, à se jeter dans la Seine. Plus d’un an après ces envois, le couple vit toujours dans la crainte qu’un ancien mail ne refasse surface.

Pour répandre son fiel, Marc épluche le réseau social LinkedIn pendant près d’une trentaine d’heures. Cela lui permet, en ciblant la nouvelle entreprise d’Armelle, de reconstituer un fichier mail – il suffit de connaître l’enchaînement standard entre le prénom et le nom des salariés – des nouveaux collègues de son ancienne maîtresse. Grâce à une redirection automatique des messages du compte mail d’Armelle, piraté, il se constitue également un fichier d’adresses dans le réseau personnel de la famille de la quadragénaire. La déferlante de messages pousse le nouvel employeur d’Armelle à suspendre pendant quarante-huit heures la réception des messages électroniques de ses salariés. « On a dû arrêter la messagerie parce que des collaborateurs recevaient des emails dégueulasses sur des cadres dirigeants, c’est quelque chose que nous avons vécu de manière très violente », explique l’un des patrons de l’entreprise d’Armelle. En filtrant mots-clés et adresses d’expédition, l’entreprise réussit finalement partiellement à stopper le flux nauséabond.

Requêtes aux fins de levée d’anonymat

Si, à l’audience, le prévenu reconnaît sa responsabilité dans l’envoi des mails, l’enquête pour identifier le mystérieux corbeau n’a pas été simple à l’époque. Le conseil d’Armelle, Me Vincent de la Morandière, s’appuyant sur l’article 145 du code de procédure civile, demande à Google et Yahoo de livrer des éléments d’identification relatifs à la vingtaine de boîtes mail utilisées par le corbeau. Deux adresses IP ayant été identifiées à la suite du piratage du mail d’Armelle, Orange est également sommé. Soit dix requêtes aux fins de levée d’anonymat, qui, malgré des refus, vont faire avancer l’enquête et ainsi confondre Marc, placé en garde à vue au début du mois de novembre. La réponse de l’opérateur de téléphonie avait permis de relever que le harceleur s’était connecté depuis son domicile. Quant aux éléments fournis par Google, ils ont montré que les adresses IP de création des nombreux comptes Gmail suivaient Marc dans ses déplacements pour des séminaires professionnels en Europe. Soit, sur le plan pénal, des faits qui justifient, pour le magistrat Barthélémy Hennuyer, trente mois de prison avec sursis probatoire de deux ans.

Reste la question des dommages et intérêts à accorder à Armelle, et à son employeur, qui demande également réparation. Un point où les deux parties sont franchement en désaccord. Le prévenu a envoyé un chèque de 12 000 € à la victime à l’hiver dernier. La simple évocation de la somme fera grimacer l’avocat d’Armelle. Les parties civiles demandent en effet une somme bien plus conséquente, proche du million d’euros. Un chiffre atteint en estimant, mail par mail, en fonction de la qualité des destinataires, le préjudice subi. Une facture, rondelette, à la portée de la bourse de Marc, qui aurait bénéficié d’un confortable parachute doré de plusieurs millions d’euros – le montant est contesté par la défense – à son départ de sa société à la suite du scandale. « Quand on vient en justice pour se venger, on en ressort forcément avec la même douleur et avec de la frustration », avertit, à l’adresse des victimes, Me Sabrina Goldman, l’avocate de Marc. Ce dernier « passe son temps à se plaindre, mais n’a pas su trouver le mot pardon, réparation », regrette au contraire Me Vincent de la Morandière. Le délibéré sur l’action publique est attendu début mars. Quant aux intérêts civils, au vu de leur caractère complexe, ils ont été renvoyés à une nouvelle audience, dans quatre mois, par la cour.

 

* Les prénoms ont été changés

Modalités d’accréditation des organismes certificateurs des services de MARD en ligne: un système complexe

Le procédurier, entendu comme technicien de la procédure civile et non comme l’amateur de « chicane », avait reçu un « gros Noël » en 2019 avec la réforme « Belloubet », issue principalement des décrets n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et n° 2020-1419 du 20 décembre 2019 (v., parmi d’autres réf., les dossiers publiés sur Dalloz actualité, 20 janv. 2020 et dans D. avocats 2020. 17 s. image)… étant rappelé que la réforme « Belloubet » avait commencé bien avant le temps de Noël, avec la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (v. not. C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects numériques, D. 2019. 1069 image).

La version 2020 du « Noël » a été moins volumineuse, ce dont le « procédurier » ne s’est pas plaint : il avait en effet dû essayer de comprendre, retenir et appliquer les changements intervenus en 2019 et aspirait à un peu de répit… qui n’a pas été total. En effet, ses « petits souliers » ne sont pas restés vides au pied du sapin. Le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020, précédant le temps de l’avent, a apporté son lot de retouches ou de modifications (not. F.-X. Berger, Réforme de la procédure civile : pas de répit pour les praticiens, Dalloz actualité, 1er déc. 2020 ; C. Lhermitte, Décret du 27 novembre 2020 et appel : une énième réforme qui s’abstient de réformer, Dalloz actualité, 17 déc. 2020 ; C. Bléry, Un juge civil toujours plus lointain… ? Réflexions sur la dispense de présentation et la procédure sans audience, Dalloz actualité, 22 déc. 2020). Puis, pour Noël, le décret n° 2020-1641 du 22 décembre 2020 reportant la date d’entrée en vigueur de l’assignation à date dans les procédures autres que celles de divorce et de séparation de corps judiciaires, et l’arrêté du 22 décembre 2020 modifiant l’arrêté du 9 mars 2020 relatif aux modalités de communication de la date de première audience devant le tribunal judiciaire, sont venus préciser les conditions de mise en œuvre de la prise de date à compter du 1er janvier 2021 (F.-X. Berger, La saga de « l’assignation à date » : fin de la saison 1, Dalloz actualité, 5 janv. 2021).

Un autre texte, tiré de la hotte de la Chancellerie, est sans doute passé plus inaperçu. C’est le décret n° 2020-1682 du 23 décembre 2020 relatif à la procédure d’accréditation des organismes certificateurs délivrant la certification des services en ligne fournissant des prestations de conciliation, de médiation et d’arbitrage. Il est vrai qu’il s’adresse moins au « procédurier » qu’à ceux qui veulent éviter la procédure habituelle : selon la notice, il concerne « les personnes physiques et morales proposant un service en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage, le Comité français d’accréditation (COFRAC), les organismes certificateurs, les personnes physiques et morales utilisatrices desdits services en ligne ». De fait, il s’inscrit dans le mouvement général de la faveur pour les modes amiables de résolution des différends (MARD) ou de règlement extrajudiciaire des litiges (REL) – pour utiliser deux terminologies actuelles –, qui se combine ici avec une autre tendance favorable, elle, à la dématérialisation.

Le décret du 23 décembre 2020 prend place au sein d’un ensemble de textes en vigueur au 1er janvier 2021.

C’est la loi Belloubet qui a légiféré en matière de MARD en ligne (v. C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice…, art. préc.). Bien que n’étant pas la panacée, ne serait-ce que parce qu’on ne fait pas s’entendre des personnes qui ne le souhaitent pas, le législateur impose de plus en plus le recours à des MARD et de manière de plus en plus contraignante. L’article 3 de la loi en a été la « parfaite » illustration, pendant que l’article 4 explorait une conception des MARD, qui existe d’ores et déjà, notamment au Québec, et qui est plus novatrice : c’est en effet la possibilité de recourir à un MARD en ligne.

De fait, l’article 4 de la loi n° 2019-222 a inséré les articles 4-1 à 4-7 à la loi JXXI n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : il a innové en réglementant des services en ligne, de conciliation ou de médiation (art. 4-1), d’arbitrage (art. 4-2) ou d’aide à la saisine des juridictions (art. 4-4). L’existence de ces services en ligne a donc été consacrée par la loi du 23 mars 2019, pendant que leur statut était précisé par les articles 4-1 à 4-7 – statut qui leur est plus ou moins commun (v. C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice…, art. préc.).

En particulier, les personnes (physiques ou morales, rémunérées ou non) mentionnées aux articles 4-1 et 4-2 peuvent proposer un traitement algorithmique ou automatisé de données à caractère personnel, mais ce traitement ne peut être l’unique fondement du service et il doit en tout état de cause être soumis à information et consentement exprès des parties.

En lien avec notre décret de fin d’année, rappelons que ces mêmes personnes peuvent solliciter une certification délivrée par un organisme accrédité dans des conditions fixées par le décret en Conseil d’État évoqué (art. 4-7, al. 1er et 2) – une telle certification étant en revanche accordée de plein droit aux médiateurs de consommation inscrits sur la liste prévue à l’article L. 615-1 du code de la consommation, des médiateurs ou des conciliateurs de justice (art. 4-7, al. 3). Or « les conditions de délivrance et de retrait de la certification mentionnée au présent article ainsi que les conditions dans lesquelles est assurée la publicité de la liste des services en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage sont précisées par décret en Conseil d’État » (art. 4-7, al. 4).

En fait, il aurait été plus juste d’écrire « décrets » (au pluriel) puisque, comme trop souvent désormais, deux textes ont, depuis la loi Belloubet, été pris sur le fondement de cet article 4-7, alinéa 4, de la loi JXXI. Ils sont en outre complétés par un arrêté qui leur est commun.

Un premier décret a été publié au JO du 27 octobre 2019, à savoir le décret n° 2019-1089 du 25 octobre 2019 relatif à la certification des services en ligne, étant précisé que « les dispositions du présent décret entrent en vigueur à une date fixée par arrêté du garde des Sceaux et au plus tard le 1er janvier 2021 » (art. 12). Selon l’article 1er de ce décret, « la certification mentionnée à l’article 4-7 de la loi du 18 novembre 2016 susvisée est délivrée par un organisme certificateur sur le fondement d’un référentiel mettant en œuvre les exigences mentionnées aux articles 4-1 à 4-3, 4-5 et 4-6 de la même loi et approuvé par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice ». Les articles 3 à 11 réglementent la procédure de demande de certification effectuée par les services en ligne auprès de l’organisme certificateur : celle-ci suppose un audit, une éventuelle mise en conformité avec les exigences textuelles – notamment celle du référentiel sus-évoqué –, les hypothèses de changements dans la situation des personnes proposant les MARD en ligne, les recours en cas de refus, la publicité des listes (actualisées) des services en ligne (cette liste actualisée des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage certifiés est ainsi publiée sur le site justice.fr)…

Or, d’une part, « la multiplication des interlocuteurs en la matière peut laisser dubitatif » (v. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud, Droit de la consommation janvier 2019 - décembre 2020, D. 2020. 624 image : avec Mme Élise Poillot, il est permis de s’interroger : « qui orientera les consommateurs dans la jungle des REL ? Quel contrôle sur l’activité des organismes sera exercé une fois la certification accordée et avec quels moyens ? ») ; et, d’autre part, ce décret de 2019 ne se suffit pas à lui-même puisqu’il prévoit une sorte de mécanisme à double détente, ou un système pyramidal.

C’est ainsi que l’organisme certificateur, qui n’est donc pas unique, doit être lui-même accrédité « par le Comité français d’accréditation [COFRAC] ou par tout autre organisme d’accréditation signataire d’un accord de reconnaissance mutuelle multilatéral pris dans le cadre de la coordination européenne des organismes d’accréditation, conformément à un référentiel d’accréditation publié par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice » (art. 2)… M. Martin Plissonier l’exprime ainsi : « l’accréditation est désormais donnée par le Comité français d’accréditation. Elle peut aussi être donnée par un des organismes eux-mêmes certifiés à certifier » (« Réflexions sur l’incitation au recours aux modes amiables de résolution des différends en matière civile, RLDC 01/10/2020, n° 185, p. 26, n° 8). Même si cela nous semble inutilement compliqué, M. Plissonier (loc. cit.) ajoute que, « dans l’esprit du législateur, cette accréditation est doublement utile : elle encadre le traitement algorithmique du litige et le règlement de petits litiges ».

C’est dans ce contexte que le décret n° 2020-1682 du 23 décembre 2020 a été adopté, pour permettre l’entrée en vigueur annoncée au 1er janvier 2021 de l’article 1er du décret de 2019. Il s’agit cette fois de préciser « les modalités de l’audit d’accréditation, de la suspension et du retrait de l’accréditation ainsi que les conséquences de la cessation d’activité de l’organisme certificateur ». Autrement dit, c’est l’étage supérieur de la pyramide qui est l’objet du décret ; plus exactement, il s’agit d’organiser l’adoubement de l’étage intermédiaire de la pyramide (composé des organismes certificateurs), afin qu’il puisse ensuite adouber lui-même l’étage inférieur (celui des services en lignes) ?

Selon les articles 1er à 4 du décret de 2020, les organismes certificateurs candidats à l’accréditation mentionnée à l’article 2 du décret du 25 octobre 2019 susvisé doivent ainsi déposent un dossier de demande d’accréditation auprès de l’organisme d’accréditation mentionné à ce même article : sont prévus la durée de l’accréditation, des évaluations régulières du fonctionnement des organismes certificateurs accrédités par l’organisme d’accréditation, l’éventuelle suspension de l’accréditation – à l’initiative de l’organisme d’accréditation – et ses modalités, le retrait de cette accréditation, la cessation d’activité de l’organisme certificateur…

L’essentiel réside dans l’article 5 du décret de 2020… qui reprend l’article 2 du décret de 2019 : cet article 5 dispose que « l’accréditation des organismes certificateurs des services en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage est délivrée sur le fondement d’un référentiel publié par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice ».

Les deux référentiels, celui concernant l’étage supérieur et celui nécessaire à l’étage intermédiaire, sont approuvés et publiés en annexes d’un arrêté du 23 décembre 2020 portant approbation du référentiel d’accréditation des organismes certificateurs et du référentiel de certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage. En annexe 1, figure le référentiel qui s’adresse aux organismes certificateurs souhaitant être accrédités pour délivrer la certification des services en ligne fournissant des prestations de conciliation, de médiation, ainsi qu’aux services en ligne souhaitant obtenir cette certification. En annexe 2, est publié le référentiel qui « s’adresse aux services en ligne fournissant lesdits services ainsi qu’aux organismes certificateurs délivrant le certificat.
Le premier s’organise en trois parties : domaine d’application du référentiel, références normatives applicables et conditions et critères d’accréditation – les deux premières étant très brèves ; c’est surtout dans la troisième qu’on apprend, par exemple, que pour l’accréditation d’un organisme de certification, une assurance RCP doit être souscrite, que les auditeurs participant aux activités de certification doivent justifier d’une formation et de compétences, dans le domaine de l’audit, de la protection des données personnelles, de la sécurité des systèmes d’information, que l’équipe d’auditeurs peut être renforcée par des experts techniques,… que l’organisme s’engage à communiquer diverses informations en français au ministère de la justice…
Le second comporte deux parties : procédure de certification (qui traite surtout de la durée des audits en un tableau) et critères de certification : ces critères (respect de la réglementation relative à la protection des données à caractère personnel, confidentialité, obligation d’information,…) sont présentés sous forme de tableaux : ceux-ci comportent des colonnes présentant les caractéristiques, les critères et moyens mis en œuvre, les éléments de preuve internes, le contrôle externe. Les tableaux présentent la déclinaison et le contrôle des différents critères, soit pour tous les services : conciliation, médiation et arbitrage, soit pour certains seulement… de manière technique.

Alors que l’idée est de favoriser les MARD en ligne, il est dommage qu’il faille un empilement de normes, prises à des dates diverses et qui opèrent des renvois entre elles, au risque qu’on ne les voit pas… Si le cadre juridique est complexe, le service au justiciable sera-t-il réel ? Rendez-vous dans quelque temps… 

Spécialisation de la justice pénale environnementale : retour sur la loi du 24 décembre 2020

Si le projet de loi initial du ministère de la Justice avait pour objectif premier d’intégrer au droit français le parquet européen qui doit entrer en fonction en mars 2021, les dispositions relatives à la justice environnementale n’ont cessé de prendre de l’importance au fil des discussions. Partant du constat que le traitement actuel des infractions environnementales n’est pas satisfaisant, la loi nouvelle vise à adapter la procédure pénale aux spécificités d’un droit technique qui présente de forts enjeux en termes de réparation du préjudice et à laquelle la société civile prête de plus en plus attention. La loi du 24 décembre 2020 contient également deux innovations majeures en matière de justice pénale environnementale : la création de juridictions spécialisées et la possibilité de conclure une Convention judiciaire d’intérêt public pour les délits issus du code de l’environnement.

Améliorer la répression des infractions environnementales

L’objectif annoncé de la loi du 24 décembre 2020 (tel qu’il ressort de son étude d’impact et du rapport de l’Inspection générale de la justice d’octobre 2019 sur la justice pour l’environnement dont il s’inspire) est de renforcer la réponse pénale apportée aux délits environnementaux. Le contentieux de l’environnement ne constitue qu’une très faible part de l’activité des juridictions pénales, oscillant entre 0,5 % et 1 % des affaires traitées (étude d’impact, p. 142 ; rapport p. 20), un chiffre en baisse continue ces dernières années (rapport, p. 20). En outre, la réponse pénale aux infractions environnementales est constituée à 75 % de mesures alternatives aux poursuites, principalement des rappels à la loi ou des classements sans suite (Une justice pour l’environnement. Mission d’évaluation des relations entre justice et environnement, Inspection générale de la justice, oct. 2019, p. 55). Ainsi, en 2018, 1 993 condamnations ont été prononcées à l’encontre de personnes physiques pour des délits d’atteinte à l’environnement et 193 à l’encontre de personnes morales l’année précédente, pour des quantums d’amende jugés relativement bas par les autorités (étude d’impact, p. 158).

Cette situation résulterait pour partie d’un droit et d’une procédure ne parvenant pas à se saisir de la spécificité de la matière environnementale :

• en premier lieu, la grande technicité du droit pénal de l’environnement, nécessitant souvent la maîtrise de nombreuses données scientifiques, rend le traitement de ces dossiers délicats et conduit souvent les parquets à recourir à des qualifications pénales génériques plus faciles à manier, plutôt qu’aux qualifications prévues par le code de l’environnement (rapport, p. 26-27) ;

• en second lieu, la répression ne serait pas adaptée aux actes de pollution diffuse (utilisation de véhicules polluants, nuisances sonores, dépôts sauvages d’ordure, etc.). Ces actes, nombreux mais souvent isolés et individuels, ont très souvent pour sanction une contravention peu dissuasive alors que les moyens de preuve nécessaires à leur caractérisation sont difficiles à récolter (rapport, p. 28) ;

• enfin, la fragmentation du contentieux environnemental, que se partagent l’ordre administratif et l’ordre judiciaire, porte atteinte à la lisibilité et à l’efficacité de la lutte contre les infractions environnementales (rapport, p. 30).

La création de juridictions spécialisées

Afin d’y remédier, la loi du 24 décembre 2020 prévoit la création, dans le ressort de chaque cour d’appel, d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement attaché à un tribunal judiciaire (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 15 ; la liste des tribunaux judiciaires concernés sera établie ultérieurement par décret).

Ce pôle spécialisé sera chargé de traiter les contentieux complexes – c’est-à-dire les affaires techniques, celles dans le cadre desquelles le préjudice subi est important ou celles qui s’étendent sur un vaste ressort géographique – qu’ils relèvent du code de l’environnement (étude d’impact, p. 158) du code forestier, de certaines infractions au code minier, du code rural et de la pêche maritime ou encore de certaines infractions non codifiées comme la mise illégale sur le marché de bois ou de produits dérivés de bois (L. n° 2014‑1170, 13 oct. 2014, art. 76).

Ces nouveaux pôles régionaux comprendront une section du parquet et des formations d’instruction et de jugement dédiées. Les magistrats attachés à ces pôles spécialisés recevront une formation spécifique sur les problématiques environnementales, s’agissant notamment de l’évaluation du préjudice et de la détermination du lien de causalité. Ils exerceront leur compétence sur l’étendue du ressort de la cour d’appel pour les infractions complexes et les infractions connexes.

Les affaires ne présentant pas de gravité particulière ou de complexité continueront d’être traitées par les juridictions locales. À l’inverse, certaines affaires techniques d’ampleur telles que les pollutions de grande échelle liées à un produit réglementé (par exemple, l’accident de l’usine Lubrizol à Rouen) ou le contentieux des catastrophes environnementales et industrielles (telle la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse en 2001) relèveront toujours de la compétence des deux pôles interrégionaux spécialisés de Paris et Marseille dédiés aux questions de santé publique et aux accidents collectifs (C. pr. pén., art. 706-2 et 706-176). De la même façon, les juridictions du littoral spécialisées continueront de traiter les affaires de pollution maritime tandis que les juridictions interrégionales spécialisées feront de même pour les dossiers de criminalité organisée ayant à la fois une grande complexité et une dimension environnementale (C. pr. pén., art. 706-75).

L’objectif du législateur est également que ces nouvelles juridictions, identifiées en tant que pôles de référence en la matière, facilitent la présence au moment de l’audience des agents et fonctionnaires spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale. L’objectif est d’enrichir les débats lorsque des questions techniques se poseront, comme celle de la remise en état des milieux (étude d’impact, p. 153).

Plusieurs amendements déposés par le gouvernement et adoptés lors des discussions parlementaires ont complété ce dispositif en matière civile. La loi prévoit ainsi la création de juridictions miroirs en matière civile chargées des actions relatives à l’indemnisation du préjudice écologique ou des actions en matière de responsabilité civile prévues par le code de l’environnement ou certains régimes spéciaux de responsabilité civile (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 17).

La création d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale

Si, à ce jour, les mesures alternatives aux poursuites constituent la réponse pénale principale aux infractions environnementales, les parquets n’ont cependant d’autre choix que d’engager des poursuites judiciaires en présence d’atteintes graves à l’environnement commises par des personnes morales (étude d’impact, p. 151). Si le code de l’environnement prévoit déjà un mécanisme de règlement transactionnel à l’article L. 172-13, celui-ci n’a toutefois pas été pensé pour le traitement des infractions d’une certaine gravité (le code de l’environnement prévoit en effet un mécanisme de transaction pénale à l’article L. 173-12. Celui-ci permet à l’autorité administrative, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, de transiger auprès du procureur de la République avec les personnes morales ou physiques sur la poursuite des contraventions et délits prévus par le code de l’environnement. En échange, celles-ci doivent s’acquitter d’une amende transactionnelle et d’une ou plusieurs autres obligations comme la remise en conformité des lieux. Ce dispositif ne s’applique cependant qu’aux délits punis de moins de deux ans d’emprisonnement et le montant de l’amende se limite au tiers de celle encourue).

Or la complexité et la technicité du droit de l’environnement ont souvent pour conséquence d’allonger les procédures judiciaires liées aux atteintes à l’environnement et de retarder la réparation des dommages subis. L’étude d’impact du gouvernement considère ainsi que ce décalage temporel a pour conséquence le prononcé de sanctions jugées trop faibles par rapport au dommage environnemental causé et à l’éventuel profit qui a pu en être tiré (étude d’impact, p. 151).

C’est donc avec le triple objectif d’apporter une réponse pénale rapide et adaptée aux infractions environnementales les plus graves commises par les personnes morales et de mieux réparer les dommages causés du fait de l’infraction que la loi insère un article 41-1-3 au sein du code de procédure pénale créant une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 15).

Calquée sur le modèle de la CJIP de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale applicable aux infractions en matière d’atteinte à la probité et en matière fiscale issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin II », la CJIP environnementale est une mesure alternative aux poursuites qui permet au procureur de la République de proposer à une personne morale mise en cause pour certains délits environnementaux de bénéficier d’une convention qui éteint l’action publique à son égard en échange de l’acquittement de certaines obligations.

La loi du 24 décembre 2020 adapte toutefois ce mode de règlement transactionnel à la matière environnementale. Ainsi, le texte prévoit que cette nouvelle CJIP, qui ne peut aussi bénéficier qu’aux personnes morales, concernera seulement les délits prévus par le code de l’environnement et les infractions connexes, à l’exception notable des délits du titre II du code pénal. Sont ainsi exclus du champ de la CJIP environnementale les délits d’atteintes aux personnes (notamment les homicides et blessures involontaires).

En échange de l’arrêt des poursuites contre la personne morale, la CJIP pourra imposer à celle-ci les obligations suivantes :

• le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public dont le montant pourra atteindre 30 % du chiffre d’affaires moyen calculé sur la base des trois derniers chiffres d’affaires connus à la date du manquement ;

• la régularisation de sa situation via l’adoption d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans sous le contrôle des services compétents du ministère de l’Environnement ;

• la réparation du préjudice écologique dans un délai maximal de trois ans, toujours sous la supervision des services du ministère de l’Environnement ;

• et, lorsqu’il existe une victime identifiée, la CJIP prévoit également le montant et les modalités de réparation du dommage dans un délai d’un an.

Le nouvel article 41-1-3 du code de procédure pénale met à la charge de la personne morale bénéficiant d’une CJIP l’obligation de mettre en œuvre un programme de conformité. En toute logique, la mise en œuvre de celui-ci ne sera pas supervisée par l’Agence française anticorruption (AFA), comme ce qui est prévu à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, mais par les services du ministère de l’Environnement chargés de la police administrative de l’environnement (étude d’impact, p. 155). Cet élément n’est pas sans soulever quelques interrogations pour les entreprises quant à la nature du programme de conformité et aux modalités de l’évaluation de sa bonne application par les services du ministère. En effet, la loi et les rapports l’accompagnant donnent relativement peu de détails sur ce programme de conformité là où la loi Sapin II et la CJIP en matière d’atteintes à la probité conféraient le contrôle de la mise en œuvre du programme de conformité anticorruption à une entité dédiée, l’AFA, qui a par ailleurs produit des recommandations afin de guider les entreprises sur le sujet (P. Goossens et G. Robert, Justice environnementale : ce qui attend les entreprises, Le Moniteur, 5 mars 2020). Le texte de loi ne renvoie pas non plus à la prise d’un décret ultérieur par le gouvernement sur le contenu d’un tel programme de mise en conformité. Il est cependant probable que cette mission de contrôle échoie aux directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), sous contrôle des préfets de département (M. Pennaforte et J.-N. Citti, Convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale : contrat de confiance ou marché de dupes ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 19 juin 2020).

La spécificité la plus notable de la CJIP environnementale réside sans doute dans la place laissée à la réparation du préjudice. En effet, l’article 41-1-3 du code de procédure pénale prévoit que la CJIP environnementale doit régler la question de l’indemnisation du préjudice de la victime identifiée, mais aussi que la personne morale devra dans un délai maximal de trois ans réparer le préjudice écologique résultant des infractions commises.

En effet, un enjeu important de l’adaptation de la justice pénale environnementale identifié par les autorités réside dans l’obligation de réparation intégrale du dommage et de réparation des milieux affectés par les agissements faisant l’objet de la CJIP. Celles-ci entendent ainsi faire de la CJIP un outil permettant d’accélérer la réparation du préjudice écologique là où il est, à l’heure actuelle, théoriquement nécessaire d’attendre la condamnation judiciaire définitive d’une entreprise mise en cause pour que celle-ci intervienne, soit souvent plusieurs années après la survenance du dommage (étude d’impact, p. 151). Les récentes dispositions du code civil issues de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 ayant consacré le préjudice écologique devront également être prises en compte. Se définissant comme une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (C. civ., art. 1247), la notion de préjudice écologique vise à la réparation des atteintes d’une certaine gravité subies par l’environnement en tant que tel. Le régime de responsabilité mis en place accorde la primauté à la réparation en nature (C. civ., art. 1249) en imposant, par exemple, à l’auteur du fait dommageable la dépollution des sols contaminés ou la remise en état des milieux dégradés. Une telle action en réparation est cependant ouverte à un nombre limité de personnes (C. civ., art. 1248) : l’État, l’Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné ainsi que certains établissements publics et associations agréées qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.

S’agissant des modalités procédurales de mise en œuvre de la CJIP environnementale, rien ne la distingue vraiment de son modèle créé par la loi Sapin II – l’article 41-1-3 renvoyant directement à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale sur ce point. La CJIP peut donc intervenir tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, que ce soit dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire (la loi prévoit à cette fin l’insertion d’un article 180-3 du code de procédure pénale renvoyant directement aux dispositions de l’article 180-2 du code de procédure pénale). Celle-ci doit également faire l’objet d’une validation par le président du tribunal judiciaire ainsi que d’une publication sur les sites internet des ministères de la Justice et de l’Environnement et de la commune sur le territoire duquel a été commise l’infraction ou, à défaut, sur celui de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient. Comme le relèvent certains commentateurs (M. Pennaforte et J.-N. Citti, art. préc.), la dimension territoriale de la publication de la CJIP environnementale, sur les sites des collectivités locales, mérite d’être soulignée. Non prévue en matière d’atteintes à la probité, cette publicité locale vise à prendre en compte les intérêts des acteurs locaux, riverains ou groupes d’intérêts, qui ont potentiellement subi les conséquences d’une atteinte à l’environnement, en portant à leur connaissance l’existence de la convention conclue et les informant par là de la possibilité de recours judiciaires en rapport avec les faits objet de la CJIP. Enfin, la prescription de l’action publique sera également suspendue pendant l’exécution des obligations mises à la charge de la personne morale sujet de la CJIP. Seule l’exécution entière de ces obligations éteint l’action publique, celle-ci pourra toutefois être mise en mouvement par le procureur dans l’hypothèse d’une mauvaise exécution de la convention.

La loi du 24 décembre 2020 vise ainsi à améliorer la prise en charge du contentieux pénal environnemental, qui semblait jusqu’ici délaissé par les juridictions faute d’outils adaptés. Elle s’inscrit dans un mouvement de fond impulsé par les pouvoirs publics, en lien avec la Convention citoyenne pour le climat, à la suite de laquelle les ministères de la Transition écologique et de la Justice ont annoncé la création d’un délit d’écocide en novembre dernier (Pas de crime d’écocide, mais un délit pour punir les atteintes à l’environnement, Le Monde, 22 nov. 2020), visant à prévenir et sanctionner les atteintes graves à l’environnement, et d’un délit de mise en danger de l’environnement. Le gouvernement n’a toutefois pas précisé si ces derniers seront inscrits dans le code de l’environnement afin de pouvoir être éligibles à la CJIP environnementale nouvellement créée. L’ouverture de la CJIP aux délits environnementaux présente en outre certains avantages pour les opérateurs économiques, notamment dans les secteurs exposés au risque environnemental (industrie, énergie, BTP, etc.). Comparée à l’aléa et à la longueur de certaines procédures judiciaires, la CJIP offre aux entreprises mises en cause une certaine prévisibilité grâce à une procédure rapide ainsi que la possibilité de réduire l’amende finalement prononcée et un éventuel risque réputationnel en adoptant une démarche de coopération avec les autorités judiciaires.

Résolution du contrat et responsabilité du fait des produits défectueux

Un vigneron fait l’acquisition d’un matériel agricole. Le lendemain de sa livraison, il est victime d’un accident corporel. Lui et sa société assignent le vendeur en responsabilité et en indemnisation sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil et demandent la résolution judiciaire du contrat de vente en faisant valoir un défaut de conformité du matériel.

La cour d’appel déboute le vigneron et sa société de leur demande formée sur le fondement du défaut de conformité. Elle indemnise toutefois, en partie, le vigneron sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

La société du vigneron forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Dans le troisième moyen de ce pourvoi, elle reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande d’indemnisation au titre de la perte d’exploitation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux. La société reproche ensuite à la cour d’appel, dans son quatrième moyen, d’avoir rejeté sa demande de fourniture d’une machine de remplacement. Dans les deux moyens, la cour d’appel avait jugé qu’il s’agissait de préjudices économiques consécutifs à l’atteinte à la machine qui n’étaient pas indemnisables sur le fondement des articles 1245 et suivants.

Dans le premier moyen, la société reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande de résolution judiciaire de la vente au motif que « le défaut de conformité allégué, tenant à la sécurité du produit ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont la société poursuit la réparation, en lien avec les avaries ».

L’arrêt met en avant deux difficultés liées au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. La première est relative à la prise en compte du préjudice économique portant sur un bien concerné par la défectuosité. La seconde est relative à la possibilité d’invoquer la résolution du contrat pour non-conformité en sus de la responsabilité du fait des produits défectueux alors que la non-conformité consiste dans le défaut de sécurité.

La Cour de cassation approuvera d’abord la cour d’appel d’avoir considéré que les articles 1245 et suivants du code civil ne s’appliquent pas à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques en découlant. La perte d’exploitation et l’absence de fourniture de machines de remplacement étant imputables à la défectuosité du produit, elles ne pouvaient être considérées comme des préjudices réparables sur le fondement de cette responsabilité spéciale. Elle jugera ensuite que l’application de la responsabilité du fait des produits défectueux ne pouvant s’appliquer, la question du cumul des deux actions ne se posait pas. Sur ce point, il sera possible de proposer une autre interprétation. La Cour de cassation aurait jugé que l’application de la responsabilité du fait des produits défectueux n’empêche pas le demandeur de demander la résolution du contrat, induisant ainsi que la demande de résolution reposait sur un fondement différent de celui prévu aux articles 1245 et suivants du code civil.

Le champ d’application de la loi

La réparation du préjudice économique. Pour engager la responsabilité du fait des produits défectueux, le demandeur doit rapporter la preuve que trois conditions sont réunies. Il faut un produit défectueux, un dommage et un lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage. L’article 1245-1 du code civil prévoit, en effet, que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne. / Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ». Il faut ainsi comprendre que tous les dommages peuvent être réparés s’ils rentrent bien dans les conditions prévues par la directive 85/374/CEE. La France a fait le choix de rendre applicable la directive aux biens à usage professionnel quand la directive laissait aux États la possibilité de ne pas étendre à ces derniers le bénéfice du régime.

Il faut aussi, et surtout, comprendre à la lecture de l’article 1245-1 du code civil que le préjudice doit affecter un autre bien que le produit lui-même (une franchise de 500 € s’applique alors, comme édictée par le décret n° 2005-113 ; v. CJUE 5 mars 2015, aff. C-503/13 et C-504/13, D. 2015. 1247 image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon image ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout image ; RTD civ. 2015. 406, obs. P. Jourdain image ; JCP 2015. 543, note L. Grynbaum). Pourtant, la victime demandait, outre des dommages et intérêts pour réparer son préjudice corporel, une somme au titre des « préjudices économiques consécutifs à l’atteinte de la machine litigieuse », ainsi qu’au titre de l’absence de fourniture d’une machine de remplacement. Il s’agissait, dans ces derniers cas, de préjudices liés au produit défectueux lui-même et non à un autre bien. Le demandeur aurait sans doute obtenu satisfaction si le produit défectueux dont il avait fait l’acquisition avait explosé et avait brûlé la ferme dans laquelle il était entreposé. Ce n’était pas le cas et le fondement invoqué ne pouvait aboutir. La Cour de cassation a rendu une décision semblable à propos d’un skipper qui demandait réparation des dommages constitués par le coût des travaux de remise en état de son bateau ainsi que ses pertes de loyers et son préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité de l’utiliser. Ce dernier ne démontrait pas que la défectuosité du produit consistait en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à un bien autre que le produit défectueux lui-même (Civ. 1re, 14 oct. 2015, n° 14-13.847, Dalloz actualité, 16 nov. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 2127 image ; RTD civ. 2016. 137, obs. P. Jourdain image).

Le cumul des deux fondements ?

La société ayant fait l’acquisition de la machine demandait réparation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux mais invoquait aussi la résolution du contrat de vente en arguant une non-conformité du produit. La cour d’appel rappelait que les régimes peuvent bien se cumuler mais à condition qu’ils reposent sur des fondements différents de celui tiré d’un défaut de sécurité du produit mis en cause (v. CJUE 25 avr. 2002, Gonzales Sanchez, aff. C-183/00, à propos de la faute et du vice caché constituant deux fondements distincts du défaut de sécurité, D. 2002. 2462 image, note C. Larroumet image ; ibid. 2458, chron. J. Calais-Auloy image ; ibid. 2937, obs. J.-P. Pizzio image ; ibid. 2003. 463, obs. D. Mazeaud image ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby image ; JCP 2002. I. 177, note G. Viney ; RDC 2003. 107, obs. P. Brun ; Com. 26 mai 2010, n° 08-18.545, D. 2010. 1483 image ; RTD civ. 2010. 790, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2011. 166, obs. B. Bouloc image ; Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-14.314, Dalloz actualité, 6 janv. 2015, obs. A. Cayol ; D. 2015. 9 image ; RTD eur. 2015. 348-35, obs. N. Rias image ; 11 juill. 2018, n° 17-20.154, à propos du cumul avec la responsabilité du fait des choses, Dalloz actualité, 26 sept. 2016, obs. A. Hacene ; D. 2018. 1840 image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; AJ contrat 2018. 442, obs. C.-E. Bucher image ; RTD civ. 2019. 121, obs. P. Jourdain image). Cependant, pour la cour d’appel, les demandeurs prétextent un défaut de conformité alors qu’ils font plutôt état d’une défectuosité du produit. Pour elle, les fondements étaient donc les mêmes. Les juges du fond ajoutent que le défaut de conformité allégué tient à la sécurité du produit et ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont les victimes demandent réparation.

Il est possible de proposer deux interprétations de cet arrêt. Dans la première, il ne serait pas question de cumul. La Cour de cassation ne ferait qu’expliquer que la question du cumul n’a pas de sens dans la mesure où la responsabilité du fait des produits défectueux ne trouve pas à s’appliquer. Dit autrement, après avoir jugé que la cour d’appel avait eu raison de refuser de réparer le préjudice résultant d’un dommage causé au produit défectueux lui-même, la Cour de cassation aurait cassé l’arrêt des juges du fond pour obliger la cour d’appel de renvoi à statuer sur la question de la résolution du contrat. À l’appui de cette interprétation, le point n° 13 de l’arrêt : « Cette action en résolution ne tendant pas à la réparation d’un dommage qui résulte d’une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou à un bien autre que ce produit, elle se trouve hors du champ de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et de la loi du 19 mai 1998 qui l’a transposée, et n’est donc soumise à aucune de leurs dispositions ». Ainsi, le préjudice invoqué ne pouvant être réparé, et la directive et la loi ne pouvant s’appliquer, rien ne devait empêcher la cour d’appel d’examiner la question de la résolution du contrat.

Selon la seconde interprétation, la Cour de cassation se serait prononcée sur la possibilité de cumuler les deux fondements. Dans son arrêt, la Cour de cassation explique (pt 13) que l’action en résolution d’un bien non conforme n’a pas vocation à réparer des dommages qui résultent d’une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou un bien autre que ce produit. Par nature, les deux fondements invoqués sont différents. Ce serait donc à tort que la cour d’appel a jugé que les demandeurs demandaient la même chose en invoquant ces deux régimes. La violation de la loi par la cour d’appel serait caractérisée pour cette raison. En demandant la résolution du contrat pour non-conformité, le demandeur souhaitait compenser ses espoirs déçus nés de son contrat. Sans doute demandait-il la restitution du prix de vente en échange de la restitution du bien non conforme. Il ne demandait pas, sur ce fondement, réparation de ses préjudices résultant de la défectuosité du produit ou de son préjudice corporel (une action fondée sur l’article 1147 aurait alors échoué car il s’agit de responsabilité, v. l’arrêt d’appel, Reims, 18 juin 2019, n° 18/00808 et le n° 2 de l’arrêt de la Cour de cassation qui fait référence au préjudice corporel). La Cour de cassation raisonnerait donc ici principalement sur la finalité des deux actions pour admettre leur cumul.

Il est vrai que les deux actions ne visent pas le même problème. Un produit non conforme est un produit qui ne correspond pas à ce qui avait été prévu dans le contrat. Un bien en parfait état de fonctionnement peut s’avérer non conforme par exemple. Au contraire, un bien défectueux est un bien qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre (C. civ., art. 1245-3, al. 1er). Un produit qui fonctionne mécaniquement peut être défectueux mais il ne fonctionnera pas au sens de la loi car il lui manque une chose (une notice, une information, un problème technique) qui le rend dangereux ou inutile (pour l’inutilité, il faut ici renvoyer le lecteur à la décision de la Cour de cassation rendue le même jour, v. Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 19-17.724).

Si cette interprétation était la bonne, cette solution serait importante car ce serait, à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la possibilité de demander la résolution du contrat consécutivement à l’engagement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Cette solution serait raisonnable, car si la Cour de cassation n’avait pas admis que les deux actions puissent se cumuler, cela aurait eu pour effet d’empêcher l’acquéreur d’un bien d’agir sur le fondement de l’inexécution contractuelle toutes les fois que le défaut de conformité aurait reposé sur un défaut de sécurité du produit. Ainsi, la mise en action du régime de responsabilité du fait des produits défectueux visant la réparation d’un dommage corporel causé par le produit ou d’un bien autre que le produit lui-même aurait empêché le demandeur d’agir en résolution du contrat. Cette solution aurait privé le demandeur d’une voie de droit ce qui n’est pas souhaitable justement parce que les deux actions servent des intérêts différents. Il importe peu, à cet égard, que la non-conformité réside dans le défaut de sécurité du produit.

En défaveur de cette interprétation, il faut bien admettre que c’est la société qui forme le pourvoi et non le vigneron. Si la responsabilité du fait des produits défectueux a été engagée en faveur de ce dernier, tel n’est pas le cas pour la société. La question de la résolution du contrat pour défaut de conformité pouvait donc bien se poser consécutivement à l’exclusion d’un débat sur le cumul des deux actions…

Retour sur la confirmation du contrat en droit de la consommation

Le droit de la consommation obéit avant tout au droit commun des contrats, raison pour laquelle les mécanismes les plus classiques ont vocation à s’appliquer aux consommateurs, parfois même à leur détriment, comme l’illustre un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2020. En l’espèce, une dame a conclu un contrat de fourniture et d’installation d’un kit photovoltaïque avec une société, ce contrat étant financé par un crédit qu’elle a souscrit le même jour avec un coemprunteur auprès d’une banque. Par la suite, les emprunteurs ont assigné le vendeur et la banque en annulation de ces contrats. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 27 septembre 2018, rejette leurs demandes et les déclare tenus de poursuivre l’exécution du contrat de crédit, en considérant, selon les termes de la Cour de cassation, que si « le contrat ne respecte pas les exigences posées à l’article L. 121-23, 4° et 5°, du code de la consommation en ce qu’il ne contient pas la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés, ni les conditions d’exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens ou d’exécution de la prestation de services, il est cependant reproduit au verso du bon de commande, après les conditions générales de vente, les dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-24 du code de la consommation, dans des caractères de petite taille mais parfaitement lisibles et que cette obligation légale a pour objet de permettre au...

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Contrôle de proportionnalité et filiation : toujours pas d’atteinte disproportionnée…

L’arrêt de rejet rendu par la première chambre civile le 2 décembre 2020 (n° 19-20.279) est un nouvel exemple du contrôle de proportionnalité admis dans son principe par la Cour de cassation en matière de filiation depuis un arrêt du 10 juin 2015 (Civ. 1re, 10 juin 2015, n° 14-20.790, D. 2015. 2365 image, note H. Fulchiron image ; ibid. 2016. 857, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 1966, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; RTD civ. 2015. 596, obs. J. Hauser image ; ibid. 825, obs. J.-P. Marguénaud image ; Dr. fam. 2015. Comm. 163, note C. Neirinck). Son originalité tient à ce qu’il concerne, pour la première fois selon nous, une action en constatation de possession d’état et donc la mise en œuvre de la combinaison des articles 321 et 330 du code civil.

En l’espèce, une femme, Mme A., est née le 24 juillet 1971. Ce même jour, l’homme qu’elle prétend être son père, M. C., décède accidentellement, laissant pour héritiers sa sœur et ses neveux. Pour une raison qu’on ignore, Mme A. laisse s’écouler près de quarante-cinq ans avant d’agir en justice afin que soit reconnue l’existence d’une possession d’état à l’égard de M. C.. Ainsi, le 15 avril 2016, elle assigne en justice le procureur de la République de Marseille. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence déclare son action irrecevable comme prescrite. Selon les juges du fond, si Mme A. avait bien jusqu’au 24 juillet 2016 pour agir, elle aurait dû intenter son action contre les héritiers du père prétendu. En conséquence, son assignation délivrée en avril 2016 au procureur de la République n’a pu interrompre le délai de prescription et son action est désormais prescrite.

Le pourvoi de Mme A. contenait deux angles d’attaque.

Le premier consistait, sommairement, à démontrer que son assignation adressée au procureur avait bien interrompu la prescription car elle ignorait l’existence des héritiers. Nous n’insisterons pas sur ce point car la Cour de cassation l’a déclaré irrecevable « comme proposant une argumentation incompatible avec celle que [Mme A.] a développée devant la cour d’appel en soutenant avoir entretenu avec les héritiers de [M. C.] des relations régulières pendant de nombreuses années ».

Le second angle d’attaque, qui découlait de l’échec du premier, reposait sur l’atteinte disproportionnée que la solution retenue portait au droit au respect de la vie privée de Mme A. puisque celle-ci se trouvait ainsi privée du droit d’établir son lien de filiation et du droit de connaître ses origines. C’est là qu’intervient le désormais fameux contrôle de proportionnalité.

La Cour de cassation expose tout d’abord les textes du code civil qui aboutissent à la prescription de l’action en constatation de la possession d’état de Mme A. à l’égard de M. C. Elle rappelle qu’il résulte des articles 330 et 321 du code civil combinés que cette action peut être exercée par tout intéressé...

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Retour sur certaines modalités du financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs

Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs occupent une place discrète mais importante dans les différentes protections déployées par le code civil. Au début de l’automne, nous avions pu d’ailleurs observer que le financement de cette mesure peut poser difficulté (Civ. 1re, 30 sept. 2020, F-P+B, n° 19-17.620, AJ fam. 2020. 676, obs. V. Montourcy image). C’est notamment le cas quand rémunération et financement sont confondus : la seconde est exceptionnelle tandis que la première reste de droit. La mission des mandataires judiciaires à la protection des majeurs reste, en effet, à titre onéreux (Rép. civ., v° Majeur vulnérable, par F. Marchadier, n° 25). Le financement de la mesure résulte d’une architecture qui a été rénovée par le décret n°2018-768 du 31 août 2018 qui présente encore aujourd’hui une certaine « opacité » (AJ fam. 2020. 188, obs. V. Montourcy). Les modalités de calcul de cette gratification reposent sur l’article 471-5-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) qui comprend comme points de repères notamment les ressources du majeur vulnérable, son lieu de vie et la charge de travail du mandataire judiciaire. Le but intrinsèque de cette réforme de 2018 était de faire participer le majeur vulnérable à sa propre mesure. Mais le problème résulte de la possibilité réelle de cette participation. En d’autres termes, est-ce que le majeur protégé peut toujours participer à sa propre mesure ?

C’est là où le bât-blesse dans le décret de 2018. Il était prévu initialement que le majeur devait participer quand était dépassé un seuil de ressources globales de l’année précédente,...

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Ce qui est contradictoire ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation : exemple d’un appel restauré

Défaut faute de comparaître et défaut faute d’accomplir les actes

Maîtresses dans la conduite de l’instance, les parties n’en sont pas moins tenues par les charges qui leur incombent. En effet, il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis (C. pr. civ., art. 2). En pratique, l’une des parties peut manquer à ce devoir de diligence. Parmi les manquements possibles, il en est un que le code de procédure nomme « défaut de comparution » (C. pr. civ., art. 467-469). En réalité, ce manquement recouvre deux réalités bien distinctes. La première consiste en un défaut de comparution stricto sensu : sans motif légitime, une partie ne comparaît pas (C. pr. civ., art. 468, 472). La seconde consiste en un simple défaut d’accomplissement : une partie comparaît, mais omet de réaliser un acte de la procédure dans le délai requis (C. pr. civ., art. 469). Distinctes, ces violations de la légalité procédurale n’en sont pas moins susceptibles d’être sanctionnées de la même façon par la caducité de la citation (sur cette sanction et les alternatives possibles, J.-Cl. pr. civ., fasc. 800-30, par N. Fricero, nos 28 s. ; Rép. pr. civ., v° Caducité, par P. Callé, nos 11 s). Dans l’hypothèse où cette sanction est prononcée à l’égard d’un demandeur n’ayant pas comparu pour un motif légitime, l’alinéa 2 de l’article 468 du code de procédure civile lui permet de demander que soit rapportée la déclaration de caducité. Mais cette précaution prévue par le Code à propos du défaut faute de comparaître, peut-elle être étendue au défaut faute d’accomplir ? C’est à cette question que répond l’arrêt commenté, offrant par la même occasion un rare exemple d’un « recours restauré ».

Ce qui est contradictoire ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation

En l’espèce, un salarié licencié par sa société saisit un conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement. La citation est déclarée caduque par la juridiction sur le fondement de l’article 469 du code de procédure civile. Le salarié ayant sollicité que ce jugement soit rapporté, le conseil de prud’hommes a, par un second jugement, dit que la notification du jugement visait l’article 468 du code de procédure civile et renvoyé l’affaire à une audience ultérieure afin qu’elle soit jugée. Dénonçant une forme de resaisine d’une action dont la juridiction s’était pourtant dessaisie, son employeur forme un « appel-nullité » contre le second jugement.

Ici, un bref rappel s’impose. Pour obtenir la nullité d’un jugement, le demandeur doit veiller à emprunter les voies de recours prévues par la loi (« voies de nullité n’ont lieu contre les jugements » ; C. pr. civ., art. 460). Or il est des dispositions qui limitent le droit de former un recours, en le différant ou même en le supprimant. En ces cas, les voies à emprunter se trouvent donc fermées privant le justiciable de la possibilité de dénoncer l’irrégularité du jugement. Soucieuse de préserver le droit fondamental à un recours de nature juridictionnelle, la Cour de cassation n’hésite pas à rétablir, sous réserve de la réunion de strictes conditions, une voie de recours dénommé recours-nullité (plus justement qualifié de « recours restauré » par la doctrine, en ce sens P. Cagnoli, Essai d’analyse processuel du droit des entreprises en difficulté, préf. T. Le Bars, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 368, 2002, nos 476 s. ; adde, Rép. pr. civ., v° Appel, par F. Ferrand, n° 376). Parmi ces conditions, il en est une difficile à démontrer : l’existence d’un excès de pouvoir affectant la décision non susceptible de recours.

Dans l’arrêt commenté, les juges du fond ont précisément déclaré irrecevable un appel-nullité en ce que la preuve d’un tel vice grave n’était pas rapportée. Faisant grief à l’arrêt, la société a formé un pourvoi en cassation. Elle reproche aux juges du fond d’avoir, sur le fondement de l’article 17 du code de procédure civile, accepté de rapporter la déclaration de caducité de la citation pour défaut faute d’accomplissement. Or le jugement sanctionnant le demandeur pour son manque de diligence était pourtant contradictoire. Ainsi, en se ressaisissant après s’être déclaré définitivement dessaisi, sans nouvelle assignation et sans autorisation expresse de la loi, le conseil de prud’hommes a excédé ses pouvoirs. Partant, la cour d’appel a commis un excès de pouvoir négatif en ne sanctionnant pas un tel excès.

L’argument convainc la Cour de cassation. Au visa des articles 17, 407 et 469 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant l’excès de pouvoir, elle affirme que le pouvoir accordé au juge, en cas d’erreur, de rétracter sa décision prononçant la caducité d’une citation lui est seulement reconnu lorsque cette décision a été prise à l’insu du demandeur. Dit autrement, ce qui est contradictoire ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation ! Tel est le cas du jugement de caducité qui sanctionne le demandeur s’étant abstenu, après avoir comparu, d’accomplir les actes de la procédure dans les délais requis. En rapportant sa première décision de caducité sur le fondement de l’article 469, le conseil de prud’hommes a donc commis un excès de pouvoir qui justifie de restaurer un recours pour y mettre fin. Cette solution apparaît justifiée, tant au regard de la qualification d’excès de pouvoir que de son refus d’offrir au demandeur non diligent un recours en rétractation en cas de défaut faute d’accomplir.

L’existence d’un vice grave affectant la décision

Avec d’autres, il faut bien reconnaître que la détermination des contours précis de la notion d’excès de pouvoir « soulève des difficultés insurmontables » (J.-Cl. pr. civ., fasc. 1000-25, par N. Fricero, spéc. n° 23). Il existe toutefois quelques certitudes. La violation des règles de procédure ne constitue pas en principe des hypothèses d’excès de pouvoir (Cass., ch. mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153, D. 2005. 386, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero image ; AJDI 2005. 414 image ; Procédures 2005. Comm. 87, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2006. 103, obs. S. Amrani-Mekki). À l’inverse, en est un le juge qui s’arroge un pouvoir dont il est privé par la loi (Rép. pr. civ., v° Appel, par F. Ferrand, nos 384 s.). Or n’est-ce pas ce que fait le conseil de prud’hommes en rapportant une déclaration de caducité pour défaut faute d’accomplissement, alors que le code de procédure réserve ce recours en rétractation au seul défaut faute de comparaître ? La Cour de cassation répond positivement à cette question. Finalement, ce n’est pas tant la qualification d’excès de pouvoir qui interroge ici, mais plutôt le choix de la Cour de cassation de réserver ce recours au seul défaut faute de comparaître. À y regarder de plus près, ce choix se justifie pleinement.

Deux types de défauts, deux principes en jeu

Ces deux manquements mettent en jeu des principes différents (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et F. Ferrand, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, 2020, n° 459, p. 375-376). Tandis que le défaut faute de comparaître menace le principe de la contradiction, le défaut faute d’accomplir un acte concerne le seul principe d’initiative et la crainte de voir l’instance paralysée par une partie malintentionnée. En toute logique, ces deux manquements n’appellent pas les mêmes précautions. Il est proprement inconcevable qu’un demandeur qui n’a pu comparaître en raison d’un motif légitime ne dispose pas d’un moyen de s’élever contre la caducité de la citation qui peut en résulter. C’est pour cela que l’article 468, alinéa 2, prévoit un remède à la sanction injustement prononcée, remède qui permet précisément de rétablir le contradictoire jusque là menacé. À l’inverse, après avoir comparu, le demandeur ayant omis d’accomplir un acte de procédure dans le délai requis n’a aucune raison de disposer d’un recours en rétractation contre la déclaration de caducité qu’il vient de subir. En effet, en ce qu’elle n’a pas été prise à son insu, elle constitue une décision pleinement contradictoire. Elle pourra toujours être rapportée par le juge qui l’a rendue, mais il faudra démontrer une erreur au sens de l’article 407 du code de procédure civile.

Charge de l’indemnisation des préjudices consécutifs à une infection nosocomiale contractée à l’occasion d’un acte de chirurgie esthétique et étendue de la saisine des juges d’appel

Au mois de mai 2013, une personne a subi une intervention chirurgicale à visée exclusivement esthétique, à savoir un lifting cervico-facial. Malheureusement, à cette occasion, elle a développé une infection nosocomiale très virulente dont elle est décédée le 26 mai 2013.

Le 13 juin 2013, les proches de la victime ont assigné en référé la clinique, les médecins, ainsi que la caisse primaire d’assurance maladie aux fins de voir organiser une expertise et d’obtenir le paiement d’une indemnité provisionnelle. Par ordonnance du 17 juin 2013, le juge des référés a fait droit à la demande d’expertise médicale, mais a rejeté la demande de provision. Les proches de la victime ont ensuite assigné au fond, le 20 juillet 2015, la clinique, les médecins, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et la CPAM en indemnisation de leurs préjudices.

Suivant jugement du 9 juin 2016, le tribunal de grande instance de Nîmes a notamment rejeté les demandes indemnitaires formulées à l’encontre de la clinique et condamné l’ONIAM au paiement de diverses sommes en réparation des préjudices subis.

La cour d’appel de Nîmes, par arrêt du 25 octobre 2018, a infirmé la décision de première instance et a jugé que l’indemnisation des préjudices subis était à la charge de la clinique.

Cette dernière a formé un pourvoi principal en cassation fondé sur deux moyens. Elle faisait valoir, d’une part, que la cour d’appel aurait violé l’article 70, II, de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014. Selon elle, l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique, excluant le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale pour les demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité thérapeutique, n’était pas applicable dès lors que la première demande d’indemnisation des proches de la victime avait été formulée antérieurement à la date d’entrée en vigueur du texte. D’autre part, la clinique soutenait que l’ONIAM n’avait formé aucune demande à son encontre de sorte que la cour d’appel avait statué extra petita, violant ainsi notamment l’article 954 du code de procédure civile.

Deux questions sont ainsi posées à la Cour de cassation.

Les proches de la victime avaient-il formulé, par la saisine du juge des référés, une demande d’indemnisation antérieure au 31 décembre 2014, permettant ainsi d’exclure l’application de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique ?

En l’absence de demande formée par l’ONIAM à l’encontre de la clinique, les juges du fond pouvaient-ils condamner cette dernière au paiement des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la victime et ses proches ?

Finalement, la question de la charge de l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale a soulevé des interrogations de nature procédurale relatives, d’une part, à l’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique et, d’autre part, à l’étendue de la saisine de la cour d’appel.

L’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique. L’article 70 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 a introduit au sein de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique une limitation au dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale. Sont ainsi exclues du champ d’application de ce dispositif, les « demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi ». Cette restriction vise principalement à évincer du champ de l’indemnisation par la solidarité nationale les « dommages, même graves, consécutifs à des actes relevant de pure convenance personnelle » (M. Olivier Véran, député, Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, t. II, « Assurance maladie », 16 oct. 2014, spéc. art. 50 du projet de loi). Ainsi, l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale contractée à l’occasion d’un acte de chirurgie à visée exclusivement esthétique ne peut plus relever de la solidarité nationale.

Toutefois, l’article 70, II, de la loi du 22 décembre 2014 prévoit que les dispositions de l’article L. 1142-3-1 ne sont applicables qu’aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014. Il s’agissait donc, en l’espèce, de fixer la date de la demande d’indemnisation afin de déterminer le régime correspondant. En effet, pour les demandes antérieures au 31 décembre 2014, seul était applicable l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, lequel prévoit une indemnisation par la solidarité nationale lorsque les dommages consécutifs à une infection nosocomiale sont d’une certaine gravité. En l’espèce, la patiente étant décédée, l’ONIAM aurait été tenu à réparation.

Les proches de la victime avaient formulé une demande d’indemnisation au fond en juillet 2015, mais ils avaient également saisi, au mois de juin 2013, le juge des référés aux fins notamment d’obtenir une indemnité provisionnelle. Cette saisine du juge des référés permettait-elle de considérer que la demande d’indemnisation était antérieure au 31 décembre 2014 ?

La Cour de cassation, après avoir rappelé l’évolution du régime d’indemnisation des dommages consécutifs à des actes de chirurgie esthétique (citant, en ce sens, une décision antérieure à la loi du 22 décembre 2014 qui avait ouvert droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale), répond de la manière suivante : « La cour d’appel en a déduit, à bon droit, qu’étaient applicables les dispositions de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique, de sorte que l’indemnisation des dommages subis […] n’incombait pas à l’ONIAM. » Reprenant les motifs des juges d’appel, elle énonce que le juge des référés, en rejetant par ordonnance du 17 juillet 2013 la demande de provision, a été vidé de sa saisine et que la demande d’indemnisation au fond a été formée postérieurement au 31 décembre 2014. La solution n’est pas complètement nouvelle puisque le Tribunal des conflits avait déjà eu l’occasion de statuer en ce sens, retenant que le juge judiciaire, qui s’était prononcé par ordonnance de référé sur une demande de provision, n’avait été saisi d’aucune demande d’indemnisation (T. confl. 28 févr. 2011, n° 3750, M.-C. de Montecler, Juge compétent pour les dommages causés par les transfusions sanguines, Dalloz actualité, 16 mars 2011 ; Lebon image ; AJDA 2011. 482 image). La solution est logique dans la mesure où l’allocation de dommages et intérêts impose de statuer au fond, l’attribution d’une provision par le juge des référés pouvant d’ailleurs toujours être remise en cause par la décision du juge statuant au principal (v. not., en ce sens, Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse, Université Robert-Schuman de Strasbourg, 1993, spéc. p. 531 s.).

L’étendue de la saisine de la cour d’appel. La Cour de cassation, au visa de l’article 954 du code de procédure civile, casse partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes aux motifs que cette dernière « n’était saisie d’aucune demande tendant à mettre à la charge de la clinique l’indemnisation des préjudices subis par les consorts […] ». Les conclusions d’appel des proches de la victime avaient été déclarées irrecevables par le conseiller de la mise en état, de sorte que l’ONIAM et la clinique étaient les seules parties concluantes. Or l’ONIAM, appelante, avait demandé, à titre principal, qu’il soit jugé que l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique n’était pas applicable et qu’il soit décidé, en conséquence, sa mise hors de cause. La clinique, quant à elle, avait demandé que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu’il avait mis à la charge de l’ONIAM l’indemnisation des dommages subis par la victime et ses proches. Les parties s’opposaient donc sur le régime d’indemnisation applicable. La cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, conclut, comme cela vient d’être exposé, à l’exclusion de l’ONIAM de la prise en charge de l’indemnisation au regard de l’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique. Pour autant, la mise hors de cause de l’ONIAM permettait-elle aux juges du fond de statuer consécutivement sur la condamnation de la clinique à la prise en charge de l’indemnisation des victimes ? La Cour de cassation répond par la négative : en l’absence de demande formulée en ce sens par l’ONIAM, les juges du fond ont excédé le champ de leur saisine. La règle selon laquelle « la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance » est appliquée strictement par les juges de cassation. Il était pourtant possible de s’interroger sur l’étendue de la saisine de la cour d’appel. D’une part, l’appel formulé par l’ONIAM était un appel général auquel s’appliquait l’article 562 du code de procédure civile dans sa version antérieure au décret du 6 mai 2017. L’effet dévolutif s’opérait donc pleinement. D’autre part, il était aussi possible de considérer que, quand bien même la déclaration d’appel n’aurait pas critiqué l’ensemble des chefs du jugement, il existait un lien de dépendance suffisant entre la question de la charge de l’indemnisation et celle de la condamnation à réparation du préjudice pour considérer que les juges du fond n’avaient donc pas outrepassé le champ de leur saisine. Ce n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation qui, il est vrai, ne se fonde pas sur l’article 562 du code de procédure civile, mais sur l’article 954 de ce même code. L’étendue de la saisine de la cour d’appel doit donc bien se déterminer au regard de ces deux dispositions. Lorsque l’effet dévolutif est total, les juges d’appel vont juger, à nouveau, en droit et en fait l’entier litige, en considération toutefois des prétentions et moyens que les parties ont formulés au sein des leurs conclusions. Ils ne peuvent se prononcer en l’absence de demande explicitement formulée. En l’espèce, l’ONIAM sollicitait, à titre principal, la réformation totale du jugement sans pour autant demander une quelconque condamnation de la clinique au paiement de dommages et intérêts, se contentant de demander sa mise hors de cause. L’application stricte de l’article 954 du code de procédure civile peut sembler sévère, mais n’est pas dépourvue de cohérence, notamment dans l’hypothèse où il y aurait plus de deux responsables potentiels. En effet, la mise hors de cause de l’un ne suffirait pas à permettre la condamnation d’un autre au bénéfice d’un troisième en l’absence de demande formulée en ce sens. De plus, cette solution s’inscrit également pleinement dans l’application rigoureuse des dispositions relatives à la structuration des conclusions (v. déjà, à ce sujet, antérieurement au décret du 6 mai 2017, C. Bléry, Article 954 du code de procédure civile : questions et réponses, Gaz. Pal. 2014. 29) et notamment de l’alinéa de l’article 954 du code de procédure civile qui prévoit, depuis le décret du 9 décembre 2009, que « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » (v. par ex. Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-11.957, Dalloz actualité, 13 mars 2014, obs. V. Avena-Robardet ; Procédures 2014. 139. comm. R. Perrot). En l’espèce, aucune demande de condamnation de la clinique à réparer les préjudices subis n’était formulée par les conclusions d’appel de l’ONIAM, que ce soit au sein des moyens ou du dispositif. La cour d’appel ne pouvait donc, sans excéder ses pouvoirs, statuer au fond dès lors qu’elle n’était saisie d’aucune demande de condamnation à réparation de la clinique. L’étendue de la saisine des juges d’appel questionne ainsi encore et toujours, même pour les litiges auxquels s’appliquent les textes antérieurs à la réforme de 2017 (depuis la réforme de 2017, l’étendue de la saisine des juges d’appel et de l’effet dévolutif interroge également, v., pour un exemple récent, Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; JCP 2020. 336, obs. P. Gerbay ; Procédures 2010, n° 55, obs. H. Croze).

Irrespect des formalités prévues pour les promesses de vente de très longue durée : la nullité est relative

Par cet arrêt, la troisième chambre civile précise la portée du formalisme des promesses de vente conclues pour une longue durée. À l’occasion d’un bail, un protocole annexé au contrat contenant une promesse synallagmatique de vente est conclu pour un délai de vingt-quatre mois (délai ensuite prorogé de douze mois) sans respecter les solennités de l’article L. 290-1 du code de la construction et de l’habitation. L’article, central pour saisir la portée de l’arrêt, est rédigé ainsi : « Toute promesse de vente ayant pour objet la cession d’un immeuble ou d’un droit réel immobilier, dont la validité est supérieure à dix-huit mois, ou toute prorogation d’une telle promesse portant sa durée totale à plus de dix-huit mois est nulle et de nul effet si elle n’est pas constatée par un acte authentique, lorsqu’elle est consentie par une personne physique. » Assignés en résiliation du bail et en expulsion des lieux, les locataires sollicitent reconventionnellement la nullité du protocole en invoquant l’irrespect de cette formalité, la promesse de vente n’ayant pas été constatée par un acte authentique. Ils sont également les auteurs du pourvoi, la cour d’appel ayant rejeté leur demande.

À l’appui du pourvoi, ils invoquent la titularité de l’action en nullité, en considérant que la règle violée visée à l’article L. 290-1 du code de la construction et de l’habitation prévoirait une nullité absolue pouvant donc être demandée par tout intéressé.

Pour la Cour de cassation, il s’agissait de répondre à la question de savoir si le bénéficiaire d’une promesse synallagmatique de vente de longue durée pouvait agir en nullité en cas de non-respect du formalisme prévu par l’article 290-1 du code de la construction et de l’habitation. Autrement dit, quelle est l’étendue exacte du formalisme de cet article ? Englobe-t-il les deux parties ou reste-t-il réservé au promettant ?

La réponse de la troisième chambre civile, qui procède par rejet du pourvoi, est aussi laconique qu’attendue : le texte visé n’ayant pour objet la protection du seul promettant « qui immobilise son bien pendant une longue durée », la nullité concernée est relative, ce qui n’ouvre droit qu’au promettant de l’invoquer.

Par cet arrêt, la Cour de cassation vient préciser deux éléments.

D’abord, le formalisme de l’article 290-1 du code de la construction et de l’habitation est un formalisme de protection, ce qui ne saurait surprendre au vu des raisons de son insertion dans le code de la construction et de l’habitation : la règle est issue de la loi du 25 mars 2009 dite de modernisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion et a pour but la protection de la personne physique qui immobilise son bien pendant une longue durée, notamment au profit d’un aménageur ou d’un promoteur. Obliger l’intervention du notaire dans de tels cas, c’est permettre au promettant de peser le choix de l’engagement en bénéficiant des conseils d’un professionnel. Le but est de compenser une forme de déséquilibre qui survient dans les promesses de longue durée au détriment du promettant. Ce déséquilibre est purement objectif : d’un côté, le promettant, qui subit la contrainte de l’immobilisation de son bien en s’engageant définitivement à maintenir sa promesse pendant une très longue durée ; de l’autre, la situation du bénéficiaire qui conserve sa liberté. Pour ces raisons, sanctionner cette condition d’une nullité fait de la promesse visée à 290-1 un « contrat solennel, relevant à ce titre du formalisme direct » (Rép. civ., v° Promesse de vente – PUV ou pacte d’option, par O. Barret, n° 86).

La jurisprudence s’est montrée très favorable à cette protection, qu’elle applique tant aux promesses synallagmatiques qu’unilatérales (v. Civ. 3e, 18 févr. 2015, n° 14-14.416, Dalloz actualité, 9 mars 2015, obs. A. Cayol ; D. 2015. 489 image ; ibid. 988, chron. A.-L. Méano, A.-L. Collomp, V. Georget et V. Guillaudier image), ce qui n’avait pas été sans soulever des critiques, notamment parce que la promesse synallagmatique devrait être plus protégée puisque le contractant y est déjà définitivement engagé (v. A. Cayol, art. préc.). Cela étant, étendre la protection au promettant de la promesse unilatérale est dans l’air du temps depuis que la réforme du code civil en droit des obligations a mis fin à la jurisprudence Consorts Cruz (Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199, D. 1994. 507 image, note F. Bénac-Schmidt image ; ibid. 230, obs. O. Tournafond image ; ibid. 1995. 87, obs. L. Aynès image ; AJDI 1994. 384 image ; ibid. 351, étude M. Azencot image ; ibid. 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith image ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre image) : en disposant que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis », l’article 1124, alinéa 2, du code civil a renforcé la force obligatoire de la promesse unilatérale de vente. Il en ressort donc que l’article 290-1 du code de la construction et de l’habitation constitue une garantie indispensable pour celui qui s’engage, surtout lorsque la promesse est unilatérale.

Ensuite, ce formalisme est orienté en la personne du seul promettant. En appliquant la théorie moderne des nullités (dont la préférence par la jurisprudence ne fait plus de doute et a été entérinée par la réforme du droit des obligations de 2016), la troisième chambre civile considère que la règle exprimée à l’article 1179 du code civil sauvegarde l’intérêt privé et non l’intérêt général. Dès lors, son irrespect, sanctionné par la nullité, ne peut être invoqué que par le promettant. C’est considérer que le périmètre tracé par le contrat ou l’avant-contrat ne doit pas entraîner avec lui l’extension d’un formalisme orienté. Dans un arrêt remarqué, la chambre mixte avait considéré que les formalités ayant trait à la mention de la durée et au numéro d’inscription d’un mandat d’agent immobilier n’étaient pas prescrites à peine de nullité absolue, refusant l’action en nullité au locataire dont le congé pour vente ne remplit pas les formalités concernées (Cass., ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411, Dalloz actualité, 10 mars 2017, obs. A. Gailliard ; D. 2017. 793, obs. N. explicative de la Cour de cassation image, note B. Fauvarque-Cosson image ; ibid. 1149, obs. N. Damas image ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki image ; AJDI 2017. 612 image, obs. M. Thioye image ; ibid. 2018. 11, étude H. Jégou et J. Quiroga-Galdo image ; AJ contrat 2017. 175 image, obs. D. Houtcieff image ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier image). À l’époque, l’arrêt avait surpris car il s’agissait d’un revirement de jurisprudence puisque la nullité était avant absolue mais s’expliquait notamment par le fait que le locataire avait lui aussi le bénéfice de règles protectrices d’ordre public. Pour autant, l’arrêt avait pu soulever quelques réserves du fait du statut de partie faible du locataire, qui s’en trouvait moins protégée. En outre, la place de l’intérêt général est bien plus importante vis-à-vis du contrat de l’agent immobilier régi par la loi Hoguet, activité réglementée et teintée d’ordre public. Il ne saurait en être ainsi dans le cas du bénéficiaire de la promesse qui n’est entré dans aucun rapport contractuel.

Cet arrêt vient renforcer le sentiment qu’au fil des années, la Cour de cassation cloisonne le bénéfice du formalisme en délimitant de façon nette les périmètres d’application. Elle le fait en s’appuyant – parfois de façon indirecte – sur une interprétation de l’article 1179 du code civil consistant à délimiter très nettement l’intérêt général de l’intérêt privé.

Mesures d’instruction : le juge chargé du contrôle ne peut statuer sur requête

FS-P+B+R+I : la lecture de cette combinaison de lettres qui accompagne la présente décision suggère d’emblée qu’elle n’est pas anodine. Il faut dire qu’elle mêle deux aspects importants : un sujet particulièrement pratique – les mesures d’instruction – et un principe fondamental de notre procédure – le contradictoire. La décision est accompagnée d’une note explicative publiée sur le site internet de la Cour régulatrice qui souligne qu’elle parachève, selon les termes employés par la juridiction, une évolution jurisprudentielle entamée depuis plusieurs années.

Il s’agissait, pour la haute juridiction, de se prononcer sur la question du suivi de la mesure d’instruction obtenue sur requête et plus précisément sur l’application de l’article 168 du code de procédure civile qui prévoit que, lorsqu’une difficulté survient au cours d’une opération à laquelle le juge chargé du contrôle de la mesure d’instruction ne procède ou n’assiste pas, il « fixe la date pour laquelle les parties et, s’il y a lieu, le technicien commis seront convoqués par le greffier de la juridiction ». Or la mesure d’instruction in futurum peut être demandée sur requête, c’est-à-dire en dérogeant au principe du contradictoire afin que le requérant puisse agir par surprise, sans appeler la personne visée par la mesure, afin d’éviter le risque de dépérissement des preuves.

La question posée par le pourvoi était de savoir si le juge chargé du contrôle peut ou non statuer par une ordonnance sur requête malgré les termes l’article 168 précité ?

En l’occurrence, une société suspectait un détournement  de  clientèle  commis  par  un ancien  salarié et une autre société dont il était le gérant.  Elle a saisi le président d’un tribunal  de  grande  instance  d’une  requête afin  de  voir  ordonner  une  mesure  d’instruction  sur  le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Après avoir favorablement accueilli cette demande, ce même président a autorisé un huissier de justice, sur  requête  de  ce  dernier  agissant  en  qualité  de mandataire de la société requérante, à conserver un disque dur saisi au domicile de l’ancien salarié. Ce dernier et la société dont il était devenu le gérant ont assigné le requérant en rétractation des deux ordonnances. Leur demande a été rejetée par une ordonnance dont ils ont interjeté appel mais la cour d’appel a confirmé cette décision.

Devant la Cour de cassation, le débat portait sur le respect du contradictoire. Les demandeurs reprochaient à la juridiction d’appel de s’être abstenue de convoquer les parties pour étendre la mission confiée à l’huissier de justice, ce qu’aucun texte ne lui permettait de faire. En l’occurrence, pour confirmer l’ordonnance de référé qui a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête, la cour d’appel a retenu que si l’ordonnance avait été effectivement rendue sans convocation des parties, le principe du contradictoire a été respecté dès  lors  que  ces  parties,  et  tout particulièrement l’ancien salarié, avaient été convoquées et entendues à l’audience statuant sur la demande de rétractation.

Les demandeurs faisaient valoir que, lorsque survient une difficulté au cours de l’exécution d’une mesure d’instruction, le juge saisi sans forme fixe la date pour laquelle les parties et, s’il y a lieu, le technicien commis seront convoqués par le greffier de la juridiction. Aucune disposition ne dispenserait le juge de cette contradiction que la seule audience sur rétractation ne saurait suffire à rétablir.

La Cour de cassation leur donne raison en censurant la décision d’appel. Elle énonce au visa des articles 14, 16, 166, 167 et 168 du code de procédure civile que lorsque le juge chargé du contrôle d’une mesure d’instruction exerce les pouvoirs prévus par les trois derniers  de  ces  textes,  il  doit  respecter  le principe de la contradiction et statuer, les parties entendues ou appelées. Elle souligne qu’en l’espèce, le juge chargé du contrôle de la mesure d’instruction avait statué par ordonnance sur requête.

La haute juridiction se prononce donc clairement pour une prohibition de la requête saisissant le juge chargé de régler les difficultés d’exécution de la mesure d’instruction. Ce faisant, elle impose le contradictoire au stade de la contestation de la mesure devant le juge chargé des difficultés d’exécution. Elle applique ainsi l’article 168 du code de procédure civile qui traduit en filigrane la volonté de faire naître un débat sur la difficulté soumise entre les parties opposées et éventuellement le technicien.

Si la solution semble désormais claire (v. déjà Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 18-12.194, Dalloz actualité, 31 juill. 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1397 image), elle n’interroge pas moins sur sa compatibilité avec l’esprit de la requête fondée sur les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dont le propre est d’écarter le contradictoire pour permettre au demandeur de se ménager un effet de surprise et ainsi préserver ses chances de se constituer une preuve dans l’optique d’un futur litige potentiel. La cour d’appel a estimé qu’au stade de la difficulté d’exécution, il n’y avait pas lieu de rétablir cette contradiction dès lors que c’est déjà l’objet de la procédure de référé-rétractation. La haute juridiction souligne toutefois dans l’arrêt rapporté que c’est dès le stade de cette contestation devant le juge chargé du contrôle de la mesure que le principe du contradictoire doit être rétabli. La décision, qui semble contredire de précédents arrêts (Civ. 2e, 24 avr. 1989, n° 88-10.941, Bull. civ. II, n° 98 ; RTD civ. 1990. 143, obs. R. Perrot image ; JCP 1990. II. 21472, obs. L. Cadiet ; 4 juill. 2007, n° 05-20.075, Rev. crit. DIP 2007. 840, note H. Muir Watt image), doit selon nous être approuvée car elle n’affecte aucunement l’efficacité du mécanisme de la requête, en particulier lorsque celle-ci est fondée sur les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile. L’effet de surprise qui conduit à une mise au ban du contradictoire doit exister pour permettre au requérant de se constituer la preuve qu’il estime nécessaire, mais dans un premier temps seulement, c’est-à-dire au stade de la recherche des preuves avant d’éviter que la personne visée par la mesure ne puisse les faire disparaître. Dans un second temps, c’est-à-dire une fois lorsqu’une fois cette preuve obtenue, si des difficultés apparaissent, il est nécessaire que chacun des intérêts en présence puissent être discutés entre les parties : celui qui a sollicité la mesure et celui qui a soulevé la difficulté devant le juge chargé du contrôle. On pourrait estimer, comme l’a fait la juridiction d’appel, que ces difficultés peuvent être traitées contradictoirement devant le juge de la rétractation mais en réalité, ce sont deux problèmes distincts. C’est une chose de vouloir discuter de la rétractation de l’ordonnance sur requête, c’en est une autre de vouloir discuter des difficultés d’exécution apparues au cours de la mesure. Dans les deux cas, la contradiction doit être respectée.

Au-delà de son apport pratique, cet arrêt rappelle qu’au fond, la procédure sur requête est une anomalie en ce qu’elle conduit à une mise à l’écart d’un principe essentiel du procès équitable, le droit de pouvoir discuter contradictoirement des demandes soumises au juge. C’est un mal nécessaire, car il permet de garantir l’efficacité de la mesure, mais un mal quand même. Il est sans doute raisonnable de cantonner cette anomalie au strict nécessaire et de permettre au contradictoire de retrouver toute sa place lorsque survient une difficulté liée à l’exécution de la mesure d’instruction.

De la notion d’incident de paiement non régularisé

En matière de crédit à la consommation, les actions en paiement du prêteur sont soumises à une forclusion biennale en vertu de l’alinéa 1er de l’article R. 312-35 du code de la consommation (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 192). L’alinéa 2 du même texte prévoit que « Lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l’objet d’un réaménagement ou d’un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement prévu à l’article L. 732-1 ou après décision de la commission imposant les mesures prévues à l’article L. 733-1 ou la décision du juge de l’exécution homologuant les mesures prévues à l’article L. 733-7 » (la solution est également valable en présence d’un délai de grâce accordé au débiteur sur le fondement de l’art. L. 314-20 c. consom., renvoyant à l’art. 1343-5 c. civ., v. Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-13.790, D. 2015. 1484 image ; RTD com. 2015. 735, obs. B. Bouloc image). Encore faut-il s’entendre sur la notion d’incident de paiement non régularisé. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021 apporte à cet égard d’utiles précisions. En l’espèce, suivant offres acceptées le 29 janvier 2008, une banque a consenti à un emprunteur deux prêts de 21 000 € et 14 000 € garantis par une assurance. Par la suite, l’emprunteur a fait l’objet d’une procédure de traitement de sa situation de surendettement, qui donné lieu à une décision du 28 février 2013, par laquelle la commission de surendettement a imposé des mesures de redressement à compter du 31 mars de la même année. L’emprunteur n’a alors effectué aucun remboursement et l’assureur a, au titre de la garantie invalidité, réglé à la banque la somme totale de 2 529,75 €. Puis, par acte du 3 août 2015, la banque a assigné l’emprunteur en remboursement du solde des prêts, mais ce dernier lui a opposé la forclusion de l’action.

La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 27 septembre 2018, a déclaré recevable la demande en paiement de la banque et a condamné l’emprunteur au paiement d’une certaine somme. Un pourvoi en cassation fut donc formé par celui-ci, au motif notamment que la régularisation d’un incident de paiement ne peut résulter du paiement fait par l’assureur-emprunteur. Cependant, l’argument ne trouve pas grâce aux yeux de la Cour régulatrice, qui considère qu’« un paiement effectué par l’assureur, substitué à l’assuré, valant paiement de la dette de ce dernier, permet d’écarter l’existence d’un incident de paiement non régularisé, de sorte qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que la somme de 2 529,75 € avait permis le paiement intégral des échéances des mois d’avril, mai, juin et juillet 2013 et le paiement partiel de l’échéance du mois d’août et que l’échéance du 30 août 2013 constituait le premier incident de paiement non régularisé, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que l’action de la banque était recevable ».
La solution est irréprochable : le code de la consommation n’exige nullement que l’incident de paiement soit régularisé par l’emprunteur lui-même (comp. G. Cattalano, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 324.103 : « Par cette expression, il faut entendre le premier défaut de paiement, total ou partiel, qui n’a pas été ultérieurement couvert par l’emprunteur, ou par un accord conclu entre le prêteur et l’emprunteur pour reporter les échéances »), si bien que le paiement de la dette par son assureur permet naturellement une telle régularisation. Il en irait de même si la dette était payée par un codébiteur solidaire, une caution ou même, nous semble-t-il, par un tiers à la dette, l’article 1342-1 du code civil (ayant succédé à l’anc. art. 1236 à la faveur de la réforme opérée par l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016) prévoyant que « Le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier » (pour une application de ce principe dans le domaine des procédure civiles d’exécution, v. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-16.312 : « Il résulte de la combinaison des articles L. 131-1 et L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, que, dès l’instant où l’obligation assortie d’une astreinte a été exécutée, fût-ce par un tiers, l’astreinte ne peut plus donner lieu à liquidation pour la période de temps postérieure à cette exécution, sauf si le créancier justifie d’un intérêt légitime à ce qu’elle soit exécutée par le débiteur lui-même »).

L’emprunteur soutenait également qu’en toute hypothèse, les paiements partiels d’une dette unique s’imputaient d’abord sur les intérêts et que lorsque l’assurance-emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur devaient s’imputer sur chacune des échéances dont il s’agit de garantir le paiement de sorte qu’aucune des échéances dues à partir d’avril 2013 ne pouvait être considérée comme régularisée. Mais la première chambre civile écarte ces arguments, considérant que « l’emprunteur n’a pas soutenu, en cause d’appel, que les paiements partiels devaient être imputés en priorité sur l’intégralité des intérêts impayés avant de pouvoir être imputés sur le capital ni que, lorsque l’assurance emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur doivent s’imputer sur chacune des échéances dont le paiement était partiellement garanti ». Cela est dommage (pour l’emprunteur), car l’argument aurait pu prospérer. On sait en effet qu’en vertu de l’ancien article 1254 du code civil, « Le débiteur d’une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts » (la règle est reprise de manière plus concise par l’art. 1343-1, al. 1er, issu de l’ord. du 10 février 2016 : « Lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts »). Il est vrai, cependant, que cette règle n’est pas d’ordre public (V. en ce sens, sous l’empire des anciens textes, Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 00-11.958 : « les dispositions des articles 1253 à 1256 du code civil relatives à l’imputation des paiements sont supplétives de la volonté des parties »). Mais, pour l’écarter, une stipulation expresse est nécessaire (V. en ce sens, au sujet de l’anc. art. 1256 c. civ., Civ. 3e, 10 mars 2004, n° 03-10.807, D. 2004. 1283 image ; RTD civ. 2004. 512, obs. J. Mestre et B. Fages image : « Mais attendu qu’ayant exactement retenu que l’acceptation de prélèvements bancaires n’impliquait pas en elle-même, à défaut de stipulation contractuelle expresse, que les locataires aient entendu renoncer aux dispositions de l’article 1256 du code civil, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à des recherches relatives à la volonté implicite des parties que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que le premier juge avait justement imputé aux loyers les plus anciens les paiements faits sous forme de prélèvements automatiques après le commandement et constaté que les causes de cet acte avaient été réglées dans les deux mois suivant sa délivrance »).

Opposition, vices cachés et appel en garantie : un mélange explosif

La difficulté des croisements entre procédure civile et droit des contrats spéciaux n’est pas nouvelle. La spécialisation grandissante de la théorie générale des contrats (F. Collart-Dutilleul et P. Delebecque, Droit des contrats spéciaux, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 11, n° 8) implique également et nécessairement des embranchements de plus en plus nombreux avec d’autres matières, dont le droit judiciaire privé. Toutefois, certaines confluences sont plus faciles à manier que d’autres. Celle entre l’opposition, l’appel en garantie et le contentieux des vices cachés reste au moins délicate si ce n’est parfois opaque tant les difficultés peuvent rapidement s’accumuler. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021 fait donc partie de ces solutions complexes, non destinées à une publication au Bulletin. Cette absence de publication – peut-être regrettable – ne doit pas nier l’intérêt de la décision pour autant. Quoique connue et plurielle, la solution appelle des remarques brèves mais importantes pour mieux comprendre l’enjeu de la responsabilité et des garanties dans des situations très fréquentes de chaînes de contrats à l’occasion d’un contrat d’entreprise initial. Voie de rétractation par excellence (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 939, n° 1290), l’opposition était ici bien utilisée par le fabricant – maillon extrême de la chaîne – et la Cour de cassation vient utilement rappeler les effets bénéfiques de cette voie de recours dans le contentieux des vices cachés.

Rappelons les faits qui ont donné lieu à une telle affaire. Des particuliers font édifier en 2007 une maison individuelle avec un bardage en bois posé par la société M. L’entrepreneur s’est fourni auprès de la société DMO qui s’est elle-même fournie auprès de la société P. qui a acheté le bardage auprès d’une quatrième société, la société TBN laquelle fabrique ces bardages. Des désordres ont été constatés par les maîtres de l’ouvrage une fois la maison individuelle terminée. Après expertise judiciaire contradictoire, les maîtres de l’ouvrage ont assigné l’entrepreneur et son assureur en responsabilité. Par jugement du 4 avril 2012 rectifié le 16 mai 2012, l’entrepreneur et son assureur ont été condamnés à payer aux maîtres de l’ouvrage la somme de 33 321,12 € en réparation des désordres liés au bardage défectueux. Le maître d’œuvre condamné et son assureur ont assigné la société DMO auprès de laquelle elle s’était fournie. Cette dernière a appelé en garantie la société P. chez qui elle s’est elle-même approvisionnée. Enfin, la société P. a appelé en garantie, à son tour, le fabricant des bardages, la société TBN. Dans un arrêt du 22 février 2018, la cour d’appel de Rennes a notamment condamné le fabricant à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité des condamnations à son encontre. Une opposition du fabricant est formée. Dans un arrêt du 2 mai 2019, la cour d’appel de Rennes était saisie, à nouveau, mais pour une éventuelle rétractation. Les juges du fond ont estimé qu’il n’y avait pas lieu à rétracter la disposition de l’arrêt selon laquelle le fabricant a été condamné à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité du quantum des condamnations à son encontre. Le fabricant se pourvoit ainsi en cassation en arguant devant la Haute juridiction que puisque « l’appel en garantie ne crée de lien de droit qu’entre le bénéficiaire de la garantie et son propre garant, et n’en crée aucun entre ceux-ci et le demandeur à l’instance principale », alors il pouvait opposer à la société qui l’a appelé en garantie le moyen selon lequel il n’avait pas à supporter le coût de la dépose et de la repose du bardage défectueux puisque cette opération n’était due qu’à un manque d’étanchéité dont il n’avait pas à répondre personnellement. Or, la cour d’appel de Rennes n’avait pas examiné ce moyen invoqué pour limiter la garantie du fabricant. Elle s’était limitée à relever la condamnation à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité de la condamnation. Voici qu’intervient une violation de la loi qui permet à la Cour de cassation de casser et d’annuler l’arrêt entrepris. La réponse est sans équivoque : « En statuant ainsi, sans examiner le bien-fondé du moyen invoqué par le fabricant pour voir limiter sa garantie, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

On sait que l’opposition s’inscrit « en contrepoint de la notion de jugement rendu par défaut » (M.-E. Boursier et E. Boutrel, Rép. civ., v° Opposition, n° 1). Mais, en l’espèce, était-il possible de demander la rétractation d’une disposition d’un arrêt pour le fabricant qui s’était vu condamné à l’intégralité de la condamnation au profit du vendeur intermédiaire ? Tout ceci résultait, ab initio, des appels en garantie successifs des différents maillons intermédiaires de la chaîne jusqu’au fabricant lui-même qui reste le maillon extrême. La réponse de la cour d’appel estimait « qu’en cas de ventes successives, le vendeur intermédiaire condamné à garantir les conséquences du produit affecté d’un vice caché, conserve la faculté d’exercer cette action à l’encontre du fabricant à hauteur de la totalité des condamnations mises à sa charge sur ce même fondement ». C’est précisément là où le bât blesse pour la Cour de cassation. Si le fabricant reste bien responsable in fine du défaut dans le bardage, doit-il supporter le coût de la dépose et de la repose qui n’est pas rendue nécessaire par le défaut dans les bardages fabriqués mais dans un problème d’étanchéité qui ne lui est pas imputable ? La question pouvait légitimement, en effet, se poser puisque le fabricant répond logiquement des défauts de son produit mais pas de ceux qui ne sont pas de son propre fait. En ce sens, l’opposition trouvait un certain sens pour rétracter les dispositions éventuellement inadaptées à la situation du fabricant qui n’avait pas pu faire valoir sa prétention devant les juges du fond. Le reproche adressé à la cour d’appel de Rennes saisie de l’opposition de la société TBN fabricante des bardages réside dans l’assimilation de l’action en garantie à son encontre de la totalité des condamnations. Or, en la matière, dans une telle chaîne de contrats où un vice caché est apparu, le maillon extrême doit pouvoir invoquer des moyens destinés à limiter la condamnation si des éléments extérieurs le démontrent ; appel en garantie oblige. Certes, l’appel en garantie doit permettre la condamnation du tiers contre qui il est formé (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, Domat, 2019, p. 958, n° 1172) mais certaines limites existent quant à l’amplitude de cette condamnation. Voici donc une décision de raison gouvernée par l’adéquation de la contribution à la dette de chacun des acteurs de la chaîne. Le fabricant est condamné à garantir le vendeur intermédiaire pour ce qu’il a vendu. Ni plus, ni moins. En somme, toute la garantie mais rien que la garantie.

Que retenir donc, en résumé, de cette solution ? Deux enseignements majeurs se profilent. D’une part, c’est l’occasion de rappeler que l’appel en garantie ne créée de lien juridique qu’entre l’appelant et l’appelé. C’est une solution connue (F. Ferrand, Rép. civ., v° Appel, n° 534). Nul lien entre le demandeur à l’action principale et l’appelé en garantie (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, op. cit., p. 340, n° 422). Toute la solution formulée par la Cour de cassation repose sur cette idée qui avait été invoquée par le demandeur au pourvoi en appendice de sa démonstration. La distinction des instances est le prérequis de la solution sur la possibilité d’une rétractation. D’autre part, une telle décision permet de ne pas faire peser sur le maillon extrême de la chaîne une condamnation dont le quantum n’est pas adapté à sa responsabilité. S’il doit évidemment s’acquitter de l’indemnisation en raison du vice affectant la chose, le fabricant ne répond pas de ce qui lui est étranger. En l’espèce, c’était précisément le cas du défaut d’étanchéité, lequel était lié à un problème dans la pose mais pas dans celui observé pour les bardages. En somme, la société TBN a été parfaitement conseillée dans sa stratégie de défense : l’opposition était une très bonne idée dans le contentieux visé. Encore faudra-t-il reprendre l’instance au fond par la cour d’appel de renvoi d’Angers et vérifier si ce défaut d’étanchéité permet bien de rétracter la disposition. Seuls les éléments de faits pourront le dire précisément. La Cour de cassation valide un raisonnement subtil, peut-être stratégique, mais qui permet de préserver le rôle de chacun dans la chaîne de contrats.

[I]Exequatur[/I] d’un jugement américain en matière de divorce et ordre public international

M. G…H…, de nationalité française, et Mme R…, de nationalité russe et américaine, se sont mariés à Paris en 1991 sous le régime de la séparation de biens, par contrat reçu par un notaire en France. Ils se sont ensuite installés aux États-Unis où sont nés leurs deux enfants.

En novembre 2001, l’épouse a saisi la Supreme Court de l’État de New York d’une requête en divorce. Par decision and order du 28 juin 2002, le juge Lobis a rejeté la demande de M. G…H… tendant à voir dire le contrat de mariage français valide et exécutoire, et a écarté l’application de ce contrat. Le juge Goodman a ensuite rendu une trial decision le 3 octobre 2003, puis un judgement of divorce le 9 janvier 2004, lequel a prononcé le divorce aux torts du mari, confié la garde des enfants mineurs à la mère avec un droit de visite et d’hébergement au profit du père, en précisant que la mère devrait consulter le père sur toutes les décisions significatives concernant les enfants mais qu’elle aurait le pouvoir de décision finale, fixé les modalités de contribution du père à l’entretien et l’éducation des enfants, alloué à l’épouse une pension alimentaire mensuelle pendant sept ans et statué sur la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux. En mai 2005, la cour d’appel de l’État de New York a partiellement réformé la décision sur la liquidation des intérêts patrimoniaux, en disant notamment que l’intégralité du solde du produit de la vente de l’appartement new-yorkais devait revenir à M. G…H….

L’ex-épouse a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une demande d’exequatur des décisions du 3 octobre 2003 et du...

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Reconnaissance de dettes et liquidation d’indivision entre époux : le silence est d’or, le dire est d’argent

En octobre 1998, Monsieur et Madame X. décident de se marier et optent pour un régime séparatiste. Cinq ans plus tard, ils acquièrent en indivision un appartement au moyen de fonds personnels (et non propres comme on peut le lire dans la décision étant en séparation de biens !) et de divers emprunts. Parmi ces emprunts, un a été accordé par le père de monsieur, à hauteur de 58 000 €, aux fins de financer les frais d’acquisition du bien indivis. Le temps passe mais le mariage n’a pas surmonté le cap de la décennie et, en mars 2008, une ordonnance de non conciliation est émise. La procédure de divorce suit alors un cours classique. Le 5 juillet 2010, le juge de la mise en état a rendu une ordonnance, sur le fondement de l’article 255, 10°, du code civil par laquelle il désigne un notaire afin que soit élaboré un projet de liquidation du régime matrimonial et la formation des lots à partager. Puis, le 2 septembre 2013, un jugement de divorce est prononcé entre les époux. Au terme du jugement, il est ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux du couple.

Un conflit est alors né sur ce dernier point relativement au bien immobilier acquis en indivision. En effet, pendant la procédure de divorce, Madame X. reconnaît, dans le dire adressé au notaire le 20 avril 2012, l’existence de la dette...

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De la prescription des titres exécutoires judiciaires en Nouvelle-Calédonie

On sait que les titres exécutoires judiciaires sont soumis à un délai de prescription particulier. L’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution (qui était initialement l’art. 3-1 de la loi n° 91-650 du 9 juill. 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution) dispose en effet, en son alinéa 1er, que « L’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long » (les titres concernés sont plus précisément les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire, les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables, et les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties). Mais cette disposition n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie. L’article 25, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile prévoit en effet que « La présente loi, à l’exception de son article 6 et de ses articles 16 à 24, est applicable en Nouvelle-Calédonie ». Or, le texte instituant la prescription décennale des titres exécutoires judiciaires est l’article 23 de ladite loi. Cette prescription doit donc être écartée s’agissant de l’exécution des titres judiciaires en Nouvelle-Calédonie. Encore fallait-il déterminer la prescription applicable à ces titres exécutoires, question à laquelle la première chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre dans un arrêt du 9 décembre 2020. En l’espèce, suivant acte du 21 février 2006, le Fonds social de l’habitat a consenti à un particulier un prêt destiné à l’acquisition d’un bien immobilier. Par la suite, le 11 janvier 2017, le prêteur a délivré à l’emprunteur un commandement aux fins de saisie immobilière sur le fondement d’un jugement du tribunal de première instance de Nouméa du 8 janvier 2013, devenu irrévocable. Invoquant la prescription de l’action du prêteur, l’emprunteur l’a assigné en annulation du commandement.

La cour d’appel de Nouméa, dans un arrêt du 10 décembre 2018, a déclaré la créance prescrite et a donc fait droit à la demande de l’emprunteur, au motif que « l’article L. 137-2 du code de la consommation ne distingue pas selon le type d’action, et notamment pas entre les actions en paiement en vue d’obtenir un titre exécutoire et celles en recouvrement en vertu d’un tel titre, que ce texte institue un régime de prescription dérogatoire au droit commun applicable à toutes les actions engagées par un professionnel tendant au paiement des sommes dues pour les biens ou les services qu’il a fournis à un consommateur, que le délai de prescription biennal s’applique tant à l’action en vue d’obtenir un titre exécutoire qu’à celle en recouvrement en vertu du titre obtenu et que l’action du prêteur, fondée sur un jugement du 8 janvier 2013, n’a été engagée que le 11 janvier 2017 ».

Le prêteur se pourvut donc en cassation, au motif « qu’en Nouvelle-Calédonie, l’exécution des décisions de justice...

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Sanction de l’absence de motivation de l’appel formé contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence : un brevet de conventionnalité prévisible

Au-delà d’une simple redite

Le 1er septembre 2017 entraient en vigueur les dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 consacrant une nouvelle procédure de contestation des jugements relatifs à la compétence (L. Mayer, Le nouvel appel du jugement sur la compétence, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 71 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 521 s., spéc. nos 530 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, 3e éd., Dalloz, coll. « Référence », 2018/2019, nos 234.04 s. ; J. Pellerin, La réforme de la procédure d’appel : nouveautés et vigilance !, Gaz. Pal. 23 mai 2017, p. 13 ; C. Laporte, Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé, Procédures 2017. Étude 29). Arrêts après arrêts, la Cour de cassation vient préciser l’interprétation qui doit être donnée à ces nouvelles dispositions. Après avoir jugé que l’appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat, de la procédure à jour fixe (Civ. 2e, 11 juill. 2019, nos 18-23.617 et 19-70.012, Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 1499 image ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1380, obs. A. Leborgne image ; Gaz. Pal. 5 nov. 2019, p. 53, obs. N. Hoffschir ; JCP 2019. 942, note N. Gerbay ; Procédures 2019. comm. 253. obs. C. Laporte ;  ; 2 juill. 2020, n° 19-11.624, Dalloz actualité, 1er sept. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 1471 image ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, n° 390b3, p. 60, obs. M. Guez), elle a récemment apporté deux nouvelles précisions dans un seul et même arrêt (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-17.630, Dalloz actualité, 5 nov. 2020, obs. C. Lhermitte).

La première concerne l’exigence de motiver la déclaration d’appel dirigée contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence. La déclaration d’appel est motivée dans la déclaration elle-même ou dans les conclusions qui y sont jointes (C. pr. civ., art. 85, al. 1er). Dès lors, les « conclusions au fond annexées à la requête, qui sont adressées au premier président et non à la cour d’appel, ne peuvent constituer la motivation requise ». À vrai dire, il pouvait difficilement en être autrement. Comme il a été justement dit, « le premier président n’est pas la cour d’appel. […] Et sur le plan pratique, la cour d’appel n’est pas destinataire des conclusions contenues dans la requête, et elle n’en a donc pas connaissance. La cour d’appel ne peut donc statuer sur des...

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Manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil : point de départ de la prescription

Il est tentant de discerner, au sein de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 janvier 2021, un brutal revirement de la jurisprudence de la chambre commerciale quant au point de départ de la prescription des actions pour manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil supportés par le banquier. Il semble pourtant que la nature profonde de cet arrêt soit plus subtile et qu’en lieu et place d’un brutal revirement, il existe un habile ajustement.

En 2007, un emprunteur avait obtenu un crédit immobilier pour lequel il avait également adhéré au contrat d’assurance de groupe souscrit par la banque. Placé en arrêt maladie en 2012, l’emprunteur s’est prévalu de la couverture des échéances par la police d’assurance. Cependant, la prise en charge lui a été refusée, dès lors qu’il avait atteint l’âge au-delà duquel le risque maladie n’était plus couvert. À la suite d’échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme et a sollicité paiement auprès de la caution, laquelle s’est retournée contre l’emprunteur qui, pour tenter de se libérer de son prêt, à invoquer la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de conseil. Sans s’attacher aux manquements éventuels, les juges du fond ont retenu la prescription de l’action en réparation de l’emprunteur puisqu’il s’était écoulé plus de cinq ans entre l’exercice de l’action et la conclusion du contrat.

Le pourvoi invitait dès lors à un départage quant à la détermination du point de départ du délai de prescription : doit-il être fixé à la date de la conclusion du contrat ou reporté à la date du refus de garantie opposé par l’assureur ?

Au visa des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, la Cour de cassation rappelle que les « actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Prenant appui sur le caractère glissant du point de départ de la prescription consacré par la loi, la chambre commerciale retient que lorsqu’un prêteur n’a pas suffisamment informé l’emprunteur sur les risques couverts par l’assurance souscrite, le dommage consiste alors en « la perte de la chance de bénéficier d’une […] prise en charge », lequel se réalise « au moment du refus de garantie opposé par l’assureur ». Il en découle que ce refus constitue « le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité exercée par l’emprunteur ». Le contexte de la décision est éclairant dès lors que la solution retenue n’avait rien d’évident ; l’examen de son appréciation ainsi que de sa portée permet d’exactement en cerner la teneur.

Contexte

En matière de devoirs d’information, de mise en garde et de conseil, il est de jurisprudence classique, au moins pour la chambre commerciale et concernant le contrat de prêt, de retenir qu’en cas de manquement, le dommage réside en une perte de chance de ne pas contracter, en sorte qu’il se réalise au jour de la conclusion du contrat, lequel marque le point de départ de la prescription de l’action (en ce sens, v. not. Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354, Dalloz actualité, 25 févr. 2010, obs. V. Avena-Robardet, D. 2010. 934, obs. V. Avena-Robardet image, note J. Lasserre Capdeville image ; RTD com. 2010. 770, obs. D. Legeais image ; 27 mars 2012, n° 11-13.719 ; 17 mai 2017, n° 15-21.260, RTD civ. 2017. 865, obs. H. Barbier image). Cependant, cette position a été récemment malmenée à propos de l’assurance adjointe au prêt, par un arrêt de la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, Dalloz actualité, 9 juin 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 1120 image ; H. Barbier, Pour une approche unitaire du point de départ de la prescription des actions pour manquement aux devoirs d’information, mise en garde et conseil, RTD civ. 2017. 865 s. image ; CCC 2017. Comm. 164, obs. L. Leveneur) ayant retenu que la manifestation du dommage ne découlait pas de la conclusion du contrat mais du refus de garantie opposé par l’assureur. Dès lors, il a été décidé que le point de départ du délai de prescription devait être reporté à la date de ce refus.

Il est vrai que les deux analyses – le maintien du point départ au jour de la conclusion du contrat ou le report à la date du refus de prise en charge – peuvent être raisonnablement soutenues à propos du devoir d’information et de conseil en cas d’assurance souscrite par l’emprunteur. La première n’est pas fantaisiste dès lors que les termes du contrat d’assurance, pour lequel il n’était pas contesté en l’espèce qu’ils avaient été transmis au prêteur par l’entremise des conditions générales et de la notice d’information, permettent de connaître les événements excluant la couverture et donc l’éventualité d’un préjudice généré par le défaut de prise en charge. En somme, et de façon générale, la perte de chance de ne pas contracter résultant du défaut d’information se réaliserait toujours au jour de la conclusion du contrat, lequel devrait invariablement constituer le point de départ de la prescription.

Cependant, la seconde analyse, tendant au report du point de départ de la prescription à la date du refus de garantie par l’assureur, présente également quelques arguments. L’absence de garantie de l’assureur peut être la résultante de subtilités qui n’apparaissent pas en pleine lumière au sein de l’instrumentum, encore qu’elles ne soient pas dissimulées. Là réside d’ailleurs l’utilité d’un devoir de conseil : attirer spécifiquement l’attention de l’emprunteur sur ce qu’induisent et recouvrent les termes de l’assurance au regard de sa situation personnelle. Par ailleurs, la réalisation du risque est en ce cas différée, qui n’apparaît que tardivement, au moment du refus de prise en charge de l’assureur. À ces égards, il est tentant de procéder à un transfert de l’objet de la perte de chance, laquelle ne serait plus de ne pas contracter mais de ne pas pouvoir bénéficier de la prise en charge, de sorte que le point de départ de la prescription ne peut alors qu’être reporté au moment du défaut de prise en charge, lors du refus de garantie opposé par l’assureur.

Confrontée à l’alternative, la chambre commerciale consacre la seconde analyse, en retenant que le dommage invoqué par le prêteur consistait « en la perte de la chance de bénéficier d’une […] prise en charge » et non en la perte d’une chance de ne pas contracter. Ce changement d’objet de la perte de chance conduit à retenir que le dommage se réalise « au moment du refus de garantie opposé par l’assureur », cette date devant constituer « le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité […] ». Ce faisant, la chambre commerciale accorde ses violons avec la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, préc.) et procède à un ajustement net de sa jurisprudence quant au point de départ de la prescription de l’action pour manquement au devoir d’information et de conseil quant à l’adéquation des risques couverts par l’assurance à la situation personnelle de l’emprunteur. Reste à déterminer si l’ajustement est opportun.

Appréciation et portée

Le truchement employé, consistant à cerner la perte de chance non dans la possibilité de ne pas contracter mais dans celle de bénéficier d’une prise en charge par l’assureur, est particulièrement favorable à l’emprunteur. En effet, on ne peut s’empêcher de penser que le refus de garantie opposé par l’assureur manifeste bien plus un effet prévisible du contrat d’assurance que la caractérisation de la perte d’une chance, puisque de chances de prise en charge de l’événement exclu, le contrat d’assurance n’en laissait justement planer aucune… proprement parce qu’il l’excluait expressément ! La solution découle donc essentiellement de considérations d’opportunité. Il est vrai qu’à défaut de report du point de départ de la prescription, les hypothèses seraient nombreuses où les emprunteurs réaliseraient hors délai le manquement du prêteur à son obligation d’information sur la teneur des risques couverts par l’assurance souscrite. Les emprunts, en particulier pour le financement des acquisitions immobilières, sont le plus souvent remboursés sur une longue période, de sorte qu’un point de départ de la prescription fixé à la date de la conclusion du contrat dédouanerait le prêteur de son manquement chaque fois que le refus de garantie opposé par l’assureur interviendrait au-delà de cinq ans à compter de la conclusion du contrat. La position retenue par la chambre commerciale permet d’éviter ce résultat et qu’in fine, le devoir de conseil en matière de contrat d’assurance adossé à un crédit soit rendu stérile, faute de pouvoir sanctionner les manquements.

Au-delà, l’essentiel tient à la détermination de la portée de la solution rendue. À cet égard, l’analyse montre que l’arrêt procède certainement à un ajustement de la jurisprudence en matière de point de départ de la prescription en cas de manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil dans le cadre des crédits dispensés par les professionnels, plutôt qu’à un revirement général et tonitruant. En effet, la solution de la chambre commerciale, à l’identique de celle retenue par la deuxième chambre civile en 2017 (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, préc.), est rendue à propos d’un aspect bien particulier : le défaut d’information de l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts par l’assurance par rapport à sa situation personnelle. Dans ce cas, la réalisation du risque se détache de la conclusion du contrat pour se fixer au jour du refus de garantie de l’assureur, c’est-à-dire au jour de l’exécution du contrat. Il semble dès lors que cet arrêt participe d’un mouvement jurisprudentiel tendant à fixer le point de départ de la prescription de l’action pour manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil au jour de la réalisation du risque, avec une application distributive au contrat de prêt, ainsi qu’aux contrats d’assurance ou de cautionnement venant en complément (v. H. Barbier, art. préc., p. 865 s.). Suivant cette ligne, la jurisprudence récente retient le point de départ de la prescription au jour de la réalisation du cautionnement pour le contrat de cautionnement (Com. 4 mai 2017, n° 15-22.830, RTD civ. 2017. 865, obs. H. Barbier image), au jour de la conclusion du prêt pour le contrat de prêt (Com. 17 mai 2017, n° 15-21.260, préc.) et au jour du refus de garantie opposé par l’assureur, en matière de contrat d’assurance (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, préc.). Appréhendée de la sorte, la solution dégagée par cet arrêt de la chambre commerciale ne s’applique qu’au contrat d’assurance et non à l’obligation de mise en garde en matière de prêt, pour laquelle la règle de principe revient, qui commande de retenir pour point de départ de la prescription de l’action en responsabilité la date de la conclusion du contrat. Et l’exacte portée de l’arrêt se dessine : il s’agit essentiellement d’un ajustement et non véritablement d’un revirement. Il faudra néanmoins que la jurisprudence future le confirme.

Mentions des chefs critiqués dans la déclaration de saisine après cassation : portée

La déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel

Aux termes de l’article 625 du code de procédure, la cassation replace les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant la décision cassée.

Il en résulte qu’après une cassation, les parties n’ont pas à introduire une nouvelle instance mais poursuivent l’instance ayant abouti à la décision cassée, à charge pour la partie qui y a intérêt de saisir la juridiction désignée, par une déclaration de saisine, comme le prévoit l’article 1032.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 14 janvier 2021, rappelle que la déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel.

À notre connaissance, la haute juridiction n’avait jamais eu l’occasion d’apporter cette précision dont nous ne doutions pas (C. Lhermitte, Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 1610 : « la déclaration de saisine n’est pas un acte d’appel et elle ne se substitue pas à l’acte d’appel qui demeure, dans le cadre du renvoi de cassation, l’acte introductif de l’instance d’appel »). Sauf que cela est parfois oublié.

La déclaration de saisine est un acte de procédure à part entière qui n’a pas pour objet d’introduire une instance d’appel, mais bien de poursuivre celle déjà engagée.

Cela a des conséquences sur le plan procédural.

Par exemple, en matière prud’homale, si la déclaration d’appel est antérieure au 1er août 2016, et quelle que soit la date de la déclaration de saisine, la procédure sur renvoi en appel relèvera de la procédure orale sans représentation obligatoire (C. trav., art. R. 1461-2 ; décr. n° 2016-660, 20 mai 2016, relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail) et l’article 1037-1 fixant les règles de la procédure sur renvoi de cassation sera écarté au profit de l’article 1036.

Pour la même raison, le timbre fiscal de l’article 1635 bis P du code général des impôts n’est pas dû sur renvoi de cassation s’il a déjà été réglé dans le cadre de l’appel (C. Lhermitte, La taxe fiscale de 150 € est-elle due pour les procédures d’appel après renvoi de cassation ?, Gaz. Pal. 24-25 janv. 2014).

L’obligation de porter dans la déclaration de saisine les chefs de dispositif critiqués mentionnés dans l’acte d’appel

L’article 1033, qui précise les mentions devant être portées dans l’acte de saisine de la juridiction de renvoi après cassation, renvoie aux « mentions exigées pour l’acte introductif d’instance devant cette juridiction ».

En appel, ces mentions sont prévues à l’article 901 – qui lui-même renvoie au demeurant aux articles 57 et 54 – dont le 4° concerne les « chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ».

Par application des articles 1033 et 901, la déclaration de saisine doit donc mentionner les chefs expressément critiqués.

Cette obligation procédurale, sur l’intérêt de laquelle nous pouvons nous interroger, est confirmée par l’arrêt qui souligne « l’obligation prévue au dernier de ceux-ci (C. pr. civ., art. 901 et 1033) de faire figurer dans la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation, qui n’est pas une déclaration d’appel les chefs de dispositif critiqués de la décision entreprise tels que mentionnés dans l’acte de l’appel ».

Mais la Cour de cassation, sans remettre en question cette obligation résultant du renvoi de l’article 1033 au 4° de l’article 901, prend soin aussi de rappeler que la déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel, précision qui n’est pas anodine. En effet, n’étant pas un acte d’appel, cette mention dans l’acte de saisine « ne peut avoir pour effet de limiter l’étendue de la saisine de la cour d’appel de renvoi ».

Effet dévolutif et portée de la cassation

En apportant la précision selon laquelle la mention des chefs critiqués « ne peut avoir pour effet de limiter l’étendue de la saisine de la cour d’appel de renvoi », la Cour de cassation distingue l’effet dévolutif (de l’appel) et la portée de la cassation (par l’arrêt de cassation).

Cette distinction est importante pour permettre de comprendre que l’éventuel manquement quant aux chefs critiqués ne conduit pas à la même sanction selon qu’est concerné la déclaration de saisine ou l’acte d’appel.

Pour la Cour de cassation, « la portée de la cassation [est] déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce ».

C’est l’application des articles 624 et 625 du code de procédure civile au visa desquels intervient la cassation.

Rappelons que l’indication des chefs critiqués dans l’acte d’appel (C. pr. civ., art. 901, 4°) permet de déterminer la dévolution de l’appel (C. pr. civ., art. 562), c’est-à-dire la portée de l’appel (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; Soc. 14 oct. 2020, n° 18-15.229 P, Dalloz actualité, 3 nov. 2020, obs. C. Lhermitte ; D. 2020. 2071 image).

Mais comme cela a été vu, la déclaration de saisine n’est pas un acte d’appel et, surtout, la déclaration d’appel reste l’acte de procédure qui a introduit l’instance d’appel.

La déclaration de saisine n’est pas un acte introductif d’instance et n’opère pas dévolution. C’est un acte de procédure permettant de saisir la juridiction de renvoi de manière à poursuivre une instance existante. Et, comme l’a précisé la Cour de cassation, c’est l’acte d’appel, et seulement l’acte d’appel, qui fixe la dévolution de l’appel (v. Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, préc. : « seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement »).

Dans le cadre d’un renvoi de cassation, la dévolution est opérée par la déclaration d’appel, lequel acte d’appel, selon la date à laquelle il a été régularisé, à savoir si l’appel a été formé avant ou après le 1er septembre 2017 (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile), renverra ou non à la nouvelle rédaction de l’article 562 du code de procédure civile.

La cour d’appel, sur renvoi de cassation, sera tenue par l’effet dévolutif opéré par l’acte d’appel, dans la limite toutefois du dispositif de l’arrêt de cassation, qui marque la portée de la cassation. C’est ce que nous confirme la Cour de cassation par cet arrêt.

Il en résulte que, même si l’appel portait sur tous les chefs du jugement dont appel, la cour d’appel de renvoi n’aura pas à connaître des chefs sur lesquels la cassation ne portait pas, soit parce qu’ils n’ont pas été soumis dans le cadre d’un pourvoi à la Cour de cassation, soit en raison du rejet du moyen concernant ces chefs.

Manifestement, l’indication des chefs dans la déclaration de saisine ne présente aucun intérêt particulier, que ce soit pour la cour d’appel ou pour la « partie adverse » qui sera destinataire de cet acte.

La Cour de cassation aurait pu considérer en conséquence qu’elle était sans objet.

Pour autant, la Cour de cassation fait une stricte application des textes et retient l’obligation de mentionner les chefs critiqués, mais sans que cette mention ait le moindre effet sur le plan procédural et notamment sur la dévolution.

C’est purement formel, et inutile sur le plan pratique.

Nullité de la déclaration de saisine ?

L’article 1033 ne précise pas que les mentions sont prescrites à peine de nullité. Toutefois, pour la Cour de cassation, « l’irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation ne constitue pas une cause d’irrecevabilité de celle-ci, mais relève des nullités pour vice de forme » (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-11.266 P, Dalloz actualité, 21 nov. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2157 image).

En conséquence, l’absence des chefs critiqués dans l’acte de saisine pourrait aboutir à une nullité, pour vice de forme.

En pratique, dès lors que cette mention ne répond à une aucune utilité, nous ne voyons pas que cette nullité, qui suppose de démontrer un grief, et qui ne peut pas être relevée d’office, pourrait effectivement aboutir à une nullité.

Le grief sera impossible à démontrer.

Et si l’acte est nul, reste à savoir si cette nullité permettrait à la partie de se prévaloir de l’interruption de l’article 2241 du code civil, ce dont nous pouvons douter, et ce sur quoi la Cour de cassation n’a pas eu l’occasion de se prononcer.

Si la Cour de cassation a fait entrer la déclaration d’appel dans le champ d’application de cette disposition (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014 obs. N. Kilgus ; D. 2015. 287, obs. Fricero ; JCP 2014. 1271, note Auché), cela peut se comprendre dès lors que l’acte d’appel introduit une instance (d’appel), ce que ne fait pas la déclaration de saisine. Nous penchons donc plutôt pour une exclusion de la déclaration de saisine du domaine de l’article 2241 (C. Lhermitte, Procédures d’appel, op. cit., nos 1613, 1618).

Quels chefs dans la déclaration de saisine ?

Avec son arrêt du 14 janvier 2021, la Cour de cassation livre des précisions quant aux chefs à faire apparaître dans l’acte de saisine, ce qui pouvait constituer un véritable casse-tête pour l’avocat auteur de la déclaration de saisine.

Nous aurions pu penser qu’il devait s’agir des chefs issus de la cassation, mais cela aurait conduit à considérer que la déclaration de saisine pouvait avoir un effet dévolutif, ce qui serait absurde, et d’ailleurs précisément écarté par la Cour de cassation.

Selon l’arrêt rendu, il suffit de porter dans la déclaration de saisine « les chefs de dispositif critiqués de la décision entreprise tels que mentionnés dans l’acte d’appel ».

Il conviendrait donc de mentionner dans l’acte de saisine les chefs qui figuraient dans l’acte d’appel.

Et si l’appel est antérieur au 1er septembre 2017, date d’entrée en application du décret du 6 mai 2017 ayant modifié les articles 901 et 562, nous pourrions considérer que ces chefs n’ont pas à être mentionnées sur l’acte de saisine dès lors qu’ils n’ont pas à figurer sur l’acte d’appel, et la dévolution opérant pour le tout à défaut d’être limitée.

Il pourra être opportun, s’il y a lieu, de ne pas reprendre les chefs pour lesquels l’arrêt de la cour d’appel est irrévocable, puisque la cour de renvoi n’aura pas à les connaître.

Mais si néanmoins ils apparaissent, cela sera sans conséquence.

De même, l’auteur de la déclaration de saisine n’aura pas à s’inquiéter outre mesure s’il a omis des chefs, puisque la déclaration de saisine n’opère pas effet dévolutif, et la juridiction de renvoi étant en tout état de cause saisie dans la limite de l’arrêt de cassation.

Une solution de bon sens

Même si l’arrêt n’est pas allé jusqu’à écarter l’obligation consistant à faire mention des chefs critiqués, nous ne pouvons que saluer la solution donnée par la Cour de cassation qui permettra d’éviter des dérives déjà constatées.

En effet, il apparaît qu’il a pu être oublié que la déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel et que les deux actes de procédure, même s’ils doivent contenir les mêmes mentions, ne peuvent produire les mêmes effets.

Et c’est ainsi que des cours d’appel ont pu donner un effet dévolutif à une déclaration de saisine, et ont considéré que l’absence des chefs critiqués dans l’acte de saisine permettait à la juridiction de se dire non saisie de chefs de demandes (Rennes, 3e ch. com., 25 févr. 2020, n° 19/04483 : « La saisine de la cour de renvoi en date du 4 juillet 2019 ne contient aucune critique des chefs du jugement (sic). Aucune déclaration d’appel rectificative (sic) n’a été régularisée dans le délai imparti pour conclure au fond. Il en résulte que la cour n’est saisie d’aucune demande », JS 2020, n° 208, p. 10, obs. J. Mondou image ; Paris, pôle 5, ch. 9, 9 janv. 2020, n° 19/07776).

Cet arrêt coupera court à toute discussion à cet égard et permet en outre à l’avocat de savoir précisément quelles mentions doivent figurer dans son acte de saisine et quel risque il prend en cas d’omission ou d’oubli.

Dans une procédure d’appel rigoureuse et stressante, les praticiens accueilleront favorablement un arrêt qui, tout en étant conforme aux textes, allège opportunément les obligations procédurales mises à leur charge.

Reconnaissance des troubles anormaux de voisinage et prescription de l’action

Parmi les causes d’interruption de la prescription, l’article 2240 du code civil prévoit la reconnaissance de la part du débiteur du droit de son adversaire contre qui il prescrivait. Mais cette reconnaissance doit être non équivoque pour pouvoir être interruptive et les juges du fond doivent bien relever des éléments attestant de la non-équivocité de cette reconnaissance pour estimer qu’une action en indemnisation des préjudices résultant de troubles anormaux de voisinage n’est pas prescrite. C’est ce que rappelle ici clairement la Cour dans cet arrêt de cassation pour défaut de base légale.

L’action en troubles anormaux du voisinage relève des règles de la responsabilité civile délictuelle, ce qui conduit à lui appliquer la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil. Il s’agit ainsi d’engager l’action dans les cinq ans à compter de la première manifestation du trouble ayant causé le dommage ou de son aggravation.

La Cour de cassation, mais sous l’empire du droit antérieur à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, avait d’ailleurs pu indiquer que le point de départ de l’action en indemnisation d’un préjudice résultant de troubles anormaux du voisinage était la première manifestation des troubles (Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-22.474, Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-22.474, D. 2018. 1806 image ; AJDI 2019. 470 image, obs. N. Le Rudulier image ; RTD civ. 2018. 948, obs. W. Dross image ; Constr.-Urb. nov. 2018, p. 24, obs. P. Cornille et p. 26, obs. M.-L. Pagès de Varenne ; v. aussi, Civ. 2e, 7 mars 2019, n° 18-10.074, AJDI 2019. 308 image, retenant que le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à compter de la date de la connaissance des faits. Rappelons également qu’après la deuxième chambre civile, la nature extra-contractuelle de la responsabilité pour troubles anormaux a aussi été retenue par la troisième chambre civile, Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 16-24.352, D. 2020. 466 image, note N. Rias image ; ibid. 1761, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler image ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau image). Comme d’autres matières, il est donc bien évident que pour des propriétaires subissant des troubles du voisinage mais n’ayant pas réagi suffisamment tôt, il faille tenter d’invoquer un événement interrompant la prescription pour que le temps antérieurement écoulé ne puisse pas les priver de leur action.

Dans l’espèce rapportée, une propriétaire subissant une gêne certaine de la chute sur son fonds d’aiguilles et de pommes de pin des sapins de son voisin avait...

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Conflit de propriété : la prescription trentenaire l’emporte sur le titre publié

L’arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation offre l’occasion de revenir sur les modalités de preuve du droit de propriété en cas de ventes successives d’une chose par son propriétaire à deux acheteurs différents.

En l’espèce, le propriétaire d’un terrain s’était engagé à le vendre par acte sous seing privé du 9 juin 1961. Un arrêt irrévocable du 3 juin 1980 a confirmé un jugement du 23 février 1976 ayant déclaré la vente parfaite et ordonné sa régularisation par acte authentique. Cette vente n’a, cependant, jamais donné lieu à publication. Par la suite, les ayants droit du vendeur ont vendu le même terrain à un autre acheteur par acte du 23 août 1995, publié le 13 décembre 1995. Le second acquéreur, se prévalant alors de son titre régulièrement publié, assigne le premier en expulsion le 3 octobre 2013. Celui-ci lui oppose la prescription acquisitive trentenaire. La cour d’appel accueille les demandes du second acquéreur aux motifs que ce dernier était fondé à se prévaloir de l’antériorité de la publication de son titre de propriété. Le premier acquéreur forme alors un pourvoi en cassation, invoquant une violation par les juges du fond de l’article 30.1 du décret du 4 janvier 1955 par fausse application, et des articles 712 et 2272 du code civil par refus d’application. Selon lui, en effet, il serait toujours possible de prescrire contre un titre. C’est ce que confirme, sans surprise, la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt commenté. Cassant l’arrêt de la cour d’appel pour violation de la loi au visa des articles 712 et 2272 du code civil, elle rappelle que « la prescription trentenaire peut être opposée à un titre ».

Rappelons que la preuve de la propriété est libre et peut être rapportée par tout moyen, que la chose appropriée soit de nature mobilière (Civ. 1re, 11 janv. 2000, n° 97-15.406, Deschamps (Mme) c/ Société lyonnaise de banque, D. 2001. 890 image, note A. Donnier image ; RDI 2000. 145, obs. M. Bruschi image ; RTD civ. 2002. 121, obs. T. Revet image) ou immobilière (Civ. 3e, 20 juill. 1988, n° 87-10.998). Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer la preuve la meilleure et la plus probable du droit de propriété. N’importe quel indice est susceptible d’être pris en compte (Civ. 3e, 26 févr. 1974, n° 73-10.126 concernant des indications cadastrales).

Très souvent, un titre de propriété est présenté par une partie au procès. Celui-ci est opposable aux tiers quel qu’en soit le titulaire (Civ. 3e, 13 mai 2015, n° 13-27.342, D. 2015. 1098 image ; ibid. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin image ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; AJDI 2015. 858 image, obs. N. Le Rudulier image ; RTD civ. 2015. 902, obs. W. Dross image). En l’espèce, les deux parties se prévalaient d’un titre de propriété, seul le second acheteur ayant cependant procédé aux formalités de publicité foncière. Or, les actes translatifs de propriété ne sont, en matière immobilière, opposables aux tiers qu’à compter de leur publication. En cas de ventes successives de la même chose par son propriétaire initial, l’acquéreur qui publie le premier son titre est donc préféré (décr. du 4 janv. 1955, art. 30-1), et ce même s’il s’agit pourtant chronologiquement du second acheteur. Cette règle a été appliquée strictement par la jurisprudence à partir de 2011, l’éventuelle mauvaise foi du premier publiant n’étant pas dirimante (Civ. 3e, 12 janv. 2011, n° 10-10.667, D. 2011. 851 image, note L. Aynès image ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin image ; AJDI 2011. 238 image ; RTD civ. 2011. 158, obs. P. Crocq image ; ibid. 369, obs. T. Revet image, réalisant un revirement ; v. auparavant, Civ. 3e, 30 janv. 1974, n° 72-14.197). L’ordonnance du 10 février 2016 a modifié cette solution : la bonne foi est désormais requise (C. civ., art. 1198, al. 2). En vertu de l’article 2274 du code civil, celle-ci est cependant toujours présumée : c’est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver. Rien ne laisse penser, en l’espèce, que le second acquéreur (seul à avoir publié son titre) ait été de mauvaise foi : ayant contracté avec les ayants droit du premier vendeur, il est probable qu’il n’ait pas eu connaissance de la première vente conclue trente-quatre ans plus tôt ! Appliquant dès lors les règles de la publicité foncière, la cour d’appel avait cru pouvoir en conclure que la qualité de propriétaire devait être reconnue au second acquéreur.

Elle avait toutefois omis de prendre en compte le fait que le premier acquéreur, même s’il n’avait pas publié son titre de propriété, se prévalait en revanche, en sus de ce titre, du jeu de la prescription acquisitive trentenaire. En effet, si la propriété peut être acquise de manière dérivée – notamment par la conclusion d’un contrat de vente –, tel peut également être le cas de manière originaire, comme le précise l’article 712 du code civil, lequel cite expressément l’acquisition par accession ou incorporation, et par prescription.

La prescription acquisitive est « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi » (C. civ., art. 2258). Simple pouvoir de fait sur une chose, la possession permet ainsi, lorsqu’elle est « utile », d’en devenir propriétaire de manière originaire après l’écoulement d’un certain délai. Il est nécessaire, pour être possesseur d’une chose, d’en avoir à la fois le corpus et l’animus. Le corpus, élément objectif, suppose la réalisation d’actes matériels ; l’accomplissement d’actes juridiques étant considéré comme insuffisant à caractériser un pouvoir de fait sur la chose (par ex. le paiement des impôts fonciers, Civ. 3e, 30 juin 1999, n° 97-11.388, D. 1999. 209 image ; RDI 1999. 624, obs. M. Bruschi image). L’animus, élément subjectif, désigne quant à lui l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose. Il est présumé (Civ. 3e, 8 mai 1969, Bull. civ. III, n° 371).

L’article 2256 du code civil précise en effet que l’« on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre ». Il s’agit là d’une présomption simple, susceptible d’être renversée par la preuve contraire. Ainsi, les détenteurs précaires, tels que les locataires ou les dépositaires de la chose, n’ont pas l’animus car ils savent qu’ils devront un jour la restituer. La simple détention de la chose ne permet pas d’en devenir propriétaire, et ce quelle que soit sa durée (C. civ., art. 2266 et 2257). Seule une interversion de titre peut rendre le détenteur précaire possesseur (C. civ., art. 2268).

La prescription acquisitive requiert que la possession soit « utile ». L’article 2261 du code civil précise ainsi que, « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ». En réalité la continuité et l’intention de se comporter comme un propriétaire sont des conditions d’existence même de la possession. L’interruption arrête en effet le cours de la prescription : « Quand une possession est interrompue, elle n’est pas viciée ; elle n’existe tout simplement pas ! » (Y. Strickler, Droit des biens, LGDJ, 2017, n° 355). Exiger que la possession ait lieu « à titre de propriétaire » est seulement un rappel de la nécessité d’un animus. L’avant-projet de réforme du droit des biens propose ainsi de retenir, dans une formule plus claire, seulement trois qualités pour que la possession soit utile : ses caractères paisible, public et non équivoque (C. civ., art. 543). Une possession paisible est dénuée de toute forme de violence matérielle ou morale, tant au moment de l’appréhension initiale de la chose par le possesseur que pendant toute la durée de la possession (Civ. 3e, 15 févr. 1995, n° 93-14.143, RDI 1995. 284, obs. J.-L. Bergel image). Ainsi, le voleur d’une chose ne peut jamais en devenir propriétaire car il n’est pas entré en possession de manière paisible. Comme le précise l’article 2263 du code civil, « Les actes de violence ne peuvent fonder (…) une possession capable d’opérer la prescription. La possession utile ne commence que lorsque la violence a cessé. » L’exigence d’une possession publique exclut l’acquisition d’une chose conservée de manière secrète, clandestine (Civ. 1re, 8 mars 2005, n° 03-14.610 : don manuel dissimulé aux services de police et dont l’existence n’a été révélée qu’après une perquisition du domicile). La possession doit avoir lieu aux yeux de tous. Une possession est non équivoque lorsque, « pris en eux-mêmes, les actes du possesseur révél(ent) sans ambiguïté son intention de se comporter en propriétaire (…), et cela dans des circonstances qui (ne sont) pas de nature à faire douter de cette qualité » (Civ. 1re, 2 juin 1993, n° 90-21.982, D. 1993. 306 image, obs. A. Robert image ; ibid. 1994. 582 image, note B. Fauvarque-Cosson image). Il y a dès lors vice d’équivoque à chaque fois qu’un doute existe quant à l’existence d’une possession personnelle et exclusive. Tel est notamment le cas lorsque celui qui se prétend possesseur cohabite avec une autre personne (Civ. 1re, 7 déc. 1977, n° 76-13.044 concernant des concubins).

En principe la prescription acquisitive a lieu après écoulement d’un délai de trente ans à compter de l’entrée en possession (C. civ., art. 2272, al. 1er). Une prescription abrégée est toutefois prévue par l’article 2272, alinéa 2, du code civil en matière immobilière : « Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ». Deux conditions cumulatives sont requises : la bonne foi du possesseur et un juste titre. La bonne foi est toujours présumée (C. civ., art. 2274). Aux termes de l’article 550 du code civil, « Le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices ». La mauvaise foi est caractérisée lorsqu’il est établi que le possesseur savait que l’aliénateur de la chose n’en était pas propriétaire. La bonne foi est toutefois seulement requise au moment de l’entrée en possession (C. civ., art. 2275) : peu importe que le possesseur apprenne après l’acquisition, que le vendeur n’était pas le véritable propriétaire. Le juste titre est un acte propre à conférer la propriété à la partie qui invoque la prescription (Civ. 3e, 29 fév. 1968, n° 65-13.821). Le possesseur dispose d’un titre régulier mais n’a pas acquis du véritable propriétaire : il s’agit d’un acquéreur a non domino. Le juste titre « suppose un transfert de propriété consenti par un tiers qui n’est pas le véritable propriétaire » (Civ. 1re, 7 oct. 2015, n° 14-16.946, D. 2016. 242 image, note S. Zinty image ; AJDI 2016. 134 image, obs. F. de La Vaissière image ; AJ fam. 2015. 626, obs. S. Ferré-André image ; RTD civ. 2016. 146, obs. W. Dross image). Dans l’affaire commentée, le premier acquéreur ne pouvait donc pas se prévaloir d’un juste titre, la vente ayant été conclue avec le véritable propriétaire de l’immeuble. Seul le délai de droit commun, de trente ans, était dès lors applicable. Bien que long, un tel délai était bien écoulé en l’espèce, lui permettant ainsi d’être reconnu comme le véritable propriétaire de la parcelle par préférence au second acheteur, pourtant seul à pouvoir justifier d’un titre de propriété régulièrement publié.

Contrairement à ce que l’on pourrait a priori penser, un titre de propriété ne constitue, en effet, pas une preuve irréfutable de la propriété. Encore faudrait-il, pour cela, réussir à prouver que son propre auteur était lui-même véritablement propriétaire, et ainsi de suite en remontant la chaîne des actes translatifs (Civ. 3e, 26 oct. 1988, n° 87-11.833) : il s’agit là d’une preuve « diabolique » (probatio diabolica), impossible à rapporter en pratique. La possession constitue en réalité le meilleur moyen de preuve car il s’agit d’une présomption légale irréfragable de propriété lorsque les conditions de la prescription acquisitive sont réunies, et ce, même face à un titre, comme le rappelle la Cour de cassation en l’espèce.

Exception de nullité : l’impérieuse antériorité

Un jugement de divorce est prononcé le 21 juin 2017, signifié le 13 juillet 2017.

Le 18 août 2017 (et non « 2018 » comme indiqué dans l’arrêt de cassation), l’époux fait appel pour contester la prestation compensatoire mise à sa charge au profit de son épouse.

L’époux appelant conclut sur son appel le 18 novembre 2017, soit dans le délai de trois mois de l’article 908. Dans ses conclusions au fond, il soulève « in limine litis » la nullité de la signification du jugement.

Le 17 janvier 2018, l’intimé saisit le conseiller de la mise en état d’un incident d’irrecevabilité de l’appel pour tardiveté au regard de la date de signification du jugement.

Par ordonnance de mise en état du 6 septembre 2018, confirmée par arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 12 février 2019, l’appel est déclaré irrecevable.

Sur pourvoi, la Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir prononcé cette irrecevabilité.

Les « conclusions spécialement adressées au conseiller de la mise en état »

Cette précision peut paraître évidente, l’article 791, et avant lui l’article 772-1, précisant que « le juge de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions » au fond.

Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi, et nous devons cette disposition au décret du 6 mai 2017 dit décret Magendie 2 (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017).

Même si cet article 791, tout comme l’ancien article 772-1, s’applique à la procédure d’appel, par renvoi de l’article 907, l’article 914 précise lui aussi, surabondamment, que le conseiller de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées.

Avant qu’il n’en soit ainsi, et en l’absence d’un texte précisant les conditions de saisine du magistrat de la mise en état, la Cour de cassation avait considéré que celui-ci, tant qu’il n’était pas dessaisi, était saisi des moyens contenus dans des conclusions au fond et qui relevaient de son pouvoir juridictionnel (Civ. 2e, 9 avr. 2015, n° 13-28.707 P, Dalloz actualité, 19 mai 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero image).

Cette jurisprudence était favorable à l’avocat qui n’avait pas à s’interroger si son moyen devait ou non être soumis au conseiller de la mise en état, à charge pour ce dernier de prendre connaissance des conclusions au fond pour y relever les moyens relevant de sa compétence.

Cette jurisprudence fera long feu, puisqu’il n’aura fallu qu’une année pour que la Cour de cassation opère un revirement et retienne que le conseiller de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par des « conclusions qui lui sont spécialement adressées » (Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 14-25.054 et 14-28.086 P, Dalloz actualité, 30 mai 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 1290 image, note C. Bléry image ; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; JCP 2016. 1154, note Mas ; ibid. 1296, n° 7, obs. L. Mayer ; Gaz. Pal. 30 août 2016, p. 56, obs, Amrani Mekki).

Si, en l’espèce, l’appelant avait pris soin de soulever la nullité de la signification du jugement, il l’avait fait dans ses conclusions au fond, non dans des conclusions spécialement adressées au conseiller de la mise en état, comme le relève la Cour de cassation.

L’antériorité de l’exception de procédure, en tout état de cause

Ce choix procédural de l’appelant peut étonner. En effet, nous savons que le magistrat de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par les conclusions qui lui sont spécialement adressées, et qu’en conséquence, est irrecevable l’incident soulevé dans des conclusions qui comportent en outre des moyens et demandes au fond (Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 14-25.054, préc. ; 12 mai 2016, n° 14-28.086, préc. ; 23 juin 2016, n° 15-13.483 P, Dalloz actualité, 19 juill. 2016, obs. M. Kebir).

Par conséquent, en circuit ordinaire avec désignation d’un conseiller de la mise en état, cela ne présentait aucun intérêt de développer cette exception dans des conclusions au fond puisque le magistrat de la mise en état ne pouvait en être saisi, et la cour n’ayant pas à connaître des exceptions de procédure qui sont de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état (C. pr. civ., art. 789, anc. 771). Il en aurait été différemment si l’affaire avait relevé du circuit court, sans désignation d’un conseiller de la mise en état.

Dans le cadre de son pourvoi, l’appelant expliquait être recevable à opposer l’irrégularité de la signification une fois que l’irrecevabilité de son appel a été soulevée par son adversaire.

La Cour de cassation n’entend pas l’argument. La nullité de la signification du jugement, qui est une exception de procédure, ayant été soulevée dans les conclusions au fond de l’appelant, et non dans des conclusions adressées au conseiller de la mise en état, la demande en nullité était irrecevable.

Peu importe que cette exception ait été soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, cette précaution s’avérant inutile dès l’instant où l’exception n’est pas contenue dans les conclusions adressées au magistrat ayant compétence (exclusive) pour en connaître.

Surtout, la Cour de cassation n’est pas sensible à l’argument de l’appelant selon lequel c’est un moyen de procédure en défense à une irrecevabilité.

Et c’est là que l’arrêt devient dangereux, même si la Cour de cassation avait déjà mis en garde par un précédent arrêt publié.

Le piège du timing de l’exception de procédure

Une partie qui bénéficie d’une exception de procédure peut estimer opportun de rester discret et de ne pas invoquer une exception de procédure qui ne sert que dans l’hypothèse où ça se gâte.

C’était la thèse de l’appelant, largement répandue, selon laquelle l’exception de nullité est un moyen de défense à opposer à l’irrecevabilité de l’appel.

Ce timing ne convient pas à la Cour de cassation, qui fait une (trop ?) stricte application de l’article 74 selon lequel « les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant tout défense au fond ou fin de non-recevoir ».

Il importe peu que cette exception de procédure ne profite pas directement à l’appelant, comme pourrait l’être une nullité de l’acte introductif d’instance ou des conclusions.

Même si l’irrecevabilité de l’appel n’avait pas été soulevée par l’intimé, l’appelant devait néanmoins anticiper cette irrecevabilité en saisissant préventivement le conseiller de la mise en état d’un incident aux seules fins de voir déclarer nulle la signification du jugement.

On comprend aisément qu’un appelant puisse être réticent à procéder de la sorte.

L’appelant peut considérer que si l’intimé ne dit rien, il n’a pas à appeler son attention sur une irrecevabilité qui passera peut-être inaperçue ou que l’intimé n’entend pas soulever.

Avec cette jurisprudence, l’appelant perd l’exception-joker que l’on sort en cas de difficulté.

Si l’appelant sait qu’il est hors délai pour faire appel, il doit immédiatement aller sur le terrain de la nullité de l’acte de signification, avant même de conclure au fond, et alors que l’intimé n’avait pas soulevé une irrecevabilité que la cour d’appel n’aurait pas relevé d’office.

L’avocat devra donc redoubler de vigilance et s’assurer que son client a reçu signification du jugement avant de conclure au fond. Lorsque l’irrecevabilité sera opposée, il sera bien souvent trop tard.

C’est déjà en ce sens que la Cour de cassation avait statué, considérant que l’intimé irrecevable à conclure ne pouvait espérer échapper à la sanction en arguant de la nullité de l’acte de signification des conclusions par l’appelant, alors qu’il avait déjà conclu au fond (Civ. 2e, 1er févr. 2018, n° 16-27.322 P, Dalloz actualité, 22 févr. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; Procédures 2018, n° 137, obs. Croze ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, p. 69, obs. Amrani-Mekki).

L’arrêt du 10 décembre 2020 et celui du 1er février 2018 s’inscrivent donc dans cette jurisprudence qui fait une stricte application de l’article 74 et écarte la possibilité de faire de l’exception de procédure un moyen de défense.

Si une partie dispose d’une exception de procédure qui doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, elle doit saisir le magistrat de la mise en état par des conclusions spécialement adressées, avant de conclure au fond, en tout état de cause.

Il peut paraître curieux de saisir le magistrat de la mise en état d’un incident de nullité de l’acte de signification, alors que l’intimé ne soulève pas l’irrecevabilité de l’appel, et l’incident n’ayant finalement pour objectif que de voir reconnaître une recevabilité qui n’était pas discutée.

Cet arrêt est dangereux, en ce que la partie devra immédiatement dévoiler ses cartes, sauf à faire le choix irréversible de parier sur ce que sera la position de son adversaire.

Pour la Cour de cassation, si l’acte de signification du jugement, des conclusions ou de la déclaration d’appel est nul, et même si la partie n’en obtient pas un bénéfice immédiat, elle doit saisir le magistrat de la mise en état avant d’avoir conclu au fond, ou se taire à jamais et accepter la sanction.

Le « jeu de la dame »…

Toutefois, cela suppose que la partie a connaissance de l’acte prétendu nul.

En l’espèce, cette connaissance était manifeste puisque l’appelant concluait à la nullité dans ses conclusions au fond.

En revanche, il ne saurait être reproché à une partie de ne pas soulever la nullité d’un acte dont elle n’a pas connaissance. Il en irait ainsi des actes d’huissier signifiés selon procès-verbal de recherches infructueuses (C. pr. civ., art. 659).

En revanche, il sera plus difficile pour la partie de s’affranchir de l’antériorité posée à l’article 74, lorsque l’acte a été signifié à la personne ou à personne habilitée.

Pour cette raison, il pourra être opportun, pour celui qui craint que son acte soit attaqué sur le terrain de la nullité, de le porter à la connaissance de son adversaire, en le communiquant, ou en l’adressant par courrier officiel par exemple. Mais sans pour autant s’en prévaloir, de manière à laisser l’adversaire conclure au fond sans invoquer cette nullité.

Si la partie ne soulève pas l’exception de nullité en temps, l’acte potentiellement irrégulier sera ainsi consolidé et la partie aura le champ libre pour soulever l’irrecevabilité (de l’appel, des conclusions) sans craindre le retour du bâton.

La procédure consiste aussi à avancer des pions, au bon endroit, au bon moment, comme aux échecs…

Quand l’absence de bonne foi du consommateur s’invite dans l’appréciation du caractère abusif d’une clause

On sait que la législation relative aux clauses abusives est (trop ?) protectrice des intérêts du consommateur, mais elle ne saurait dispenser ce dernier de faire preuve de bonne foi, sous peine d’être privé de son bénéfice (rappr. C. consom., art. L. 711-1, al. 1er : « Le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi »). Tel est l’enseignement que l’on peut tirer de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 janvier 2021. En l’espèce, suivant offre acceptée le 30 novembre 2011, une banque a consenti un prêt immobilier à deux emprunteurs. Les conditions générales du contrat prévoyaient à l’article 9-1 une exigibilité du prêt par anticipation, sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l’emprunteur, dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur. Soutenant que les emprunteurs avaient produit de faux relevés de compte à l’appui de leur demande de financement, la banque s’est prévalue de l’article précité pour prononcer la déchéance du terme, puis les a assignés en paiement. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 août 2018, a accueilli cette demande, après avoir exclu le caractère abusif de l’article 9.1 des conditions générales du contrat. Les emprunteurs se sont donc pourvu en cassation, arguant notamment de l’ancien article R. 132-2, 4° (devenu R. 212-2, 4°, nouv.) du code de la consommation, présumant simplement abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de « reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable » (cette présomption est toutefois écartée pour certaines opérations en vertu de l’article R. 212-3 du code de la consommation). Mais la Cour de cassation ne se laissa pas convaincre par l’argument, considérant que « l’arrêt relève que la stipulation critiquée limite la faculté de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt et ne prive en rien l’emprunteur de recourir à un juge pour contester l’application de la clause à son égard. Il ajoute qu’elle sanctionne la méconnaissance de l’obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt » (pt 4). Elle en conclut que, « de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a implicitement mais nécessairement retenu que la résiliation prononcée, ne dérogeait pas aux règles de droit commun et que l’emprunteur pouvait remédier à ses effets en recourant au juge, a déduit, à bon droit, que, nonobstant son application en l’absence de préavis et de défaillance dans le remboursement du prêt, la clause litigieuse, dépourvue d’ambiguïté et donnant au prêteur la possibilité, sous certaines conditions, de résilier le contrat non souscrit de bonne foi, ne créait pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » (pt 5).

À première vue, la solution peut paraître contraire à l’article R. 212-2, 4°, du code de la consommation, dont elle heurte à l’évidence la lettre. En effet, comme susdit, ce texte fustige la possibilité pour le professionnel de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable (pour une critique de cette référence au caractère raisonnable de la durée du préavis, v. N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier et J. Ghestin (dir.), Les contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., 2018, LGDJ, n° 946 ; v. égal. C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 585, 2018, n° 444). A fortiori, l’on doit donc considérer que l’absence pure et simple de préavis tombe sous le coup de cette disposition. Toutefois, l’existence d’un motif légitime peut en réalité justifier la stipulation d’une clause a priori sujette à caution parce que consacrant au profit du professionnel une prérogative unilatérale. D’abord, l’annexe à la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, contenant une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives, permet d’étayer cette considération, tout particulièrement son point g), qui vise les clauses ayant pour objet ou pour effet « d’autoriser le professionnel à mettre fin sans un préavis raisonnable à un contrat à durée indéterminée, sauf en cas de motif grave ». Ensuite, l’étude des recommandations de la Commission des clauses abusives ainsi que de la jurisprudence révèle également que l’existence d’un tel motif peut justifier ce type de clause. Comme l’affirme à juste titre un auteur, citant de nombreuses recommandations et décisions en ce sens, « le caractère injustifié ou justifié de la prérogative unilatérale conférée au professionnel influe sur le caractère abusif ou non de la clause qui l’organise. En effet, dès lors que la stipulation de cette prérogative s’explique par un motif légitime, elle perd ses caractères arbitraire et abusif. Cela ressort, encore une fois, de la pratique […]. L’exemple le plus probant est sans doute celui de la clause de résiliation unilatérale par le professionnel. Elle est abusive dès lors qu’elle peut être invoquée, même sans motif légitime » (C.-L. Péglion-Zika, op. cit., nos 452 et 453).

En l’occurrence, il est évident que la fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt constitue un motif légitime permettant de justifier la clause de résiliation sans préavis. En d’autres termes, l’absence de bonne foi du consommateur permet de légitimer la faculté de résiliation sans préavis stipulée au profit du prêteur.

Certes, les juges du fond avaient jugé la clause litigieuse non abusive sans prendre la peine de constater que la banque avait renversé la présomption posée par l’article R. 212-2 du code de la consommation, alors que ce texte impose précisément au professionnel de « rapporter la preuve contraire » (v. égal. C. consom., art. L. 212-2, al. 5, seconde partie : « en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse » ; sur la notion de clause grise, v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 103). Mais il ne faut pas oublier que l’article R. 632-1 du code de la consommation prévoit, en son alinéa 2, que le juge « écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat » (sur ce relevé d’office, v. J.-D. Pellier, op. cit., nos 112 et 327). Il est possible de considérer, a contrario, nous semble-t-il, que, si les éléments du débat font apparaître que la clause litigieuse ne présente pas de caractère abusif, alors le juge ne doit pas l’écarter. Le professionnel peut donc également être avantagé par ce texte, principalement conçu en faveur du consommateur.

Exécution par un tiers de l’obligation assortie d’une astreinte : incidence sur la liquidation

On définit traditionnellement l’astreinte comme une mesure comminatoire de nature judiciaire qui permet d’exercer une pression financière sur le débiteur afin qu’il procède à l’exécution de la décision de justice exécutoire prononcée à son encontre et, pour ce faire, qu’il respecte l’obligation constatée dans ce titre. À cet égard, on la présente comme une mesure de contrainte sur la personne ou une « voie indirecte et exceptionnelle d’exécution » (CEDH 25 janv. 2000, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, req. n° 31679/96, § 111, RTD civ. 2001. 451, obs. J.-P. Marguénaud image). Elle se distingue en cela des saisies (mobilières ou immobilière) qui s’analysent en des mesures in rem.

La question se pose de savoir ce qu’il en est lorsque l’obligation principale, mise à la charge du débiteur dans la décision de condamnation, est finalement exécutée par un tiers. La présente affaire donne l’occasion à la Cour de cassation d’y apporter une importante réponse.

À la suite de désordres apparus dans des locaux d’habitation, un litige survient entre des locataires et leur bailleur. Les premiers obtiennent d’une cour d’appel la condamnation du second à confier, au bureau d’études « structure » de son choix, différentes missions (à savoir, notamment, procéder à la recherche de la descente de charges de l’immeuble entier, en recherchant les poussées latérales sur les murs porteurs). Il s’agit d’une condamnation sous astreinte, laquelle est fixée à 100 € par jour de retard passé un délai de deux mois à dater de l’arrêt, soit à compter du 21 août 2016. Saisie par les locataires, cette cour d’appel a par la suite décidé de liquider l’astreinte à une certaine somme pour la période s’achevant le 22 octobre 2017. En revanche, elle les a déboutés concernant leurs autres demandes tendant à prendre en considération la période subséquente à cette date pour établir le montant de l’astreinte due par le bailleur. Afin d’étayer la solution ainsi retenue, les conseillers d’appel tirent argument de la circonstance que, le 23 octobre 2017, a été conclu un contrat entre un bureau d’études « structure » et le syndic de copropriété. Les locataires forment alors un pourvoi, en faisant notamment valoir que le montant de l’astreinte aurait dû être liquidé au regard du comportement du seul bailleur ; les démarches de la copropriété dont le bailleur fait partie ne devant pas, selon eux, être prises en considération.

Le pourvoi est cependant rejeté. Sur la base des articles L. 131-1 et L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution – dont la violation était excipée par les auteurs du pourvoi –, les hauts magistrats affirment en effet que, « dès l’instant où l’obligation assortie d’une astreinte a été exécutée, fût-ce par un tiers, l’astreinte ne peut plus donner lieu à liquidation pour la période de temps postérieure à cette exécution, sauf si le créancier justifie d’un intérêt légitime à ce qu’elle soit exécutée par le débiteur lui-même » (arrêt, pt 6). En somme, pour établir le montant de l’astreinte due, il a été tenu compte des démarches du tiers (le syndic de la copropriété de l’immeuble) venant pallier le manque de diligence du bailleur.

Cette solution – qui, en l’absence de précision contraire, paraît concerner l’astreinte provisoire, comme l’astreinte définitive – invite à brièvement faire le point sur les prérogatives respectives du créancier, du débiteur et des tiers.

En premier lieu, il convient de noter que si, dans cette affaire, les locataires n’ont pas obtenu gain de cause, les créanciers ne sont pas totalement dépourvus pour autant par le principe ici consacré. Ainsi que l’a indiqué la Cour de cassation, il leur est possible d’alléguer « un intérêt légitime » à ce que l’obligation litigieuse soit exécutée par le débiteur lui-même (arrêt, pt 6). On peut imaginer qu’il pourrait en être ainsi lorsque la bonne exécution d’une obligation – notamment de faire – nécessite un savoir-faire, une aptitude ou des connaissances spécifiques que seul le débiteur détient. Il faudra néanmoins être attentif à l’interprétation et au contrôle que feront les juridictions de cette notion d’« intérêt légitime ». Des clarifications seront bienvenues à l’égard de la façon et du moment où cet intérêt peut être mis en avant. À ce sujet, il faut naturellement éviter que les créanciers fassent un usage dilatoire de cette prérogative.

En deuxième lieu, la prise en compte des diligences du tiers n’est pas subordonnée à la démonstration, par le débiteur, de l’existence d’une « cause étrangère » ou de « difficultés sérieuses rencontrées dans l’exécution » (arrêt, pt 7). Pour rappel, conformément à la lettre de l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, lors de la phase de la liquidation, ces événements permettent respectivement de supprimer – en tout ou partie – l’astreinte (provisoire ou définitive) ou de minorer le montant de l’astreinte (provisoire). Cependant, dans les hypothèses visées par cet article, on considère, dans un premier temps, que l’astreinte est potentiellement due (il s’agit d’un « droit virtuel » pour le créancier : en ce sens, v. R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, spéc. p. 92, n° 87) et, dans un second temps, que les circonstances subies par le débiteur permettent d’en diminuer le taux lors de sa liquidation ou de la supprimer partiellement ou totalement. À l’inverse, l’exécution par un tiers de l’obligation assortie d’une astreinte marque la fin de la période où l’astreinte est due. Pour le dire autrement, s’agissant de la phase postérieure à l’exécution de l’obligation constatée dans la décision de justice, l’astreinte n’a plus lieu d’être. On ne se situe donc pas sur le même plan.

En troisième lieu, la latitude reconnue aux tiers devrait être largement fonction de la nature de l’obligation à exécuter. À ce propos, on relève que, dans le présent arrêt, la Cour de cassation prend soin de préciser que non seulement le bailleur avait pris attache avec un bureau d’études « structure » et n’avait finalement pas signé la proposition d’honoraires établie par ce dernier, mais également que le syndic de copropriété de l’immeuble avait contracté avec ce même bureau à raison du même devis (arrêt, pt 7). Pour l’heure, il est toutefois bien délicat d’en tirer des conclusions définitives et générales sur la prise en compte des diligences des tiers.

Divorce par consentement mutuel, réforme de la procédure de divorce, le divorce n’en finit pas de faire parler de lui !

Les incertitudes ont longtemps plané sur l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure de divorce que l’AJ famille (à moitié prix jusqu’au 3 février 2021) avait déjà présentée à ses lecteurs il y a un an (v. nos numéros de janv. et de févr. 2020, AJ fam. 2020. 11 s. et 89 s.). Cette fois, elle est bel et bien entrée en application le 1er janvier 2021. Depuis notre précédent dossier, certains points ont été éclaircis, même s’il reste encore de nombreuses interrogations auxquelles la pratique ne manquera pas d’apporter des réponses. L’avenir nous dira si la procédure est effectivement simplifiée, plus rapide et si les avocats se sont enfin emparés de la procédure participative de mise en état et s’ils s’ouvrent davantage à la médiation.

Pour l’heure, il faut vite se débarrasser des anciens réflexes pour s’approprier au plus vite cette nouvelle procédure qui débute par une assignation ou requête conjointe introductive d’une instance unique s’articulant autour d’une audience charnière : celle d’orientation et sur mesures provisoires. Pour ce faire, l’AJ famille publie un nouveau dossier en deux parties en janvier et...

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Effets en France d’une adoption révocable prononcée à l’étranger

Une enfant est née en novembre 2014 en Tunisie, de père inconnu. Sa mère a établi un acte écrit d’abandon par lequel elle certifie abandonner l’enfant de sa propre volonté et de façon définitive. Par jugement tunisien du 27 mars 2015, il a été décidé du placement de l’enfant à titre définitif auprès de l’Institut national de la protection de l’enfance tunisien. L’enfant a été adoptée par un couple marié, par jugement du tribunal cantonal de Tunis du 16 avril 2015. L’institut national de protection de l’enfance tunisien a, par attestation du 21 avril 2015, certifié que l’enfant était abandonnée par ses parents, sans attache familiale et pupille de l’État, et que, suite à la rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant de l’enfant, le directeur de l’institut avait donné son consentement définitif et irrévocable à l’adoption de l’enfant par les époux pour une adoption plénière de droit français.

Les époux ont saisi le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de transcription, en soutenant que le jugement tunisien produisait les effets d’une adoption plénière.

La cour d’appel de Rennes, par un arrêt en date du 1er juillet 2019, a dit que le jugement tunisien produirait les effets d’une adoption simple. Elle a estimé que le caractère révocable de l’adoption en droit tunisien, affirmé par la jurisprudence tant de la cour d’appel de Tunis du 14 février 1980 que de la Cour de cassation tunisienne du 9 novembre 2011, avait pour conséquence que le lien de filiation préexistant n’avait pas été totalement et irrévocablement rompu. Par conséquent, selon l’article 370-5 du vode civil, l’adoption ne pouvait produire en France que les effets...

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Voies d’exécution et procédures collectives : les liaisons dangereuses

Les voies d’exécution ne font pas toujours bon ménage avec les procédures collectives, comme en témoigne un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 14 janvier 2021. En l’espèce, M. X. a été déclaré coupable des faits de violence à l’encontre de Mme Y. par jugement d’un tribunal correctionnel du 26 mai 2011. Par la suite, un tribunal de commerce a ouvert, à l’encontre de l’auteur des faits, une procédure de redressement judiciaire le 21 mars 2012 et a adopté un plan de redressement le 21 novembre de la même année. Par jugement du 2 octobre 2014, un tribunal de grande instance a déclaré M. X. responsable des conséquences dommageables de l’infraction et fixé la créance de Mme Y. à certaines sommes. La commission d’indemnisation des victimes d’infraction ayant alloué à Mme Y., le 9 novembre 2016, la somme de 34 705 € à titre de dommages-intérêts, la décision a été signifiée à M. X. le 31 mars 2017 et le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) s’est acquitté de cette somme. Puis, les 5 avril et 20 juin 2017, ce dernier, subrogé dans les droits de la victime, a fait procéder à deux saisies-attributions sur le compte de M. X., que celui-ci a contestées devant un juge de l’exécution qui, par jugement du 23 novembre 2017, a dit que l’action en contestation de la seconde saisie était irrecevable et débouté M. X. de sa demande de mainlevée de la première.

La Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 26 juin 2018, rejette les moyens tirés de l’inopposabilité à l’égard de M. X. de la créance de la victime et déboute celui-ci de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution du 20 juin 2017, au motif que le texte même de l’article 706-11 du code de procédure pénale indique bien que le FGTI est en droit d’obtenir auprès de la personne déclarée responsable du dommage le remboursement des indemnisations versées à la victime, que M. X. a bénéficié d’un plan de continuation adopté le 21 novembre 2012, soit antérieurement à la décision fixant le montant précis de l’indemnisation, que l’adoption du plan a mis fin à la période d’observation et a remis le débiteur en capacité de gérer son entreprise sous réserve des mesures imposées par ce plan, que dès lors, les créances nées après l’adoption du plan relèvent du droit commun et doivent être payées à l’échéance.
L’intéressé se pourvut donc en cassation, arguant du fait que le subrogé n’a pas plus de droits que son subrogeant au lieu et place duquel il agit et que Mme Y. n’a jamais eu de créance à son égard dans la mesure où le jugement du 2 octobre 2014, qui sert de fondement à la saisie-attribution du 20 juin 2017, ne prononce aucune condamnation à l’encontre de M. X., en redressement judiciaire à cette date. En outre, Mme Y. n’a déclaré aucune créance indemnitaire au passif de cette procédure collective, de sorte que le Fonds ne pouvait se trouver subrogé dans des droits en réalité inexistants du subrogeant.

La Cour régulatrice se laisse convaincre par l’argument. Elle considère en effet, au visa des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution et 706-11 du code de procédure pénale, que « La décision rendue par une juridiction, qui se borne à constater une créance et à en fixer le montant dans le cadre d’une procédure collective, ne constitue pas un titre exécutoire et ne peut, dès...

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Fin du concubinage et impossibilité d’interjeter appel d’une ordonnance du juge des tutelles

Le droit des majeurs protégés implique, par nature, une limitation de l’accès au juge des tutelles afin d’assurer l’efficacité de la mesure mise en place et la protection effective de la personne concernée. La question soulevée par l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 janvier 2021 implique une vérification de la conformité de cette restriction à l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. La question s’est déjà posée dans d’autres procédures par le passé notamment devant la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 13-28.017 P, Dalloz actualité, 8 oct. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; 22 mars 2018, n° 17-12.049, inédit) ou même devant la première chambre à l’instar de l’arrêt analysé aujourd’hui (Civ. 1re, 11 mai 2016, n° 14-29.767, Dalloz actualité, 26 mai 2016, obs. X. Delpech ; RTD com. 2016. 698, obs. E. Loquin image). En matière de droit des majeurs vulnérables, l’appel d’une décision du juge des tutelles est réservé (outre au majeur en question) à un groupe de personnes identifiées comme le cercle proche du majeur vulnérable, c’est-à-dire « son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, ou par un parent ou un allié, une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables, ou la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique » (nous soulignons). Or, en l’espèce, la difficulté reposait sur la possibilité d’interjeter appel pour un ex-concubin qui n’avait pas entretenu de liens étroits et stables postérieurement à la rupture.

Le 23 août 2010, une personne désigne comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie sa concubine et, à défaut, ses héritiers. Le 30 juin 2015, le souscripteur est placé sous une mesure de protection – une tutelle – pour une durée de cinq ans. Son fils est désigné comme tuteur. Dans une ordonnance du 25 avril 2016, le juge des tutelles autorise le tuteur à procéder au changement de la clause bénéficiaire du contrat conclu précédemment pour désigner désormais l’épouse du majeur vulnérable et ses enfants. Le majeur concerné meurt le 20 novembre 2016. Le 15 septembre 2017, l’ex-concubine forme une tierce opposition de l’ordonnance rendue par le juge des tutelles ayant autorisé la substitution du bénéficiaire. Une telle tierce opposition a été déclarée irrecevable par le juge des tutelles. L’ex-concubine interjette donc appel de cette seconde ordonnance mais également – et c’est là toute la difficulté – de l’ordonnance du 25 avril 2016 directement (la décision qui avait autorisé la modification de la clause bénéficiaire). Dans un spectaculaire contrôle de proportionnalité, la cour d’appel de Lyon a décidé que, « si les restrictions légales à l’exercice des voies de recours contre les décisions du juge des tutelles poursuivent des objectifs légitimes de continuité et de stabilité de la situation du majeur protégé, dans le cas d’espèce, la privation du droit d’appel est sans rapport raisonnable avec le but visé dès lors que Mme B… est privée de tout recours contre une décision qui porte atteinte de manière grave à ses intérêts ».

Le tuteur se pourvoit alors en cassation. Il argue qu’un tel contrôle de proportionnalité est inopportun en la matière. L’arrêt est cassé pour violation de la loi. Si on sait que l’une des composantes de l’article 6, § 1, est le droit d’accès à un tribunal, ce droit n’est cependant pas absolu. Les limitations n’existent que si elles poursuivent d’une part un but légitime et d’autre part un rapport raisonnable entre les moyens employés et le but visé. On comprend ainsi aisément que ces deux conditions cumulatives ont été analysées successivement par la Cour de cassation.

Le but légitime : la protection du majeur vulnérable

Dans sa motivation, la Cour de cassation décrit le but légitime poursuivi par la législation interne ainsi : « en ouvrant ainsi le droit d’accès au juge à certaines catégories de personnes, qui, en raison de leurs liens avec le majeur protégé, ont vocation à veiller à la sauvegarde de ses intérêts, ces dispositions poursuivent les buts légitimes de protection des majeurs vulnérables et d’efficacité des mesures ».

L’explication est convaincante, quoiqu’expéditive. On sait que la saisine du juge des tutelles obéit à une limitation moins importante aujourd’hui que jadis. La loi du 5 mars 2007 a élargi, en effet, les personnes pouvant saisir le juge des tutelles en prenant acte notamment des « mutations sociales du couple » (F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil. Les personnes, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, p. 705, n° 665, note 1). Ainsi, la protection du majeur implique tout de même nécessairement de réduire les personnes pouvant agir à un cercle très proche de lui. Si le majeur est protégé, c’est qu’il faut veiller également aux personnes pouvant saisir le juge des tutelles et ainsi susceptibles de capter son patrimoine. Le but de toute l’architecture du droit des majeurs vulnérables reste de protéger ces derniers sur un plan extrapatrimonial et sur un plan patrimonial. Il s’agit donc d’une véritable restriction sans aucune hésitation mais une telle limitation vise à garantir un but précis poursuivi par le droit interne, celui de protéger les majeurs vulnérables. L’efficacité de ces mesures a déjà fait l’objet de discussions en 2007 sur le rôle de l’article 6, § 1, de la Convention européenne en supprimant, par exemple, la saisine d’office du juge des tutelles (P. Malaurie, Droit des personnes. La protection des mineurs et des majeurs, 9e éd., LGDJ, coll. « Droit civil », 2019, p. 350, n° 746).

Se forme donc autour du majeur protégé une sorte de cercle « nucléaire » qui vient garantir ses droits. Cette sorte de « cocon juridique » n’est pas sans rappeler le « parapluie judiciaire » des procédures collectives. L’égide légale permet d’éviter la captation par autrui. Voici un objectif bien légitime. La limitation de la possibilité d’interjeter appel ne doit pas conduire à y voir une ingérence sans but. Toute l’architecture du droit des majeurs vulnérables en dépend.

Reste à savoir si un rapport raisonnable de proportionnalité est préservé.

Le rapport raisonnable de proportionnalité

La Cour de cassation rappelle ensuite que ces mesures « ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction du droit d’accès au juge et le but légitime visé dès lors que les tiers à la mesure de protection disposent des voies de droit commun pour faire valoir leurs intérêts personnels ». Par quels moyens faire valoir ces droits ? En tant que tiers créanciers, ces derniers disposent de la tierce opposition de l’article 499, alinéa 3, du code civil. Ici d’ailleurs, le problème se concentrait non réellement sur l’appel de l’irrecevabilité de la tierce opposition mais sur l’appel de l’ordonnance ayant autorisé la substitution de la clause bénéficiaire. C’est une précision importante, bien que la cour d’appel Lyon eût opportunément ordonné la jonction des deux appels autour de la même affaire. On notera que le tiers peut également simplement avertir le juge des tutelles s’il pense que la gestion du tuteur peut nuire à l’intérêt du majeur vulnérable. On remarque évidemment que tout ceci reste limité, certes, mais la restriction se déduit de l’objectif du droit des majeurs vulnérables.

Sur le cas d’espèce, on comprendra assez facilement le problème puisque la bénéficiaire de l’assurance-vie initiale a, en réalité, perdu qualité à agir avec la fin du concubinage. Si le couple vivait toujours ensemble, le concubin aurait tout à fait pu interjeter appel. Ainsi, la cour d’appel de Lyon avait cru, par le contrôle de proportionnalité, permettre à l’ancienne concubine de retrouver cette qualité pour agir perdue avec la fin du concubinage. Mais, en réalité, l’ancienne partenaire de vie du majeur aurait très bien pu continuer à bénéficier d’une certaine qualité à agir en conservant « des liens étroits et stables » avec lui comme le mentionne l’article 430 du code civil. Or la limitation du droit d’agir n’est donc absolument pas disproportionnée avec le but poursuivi puisque cette catégorie de personnes entretenant de tels liens peut être très importante. Un concubin peut tout à fait conserver des « liens étroits et stables » car des liens amicaux peuvent remplacer des liens affectifs, surtout quand l’autre est en proie à la maladie ou à d’autres troubles compromettant sa santé physique ou mentale. La loi a donc écarté cette personne qui est sortie du cercle nucléaire du majeur protégé.

En somme, une telle tentative de contrôle de proportionnalité par les juges du fond était risquée, quoiqu’intéressante au fond. Il n’y avait pas matière à procéder à une telle mise en échec de la limitation des personnes ayant qualité pour agir puisque la loi ouvrait la possibilité à l’ex-concubin de conserver des liens étroits et stables, ce qu’elle n’a pas fait. En tant qu’outil de placement et d’anticipation successorale, l’assurance-vie est gérée par le tuteur et sa décision de modifier la clause bénéficiaire avait été autorisée par le juge des tutelles. Il faut considérer que la décision du tuteur – dont il répond et dont il doit rendre compte – était cohérente faute de la preuve contraire. La situation était particulière puisqu’au concubinage répondait un mariage. Le tuteur a probablement voulu avec la fin du concubinage mettre fin à cette clause bénéficiaire. Certes, on pourrait penser que ceci reste dans un but successoral puisque l’assurance-vie est hors donation indirecte ou primes manifestement exagérées hors de la succession par le jeu de l’article L. 132-13 du code des assurances. En substituant l’ex-concubin aux héritiers légaux du majeur, l’assurance-vie ne sortira pas du cercle familial. En tout état de cause, le tuteur a simplement éprouvé les conséquences de la fin du concubinage que son père entretenait avec le bénéficiaire en présumant que son père – affaibli par un Alzheimer – n’aurait pas voulu poursuivre une telle désignation après leur rupture. Les dates coïncident factuellement entre la saisine du juge des tutelles aux fins d’autorisation de la substitution de la clause bénéficiaire et la rupture antérieure du concubinage. L’ex-concubin voulait évidemment discuter de la pertinence de la substitution mais elle ne pourra pas le faire faute de qualité pour agir. La limitation procédurale de la question invite à ne pas parler de cette opportunité plus en détail.

La loi ne vient donc pas limiter inutilement la qualité pour agir dans le cadre de l’appel des décisions du juge des tutelles. Elle vient restreindre l’appel à un corps de personnes données – ce cercle nucléaire – pour garantir une protection du majeur vulnérable.

Saisie-attribution : aux frontières du possible

Ces deux arrêts – promis à une publication élargie (FS+P+B+I) – aux résultats diamétralement opposés, sont riches d’enseignement à la fois sur la territorialité des procédures civiles d’exécution mais aussi sur les possibilités de recouvrement à l’encontre d’un État étranger.

Sans entrer dans les détails des faits de chacune de ces décisions, il convient cependant d’en évoquer quelques lignes.

Dans le pourvoi n° 18-17.937, d’anciens salariés de l’ambassade des États-Unis d’Amérique ont obtenu des décisions en matières prud’homales condamnant les États-Unis d’Amérique et l’ambassadeur des États-Unis d’Amérique pris en sa qualité de représentant de ceux-ci.

En vertu des décisions qu’ils ont obtenu, les créanciers ont pratiqué une saisie-attribution des loyers entre les mains d’une société de droit américain dont le siège social était aux États-Unis, dans l’Ohio, qui était également locataire pour un établissement situé à Paris, dans un immeuble dont les États-Unis étaient propriétaires.

Dans le pourvoi n° 19-10.801, en vertu d’une sentence arbitrale exécutoire en France prononcée à l’encontre de la République du Panama et de l’autorité du Canal du Panama, un créancier a fait pratiquer une saisie-attribution du compte bancaire de ses débiteurs, entre les mains de la succursale parisienne d’une banque ayant son siège social à Londres.

Dans la première décision, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée entre les mains du locataire.

Dans la seconde décision, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi qui reprochait à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée entre les mains de la banque étrangère.

Ces deux décisions qui semblent contradictoires appliquent pourtant la même règle.

Premier obstacle, il est permis de constater que des procédures civiles d’exécution dans les deux espèces ont été poursuivies à l’encontre d’États étrangers, les États-Unis dans un cas et la République du Panama, dans l’autre.
Or, il est important de rappeler que le fait qu’il s’agisse d’un État souverain condamné n’est pas en soit un obstacle à toutes mesures d’exécutions sur le territoire national, l’article L. 111-1-1 du code des procédures civile d’exécution prévoyant seulement, dans cette hypothèse, qu’une autorisation du juge de l’exécution est requise au préalable.

Puisque, par application des règles du droit international privé, les États bénéficient d’une immunité d’exécution de principe, il est permis de penser qu’aucune procédure civile d’exécution ne peut être pratiquée à leur encontre, sauf dans les cas où ils auraient renoncé à leur immunité.

Toutefois, ce principe connaît des exceptions.

Ainsi, l’immunité d’exécution des États étrangers tombe lorsque le bien ou la créance saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit privé (Civ. 1re, 14 mars 1984, n° 82-12.462, Eurodif, D. 1984. Jur. 625).

Ainsi, lorsque ces conditions d’exception ne sont pas réunies, la voie d’exécution n’est pas possible (voir dans ce sens, Civ. 1re, 5 mars 2014, n° 12-22.406, Dalloz actualité, 19 mars 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 672 image ; ibid. 1466, obs. A. Leborgne image ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier image).

En l’espèce, dans les deux décisions commentées, le créancier a pratiqué une mesure d’exécution qui entrait dans le champ des exceptions à l’immunité d’exécution.

Ce premier obstacle levé, le créancier pouvait-il valablement pratiquer une saisie-attribution des loyers entre les mains d’une société ayant son siège social aux États-Unis d’une part, ou de la succursale en France d’une banque dont le siège social était à Londres ?

Pour répondre à cette épineuse question, la Cour de cassation a appliqué avec une grande simplicité les règles relatives à la territorialité des procédures civiles d’exécution.

Dans le pourvoi n° 18-17.937, elle a considéré que la saisie-attribution pratiquée portant sur une créance saisie résultant d’un contrat de bail signé entre les États-Unis d’Amérique et une société de droit américain dont le siège était dans l’Ohio était possible s’il était démontré que le tiers saisi était établi en France soit en y ayant soit son siège social, soit en disposant d’une entité ayant le pouvoir de s’acquitter du paiement d’une créance du débiteur saisi à son encontre.

Dans le cas de la saisie-attribution des loyers pratiquée à l’encontre de la société américaine locataire en France, ayant observé que les loyers étaient payés sur un compte ouvert dans une agence de la Société Générale en France, elle a considéré que la saisie-attribution était régulièrement pratiquée, le tiers saisi disposant bien d’une entité en France ayant le pouvoir de s’acquitter des loyers.

En revanche, dans le pourvoi n° 19-10.801, la Cour de cassation a retenu que la saisie-attribution pratiquée sur le compte bancaire détenu par le débiteur auprès d’une succursale d’une banque dont le siège social était à Londres, succursale dans laquelle aucun compte n’était ouvert au nom du débiteur saisi, ne répondait à ces conditions.

Elle a donc rejeté le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel qui avait ordonné la mainlevée de cette saisie-attribution.

Cette décision peut sembler surprenante car la jurisprudence française avait déjà admis qu’un créancier pouvait faire pratiquer une saisie-attribution entre les mains d’une banque française et que cette saisie s’étendait aux fonds déposés auprès de sa succursale monégasque (Civ. 2e, 14 févr. 2008, n° 05-16.167, D. 2008. 686 image, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2373, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis image ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2009. 1044, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 1168, obs. A. Leborgne image ; RTD civ. 2008. 357, obs. R. Perrot image ; RTD com. 2008. 601, obs. D. Legeais image ; ibid. 2009. 648, obs. P. Delebecque image).

Aussi cette position est étonnante car comme l’avait souligné un auteur : « La limitation des effets d’une saisie-attribution au seul compte détenu dans une succursale ne peut qu’être source de difficulté (…) et ne semble pas en phase avec l’évolution des technologies de la communication qui permettent à chaque établissement teneur de compte d’accéder à l’ensemble des autres comptes du dépositaire » (E. de Leiris, Droit et pratiques des procédures civiles d’exécution, Dalloz Action, 2018 -2019, p. 1025, § 0922.14).

Néanmoins, dans les deux arrêts commentés, la règle posée par la Cour de cassation a au moins le mérite de la simplicité, la procédure civile d’exécution sera possible lorsque le tiers saisi est établi en France, qu’il y a son siège social ou y dispose d’une entité ayant le pouvoir de s’acquitter du paiement d’une créance du débiteur saisie à son encontre.

Si ces conditions sont réunies, la saisie-attribution pourra être valablement pratiquée.

Dans le cas contraire, elle sera irrégulière et pourra faire l’objet d’une mainlevée.

Saisie immobilière : quand c’est fini, c’est fini…

Avec patience, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation semble faire sien l’adage, Repetitio est mater studiorum, généralement maladroitement traduit par « la répétition est la mère de la pédagogie », le plus souvent attribué à Saint Thomas d’Aquin.

Ainsi, inlassablement, à destination des juges du fond et des parties, elle répète ce qu’elle a parfois déjà précisé, notamment que le juge de l’exécution :
- ne peut prononcer une condamnation en paiement hors les cas prévus par la loi (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-20.700, Dalloz actualité, 5 janv. 2021, obs. F. Kieffer) ;
- doit examiner le bien fondé de la contestation portant sur le fond du droit, même lorsqu’il est saisi d’une autorisation de pratiquer une mesure conservatoire (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-16.347, Dalloz actualité, 11 déc. 2020, obs. F. Kieffer ; Rev. prat. rec. 2020. 8, chron. C. Kieffer et Ulrik Schreiber image) ou que celle-ci est contestée (Civ. 2e, 14 janv. 2020, n° 19-18.844) ;
- ne peut plus statuer sur les contestations et demandes incidentes qui sont soumises à son examen s’il constate que le commandement est périmé (Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 17-31.170, Dalloz actualité, 4 avr. 2019, obs. J. Couturier ; D. 2019. 1306, obs. A. Leborgne image ; AJDI 2019. 807 image, obs. F. Cohet image) ;
- ne peut relever d’office une contestation lorsque le projet de distribution n’a pas été contesté par le partie sauf à se rendre coupable d’un excès de pouvoir (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-10.366, Dalloz actualité, 24 sept. 2020, obs. F. Kieffer ; D. 2020. 1844 image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal image ; RTD civ. 2020. 951, obs. N. Cayrol image) ;
- est incompétent pour connaître des contestations sur le titre exécutoire lorsque le créancier a renoncé à la procédure de saisie immobilière en faisant radier le commandement (Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 15-26.694).

La décision commentée est dans le droit fil de cette vertu pédagogique. 

Il est vrai que les faits s’y prêtaient, le parcours du combattant précédant l’arrêt de la Cour de cassation ayant débuté en 2011. Ce...

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L’associé de SCI face aux effets de l’admission d’une créance sociale au passif

L’exercice de la tierce opposition contre les jugements rendus en matière de procédure collective est un art délicat. La récurrence du contentieux en ce domaine, déjà liée aux difficultés procédurales associées à l’exercice de cette voie de recours, résulte en outre de la conciliation difficile des intérêts antagonistes du droit des entreprises en difficulté. S’il faut ménager le droit à l’accès au juge des personnes concernées par la faillite, il faut dans le même temps veiller à conserver une certaine efficacité dans le traitement de l’insolvabilité.

Naviguant entre rigueur procédurale et pragmatisme, l’arrêt rendu par la Cour de cassation réunie en chambre commerciale le 20 janvier 2021 témoigne de ces antagonismes. Il confirme en outre que la rencontre du droit des entreprises en difficulté avec les règles de la procédure civile et du droit des sociétés se fait rarement sans heurts.

En l’espèce, une banque a consenti courant 2007 deux prêts à une société civile immobilière (SCI). Quelques années plus tard, par un arrêt du 24 mars 2011, la société a été condamnée à payer à la banque diverses sommes dues au titre de ces prêts. Le 3 février 2014, la personne morale est placée en redressement judiciaire, puis le 9 février 2015, en liquidation judiciaire. La banque a régulièrement déclaré sa créance relative à l’arrêt du 24 mars 2011 et celle-ci est admise au passif de la liquidation judiciaire par une ordonnance du juge-commissaire du 2 février 2015.

Assignés en paiement par la banque, les associés de la SCI, tenus en tant que tels des dettes de la société à proportion de leur part dans le capital social, ont formé tierce opposition à l’arrêt du 24 mars 2011 et ont sollicité l’annulation des contrats de prêts et le rejet de la demande en paiement. La cour d’appel estime recevable la tierce opposition formée par les associés et fait droit à leurs demandes.

La banque se pourvoit en cassation et la haute juridiction censure l’arrêt d’appel. Pour la Cour de cassation, les associés sont dépourvus d’intérêt à former tierce opposition à l’encontre du jugement antérieur à la procédure collective condamnant la société au paiement de plusieurs sommes.

Plus précisément, la Cour reproche aux associés de la personne morale débitrice de s’être privés des canaux de la procédure collective en ne présentant pas de réclamation à l’état des créances pour contester la créance de la banque (C. com., art. R. 624-8, al. 4).

Afin de comprendre l’essence de cette décision, un retour sur les principes applicables en la matière est nécessaire.

Les décisions du juge-commissaire statuant sur l’admission des créances peuvent être contestées par les parties elles-mêmes, c’est-à-dire les parties à la vérification du passif : le débiteur, le créancier et le mandataire judiciaire (par ex., v. Com. 19 mai 2015, n° 14-14.395, Bull. civ. IV, n° 84 ; Dalloz actualité, 9 juin 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 1152 image ; RTD com. 2015. 748, obs. A. Martin-Serf image).

Par ailleurs, toute personne intéressée peut présenter une réclamation auprès du juge-commissaire contre ses décisions d’admission, de rejet ou d’incompétence dans le mois du dépôt de l’état des créances au greffe (C. com., art. R. 624-8, al. 4). Ce recours est réservé aux personnes qui n’ont pas la qualité de partie à l’instance de vérification de la créance contestée. Cette caractéristique fait de la réclamation une variété de tierce opposition.

Ce recours revêt un intérêt tout particulier pour les « garants » et plus généralement, pour les personnes susceptibles d’être appelées à payer la dette du débiteur sous procédure collective. En effet, puisque l’admission d’une créance au passif est une véritable décision de justice, une fois les voies de recours épuisées, la décision acquiert force de chose jugée et les créances admises ont autorité de chose jugée quant à leur montant, leur nature et leur principe (Com. 3 mai 2011, n° 10-18.031, Bull. civ. IV, n° 63 ; Dalloz actualité, 11 mai 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 1279, obs. A. Lienhard image ; ibid. 2069, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas image ; ibid. 2012. 1573, obs. P. Crocq image ; RTD com. 2011. 798, obs. A. Martin-Serf image ; 1er mars 2005, n° 03-19.539 NP). Par conséquent, une fois l’admission acquise, le tiers ne peut plus ensuite contester le principe ou le quantum de la créance (Com. 22 oct. 1996, n° 94-14.570 NP ; D. 1997. 2 image ; Rev. sociétés 1997. 596, note P. Didier image).

Sur un plan théorique, cette solution peut trouver diverses explications en fonction de la qualité du tiers intéressé par l’admission de la créance.

Elle a parfois reposé sur la notion de représentation mutuelle des co-obligés, notamment pour expliquer son application à des cautions solidaires (Com. 9 janv. 2001, n° 97-22.053 NP) ou à des codébiteurs solidaires (Com. 20 sept. 2005, n° 04-14.410 NP). Dans ces cas, la solidarité entre les co-obligés implique qu’une décision ayant autorité de chose jugée entre un créancier et l’un des co-obligés s’impose aux autres obligés solidaires. Toutefois, le concept de représentation mutuelle des co-obligés ne permet pas d’expliquer l’ensemble des solutions rendues en la matière (outre les nombreuses critiques portées à la notion, v. P. Veaux-Fournerie et D. Veaux, « La représentation mutuelle », in Mélanges Weill, Dalloz, 1983, p. 547 s. ; M. Mignot, Les obligations solidaires et les obligations in solidum en droit privé français, préf. E. Loquin, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », 2002, vol. 17, nos 147 s.). Par exemple, s’il est reconnu qu’une caution simple ne peut plus se prévaloir des exceptions inhérentes à la dette après l’admission au passif de la créance garantie, ce principe ne peut être fondé sur une éventuelle solidarité. Au contraire, il est admis que l’autorité de chose jugée d’une admission au passif du débiteur principal sur une caution simple s’explique sous l’angle de la règle de l’accessoire (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., Dalloz Action, 2019-2020, n° 723.241).

En l’espèce, la Cour de cassation estime que l’autorité de chose jugée attachée à l’admission au passif s’impose à l’associé de SCI et que ce dernier doit former une réclamation à l’état des créances s’il entend contester la somme due par la personne morale débitrice.

Il ne fait pas de doute que l’associé de société civile est un tiers intéressé par l’admission de la créance, mais sa situation n’est en rien comparable à celle d’une caution ou d’un codébiteur solidaire (C. Lebel, « L’obligation aux dettes sociales des associés en cas de défaillance de la société débitrice », in Mélanges D. Tricot, Dalloz/LexisNexis, 2011, spéc. p. 495, n° 15).

Le seul fait de répondre des dettes sociales ne confère pas la qualité de co-obligé (Com. 20 mars 2012, n° 10-27.340, Bull. civ. IV, n° 61 ; Dalloz actualité, 28 mars 2021, obs. A. Lienhard ; D. 2012. 874, obs. A. Lienhard image ; Rev. sociétés 2012. 577, note O. Dexant - de Bailliencourt image). Dans la même veine, contrairement à la caution engagée envers le créancier à payer la dette d’autrui, il n’y a ici qu’une dette sociale avec deux degrés de poursuite pour le créancier : le premier contre la société et le second, subsidiairement, contre les associés (M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 33e éd., LexisNexis, 2020, nos 1821 et 1823). À cet égard, la doctrine qualifie les associés d’une société civile comme des débiteurs subsidiaires des dettes sociales (P. Briand, Retour sur la notion de co-obligé, BJS sept. 2012, n° 351), tandis que la Cour de cassation voit en eux des garants subsidiaires (Com. 29 mars 2011, n° 10-15.554, BJS 2011, p. 571, note F.-X. Lucas), mais refuse d’assimiler leur situation à un cautionnement (Civ. 1re, 17 janv. 2006, n° 02-16.595, Bull. civ. I, n° 15 ; D. 2006. 2660, obs. V. Avena-Robardet image, note F. Bicheron image ; ibid. 2007. 267, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles image ; Rev. sociétés 2006. 540, note D. Legeais image ; RTD com. 2006. 419, obs. C. Champaud et D. Danet image ; ibid. 432, obs. M.-H. Monsèrié-Bon et L. Grosclaude image).

Quoi qu’il en soit, si l’autorité de chose jugée attachée à la décision d’admission au passif s’impose à l’associé de SCI, cette solution ne peut s’expliquer sous l’angle de la solidarité ou de la règle de l’accessoire. Dès lors, les parallèles avec la situation des garants du débiteur face aux effets de la décision d’admission au passif sont peu pertinents dans la recherche des fondements de l’arrêt sous commentaire.

En réalité, le raisonnement porté par l’arrêt fait sens au regard des conditions relatives à la poursuite des associés d’une société civile par un créancier social lorsque la société est en procédure collective.

Pour rappel, en droit commun, le créancier ne peut poursuivre le paiement des dettes sociales contre les associés qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale (C. civ., art. 1858). Lorsque la société est en procédure collective, cette condition est remplie par la déclaration de la créance à la procédure collective de la société (Cass., ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Bull. ch. mixte, n° 4 ; D. 2007. 1414 image, obs. A. Lienhard image ; Rev. sociétés 2007. 620, note J.-F. Barbièri image ; RTD com. 2007. 550, obs. M.-H. Monsèrié-Bon image ; ibid. 597, obs. A. Martin-Serf image).

Par le biais de la déclaration de créance, le créancier s’ouvre la voie des poursuites contre les associés indéfiniment tenus à la dette à proportion de leur participation dans le capital social. Ceci permet d’expliquer que les associés de société civile sont recevables à former tierce opposition contre le jugement ayant fixé une créance au passif de la société (Com. 26 mai 2010, n° 09-14.241 NP, Dalloz actualité, 8 juin 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 1415, obs. A. Lienhard image ; Rev. sociétés 2010. 406, obs. P. Roussel Galle image ; RTD com. 2010. 567, obs. M.-H. Monsèrié-Bon image).

La déclaration de créance et, par suite, son admission vont donc déterminer l’importance des montants susceptibles d’être réclamés par le créancier à l’associé. Dans cette mesure, l’associé est tout autant concerné par l’admission au passif que ne l’est la personne morale débitrice. La poursuite de l’associé dépend de l’existence de la dette sociale, laquelle doit être reconnue par la procédure collective. En effet, ce n’est qu’à condition que la dette sociale soit admise au passif de la procédure collective que l’associé, débiteur subsidiaire, peut être poursuivi. Au contraire, si la créance est rejetée par le juge-commissaire, le créancier ne pourra poursuivre l’associé, la dette sociale ayant disparu du fait du rejet.

Dès lors, puisque l’admission au passif est une condition de l’action du créancier social contre l’associé, le seul moyen pour ce dernier de contester le bien-fondé de cette action est de se soumettre, lui aussi, aux canaux de la procédure collective. En l’espèce, il s’agissait de la réclamation à l’état des créances et seul ce recours pouvait assurer aux associés un droit à l’accès au juge conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (Com. 12 janv. 2016, n° 15-40.036 NP, RTD com. 2016. 200, obs. A. Martin-Serf image).

Sous cet angle, la solution fournie par la Cour de cassation nous paraît tout à fait logique. Aussi, concédons qu’elle était, en outre, prévisible.

Certes, la haute juridiction a un temps reconnu que les associés d’une société civile pouvaient contester les droits du créancier – déjà admis au passif – dans le cadre d’une instance engagée contre eux en dehors de la procédure collective et tendant au support du passif social (Com. 28 sept. 2004, n° 02-15.755 NP). Toutefois, cette solution semble avoir vécu, car il a plus récemment été jugé qu’en cas d’admission d’une créance au passif et à défaut de réclamation à l’état des créances formée par l’associé d’une SCI, ce dernier ne pouvait soulever, par la suite, la prescription de la créance pour échapper à son obligation à la dette (Com. 13 oct. 2015, n° 11-20.746, Bull. civ. IV, n° 837 ; D. 2015. 2125 image ; Rev. sociétés 2016. 298, note J.-F. Barbièri image).

En se détachant quelque peu de la technicité des règles, n’oublions pas que l’un des objectifs premiers du droit des entreprises en difficulté est la célérité. Aussi, que le tiers intéressé à l’admission de la créance soit une caution, un codébiteur solidaire ou un associé obligé aux dettes sociales, ces derniers ont vocation à faire valoir un certain nombre d’arguments communs à ceux susceptibles d’être opposés par le débiteur au créancier. Dans ces conditions, pour se préserver de décisions contradictoires, l’obligation d’employer les canaux de la procédure collective ne paraît pas dénuée de sens et explique qu’en l’espèce, la tierce opposition de l’associé en dehors de la procédure collective ait été jugée irrecevable.

Pour finir, à suivre l’arrêt commenté, la réclamation à l’état des créances permet de garantir à l’associé son droit effectif à l’accès au juge. Théoriquement, l’affirmation est exacte. En pratique, il est en revanche possible de se demander s’il ne s’agirait pas là d’une gageure.

Le propos est provocant. Pourtant, il nous semble pertinent, car la réclamation à l’état des créances est enfermée dans le confortable délai de… trente jours à compter du dépôt de l’état des créances au greffe. Dès lors, est-ce qu’un délai d’action aussi réduit garantit véritablement un droit effectif à l’accès au juge ?

La réponse à cette dernière question est difficile et n’était de toute façon pas abordée au sein de l’arrêt commenté et en dépasse largement le cadre. Elle confirme cependant toute la complexité liée à la conciliation du droit à l’accès au juge des personnes concernées par la faillite et le maintien d’une certaine efficacité dans le traitement des difficultés de l’entreprise.

 SYMBOLE GRIS

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